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1
Sir Philip Sidney (1554–1586) Astrophel and Stella, 1581
Traduction Claude Andréa
Sonnet 59
DEAR! why make you more of a dog, than me?
If he do love; I burn, I burn in love!
If he wait well; I never thence would move!
If he be fair; yet but a dog can be.
Little he is, so little worth is he.
He barks; my songs, thine own voice oft doth prove.
Bidden perhaps, he fetcheth thee a glove;
But I unbid, fetch even my soul to thee!
Yet while I languish; him, that bosom clips,
That lap doth lap, nay, lets in spite of spite, 1
This sour-breathed mate taste of those sugared lips.
Alas, if you grant only such delight
To witless things; then LOVE I hope (since wit
Becomes a clog) will soon ease me of it.
Pourquoi, chère, apprécies-tu plus un chien que moi ?
T’aime-t-il ? Moi, c’est d’amour que je me calcine !
T’escorte-t-il ? Rester serait ma discipline !
Est-il beau ? Oui-da, mais comme un chien se conçoit.
Il est peu grand ; son peu de valeur se perçoit.
Il aboie ; moi, dans mes chants ta voix se devine ;
Il t’apporte un gant, oui, si ton ordre l’incline ;
Mais moi, sans ordre, c’est mon âme que je t’octroie !
Du temps que je languis, pourtant, ce sein le presse,
Ce giron l’étrein et, dépit de mont dépit,
A l’impur fait goûter de ces lèvres l’ivresse.
Las, si tu gardes pour qui est privé d’esprit
Ce régal, j’espère (si l’esprit est un frein)
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2
Qu’alors Amour bientôt va m’ôter tout le mien.
Christopher Marlowe (1564-1593(?))
Traduction de François de Châtelain
The Passionate Shepherd to His Love
Come live with me and be my love,
And we will all the pleasures prove
That hills and valleys, dale and field,
And all the craggy mountains yield.
There will we sit upon the rocks,
And see the shepherds feed their flocks,
By shallow rivers to whose falls
Melodious birds sing madrigals.
There I will make thee beds of roses
And a thousand fragrant posies,
A cap of flowers, and a kirtle
Embroider'd all with leaves of myrtle;
A gown made of the finest wool
Which from our pretty lambs we pull;
Fair linèd slippers for the cold,
With buckles of the purest gold;
A belt of straw and ivy buds,
With coral clasps and amber studs;
And if these pleasures may thee move,
Come live with me, and be my love.
Thy silver dishes for thy meat
As precious as the gods do eat,
Shall on an ivory table be
Prepared each day for thee and me.
The shepherd swains shall dance and sing
For thy delight each May-morning:
If these delights thy mind may move,
Then live with me and be my love.
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3
L’AMOUREUX BERGER A SA BERGERE.
Viens vivre avec moi, viens sois mes amours,
Et nous goûterons plaisirs tous les jours,
Que peuvent donner bosquets ou vallées
Ou monts escarpés, ou bois ou feuillées;
Nous nous assiérons au pic des rochers,
Et lors nous verrons de loin les bergers,
À leurs beaux troupeaux donner la pâture
Et les doux oiseaux chanter la nature.
Et je te ferai, mon cœur te le dit,
De gentils bouquets, de roses un lit,
Un bonnet de fleurs, puis une jaquette,
Et de myrte blanc blanche collerette ;
Et de la toison de nos chers agneaux,
Moi je te ferai cotillons, manteaux,
Souliers bien mignons contre la froidure,
Avec boucles d’or pour leur fermeture :
Et je te ferai superbe ceinture,
De l’or de nos blés, avec émaillure…
Ah ! si ces plaisirs, tu les veux, …. accours,
Viens vivre avec moi, viens sois mes amours !
Pour chaque repas ma gente bergère
Des vins recherchés, délicate chère,
Sur des plats d’argent, riches, précieux
Te seront servis, comme on sert les Dieux.
Et de nos bergers, chant, danse joyeuse
De s’exécuter pour te rendre heureuse,
Ah ! si ces plaisirs, tu les veux, …. accours,
Viens vivre avec moi, viens sois mes amours !
William Shakespeare (1564-1616), Sonnets (1609)
Deux traductions d’Yves Bonnefoy
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4
SONNET LV
Not marble, nor the gilded monuments
Of princes, shall outlive this powerful rhyme;
But you shall shine more bright in these contents
Than unswept stone, besmear'd with sluttish time.
When wasteful war shall statues overturn,
And broils root out the work of masonry,
Nor Mars his sword nor war's quick fire shall burn
The living record of your memory.
'Gainst death and all-oblivious enmity
Shall you pace forth; your praise shall still find room
Even in the eyes of all posterity
That wear this world out to the ending doom.
So, till the judgment that yourself arise,
You live in this, and dwell in lovers' eyes.
SONNET LV
Ni le marbre, ni la lumière d'or des monuments
Que les Princes érigent, ne vivront plus
Que ce puissant poème ; où tu resplendiras
De plus d'éclat que ces pierres qu'insultent
Les marques noires du temps qui souille tout.
La guerre dévastatrice renversera
Les statues ; à grand bruit elle arrachera
Les racines des murs ; mais ni l'épée de Mars
Ni la furie des flammes du pillage
Ne détruirons ces vers où vivra ta mémoire.
Contre la mort, contre l'oubli hostile
Tu marcheras ! Ton éloge aura sens
Même au regard des âges qui fibre à fibre
Déferont l'univers, y mettront fin.
Avant qu'au Jugement tu ne te redresses
Tu vivras dans mes vers,
Tu étincelleras dans ces yeux d'un amant.
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5
Sonnet CXXIX
The expense of spirit in a waste of shame
Is lust in action: and till action, lust
Is perjured, murderous, bloody, full of blame,
Savage, extreme, rude, cruel, not to trust;
Enjoyed no sooner but despised straight;
Past reason hunted; and no sooner had,
Past reason hated, as a swallowed bait,
On purpose laid to make the taker mad.
Mad in pursuit and in possession so;
Had, having, and in quest to have extreme;
A bliss in proof, and proved, a very woe;
Before, a joy proposed; behind a dream.
All this the world well knows; yet none knows well
To shun the heaven that leads men to this hell.
SONNET CXXIX
La luxure : naufrage, en abîme de honte,
De la force vitale. Rien qu'en pensée
Elle est parjure, meurtrière, elle répand
Coupablement le sang, elle est sauvage,
Excessive, brutale et cruelle, traîtresse,
Et méprisée si tôt que satisfaite,
Follement poursuivie mais follement
Haïe, le hameçon qu'on a dans la bouche,
Fait pour que l'esprit sombre, par la douleur.
Et insensée à vouloir comme à prendre,
Rage de qui a eu, qui possède, qui cherche,
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6
Désirée, un délice, éprouvée, un malheur,
Attendue, une joie, passée, l'ombre d'un songe,
Et cela, qui ne le sait pas ? Mais qui sait se garder
De ce ciel qui voue l’homme à tout cet enfer ?
SONNET CXXX
My mistress' eyes are nothing like the sun;
Coral is far more red than her lips' red;
If snow be white, why then her breasts are dun;
If hairs be wires, black wires grow on her head.
I have seen roses damask, red and white,
But no such roses see I in her cheeks;
And in some perfumes is there more delight
Than in the breath that from my mistress reeks.
I love to hear her speak, yet well I know
That music hath a far more pleasing sound;
I grant I never saw a goddess go;
My mistress, when she walks, treads on the ground:
And yet, by heaven, I think my love as rare
As any she belied with false compare.
SONNET CXXX
Les yeux de ma maîtresse ? Nullement
Un soleil ; et le rouge de ses lèvres,
Bien moins que le corail. La neige est blanche,
Ses seins, plutôt grisâtres. Les cheveux seraient-ils
Du crin, noir est le crin qui hérisse sa tête.
J'ai vu des roses marbrées, de blanc, de rouge :
Point sur ses joues ! Et il est des parfums
Qui offrent davantage de délices
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7
Que le souffle qu'exhale ma maîtresse.
Aimer l’entendre ? Certes, mais je sais bien
Que la musique a un son plus plaisant.
J'avoue que je n'ai jamais vu
Déesse s'avancer ; mais ma maîtresse
Marche avec ses deux pieds bien plantés en terre.
Et pourtant ! Je le jure, ma bien-aimée
A autant d'excellence qu'aucune femme
Qu'ait jamais abusée comparaison menteuse.
SONNET CXLIV
Two loves I have of comfort and despair,
Which like two spirits do suggest me still;
The better angel is a man right fair,
The worser spirit a woman colour'd ill.
To win me soon to hell, my female evil
Tempteth my better angel from my side,
And would corrupt my saint to be a devil,
Wooing his purity with her foul pride.
