Top Banner
65

Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

Mar 30, 2023

Download

Documents

Manar HAMMAD
Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie
Page 2: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

SÉMIOTISER L’ESPACEdécrypter architecture & archéologie

Manar HAMMAD

Essais sémiotiques

Couverture: Secteur occidental de Palmyre vu du Théâtre. Sous la citadelle arabe, on voit un segment de la Grande Colonnade et le Tetrakionion. Au premier plan, façades de la rue semi-circulaire bordant le théâtre. Photo © Manar HAMMAD 2006 ref 016050.

© Sauf mention contraire, les photographies et les dessins sont de Manar HAMMAD. Tous droits réservés.© Le Minotarot est conçu et dessiné par Éric PROVOOST.© Les cartes figurant dans cet ouvrage (pages 116, 117) sont reproduites avec sa gracieuse

autorisation.© Les trois photographies du Groupe 107 (page 10) ont été prises par Éric Provoost.

Elles sont reproduites avec sa gracieuse autorisation.© Les dessins relatifs au sanctuaire de Bel à Palmyre (pages 29, 30, 208, 209, 262, 263)

sont extraits de l’ouvrage Le temple de Bel à Palmyre, par Seyrig, Amy & Will, Geuthner, 1975, Paris.

© Le magnétogramme de la partie hellénistique de Palmyre (page 48) est reproduit avec la gracieuse autorisation du Dr. Prof. Andreas Schmidt-Colinet.

© Les plans de Palmyre (pages 45, 202) utilisent la carte dressée par Dr. Prof. Klaus Schnädelbach, avec sa gracieuse autorisation.

© Les plans et dessins de l’Université de Vilnius postérieurs à l’année 1802 sont conservés au Département de l’Héritage Culturel auprès du Ministère de la Culture, Lituanie. Ils sont utilisés avec une autorisation gracieuse.

- Les anciens plans pour l’Université de Vilnius (datés 1582, 1610, 1642) relèvent du domaine public et sont conservés à la Bibliothèque Nationale de France, Paris.

- Un ancien plan de l’Université de Vilnius (daté 1773 ou 1780) est cité à partir de l’ouvrage Lietuvos architekturos istorija,, 1987.

- Deux schémas relatifs à l’Université de Vilnius sont reproduits à partir de la revue Architekturos Paminklai, VIII, 1984.

Dépôt légal 2015

Editions GEUTHNER16 rue de la Grande Chaumière 75006 ParisISBN 978-2-7053-3907-4 GEUTHNER

Page 3: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

SÉMIOTISER L’ESPACEdécrypter architecture et archéologie

SOMMAIRE

Préface ix Introduction xi

I La sémiotisation de l’espace 1II Définition syntaxique du Topos 75III Les Parcours 79IV Présupposés sémiotiques de la notion de limite 125V La Centrale Montemartini 139VI Palmyre, le sens des transformations urbaines 201VII Articuler le Temps à Tadmor-Palmyre 223VIII Vilniaus Universitetas, exploration sémiotique 279

En guise de clôture 387 Table des matières 391

Ouvrages de Manar HAMMADaux Éditions GEUTHNER

Aux racines du Proche-Orient arabe, ou Manarades, 2003

Lire l’espace, comprendre l’architecture. Essais sémiotiques, 2006

PALMYRE, transformations urbaines, 2010

Page 4: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

PRÉFACE

Il faut que Manar Hammad ait le goût du risque, ou pour le moins du dialogue et de la confrontation. Sinon, comment comprendre qu’une fois de plus, lui le constructeur d’une sémiotique on ne peut plus sérieuse, il confie le soin de préfacer son livre à un sémioticien d’allure, par comparaison, toute rêveuse ?Car transversalement aux clivages entre traditions de pensée (peircienne, lotmanienne, greimassienne), il y a bien deux types de démarches et de pratiques, deux manières de faire, deux styles sémiotiques : le classique et le baroque, le sérieux et le rêveur. La différence n’est pas affaire de plus ou moins grande rigueur conceptuelle car sur ce point les mêmes exigences s’imposent de part et d’autre. Autrement, tout espoir de discussion serait vain. Elle tient à la position que chacun adopte, en fonction de principes de rationalité en partie distincts, vis-à-vis de « l’objet », en l’occurrence l’espace, ou du moins ce qu’on ap pelle ainsi par commodité, malgré les différences de perspectives commandant la manière de l’envisager, de le définir, de le construire.

Être rêveur, c’est s’en tenir au sentiment, sans doute premier, d’être irrémédiablement englobé, comme dans une grande bulle, à l’intérieur de l’espace, que ce soit celui, éprouvé, du monde en mouvement où notre corps est pris, ou celui, existentiel, de notre simple présence au monde : volute sans fin ou abîme sans fond qui en dernier ressort ne peut qu’échapper à notre prise, cognitive aussi bien que pragmatique. Est sérieux au contraire qui, parvenant à se détacher de tout cela, prend le parti de voir l’espace comme étalé devant soi à la manière d’une surface solide, stable, articulée, jalonnée, mesurable, et par suite bientôt maîtrisable. Ici, plus de Sujets en quête du sens de leur être au monde mais des « usagers » sans états d’âme, sans « subjectivité », face à un espace faisant tissu — espace opératoire de notre emprise sur les choses, celui de l’architecte, de l’ingénieur, du géomètre — ou formant réseau, et ce sera alors l’espace social, conventionnel, symbolique, du mythologue, du sociologue, du narratologue, celui de la circulation des objets de valeur (y compris spatiaux) destinés à passer de main en main1.

1 Cf. E. Landowski, « Régimes d’espace », Nouveaux Actes Sémiotiques, 113, 2010 (http://epublica tions.unilim. fr/revues/as/1743).

Page 5: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

INTRODUCTION

Les huit articles du présent recueil s’inscrivent à la suite de ceux qui forment le volume Lire l’espace, comprendre l’architecture publié en 2006. À l’instar de son prédécesseur, l’ouvrage actuel est organisé selon une perspective persuasive et didactique : les concepts y sont introduits et développés de manière progressive, tant pour assurer la clarté de l’exposé que pour en faciliter l’utilisation dans l’enseignement.

Une attention particulière a été accordée aux perspectives adoptées, à la méthode et aux concepts analytiques mis en œuvre. Afin d’éviter les errements potentiels de constructions théoriques hypothétiques, chaque étude s’appuie sur un corpus1 précis. En faisant varier les données considérées, nous avons étendu le champ d’application. A chaque fois, les analyses ont été déployées sur les trois niveaux nécessaires au travail scientifique : la description de l’objet étudié, la méthode régulant la description, et la discussion épistémologique régulant le niveau méthodologique.

En intitulant ce recueil Sémiotiser l’espace, nous avons voulu attirer l’attention sur le processus dynamique de construction du sens par l’analyste : le contenu qu’il identifie dépend de sa compétence analytique, et la complexité de ce qu’il trouve est fonction des outils qu’il met en œuvre. Simultanément, nous attirons l’attention sur le caractère novateur de la démarche qui est ici récapitulée : en quarante ans de travail, nous avons mis en place une approche, des méthodes et des concepts efficaces, susceptibles d’être utilisés par d’autres analystes sur d’autres espaces, pour expliciter le sens qui y est inscrit.

L’article intitulé La sémiotisation de l’espace, esquisse d’une manière de faire, par lequel débute ce volume, a été écrit pour récapituler de manière synthétique les processus analytiques que nous avons mis au point sur différents objets. Il clarifie les perspectives et explicite la cohérence du projet que nous avons développé sur de nombreuses années. Une bonne partie des textes auxquels il fait référence sont réunis à l’appui dans le présent volume, l’autre partie est déjà publiée dans le volume Lire l’espace, comprendre l’architecture.

Le second de ces espaces, celui de Manar l’architecte, de Hammad l’archéologue, et de Manar Hammad le sémioticien, celui dont il analyse en profondeur toutes les dimensions, acquiert sa signification moyennant des procédures qui consistent, explique-t-il en parfait hjelmslevien, à « mettre en relation des structures du plan de l’expression (e.g. des configurations topiques) avec des structures du plan du con tenu (i.e. des relations modales entre actants et/ou des relations polémiques ou contractuelles) »1. Régissant le statut modal des acteurs, leur « compétence », leur pouvoir-faire, l’espace est un actant à part entière, qui conditionne les interactions tout en étant lui-même constitué par elles en tant qu’« objet » faisant sens. Le noyau de la démarche est là : du volume précédent, « Lire l’espace », au présent volume, « Sémiotiser l’espace », la méthode se consolide et se précise, le sous-titre du second, « Décrypter architecture et archéologie », renchérissant sur l’idée de lecture comme procédé de construction du sens.

Comme l’auteur le souligne lui-même, une perspective cognitiviste, d’origine piagétienne, est intimement liée aux interprétations sémiotiques qu’il propose des différents lieux et espaces étudiés. Cette inspiration « reste implicite mais elle peut être mise en évidence, écrit-il, si on compare [ses] travaux à des approches esthétiques ou synesthésiques » (p. 7)… celles, précisément, des sémioticiens de l’autre bord, pour qui l’espace, à défaut de se donner comme chargé de significations lisibles du dehors, est pensé comme faisant sens dans le geste d’une « saisie »2 ou à travers la corporéité active d’une « image »3, c’est-à-dire moyennant un rapport interactif qui met à égalité le « sujet » et son « objet ».

Mais les rêveurs — ceux du moins qui vont jusqu’au bout de leur vision ou de leur intuition — n’ont rien par principe contre les gens sérieux, les vrais, ceux que rien n’arrête dans la folie de leur raison, dans le parti, une fois pris, de leur logique. Or, à l’intérieur de la petite république des sémioticiens, Hammad l’intransigeant est pour nous l’incarnation même de la Vertu, celle des Romains, entendue comme disposition constante à tenir son cap envers et contre tout, à ne dévier jamais de ses principes. Pour lui, « sémiotiser », c’est mettre de l’ordre, mettre en ordre ce qui a priori échappe à l’entendement en postulant qu’il n’est rien qui ne réponde à quelque nécessité. Il y a là de toute évidence un très fort engagement d’ordre éthique autant que cognitif. Face à toute chose infatigablement en quête des régularités qui doivent en commander le sens et fasciné par la beauté des constructions — théoriques aussi bien que spatiales — qui tiennent debout toutes seules dans leur objectité, notre auteur est bel et bien un fou de raison ! Il faut absolument le lire.

Eric Landowski

1 M. Hammad, « L’espace comme sémiotique syncrétique », in Lire l’espace, comprendre l’architecture, Paris, Geuthner, 2006, p. 5.2 Cf. J. Geninasca, « Le regard esthétique », Actes Sémiotiques - Documents, VI, 58, 1984. Rééd. in La parole littéraire, Paris, PUF, 1997.3 Cf. Fr. Marsciani, « A propos de quelques questions inactuelles en théorie de la signification », in Actes Sémiotiques, 117, 2014 (http://epublications.unilim. fr/revues/as/5279).

Page 6: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

introductionsémiotiser l’espacexii xiii

Dans un contexte ancien, les cycles utilisés pour le comput du temps (jours, mois, années) doivent être rapportés à des repères, ce qui introduit la notion d’ère, dont l’introduction est relativement tardive. Cela se complique par la superposition des langues utilisées à Palmyre, et par la variation dans l’inscription des dates sur des supports durables. Ce qui impose de considérer la question de plusieurs manières différentes.

Le dernier article, relatif aux bâtiments de l’Université de Vilnius, aborde un corpus complexe où coexistent des plans, des édifices et des textes historiques. Les différences de date permettent de repérer des transformations non triviales, portant aussi bien sur l’articulation des lieux que sur l’investissement sémantique qui y est inscrit. Le corpus des plans nous donne l’occasion de mettre en œuvre une approche discursive, qui n’avait pas été sollicitée en 1974 lors de nos premières publications en sémiotique de l’espace. Les gains sont notables. La primauté accordée au contenu permet de considérer la totalité d’un tel corpus hétérogène, et d’explorer des directions non abordées jusqu’alors : ainsi, le froid, le feu et le temps se sont imposés comme des acteurs sémiotiques interagissant avec l’architecture et les usagers. La société universitaire (ensemble des enseignants, des administrateurs et des étudiants) est analysée à partir des traces qu’elle laisse dans les plans et les lieux. Certaines transformations architecturales permettent de repérer des actes de communication dirigés vers certaines parties de la société universitaire, ou vers la société globale extérieure à l’Université.

Par delà l’accumulation de ces analyses et résultats, on peut entrevoir de nouvelles directions dans lesquelles pourra être poursuivi le développement de la sémiotique de l’espace. Si le temps nous manque pour le faire, nous serions très content de voir nos lecteurs poursuivre la tâche commencée.

1 La majeure partie des études est relative à des corpus spatiaux. L’étude sur les limites considère des termes linguistiques relatifs à l’espace. L’étude sur le temps à Palmyre considère les inscriptions lapidaires pour en extraire les éléments de contenu relatifs au temps, qu’il s’agit d’analyser à la manière de l’espace.

Le très court article intitulé Définition syntaxique du Topos figure dans ce recueil pour son importance théorique et historique. Devenu introuvable en raison de la faible diffusion sur papier du Bulletin des Actes Sémiotiques où il est initialement paru, il marque dès 1979 le changement de perspective qui a rendu possible l’analyse narrative d’un corpus spatial.

L’article sur Les Parcours considère, successivement, des parcours graphiques sur papier, des parcours physiques dans l’architecture, et des parcours abstraits placés au niveau du contenu (parcours narratif, parcours génératif) par la construction sémiotique greimassienne. La modélisation formelle de ces parcours permet de dégager les éléments qui leur sont communs, ainsi que ceux qui les différencient. En particulier, cela permet de préciser la différence entre la forme d’un parcours au niveau de l’Expression et celle d’un parcours au niveau du Contenu.

L’étude sur les Présupposés sémiotiques de la notion de limite part de quatre termes de la langue française (frontière, bord, seuil, limite) pour remonter à leurs présupposés syntaxiques. Ce faisant, l’analyse cherche à s’affranchir de la manifestation linguistique pour construire un modèle fondé sur les interactions humaines dans l’espace. Ce qui aurait plus de chances d’être applicable dans un autre contexte culturel et linguistique.

L’analyse du Musée de la Centrale Montemartini se propose, en partant du cas particulier d’une centrale électrique réutilisée comme musée pour abriter des sculptures antiques, d’examiner la question de la mise en valeur des objets muséaux par les procédés de la mise en espace et de la mise en lumière. De telles questions se posent dans tout musée. Cependant, la superposition de deux discours muséaux (archéologique, technique) pose, dans le cas considéré, la question de la cohérence entre lesdits discours. Comme elle pose la question de la superposition des perspectives de lecture (esthétique, archéologique, documentaire).

L’article Palmyre, le sens des transformations urbaines est construit sur l’utilisation méthodique du concept de présupposition sur un corpus d’archéologie urbaine, partant d’un unique bâtiment (le sanctuaire de Bel) pour saisir toutes les implications historiques et sociales attachées à sa construction. Couramment utilisé en logique et en linguistique, le concept de présupposition est ici sollicité sur un corpus spatial. La mise en ordre des résultats par la même relation de présupposition détermine la structure du texte, manifestant, sur un cas concret, l’importance de cet outil qui est souvent utilisé par les auteurs désireux de mettre de l’ordre dans leurs résultats avant de produite un texte à structure linéaire.

Dans Articuler le temps à Tadmor-Palmyre, les questions posées sont plus complexes. À l’origine du travail, nous avons posé une question théorique : serait-il possible d’analyser le temps avec les outils que nous mettons en œuvre pour analyser l’espace? Pour y répondre, il faut saisir le temps comme corpus, ce qui pose problème.

Page 7: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

LA SÉMIOTISATION DE L’ESPACEesquisse d’une manière de faire

Page 8: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

LA SÉMIOTISATION DE L’ESPACEesquisse d’une manière de faire1

1. NOTES LIMINAIRES

À l’origine de cet essai, il y a une demande formulée par Éric Landowski, adressée à quelques sémioticiens « anciens » leur suggérant de noter, à l’intention de sémioticiens ultérieurement venus à cette discipline, leur manière de faire en sémiotique. Cette démarche présuppose que la pratique des chercheurs, leur savoir-faire pragmatique, est d’un certain intérêt pour ceux qui poursuivent dans cette voie. Force est d’admettre le bien-fondé de la demande : centrées sur les résultats obtenus, les publications escamotent souvent les procédures par lesquelles ils ont été établis. À quoi s’ajoute le fait que l’éparpillement des parutions brouille la vision d’ensemble inscrite dans une durée relativement longue.

Le regard projeté sur le déroulement d’une recherche individuelle a nécessairement un aspect biographique. Accepter de le rédiger soi-même impose un exercice délicat, dont l’aspect personnel est quelque peu gênant. Nous essaierons de le réduire au minimum, et nous passerons à une description objective dès que possible. Mais le parcours commence par un questionnement personnel, qu’il convient de mettre en perspective.Lorsqu’on me demande de me présenter, avant de me donner la parole dans le cadre d’une rencontre scientifique, j’ai l’habitude de dire que je suis architecte, puis j’ajoute, selon le contexte, que je suis sémioticien ou archéologue. I. Pezzini a fait remarquer, en me présentant une fois à l’auditoire, que je persiste à me dire architecte alors que je ne construis pas. J’ai rétorqué qu’en m’annonçant comme architecte je désigne non pas une activité constructive mais un point de vue, une manière de voir les choses. Ce point de vue joue un rôle majeur dans ma démarche sémiotique.

Aujourd’hui, l’expression Sémiotique de l’Espace désigne un domaine accepté, qui occupe de nombreux chercheurs. Lorsque j’ai connu A.J. Greimas à Urbino en 1971, ce n’était pas le cas. À l’annonce de mon projet sous cette désignation neuve, Greimas m’a objecté « Mais l’espace, c’est comme le temps, un circonstant de l’action ». Il me renvoyait la vision linguistique, ancrée dans l’analyse grammaticale des verbes, pour

LA SÉMIOTISATION DE L’ESPACE

1. Notes liminaires

2. Construire une sémiotique de l’espace2.1 Reconnaître l’espace comme objet de savoir2.11 Approches de l’espace avant 19722.12 L’espace comme objet d’un diplôme en architecture2.13 Colloque sémiotique de l’espace, mai 1972

2.2 Difficultés méthodologiques et épistémologiques

2.3 Définition « interne » de l’espace signifiant2.31 Définir l’espace : un continuum non vide2.32 Découper l’espace en unités discrètes dotées de sens2.33 L’espace pour lui-même/vs/l’espace pour autre chose que lui-même

2.4 Définition « externe » de l’espace signifiant2.41 Changer de perspective sur le topos2.42 Définition syntaxique du topos

2.5 Composer les perspectives interne et externe2.51 Composants communs et caractères différenciateurs2.52 Perspective de la définition interne, ou l’homme inséré dans l’espace physique2.53 Perspective de la définition externe, ou l’espace physique pris en charge par l’espace social2.54 Relations entre les perspectives interne et externe

2.6 Syntaxes pour l’expression et pour le contenu2.61 Forme de l’expression et forme du contenu2.62 Forme de l’expression spatiale : géométries2.63 Forme du contenu2.64 Isotopies sémantiques pour l’espace urbain

2.7 Perspective énonciative 1 : marquage par l’énonciateur2.71 Liminaire épistémologique : dépassement de l’approche énoncive2.72 Construire est un acte énonciatif majeur2.73 Distinguer une perspective énonciative spatiale2.74 Donner forme à un lieu restreint : le pavillon du thé au japon2.75 Donner forme à un lieu étendu : le sanctuaire poliade de Palmyre2.76 Donner forme à la ville : la croissance de Palmyre

2.8 Perspective énonciative 2 : objectivation par l’énonciataire2.81 Liminaire épistémologique2.82 La construction sémiotique des objets2.83 Construction du contenu : expansion, structuration et décryptage2.84 Objectivation : autonomisation de l’objet spatial2.85 Clôture épistémologique pour cette perspective

3. Économie générale des approches déployées3.1 Caractère opératoire de l’analyse3.2 Enchaînement logique des perspectives3.3 Rangement des objets d’étude par ordre de complexité3.4 Limites3.5 Écrire pour le sémioticien et le non sémioticien BIBLIOGRAPHIE NOTES

Page 9: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace4 5

Ce faisant, un effort épistémologique était nécessaire pour sélectionner les outils méthodologiques les plus adaptés. C’est ainsi que je suis passé de l’approche saussurienne aux concepts mis en place par L. Hjelmslev puis à l’analyse discursive de A.J. Greimas. Notons au passage un effort métalinguistique : pendant une année académique entière, j’ai passé mes lundis à la bibliothèque Sainte Geneviève, pour y étudier le métalangage de la géométrie et ceux de la linguistique et de la sémiotique. Car les études d’architecture ne m’avaient pas fourni un bagage articulé en ce domaine. J’ai gardé de cet épisode un penchant pour la précision du métalangage, et cela se retrouve dans certains de mes travaux.

2. CONSTRUIRE UNE SÉMIOTIQUE DE L’ESPACE

Nous présenterons les perspectives mises en œuvre dans la construction de notre manière de concevoir la sémiotique de l’espace, ainsi que les questions posées, les écueils rencontrés et une sélection de résultats obtenus. La description sera développée sur deux registres : d’une part un discours méthodologique, où les concepts et termes métalinguistiques sont explicités, discutés et mis en relation ; d’autre part, des exemples descriptifs, pris dans mes travaux publiés ou à l’extérieur de ces derniers, utilisés à titre illustratif pour expliciter les points de méthode évoqués. Certains exemples seront abordés à deux ou trois reprises, en différents contextes, afin d’illustrer chaque fois le point idoine. Pris dans leur ensemble, ces exemples d’analyse opératoire visent à valider la présentation méthodologique.

2.1 RECONNAÎTRE L’ESPACE COMME OBJET DE SAVOIR

2.11 Approches de l’espace avant 1972À la fin des années 1960, l’espace ne préoccupait pas les sémioticiens. Greimas publiait Sémantique Structurale, Roland Barthes Éléments de sémiologie, le modèle structural issu de la linguistique s’imposait dans le domaine des lettres et de certaines sciences humaines, mais on n’y parlait pas d’espace. C’est en psychologie qu’on s’occupait de cela. Les travaux de Jean Piaget et de son école y brillaient d’un éclat certain, et l’on y étudiait la perception et le développement cognitif chez l’enfant (La représentation de l’espace chez l’enfant, 1947, La géométrie spontanée de l’enfant, 1948, L’épistémologie de l’espace, 1964). Dans ce contexte épistémique, j’eus l’intuition qu’on pouvait aborder les questions d’espace par le biais du sens. La perspective était interdisciplinaire, on ne pouvait donc que l’encourager. Encore fallait-il savoir comment faire.