And whether that my angel be turn'd fiend
Suspect I may, but not directly tell;
But being both from me, both to each friend,
I guess one angel in another's hell:
Yet this shall I ne'er know, but live in doubt,
Till my bad angel fire my good one out.
SONNET CXLIV
J'ai deux amours, l'un fait ma joie, l'autre m'accable,
Tels deux génies qui sans répit m'assaillent.
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8
Le bon, un ange, est homme, et la beauté même,
Le mauvais, un démon, est femme, de couleur laide.
Pour me jeter plus vite en enfer, mon fléau,
Cette femme, veut de mon ange qu’il m’abandonne.
Elle tente de le corrompre, mon saint ami,
Elle cherche à en faire un diable, elle veut séduire
Cet être pur, de toute son infâme lubricité.
Mon ange est-il vraiment devenu démon,
Je puis le craindre, je ne puis certes l'affirmer,
Toutefois, ils sont loin de moi tous deux, ils sont amis,
J’estime donc que l'ange est en enfer.SONNET LV
Ni le marbre ni l'or des plus fiers édifices
Ne survivront mes vers : dans lesquels ta splendeur
Brille de plus d'éclat que ces pierres que souillent
Les marques de ce temps qui nous insulte.
La guerre dévastatrice peut renverser
Les statues, ou déraciner les murs : mais ni l’épée
De Mars ni la fureur des flammes des pillages
Ne ruineront ce temple de ta mémoire.
Contre la mort, contre l'oubli hostile
Il te dresse ! Ton éloge aura sens
Même au regard des âges qui fibre à fibre
Déferont l'univers. Avant qu'au Jugement
Tu ne sortes de tombe, c’est dans mes vers
Que tu vivras : dans mes yeux, dans leur feu.
Et comme je ne puis en avoir le cœur net,
Je vivrai dans le doute, jusqu'au jour
Où le mauvais démon aura chassé l'ange.
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9
SONNET CXXIX
La luxure : naufrage, en abîme de honte
De la force vitale. Pour s’assouvir
Elle ment, elle calomnie, trahit, assassine,
Elle est immodérée, sauvagement cruelle,
Et méprisée si tôt que satisfaite,
Follement poursuivie mais follement
Haïe, le hameçon qu'on a dans la bouche,
Fait pour que l'esprit sombre, par la douleur.
Et insensée à vouloir comme à prendre,
Rage de qui a eu, qui possède, qui cherche,
Désirée, un délice, éprouvée, un malheur,
Attendue, une joie, passée, l'ombre d'un songe,
Et cela, qui l’ignore ? Mais qui se garde
De ce ciel qui nous voue à cet enfer ?
SONNET CXXX
Guère un soleil les yeux de ma maîtresse,
Bien moins que du corail le feu de ses lèvres.
La neige est blanche, soit, mais ses seins sont grisâtres,
Crins les cheveux ? Crins noirs en tout cas les siens.
J'ai vu des roses damassées de blanc, de rouge :
Point sur ses joues ! Et il est des parfums
Qui offrent davantage de délices
Que le souffle qu'exhale ma maîtresse.
Aimer l'entendre ? Certes, mais je sais bien
Que la musique a un son plus plaisant.
J'avoue que je n'ai jamais vu marcher déesse,
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10
Mais ma maîtresse, quand elle marche, c’est bien sur terre.
Toutefois, et j’en jure : elle les vaut, ces autres,
Que travestissent de menteuses comparaisons.
SONNET CXLIV
J'ai deux amours, l'un fait ma joie, l'autre m'accable,
Tels deux génies qui sans répit m'assaillent.
Le bon, un ange, est homme et la beauté même,
Le mauvais, un démon, est femme, de couleur sombre.
Pour me jeter plus vite en enfer, mon fléau,
Cette femme, veut de mon ange qu’il m’abandonne.
Mon saint ami, elle tente d’en faire un diable,
De le séduire à sa lubricité.
Et que démon soit maintenant mon ange,
Sans pouvoir l’affirmer je le soupçonne,
Car ils sont loin de moi tous deux, ils sont amis,
Je crains que l’un ne soit dans l’enfer de l’autre.
Mais je n’en saurai rien, je vivrai dans le doute
Tant que le mauvais feu n’aura pas fait son œuvre.
10 traductions du sonnet 146
146
Poor soul, the centre of my sinful earth,
[Why feed'st] these rebel powers that thee array1?
Why dost thou pine within, and suffer dearth,
Painting thy outward walls so costly gay?
Why so large cost, having so short a lease,
Dost thou upon thy fading mansion spend?
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Shall worms, inheritors of this excess,
Eat up thy charge? is this thy body's end?
Then soul, live thou upon thy servant's loss,
And let that pine to aggravate thy store;
Buy terms divine in selling hours of dross;
Within be fed, without be rich no more:
So shalt thou feed on Death, that feeds on men,
And, Death once dead, there's no more dying then.
1 Le deuxième vers est parfois noté ainsi :
My sinful earth, these rebel powers that thee array
Traduction de François Victor Hugo (1857)
Pauvre âme, centre de ma terre pécheresse, jouet des puissances
rebelles qui t’enveloppent,
pourquoi pâtis-tu intérieurement et te laisses-tu dépérir, en
peignant tes murs extérieurs de si
coûteuses couleurs ?
Pourquoi, ayant un loyer si court, fais-tu de si grandes
dépenses pour ta demeure éphémère ? Est-ce
pour que les vers, héritiers de ce superflu, mangent à tes frais
? La fin de ton corps est-elle la
tienne ?
Âme, vis donc aux dépens de ton esclave, et laisse-le languir
pour augmenter tes trésors. Achète la
durée divine en vendant des heures de poussière. Nourris-toi au
dedans, et ne t’enrichis plus au
dehors.
Ainsi tu te nourriras de la mort qui se nourrit des hommes ; et,
la mort une fois morte, tu n’auras
plus rien de mortel.
Traduction d’Henri Thomas (Club français du livre, 1965)
Pauvre âme, centre de ma glèbe pécheresse,
… Ces instincts rebelles qui te vêtent,
Pourquoi cette langueur et famine au-dedans
Et tes murs au-dehors si gaiement pavoisés ?
Pour ta demeure défaillante à quoi bon faire
Si vastes frais, alors que le bail est si court ?
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12
Vont-ils pas, héritiers de cet excès, les vers,
N’en rien laisser ? N’est-ce pas là qu’en vient ton corps ?
Vis donc, âme, sur la part de ton serviteur,
Et qu’il languisse pour accroître ton trésor ;
Achète un temps divin au prix de mornes heures ;
Sois nourrie au-dedans, non plus riche en dehors :
Lors tu consumeras la Mort qui nous consume,
Et morte étant la Mort, il n’est plus de mourir.
Traduction de Pierre Jean Jouve (Mercure de France, 1969)
Pauvre âme, centre de ma terre coupable, [reine de] ces rebelles
puissances qui t’ont déroutée !
Pourquoi languis-tu au-dedans, souffres-tu pauvresse, en
peignant tes murs au dehors par si
luxueuse gaieté ?
Pourquoi dépenser un tel luxe, ayant bail si court, sur ta
demeure qui va disparaître ? Les vers, en
héritiers de tels excès, mangeront-ils ton fonds ? Telle est la
fin du corps ?
Alors, âme, vis de la ruine de ton serviteur, et qu’il languisse
afin d’augmenter tes avoirs ; achète
des temps éternels en vendant tes heures de scories, sois
au-dedans nourrie, et sois pauvre au
dehors.
Ainsi tu te nourriras de la Mort, qui d’homme se nourrit ; la
mort une fois morte, rien ne sera plus
mort.
Traduction de Frédéric Langer (La Découverte, 1984)
Pauvre âme, centre de ma Terre pécheresse –
encerclée par ces forces rebelles en bataille –
pourquoi te laisses-tu dépérir au-dedans
tout en peignant à grands frais ta façade de couleurs gaies
?
Pourquoi une telle dépense quand ton bail est si court
dans cette demeure qui part en ruine peu à peu ?
Espères-tu que des vers, seuls héritiers de cette
prodigalité,
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13
mangeront ta dette ? Est-ce là la fin de ton corps ?
Dans ce cas, mon âme, vis donc aux dépens de ton serviteur,
laisse-le dépéri pour accroître ton bien,
achète-toi une créance sur l’éternité en vendant tes heures de
rebut,
au-dedans, nourris-toi, au-dehors, délaisse la richesse :
tu te nourriras ainsi de la Mort qui se nourrit des hommes,
Et la Mort, une fois morte, il n’est plus de mourir.
Traduction de Jean Malaplate (L’âge d’homme, 1992)
Pauvre âme, point central de ma coupable terre,
Les puissances du mal t’assignent ta maison.