En mai 1971, Nicole Guénin, qui occupait le poste de Directeur des Études à l’Unité Pédagogique d’Architecture N° 6, m’apprit que je faisais de la sémiotique sans le savoir et me recommanda d’aller suivre le mois sémiotique que Greimas organisait à Urbino en Juillet. Elle balaya mes réticences pécuniaires en m’offrant une bourse de voyage pour y aller. C’est donc à Urbino que je commençais à formuler mes questions, en décalage par rapport à ce qui se faisait. J’eus le loisir de discuter de mes

laquelle l’action se déroule dans le temps et l’espace. Je voyais les choses autrement. En parlant d’espace, je voulais dire que mon objectif était de dépasser une vision étroite de la sémiotique de l’architecture.

Ces prémisses étant posées, je parlerai de ma pratique en sémiotique de l’espace, laquelle demeure centrale dans le domaine si l’on en croit Landowski (2010) et Pezzini (2012). Je me propose de retracer les travaux exploratoires que j’ai menés, et de les ranger dans un ordre qui fasse sens. Car en quarante ans, j’ai abordé nombre de questions sémiotiques. Certains de mes résultats ont été publiés, d’autres sont restés dans les cartons. Telles publications abordent plusieurs questions à la fois, alors que le traitement de certaines questions est distribué sur plusieurs parutions. Je rangerai de manière logique les questions traitées, afin de les placer dans une perspective d’ensemble. Cet ordre ne sera que partiellement historique : en privilégiant un ordre logique, je restitue au projet une cohérence qui en gomme quelques errances et des retours en arrière, pour mettre en évidence les concepts majeurs et les articulations. Faite a posteriori, cette reconstruction s’apparente aux anastyloses qui remontent un édifice à partir de ses fragments.

Malgré sa cohérence, mon activité sémiotique ne suivit pas une trajectoire linéaire. Ses étapes ont souvent été motivées par des sentiments d’urgence interne, comme elles ont répondu parfois à des sollicitations externes. Placé d’autres fois devant un problème, un lieu, j’ai entrevu l’occasion d’exploiter une faille (une ligne de faiblesse) repérée au sein d’un ensemble plus problématique. Relève de cette dernière tactique l’étude des rituels, sélectionnés parmi les actes ordinaires en raison de leur répétitivité qui en facilite l’observation. J’ai alors étudié des rites sacrés et des rituels profanes (espaces didactiques, cérémonie du thé au Japon…).

Au début, il m’a fallu mettre au point mes outils sémiotiques sur des objets plus abordables que l’espace de la vie quotidienne : les plans d’architecte sont plus faciles à copier, analyser. Il m’a fallu aussi prendre du recul par rapport à un espace quotidien dont la familiarité estompait les articulations culturelles, les affublant d’une apparence naturelle fallacieuse. À cet égard, les voyages au Japon (1974, 1976, 1981, 1986, 1993) furent très bénéfiques : à la distance physique s’ajoutait la différence culturelle, le moindre geste quotidien prenait du relief et redevenait signifiant.

En retraçant ce qu’on peut appeler en termes sémiotiques un parcours scientifique, qui est le mien, nous serons amené à évoquer les descriptions réalisées, les méthodes mises en œuvre, et les perspectives épistémologiques qui les régissent. Notons de prime abord l’accord de ce parcours avec le projet Greimassien d’une démarche scientifique dans le domaine du sens. Ce qui ne suffit pas à faire d’un ensemble de publications une construction théorique. Car contrairement à la pratique dominante de l’époque, où la tendance théorisante tenait le haut du pavé, j’ai dirigé mon attention vers des phénomènes signifiants particuliers : j’ai cherché à comprendre des lieux complexes, et à en rendre compte. Une telle pratique était sous-tendue par la conviction que la complexité du réel dépasse l’imaginaire théorique, et qu’il y avait un bénéfice à investiguer les pratiques avérées de mise en espace.

Page 10: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace6 7

Parallèlement, j’ai mené entre 1972 et 1979 une étude sur les opérateurs de la logique formelle, dans la suite des travaux de Piaget (Logique et connaissance scientifique, 1967, Essai de logique opératoire, 1971), inscrivant parmi mes objectifs celui d’exprimer en termes logiques les relations que Greimas avait inscrites sur son carré sémiotique. Les résultats n’en ont jamais été publiés, car ils ne s’intégraient pas dans le développement de la sémiotique de l’époque, et l’on décelait déjà les débuts d’une résistance à la formalisation logique. Quelques traces de ces travaux de logique se retrouvent dans mes articles sur l’esthétique du thé (L’architecture du Thé (1987), et Teaism aesthetics and architecture (1988)), à la fin de La Privatisation de l’Espace (1989), et dans Les Parcours, entre manifestations non-verbales et métalangage sémiotique (1982-2007).Le développement sémiotique de mes analyses spatiales fit moins de références explicites à Piaget. Il n’en reste pas moins que mon travail sémiotique conserve, sur plus de quarante ans, une profonde empreinte piagétienne. Une perspective cognitiviste est intimement liée aux interprétations sémiotiques que j’ai faites des différents lieux et espaces étudiés. Elle reste implicite, mais elle peut être mise en évidence si l’on compare mes travaux à des approches esthétiques ou synesthésiques.

2.13 Colloque Sémiotique de l’Espace, mai 1972En 1972, j’ai organisé à l’Institut de l’Environnement (Paris) un colloque de trois jours (24-25-26 Mai) consacré à La Sémiotique de l’Espace. C’était le premier de ce qui sera une longue suite. Y furent invités des sémioticiens (A.J. Greimas, P. Fabbri, L. Marin), des architectes (A. Renier, J.-P. Lesterlin, J. Chenieux, Cl. Lelong, J. Castex, Ph. Panerai, J.-P. Buffi), des psychologues (S. Jonas, M. Eisenbeis), des sociologues (R. Tabouret, S. Ostrowetsky), des philosophes (F. Choay), des anthropologues (F. Zacot), des mathématiciens (G.Th. Guilbaud, J. Zeitoun, J. Petitot), des hommes de théâtre (J. Lecoq), des sculpteurs, des peintres… l’objectif étant de cerner, par autant de points de vue possibles, la question du sens dans l’espace, et de faire le point sur ce que l’on savait sur le sujet. Les actes de ce colloque furent publiés une première fois par l’Institut de l’Environnement en 1973 sous le titre Sémiotique de l’espace, puis repris en réédition de poche en 1976 chez Gonthier. Il ressortait des trois jours de débats (parfois houleux) une formule dense et rimée : « L’Espace, c’est ce qui s’y passe ». De manière concise, elle résumait une version sémiotique du fonctionnalisme : l’action qui se

préoccupations avec Greimas, Eco, Fabbri et d’autres sémioticiens. Mais il devenait clair que personne n’avait de réponse à me donner : ces réponses, il fallait que je les trouve moi-même. En d’autres termes, elles étaient à construire. Ce qui n’était nullement déplaisant.

L’espace qui m’occupait, c’était celui de la vie quotidienne, et non pas l’espace interstellaire. Encore fallait-il mieux le désigner pour en faire un objet sémiotique. En termes naïfs, on peut dire que c’est l’espace vide, et non pas l’ensemble des objets pleins constituant le bâtiment, auxquels s’intéressaient ceux qui déclaraient vouloir faire une sémiotique de l’architecture. Pour justifier mon choix, il me suffisait de rappeler que la première chose dont l’homme avait besoin pour se mouvoir et agir, c’est d’espace libre, et que les objets pleins ne constituent que des obstacles au déplacement et à l’action.C’est chez le mathématicien encyclopédiste d’Alembert (Jean le Rond, dit d’Alembert) que j’avais repéré une définition satisfaisante de l’espace, lequel s’étend aussi bien dans le vide que dans le plein : l’espace mathématique est une construction de l’esprit. Il restait à préciser en quoi cet espace est pertinent pour la compréhension de l’architecture et du sens.

2.12 L’espace comme objet d’un Diplôme en ArchitectureEn juin 1972, j’ai présenté avec cinq camarades étudiants un mémoire de fin d’études architecturales intitulé Structurations Mentales de l’Espace. Ce travail volumineux débute par des questions piagétiennes, aborde des questions hjelmsleviennes et greimassiennes, et expérimente plusieurs manières pour décrire un choix d’éléments spatiaux assemblés en combinaisons syntaxiques. Il pose une foule de questions relatives à l’espace, à sa perception, au sens qui peut y être attaché, et aux relations entre ces éléments. Le fait majeur est que l’espace y était posé comme l’objet principal d’une quête épistémique et méthodologique.Issus de ce travail de diplôme en architecture, deux projets de recherche, intitulés Sémiotique de l’Espace (1973) et Sémiotique des Plans en Architecture (1974 et 1976)2 furent financés par la Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique. Leurs résultats ont été publiés au nom du Groupe 107 dont j’assurais la direction scientifique.

Page 11: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace8 9

déroule dans l’espace est essentielle pour en définir le sens. Elle impliquait néanmoins une avancée sur le fonctionnalisme alors répandu parmi les architectes, en ce qu’elle admettait (par généralisation) les fonctions symboliques parmi les fonctions de l’espace, alors que les architectes n’admettaient que des fonctions pragmatiques, physiques. Enfin, elle laissait la porte ouverte à la considération de séquences ou chaînes d’action organisées en ensembles signifiants.Pour cette rencontre, Greimas rédigea son article intitulé Pour une sémiotique topologique, paru dans les actes, où il faisait référence à certaines communications du colloque. Cet article fut repris en 1976 dans le recueil Sémiotique et Sciences Sociales. Pour la première fois dans une publication sémiotique, l’espace n’était plus réduit à un circonstant de l’action : Greimas écrivait explicitement que l’étendue pouvait être articulée en espace investi de sens.

2.2 DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES ET ÉPISTÉMOLOGIQUESLes premières tentatives d’application pratique à partir de ces prémisses se heurtèrent à des difficultés considérables. En caricaturant un peu, on peut dire que la description des lieux, en tant que plan de l’Expression, produisait des schémas géométriques comparables à ceux que dressent habituellement les architectes, à ceci près que le découpage en parties était plus fin, et que des relations sémantiques apparaissent entre les unités. La description des activités qui s’y déroulaient donnait un inventaire d’actions, constitué en plan du Contenu, mais n’apportait que peu de choses que les sociologues de l’habitat ne sachent déjà. Au titre de nouveauté, on produisait une correspondance entre les plans de l’Expression et du Contenu, mais cela ne livrait pas un effet de sens qui soit caractérisable par son apport radical ou par sa plénitude. Le vocabulaire sémiotique projeté sur ces deux ensembles pouvait apparaître comme réductible à une couche cosmétique surajoutée. Bref, cela ne permettait pas de comprendre l’espace beaucoup mieux qu’avant l’utilisation du métalangage sémiotique. Il fallait admettre que ce n’était pas très rentable. Tout du moins, pas encore.

Une partie des difficultés provenait du type de lieux considérés : nous avions retenu comme objet d’étude des appartements parisiens qui nous étaient facilement accessibles, en partie par raison de commodité, en partie par idéologie, car l’habitat ordinaire est l’une des préoccupations des architectes « engagés » que nous étions. Or ce matériau nous était tellement familier qu’il nous rendait scientifiquement aveugles : tout semblait naturel, presque rien n’apparaissait relever de conventions culturelles signifiantes. Pour contrer cet effet paradoxal de la familiarité, je fus amené plus tard à étudier des lieux au Japon, afin de profiter de l’effet d’estrangement que produisait l’éloignement. L’opération fut bénéfique.

Une autre partie des difficultés provenait de notre manque de maîtrise méthodologique : les concepts sémiotiques ne nous étaient pas très familiers, il fallait les acquérir sur un matériau discursif verbal (pour lequel ils avaient été élaborés) avant de les transposer vers l’espace. Nous avions opté pour Hjelmslev au lieu de Saussure, car les concepts du premier sont moins dépendants du langage verbal. La narrativité de Greimas semblait inappropriée. À tort, comme nous serions amenés à le découvrir un peu plus tard.

Fig. 6-7-8-9. Pages extraites de GROUPE 107, Sémiotique de l’Espace, 1973, recherche DGRST.Découpage en Topoï et relations entre Topoï. Deux lieux d’analyse (séjours, appartements parisiens).

Page 12: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace10 11

Une grosse difficulté méthodologique, liée à la définition de l’objet « espace » retenu pour l’étude, était celle de l’enregistrement de cet objet même, pour les besoins de l’analyse : comment enregistrer un espace immatériel ? En admettant que l’action est ce qui donne sens à l’espace, comment enregistrer le déroulement fugace de ce qui se passait ? La photographie n’enregistrait que des objets et des personnes à un instant donné. Le cinéma faisait dériver l’analyse vers l’étude des « plans de prise de vue » et les éclairages. Un précurseur américain (Philip Thiel, University of Washington, Seattle), utilisant des concepts cognitifs et proxémiques, avait élaboré un système de notation graphique de ce qu’il appelait « isovists ». À l’usage, ce système alléchant s’est avéré trop lourd pour être rentable.

De cet inventaire de difficultés et d’écueils émerge un constat établi lors de l’étude des appartements parisiens : les espaces y étaient la plupart du temps multifonctionnels, puisque l’on y accomplissait diverses actions, parfois dans la simultanéité (synchronie), d’autres fois en décalage (diachronie). La monofonctionnalité était battue en brèche, et avec elle l’hypothèse d’une monosémie spatiale possible : toute portion d’espace susceptible d’accueillir une action était aussi susceptible d’en accueillir une autre. Ce qui imposait de relativiser les conséquences possibles de l’expression rimée du colloque de 1972 (L’espace, c’est ce qui s’y passe). À laquelle il fallait adjoindre, de toute évidence, un « oui, mais ».

Ce que nous ne savions pas, par manque de culture historique et anthropologique, c’est que les espaces monofonctionnels résultent d’une évolution historique, et qu’ils apparaissent à des moments différents dans des cultures différentes. Le cas le plus ordinaire, c’est que les lieux de vie quotidienne soient polyfonctionnels. Dans les cultures orientales, du Levant jusqu’au Japon, les espaces domestiques ne sont pas affectés à des fonctions mais à des personnes, qui y accomplissent toutes les fonctions de la vie ordinaire. Ce qui ouvre la voie à des interprétations sémiotiques différentes. Mais nous ignorions tout cela.Ce qui ne nous a pas empêché de formuler une hypothèse sémiotique sensée, inspirée d’une réflexion de P. Fabbri relative au Tarot (et adoptée par Italo Calvino pour sa nouvelle intitulée Le château des destins croisés) : dans une opération mantique de prédiction de l’avenir à l’aide du tarot, une même carte est susceptible de jouer des rôles syntaxiques différents selon les séquences de lecture dans lesquelles elle est insérée. De manière comparable, un même lieu architectural est susceptible de jouer des rôles fonctionnels différents selon les séquences spatiales dans lesquelles il est inséré. Autrement dit, la carte du tarot ou le lieu architectural se trouve placé(e) au croisement potentiel de plusieurs programmes narratifs possibles.

On voyait donc poindre les parcours narratifs à l’horizon de la sémiotique de l’espace. Or les parcours avaient déjà fait l’objet d’une exploration de notre part. Dans nos tentatives de description de lieux complexes, nous nous étions demandés quelle était l’idée que se faisait d’un lieu une personne qui ne l’avait visité qu’une fois, et quelle différence cela faisait lorsqu’elle l’avait visité plusieurs fois. Nous avions intitulé ce travail « Plans de mémoire », et nous avions soumis un petit nombre de personnes à

Fig 10-11-12. Séjour et salle à manger d›un appartement parisien, 1972.Analystes (GROUPE 107) au travail.

Page 13: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace24 25

Dans les bâtiments anciens de type caravansérail (khans, haltes routières, entrepôts, casernes…), une cour centrale joue le rôle d’un espace semi-public distribuant la circulation à des locaux (magasins, bureaux, appartements) privatisés et mis sur un pied d’égalité par la configuration spatiale globale. L’ensemble est clôturé par une enceinte dont l’accès conditionnel est contrôlé. Tous ces effets de sens découlent de la structure topologique des lieux.

Dans les lieux semi-publics aux limites discontinues, tels que les espaces libres ménagés entre des bâtiments collectifs voisins, l’analyse topologique permet d’analyser la connectivité des lieux semi-fermés ainsi constitués, et de les caractériser par leur degré d’ouverture ou de fermeture. Cette valeur descriptive de la forme de l’expression (degré d’ouverture) est à interpréter comme un effet de sens attaché aux lieux : la forme de l’expression devient forme du contenu, et la correspondance est immédiate. Les ouvertures des lieux fonctionnent comme des éléments porteurs de modalités (Hammad 1991) : actualisante (pouvoir circuler) et virtualisante (faire vouloir circuler, inviter à circuler).Au cours de l’étude des espaces didactiques (Espace du Séminaire, 1977, Espace ex-cathedra, 1979), deux configurations topiques sont apparues, associées à chacun desdits espaces. Dans l’une des configurations (Espace ex-cathedra) deux topoï contigus sont séparés par une limite commune. À chacun des topoï est associé un actant (professeur, étudiants). Les regards des deux actants sont dirigés l’un vers l’autre (ce fait relève de la géométrie projective) et la relation entre ces actants est instable, basculant souvent vers une relation polémique.Dans l’autre configuration (Espace du séminaire), l’un des topoï entoure presque l’autre, mais un trou (espace dépourvu d’actants humains, ce pourquoi il est dit « vide ») ménagé dans la configuration permet la convergence des regards. Cette configuration topique caractérise des relations contractuelles entre les actants impliqués.Une configuration composite, mêlant des caractères de l’une (contiguïté de topoï séparés par une limite commune) et de l’autre (présence d’un trou permettant la distribution des topoï autour du trou), est apparue dans le cadre de l’Architecture du Thé (voir Expression spatiale de l’énonciation), ce qui permet d’y reconnaître une relation polémique surdéterminée par une relation contractuelle entre les actants.

L’étude de La privatisation de l’espace (1989) et celle des espaces sacrés (Le sanctuaire de Bel à Tadmor-Palmyre, 1998, Makkat et son Hajj, 2003) ont permis de mettre en évidence l’importance de la succession linéaire des topoï contigus, où l’accès à l’un est conditionné par l’accès préalable à l’autre. Cette disposition sert de base à la mise en évidence de l’effet de sens hiérarchique entre topoï : l’investissement sémantique du Topos se mesure à la difficulté de son accès. Un accès simple et facile détermine un Topos peu investi, un accès complexe et contrôlé détermine un Topos fortement investi. Le sanctuaire de Bel manifeste quatre enchâssements successifs, celui de Makkat en manifeste cinq, pour exprimer la survalorisation de l’espace central sacralisé. Dans tous ces cas, c’est le nombre des passages conditionnels qui compte, et non la distance physique parcourue : nous sommes bien dans des conditions de géométrie topologique et non métrique.

heuristique de le découper en unités discrètes. Comme il n’est pas question de faire, dans le cadre de cette récapitulation sémiotique un cours de mathématiques, même s’il était restreint aux géométries, nous prenons l’option de sélectionner, parmi nos travaux, des exemples concrets susceptibles d’illustrer chacune des géométries évoquées pour en montrer la pertinence sémiotique.

Configurations topiques et virtualisation spatialeParmi les géométries, la topologie est la discipline qui s’intéresse le plus à la continuité de l’espace et de ses éléments (lignes, surfaces, volumes), à leurs contiguïtés, aux qualités qu’ils conservent à travers un certain nombre de déformations continues. Son utilisation a permis la mise en évidence, tant par l’étude des plans d’architecture (Groupe 107 : 1974 & 1976) que par l’étude des rites de la visite (La privatisation de l’espace, 1989), l’importance de la continuité des espaces publics, par lesquels s’effectue la circulation entre les espaces privatisés. Sans cet espace public continu et très extensif, l’existence même des espaces privés serait impossible.

Fig. 19, 20, 21. Configurations topiques de l’espace ex-cathedra à gauche, du séminaire à droite, et du pavillon du thé bipolaire au centre.

Fig. 22, 23. Schémas topologiquesde l’enchâssement successif (à gauche) et

de la concaténation linéaire (à droite)correspondant à deux manières

d’exprimer la survalorisation de l’espace ultime du parcours.

Espace 1

Espace 2

Espace 3

Enceinte 1

Enceinte 1Enceinte 1

Enceinte 2

Enceinte 3

Espace extérieur

Espace extérieur

Espace 1

Espace 2

Espace 3

Enceinte 2

Enceinte 3

Espace 1

Espace 2

Espace 3

Enceinte 2

Enceinte 3

Page 14: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace26 27

leur époque. Dans l’expérience de base rapportée par Œrsted, la découverte choquante est l’apparition d’un changement d’orientation de l’aiguille de la boussole dans un dispositif expérimental symétrique. La découverte, dont le mécanisme sous-jacent est électromagnétique, se manifeste spatialement : l’existence d’une force asymétrique est déduite à partir du changement de direction. Il est intéressant de voir que, parmi les différents moyens descriptifs proposés pour en rendre compte, celui qui réussit à fournir une description satisfaisante, au point de perdurer dans l’enseignement des lycées et collèges, est celui du Bonhomme d’Ampère. En termes sémiotiques, il s’agit d’un observateur délégué, placé le long du fil électrique de manière à ce que le courant le traverse des pieds à la tête, et qui regarde l’aiguille de la boussole. Il peut alors prédire le sens de la déviation : vers sa gauche. Cet observateur délégué est doté d’une compétence cognitive non triviale : il voit, il distingue sa droite de sa gauche, il prédit6.Dans les expériences électromagnétiques examinées, le courant est orienté, l’aiguille de la boussole est orientée, le champ magnétique est orienté, la force qui la fait dévier est orientée. Il serait impossible d’en rendre compte sans faire appel à la géométrie projective. L’objet mathématique orienté le plus familier au lecteur est le vecteur : c’est une entité dotée d’une direction dans l’espace, et d’une intensité (grandeur scalaire). La direction est la qualité dominante, la seule qui nous intéresse pour l’instant. Elle relève aussi bien de l’Expression que du Contenu, car les mathématiques constituent le prototype des langages symboliques, où une correspondance biunivoque lie les unités de l’Expression aux unités du Contenu.Ceci étant clarifié, réexaminons d’un point de vue sémiotique le Bonhomme d’Ampère. Cet observateur délégué est doublement anthropomorphe, puisqu’il est doté des capacités de voir et de s’orienter. Pour s’orienter, il est doté d’un référentiel qui lui

Fig. 24. Observateur délégué dans l’espace énoncé, nécessaire à la mise en évidence de l’orientation de l’espace mobile manipulé.

Fig. 25. Référentiels orientés, aux orientations non conformes, mettant en évidence l’hétérogénéité des

espaces séparés par le Nakakabe (mur partiel).

Une différence s’impose cependant entre deux configurations qui satisfont aux conditions ci-dessus et se trouvent employées dans l’architecture des lieux sacrés. La succession linéaire de lieux contigus est utilisée dans les temples mésopotamiens et égyptiens, pour mener de l’extérieur profane au saint des saints sacralisé, en passant par une suite de lieux dont l’accès est progressivement restreint à des personnes distinguées par leur rang politique et/ou sacerdotal. L’inclusion successive de lieux enchâssés, manifestée à Palmyre (Syrie), à Makkat (Arabie), et à Ise (Japon), pour ne citer que ces lieux que nous avons étudiés, met en place une configuration différente, où le parcours linéaire menant de l’espace profane à l’espace sacré n’est plus le seul possible, et où une circumambulation devient loisible entre deux enceintes successives. Ainsi, le sujet qui est admis à l’intérieur de l’enceinte de degré n, et auquel l’accès à l’enceinte de degré n+1 est refusé, peut tourner autour de cette dernière, pour manifester figurativement son désir d’accès. Car dans l’espace, le déplacement manifeste l’expression du désir. Et la réitération de la circumambulation (à Makkat, le rite du Tawaf exige sept tours autour de la Kaaba) exprime, pratiquement sur place puisque l’on marche en tournant autour du but sans s’approcher de lui, l’intensité du désir de conjonction avec le Topos central survalorisé.

Toutes les configurations topiques que nous avons reconnues au niveau de l’Expression spatiale sont mises en relation avec un épisode virtualisant de la grammaire narrative correspondante reconnaissable au niveau du Contenu. Ce résultat n’est pas trivial. Il démontre, a posteriori, l’intérêt de l’examen des structures topologiques dans l’analyse sémiotique.

Une remarque avant de clore ce paragraphe. Les configurations topiques supposent la division d’un espace continu en portions discrètes, entre lesquelles il y a donc des limites. Il importe de préciser qu’il n’est nul besoin de matérialiser les limites pour qu’elles soient signifiées (voir Présupposés sémiotiques de la notion de limite, 2004). Certaines limites sont matérialisées, d’autres ne le sont pas. Il suffit d’évoquer l’exemple des frontières politiques tracées en ligne droite à travers des déserts ou des forêts.

Configurations projectives et énonciation spatialeLa mise en œuvre de notions relevant de la géométrie projective est implicite dès que des questions de direction et d’orientation sont abordées dans l’analyse spatiale. Nous avons été confrontés à plusieurs cas de ce type dans nos études, parmi lesquels il convient de réserver une place de choix aux phénomènes électromagnétiques explorés par J. Œrsted, H. Davy et A.M. Ampère (Hammad 1985 : Le bonhomme d’Ampère), une autre place remarquable étant réservée à la séquence du Hassun dans la cérémonie du thé (Hammad 1986 : L’expression spatiale de l’énonciation).

Nous avons abordé les questions de l’électromagnétisme dans le cadre d’un colloque consacré aux procédures de découverte (École Française de Rome, 1984, textes parus dans Actes Sémiotiques VIII-33). Nous avons travaillé pour cette occasion sur des textes publiés en 1820 par des physiciens qui décrivaient des phénomènes nouveaux pour

Page 15: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace36 37

permanent : il suffit d’être entré une fois, dans un lieu très privatisé, pour en conserver un bénéfice durable. Greimas a reconnu, pour les valeurs modales et cognitives dans le cadre des parcours narratifs, une circulation participative des valeurs, opposable à la circulation partitive, par le fait que le sujet qui donne une telle valeur ne la perd pas. À titre d’exemple, le fait de communiquer une information à quelqu’un n’implique pas que celui qui la donne n’en dispose plus, et il n’y a pas oubli concomitant. Il est intéressant de noter que la circulation des topoï suit une telle règle. Mais il y a plus.Dans le contexte de la maison japonaise, la séquence du bain (Furo) permet d’une part de redoubler le don symbolique des espaces par la réitération du parcours. D’autre part, elle révèle qu’à la circulation des hommes parmi les espaces physiques correspond, en symétrie formelle totale, la circulation d’un Topos au sein de l’espace social. Ce qui fait apparaître, de manière formelle et non métaphorique, un Espace Social, formé par un ensemble de personnes entre lesquelles existe un réseau de relations et parmi lesquelles se réalisent un certain nombre de transformations, dont la circulation d’un Topos.

Après une phase de recherche où, dans un but heuristique, l’intérêt avait été centré sur l’espace vide, et méthodologiquement écartés les objets pleins, il devint possible de réintégrer les objets dans le cadre de l’analyse. Dans La promesse du verre (1989) et lors de l’analyse du panneau de façade au couvent de La Tourette (La privatisation de l’espace 1989), il est apparu que les objets pleins de l’architecture, opposés aux topoï vides, apparaissent comme porteurs des modalités actualisantes responsables du contrôle du passage conditionnel des acteurs physiques : une vitrine de musée laisse regarder les objets mais interdit de les toucher, une baie vitrée laisse passer la lumière en interdisant le passage de l’air, une fente d’aération munie de moustiquaire laisse passer l’air en interdisant le passage des insectes, un pan de béton calfeutré bloque le passage de la lumière et la déperdition de chaleur, une baie de porte autorise ou interdit à loisir le passage des hommes, de l’air, de la lumière et des moustiques.Si l’on ajoute à ces investissements modaux concentrés les investissements virtualisants reconnus à des configurations topiques étendues, on obtient le résultat non trivial suivant : l’architecture apparaît, dans le cadre de la sémiotique de l’espace, comme un dispositif modalisant l’action susceptible de s’y dérouler.

Fig. 29. La « Victoire des Symmaques » reconstituée au musée de la Centrale Montemartini, à partir de blocs retrouvés maçonnés dans un mur de soutènement.

En termes sémiotiques, on peut dire que la relation entre le niveau n+1 et le niveau n est une relation de rection : le premier est régisseur, le second est régi. Comme on peut dire que le niveau n+1 est métalinguistique par rapport au niveau n. Hjelmslev a formulé l’hypothèse qu’il suffit pratiquement d’un troisième niveau pour réguler ce qui advient dans les deux niveaux inférieurs qu’il régit. Il ne donne pas de démonstration, et se contente de formuler une conjecture. C’est cette conjecture que nous retenons : les descriptions de la forme du contenu devront, pour être satisfaisantes, développer l’analyse à trois niveaux hiérarchiques coordonnés.

L’induction de nouvelles perspectives analytiquesLa richesse des cas que nous avons eu

à considérer en sémiotique de l’espace nous a incité à formuler des propositions qui sont apparues comme neuves à des degrés divers. La nouveauté est une notion relative : elle présuppose un ordinaire auquel elle est rapportée. En l’occurrence, il s’agit de l’état de la sémiotique mise en pratique, où une forte proportion des travaux portait sur des objets textuels. Nous citerons ici une sélection de propositions qui, issues de la sémiotique de l’espace et relevant de la forme du Contenu, ont constitué des nouveautés au moment de leur introduction.

La première nouveauté apportée par la sémiotique de l’espace est celle de considérer l’espace comme porteur de sens et non comme simple circonstant de l’action. Cet axiome s’est avéré productif, et sa rentabilité amplement démontrée par des études telles que La privatisation de l’espace et Les Parcours…, où l’on voit que des portions discrètes de l’espace (topoï) circulent entre les sujets et servent à qualifier leurs changements d’état.Au cours du rite de la visite domiciliaire, les pièces traversées sont symboliquement offertes par le Maître des lieux au Visiteur. Au cours de la séquence dynamique qui révèle les mécanismes par lesquels des portions discrètes de l’espace (topoï) sont investies avec les valeurs descriptives Privé et Public, à des degrés différenciés, deux mécanismes dépendants sont mis en œuvre : le passage conditionnel, le don symbolique. Le passage conditionnel présuppose une limite dont le franchissement est soumis à l’autorisation d’un Actant Destinateur. Le don symbolique présuppose, dans ce contexte, un Topos-objet mis en circulation entre les sujets de l’interaction. Le caractère symbolique du don ne dérive pas de la courte durée de la conjonction, car la structure cumulative du parcours confère à la jonction un caractère duratif

Fig. 28. Panneau de façade d’une cellule au couvent de La Tourette (Le Corbusier). À gauche, fente d’aération dotée de moustiquaire. Au centre, en haut, vitre fixe.Au centre, en bas, allège en béton isolé.À droite, porte ouvrante.

Page 16: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace38 39

Les transformations des bâtiments historiques, modifiés pour une réutilisation contemporaine sont analysables selon des procédures similaires de constitution des objets sémiotiques. Ce qui nous amène à dire que le concept de Parcours sémiotique a été généralisé, à partir de la catégorie de l’actant Sujet pour laquelle il a été mis au point, à celle de l’actant Objet, et qu’il s’applique aux manifestations actorielles du sujet, de l’objet matériel (sculpture) et de l’espace (architecture).

À la lecture de mon analyse du Sanctuaire de Bel à Tadmor-Palmyre, l’archéologue J.M.Dentzer10 eut ce commentaire : « Vous n’apportez aucune découverte archéologique nouvelle, vous ré-ordonnez les données connues pour en tirer un nouveau sens ». Cette phrase fait la différence entre les données archéologiques (anciennes ou nouvelles) et les effets de sens nouveaux. Les premiers relèvent de l’Expression, les seconds relèvent du Contenu. La distinction est déjà sémiotiquement intéressante. Mais il y a plus : le nouvel effet de sens résulte du réarrangement des données, i.e. de la syntaxe. C’est la mise en œuvre d’une syntaxe qui dégage du sens. Un sens nouveau, auparavant inconnu : le procédé est productif.

Avant de clore cet inventaire succinct et partiel d’innovations de contenu induites par l’analyse sémiotique de l’espace, rappelons que nous avons été amené, au début de ce paragraphe, à considérer le niveau du Contenu comme un espace sémantique dans lequel apparaissent des relations spatiales d’enchâssement et de concaténation de programmes narratifs. Cette mise en perspective montre que des notions spatiales (contenant un sème spatial) sont susceptibles de décrire le niveau du Contenu. En d’autres termes, elles joueraient un rôle métalinguistique par rapport à ce dernier. Ce qui inverse la relation habituelle par laquelle l’analyse du niveau du contenu est métalinguistique par rapport à l’espace. Ou mieux, en mettant en œuvre la relation de transitivité, on obtient le résultat non trivial suivant : l’espace est métalinguistique par rapport au Contenu, le Contenu est métalinguistique par rapport à l’espace, donc l’espace est métalinguistique par rapport à lui-même. Ce résultat prouve, encore une fois, que le statut métalinguistique se réalise dans l’espace, et qu’il n’est pas un privilège réservé aux langages verbaux. Le privilège de ces derniers est celui de pouvoir jouer le rôle de métalangage universel, applicable à tous les autres langages.

2.64 Isotopies sémantiques pour l’espace urbainLorsque nous avons abordé l’espace urbain de la Palmyre antique, tant par ses composants architecturaux (Palmyre, transformations urbaines, 2010) que par les inscriptions qui y sont distribuées (Articuler le temps à Tadmor-Palmyre, 2008), nous avons été amené à faire appel à un ensemble particulier de valeurs sémantiques associées au nom de Georges Dumézil parmi les anthropologues, ou au nom de Michael Mann parmi les historiens des sociétés. Il n’y aurait pas lieu de mentionner ici de tels éléments de Contenu s’ils n’avaient pas un effet structurant et s’ils ne posaient pas quelques questions épistémologiques intéressantes.

La première remarque qui s’impose est liée à l’échelle : les questions que nous considérerons ici ne se sont posées que lorsque nous avons abordé un corpus de taille urbaine. Elles sont en rapport avec le groupe humain impliqué : à l’échelle de la ville,

L’analyse sémiotique de musées et de la mise en valeur des objets dans leur cadre (Lecture sémiotique d’un musée ; 1987 ; Musée des Plans-Reliefs, pré-programme muséographique et muséologique ; 1987 ; Il museo della Centrale Montemartini, 2006) ramena, au centre de notre intérêt analytique, des objets matériels qui n’étaient pas de nature architecturale. Retirés de la circulation marchande par l’institution muséale, de tels objets sont proposés au regard des visiteurs. Le musée de la Centrale Montemartini expose une sculpture, identifiée comme Isis ou La Victoire des Symmaques. Présentée reconstituée, avec des lacunes partiellement comblées, la sculpture fut découverte en morceaux incorporés, au titre de pierre à bâtir, dans un muret de soutènement de terrasse. Les morceaux furent identifiés par leur forme, et la sculpture reconstituée. Si l’on restitue l’histoire de la sculpture, on retrouve les étapes suivantes :Le bloc de pierre extrait de la carrière n’était pas encore une sculpture. Amorphe, il pouvait aussi bien recevoir la forme d’une sculpture qu’être débité en pierre à bâtir. C’est la forme qui en fait une sculpture, laquelle aboutit dans une résidence aristocratique. À un moment trouble de l’histoire romaine, des chrétiens fanatisés identifièrent cette sculpture comme celle d’une déesse païenne, ce pourquoi elle fut brisée, et sa forme fragmentée rendue méconnaissable. Ses débris désémantisés furent réduits à l’état de pierre à bâtir. Ils furent donc maçonnés en mur de soutènement. Le démontage du mur, et la reconnaissance de la forme des fragments, permit la reconnaissance de l’état antérieur de sculpture. D’où l’opération de reconstitution : la forme retrouvée redonne sens aux débris auparavant désémantisés.Cette suite d’événements inscrit deux épisodes de sémantisation succédant à deux épisodes d’absence de sens, fournissant un cas rare où l’on peut constater l’investissement de sens par l’opération de donner forme à une matière informe. En termes sémiotiques, on peut identifier dans cette chaîne un Parcours de l’objet muséal. Dès 1979, Greimas s’était intéressé au processus de construction d’un objet sémiotique (La soupe au pistou), procédure qu’il oppose à sa transmission. Dans le cas alimentaire de la soupe, la construction était déléguée aux sujets opérateurs Eau et Feu. Dans le cas de la Victoire des Symmaques, le processus redoublé (par réitération, puisque l’objet fini est détruit puis reconstitué) repose sur l’opération éminemment spatiale de donner forme,9 ce qui ne manque pas de nous intéresser ici. C’est la forme de l’Expression qui mène à l’identification du Contenu. Or ce mécanisme n’est pas prévisible dans le cadre des perspectives topiques que nous avons considérées ci-dessus. Force donc est de rechercher une perspective idoine susceptible d’en rendre compte.

D’autres objets du même musée, identifiés comme un ensemble de sculptures ayant appartenu au fronton du sanctuaire d’Apollon Medicus à Rome, manifestent un autre aspect de la complexité du parcours de l’objet sémiotique : celui de servir de support de mémoire. Car ces sculptures n’ont pas été faites pour le temple d’Apollon restauré par Gaius Sosianus à l’époque d’Auguste, mais furent rapportées de Grèce par ledit général après une campagne militaire. Dans ce cas, les sculptures cumulent les valeurs issues de leur fabrication grecque (école de Paros), de la date de leur fabrication (cinquième siècle avant l’ère commune), de leur installation à Rome à l’époque augustéenne, et de leur mise en espace dans un musée romain. À l’instar du parcours narratif du sujet sémiotique, celui de l’objet sémiotique est cumulatif.

Page 17: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la sémiotisation de l’espacesémiotiser l’espace72 73

La niche du Mihrab des mosquées succède aux niches et exèdres antiques, dont elle occupe l’emplacement privilégié par rapport aux salles de culte. À la différence des dispositifs qui l’ont précédée, elle n’est destinée à accueillir aucun objet ou représentation, comme elle n’accueille aucun acte cultuel. Cet espace vide, aux dimensions variables, n’est pas construit pour servir comme lieu. Espace lui-même, il marque l’orientation de l’espace principal de prière. Il n’est pas là pour lui-même, mais pour autre chose que lui-même. Ce qui n’empêche pas de l’investir esthétiquement.

Mihrab en carreaux de céramique, 13 ème siècle. Démonté d’une mosquée de Karaman et remonté au pavillon Cinili du Musée Archéologique d’Istanbul. Dans l’encadrement, la calligraphie inscrit un extrait du Coran, à la gloire de Dieu, « …dont le trône contient sans peine les cieux et la terre… »

NOTES

1 Texte développé de la communication faite au Greimo Centras, Vilnius, 2012/12/06.2 Épuisés depuis longtemps, les textes de ces rapports de recherche sont en cours de numérisation.

Ils seront mis en ligne sur le site Academia.edu, sur la page Manar HAMMAD, sous la rubrique des ouvrages produits sous ma direction scientifique.

3 Le Japon baigne dans un polythéisme tolérant omniprésent, qui admet l’existence proche de quantité de puissances transcendantes de nature dite divine. Ce qui peut choquer un observateur habitué à un monothéisme abrahamique sourcilleux.

4 Philippe Boudon changera de position par la suite et admettra l’approche sémiotique comme l’une des disciplines ancillaires susceptibles de contribuer à l’avancement de son projet architecturologique.

5 Exemple : situation conflictuelle ou situation contractuelle, marques de l’énonciation…6 Notons que tous les appareils de mesure utilisés dans les disciplines physiques ne font que

matérialiser (inscrire dans la matière) un tel observateur, d’une manière ou d’une autre.7 Il convient de rappeler que dans ce cas aucun élément architectural particulier n’est porteur de

l’effet de sens cité, mais c’est un ensemble de transformations coordonnées.8 Lorsque Greimas dit que le niveau profond subsume le niveau de surface, lequel subsume le

niveau de manifestation, il désigne par un terme usité en sémantique (subsumer) une relation qui, si elle était exprimée en termes de logique des classes, se traduirait par une relation d’inclusion. En d’autres termes, subsumer équivaudrait à contenir, et l’on pourrait tenter une description en termes de partitions enchâssées. Mais une telle description n’a pas été faite.

9 Beaucoup d’objets archéologiques connaissent un sort similaire, même si la réitération de l’investissement revêt rarement une succession aussi spectaculaire.

10 Archéologue, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, Président de l’Institut.11 Ce résultat illustre, à l’échelle urbaine, la remarque que nous avons formulée à propos du

sens interne du Topos : il suffit de changer d’usager pour changer le sens. Ici, le changement d’usagers lié au changement d’isotopie sémantique s’accompagne d’un changement de forme, et d’un déplacement de la limite urbaine.

12 Sémantique Structurale, pages 153-154.13 Et parfois immatériels : l’éclairage.14 Au sens sémiotique neutre de faire faire, sans connotations négatives.15 Ce qui projette un éclairage nouveau sur le Projet Architectural qui a préoccupé beaucoup de

chercheurs.

Page 18: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

LES PARCOURSentre manifestations non-verbales

et métalangage sémiotique

SOMMAIRE

0 Remarques liminaires 1 Corpus des parcours de départ 1.1 Représentation graphique d’un parcours élémentaire 1.2 Remarques méthodologiques : découpage et point de vue 1.3 La visite domiciliaire japonaise 1.4 Zashiki 1.5 Jardins 1.6 O Furo Ba ou l’honorable bain

2 Les programmes narratifs structurant les parcours

3 La structure immanente des parcours 3.1 Le parcours graphique et le modèle E 3.2 Le parcours de la visite et le modèle F 3.3 Le modèle G 3.4 Le parcours du bain 3.5 Le parcours du jardin 3.6 Le parcours assis du Zashiki 3.7 La règle du parcours du sujet d’état : jonction partielle cumulative 3.8 Structure profonde du parcours du sujet d’état 3.9 Interprétation aspectuelle du parcours du sujet d’état

4 Les parcours du modèle sémiotique Greimassien 4.1 Les parcours du tarot 4.2 Cursus honorum et Curriculum vitae 4.3 Le parcours narratif 4.4 Le parcours génératif

5 Conclusions

Ce texte donne une forme finale au contenu d’une conférence prononcée dans le cadre du 2ème séminaire de sémiotique architecturale organisé par Alain Renier les 16, 17 et 18 décembre 1980 à l’Unité Pédagogique d’Architecture N°6. Il devait figurer dans le cadre d’un ouvrage collectif publié à l’issue de cette rencontre. Je ne l’avais pas transmis à l’époque. Après tant d’années, la problématique conserve sa pertinence.Remodelé, il a été publié en ligne dans les Nouveaux Actes Sémiotiques 111, PULIM, Limoges, 2008.

Pistes de grands parcours caravaniers dans la trouée de Palmyre. La piste principale, arrivant de l’Ouest, suit le cours du Wadi as-Suraysir, flanqué par les tours funéraires. Lorsque la pluie trempe les limons du lit, la piste emprunte le vallon suspendu entre deux reliefs (Gabal al-Muntar et Gabal Umm-el-Qays).

Sentes de promenade dans le jardin de la résidence princière de Katsura Rikyu (Japon, près de Kyoto). Seuls les parcours pavés de pierre sont accessibles.

Page 19: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

LES PARCOURSentre manifestations non-verbales

et métalangage sémiotique

0 REMARQUES LIMINAIRES

Dans les textes sémiotiques, on peut relever deux usages différents du terme parcours : l’un est occurrent dans le langage descriptif de la sémiotique du monde naturel, en particulier en sémiotique de l’espace et de l’architecture, l’autre est occurrent dans le métalangage méthodologique de la sémiotique comme discipline. Dans cette étude, nous nous proposons d’aborder les deux usages pour en repérer les ressemblances et les différences, commençant par le domaine non-verbal et terminant par le métalangage sémiotique.

Avant d’aborder quelques parcours du monde naturel observables dans le cadre des maisons japonaises, nous nous pencherons sur le cas, apparemment simple, de la représentation graphique d’un parcours spatial. Les parcours japonais retenus relèvent d’une observation de type anthropologique des usages dans l’habitat traditionnel rural et urbain. Nous avons directement observé de tels parcours et nous les illustrerons de quelques photographies. Par souci de clarté méthodologique, nous commencerons par une suite de descriptions, afin de constituer un corpus de cas qui seront ensuite repris pour produire une formalisation simple mettant en évidence quelques concepts descriptifs minimaux et une hypothèse de structure de base.

Le parcours narratif et le parcours génératif seront supposés connus du lecteur sémioticien. Pour toute précision sur ces questions nous renverrons au Dictionnaire de Greimas et Courtés (1979). Avant d’aborder ces concepts méthodologiques abstraits, nous examinerons deux exemples connexes : l’un est celui du tarot, où l’on construit un récit sur le tirage aléatoire de cartes successives, l’autre est celui du terme latin cursus en quelques uns de ses usages.

Par la multiplication des cas envisagés, nous espérons dégager un modèle général susceptible d’éclairer à la fois la sémiotique de l’espace et la sémiotique générale. Avec quelques résultats non-triviaux, nous espérons montrer que la sémiotique du non-verbal est susceptible d’apporter quelques contributions théoriques à la sémiotique générale.

Le jardin sec, de style Karesansui, est destiné à être contemplé. L’accès physique est interdit. Seul le regard peut le parcourir librement, sur toute l’étendue visible.Musée de Maastricht (Pays Bas), Jardin «Ailleurs» conçu et réalisé par Manar HAMMAD, 1991.