Pourquoi t’y tourmenter, peignant dans ta misère,
De coûteuse gaîté les murs de ta prison ?
À quoi bon tant de frais pour un bail qui ne dure ?
Pour orner ton logis qui penche vers sa fin ?
Les vers hériteraient, pour en faire pâture,
Ce superflu ? Du corps est-ce là le destin ?
Prends de ton serviteur la richesse à mains pleines,
De ses tourments, mon âme, alourdis tes trésors !
Acquiers les jours du ciel contre des heures veines,
Sois comblée au-dedans et pauvres du dehors,
Dévore ainsi la Mort qui les hommes dévore :
Morte la mort, qui donc pourrait mourir encore ?
Traduction de Daniel et Geneviève Bournet, (Librairie Nizet,
1995)
Pauvre âme, au centre en ma coupable terre,
(…) tes rebelles pouvoirs d’atours,
Pourquoi souffrir famine et langueur taire,
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14
Peignant d’un gai coûteux tes murs autour ?
Pourquoi grand coût à si brève échéance
Dans ton manoir croulant lors engloutir ?
Vont-ils, les vers, héritiers de l’outrance,
Manger ta charge ? et là ton corps finir ?
Âme, vis donc sur ton servant en ruine,
Que sa langueur aggrave ton surplus ;
Termes divins paye en heures mesquines ;
Nourri dedans, riches dehors n’aie plus.
Nourris-toi de la mort nourrie des hommes,
Et, la mort morte, on ne meurt plus en somme.
Traduction d’Yves Bonnefoy (Gallimard, 2007)
Ma pauvre âme, le centre
De ma glèbe coupable toute en révolte,
Pourquoi souffrir en moi, de faim, de soif,
Et au-dehors bâtir en couleurs si gaies ?
Oui, pourquoi engager autant de frais,
Si court le bail, pour ce logis qui croule ?
Veux-tu que l’héritier de ta démesure,
Le ver, dépense tout ? Qu’ainsi ton corps finisse ?
Allons, mon âme ! Exploite ton serviteur,
Qu’il jeûne pour accroître ta fortune !
Achète du temps céleste en soldant cette pacotille,
Le temps mortel. Sois riche par-dedans, non plus par-dehors.
Nourris-toi de la mort qui se nourrit de nous.
Morte la mort, tu ne craindras plus de mourir.
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15
Traduction de Robert Ellrodt (Actes Sud, 2007)
Pauvre âme, centre même de ma terre corrompue
- Ma terre gaste, ces instincts rebelles qui te vêtent -,
Pourquoi, souffrant famine et langueur au-dedans,
Peindre au-dehors tes murs de couleurs gaies et riches ?
Pourquoi, à si grands fris, quand ton bail est si court
Ornes-tu ton manoir qui va se délabrant ?
Les vers, seuls héritiers, devront-ils consommer
Tes excès ? Et ton corps n’a-t-il donc d’autre fin ?
Vis donc, mon âme, de ce que perd ton serviteur ;
Laisse-le dépérir pour accroître ton bien ;
Signe ton bail au ciel au prix de viles heures ;
Au-dedans sois nourrie et non riche au-dehors.
Ainsi te nourrira la Mort, nourrie des hommes
Et la Mort enfin morte, nul n’a plus à mourir.
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16
Traduction de William Cliff (Les Éditions du Hasard, 2010)
Pauvre âme enfoncée dans la terre noire
recouverte d’ornements décevants,
pourquoi languir et n’avoir rien à boire
au milieu de ces murs pourtant riants ?
Pourquoi dépenser pour un bail si court
tant d’argent à une maison qui sombre ?
et tout le fruit de ton brillant parcours
faudra-t-il qu’il soit mangé par la tombe ?
Ô mon âme ! tes pertes te font vivre,
ta soif agrandit ta propriété,
tu gagneras en perdant tes scories
et te nourriras de ta pauvreté :
ainsi prenant ce que Mort ne peut prendre,
tu prendras de quoi d’Elle te déprendre.
Traduction de Frédéric Boyer (P.O.L, 2010)
oh mon âme centre de ma terre criminelle
ma terre criminelle puissances rebelles
pourquoi souffrir en toi la faim le manque
et peindre l’extérieur si riche si gai
pourquoi ces richesses le temps est si court
tant de dépenses pour ton vain château
seuls héritiers de tes excès les vers
qui mangeront tout et ton corps finira
oh mon âme vis quand ton serviteur
se perd qu’il s’affame tu y gagnes
achète l’éternité contre des heures vides
nourrie de l’intérieur pauvre à l’extérieur
tu avales la mort qui avale les hommes
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17
et morte la mort personne ne meurt
Ben Jonson,(1572-1637)
Traduction L. Camazian
On my First Son
Farewell, thou child of my right hand, and joy;
My sin was too much hope of thee, lov'd boy.
Seven years tho' wert lent to me, and I thee pay,
Exacted by thy fate, on the just day.
O, could I lose all father now! For why
Will man lament the state he should envy?
To have so soon 'scap'd world's and flesh's rage,
And if no other misery, yet age?
Rest in soft peace, and, ask'd, say, "Here doth lie
Ben Jonson his best piece of poetry."
For whose sake henceforth all his vows be such,
As what he loves may never like too much.
Sur mon premier fils
Adieu, enfant de ma droite main, mon bonheur ;
J’ai péché d’espérer trop de toi, pauvre cœur :
Sept ans tu m’as été prêté, et je te rends,
Comme ton destin l’exige, au jour échéant.
Oh, que ne puis-je perdre ma paternité !
Pourquoi pleurer l’état qu’on devrait envier :
Fuir si tôt les affres du monde et de la chair,
Et du vieillissement, sinon d’autre misères ?
Repose en douce paix ; aux questions posées, dis :
« De Ben Jonson le meilleur poème ici gît. »
Ores au nom de ce fils il se jure de faire
Que ce qu’il aime ne puisse jamais trop plaire.
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18
John Donne (1572-1631)
Traduction de J. Fuzier et Y. Denis
Sweetest love, I do not go,
For weariness of thee,
Nor in hope the world can show
A fitter love for me;
But since that I
Must die at last, 'tis best
To use myself in jest
Thus by feign'd deaths to die.
Yesternight the sun went hence,
And yet is here today;
He hath no desire nor sense,
Nor half so short a way:
Then fear not me,
But believe that I shall make
Speedier journeys, since I take
More wings and spurs than he.
O how feeble is man's power,
That if good fortune fall,
Cannot add another hour,
Nor a lost hour recall!
But come bad chance,
And we join to'it our strength,
And we teach it art and length,
Itself o'er us to'advance.
When thou sigh'st, thou sigh'st not wind,
But sigh'st my soul away;
When thou weep'st, unkindly kind,
My life's blood doth decay.
It cannot be
That thou lov'st me, as thou say'st,
If in thine my life thou waste,
That art the best of me.
Let not thy divining heart
Forethink me any ill;
Destiny may take thy part,
And may thy fears fulfil;
But think that we
Are but turn'd aside to sleep;
They who one another keep
Alive, ne'er parted be.
Chanson
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19
Mon cher amour, je ne m’en vais
Parce que tu me lasses,
Ou que j’espère ici trouver
Amour qui te remplace.
Mais puisqu’il faut
Que je meure à la fin mieux vaut
En jouant me faire à l’idée,
Par des morts simulées.
Le soleil qui s’en fut au soir
Aujourd’hui se reflète ;
Il n’a ni raison ni vouloir,
Et sa route est moins brève ;
Ne crains donc rien :
J’irai plus vite, crois le bien,
Qu’il ne va, car j’emporte en selle
Plus d’éperons et d’ailes.
Faible est de l’homme le pouvoir
Qui, quand vient la fortune,
Ne peut une autre heure y pourvoir
Ni, morte, en revivre une.
Mais le malheur
Aidons, et faisons de bon cœur,
Lui enseignant art et durée
Sa victoire assurée.
Tes soupirs ne sont point du vent :
Mon âme s’y disperse.
Quand tu pleures, tendre tourment,
C’est mon sang que tu verses.
Ne peux ainsi
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20
M'aimer autant que tu le dis
Si je dois en toi disparaître,
Le meilleur de mon être.
Ne permets à ton cœur devin
De me prévoir misère :
Tu pourrais pousser le destin
À tes craintes parfaire ;
Comme en dormant,
Crois-nous détournés seulement :
Une âme gardant l’autre en vie,
Point ne sont désunies.
Robert Herrick. (1591–1674) Hesperides (1622)
A Meditation for his Mistress
YOU are a tulip seen to-day,
But, dearest, of so short a stay
That where you grew scarce man can say.
You are a lovely July-flower,
Yet one rude wind or ruffling shower
Will force you hence, and in an hour.
You are a sparkling rose i' th' bud,
Yet lost ere that chaste flesh and blood
Can show where you or grew or stood.
You are a full-spread, fair-set vine,
And can with tendrils love entwine,
-
21
Yet dried ere you distil your wine.
You are like balm enclosèd well
In amber or some crystal shell,
Yet lost ere you transfuse your smell.
You are a dainty violet,
Yet wither'd ere you can be set
Within the virgin's coronet.
You are the queen all flowers among;
But die you must, fair maid, ere long,
As he, the maker of this song.
Méditation sur sa Maîtresse
Vous êtes tulipe d’un jour
Mais votre passage est si court,
L’on perd trace de votre séjour.
Vous êtes jolie giroflée :
Qu’un vent vous rudoie, une ondée,
Et vous voilà déjà chassée.
Vous êtes rose, dont l’éclat point
Puis se perd sans que ce corps sain
De votre séjour soit témoin.
Vous êtes treille qui s’éploie,
Amour de vos vrilles est proie,
Mais sec, sans vin seront vos bois.
-
22
Vous êtes mélisse estivale
En flacon d’ambre ou de cristal :
Volatil, plus rien ne s’exhale.
Vous êtes fragile violette,
Mais fanée avant qu’on vous mette
Pour orner de vierges la tête.
Vous êtes reine de toute fleur,
Mais la mort, ma belle, est sans heure,
Pour vous et pour votre chanteur.
William Blake (1757-1827)
Traduction de Pierre Boutang
The Sick Rose
O Rose thou art sick.
The invisible worm,
That flies in the night
In the howling storm:
Has found out thy bed
Of crimson joy:
And his dark secret love
Does thy life destroy.
La Rose malade
Rose, tu es malade :
Le ver invisible
Qui glisse dans la nuit
Quand hurle la tempête
A découvert ton lit
De pourpre joie
Et son amour sombre-secret
Détruit ta vie.
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23
To Nobodaddy
Why art thou silent & invisible
Father of jealousy
Why dost thou hide thyself in clouds
From every searching Eye
Why darkness & obscurity
In all thy words & laws
That none dare eat the fruit but from
The wily serpents jaws
Or is it because Secresy gains females loud applause
À Papersonne
Pourquoi rester silencieux, invisible
Père de Jalousie?
Pourquoi te dérober toi-même en les nuages
À tout œil qui te cherche ?
Pourquoi l’ombre et l’obscurité
Dans tous tes mots, toutes tes lois,
Et nul n’ose manger le fruit, snon
En le prenant de la bouche perfide du serpent ?
Serait-ce parce que les femmes applaudissent très fort au secret
?
William Wordsworth (1770–1850)
Traduction Maxime Durisotti
Daffodils
I wandered lonely as a cloud
That floats on high o'er vales and hills,
When all at once I saw a crowd,
A host, of golden daffodils;
Beside the lake, beneath the trees,
Fluttering and dancing in the breeze.
Continuous as the stars that shine
And twinkle on the milky way,
They stretched in never-ending line
Along the margin of a bay:
Ten thousand saw I at a glance,
Tossing their heads in sprightly dance.
The waves beside them danced; but they
Out-did the sparkling waves in glee:
A poet could not but be gay,
In such a jocund company:
I gazed—and gazed—but little thought
What wealth the show to me had brought:
-
24
For oft, when on my couch I lie
In vacant or in pensive mood,
They flash upon that inward eye
Which is the bliss of solitude;
And then my heart with pleasure fills,
And dances with the daffodils.
LES JONQUILLES
J’errais solitaire nuage,
Qui vogue haut sur monts et vaux,
Quand d’un coup je vis une foule,
Un essaim de jonquilles d’or ;
Le long du lac et sous les arbres,
Voletant, dansant dans la brise.
Constantes comme les étoiles
Qui sur la Voie Lactée scintillent,
En ligne elles s’étendaient sans fin
Le long du rebord de la baie :
J’en vis dix-mille en un coup d’œil,
Qui dansaient agitant la tête.
Près d’elles les vagues dansaient,
Mais brillaient moins qu’elles n’étaient gaies ;
Ravi ne peut qu’être un poète
En si riante compagnie :
Je scrutai, scrutai, sans savoir
Quel trésor leur vue me confiait :
Car souvent lorsque je m’allonge
Que je sois rêveur ou pensif,
Elles brillent pour l’œil intérieur,
Félicité des solitaires,
Et de plaisir mon cœur s’emplit
Et danse parmi les jonquilles.
George Gordon, Lord Byron (1788-1824)
Traduction Benjamin Laroche
On The Death of a Young Lady Cousin to the Author, and very dear
to him
Hush’d are the winds, and still the evening gloom,
Not e’en a zephyr wanders through the grove,
Whilst I return, to view my Margaret’s tomb,
And scatter flowers on the dust I love.
-
25
Within this narrow cell reclines her clay,
That clay, where once such animation beam’d;
The King of Terrors seized her as his prey,
Not worth nor beauty have her life redeem’d.
Oh! could that King of Terrors pity feel,
Or heaven reverse the dread decree of fate,
Not here the mourner would his grief reveal,
Not here the muse her virtues would relate.
But wherefore weep? Her matchless spirit soars
Beyond where splendid shines the orb of day;
And weeping angels lead her to those bowers
Where endless pleasures virtuous deeds repay.
And shall presumptuous mortals Heaven arraign,
And, madly, godlike Providence accuse?
Ah! no, far fly from me attempts so vain;—
I’ll ne’er submission to my God refuse.
Yet is remembrance of those virtues dear,
Yet fresh the memory of that beauteous face;
Still they call forth my warm affection’s tear,
Still in my heart retain their wonted place.
SUR LA MORT D’UNE DEMOISELLE, COUSINE DE L’AUTEUR, ET QUI LUI
FUT BIEN
CHÈRE
Les vents retiennent leur haleine ; le soir est calme et sombre
; aucun zéphyr n’erre dans le bocage ;
et moi, je vais revoir la tombe de ma Marguerite, et répandre
des fleurs sur la cendre que j’aime.
Dans cette étroite cellule repose sa poussière, cette poussière
que tant de vie animait naguère ; le Roi
des Épouvantements en a fait sa proie ; ni le mérite, ni la
beauté, n’ont pu racheter sa vie.
Oh ! si ce Roi des Épouvantements avait pu se laisser attendrir
! si le Ciel avait réformé son rigoureux
décret, celui qui la pleure n’aurait pas de regrets à faire
parler ici ; ce n’est pas ici que la Muse
raconterait ses vertus.
Mais pourquoi pleurer ? Son âme incomparable a pris son vol par
delà les régions où brille l’astre du
jour ; et des anges en pleurs la conduisent vers ces bosquets
sacrés où la Vertu est récompensée par
des plaisirs sans fin.
Et nous, mortels présomptueux, irons-nous accuser le Ciel et
nous élever follement contre la divine
providence ? Ah ! loin de moi des pensées aussi vaines ! — Je ne
refuserai point à mon Dieu
l’hommage de ma résignation.
Et pourtant il est doux le souvenir de ses vertus ; elle est
fraîche et vivante la mémoire de sa beauté.
Mes pleurs n’ont point cessé de couler pour elle ; et son image
a gardé dans mon cœur sa place
accoutumée.
-
26
Percy Bysse Shelley (1792-1822)
Traduction de François Châtelain
I BRING fresh showers for the thirsting flowers,
From the seas and the streams;
I bear light shade for the leaves when laid
In their noonday dreams.
From my wings are shaken the dews that waken
The sweet buds every one,
When rocked to rest on their mother’s breast,
As she dances about the sun.
I wield the flail of the lashing hail,
And whiten the green plains under,
And then again I dissolve it in rain,
And laugh as I pass in thunder.
I sift the snow on the mountains below,
And their great pines groan aghast;
And all the night ’tis my pillow white,
While I sleep in the arms of the blast.
Sublime on the towers of my skiey bowers,
Lightning my pilot sits,
In a cavern under is fretted the thunder,
It struggles and howls at fits;
Over earth and ocean, with gentle motion,
This pilot is guiding me,
Lured by the love of the genii that move
In the depths of the purple sea;
Over the rills, and the crags, and the hills,
Over the lakes and the plains,
-
27
Wherever he dream, under mountain or stream
The Spirit he loves remains;
And I all the while bask in heaven’s blue smile,
Whilst he is dissolving in rains.
The sanguine sunrise, with his meteor eyes,
And his burning plumes outspread,
Leaps on the back of my sailing rack,
When the morning star shines dead,
As on the jag of a mountain crag,
Which an earthquake rocks and swings,
An eagle alit one moment may sit
In the light of its golden wings.