Un certain type de labyrinthes trace dans le plan un parcours sinueux aussi long que possible et l’enroule sur lui-même de manière à couvrir la zone délimitée. Ce faisant, il tient un discours paradoxal où la ligne monodimensionnelle se rapproche de la surface bidimensionnelle.Musée d’El Jem (Tunisie). Mosaïque romaine.

Page 20: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

les parcourssémiotiser l’espace82 83

Une fois dessinée, cette représentation apparaît insuffisante : le parcours n’y est pas identifiable. Une solution simple, et consacrée par l’usage, est de représenter le déplacement par une ligne (appelée trajectoire T) sur laquelle le point H est supposé être mobile. Il est possible de construire cette ligne en la définissant comme l’ensemble des positions successives du point dans son contexte. Une telle procédure de construction présuppose que :• Il est possible de reconnaître des positions successives et de les distinguer les unes des autres, ce qui est la condition minimale pour la reconnaissance du mouvement dans l’espace. Cette condition ne nécessite que des repères (pris dans C) inclus dans le voisinage immédiat du point. Un tel voisinage constitue un contexte local et joue un rôle comparable à celui de C : sémiotiquement, c’est un ici débrayé à partir de C, définissant des repères dans l’énoncé.• Il est possible de repérer ces positions dans le contexte C, ce qui suppose un système de repères général relatif à C, donc rattaché à l’instance d’énonciation de l’observateur2.• La ligne trajectoire est construite en respectant l’ordre de succession. Ceci fait apparaître, à l’intérieur de l’énoncé graphique, une nouvelle propriété, d’ordre syntaxique.

Faisons le bilan des concepts qui nous sont apparus comme nécessaires à la description graphique du parcours :

1. Un sujet parcourant ;2. Un espace dans lequel se définit le parcours ;3. Un sujet observateur défini en deux positions possibles : – dans le voisinage du sujet parcourant ou en syncrétisme avec lui, – rattaché à l’espace contextuel du parcours ;4. Un ensemble de points dits positions du sujet parcourant dans l’espace parcouru ;5. Une relation d’ordre entre lesdites positions.

Nous verrons que ces concepts ne sont pas propres à l’énoncé graphique et qu’ils ne font que transcrire une structure immanente du parcours défini dans le monde naturel.

Reprenons la problématique de la description graphique. La trajectoire T, telle que définie ci-dessus, peut être identifiée comme un espace linéaire (à une dimension). Ainsi reconnue, elle est susceptible de jouer un rôle de contexte repère pour définir les déplacements du point H : pour définir toute position de H, il suffit de le placer sur T, il n’est plus nécessaire de le situer par rapport à C. Ceci est possible car T joue le rôle d’un voisinage tel que défini dans la première présupposition reconnue ci-dessus, i.e. celui d’un système de repère dans l’énoncé débrayé par rapport à celui de l’énonciation. D’ailleurs, comme T est situé dans C (ce qui constitue un embrayage rattachant le repère dans l’énoncé au repère de l’énonciation), il est facile de resituer transitivement H dans C en passant par T.

1 CORPUS DES PARCOURS DE DÉPART

1.1 Représentationgraphiqued’unparcoursélémentaire

Nous partirons de l’une de représentations graphiques possibles du parcours d’un homme en un lieu. Une solution simple consiste à assimiler l’homme (H) à un point et le lieu (C) à une région. Si cette solution est pure convention, elle se justifie par l’opposition

homme /vs/ contexte spatialoù l’on privilégie l’aspect spatial du contexte ainsi que son caractère étendu et englobant, opposé au caractère concentré et englobé attribuable à l’homme. La forme irrégulière du contour, dit courbe de Jordan, indique son caractère arbitraire. Son seul rôle est de border - délimiter - la région spatiale servant de contexte au parcours.

En termes sémiotiques, ce dessin définit, par un débrayage graphique, un ici 1 du parcours (région bordée par la courbe) opposé à un ailleurs (région hors de la courbe). Le lecteur qui comprend intuitivement cette représentation est invité à réfléchir sur le mécanisme qui lui a permis de comprendre : qu’est-ce qui distingue l’intérieur et l’extérieur de la courbe ? en termes mathématiques objectivés, rien ne permet d’en donner une caractérisation formelle. La distinction repose sur un mécanisme de débrayage-embrayage : l’intérieur, c’est la région où nous avons placé le point H représentant l’homme englobé dans l’espace et jouant le rôle du sujet délégué dans l’énoncé graphique. Corrélativement, la courbe et la région extérieure sont liées à nous, sujet observateur et énonciateur, point de départ du débrayage permettant de poser H comme sujet débrayé (délégué). On aurait pu inverser les rôles respectifs des deux régions définies par la courbe et tout le raisonnement resterait valide.

H C C

H0H1

H2H3

Hn

Fig 1. Région et point. Fig 2. Région, trajectoire et points.

Page 21: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

sémiotiser l’espace124

PRÉSUPPOSÉS SÉMIOTIQUESDE LA NOTION DE LIMITE

1 REMARQUES LIMINAIRES : Limite/vs/Délimitation ; Donné/vs/Construit

Pour l’architecte sémioticien préoccupé par les questions du sens manifesté dans l’espace, la question des limites ne semble pas une donnée première de la réalité observable. Relevant d’une classe plus large de notions qui embrasse celles des frontières et des bords, la limite est un terme complexe qui peut être décrit à partir de notions plus générales. Les trois notions citées constituent, en langue française tout du moins, le noyau de ce que l’on pourrait appeler le paradigme de la délimitation. Par l’utilisation de ce syntagme, nous attirons l’attention sur deux idées:(a) la délimitation est un processus dynamique qui implique l’activité pragmatique et cognitive du sujet ; elle aboutit à la reconnaissance et à la détermination des limites;(b) la référence à un paradigme implique l’existence de plusieurs manières de procéder à la détermination des limites, l’ensemble de ces variantes concourant à constituer la problématique qui nous occupe.

Après un survol rapide des trois termes relevés en langue française (le recours à d’autres langues naturelles est susceptible de révéler diverses variantes qui sont à verser au cadre général du paradigme de la délimitation), nous les reprendrons individuellement pour une analyse sémiotique plus serrée. A la suite de quoi nous remonterons à leurs présupposés.

1.1 La plus intuitive de ces notions est celle de frontière. Son étymologie1 militaire est clairement établie : avant le substantif « frontière », qui est un dérivé, l’adjectif « frontier » qualifiait, aux début de l’usage attesté, les postes militaires, les places fortes et les villes situés sur le FRONT, c’est à dire dans la ZONE où l’armée des locuteurs s’opposait aux armées exogènes. Le contexte polémique est clair. Deux acteurs collectifs « se heurtent de front » sur un terrain qui se trouve dès lors qualifié de Front. Aucun aspect linéaire n’est assuré au dit front. Aux manœuvres d’affrontement local, d’encerclement mutuel, de choc pour rupture, de pénétration territoriale pour établir une « tête de pont », ne correspond aucune ligne simple, et rien de tel n’est jamais visible sur le terrain. S’il y a une ligne, c’est sur la carte qu’elle est tracée, pour représenter après coup ce qui s’est passé. De toute manière, le front de bataille est mobile, déterminé qu’il est par le mouvement des adversaires en lutte.

Interpréterunelimitearchéologique:À près de 600 mètres à l’ouest de Palmyre, subsistent les restes d’un mur maçonné qui traversait de part en part un vallon perché entre deux crêtes rocheuses (photo du haut). La partie centrale a été détruite par l’action conjugée des eaux et des hommes. La déflation éolienne révèle (photo du bas) que ce mur était flanqué de deux masses de terre dissymétriques formant talus.Par l’analyse conjuguée de la forme du mur, de son implantation et de sa relation aux reliefs du terrain, on peut lui attribuer un triple rôle de limite pour la ville proche: à l’égard des eaux (protection contre le ruissellement collecté dans un bassin amont), à l’égard de forces hostiles (gêner l’avance d’éventuels agresseurs), à l’égard des marchandises (faire payer un droit d’entrée sur le territoire urbain)..

Page 22: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

présupposés sémiotiques de la notion de limitesémiotiser l’espace126 127

2 ANALYSE ACTANTIELLE

2.1 La notion de frontière ne se laisse modéliser qu’avec un minimum de quatre positions actantielles2. Deux sujets collectifs en lutte sont nécessaires. Si, dans un souci d’économie pour le modèle, on considère qu’ils se battent pour un seul espace, pris pour objet de valeur unique, on n’aboutit pas à la stabilisation d’une frontière tracée dans le cadre de l’espace considéré. Car si l’objet de valeur est unique, la suite logique de la lutte aboutit à l’élimination de l’un des sujets afin de sauvegarder l’intégrité de l’objet au profit de l’autre sujet. La lutte disparaît, entraînant la disparition du front et de la frontière. Par contre, le partage de l’objet spatial en deux parts équivaut à étendre le modèle de l’interaction à quatre actants.

Admettons cela à titre d’hypothèse. Si chacun des actants sujets (S1, S2) est doté d’un espace de référence (E1, E2) dont il est le maître incontesté, on pourrait se demander pourquoi ils sont en lutte. L’objet de la lutte peut ne pas être territorial. Quelle que soit la nature dudit objet, la lutte peut se terminer sans modification spatiale, et la question du front ou de la frontière ne serait pas posée. Un tel cas ne rentrerait pas dans le cadre de cette étude, il relèverait de la polémologie générale. Si par contre l’objet de valeur disputé est de caractère spatial, il apparaît comme un cinquième actant (E3). C’est le cas classique de l’Alsace et de la Lorraine disputées par la France et l’Allemagne. Notons tout de suite que ce cas de figure fait apparaître DEUX tracés de la frontière et non pas un seul : pour le sujet S1, qui conçoit les territoires E1 et E3 comme une seule entité, la frontière passe entre les territoires E3 et E2. De manière symétrique, pour S2, la frontière passe entre E1 et E3. Pour les deux belligérants, le territoire E3 n’a pas vocation à être autonome mais à être annexé soit à E1 soit à E2. Le cas franco-allemand montre que différentes périodes historiques ont connu différents tracés de la frontière : il n’y a pas UNE frontière indifférente au temps. On est donc amené à reconnaître plusieurs tracés de la frontière, plusieurs frontières, ou une frontière mobile, même si sa mobilité est relativement lente et discontinue.

E

S1

S2

S1E1

S2E2

E1S1

E2S2

E3

E1S1

E3

E2S2

En relative opposition avec cette notion de mobilité, les établissements « frontiers » sont des installations destinées à stabiliser le front et à le fixer. La frontière, adjectif substantivé, est une ligne ayant acquis, pour un temps, une stabilité relative. Conservant le souvenir d’un état terminatif de la lutte pragmatique, ou de son prolongement cognitif appelé négociation par euphémisme, elle maintient pour un temps limité l’illusion du « définitif ».

1.2 La notion de bord est liée à la marine. Selon l’une des étymologies proposées, elle désigne l’arête supérieure du revêtement d’un navire. Selon l’autre, ce serait la planche qui forme le côté du bordage. La querelle des mots ne devrait pas cacher la convergence profonde des deux contenus sémantiques : le bord détermine l’endroit où le navire cesse d’offrir un appui ferme à son passager. Au-delà du bord, c’est le non-bateau. En l’occurrence, il s’agit de l’eau et du danger mortel qu’elle recelait pour une population qui ne pratiquait pas la natation. Les personnes qui « abordent » franchissent le bord du bateau en venant de l’extérieur. Dès lors, elles sont « à bord ». Si les nefs navigantes ne « débordent » pas en temps normal, les liquides qui débordent des récipients sont ceux qui franchissent le bord terminant l’aire supérieure de ces derniers. En termes aspectuels, le bord est à la surface bidimensionnelle ce que le terme ponctuel est à la ligne unidimensionnelle : ce qui la termine par rapport à ce qu’elle n’est pas.

Opposé à la frontière, le bord manifeste une situation qui n’est pas franchement polémique : il n’y a pas deux adversaires en lutte dotés de deux vouloirs contraires, mais un acteur susceptible de s’exposer à un danger automatique représenté par un autre acteur dénué de vouloir : la mer pour le bateau, l’extérieur pour le récipient.

1.3 La notion de limite semble procéder simultanément des deux notions précédemment envisagées :• La limite peut séparer deux propriétés voisines, c’est à dire deux territoires relevant de propriétaires aux intérêts divergents ; • Elle peut marquer la fin d’un espace contenant un usager, au-delà duquel cet usager ne peut aller. Transposé dans l’univers abstrait des points et des surfaces, c’est ce sens qui détermine l’usage du terme limite en mathématiques, où il désigne la valeur limite de laquelle peuvent se rapprocher sans jamais l’atteindre les termes d’une une série tendant vers cette limite.

A ces deux effets de sens, l’étymologie du Seuil (= limen en latin) en ajoute un troisième : celui du passage conditionnel, notion capitale pour la compréhension de la dynamique advenant en architecture. C’est par la porte, et en franchissant le seuil, que passent les visiteurs pour entrer. Le seuil n’est pas seulement une ligne de démarcation marquant l’interdiction de passer: c’est aussi le lieu du passage permis, contrôlé, filtré.

L’analyse sémiotique de chacune de ces notions est nécessaire avant de tenter la construction d’un modèle susceptible de les subsumer.

Page 23: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

présupposés sémiotiques de la notion de limitesémiotiser l’espace128 129

rôles de S1 et S3 soient concentrés sur le même acteur, mais l’analyse actantielle montre qu’ils ont des rôles syntaxiques différents, ce qui justifie leur distinction dans le cas général3.A ce stade de nos considérations, le seuil, qui peut se manifester non pas comme une ligne séparant deux surfaces mais comme une zone aréolaire dotée d’une extension (c’est le cas du perron, c’était le cas des chemins larges de cinq pieds séparant les propriétés agricoles romaines), apparaît donc requérir, pour le modéliser, une configuration actantielle plus complexe : trois actants sujets, trois actants spatiaux, des vouloirs différenciés et des pouvoirs différenciés.

Ce n’est pas tout, car le seuil n’est pas une entité autonome. Il présuppose, par définition même et dans son prolongement, des murs infranchissables qui séparent d’une autre manière les espaces E1 et E2. Le seuil s’oppose aux murs comme le point de passage s’oppose aux points de non-passage: c’est là que le pouvoir passer est accordé. Les murs opposent un non-pouvoir permanent (ou presque). Par conséquent, l’espace E3 du seuil, où le franchissement est possible, se complète d’un espace E4 des murs, où le franchissement n’est pas possible. La configuration de la limite exige donc sept positions actantielles.

3 LE POINT DE VUE IMPLICITE DE L’OBSERVATEUR

Ce que les modèles actantiels esquissés ci-dessus n’abordent pas, c’est l’existence d’un point de vue implicite présupposé par chacun des termes employés. L’usage des termes frontière et front présuppose un sujet situé à l’intérieur de son territoire, s’opposant à un adversaire extérieur. Le bord présuppose un passager sur un bateau, à l’intérieur de l’espace de ce dernier, entouré par un extérieur aquatique. Le seuil présuppose l’intérieur d’une propriété, et l’arrivée d’un visiteur venant de l’extérieur.

Or, malgré son côté familier et presque évident, la distinction entre un intérieur et un extérieur n’est pas une distinction objective. Elle n’est définissable en toute rigueur que si l’on pose au préalable un sujet observateur, la position spatiale de ce dernier déterminant la partie intérieure. Prenez une sphère et tracez dessus un contour continu fermé quelconque.

E4

E3S3

E1S1

E2S2

E1

E2

Obsint

extérieur

La lutte des sujets S1 et S2 pour le contrôle de l’espace E3 manifeste deux vouloirs antagoniques symétriques. Il suffirait que le vouloir de l’un soit modifié pour que la lutte soit altérée, l’absence de réclamation produisant ipso facto la cessation de la lutte. Cependant, la stabilisation de la frontière en une position ou une autre ne traduit pas nécessairement une modification du vouloir : il suffirait d’un déséquilibre des forces militaires, lequel correspond à la modalité sémiotique du pouvoir, pour que l’avantage soit marqué, pour un temps, en faveur de l’un ou de l’autre sujet.

Ramenée aux termes de la grammaire superficielle de Greimas, la configuration sémiotique de la frontière exige donc cinq actants, dont les actants sujets sont caractérisés par des vouloirs symétriques et des pouvoirs différenciés.

2.2 De prime abord, la notion de bord n’apparaît pas comme polémique. Sa définition met en place un actant sujet S1 confronté à deux actants objets manifestés

comme des espaces E1 et E2. Tant que S1 est situé dans l’espace E1, il est en sécurité. Dès qu’il s’aventure dans l’espace E2, il est en danger. Non pas qu’il y ait dans l’espace E2 un actant anti-sujet qui lui veuille du mal, mais c’est l’actant objet E2 lui-même qui s’avère être un anti-sujet passif : la mer ne fait rien, en temps normal, pour avaler le passager qui reste sur son bateau. Ce n’est que s’il s’aventure sur elle qu’elle ne le porte pas comme le porte le pont du bateau. La mer n’est pas caractérisée par un anti-vouloir, mais par un non-pouvoir. Elle s’oppose au pont du bateau en ce

que ce dernier est capable de porter le passager humain, alors qu’elle ne le peut pas.Ramenée aux termes de la grammaire superficielle, la configuration sémiotique du bord se suffit de trois actants, dont deux sont différenciés par le pouvoir. Elle est plus simple que celle de la frontière.

2.3 A la combinaison des effets de sens de la frontière et du bord, la notion de limite ajoute ceux qui sont véhiculés par la notion de seuil. Le contexte global présupposé par ce dernier n’est pas polémique mais contractuel : La ligne séparant deux espaces

E1 et E2 dévolus à deux sujets S1 et S2 n’est pas un front de lutte, même si deux vouloirs distincts se manifestent des deux côtés. Admettons, pour les besoins de l’analyse, que le sujet S2 se présente au seuil de l’espace E1 dévolu à S1. Il exprime son désir de le franchir, soit un vouloir dont l’objet est la conjonction avec l’espace E1. Dans le cas le plus général, le contrôle du franchissement est dévolu à un autre sujet, S3, qui accorde ou n’accorde pas la possibilité de franchir : il fonctionne comme source de la modalité du pouvoir. Il peut advenir que les

E1S1

E2

E3S3

E1S1

E2S2

Page 24: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

présupposés sémiotiques de la notion de limitesémiotiser l’espace130 131

En second lieu, les espaces du déplacement sont différenciés : dans les cas considérés, certains espaces sont apparus favorables au sujet et à son action (ex : le bateau, l’espace intérieur), les autres lui sont défavorables (ex : la mer, l’extérieur). Le caractère anthropomorphe de ces notions est patent. A.J.Greimas reconnaissait volontiers le caractère anthropomorphe de sa grammaire superficielle, et c’est même ainsi qu’il la définit dans Sémantique Structurale. Il n’en reste pas moins que la problématique de la délimitation spatiale met en branle des caractéristiques qui ne sont pas nécessairement présentes dans tous les modèles actantiels. En particulier, la notion de « ne pas pouvoir passer » manifestée ci-dessus à propos du bord, du seuil et du mur, est liée au corps humain. Ce qui veut dire qu’avec les mots frontière, bord et limite nous parlons de l’espace humain et non pas de l’espace en général. Les espaces considérés sont ceux du déplacement humain, et les obstacles rencontrés sont ceux qui s’opposent au corps humain. Il ne s’agit ni de l’espace macroscopique interstellaire, ni de l’espace microscopique de la physique des particules. Pour ces derniers cas, des précautions de langage seront prises en abordant les notions qui nous intéressent.Il en découle que l’anthropomorphisme n’est pas uniquement celui de la grammaire superficielle de la sémiotique greimassienne, mais aussi celui des figures du discours présupposées par le vocabulaire sélectionné au départ. La question du corps humain est posée implicitement par le choix initial des notions. Elle l’est d’autant plus que l’architecture, évoquée dès les premiers mots de cette analyse, est construite par les hommes pour réguler leur interaction avec les autres hommes : les murs sont conçus pour faire obstacle aux hommes, les portes sont des ouvertures destinées à réguler le passage des hommes, les fenêtres sont d’autres ouvertures destinées au passage sélectif de la lumière et de l’air, alors qu’elles empêchent l’entrée du vent et du froid.

L’apparition, dans ces énoncés, de la lumière, de l’air, du vent, du froid, marque la présence d’autres sujet mobiles possibles, dotés de qualités descriptives et modales différenciées. Quoique non humains, de tels acteurs sujets sont conçus sur le modèle des acteurs humains, lesquels restent à l’arrière plan comme référence. D’un point de vue purement fonctionnel, l’architecture n’est qu’un dispositif d’objets dotés de qualités descriptives et modales susceptible de réguler les échanges et les déplacements entre un intérieur contrôlé et un extérieur non contrôlé. En dernière analyse, les objets ne sont que des extensions du sujet, disposées de manière à assurer pour lui la réalisation de certains processus désirés et la non réalisation d’autres processus non désirés.

La matière solide n’est reconnue comme telle que parce qu’elle s’oppose à la pénétration du corps humain, lequel apparaît dès lors comme une étendue spatiale occupée par une matière solide. L’interaction avec le corps du sujet constitue le critère de départ à partir duquel la matière et ses différents états sont conçus, y compris l’état liquide et l’état gazeux. L’expérience des outils tels que les poinçons et les aiguilles4 offre l’exemple de sujets matériels capables de pénétrer là où le corps humain ne pénètre pas. La physique précise les conditions dans lesquelles la lumière passe à travers la vitre, alors que l’air ne passe pas. Le calcul permet même de préciser les conditions de la réflexion des ondes électromagnétiques : il suffit que les mailles (qui sont autant

Ce contour divise la sphère en deux zones contiguës séparées par le trait. Laquelle est extérieure à l’autre ? La réponse intuitive qui est ordinairement donnée s’appuie sur la différence dimensionnelle : la zone la plus petite est dite à l’intérieur de la plus grande. Or un tel critère métrique n’est pas recevable dans le cas général, où les questions de dimension sont mises de côté. Car à partir de chacune des deux régions ainsi déterminées, il est toujours possible de désigner un intérieur, auquel s’oppose l’autre région comme son extérieur. La relation est strictement symétrique, et seule la position de l’observateur, dite par convention point de vue, permet de privilégier l’un ou l’autre sens donné aux mots. La problématique spatiale ainsi manifestée est parallèle à la problématique linguistique devenue classique dans l’étude des pronoms je et tu utilisés dans le cadre d’une conversation : utilisables par l’un et l’autre interlocuteurs, ils ne sont différenciables que par le point de vue du sujet énonciateur.Dans le domaine spatial, la même question se manifeste autrement d’une manière plus suggestive à certains : considérons une surface dotée d’une courbure. Elle est dite concave d’un côté, qui est son intérieur, et convexe de l’autre, dit son extérieur. De telles définitions ne sont rigoureuses que si l’on introduit un sujet observateur positionné par rapport à l’objet : lorsque le sujet observateur et le centre de courbure se trouvent du même côté par rapport à la surface, celle-ci est dite concave ; lorsque le sujet observateur et le centre de courbure se trouvent de part et d’autre de la surface, celle-ci est dite convexe. Tant que la surface considérée ne se referme pas, l’usage des termes intérieur et extérieur est relativement abusif et ne se comprend que par une extension du sens habituellement attribué à ces mots.