And when sunset may breathe from the lit sea beneath,
Its ardours of rest and of love,
And the crimson pall of eve may fall
From the depth of heaven above,
With wings folded I rest, on mine airy nest,
As still as a brooding dove.
That orbèd maiden with white fire laden,
Whom mortals call the moon,
Glides glimmering o’er my fleece-like floor,
By the midnight breezes strewn;
And wherever the beat of her unseen feet,
Which only the angels hear,
May have broken the woof of my tent’s thin roof,
The stars peep behind her and peer;
And I laugh to see them whirl and flee,
Like a swarm of golden bees,
When I widen the rent in my wind-built tent,
-
28
Till the calm rivers, lakes, and seas,
Like strips of the sky fallen through me on high,
Are each paved with the moon and these.
I bind the sun’s throne with a burning zone,
And the moon’s with a girdle of pearl;
The volcanoes are dim, and the stars reel and swim,
When the whirlwinds my banner unfurl.
From cape to cape, with a bridge-like shape,
Over a torrent sea,
Sunbeam-proof, I hang like a roof,
The mountains its columns be.
The triumphal arch through which I march
With hurricane, fire, and snow,
When the powers of the air are chained to my chair,
Is the million-coloured bow;
The sphere-fire above its soft colours wove,
While the moist earth was laughing below.
I am the daughter of earth and water,
And the nursling of the sky;
I pass through the pores of the ocean and shores;
I change, but I cannot die.
For after the rain when with never a stain,
The pavilion of heaven is bare,
And the winds and sunbeams with their convex gleams,
Build up the blue dome of air,
I silently laugh at my own cenotaph,
And out of the caverns of rain,
Like a child from the womb, like a ghost from the tomb,
I arise and unbuild it again.
-
29
LE NUAGE.
I.
DES ruisseaux et des mers
J’apporte un bain de pleurs à la fleur embaumée ;
De mes hauts belvédère
Je porte une ombre douce à la feuille pâmée.
J’éveille le bouton
Quand dans le molleton
Sur le sein de sa mère il berce sa pensée,
En tombant goutte à goutte en humide rosée.
Je fouette la grêle et par monts et par vaux,
Et soudain je blanchis la terre,
Et puis me ravisant, j’en forme des ruisseaux
Et lui rends sa verdure……en dépit du tonnerre.
II.
Bien au-dessus de moi
Je tamise la neige, et les hauts pins gémissent ;
Et la nuit, comme un Roi
Sur cet oreiller blanc mes membres s’assoupissent.
Dans les castels de l’air
Mon pilote, l’éclair,
Se tient, muet sublime, observant le tonnerre
Qui s’agite en dessous comme un foudre de guerre ;
Lors à travers la terre, à travers l’océan
Bien doucement mon pilote me guide,
Prenant quelquefois son élan,
Soit vers les rocs aigus, soit vers quelqu’Atlantide,
En quête où les Esprits assemblent leur divan,
Où plane leur fluide ;
Jusqu’à ce qu’il soit sûr, sous un torrent, un mont,
D’avoir trouvé l’Esprit qu’il aime ;
Et moi, pendant ce temps, je me chauffe au plafond
Du ciel bleu ; – cependant qu’il se dissout lui-même !
III.
-
30
Le lever du soleil
Avec ses réseaux d’or, ses yeux de météore,
M’arrache à mon sommeil,
Quand l’étoile au matin dans l’azur s’évapore.
Tel sans craindre aucun choc
L’aigle peut sur un roc
Ébranlé par la terre, asseoir son envergure,
Et de son œil de feu visager la nature.
Et lorsque fatigué de sa course du jour
Le soleil radieux dans l’océan se plonge,
Exhalant ses ardeurs de repos et d’amour,
Et que le soir vient et s’allonge,
Moi, faisant de mon aile un suave abat-jour,
Je dors comme un oiseau bercé par un doux songe.
IV.
Cette vierge aux feux blancs
Que l’homme, en son jargon, appelle ainsi – la lune,
Se glissant sur mes flancs
En tapinois, parcourt ma transparente dune ;
Et partout où bruït
De ses pas le doux bruit,
De mon toit de vapeurs brisant la contexture
Les étoiles soudain de montrer leur figure ;
Et je ris de les voir chacune cligner l’œil
Comme feraient franches coquettes,
Et pour les exciter j’élargis mon linceuil,
Et laisse passer les pauvrettes,
Jusqu’ à ce que les lacs, et la mer, et l’écueil,
Tout soit enfin pavé de brillantes facettes.
V.
Avec chaînons d’or pur
J’attache le soleil à la zone brûlante,
Et la lune à l’azur
En roulant en anneaux la perle éblouissante ;
Les volcans sont blafards,
Les étoiles brouillards,
Lorsque les tourbillons déployant ma bannière,
Comme un soudain typhon je voile l’atmosphère.
-
31
Oh ! quand je marche ainsi, j’ai pour char triomphal
Les Puissances de l’air, Neige, Grêle, Tonnerre,
De mon fougueux coursier l’univers est vassal ;
Mais bientôt renaît la lumière,
L’arc aux mille couleurs allumant son fanal
Vient éblouir le ciel et rajeunir la terre.
VI.
De la terre et de l’eau
Je suis fils ; – mais au ciel j’ai fixé ma demeure ;
Et semblable à l’oiseau
Dans les couches de l’air je me baigne à toute heure.
Je change à chaque instant
Et sans mourir pourtant,
Car alors que, brillant, le ciel après la pluie
S’empresse de sécher mes larmes qu’il essuie,
Et qu’il bâtit soudain le dôme bleu de l’air,
Soudain aussi comme un vampire
Je sors de mon tombeau. – Puis plus prompt que l’éclair,
Je jette à bas le dôme… au milieu d’un fou rire !
John Keats (1795 – 1821), Ode à un rossignol (1819)
Traduction Paul Gallimard
Ode to a Nightingale
1.
My heart aches, and a drowsy numbness pains
My sense, as though of hemlock I had drunk,
Or emptied some dull opiate to the drains
One minute past, and Lethe-wards had sunk:
’Tis not through envy of thy happy lot,
But being too happy in thine happiness,—
That thou, light-winged Dryad of the trees,
In some melodious plot
Of beechen green, and shadows numberless,
Singest of summer in full-throated ease.
-
32
2.
O, for a draught of vintage! that hath been
Cool’d a long age in the deep-delved earth,
Tasting of Flora and the country green,
Dance, and Provencal song, and sunburnt mirth!
O for a beaker full of the warm South,
Full of the true, the blushful Hippocrene,
With beaded bubbles winking at the brim,
And purple-stained mouth;
That I might drink, and leave the world unseen,
And with thee fade away into the forest dim:
3.
Fade far away, dissolve, and quite forget
What thou among the leaves hast never known,
The weariness, the fever, and the fret
Here, where men sit and hear each other groan;
Where palsy shakes a few, sad, last gray hairs,
Where youth grows pale, and spectre-thin, and dies;
Where but to think is to be full of sorrow
And leaden-eyed despairs,
Where Beauty cannot keep her lustrous eyes,
Or new Love pine at them beyond to-morrow.
4.
Away! away! for I will fly to thee,
Not charioted by Bacchus and his pards,
But on the viewless wings of Poesy,
Though the dull brain perplexes and retards:
Already with thee! tender is the night,
And haply the Queen-Moon is on her throne,
Cluster’d around by all her starry Fays;
But here there is no light,
Save what from heaven is with the breezes blown
Through verdurous glooms and winding mossy ways.
5.
I cannot see what flowers are at my feet,
-
33
Nor what soft incense hangs upon the boughs,
But, in embalmed darkness, guess each sweet
Wherewith the seasonable month endows
The grass, the thicket, and the fruit-tree wild;
White hawthorn, and the pastoral eglantine;
Fast fading violets cover’d up in leaves;
And mid-May’s eldest child,
The coming musk-rose, full of dewy wine,
The murmurous haunt of flies on summer eves.
6.
Darkling I listen; and, for many a time
I have been half in love with easeful Death,
Call’d him soft names in many a mused rhyme,
To take into the air my quiet breath;
Now more than ever seems it rich to die,
To cease upon the midnight with no pain,
While thou art pouring forth thy soul abroad
In such an ecstasy!
Still wouldst thou sing, and I have ears in vain—
To thy high requiem become a sod.
7.
Thou wast not born for death, immortal Bird!
No hungry generations tread thee down;
The voice I hear this passing night was heard
In ancient days by emperor and clown:
Perhaps the self-same song that found a path
Through the sad heart of Ruth, when, sick for home,
She stood in tears amid the alien corn;
The same that oft-times hath
Charm’d magic casements, opening on the foam
Of perilous seas, in faery lands forlorn.
8.
Forlorn! the very word is like a bell
To toll me back from thee to my sole self!
Adieu! the fancy cannot cheat so well
As she is fam’d to do, deceiving elf.
Adieu! adieu! thy plaintive anthem fades
-
34
Past the near meadows, over the still stream,
Up the hill-side; and now ’tis buried deep
In the next valley-glades:
Was it a vision, or a waking dream?
Fled is that music:—Do I wake or sleep?
ODE À UN ROSSIGNOL
I
Mon cœur souffre, une torpeur accablante s’empare
De mes sens comme si j’avais bu de la ciguë,
Ou vidé une coupe de puissant narcotique
À l’instant même et m’étais plongé dans le Léthé :
Ce n’est pas par envie de ton heureux destin,
Mais parce que je suis enivré de ton bonheur,
Toi, qui, Dryade ailée des arbres.
Dans quelque mélodieux entrelacs
De hêtres verts et d’ombrages infinis
Chantes à plein gosier le calme de l’été.
II
Oh ! qui me donnera une gorgée d’un vin
Longtemps refroidi dans la terre profonde,
D’un vin qui sente Flora et la campagne verte,
La danse, les chansons provençales et la joie ensoleillée !
Oh ! qui me donnera une coupe pleine du chaud Midi,
Pleine du véritable, du rougissant Hippocrène,
Avec, sur le bord, des bulles d’écume bouillonnante,
Que, la bouche teinte de pourpre,
Je puisse m’abreuver et, fermant les yeux sur le monde,
M’égarer avec toi dans l’obscurité de la forêt :
III
Disparaître dans l’espace, me dissoudre, oublier
Ce qu’au milieu des bois tu n’as jamais connu,
Le dégoût, la fièvre et l’agitation,
Parmi les hommes qui s’écoulent gémir les uns les autres ;
Où le tremblement secoue les vieux aux rares cheveux gris,
-
35
Où la jeunesse devient blême, puis spectrale, et meurt ;
Où rien que de penser remplit de tristesse
Et sur les paupières pèse d’un poids de plomb,
Où la Beauté ne peut conserver un jour ses yeux lumineux,
Sans qu’un nouvel Amour le lendemain en ternisse l’éclat !
IV
M’égarer loin ! car je veux voler vers toi,
Non pas traîné par les léopards de Bacchus,
Mais sur les ailes invisibles de la Poésie,
Malgré les obstacles et les retards de la sottise ;
Déjà je me sens avec toi ! tendre est la nuit,
Et peut-être la Lune Reine est-elle sur son trône,
Au milieu de son essaim d’étoiles Fées ;
Mais ici, il n’y a nulle clarté,
Sauf celle que le ciel souille avec les brises
Sur les sombres feuillages et la mousse des sentiers
sinueux.
V
Je ne peux même pas discerner les fleurs à mes pieds,
Ni quelles essences d’arbres dégagent d’aussi suaves
senteurs,
Mais, dans la pénombre embaumée, je devine l’odeur spéciale
Dont ce mais de la saison parfume
Le gazon, le hallier, le fruit de l’arbre sauvage ;
La blanche aubépine et l’églantine des champs ;
La violette qui se fane si vile recouverte par les feuilles
;
Et la fille aînée de la Mi-Mai,
La rose musquée en bouton, trempée de rosée vineuse,
Où ronronnent les mouches par les soirs d’été.
VI
Debout dans la nuit, j’écoute et plus dune fois
J’ai été presque amoureux de la mort apaisante,
Je lui ai donné de doux noms en plus d’un vers pensif,
Pour qu’elle enlevai dans l’air mon souffle calme ;
Maintenant plus que jamais il semble délicieux de mourir,
De finir à minuit sans souffrance
Pendant qu’au dehors lu répands ton âme
Dans une telle extase !
Tu chanterais encore ; moi, j’aurais des oreilles qui
[n’entendraient pas —
Ton sublime Requiem résonnerait sur un tertre de gazon.
VII
-
36
Mais toi, tu n’es pas né pour la mort, immortel Oiseau
Il n’y a pas de générations affamées pour te fouler au pieds
;
La voix que j’entends cette nuit fut entendue
Dans les anciens jours par empereurs et manants :
Peut-être cette même chanson fit tressaillir
Le triste cœur de Ruth, lorsque regrettant sa patrie,
Elle se tenait en larmes parmi les blés de l’étranger ;
Peut-être est-ce toi-même qui souvent as
Charmé de magiques fenêtres, s’ouvrant sur l’écume
Des mers périlleuses, en de féeriques terres délaissées.
VII
Délaissé ! Ce mot même semble une cloche
Qui sonne la séparation et me rend à la solitude !
Adieu ! l’imagination ne parvient pas à me leurrer autant
Que sa réputation le proclame, décevant elfe.
Adieu ! Adieu ! ton antienne plaintive va s’affaiblissant,
II franchit la prairie voisine, le silencieux ruisseau,
Le sonmet de la colline, puis s’anéantit dans les
profondeurs
De la vallée prochaine.
Etait-ce une vision, était-ce un rêve ?
La musique s’est envolée : — Suis-je éveillé, suis-je
endormi ?
Elizabeth Barret Browning (1806-1861), Sonnets from the
Portuguese (1850)
Traduction d’Alliette Audra
XLIII
How do I love thee? Let me count the ways
How do I love thee? Let me count the ways.
I love thee to the depth and breadth and height
My soul can reach, when feeling out of sight
For the ends of Being and ideal Grace.
I love thee to the level of everyday's
Most quiet need, by sun and candle-light.
I love thee freely, as men strive for Right;
I love thee purely, as they turn from Praise.
I love thee with a passion put to use
In my old griefs, and with my childhood's faith.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Barrett_Browning#cite_note-80
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37
I love thee with a love I seemed to lose
With my lost saints, - I love thee with the breath,
Smiles, tears, of all my life! - and, if God choose,
I shall but love thee better after death.
Comment t'aimé-je ? Laisse-moi t'en compter les façons.
Comment t'aimé-je ? Laisse-moi t'en compter les façons.
Je t'aime du tréfonds, de l'ampleur et de la cime
De mon âme, lorsque, invisible, elle aspire
Aux fins de l'Être et de la Grâce idéale.
Je t'aime au doux niveau du besoin de chaque jour,
À la lumière du soleil et de la chandelle.
Je t'aime en liberté, comme on tend au Juste ;
Je t'aime en pureté, comme on fuit la Louange.
Je t'aime de la passion dont j'usais
Dans les chagrins, et de ma confiance d'enfant.
Je t'aime d'un amour qui semblait perdu
Envers mes saints de jadis, - je t'aime du souffle,
Sourires, larmes de toute ma vie ! - et si Dieu en décide,
Je t'aimerai mieux encore dans la mort.
David Herbert Lawrence (1885-1930)
Traduction Frédéric Jacques Temple
Hymn to Priapus
My love lies underground
With her face upturned to mine,
And her mouth unclosed in a last long kiss
That ended her life and mine.
I dance at the Christmas party
Under the mistletoe
Along with a ripe, slack country lass
Jostling to and fro.
The big, soft country lass,
Like a loose sheaf of wheat
Slipped through my arms on the threshing floor
At my feet.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Barrett_Browning#cite_note-81https://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Barrett_Browning#cite_note-82
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38
The warm, soft country lass,
Sweet as an armful of wheat
At threshing-time broken, was broken
For me, and ah, it was sweet!
Now I am going home
Fulfilled and alone,
I see the great Orion standing
Looking down.
He's the star of my first beloved
Love-making.
The witness of all that bitter-sweet
Heart-aching.
Now he sees this as well,
This last commission.
Nor do I get any look
Of admonition.
He can add the reckoning up
I suppose, between now and then,
Having walked himself in the thorny, difficult
Ways of men.
He has done as I have done
No doubt:
Remembered and forgotten
Turn and about.
My love lies underground
With her face upturned to mine,
And her mouth unclosed in the last long kiss
That ended her life and mine.
She fares in the stark immortal
Fields of death;
I in these goodly, frozen
Fields beneath.
Something in me remembers
And will not forget.
The stream of my life in the darkness
-
39
Deathward set!
And something in me has forgotten,
Has ceased to care.
Desire comes up, and contentment
Is debonair.
I, who am worn and careful,
How much do I care?
How is it I grin then, and chuckle
Over despair?
Grief, grief, I suppose and sufficient
Grief makes us free
To be faithless and faithful together
As we have to be.
Hymne à Priape
Mon amour gît sous la terre
Son visage vers le mien,
Bouche mi-close pour un dernier baiser
Qui fut le terme de notre vie commune ;
À la fête de Noël je danse
Sous le gui
Avec une molle et dodue campagnarde
Se trémoussant de-ci de-là
La grasse et tendre campagnarde,
Telle une gerbe déliée
A glissé de mes bras sur l’aire
À mes pieds.