La nécessité du point de vue introduit, dans l’ensemble des modélisations sémiotiques esquissées ci-dessus, une dimension cognitive qui ne semblait pas requise de prime abord. Il importe de reconnaître qu’en ce domaine il ne suffit pas d’une interaction pragmatique pour définir les termes relevant du paradigme de la délimitation.

Il en découle que le langage positionne toujours le locuteur par rapport aux limites désignées, et qu’il n’y a pas de manière simplement objective d’en parler. L’effet d’objectivité ne peut être obtenu que par le discours et la permutation des positions du point du vue.

4 LE DÉPLACEMENT IMPLICITE ET L’ANTHROPOMORPHISME PREMIER

Les configurations actantielles pragmatiques évoquées au paragraphe 2 font appel, sans exception, à la notion du déplacement : dans tous les cas, il y a au moins un sujet en mouvement. Frontière, bord et limites sont IMPENSABLES dans un univers statique où le déplacement serait inconnu. A la base de la reconnaissance de ces entités, il convient donc de poser cette notion essentielle : un actant est susceptible de changer de place dans l’espace tout en restant lui-même. Ce qui implique qu’on puisse définir son identité indépendamment de sa position spatiale. Cette qualité, reconnue à l’actant sujet, n’est pas intuitive et ne va pas de soi. Elle doit être reconnue comme telle parmi les présupposés.

Page 25: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

présupposés sémiotiques de la notion de limitesémiotiser l’espace132 133

du référentiel subjectif corporel. Les astronomes savent que les véhicules sidéraux ne peuvent s’en satisfaire, mais le référentiel élaboré pour calculer les trajectoires n’est guère différent en son essence formelle : il est simplement calé sur d’autres repères de l’univers, non dépendants du globe terrestre.

6 LE MODÈLE DE LA GÉOMÉTRIE

Les questions du point de vue, de l’intériorité/extériorité, et de l’orientation nous ont amené à poser des questions abstraites de géométrie. D’où la question suivante : le domaine de celle-ci échappe-t-il à l’anthropomorphisme général que nous reconnaissons dans nos manières de penser ? Permet-il de s’en échapper ?

La réponse est négative. Toute personne ayant pratiqué la géométrie sait que celle-ci fait appel, de manière récurrente, au déplacement des points dans le plan et dans l’espace, transposant dans cet univers les déplacements humains. La limite y est définie comme une ligne dont s’approche la courbe asymptote (noter : la courbe est sujet de l’action) sans jamais la toucher. Un effet de bord, auquel reste attaché le nom du mathématicien Poisson, est reconnu dans l’étude des phénomènes de distribution de la matière dans l’espace comme dans l’étude de la résistance des matériaux. Plus récemment, la « théorie des catastrophes » élaborée par René Thom a étudié les formes du changement brutal, dit catastrophique, des propriétés d’un point se déplaçant dans l’espace.Il est vrai que les mathématiques remplacent les acteurs clairement anthropo-morphes par des points, des lignes, des surfaces et des volumes débarrassés des qualités qui les rattacheraient aux domaines matériels. Il y a dans cette procédure un effort d’abstraction indubitable, qui donne aux résultats de la géométrie une extension de validité remarquable. Il n’en reste pas moins que l’on peut reconnaître, dans les opérations mises en place par la géométrie, des actants dénués de volonté et de devoir, mais dotés de capacités à entrer en relation les uns avec les autres. Le géomètre reste omniprésent dans les démonstrations et manipulations, déplaçant les éléments et tirant les conclusions. Il est indispensable, en tant que sujet cognitif, au bon fonctionnement de la démonstration mathématique. En d’autres termes, il n’y a pas de mathématique possible sans le sujet mathématicien intervenant dans le processus. Il fait fonction de Destinateur manipulateur, il est à la source des mouvements des éléments de la géométrie.

Le groupe des déplacements (translations, rotations, et combinaisons de ces deux variétés), qui sert aujourd’hui à définir les espaces euclidiens, n’est que la transposition abstraite de notre expérience quotidienne. Le déplacement neutre, qui permet de définir la stabilité des objets et leur retour à un état initial donné, est nécessaire à la définition de l’identité des sujets et des objets indépendamment de leur position dans l’espace. Il est donc à la base de la définition de chacun des bord, frontière, limite.

d’ouvertures potentielles) du corps réflecteur aient des dimensions inférieures au quart de la longueur d’onde de la radiation à réfléchir. Si cette condition n’est pas remplie, il y a pénétration et réfraction, comme pour la lumière dans les corps transparents, ou pour les rayons X, bêta et gamma dans d’autres corps habituellement pensés comme opaques. Brusquement, le domaine du visible perd sa primauté et n’est plus qu’une tranche du monde dont le privilège est physiologiquement lié à l’œil humain.

5 LES CHANGEMENTS D’ÉCHELLE

Les différents exemples évoqués posent la question fondamentale de l’échelle d’interaction, restée implicite jusqu’à présent. Les frontières, les bords et les limites ne sont pas les mêmes lorsqu’on change d’échelle, et que les acteurs engagés dans les interactions actantielles décrites changent de propriétés descriptives et modales. Le microcosme diffère du macrocosme, le local diffère du général, même si l’on peut retrouver, à tous ces niveaux, des interactions que nous dirons de même type dans la mesure où elles se déroulent selon le même modèle syntaxique. Benoît Mandelbrot pose la question étonnante du rivage5. Chacun pense savoir ce que c’est : le lieu de contact de la mer et de la terre. Or les rivages sont souvent faits de galets ou de sable. L’eau de la mer s’insinue entre les grains, quelle que soit leur taille. Dès lors, où est le rivage ? faut-il suivre la ligne de contact de l’eau avec chaque galet et chaque grain ? que faire des vagues et des marées ? Le rivage est-il toujours pensable en termes de ligne, ou bien faut-il le penser en termes de surface ? Brusquement, les limites de la terre ferme semblent se défaire en un lacis indécidable qui est à l’origine de la réflexion sur la dimension fractale. Mais c’est déjà une autre histoire.

La mise en coprésence spatiale d’entités physiques se traduit par leur interaction, et il faut admettre que nous tendons à décrire de telles interactions à l’aide de modèles construits à partir de notre expérience quotidienne corporelle. Nos descriptions physiques ne sont que des transpositions, à d’autres échelles et pour d’autres acteurs, des interactions spatiales familières observables à notre échelle dans le domaine des rayonnements visibles. Nous projetons le modèle actantiel anthropomorphe à toute échelle et en tout lieu. Ce faisant, nous avons l’impression de rendre les choses mieux compréhensibles ou mieux saisissables. En d’autres termes, l’épistémé qui est la nôtre est une épistémé anthropomorphe.

Même notre manière de décrire l’espace et de le rapporter à un système de repères, dit référentiel en mathématiques6, dépend de la physiologie de notre corps : si les référentiels galiléens, dotés de trois axes orthonormés, sont si largement utilisés, c’est que notre corps nous invite à distinguer la verticalité (haut/bas) de la latéralité (droite/gauche) de la prospectivité (devant/derrière). Projeté sur la surface de la terre, un tel système distingue la direction Nord/Sud perpendiculaire à la direction Est/Ouest. Les Orients ne sont que l’objectivation, à l’échelle du monde terrestre visible,

Page 26: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

présupposés sémiotiques de la notion de limitesémiotiser l’espace134 135

• Le modèle sémiotique de la grammaire actantielle permet d’analyser les notions et processus de la délimitation à l’aide de concepts abstraits issus de l’analyse du discours : ils ne dépendent pas de langues naturelles particulières.• Bien qu’ils soient relativement abstraits, et plus généraux que les notions relevant du paradigme de la délimitation, les concepts de la sémiotique restent marqués par un anthropomorphisme indéniable.• Le paradigme de la délimitation présuppose un mouvement placé sur la dimension pragmatique et une saisie placée sur la dimension cognitive. Sans sujet observateur, la notion de limite n’est pas définissable.• Bien que les concepts et mécanismes ainsi repérés apparaissent comme efficaces et opérationnels sur une large étendue d’échelles métriques, on observe, dans le domaine de l’infiniment petit, des phénomènes d’interaction physique qui rendent caduques les notions standard du paradigme de la délimitation. Les physiciens et les mathématiciens ont développé des outils spécifiques pour rendre compte de telles situations. Bien que la méthode sémiotique soit susceptible de prendre en charge les discours scientifiques ainsi produits, les configurations sémiotiques esquissées ci-dessus pour le paradigme de la délimitation ne leur sont pas applicables. D’autres modèles sont à rechercher en ce sens. Ce qui ne relève pas de l’objet de cet essai.

Juillet 2003

7 AGRÉGATION, DÉSAGRÉGATION ET DÉLIMITATION

A différentes reprises, nous avons rapidement abordé la question de la constitution ou de la formation des frontières, bords, limites et seuils. Conformément à ce que le bon sens l’indique, les artefacts désignés par ces termes ne sont pas des objets naturels préexistants. Ils sont façonnés. Lorsque l’homme n’est pas responsable de leur formation (ex : les rivages), ils résultent d’un processus que l’on peut tenter de reconstituer.

Se posent dès lors les questions symétriques de l’agrégation-agglomération-assemblage et celles de la désagrégation-découpage qui portent atteinte, chacune à sa manière, aux limites des objets du monde. A la concentration opérée par les unes s’oppose la déconcentration opérée par les autres. Entre ces pôles extrêmes, certaines opération de découpage, telles que celles qui définissent les tessellations planaires chères aux décorateurs arabes (dessinant des arabesques), installent des termes complexes où la multiplication des limites préserve l’unité de la surface découpée. D’autres manipulations complexes, telles que celles de la découpe et de la couture, produisent des objets vestimentaires où les bords sont mis au service de stratégies savantes contrôlant le montré et le caché du corps.

Dans la cuisine, la préparation d’une vulgaire mayonnaise pose un problème intéressant en termes de limites, dans la mesure où l’émulsion résultante rend invisibles les bords des liquides et des solides composants, alors que l’émulsification ne réalise pas un mélange au sens physique du terme.

L’étude des états de la matière (solide, liquide, gaz) et de leurs transformations thermodynamiques l’un dans l’autre est susceptible d’enrichir considérablement notre compréhension des notions de délimitation. En particulier, la notion de limite semble devenir non pertinente en mécanique quantique : au niveau atomique et sub-atomique, les incertitudes inhérentes relatives à la connaissance de la position des particules et/ou à leur niveau d’énergie rendent inopérantes les notions anthropomorphes élaborées à l’échelle du corps humain et projetées vers l’infiniment petit. A cette échelle, la problématique de la délimitation n’est plus pertinente car elle n’est plus opérationnelle. Les physiciens parlent en d’autres termes, et l’analyse de leur discours recèle des surprises qui ne relèvent plus de l’objet de ce travail.

8. CONCLUSIONS

Prenant comme point de départ quelques notions du monde naturel, notre exploration itérative des procédures de délimitation et de leurs présupposés a permis d’établir les résultats suivants :

• Loin de relever des données premières du monde naturel, les limites, bords et frontières sont des notions liées à l’interaction de corps physiques (dotés de qualités descriptives et modales) avec leur environnement, comme elles sont liées à des faits de langue culturellement marqués.

Page 27: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

présupposés sémiotiques de la notion de limitesémiotiser l’espace136 137

PostScriptum 2 : Élargissement de la problématique.Sur le site préhistorique de Çatal Höyuk en Anatolie, les maisons étaient contiguës et jointives : on ne pouvait circuler entre elles. Les murs mitoyens étaient pleins, et aucune baie ne permettait le passage direct d’une maison à l’autre. Seule reste la possibilité d’un accès par les toits (disparus depuis). Ce qui impose de concevoir les terrasses de toiture comme un espace de circulation public, accessible à tous, tiers terme obligatoire entre deux maisons. La troisième dimension contourne les contraintes du plan bidimensionnel.

NOTES

1 Toutes nos remarques étymologiques réfèrent au Dictionnaire Historique de la Langue Française, coordonné par Alain Rey, Editions du Robert, Paris, 1992.

2 Nous inscrivons nos modèles dans le cadre de la syntaxe proposée par A.J. Greimas. Pour tous les concepts métalinguistiques ici utilisés, consulter GREIMAS & COURTES, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Larousse, Paris, 1979.

3 Une exploration systématique de ces questions est développée dans notre publication « La privatisation de l’espace », Presses de l’Université de Limoges, 1991.

4 André LEROI-GOURHAN, L’homme et la matière, Paris, Albin Michel, 1943 et 1971.5 Benoît MANDELBROT, Les objets fractals, Paris, Flammarion, 1975.6 Ne pas confondre avec le référentiel des certaines théories linguistiques.

PostScriptum 1 :Kudurru du roi Meli-ShipakStèle notant une donation de terres au prince héritier.Babylonie, Époque Kassite (12ème siècle avant l’ère commune).

Le terme Kudurru désigne des stèles inscrites et sculptées,gravées dans une pierre dure destinée à perdurer,dont l’exposition publique dans un sanctuaire assurait la publicité rendue à un acte de donation de terres agricoles.

Kudurru peut aussi signifier,en langue akkadienne,la limite ou le contour d’une terre.

L’analyse sémiotique d’un tel terme, au sein du paradigme linguistique dont il relève, demeure malheureusement hors de notre portée. Elle serait riche d’informations sur les conceptions de l’âge du bronze relativement à la terre, à la limite, et à la structuration de l’espace par la société.Les premiers Kudurrus connus remontent au troisième millénaire, où ils notent des achats de terres.

Page 28: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

LE MUSÉE DE LA CENTRALE MONTEMARTINI À ROME

Analyse sémiotique

Page 29: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

LE MUSÉE DE LA CENTRALE MONTEMARTINI À ROME

Analyse sémiotique

0. REMARQUES LIMINAIRES

Le Musée de la Centrale Montemartini1, choisi pour cette analyse, se distingue par une particularité atypique, celle de présenter des œuvres antiques dans un cadre industriel. Récemment ouvert, il a été conçu au départ comme un lieu d’accueil temporaire pour les œuvres évacuées des Musées Capitolins pendant les travaux d’aménagement du Palais Caffarelli et du jardin séparant ce dernier du Palais des Conservateurs. À l’occasion de ce déplacement partiel, les responsables du musée se sont proposé de tester et de mettre au point un certain nombre d’idées muséographiques nouvelles qui seraient mises en œuvre sur le site capitolin lors du retour des œuvres.

Se donnant pour objectif la description du sens et de ses articulations, la méthode sémiotique se trouve ici confrontée à un corpus complexe, inscrit dans le monde naturel. Les objets du musée sont intégrés dans l’architecture, chacun d’entre eux étant identifié par une étiquette ou un petit panneau : le langage verbal complète le niveau non–verbal. Un guide imprimé2 en 118 pages fournit un supplément d’information très utile pour la compréhension des lieux et des œuvres. Dans un tel environnement syncrétique, dit hétérogène du point de vue des disciplines traditionnelles (on y trouve de l’architecture, des machines, des sculptures, du langage et des visiteurs) il serait illusoire de prétendre effectuer une analyse appuyée sur la séparation des différentes composantes matérielles reconnues. Malgré leur hétérogénéité apparente, ces expressions concourent à formuler un message commun dont l’unité est constituée au niveau du sens. Nous centrerons notre intérêt sur ce dernier, tel qu’il peut être lu à partir de ladite expression syncrétique.

1. LE MUSÉE COMME UNITÉ PORTEUSE DE SENSQuelques remarques méthodologiques s’imposent avant de commencer l’analyse. Pour la terminologie sémiotique, le lecteur consultera les publications de ce qu’il est convenu d’appeler l’École de Paris3, en particulier le Dictionnaire4 de Greimas et Courtés.

LE MUSÉE DE LA CENTRALE MONTEMARTINI

SOMMAIRE

0. REMARQUES LIMINAIRES

1. LE MUSÉE COMME UNITÉ PORTEUSE DE SENS 1.1 Musée / Objets 1.2 La prise en charge spatiale des objets 1.21 Là où il n’y a pas Musée 1.22 La relation fondamentale du musée : regardant/regardé 1.23 Modeler matériellement la relation fondamentale 1.24 La distribution des objets dans l’espace 1.25 La mise en lumière 1.26 La circulation entre les objets

2. LE MUSÉE DE LA CENTRALE MONTEMARTINI 2.1 Du musée–volume au musée–séquence 2.11 Le parcours du sujet visiteur 2.12 Effets de sens induits par la mise en séquence 2.13 Effets de sens induits par la dénomination des lieux 2.2 Les lieux de la séquence muséale 2.21 La crypte des origines (C0) 2.22 La crypte technique (M0) 2.23 La Salle des Machines (M1) 2.24 La Salle des Chaudières (C1) 2.3 Le discours urbain de la muséographie à la C. Montemartini 2.4 Les discours juxtaposés des musées archéologique et technique 2.41 Le musée technique de la Centrale Montemartini 2.42 Le musée archéologique de la Centrale Montemartini 2.43 La logique commune aux musées technologique et archéologique 2.44 Les connecteurs d’isotopie 2.45 Le paradigme des musées installés dans des lieux préexistants 2.46 L’isotopie dominante

3. LA STRUCTURE HIÉRARCHIQUE du DISCOURS MUSÉAL 3.1 La catégorie des objets muséaux 3.2 La catégorie de l’aménagement muséal 3.3 La catégorie de l’architecture 3.4 La relation d’enchâssement discursif 3.5 La hiérarchie des niveaux linguistiques

4. L’INTERPRÉTATION DU DISCOURS MUSÉAL 4.1 Lecture et déchiffrement 4.2 Le sujet du déchiffrement

5. REMARQUES CONCLUSIVES

Page 30: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la centrale montemartinisémiotiser l’espace172 173

Fig.18. Isis, ou Victoire des Symmaques.

• L’histoire individuelle des objetsCertaines des sculptures exposées sont reconstituées à partir de fragments. En un certain sens, elles donnent une image du musée même, constitué de fragments réunis. Si la reconstitution est peu visible sur certaines sculptures, elle est manifeste sur d’autres, en particulier sur la statue dite Victoire des Simmaques (certains préfèrent y voir une représentation d’Isis). Les cartels et le catalogue précisent que les fragments à partir desquels ces sculptures ont été reconstituées ont été trouvés maçonnés dans des murs tardo–antique. Ce qui veut dire que leur matière avait retrouvé son statut premier : celui d’une matière première, pierre à bâtir. Dans cette situation, ils ne formaient plus une sculpture mais un massif de maçonnerie. Si la situation est commune du point de vue archéologique, elle est fort intéressante sur le plan sémiotique, par les transformations qu’elle implique et les effets de sens qu’elle produit. Reprenons l’histoire d’une telle sculpture dès le début.

• Avant d’être une sculpture dotée d’une forme signifiante et représentant X ou Y, elle fut un bloc de pierre amorphe dans une carrière. Sans forme, elle pouvait aussi bien être débitée en pierre à bâtir qu’être sculptée en représentation anthropomorphe. Elle ne représentait qu’une virtualité indéterminée. C’est la forme, donnée par le sculpteur, qui l’investit de sens. Ce qui veut dire que la pierre même de la sculpture est dépourvue de sens, et que ce dernier lui est extrinsèque. La mise en forme constitue la première énonciation produisant l’énoncé qu’est l’œuvre d’art.• Lorsque la sculpture est détruite, réduite en fragments, et que ces fragments sont insérés dans un massif de maçonnerie, il y a une indifférence au sens qui était véhiculé par ladite sculpture. Ou peut-être une opposition au dit sens, dans le cas d’un ouvrier chrétien détruisant une idole païenne. Dans les deux cas, le procédé implique une négation non–verbale du sens précédent : ce qui avait du sens est réduit à du non sens. Ou plutôt, il est réduit à un sens vulgaire, anodin et indifférencié : celui de pierre à bâtir, parmi d’autres pierres qui n’avaient pas été sculptées. L’opération de désémantisation–resémantisation est radicale, indépendamment de la violence matérielle mise en œuvre.• Lorsque la sculpture est identifiée, au cours du démontage du massif maçonné, il y a une opération cognitive de reconnaissance : le découvreur attribue de la valeur à ce qui n’en avait pas. Encore une fois, l’investissement du sens apparaît comme extrinsèque, partiellement appuyé sur le critère de la forme, qui était extrinsèque à la pierre. En fait, ce qui intéresse le découvreur, ce n’est pas tant la matérialité de la pierre même que la forme qui lui a été donnée par un sculpteur disparu. La vraie valeur est là, tout aussi immatérielle que le sens auquel elle renvoie.Lorsque la sculpture est reconstituée à partir de ses fragments, une procédure cognitive complexe est mise en œuvre, présupposant un savoir considérable. La reconstitution atteste autant de ce savoir que des formes reconstituées : l’énonciation et l’énoncé sculpturaux sont intimement liés.• Nous ne pouvons passer rapidement, dans cet historique, sur le fait que l’insertion dans un massif de maçonnerie a été paradoxalement un excellent moyen de préserver la sculpture en question : l’opération pose en termes inhabituels la question de la conservation des objets antiques et de leur transmission jusqu’à nous. En termes

Page 31: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

la centrale montemartinisémiotiser l’espace174 175

• Le temps utopiqueLe temps de la reconnaissance dans le lieu utopique, c’est celui de la trouvaille, donc celui des fouilles. Les cartels et le catalogue donnent explicitement l’information : la quasi-totalité des objets exposés à la Centrale Montemartini provient de fouilles effectuées en deux périodes majeures. La première a suivi l’installation de la capitale moderne de l’Italie à Rome, dans les années 1870. La seconde correspond aux grands travaux d’embellissement entrepris par le gouvernement fasciste à la fin des années vingt et durant les années trente du vingtième siècle.Les objets du musée, qui étaient dotés de deux repères historiques (celui de la création, celui de la mise en œuvre), se trouvent dotés d’un troisième repère temporel important : celui de la découverte.En ce qui concerne la Salle des Machines, la majorité des objets exposés proviennent de la campagne de fouilles du vingtième siècle. La Salle des Chaudières accueille des objets déterrés au cours de la campagne de fouilles du dix-neuvième siècle. La crypte des origines reçoit un mélange des deux campagnes.

Le temps de l’installation du musée et de sa mise en espace peut être considéré comme une phase déterminante dans la constitution du sens, de sa sédimentation historique et de son accumulation dans l’objet.Le temps de la lecture, celui de la visite, est le dernier de la série. Éminemment variable, puisqu’il dépend du visiteur, il ne peut être analysé que par l’étude des modalités de la visite muséale.

Sur le schéma simplifié ci-dessus des étapes narratives, les temps de l’instauration du manque, de la mise en œuvre, de la mise en musée et de la lecture ne sont pas portés. Il convient de le compléter.

• L’œuvre signifiante et les objets insignifiantsLa reconstitution des sculptures fragmentées pose la question de tout ce qui a été écarté comme non signifiant aux moments de la découverte et de la reconstitution : objets amorphes tels que la terre meuble, matériaux à bâtir tels que les pierres plus ou moins taillées et les mortiers, fragments ayant le même matériau que l’objet mais rendus informes par l’excès de fragmentation, l’écrasement, la chaleur ou le gel… Ce qui constitue l’objet, c’est ce qui est porteur d’un sens qui retrouve sa place dans le discours virtuel qu’était l’objet complet. Cette notion de complétude repose sur un savoir antérieur relatif à des objets comparables. Elle est fondamentale en ce qu’elle détermine ce qui appartient à l’œuvre et élimine ce qui ne lui appartient pas.

Parallèlement à la trouvaille de l’œuvre considérée, d’autres objets ont été trouvés. Chacun d’eux est plus ou moins signifiant en fonction de ce qu’il représente, leur ensemble porte d’autres informations susceptibles d’identifier l’environnement dans lequel se trouvait l’œuvre et de dater la situation de la trouvaille, soit de manière relative par la stratigraphie (avant telle période, après telle période), soit de manière absolue si lesdits objets sont datables. L’archéologie a développé des techniques fines pour exploiter ces informations. Il serait hors de propos de les détailler ici. Ce qui nous intéresse, ce sont les mécanismes sémiotiques impliqués :

sémiotiques, on peut identifier là une transformation durative dont l’effet est de conserver la forme et la matière.

• Le parcours narratif de l’objet dans un récitLa brève histoire de l’objet reconstitué, telle que nous venons de la brosser, forme un véritable récit narratif dont le sujet principal (il serait outré de dire le héros) est la sculpture même : c’est elle qui passe de l’état de pierre de carrière à celui de sculpture, puis à celui de pierre à bâtir, et enfin à celui de pièce de musée. Un processus similaire est reconnaissable pour des objets qui ne sont pas des sculptures anthropomorphes mais des fragments d’architecture exposés dans la Salle des Machines (édicules, frise, architrave). Indifférent au caractère sculptural ou architectural de l’objet, le récit est pratiquement le même, faisant succéder les transformations de négation non–verbale exprimées sur le plan pragmatique et sur le plan cognitif. En le simplifiant et en le ramenant à quatre étapes principales, le récit s’organiserait ainsi :

Dans les récits des archéologues, on lit souvent que l’étape 2, où l’on donna forme à l’objet, succéda à une phase antérieure où il y eut un autre objet doté de forme, et cette phase antérieure s’est terminée par une destruction (accidentelle ou volontaire, naturelle ou humaine) qui créa un état de manque. Ce qu’il convint de combler en procédant à la création en question. De tels récits ne font que se conformer à la logique de base de la narration : au début, un état de manque est posé, et le but du récit est de narrer comment le manque a été réparé.L’étape de la découverte et de la reconnaissance est aussi une séquence classique de la narration : c’est ainsi que des parents séparés se retrouvent (ex : retour d’Ulysse à Ithaque). Si la reconnaissance est l’épreuve majeure du récit comme cela est narré dans les cartels et le catalogue, elle advient en un lieu privilégié, dit le lieu utopique en sémiotique narrative. En ce qui concerne les objets de la Salle des Machines, le lieu utopique a été identifié ci-dessus comme étant le centre de la Rome antique.

Étape 1 Étape 2 Étape 3 Étape 4

Carrière Œuvre Ruine Musée (sculpture, architecture)

Matière amorphe Objet formé Fragments Objet restitué Forme donnée Formes partielles Forme complétée procès cognitif et pragmatique destruction pragm. et cogn. reconstitution pragm.cogn.

Ø (marque zéro) Ordre Désordre Ordre reconstitué (partiel)

Ø Logique d’ensemble A Logique B différente Logique A restituée (représentation, honneur) (maçonnerie utilitaire) Logique muséale ajoutée

Chaos Négation du chaos Négation non verbale Négation non verbale de la logique A de la logique B

Page 32: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

sémiotiser l’espace200

PALMYRE,LE SENS DES TRANSFORMATIONS URBAINES

NOTES

1 Via Ostiense 106, Roma, Italia. Soit à 500 mètres de la Porta San Paolo (Piramide Cestia).2 BERTOLETTI, CIMA et TALAMO, Sculture di Roma antica, Collezioni dei Musei Capitolini

alla Centrale Montemartini, Electa, Roma, 1999.3 PERRON, Paul, COLLINS, Frank (eds), Paris School Semiotics, 2 volumes, John Benjamins

Pub., Amsterdam, 1989.4 GREIMAS, Algirdas Julien, COURTÈS, Joseph, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie

du langage, Hachette, Paris, 1979.5 HAMMAD, Manar, Le bonhomme d’Ampère, paru dans Actes sémiotiques - VIII, 33, 1985, et

Aux racines du Proche-Orient arabe, Geuthner, Paris, 2003, pp. 60-75.6 On en a retrouvé dans diverses demeures de Pompéi et à la Villa Hadriana de Tibur.7 BERTOLETTI, CIMA et TALAMO, op. cit. p. 31.8 HALL, Edward T., The silent language, Doubleday, New York, 1959, et The hidden dimension,

Doubleday, New York, 1966. WATSON, O. Michael, Proxemic behaviour, a cross-cultural study, Mouton, La Haye, 1970.

9 Nous avons dirigé un travail universitaire sur ce sujet : DESMARAIS G. et DURAND R. Le musée des beaux arts à Montréal, Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 1982.

10 Depuis quelques années, la visite est entièrement linéarisée et déterminée aux Musées du Vatican, où un sens unique est installé. Le flux des visiteurs est tel qu’on éprouve de très grandes difficultés à visiter autrement.

11 HAMMAD, Manar, La privatisation de l’espace, Presses de l’Université de Limoges, Limoges, 1989.

12 La croissance urbaine transforme régulièrement en intérieures des zones qui furent extérieures à un moment antérieur.

13 Les fouilles ont retrouvé, sur les collines du Palatin et du Capitole, des traces attribuables à l’âge du bronze et à l’âge du fer.

14 Pour la définition de la négation non–verbale, consulter BATESON, Gregory, « A theory of play and fantasy », Steps to an ecology of mind, Ballantine books, New York, 1978, pp. 177-193.

15 Des lois de ce type ont été votées à plusieurs reprises par les cités grecques. Cf. MORRIS, Ian, Death-ritual and social structure in classical antiquity, Cambridge University Press, Cambridge, 1992.

16 Le plan d’évacuation, dressé par les services de sécurité et affiché à l’entrée, désigne l’ensemble du rez-de-chaussée par le nom « Sala colonne ».

17 Information fournie par les gardiens : un visiteur sur huit achèterait le catalogue.18 AURENCHE, Olivier, La maison orientale, L’architecture du Proche-Orient ancien des origines au

milieu du quatrième millénaire, Geuthner, Paris, 1981 ; et MARGUERON, Jean, Recherches sur les palais mésopotamiens de l’âge du bronze, Geuthner, Paris, 1982.

19 CHOISY, Auguste, Histoire de l’architecture, tome I, Éditions Vincent Fréal, Paris, sans date.20 Exhumée à Rome, près de l’antique via Lata.21 Plateforme aux bords verticaux.22 Staffordshire, Angleterre, 1730-1792. Il invente le « Jasper ware ». Cf. HERMAN, Michael,

Wedgwood Jasper Ware : A Shape Book & Collectors Guide, Schiffer Publications, 2003.23 Communication verbale.24 Ni de création ni de mise en œuvre.25 Et non secondaire. Elle est seconde par rapport à un critère plus important, considéré en premier.26 On notera que la Centrale Montemartini ne montre rien du centre archaïque.27 Dans l’analyse des valeurs sémantiques des objets de musée, ce sont les relations syntagmatiques

qui nous ont servi en premier lieu.28 HAMMAD, ARANGO, KUYPER, POPPE, L’espace du Séminaire, in Communication 27,

Paris, Seuil, 1977.29 GREIMAS, A.J., Sémantique structurale, Larousse, Paris, 1966.30 RUSSELL, Bertrand, La théorie des types logiques, in La revue de métaphysique et de

morale XVIII, 1910. Article reproduit en 1969 dans Cahiers pour l’analyse 10, Seuil.31 HAMMAD, Manar, L’énonciation, procès et système, in Langages 70, Larousse, 1983.

Page 33: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

PALMYRE, LE SENS DES TRANSFORMATIONS URBAINES

Présupposés et énonciation

0. REMARQUES LIMINAIRESInscrit entre un travail antérieur1 et une suite en cours d’élaboration consacrée à la ville antique de Palmyre, ce texte développe les conséquences d’une idée peu répandue dans les milieux sémiotiques : celle de l’analyse énonciative des énoncés non-verbaux. Dès 1986, nous avons donné une démonstration serrée de la possibilité d’une telle démarche2. Nous en tirons ici des conclusions archéologiques et historiques, illustrant les possibilités pratiques devenues atteignables grâce à cette idée théorique. De l’architecture, nous montrons qu’il est possible de tirer des conclusions non triviales relatives à la manière de penser la ville et le territoire urbain, comme à la manière de penser les relations de la ville avec ses voisins. Directement liées aux catégories de l’actorialisation, de la spatialisation, et de la temporalisation (je, ici, maintenant), ces conclusions s’inscrivent dans le cadre d’une énonciation énoncée analysée à l’aide des concepts narratifs3.

À Palmyre, la ville matérielle observable est la trace d’un processus de stratification long de plusieurs millénaires : divers groupes sémites dits Amorrites, Araméens, Assyriens, Arabes… dont la succession cumulative constitue le fonds de la population locale, ont été suivis par des éléments Grecs, Parthes, et Romains dont l’empreinte culturelle s’avère marquante. En regardant l’allure de la ville, on conclut que l’influence culturelle des derniers arrivés aurait modelé le bagage des premiers installés. Les vagues anciennes du substrat humain n’ont pas déterminé l’expression des manifestations architecturales qui nous sont parvenues. En d’autres termes, la culturogenèse de Palmyre ne reflète pas son ethnogenèse.

Un décalage parallèle entre facteurs ethniques et culturels est manifesté par les usages linguistiques de Palmyre : on y trouve près de trois mille inscriptions lapidaires en araméen, moins de cinq cents en grec, un petit nombre en latin. Une hypothèse implicite, héritée du dix-neuvième siècle et peu discutée, amène certains auteurs à supposer l’existence d’un groupe ethnique à partir du constat de l’utilisation d’une langue4. Cependant, le bilinguisme des inscriptions palmyréniennes ne devrait pas fausser la perspective. Car l’étude des noms propres attestés témoigne du petit nombre des Hellènes dans cette ville, où la langue grecque est une langue de culture

PALMYRE, LE SENS DES TRANSFORMATIONS URBAINES

SOMMAIRE

0. REMARQUES LIMINAIRES

1. DOCUMENTS RETENUS

2. PRÉSUPPOSÉS SÉMANTIQUES DE LA RECONSTRUCTION DU SANCTUAIRE DE BEL2.1 Présupposés de l’acte de reconstruction2.2 Présupposés de la taille du sanctuaire2.3 Présupposés de l’évacuation du tell2.4 Présupposés de la dédicace à Bel2.5 Présupposés du culte de Bel2.6 Présupposés de la triade divine (Bel, `Aglibol et Yarhibol)2.7 Présupposés des choix architecturaux2.8 La polarisation de Palmyre autour du sanctuaire de Bel

3. CONCLUSIONS

NOTES

34° 34’

34° 33’

431000 431500 432000 432500 433000 433500 434000 434500 43500038

2500

038

2450

038

2400

038

2350

038

2300

038

2250

038

2200

038

2150

0

431000 431500 432000 432500 433000 433500 434000 434500 435000

38250003824500

38240003823500

38230003822500

38220003821500

34° 32’

34° 34’

34° 33’

38° 17’

38° 16’

38° 15’

34° 32’

38° 15’

38° 16’

38° 17’

Lat 34° 33’ N Lon 38° 16’ E

Palmyre

1:50000 300 m200100

Etat Mars 2008Prof. Dr.-Ing. Klaus SchnädelbachUniversité Technique de Munich

411

410

430

450

430

420

450

450

450

500

395

397

397

397

396

394.0

393.8

395.4

410

500

420

430

410

420

550

460

500

549.4

532.1

399.2

395.1

395

396

448.1

450

536.0

538.8

450.1

415.4

413.4

412.5

455.5

450450

420

424.3

422.0

419.1

423.4

416.0

452.5

452.9

416.4

415.7

417.2

415.8416.2

416.8

415.4

417.3

414.1

413.4

413.6

413.1

407.1

500

407.1406.6

407.2

406.6

407.8

407.4

405.68

430

435.0

417.8

467.7

424.0

418.7

416.7

414.8

412.5

406.7

407.1

406.8

409.1

411.3

411.6

410.8

407.8

405.9

407.5

407.0

412.3

411.2

407.7

409.3

407.1

407.8

412.3

413.2

409.3

406.6

407.2

405.4 408.2

402.7

409

406.7

406.6

405.8

405.8

406.6

401.3

405.3

404.9

402.5

406.1

403.3

407.7

411.9

411.7

410.4

405.0

414.1

410.8

414.8

422.5

408.1

430

395.3

394.2

394.2

398.2

397.6

395.4

399.9

399.2

. 404.0

. 404.7

. 404.3

. 403.2

. 405.4

. 408.1

520

470

430

405

440

450

420

430

415

415

410

410

414

413

413

414

412

408

408

430

420

440

450

420

420

. 415.7

. 415.7

. 415.7

430

420

. 442.0

430

425

415

415

420

440

440

440

440

420

420

413

435

435

420

410

415

415

. 419. 420

. 409.7

. 418

. 418.2

415

414

412

. 416.3

413

411

415

415

. 417.2

414

414

. 413

410

407

. 404.8

405

407

408

407

410

410

410

410

408

406

410

410

. 407.1

. 415.0

. 410

407

415

440

405.0

420

416

. 418.3

415

413

413

407

405

. 401

405

405

405

500

. 415

. 403

. 413

402

500

405

405

415.5

. 403.5

. 401.5

. 401.8

. 402. 402

. 404

. 402.5

409

405

. 405.3

. 405.2

408

Sanctuaire deBaalshamin

A104

A106

A201

A202

A203

A204

A205

A207

A209A212

A213 A214

E707

A217

A221

A222

M202

(M103)

A305

A308

A318a

A313

L202

L201

M207

K702

A401

A403

H602

A408

D305

D307

D301 E102

E504

E505

E905

E404

E405

E205

E204

(F107)

(F104)

F604

F605

C100

P406

P403

P409

P405

P404

P311

P315

P316

P310

P317

P319

P312

P337

P318

P370

P344

P301

P306

P336

P335

P320

P321

P334

P323

P324

P345

P338

P343

P341

P340

P307P339

P308

P326

P367

P325

P322

P329

P331

P332

P309

P333

P328P327

P330

P342

P305

Marona

P347

P348

P346

P352

P353

P212

P211

P210

P209

P208

P207

P219

P205

P204 P203

P202P201

P217

P215P216

P214

P213

P218

P363

P362

P349

P304

P357

P350

P303

P358P361

P359

P365

P360

P369

P206

N206

N205

N207

N208

N204

Sanctuaired’ Arsu

N209

Q228

Q223

Q224

Q226

Q221

Q220

Q219

Q225

Q233

Q218

Q291

Q217

Q231

Q229

Q216

Q215

Q214

Q213

Q212Q211

Q210Q209

Q208 Q207

Q235

Q237

Q238

Q239

Q236

Q295

Q245

Q244

Q243

Q242 Q241Q240

Q249

Q246

Q247

Q248

Q201Q202

Q203

Q204Q205

Q102

Q101

Q127

Q129Q130

Q132

Q114

Q108

Q109

Q110Q105

Q104

Q103Q133

Q106

Q107

Q112

Q113

Q115

Q116Q117Q118

Q119

Q120

Q121

Q122

Q123

Q140

Q141Q142

Q124

Q125

Q126

Q135

Q152

Q136

Q153

Q137

Q139

Q144

Q145

Q146

Q147

Q148

Q149

Q150

Q151

Q143

Q287

Q286 Q285

Q281

Q280

Q279Q278

Q277

Q276

Q275 Q273

Q274

Q261

Q282

Q272

Q270

Q269

Q268

Q293

Q294

Q265Q267

Q266Q264

Q263

Q262

Q252

Q251

Q254Q257

Q256

Q258

Q255

Q260

Barrage

Barrage

Aqueduc

Q134.2

Ancienne Porte de Damas

Atenatan

Dionysos

Nasrallat

Lisams

Hairan

Abd Astor

Yarhai

Trois Frères

Seleukos?Barea?

Malku

R201R249

R248

R247 R206

R212

R202

R203R207

R208

R209

R211

R215

R216

R227R217

R218

R223

R221

R220

R219

R232

R228

R230

R253

Elahbel

Bolha

Taim’amedBariki

Alaimi

Tombe C

Tombe G

Tombe E

Tombe F

Tombe A

Tombe BTombe D

Anonyme

Zobaida

Ta’ai

S106

S105S104

S103

S109

S110

S111

S112

S113

S114

S115

S137

Artaban

S101

S102

(S122) S119

S118

S121

S117

S133

S132

S130S131

S128

S129

S138

S139

S140

S116

S125 S126

S201

S202

S203

S204

Q138

D306

Carrière

Q111

Camp de Dioclétien

Sanctuaire d’Allat

Grande Colonnade

E103

Sanctuairede Nabu

Theâtre

Agora

Grande Colonnade

Thermes de Dioclétien

Hôtel Zénobie

Ancien Serail

Sanctuaire de Bēl

Musée

Umm el Qays

Carrière

Qalaat Ibn Maan

Temple de Bel Hammon

Source Efqa

Hôtel Palmyre Cham

D400

H205

H206

H302

M206

M203

M205

M102

M204

Exèdre

Nymphée

J405

J202

Nymphée

Suq Omeyyade

A406

Q232

Carrière

Q283

A302

A226

F607

F602

F609

E902

(F103)

(E802)

R234

R231

R246

R250

R251

Q296

Q230

Q222

Vallée des Tombes

Nécropole Nord

Nécropole Sud-Est

Nécropole Sud-Ouest

(P100)

P366

P354

R222

(Q271)

(P351)

(Q134)

A103

A102A101

A105(D100)

A107

A108

A109

A110

A111

A112A113

A114A115

(D600)Alainé

D304

Turriforme

D200

D202

B200

D605

B100

A208

E203

H303

H101 H20

1

H301

H401

H501

H601

H203

E310

H402

A402

A402a

A402b

H208

H304

H403

H504

H503

H603A404

A404a

A405

(N201)

A407

J203

J201

J302

A408a

A409

K302(K300)

K100

A410

A411

A412

K400

K600

(K500)

(C300)

Tetrakionion(C200)

(C103.7)

(C106)

(C301.3)

A415

A416

A417

A418

(K800)

(C502.1)

(C400)Arc

C500

(G502)

Source(M208)

G601

G501

G401

G301

G101

G201

F501

F401

F301

F201

F101

E801

E901

E701

E601

E501

E401

E301

E201

E101

Eglise 4

Eglise 3

Eglise 2

Eglise 1

E302

E502

E209

C104

E705

E706

E308

E305

E304

E311

E407

E403

E503

E403

E402

E702

E703

E805

E806

E803

E804

E903

E904

E906

F102

F111

F106

F108

F601

F603

F606

F608

F611

F610

F303

F302

F403

F404

F405

F410

F409

F406

F407

F408

F411

F502

F504

F503

F505

F507

F509

F510

F508

(G701)

(G103)

G106

G113

G111G112

G102

G302

G404

G403

G402

G405

G602

G603

M207

M109

M108

M106

(M101)

Marché

M104

M107

A227

A228

A301

A303

A304

A304a

A306

A307

G801

G802

G803

G804

G805

G806

D201

Wadi As-Suraysir

Wad

i A

s-Su

rays

ir

Ğabal Al-�usayniyāt

�abal Al-Muntar

(Q134)Aqueduc

(R401)

R500

(S123)

(S124)(S145)

(S136) (S135)

(S141)

(S108)

(S107)

(S142)(S143)

(S144)

(S134)

(R101)

R100

(R252)

(R259)

(R258)(R257)

(R239)

(R256)

(R238)

(R236)

(R242)

(R254)

A211A210A215 A216

A218A219 A220

A223

A224

A225

Ancien Aéroport

A323

A322

A321

A319

A317

A318

(L100)

G810

G812

G808

G811

A308a

A309

A310

A310a

A310b

A311

A312

A314

A315

A316

A320

B300

D500

E105E104

D203

E307

H502

H202

H209

E206

E906

F202

G807

K201

K202

K303

K603

K401

J403

J406

K901

K902

F402

S120

R237

Q289

D303

P302

D302

Légende

Tour funéraire

Tour funéraire et hypogée

Temple funéraire

Tour funéraire à loculi externes

Hypogée

Tombe, forme spéciale

Tombe, forme incertaine

Cimetière arabe

Jardin

Entrée

Entrée supposée

Structures géomagnétiques

Lignes de niveau

Bâtiment moderne

intervalle 5 m

intervalle 1 m

Pente

intervalle 10 m

Structures, à partir d’imagesaériennes ou satellite

455.5Point de contrôle (avec altitude)

Structures,topographie verifiée

Page 34: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

palmyre, le sens des transformations urbainessémiotiser l’espace204 205

2. PRÉSUPPOSÉS SÉMANTIQUES DE LA RECONSTRUCTION DU SANCTUAIRE DE BELLa reconstruction du sanctuaire de Bel fut une opération complexe dont la réalisation exigea une vingtaine d’années pour la cella, et plus d’un siècle pour le téménos et le péribole. Elle constitue un acte performatif susceptible d’être soumis à l’analyse sémantique.

2.1 Présupposés de l’acte de reconstructionLa re-construction d’un sanctuaire en activité n’est jamais un acte dénué de raisons. L’usure et la vétusté de la structure antérieure sont parfois invoquées comme justification : ainsi, Alexandre entreprit de reconstruire la grande ziggourat de Babylone. Il n’est cependant pas difficile de lire, dans le geste du conquérant macédonien et sous les pieuses motivations affichées, un projet politique visant à lui rallier les populations locales assujetties. En d’autres circonstances et d’autres lieux, la destruction et/ou la profanation de la structure antérieure furent invoquées : à Athènes, c’est le saccage mède de – 480 EC qui est mis en avant. On profita de l’occasion pour gommer toute référence orientalisante12 et pour affirmer le style grec. À Jérusalem, au pillage et à la profanation d’Antiochos IV en – 168 EC répondit la re-consécration du Temple en – 165 EC. Une nouvelle dédicace à Yahvé fut ressentie comme nécessaire pour effacer l’intermède de la consécration à Zeus Olympios.