La chaude et tendre campagnarde
Douce comme une brassée de blé
Au battage, je l’ai foulée
Avec quelle volupté !
Je rentre maintenant chez moi
Assouvi et solitaire,
Je vois le grand Orion
Là-haut qui me regarde.
C’est l’astre de ma première
Conquête bien-aimée,
Témoin de la douce-amère
Peine de mon cœur.
-
40
Maintenant il voit aussi
Ma dernière conduite,
Et ne me jette nul regard
Pour m’avertir.
Il peut dresser, je suppose,
Son bilan, de jadis à maintenant,
Lui qui a marché dans les ronces
Des durs chemins de l’homme.
Il a fait ce que j’ai fait
Sans doute :
Aller de mémoire à oubli
Tour à tour.
Mon amour gît sous terre
Son visage vers le mien
Et sa bouche mi-close en un dernier long baiser
Qui termina sa vie et la mienne.
Elle traverse les mornes champs
Éternels de la mort ;
Et moi les vastes champs de glace
D’ici-bas.
Quelque chose en moi se souvient
Et n’oubliera pas.
Le cours de ma vie dans l’ombre
Roulant vers la mort !
Et quelque chose de moi a oublié,
N’éprouve plus d’angoisse
Le désir s’érige et j’ai mon content
De liesse.
Moi qui suis las et dans l’angoisse,
M’en suis-je tant soucié ?
Pourquoi donc ces petits cris, ces rires
Masquent-ils le désespoir ?
Le chagrin, le chagrin je pense, à satiété,
Nous rend libres d’être
Fidèles et infidèles ensemble,
Comme nous le devons être.
-
41
Wystan Hugh Auden (1907-1973)
Traduction de Béatrice Vierne
Funeral Blues
Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.
Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message 'He is Dead'.
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.
He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last forever: I was wrong.
The stars are not wanted now; put out every one,
Pack up the moon and dismantle the sun,
Pour away the ocean and sweep up the wood;
For nothing now can ever come to any good.
Arrête toutes les horloges, coupe le téléphone,
Jette un os juteux au chien pour qu’il cesse d’aboyer,
Fais taire les pianos et avec un tambour étouffé
Sors le cercueil, fais entrer les pleureuses.
Que les avions tournent en gémissant au-dessus de nos têtes
Griffonnant sur le ciel ce message : Il est Mort,
Noue du crêpe au cou blanc des pigeons,
Donne des gants de coton noir à l’agent de la circulation.
C’était mon Nord, mon Sud, mon Est et Ouest,
Mon travail, mon repos
Mon midi, mon minuit, ma parole, mon chant ;
Je pensais que l’amour durait pour toujours : j’avais tort.
On ne veut plus d’étoiles désormais ; éteins-les toutes ;
Emballe la lune et démonte le soleil,
Vide l’océan et balaie les bois ;
Car rien maintenant ne vaut plus la peine.
-
42
Stephen Spender (1909-1995)
Traduction de Jean Migrenne
Auden's Funeral Related Poem Content Details (1975)
I
One among friends who stood above your grave
I cast a clod of earth from those heaped there
Down on the great brass-handled coffin lid.
It rattled on the oak like a door knocker
And at that sound I saw your face beneath
Wedged in an oblong shadow under ground.
Flesh creased, eyes shut, jaw jutting
And on the mouth a grin: triumph of one
Who has escaped from life-long colleagues roaring
For him to join their throng. He's still half with us
Conniving slyly, yet he knows he's gone
Into that cellar where they'll never find him,
Happy to be alone, his last work done,
Word freed from world, into a different wood.
II
But we, with feet on grass, feeling the wind
Whip blood up in our cheeks, walk back along
The hillside road we earlier climbed today
Following the hearse and tinkling village band.
The white October sun circles Kirchstetten
With colours of chrysanthemums in gardens,
And bronze and golden under wiry boughs,
A few last apples gleam like jewels.
-
43
Back in the village inn, we sit on benches
For the last toast to you, the honoured ghost
Whose absence now becomes incarnate in us.
Tasting the meats, we imitate your voice
Speaking in flat benign objective tones
The night before you died. In the packed hall
You are your words. Your listeners see
Written on your face the poems they hear
Like letters carved in a tree's bark
The sight and sound of solitudes endured.
And looking down on them, you see
Your image echoed in their eyes
Enchanted by your language to be theirs.
And then, your last word said, halloing hands
Hold up above their heads your farewell bow.
Then many stomp the platform, entreating
Each for his horde, your still warm signing hand.
But you have hidden away in your hotel
And locked the door and lain down on the bed
And fallen from their praise, dead on the floor.
III
(Ghost of a ghost, of you when young, you waken
In me my ghost when young, us both at Oxford.
You, the tow-haired undergraduate
With jaunty liftings of the head.
Angular forward stride, cross-questioning glance,
A Buster Keaton-faced pale gravitas.
Saying aloud your poems whose letters bit
-
44
Ink-deep into my fingers when I set
Them up upon my five-pound printing press:
'An evening like a coloured photograph
A music stultified across the water
The heel upon the finishing blade of grass.')
IV
Back to your room still growing memories –
Handwriting, bottles half-drunk, and us – drunk –
Chester, in prayers, still prayed for your 'dear C.',
Hunched as Rigoletto, spluttering
Ecstatic sobs, already slanted
Down towards you, his ten-months-hence
Grave in Athens – remembers
Opera, your camped-on heaven, odourless
Resurrection of your bodies singing
Passionate duets whose chords resolve
Your rows in harmonies. Remembers
Some tragi-jesting wish of yours and puts
'Siegfried's Funeral March' on the machine.
Wagner who drives out every thought but tears –
Down-crashing drums and cymbals cataclysmic
End-of-world brass exalt on drunken waves
The poet's corpse borne on a bier beyond
The foundering finalities, his world,
To that Valhalla where the imaginings
-
45
Of the dead makers are their lives.
The dreamer sleeps forever with the dreamed.
Aux Obsèques d’Auden
I
J’étais avec les amis sur ta tombe.
Du tas, j’ai pris une motte que j’ai jetée
Sur ton imposant cercueil aux poignées de cuivre.
Elle en a frappé le chêne comme un heurtoir ;
Le bruit m’a évoqué ton visage emboîté
Sous terre dans son rectangle d’ombre à nos pieds.
Visage ratatiné, yeux clos, menton fort,
Lèvre ironique, masque triomphant de l’homme
Qui vient d’échapper à la clameur de ses pairs
De toute une vie l’implorant de les rejoindre.
A demi nôtre et complice encore, il s’installe
Pourtant dans ce chais où nul ne le trouvera,
Heureux d’être seul, son œuvre achevée, son verbe
Libéré du monde, mais dans un autre bois.
II
Et nous, les pieds dans l’herbe, qui sentons le vent
Nous fouetter le sang, repartons sur
La route que nous avions gravie le matin v
En suivant la bière et l’harmonie du village.
Le soleil blanc d’octobre encercle Kirschstetten
De couleurs de chrysanthèmes dans les jardins,
D’or et de bronze sous les rameaux dénudés ;
Quelques pommes tardives ont l’air de joyaux.
De retour à l’auberge des bancs nous accueillent
-
46
Pour le dernier verre en l’honneur de toi, fantôme
Dont maintenant l’absence est en nous incarnée.
Goûtant les viandes, nous imitons les tons sourds
De la voix douce et lucide que tu avais
Le soir d’avant ton décès. Dans la salle comble
Tu es dans tes paroles. Tes auditeurs voient
Les poèmes lus s’inscrire sur ton visage
Comme lettres gravées dans l’écorce d’un arbre,
Spectacle et son des solitudes endurées.
En te penchant vers eux tu peux apercevoir
Ton image réverbérée dans leur regard.
Devenue par leur par la magie de ton langage.
Le dernier mot dit, des mains se lèvent, suspendent
Au-dessus de leurs têtes ton salut d’adieu.
L’estrade est envahie, chacun veut pour sa horde
Une signature de ta main chaude encore.
Mais tu t’es isolé dans ton hôtel ; fermant
Ta porte à clef, étendu sur le lit, tu tombes
De leur louange, raide mort sur le carreau.
III
(Ombres d’une ombre, tes jeunes années réveillent
En moi l’ombre de notre jeunesse à Oxford.
Tu étais l’étudiant aux cheveux de fillasse
Qui relevait la tête avec désinvolture,
Qui marchait comme un compas, fouillait les regards,
Au masque pâle et grave d’un Buster Keaton.