Dans une telle perspective, il est logique de supposer que la reconstruction du sanctuaire de Bel a été motivée, ne serait-ce que partiellement, par l’équipée infructueuse des cavaliers d’Antoine en – 41 EC. La ville avait été évacuée, nous rapporte Appien13. Les temples, qui étaient les lieux ordinaires de conservation des trésors collectifs des villes, furent certainement « visités » par des soldats intéressés. La réparation de ce qui a pu paraître comme une profanation a pris l’allure d’une reconstruction complète avec agrandissement. À l’appui d’une telle hypothèse, on peut citer l’intérêt impérial romain, exprimé en 19 EC par la dédicace au sanctuaire de Bel d’une triple sculpture représentant Tibère, Drusus et Germanicus. Or le temple ne fut inauguré qu’en 32 EC comme nous l’apprend une inscription. Par conséquent, la dédicace impériale eut lieu en plein chantier, ce qui fait supposer14 une contribution financière romaine à l’œuvre d’édification. Susceptible d’expliquer en partie la célérité avec laquelle l’édifice fut achevé, cela inscrirait la reconstruction du temple de Bel dans un processus de restauration de relations contractuelles entre le pouvoir central romain et la ville périphérique de Palmyre postée aux confins de l’Empire.

L’acte de reconstruction du temple de Bel ne s’inscrirait donc pas uniquement sur la seule dimension religieuse. Son volume, son style, les offrandes reçues témoignent de son inscription simultanée sur la dimension politique. Il pouvait difficilement en être autrement : l’autorité impériale pratiquait les cultes officiels sur l’étendue de l’empire, tout acte politique devait recevoir une caution religieuse, et tout geste religieux accompli à l’échelle d’une ville avait une incidence politique.

et d’expression politique. L’onomastique témoigne aussi qu’une part appréciable de la population a été arabophone, à une époque où la langue arabe ne s’écrivait pas encore : ce groupe n’a pas pu laisser d’inscriptions dans la langue qu’il parlait. En bref, le bilinguisme épigraphique masque un trilinguisme verbal des habitants et ne témoigne pas de la composition ethnique de la population.

Dans ce contexte historique, nous partirons des restes du monument le plus ancien de la Palmyre qui nous ait été conservée, le sanctuaire de Bel, afin d’extraire de son architecture des éléments susceptibles d’éclairer le processus de développement de la ville. Nous prendrons le terme Ville sous les deux acceptions que lui reconnaît la langue française : la ville comme groupe humain inscrit dans l’espace social, et la ville comme agglomération urbaine inscrite dans l’espace physique. Entre le social et le physique, nous essaierons de repérer les organismes de gestion, les manières de penser et de faire. Exposée en ses deux aspects aux influences concomitantes des puissances voisines et des populations locales, la ville traduit dans ses structures et ses formes l’équilibre dynamique qui lui a permis de prospérer entre le premier siècle avant l’ère commune et le troisième siècle de celle-ci.

1. DOCUMENTS RETENUSTout en étant le plus ancien bâtiment observable, le sanctuaire de Bel5 est aussi le plus important du point de vue de la taille, du style, et de la complétude. Les fouilles6 ont montré que ce temple fut précédé par un autre plus ancien dont on a retrouvé des fragments. Des sondages récents7 effectués dans le téménos à l’Est du temple ont mis au jour des bases de colonnes hellénistiques appartenant à un état antérieur du sanctuaire. La reconstruction du sanctuaire s’est faite à une échelle inusitée : la ville fut évacuée et le sanctuaire occupa toute l’acropole. La ville expulsée se développa dans la petite plaine située entre le tell et les collines occidentales. Son évolution et sa croissance furent contemporaines des chantiers du temple de Bel puis de son péribole. Ces deux développements concomitants (le sanctuaire, la ville) ont exercé une influence l’un sur l’autre, même s’il n’y a pas eu une coordination géométrique stricte. D’où surgit une question intéressante : est-il possible de repérer un lien entre les formes de la ville et l’activité du temple ?

Le temple ayant un rôle rituel en premier lieu, nous avons été amenés à étudier, à partir de l’architecture, les rites repérables et reconnaissables8. À ce corpus non-verbal (sanctuaire, ville, rites), il est nécessaire d’associer le corpus verbal des inscriptions, afin de compléter l’un par l’autre. Le catalogue des inscriptions araméennes de Palmyre9 de Hillers et Cussini se voulait exhaustif au moment de sa préparation. Les trouvailles et publications ultérieures l’ont rendu incomplet. Il n’en reste pas moins très commode pour l’étude des textes, pourvu qu’on lise l’Araméen10. Si le contenu dédicatoire, honorifique ou funéraire11 de la majorité des inscriptions n’offre que peu d’intérêt direct pour l’étude des formes physiques de la ville, il nous informe sur sa forme sociale, en particulier sur ses structures familiales, claniques, économiques…

Page 35: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

ARTICULER LE TEMPS À TADMOR-PALMYRE

Palmyre par temps de vent de sable. À droite, temple de Baal-Shamîn. À gauche, parties hautes de la Grande Colonnade se profilant contre Gabal Umm-al-Qays.

Page 36: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

ARTICULER LE TEMPS À TADMOR-PALMYRE*

0 REMARQUES LIMINAIRESDans l’abondante littérature publiée à propos de Palmyre, on trouve difficilement une information relative aux articulations que le temps y a reçues : une grande partie de l’intérêt semble être centrée sur le déroulement des événements historiques d’une part, sur les formes architecturales des monuments de l’autre. Un gros effort de description spatiale de la ville est en cours1. Exploitant les travaux épigraphiques, certains spécialistes ont exploré les structures religieuses de la ville, alors que d’autres auteurs s’intéressèrent à ses structures sociales et commerciales. Dans le domaine des études palmyréniennes, la question du temps brille par son absence2.

La période la mieux connue de Palmyre s’étend des premières années de l’ère commune (notée EC) jusqu’à la destruction de la ville par Aurélien en 273 EC. Durant ces trois siècles, en ces lieux, comment la durée fut-elle articulée en temps ? En d’autres termes, quelle forme fut donnée à cette matière amorphe que serait la durée inarticulée ? Poser la question, et la traiter, reviendrait à étendre à la dimension temporelle l’enquête commencée depuis longtemps dans les domaines de l’espace physique, de l’espace social et de l’espace culturel.

La question peut être abordée de plusieurs points de vue différents. Le premier, qui conditionne toute réflexion, est celui de l’épigraphie fournissant les dates attestées par des documents palmyréniens authentiques. Nous commencerons donc par là, pour constater une relative cécité : les épigraphistes semblent considérer les dates comme transparentes et se contentent de les traduire. Pour les placer dans un cadre chronologique, ils ont fait appel à des spécialistes : les astronomes et les chronologues, lesquels dégagent une forme abstraite du temps, sorte de coque vide dans laquelle viennent se loger les actes et les événements. Par la considération des actions advenues à Palmyre, en particulier les actions scripturaires (le simple fait d’inscrire des énoncés sur des supports durables) et religieuses, nous chercherons à atteindre une autre manière de structurer le temps, plus proche de celle des anthropologues. Ce qui remplira la coque formelle du calendrier et la surdéterminera. Pour ce faire, il sera nécessaire d’exploiter des données non-verbales parallèlement aux données verbales fournies par les inscriptions. Chemin faisant, nous serons passés d’une vision externe du temps de Palmyre, à une vision interne du temps à Palmyre. Tout du moins, nous nous en serons approchés.

ARTICULER LE TEMPS À TADMOR-PALMYRE

SOMMAIRE

0 REMARQUES LIMINAIRES

1 ARTICULER LE TEMPS de TADMOR-PALMYRE 1.1 Au déchiffrement du palmyrénien 1.2 L’usage normalisé des épigraphistes 1.3 L’absence numismatique 1.4 L’introduction argumentée d’un calendrier pour Palmyre

2 ARTICULER L’ÈRE SÉLEUCIDE à PALMYRE 2.1 Convenir d’un métalangage 2.2 Y a-t-il une ou plusieurs ère(s) séleucide(s) ? 2.3 Forme(s) de l’année séleucide 2.4 Les cycles temporels nommés à Palmyre

3 ARTICULER LE TEMPS à TADMOR-PALMYRE 3.1 Changer de visée et de point de vue 3.2 Les relations sémantiques entre écrire et agir 3.3 Les contenus sémantiques des classements en usage 3.4 L’analyse distributionnelle du corpus des inscriptions de Palmyre 3.5 Distribution différenciée des inscriptions par mois

4. ARTICULER LE TEMPS PAR L’ACTION 4.1 Présupposés sémantiques des procédures mises en œuvre 4.2 Les actions célestes et leurs sujets 4.3 Les actions terrestres et leurs sujets 4.4 La mise en relation des actions célestes et terrestres

5. CONCLUSIONS

BIBLIOGRAPHIE NOTES

* Publié initialement dans la revue «de Kêmi à Birït Nâri» N°3, Geuthner, 2008, puis en version italienne, sous le titre «Articolare il tempo a Tadmor-Palmira», in DUSI & MARRONE, Destini del Sacro, pp. 217-258, Meltemi, Roma, 2008.

Page 37: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace226 227

commune. En 1922, le même Chabot aborde explicitement la question, en page 13 de son ouvrage Choix d’inscriptions de Palmyre. L’ère y est identifiée comme celle des Séleucides, partant du 1er octobre 312 av. J.-C. Aucun argument n’est fourni à l’appui de cette assertion, qui est donnée sans discussion, laissant supposer qu’elle est sûre. Aucune raison n’est fournie non plus pour expliquer pourquoi l’auteur soustrait 311 (et non 312) du nombre palmyrénien d’années pour obtenir un nombre d’années de l’ère chrétienne. Lorsqu’il donne la concordance des noms de mois Palmyréniens, Grecs Macédoniens et Français (tirés du calendrier julien), il dit s’être appuyé sur des inscriptions bilingues, sans spécifier lesquelles. Enfin, il identifie les cinq signes qui, par leurs combinaisons, servent à noter les nombres désignant les jours et les années. Les règles combinatoires de la notation des nombres ne sont pas décrites.

La même visée épigraphique, qui tend à supposer transparentes les questions du calendrier, anime Jean Cantineau qui, dans les neuf livraisons de son Inventaire des Inscriptions de Palmyre commencé en 1930, « traduit » les dates sans dire comment il procède. En 1952, dans son ouvrage de présentation générale de Palmyre, Jean Starcky dit (page 20) qu’il retranche 311 pour transformer les dates inscrites selon l’ère séleucide, laquelle débute le 1er octobre -312 EC, ce en quoi il s’aligne sur Chabot. Il améliore la présentation de ce dernier à propos de la notation des nombres (de jours et d’années) en décrivant leurs règles combinatoires.

Dans leur recueil systématique des inscriptions palmyréniennes (Palmyrene Aramaic texts) publié en 1996, Hillers & Cussini consacrent l’une des dernières pages de l’ouvrage (p. 443) à la question du calendrier. L’ère y est définie comme l’ère séleucide, débutant au 1er Hyperberetaios (Tishry), 312 BC. Remarquons au passage qu’ils nomment le mois à la manière locale, ce qui est plus exact que la manière de Chabot, car le 1er octobre ne coïncide pas nécessairement avec le 1er Tishry. La concordance entre les noms des mois araméens et macédoniens est appuyée par une liste d’inscriptions bilingues permettant de l’établir. Les équivalents anglais des noms des mois juliens sont fournis. L’ouvrage chronologique spécialisé de A.E. Samuel est cité en référence pour le lecteur désireux de fouiller les détails des calendriers macédonien et palmyrénien, suivi d’autres références bibliographiques.À ce jour, le résumé de Hillers et Cussini est le plus étendu et le plus complet que l’on trouve sur le calendrier de Palmyre dans les ouvrages épigraphiques.

1.3 LesilencenumismatiquedePalmyreAlors que la numismatique joue un rôle majeur dans la reconnaissance des ères utilisées par différentes villes de Syrie aux époques hellénistique et romaine, pour lesquelles on reconnaît plus de dix ères différentes attestées sur les monnaies (SEYRIG 1 950), elle ne joue aucun rôle à Palmyre. Car cette ville ne battit pas de monnaie chez elle. Les pièces qui furent émises pendant la brève équipée expansionniste de Zénobie furent frappées à Antioche et à Alexandrie (SCHLUMBERGER 1 943a & 1 943b, SEYRIG 1 963, SEYRIG 1 966). Ces monnaies éphémères n’ont aucune incidence sur la discussion du calendrier de Palmyre car elles ne sont pas datées selon l’ère usitée en cette ville : à Alexandrie, elles sont marquées par des lettres alphabétiques indiquant

1 ARTICULER LE TEMPS de TADMOR-PALMYREAvant d’entreprendre une reconstitution du calendrier palmyrénien à partir des éléments fragmentaires et défectifs qui nous sont parvenus, nous commencerons par un examen de la manière dont le temps de Palmyre a été abordé par les épigraphistes qui en lisent les inscriptions.

1.1 AudéchiffrementdupalmyrénienEn 1754, l’abbé Jean-Jacques Barthélemy communiqua à l’Académie des Inscriptions (séance du 12 février) un mémoire intitulé Réflexions sur l’alphabet et sur la langue dont on se servoit autrefois à Palmyre. Il y exposait succinctement les résultats du déchiffrement auquel il était parvenu en s’appuyant sur un certain nombre d’inscriptions récemment rapportées de Palmyre par des voyageurs anglais (WOOD 1 753). S’appuyant sur des noms propres repérés dans des inscriptions grecques accompagnées d’inscriptions palmyréniennes parallèles, il identifiait les vingt-deux caractères de l’écriture de Palmyre et déterminait leur valeur phonétique. Il en concluait que la langue palmyrénienne est du Syriaque ou Chaldéen (BARTHÉLEMY 1754 : 589).Incidemment, Barthélemy identifiait le parallélisme entre les expressions ETOY∑ (grec) et SNT (palmyrénien) suivies de signes indiquant des nombres, en déduisait une lecture des dates inscrites, et en donnait un exemple (BARTHÉLEMY 1754 : 578) «…dans le mois de Schebat de l’an 547 » de l’ère usitée à Palmyre (Barthélemy dixit). Il ne nomme pas l’ère en question et ne la rapporte pas au calendrier grégorien. Une telle réserve peut avoir une double motivation : d’une part, l’auteur n’était pas certain de l’identification de l’ère en question, d’autre part, il restreignait sa communication au déchiffrement et n’y traitait pas la question du calendrier. On peut aussi conclure que son point de vue implicite est linguistique et atemporel.

1.2 L’usagenormalisédesépigraphistesPendant plus de cent quarante ans, il ne semble pas que la question du calendrier palmyrénien soit discutée dans la littérature épigraphique française. Ce n’est qu’en 1 895 que Charles Clermont-Ganneau l’aborde en partant d’une inscription (CLERMONT-GANNEAU 1895b). Dans une note au bas de la page 56, il écrit «…le calendrier usité à Palmyre était le calendrier Syro-Macédonien avec le début d’année au 1er octobre ». Rappelant que l’année macédonienne fut purement lunaire (p. 65), il note que la domination romaine amena plusieurs villes de Syrie à adopter le calendrier julien (Baalbek citée p. 69). Relevant que certaines inscriptions nabatéennes (CLERMONT-GANNEAU 1895a) témoigneraient de l’usage d’un calendrier égyptien en Syrie, il se demande si les palmyréniens avaient fait de même. Il conclut qu’aucun argument tiré des inscriptions connues ne permet de trancher en faveur de l’une de ces trois possibilités. Cet article fut négligé par la suite car il faisait une large place à la discussion d’un nom de mois que les épigraphistes s’accordèrent à lire autrement.En 1920 Jean-Baptiste Chabot aborde le sujet en passant, dans le commentaire des inscriptions rapportées par la mission épigraphique de Jaussen et Savignac (1 914) : il « traduit » la date de Nisan 370 (d’une ère non spécifiée) en avril 1959 de l’ère

Page 38: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace228 229

durées. En 1693, soit deux ans avant sa publication identifiant l’ère utilisée à Palmyre, Halley publia dans les Philosophical Transactions de la Royal Society un article en latin (HALLEY 1693 : 913-921) corrigeant la traduction latine médiévale d’un texte astronomique arabe datant de 892 écrit par Al Battâni (Abu Abdallah Muhammad bin Jâber bin Sinân, né à Harrân, en Syrie du Nord), connu en Europe sous le nom d’Albatenius par les traductions de Robertus Retinensis et Plato Tibastinus. Dans ses calculs astronomiques, Al Battâni utilise plusieurs ères pour la notation des dates, parmi lesquelles une ère qu’il rapporte à Al Iskandar Dhu-l-Qarnayn, l’ère d’Alexandre bicorne. Halley démontre que ladite ère est celle des Séleucides, commençant en 312 avant l’ère chrétienne, et qu’il convient de la distinguer d’une autre ère, occurrente mais peu utilisée par les astronomes, dite celle de la Mort d’Alexandre et commençant avec le règne de Philippe Arrhidée (demi-frère épileptique du conquérant). L’utilisation du nom d’Alexandre pour les deux ères peut prêter à confusion, mais Al Battâni précise que douze ans séparent les époques (ou points de départ) des deux ères. Comme l’ère de Dhu-l-Qarnayn commence avec l’arrivée au pouvoir de Séleucos 1er Nicator, Halley propose3 de la dénommer Ère Séleucide.Utilisant les concordances d’ères mises en œuvre par Al Battâni, Halley détermine que le point de départ de l’ère est le 1er octobre -312 EC. Ce faisant, il retrouve, par un autre chemin, un résultat établi au milieu du quinzième siècle par Ulugh Beg à l’observatoire de Maragha (Asie Centrale). En 1753, il ne semble pas que Halley ait eu connaissance du travail d’Ulugh Beg, mais J.-B. Biot cite explicitement ce dernier (BIOT 1849 : 367, 373, 375).Ceci montre que l’intérêt de Halley pour Palmyre ne relève pas d’une curiosité marginale, mais d’un intérêt pour l’astronomie ancienne, en particulier Hellénistique, Babylonienne et Arabe.

1.43 L’inscription clefL’inscription sur laquelle s’appuie Halley est gravée sur une colonne de la grande avenue de Palmyre. C’est une bilingue, en palmyrénien et en grec. Halley n’en lisait que cette dernière partie. Dans les publications épigraphiques systématiques ultérieures, l’inscription double est identifiée sous le numéro 3932 du Corpus Inscriptionum Semiticarum ; n° 3,22 de l’Inventaire des inscriptions de Palmyre ; n° 0278 du Palmyrene Aramaic Texts. Jean Cantineau en donne une traduction synthétique à partir des deux versions (grecque et araméenne) :

Statue de Julius Aurelius Zabdilah (grec : Zênobios qui est aussi [appelé] Zabdilah), fils de Malkhô, fils de Malkhô, fils de Nashshûm, qui a été stratège de la colonie (ce dernier mot manque dans le grec) lors de la venue du divin empereur Alexandre ; qui a aidé, lors de son séjour ici, Rutilius Crispinus, le général en chef, et lorsqu’il a amené ici les légions (grec : lors de la présence ici des vexillationes) de nombreuses fois ; qui a été directeur du marché et a épargné de grandes dépenses (grec : et n’a pas hésité à dépenser des sommes non petites) ; qui a conduit sa carrière si honorablement qu’il a reçu un témoignage du dieu Yarhibôl, et aussi de Julius [Priscus], très éminent préfet du prétoire sacré, et qui a aimé sa cité ; c’est pourquoi le Sénat et le peuple lui ont élevé [cette statue] pour l’honorer, en l’année 554.

l’année du règne de Wahballat (SCHLUMBERGER 1 943a : 46), à Antioche, elles semblent suivre un schéma temporel parallèle (SEYRIG 1 966 : 661).

1.4 L’introductionargumentéed’uncalendrierpourPalmyreLa première identification raisonnée du calendrier de Palmyre ne se trouve ni en langue française ni en études sémitiques : elle advient en Anglais, formulée à partir des inscriptions grecques que l’on savait lire avant de déchiffrer le palmyrénien.

1.41 Chez les antiquaires ou amateurs de l’antiquitéEn 1753, Robert Wood publie à Londres The ruins of Palmyra otherwise Tedmor in the desart, ouvrage destiné à un public cultivé amateur d’histoire et d’antiquités. Dès la troisième page de son ouvrage, il précise que The Æra of Seleucos was used at Palmyra, présupposant en cela que ladite ère est connue et ne nécessite pas plus de commentaires. En page 17, il transforme correctement des années de l’ère séleucide en années de l’ère chrétienne, sans décrire sa procédure. Il relève aussi que les noms macédoniens des mois sont occurrents dans les inscriptions grecques. En page 25, il aborde de manière elliptique la notation grecque des chiffres par des lettres pour indiquer l’année : c’est une question épigraphique sur laquelle il ne s’étendra pas. En page 28, il cite le Dr Halley qui, utilisant une inscription grecque recopiée par les voyageurs anglais qui s’étaient rendus à Palmyre en 1691, déduit que : « The Æra or accompt of years observed by the Palmyreni in these inscriptions, is evidently that of Seleucos… ». Nous reviendrons en détail sur le texte de Halley, mais il convient de noter auparavant deux faits :– Le savoir de l’amateur d’antiquités s’appuie sur celui d’un spécialiste auquel il réfère comme une autorité en la matière,– L’identification du cadre chronologique grec ne pose pas la question de ce qui se passe en langue palmyrénienne. Car on ne savait pas encore lire celle-ci. L’abbé Barthélemy travaillera justement à partir de la publication de Wood et montrera que les nombres sont en concordance dans les deux langues. Cependant, il ne commentera pas la question de l’ère identifiée par Halley et reprise par Wood.

1.42 L’apport des astronomesLe passage de Halley cité par Wood provient d’une communication intitulée Some Account of the Ancient State of the City of Palmyra, with short Remarks upon the Inscriptions found there, publiée par la Royal Society dans les Philosophical Transactions de 1695, où elle accompagne le rapport envoyé par le révérend Halifax à la suite du voyage de 1 691. Ce qui constituait la première publication scientifique occidentale en études palmyréniennes. Alors que Halley rédigeait son analyse en anglais, Halifax donnait à sa communication savante, coulée en latin, la forme d’une lettre envoyée à l’un des membres de la Royal Society.

Edmond Halley est l’astronome mathématicien dont le nom est resté attaché à la comète qu’il identifia et reconnut comme telle. Il s’intéressait à l’histoire de l’astronomie et aux questions de calendrier pour la mesure du temps sur de longues

Page 39: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace250 251

(ROSENSTIEHL & MOTHES 1968 : 117-165), cette procédure est susceptible de nous renseigner sur les objets distribués (les inscriptions), sur les cases de distribution (les mois), et sur les relations (dépendance, indépendance…) entretenues entre les objets et les cases.