Tu disais tes poèmes dont les caractères me mordaient les doigts
jusqu’à l’encre sur la presse
À cinq livres où j’en lançais l’impression :
« Un soir de photographie en couleurs
Des notes dénatures sur les eaux
-
47
Le talon sur l’ultime tige d’herbe. »)
IV
De retour dans ta chambre, les souvenirs poussent :
Manuscrits, bouteilles entamées, et nous, ivres,
Chester en prières, pour ton « Cher C. » priant
Encore, Rigoletto bossu qui bredouille
Ses sanglots à demi pâmé, déjà penché,
Prêt à te rejoindre dans la tombe — dans dix
Mois à Athènes— se souvient de l’opéra,
Eden de vos cabotinages, inodore
Résurrection de vos corps dans des duos
Passionnés dont les accords mettaient un terme
Harmonieux à vos querelles. Se souvient de quelque souhait
tragi-bouffon que tu fis
Et passe la « Marche funèbre de Siegfried ».
Wagner chassant toute pensée, hors les larmes.
Cataractes, cataclysmes, apocalypses
De timbales, cymbales et cuivres élèvent
Sur des flots ivres le cadavre du poète
En grande pompe, au-delà de l’effondrement
Des fins et de son monde vers ce Vahlalla
Où les idées des forgerons morts sont leurs vies.
Où le rêveur à jamais dort près du rêvé.
V
C’est la nuit. À ta porte nous nous attardons,
Murmurant des adieux, pensant aux lendemains
Dans leur isolement parfaitement stellaire.
Quittant notre festin, ta vie a investi
Tes poèmes comme une mélodie s’écrit
Sur sa partition. Tes obsèques finissent
-
48
En noir et blanc, photo d’amis près de ta tombe.
Tout s’annihile dans ces ténèbres. Adieu
À cet instrument magique de la conscience,
À ce rayonnement d’esprit révélateur
Des vies centrifugées expulsées en lisière
De notre siècle, leur explosion : Ô, mais
Faisant aussi les paradigmes de l’amour,
Ces poèmes qui les ramènent dans le cercle,
Dans ta solitude qui les embrasse tous.
Kathleen Raine (1908-2003)
Traduction de Philippe Giraudon
The Presence
Present, ever-present presence
Never have you not been
Here and now in every now and here;
And still you bring
From your treasury of colour, of light,
Of scents, of notes, the evening blackbird’s song,
How clear among the green and fragrant leaves,
As in childhood always new, anew.
My hands that writes is ageing, but I too
Repeat only and again
The one human song, from memory
Of a joy, a mode
Not I but he music knows
That forms, informs us, utters with our voices
Concord of heaven and earth, of high and low, who are
That music of spheres Pythagoras heard.
I, living, utter as the blackbird
In ignorance of what it tells, the undying voice.
-
49
La Présence
Présente, éternellement présente présence,
Jamais tu n’as cessé d’être
Ici et maintenant en chaque maintenant et ici,
Et tu apportes encore
De ton trésor de couleur, de lumière,
De senteurs, de notes, le chant du merle dans le soir,
Si clair parmi les feuilles vertes et odorantes,
Comme au temps de l’enfance toujours nouveau, de nouveau.
Ma main qui écrit vieillit, mais moi aussi
Je répète uniquement et encore une fois
L’unique chant humain, du fond du souvenir
D’une joie, un mode
Que non moi mais la musique connaît
Qui nous forme, nous informe, fait entendre par nos voix
L’accord du ciel et de la terre, d’en haut et d’en bas, qui
sont
Cette musique des sphères que Pythagore perçut.
Moi, vivante, comme le merle je fais entendre
Dans l’ignorance de ce qu’elle dit, la voix qui ne meurt
pas.
Dylan Thomas (1914-1953)
Traduction de Line Audin
Do not go gentle into that good night
Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.
Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.
Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.
-
50
Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieve it on its way,
Do not go gentle into that good night.
Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay
Rage, rage against the dying of the light.
And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit,
La vieillesse devrait s’embraser, se déchaîner face au jour qui
s’achève ;
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.
Même si sur sa fin l’homme sage sait que l’obscurité est
méritée,
Parce que ses mots n’ont fendu nul éclair il
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.
L’homme bon, près de la vague ultime, pleurant
Sur ses frêles exploits dont l’éclat aurait dansé sur une verte
baie,
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.
L’homme insoumis qui s’empare du soleil en plein vol et le
chante,
Apprenant, trop tard, qu’il l’a peiné dans sa course,
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.
-
51
L’homme grave, qui, agonisant, voit, vision aveuglante
Que l’œil aveugle pourrait flamboyer tel un météore et se
réjouir,
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.
Et toi, mon père, là-bas sur ce triste promontoire,
Maudis-moi, bénis-moi maintenant de tes larmes de colère, je
t’en supplie.
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la lumière qui se meurt.
Thom Gunn (1929-2004)
Traduction de Hautefort
On The Move 'Man, You Gotta Go.'
The blue jay scuffling in the bushes follows
Some hidden purpose, and the gush of birds
That spurts across the field, the wheeling swallows,
Have nested in the trees and undergrowth.
Seeking their instinct, or their pose, or both,
One moves with an uncertain violence
Under the dust thrown by a baffled sense
Or the dull thunder of approximate words.
On motorcycles, up the road, they come:
Small, black, as flies hanging in heat, the Boy,
Until the distance throws them forth, their hum
Bulges to thunder held by calf and thigh.
In goggles, donned impersonality,
In gleaming jackets trophied with the dust,
They strap in doubt--by hiding it, robust--
And almost hear a meaning in their noise.
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52
Exact conclusion of their hardiness
Has no shape yet, but from known whereabouts
They ride, directions where the tires press.
They scare a flight of birds across the field:
Much that is natural, to the will must yield.
Men manufacture both machine and soul,
And use what they imperfectly control
To dare a future from the taken routes.
It is part solution, after all.
One is not necessarily discord
On Earth; or damned because, half animal,
One lacks direct instinct, because one wakes
Afloat on movement that divides and breaks.
One joins the movement in a valueless world,
Crossing it, till, both hurler and the hurled,
One moves as well, always toward, toward.
A minute holds them, who have come to go:
The self-denied, astride the created will.
They burst away; the towns they travel through
Are home for neither birds nor holiness,
For birds and saints complete their purposes.
At worse, one is in motion; and at best,
Reaching no absolute, in which to rest,
One is always nearer by not keeping still.
-
53
Dans le mouvement : Mec, tu te dois de bouger !
Dans les buissons se faufilant le geai bleu poursuit
Quelque obscur dessein, mais l'envol d'oiseaux
A tire-d’aile au-dessus du champ, les véloces hirondelles
Sont restées dans les arbres et les taillis,
Obéissant soit à leur instinct, soit à leur fatigue, soit aux
deux à la fois,
L'homme se meut en une violence aléatoire
En la poussière soulevée par l'incertitude du monde
Ou selon le tonnerre émoussé des mots approximatifs.
Sur leurs motos, du fond de la route, ils se rapprochent
Minuscules, noirs, telles des mouches dans la chaleur de l'été,
le Garçon,
Tant que le voyage les projette en avant, ils pétaradent
Des ronflements de tonnerre, sanglés de peaux de veau et de
cuissards.
Derrière leurs lunettes, cuirassés d'impersonnalité,
En blousons brillants parsemés de poussière,
Le doute en bandoulière – le dissimulant, sous leur force -
Ils entrevoient presque un sens à leur vacarme.
L'exacte signification de leur vigueur
N'est pas encore définie ; mais de là d'où ils viennent
Ils chevauchent, vers là où leurs roues les emportent.
Ils effraient un vol d'oiseaux à travers les champs,
Car souvent ce qui est naturel doit être soumis à la volonté de
puissance.
Les hommes façonnent, et la machine, et l'âme
Et se servent de ce qu'ils maîtrisent imparfaitement
Pour risquer un futur en bout de vieilles routes.
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54
C'est une partie de la solution, somme toute
Nul n'est nécessairement sujet de discorde
Sur notre Terre, ou damné parce que, à moitié animal,
L’Homme manque d'instinct naturel, car l'Homme s'éveille
Flottant sur la vague qui disperse et brise.
Dans un monde dévalué, l'Homme rejoint le mouvement,
Le chevauchant, jusqu'à ce que, à la fois jouet et joueur,
L’Homme se meuve aussi, en avant, en avant.
Une minute les réalise, eux qui sont venus pour partir :
Leur auto-dénigrement, à califourchon sur l'exigence de leur
volonté.
Ils s'enfuient au loin, les villes qu'ils traversent
Ne sont des refuges ni pour les oiseaux ni pour la sainteté,
Car les oiseaux et les saints accomplissent leurs desseins.
Pour le pire comme pour le meilleur, l'Homme est en
mouvement
Sans atteindre d'absolu en lequel se poser,
L'homme est toujours au plus près quand il ne reste pas en
place.