3.5 Distributiondifférenciéedesinscriptionsparmois3.51 Mois fréquentsLa fréquentation des inscriptions de Palmyre laisse des traces dans la mémoire du lecteur. Nous avons été frappés par la relative récurrence du mois de Nisan-Avril. En particulier, une inscription araméenne gravée sur une base de statue honorifique, énonce que le sanctuaire de Bel a été inauguré le sixième jour de ce mois en 343 ES (CANTINEAU 1933 : IX,1). Cantineau attira l’attention sur une inscription grecque du Camp de Dioclétien (CANTINEAU 1931, VI, 13) où le sixième jour du mois de Xandikos-Avril est dit jour bon pour un sacrifice holocauste. Starcky attira l’attention sur le dieu Bel et la fête de l’Akîtu qui était célébrée à Babylone au début dudit mois (STARCKY 1952 :90). Chabot avait relevé la fréquence des mois de Mars-Adar et de Nisan-Avril (CHABOT 1922 :49). Plus récemment, Gawlikowski formulait de telles remarques (GAWLIKOWSKI 1973 :80-90-94-97). Ces remarques intuitives furent le point de départ de notre première tentative d’analyse distributionnelle répartissant les inscriptions sur les mois de l’année. Entre cette idée initiale et le référencement méthodique de toutes les inscriptions, de leur date, puis leur distribution, il y eut un long chemin qui ne sera pas détaillé ici. Nous en examinerons les résultats.

3.52 Distribution des inscriptions par moisL’inventaire HILLERS & CUSSINI des inscriptions araméennes de Palmyre contient 489 inscriptions dotées d’un nom de mois, soit une proportion de 17,3 % du total (2 832). Une telle proportion peut paraître faible. Néanmoins, il serait hasardeux d’en tirer la conclusion hâtive que la mention du nom de mois n’avait pas d’importance à Palmyre. Car notre corpus a subi les avatars de plus de seize siècles de négligences et de destructions, ces dernières affectant des parties aléatoires des inscriptions. Il convient aussi de rappeler que 489 occurrences constituent un corpus considérable qui se prête à une analyse statistique.Parmi ces 489 inscriptions dotées d’un nom de mois, seules 445 contiennent aussi l’indication de l’année. Pour les 44 autres, l’année est perdue. Cependant, une analyse centrée sur la notion de mois peut – et doit – en tenir compte.Sur le reste des inscriptions, la mention du nom de mois peut avoir été accidentellement effacée (cassure, usure), comme elle peut avoir été omise dès l’origine. La distinction entre ces deux cas de figure est difficilement accessible à la statistique en l’état actuel des publications. Elle est d’un intérêt sémantique si elle devient chiffrable. Nous verrons cependant que l’allure générale du phénomène est telle que les résultats obtenus sans cette distinction sont amplement suffisants.

La moyenne de répartition de 489 inscriptions sur 12 mois donne 40,7 : ce chiffre servira de base de comparaison. La distribution effective sur les douze mois de l’année

3.4 L’analysedistributionnelleducorpusdesinscriptionsdePalmyreEn tant qu’actes de langage, i.e. relevant d’un type particulier d’actions, les inscriptions lapidaires de Palmyre sont susceptibles de nous renseigner sur une articulation interne du temps dans cette ville. Nous les aborderons donc à ce titre : toutes ensemble en un premier temps, comme actes de langage réunis en une classe unique, puis nous les séparerons ensuite en classes énonciatives différenciées (honorifique, dédicatoire et funéraire) afin de les comparer et de voir si ces classes présentent des traits distributionnels particuliers.

Il ne semble pas que les inscriptions de Palmyre aient été soumises auparavant à une analyse systématique destinée à en extraire des informations qui ne soient pas dépendantes de telle (ou de telles) d’entre elles. Le CORPUS comme ensemble n’a jamais été interrogé. Nous formulons l’hypothèse que des informations sont susceptibles d’être tirées de la distribution temporelle des inscriptions. On peut qualifier d’intertextuel tout contenu qui, n’étant dans aucun énoncé des inscriptions particulières, est repéré dans les circonstances temporelles de leurs énonciations comparées. L’opération envisagée présuppose que les inscriptions soient datées. Elle sera donc restreinte à la partie du corpus dont les dates sont conservées.

La publication d’un catalogue systématique des inscriptions araméennes de Palmyre (HILLERS & CUSSINI 1 996) met à portée de main un outil de travail commode pour la manipulation des sources textuelles locales, pourvu qu’on lise l’Araméen36. Contenant 2 832 inscriptions, ce catalogue devrait être complété, si l’on veut être exhaustif, par les inscriptions publiées après sa parution. Nous ne nous engagerons pas dans cette entreprise, car notre objectif n’est pas épigraphique. Il nous suffit de dire que ce catalogue contient la majeure partie des inscriptions araméennes connues, et que son inventaire suffira à notre objectif.Pour les inscriptions grecques de Palmyre, nous attendons toujours une publication équivalente. Madame Christiane DELPLACE a obligeamment mis à notre disposition l’inventaire qu’elle est en train de constituer sur la base PETRAE (CNRS, Bordeaux, 2 006). Les 371 inscriptions grecques qu’elle y a inventoriées réunissent probablement le corpus connu. En tout état de cause, elles en représentent l’écrasante majorité.

L’analyse distributionnelle projetée consiste à rapporter chaque inscription aux éléments de date qu’elle contient, sans tenir compte de son contenu en première phase, puis prenant en compte les catégories énonciatives de Jaussen et Savignac en deuxième phase. La rareté des mentions de quantième jour nous fera exclure de l’analyse détaillée ce cycle de datation. À l’opposé de l’échelle temporelle, une seule ère est reconnue pour l’ensemble des inscriptions : son caractère englobant et unique en annule la pertinence pour une analyse distributionnelle. Il reste donc les cycles du mois et de l’année. Nous développerons ici l’analyse de la distribution sur les mois de l’année, renvoyant à une autre étude l’analyse de la distribution sur les années de l’ère.

Dans cette démarche, les mois jouent le rôle de réceptacles entre lesquels seront distribuées les inscriptions. Comme dans toute analyse de type statistique

Page 40: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace252 253

• Comme l’avait noté Chabot, le mois de Adar-Dystros-Mars offre un nombre d’occurrences (63) supérieur à la moyenne (41). Ce n’est pas un pic, mais il offre plus d’occurrences que les 48 du pic de Loios-Ab-Août. Ce fait s’ajoute aux autres critères qui invitent à lire l’histogramme en termes d’ondes et de groupes de mois :• Dans un premier groupe de six mois (saison longue), allant de Tebet-Audnaios-Janvier à Siwan-Daisios-Juin, la fréquence des inscriptions augmente régulièrement avant de descendre plus brutalement : elle monte en quatre étapes de 28 (Tebet) à 37 (Shebat), puis 63 (Adar) et 101 (Nisan) puis redescend en deux étapes à 34 (Ayar), 37 (Siwan).• Dans un deuxième groupe de quatre mois (saison courte), allant de Ab-Loios-Août à Kanun-Deios-Novembre, la fréquence des inscriptions est relativement forte. Le pic de ce groupe ne situe pas vers le milieu du paquet mais à son début : 48 occurrences pour Ab, avec un creux relatif à 38 (Elul) et 39 (Tishry), et une remontée finale à 42 (Kanun).• Pour les deux groupes, il y a une remontée relative des occurrences au dernier mois du groupe. Ce fait morphologique trouvera une explication sémantique ci-dessous.• Ces deux groupes de mois fournis sont séparés par deux mois pauvres en inscriptions : le mois de Qnyn-Panemos-Juillet (13) et le mois de Kislul-Apellaios-Décembre (9).

• La FORME DE L’ONDE annuelle est repérée par des caractères morphologiques (deux creux séparant deux pics) : elle démarre après un creux en Kislul-Apellaios-Décembre (9 occurrences) marquant la valeur minimale de toutes les occurrences mensuelles de l’année, et se termine par ce même creux. Ainsi reconnue par des critères de forme, l’onde annuelle n’est pas calée sur l’année babylonienne mais elle « enjambe » la date séparant deux années successives : la FORME DE L’ANNÉE manifestée par l’activité SCRIPTURAIRE ne s’inscrit pas dans la FORME DE L’ANNÉE CALENDAIRE, mais elle s’inscrit en décalage.

L’allure de l’onde est si particulière que nous nous sommes demandé si elle ne résultait pas d’un hasard du corpus qui nous est parvenu. Nous avons donc procédé à une vérification formelle de type statistique destinée à valider l’allure de la courbe indépendamment de l’échantillon utilisé. En restreignant le corpus de HILLERS & CUSSINI à ses 600 premières occurrences, nous trouvons 225 inscriptions datées par mois. L’histogramme de distribution présente alors l’allure suivante :

araméenne donne l’histogramme ci-dessous. Dans ce schéma, l’année commence en Nisan-Xandikos-Avril. Afin de mieux faire apparaître la périodicité du phénomène, nous avons représenté 48 mois successifs formant quatre années. Sur ce schéma, l’onde périodique ayant douze mois de longueur a été graphiquement mise en évidence :– En gris clair figurent les douze mois de l’année araméenne dans l’ordre de la tradition babylonienne (la correspondance avec les noms de mois macédoniens est palmyrénienne),– En noir figurent les douze mois de l’onde statistique définie par ses critères de forme déterminés par les creux et les pics de l’onde même,– En gris sombre (ou en rouge dans la version couleur) figurent les 24 mois restants.

• L’onde (en noir) est bimodale, manifestant deux pics (ou modes) et deux creux. Le pic majeur de Nisan-Xandikos offre 101 occurrences, soit près de deux fois et demi la valeur de l’occurrence moyenne. Le pic mineur de Loios-Ab-Août offre une fréquence de 48, soit légèrement supérieure à la moyenne. Le rapport entre les valeurs des deux pics est supérieur à 2/1 : il n’y a aucun doute sur le fait que le mois de Nisan est le mois privilégié pour les inscriptions en langue araméenne à Palmyre.

Page 41: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace254 255

L’inventaire DELPLACE des inscriptions grecques de Palmyre contient 371 occurrences, parmi lesquelles 122 sont dotées d’un nom de mois, soit une proportion proche de 33 %. C’est presque le double du rapport correspondant pour les inscriptions araméennes. Cette différence nette peut être attribuée au caractère « officiel » des inscriptions lapidaires en langue grecque : dans une ville où l’onomastique indique la prédominance des groupes araméens et arabes, la langue grecque est celle de l’expression politique en relation avec les pouvoirs séleucide et romain. La gravure tend donc à être plus soignée (donc plus durable) et l’expression de la date plus complète.La distribution des 122 occurrences sur douze mois donne l’histogramme ci-dessous. Dans ce schéma, l’année commence en Hyperberetaios-Tishri-Octobre selon le modèle macédonien, puisqu’il s’agit de langue grecque. C’est aussi le début favorisé par l’hypothèse de Ingholt extraite des traits de gravure sur un cadran solaire trouvé à Palmyre (INGHOLT 1 936). Afin de faire mieux apparaître la périodicité du phénomène, nous avons représenté 48 mois successifs, formant quatre années.

• L’onde périodique est bimodale, manifestant deux pics (ou modes) et deux creux. Le pic majeur de Xandikos-Nisan-Avril offre 41 occurrences, soit QUATRE fois la valeur de l’occurrence moyenne (122/12 = 10,2 occurrences par mois). Le pic mineur de Loios-Ab-Août offre 13 occurrences, soit 30 % au-dessus de la valeur moyenne. Le rapport entre les valeurs des deux pics est supérieur à 3/1 : il n’y a aucun doute sur le fait que le mois de Nisan est le mois privilégié pour les inscriptions en langue grecque à Palmyre.• Le mois de Dystros-Adar-Mars offre 16 occurrences, soit 60 % de plus que la valeur moyenne. Ce n’est pas un pic, mais il offre plus d’occurrences que les 13 du pic de Loios-Ab-Août. Ce fait s’ajoute aux autres critères qui invitent à lire l’histogramme en termes d’onde et de groupes de mois.

En restreignant le corpus de H&C à ses 1 000 premières occurrences, nous trouvons 254 inscriptions datées par mois. L’histogramme de distribution présente alors l’allure suivante :

En restreignant le corpus de H&C à ses 1 626 premières occurrences, nous trouvons 357 inscriptions datées par mois. L’histogramme de distribution présente alors l’allure suivante :

Malgré la variation quantitative des données de départ, l’allure de l’histogramme est la même : l’onde annuelle est bimodale, les groupes de mois (6-1-4-1), les pics et les creux se retrouvent calés sur les mêmes mois. Il en découle que le phénomène est indépendant de l’échantillon et que l’allure de l’onde de forme est acquise dès les 600 premières inscriptions araméennes du catalogue H&C. Si les fouilles retrouvent d’autres inscriptions araméennes, ce qui ne manquera pas d’advenir, ces dernières n’entraîneront pas un changement d’allure de la courbe. Le résultat morphologique est acquis pour ce site, indépendamment de l’échantillon aléatoire d’inscriptions araméennes prises en compte. Reste alors à vérifier si un phénomène similaire est manifesté par la distribution des inscriptions grecques.

Page 42: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace256 257

Des formes de cette séparation, on peut conclure que le phénomène de la distribution bimodale n’est pas un artefact résultant de la réunion de toutes les inscriptions en une classe unique et qu’il s’exprime en chacune d’elles. On reconnaît clairement sur les histogrammes des catégories dédicatoire et honorifique l’allure bimodale de l’onde de forme identifiée ci-dessus. L’histogramme des inscriptions funéraires la manifeste d’une manière moins nette quoique reconnaissable. Dans cette dernière classe, la cloche de distribution (ROSENSTIEHL & MOTHES 1 968) autour de l’équinoxe de printemps est nettement dessinée, celle de l’automne est déformée avec un démarrage lent et un pic final. Deux hypothèses se présentent pour expliquer ce phénomène :• Le culte des morts est fortement lié à l’équinoxe de printemps. La validation d’une telle hypothèse exigerait la présence de textes religieux qui font défaut jusqu’à présent. Elle est donc non falsifiable pour le moment.• La courbe des inscriptions funéraires est faussée par la présence de deux types d’inscriptions dans ce domaine : donatoires (fondation) d’un côté, commerciales (cession) de l’autre. Cette hypothèse est vérifiable : il faudrait trier cet ensemble en ses deux composantes pour vérifier comment elles se comportent. Cela reste à faire.

3.54 Détermination religieuse de la distribution des inscriptions sur l’annéeNous avons vu (§ 3.34 & 3.35) que ces classes entretiennent des relations sémantiques croisées et que le nombre des inscriptions religieuses y est écrasant. On peut en déduire que la dimension sémantique religieuse subsume l’interprétation de la distribution des inscriptions conservées à Palmyre : les dons qui y étaient accomplis étaient effectués à des moments largement déterminés par des raisons religieuses. Ce qui présuppose que tous les moments ne se valent pas pour accomplir un tel acte. En d’autres termes, ils étaient pratiqués à des moments religieusement favorables pour le don. Si le terme faste n’était pas si fortement marqué par la culture antique romaine, on serait tenté de l’utiliser à ce propos. Mais il serait peut-être déplacé en contexte palmyrénien.

L’existence de périodes religieusement favorables pour le don est susceptible d’expliquer pourquoi les inscriptions honorifiques, qui relèvent aussi de la catégorie donatoire, se conforment au modèle temporel du don religieux, conférant à ce dernier un caractère sémantiquement plus général. Ce qui confirme, si besoin était, les liens sémantiques dégagés entre les catégories du religieux et du politique à Palmyre.

• Dans un premier groupe de quatre mois (le groupe est de six mois pour l’araméen), allant de Audnaios-Tebet-Janvier à Xandikos-Nisan-Avril, la fréquence des inscriptions augmente régulièrement avant de s’effondrer brutalement : elle tombe de 41 à 3.• Dans un deuxième groupe de quatre mois, allant de Loios-Ab-Août à Deios-Kanun-Novembre, la fréquence des inscriptions est relativement forte, commence par un pic (13) pour le groupe et se termine par une remontée relative (9) après un petit creux.• Ces deux groupes de quatre mois fournis sont séparés par deux groupes de mois pauvres en inscriptions : le mois isolé de Apellaios-Kislul-Décembre d’une part (3 occurrences), les trois mois groupés allant de Artemisions-Ayar-Mai à Panemos-Qnyn-Juillet (3 occurrences chacun). D’où la séquence 4-3-4-1.• La FORME DE L’ONDE annuelle, repérée par ses caractères morphologiques de creux et de pics, n’est pas calée sur l’année calendaire : elle démarre après un creux en Apellaios-Kislul-Décembre et se termine par ledit creux.

Tant en langue araméenne qu’en langue grecque, la distribution des inscriptions de Palmyre sur les mois de l’année manifeste la même allure bimodale, avec un pic majeur en Nisan-Xandikos-Avril et un pic mineur en Loios-Ab-Août, séparés par deux creux. L’allure de l’onde peut changer en fonction de l’échantillon ou de la langue, mais ses caractères distinctifs sont stables : elle caractérise donc une structure interne de l’activité scripturaire palmyrénienne. Il reste à l’interpréter.

Avant de revenir à la dimension sémantique des inscriptions, il convient de clarifier l’un des aspects formels de la démarche ayant produit les résultats ci-dessus. Les inscriptions dotées d’une mention de mois ont été considérées ensemble, restreignant l’analyse distributionnelle au critère du mois dans l’année, et écartant l’information relative à la position de l’année dans l’ère. Or les 489 inscriptions considérées sont occurrentes entre l’an 269 et l’an 585 de l’ère séleucide, soit sur un intervalle de 316 ans. Ce qui implique une moyenne de 1,55 inscription araméenne par an, ou une moyenne annuelle de 1,93 inscription en réunissant dans la même classe les occurrences en langue araméenne et en langue grecque. Ce chiffre est faible. C’est pour amplifier le phénomène, afin de le rendre plus lisible, que nous avons distribué l’ensemble des occurrences sur une année unique. Il s’agit donc d’une année artificielle, ce qui impose certaines précautions dans l’interprétation des résultats.La stabilité de l’allure de la distribution, traduite par ce que nous avons appelé l’onde de forme, valide la procédure et invite à accorder du crédit aux résultats. Malgré cela, il convient de signaler que la procédure présuppose une hypothèse non discutée jusqu’ici : celle que le phénomène (distribution selon les mois de l’année) a été constant durant les 316 années du corpus. Ce qui équivaut à dire qu’il n’aurait pas connu de variation au cours de ce laps de temps. Une telle hypothèse n’est pas anodine. Nous y reviendrons.

3.53 Distribution selon les catégories énonciatives des inscriptionsLa séparation des trois catégories de Jaussen et Savignac et leur distribution différenciée sur les douze mois de l’année présente l’allure suivante :

Page 43: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace258 259

Corrélativement et de manière symétrique, les mois creux, ceux par lesquels très peu d’inscriptions sont datées, apparaîtraient comme des mois défavorables aux dons. Ce qui n’équivaut pas à dire que les dons y étaient interdits, car si tel était le cas, on n’y trouverait aucune inscription. Mais les dons n’y étaient pas encouragés.

L’ensemble de ces remarques oriente l’interprétation sémantique vers une structure modale particulière, celle de la virtualisation du sujet (GREIMAS & COURTÈS 1979 : 420). Alors que les structures religieuses procèdent habituellement par des prescriptions et des interdictions relevant d’une isotopie déontique (devoir faire, devoir ne pas faire), l’analyse statistique des inscriptions donatoires de Palmyre nous oriente, par la question des moments favorables et défavorables, vers une isotopie manipulatoire volitive (faire vouloir faire, faire vouloir ne pas faire). La latitude de réalisation laissée aux sujets est responsable du caractère réparti de la distribution. La modalité du vouloir est cohérente avec l’isotopie politique : ce serait donc le caractère complexe religieux-politique de l’idéologie palmyrénienne qui entraînerait ce phénomène.

D’après les chiffres de répartition statistique, il apparaît clairement que le mois de Nisan-Xandikos-Avril fonctionne comme un attracteur majeur : les palmyréniens étaient nombreux à y effectuer leurs dons, quelque chose les encourageait en ce sens. Ils le faisaient aussi un peu avant ledit mois, ou un peu après, déterminant un mode statistique avec une répartition en cloche de Gauss pointue (ROSENSTIEHL & MOTHES 1 968). Or, dans le domaine religieux, une telle date est liée aux festivités du nouvel an, dites Akîtu depuis le troisième millénaire dans une large part de la Mésopotamie, et célébrées à Babylone au début du mois d’Avril calé sur l’équinoxe de printemps. Nous devrons donc examiner en particulier cette question, qui est à la clef de l’interprétation de la distribution mensuelle des inscriptions palmyréniennes.

3.55 Les rites d’Akîtu et leur diffusionDresser le portrait des rites d’Akîtu exigerait un ouvrage entier. Nous nous contenterons ici d’une présentation succincte. Le lecteur intéressé pourra consulter des éléments de données dans l’ouvrage Cultic calendars of the ancient Near East (COHEN 1 993). Par le lien direct qu’ils entretiennent avec le nouvel an, ces rites jouent un rôle important dans l’articulation religieuse de l’année. Plusieurs tablettes cunéiformes détaillent le déroulement du rite et reproduisent les textes qui y étaient récités (THUREAU-DANGIN 1 921).Le tableau ci-dessous donne un inventaire partiel des occurrences connues, commençant par les villes où le rite est attesté par les tablettes cunéiformes, le siècle où le rite est attesté, sa dénomination locale, la divinité principale qui y était honorée, le sanctuaire urbain et le sanctuaire extra-urbain du culte, le mois du festival et le rang du mois dans l’année, les jours du culte et leur rang dans le mois, avec les références de la source où l’information est donnée. On notera que certaines villes possédaient plusieurs Akîtu.

Page 44: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

articuler le temps à tadmor-palmyresémiotiser l’espace260 261

terme Akîtu lui-même ne soit jamais occurrent dans les inscriptions palmyréniennes, la comparaison s’impose par la co-présence, dans le temple de Bel, d’autres indices convergents pointant dans la même direction. Il s’agit essentiellement de bas-reliefs sculptés représentant des scènes narratives. Si le contenu de chacune des scènes ne suffit pas à établir le dit rapport avec certitude, la réunion des scènes, conjointe à la date du début Nisan, ne laisse pas de place au doute.

Les scènes en question figurent sur deux poutres de pierre (désignées comme les poutres A et B par les archéologues37) retrouvées au sol pratiquement à la verticale de leur emplacement d’origine entre les colonnes du péristyle et le mur Ouest de la cella, immédiatement au Sud du portail. La face a de la poutre A porte une scène de rencontre entre deux divinités, dans un cadre où l’on voit un arbre et l’extrémité d’un édifice reconnaissable comme un temple « in antis ». La face b de la poutre A représente, à proximité d’un ensemble de divinités, un combat entre un personnage doté de quatre membres inférieurs serpentiformes et deux attaquants, celui de droite étant un cavalier, celui de gauche un archer monté sur un char. La face a de la poutre B représente, passant en procession devant des personnages spectateurs, un chameau portant une nacelle couverte portant des traces de couleur rouge. Par l’ouverture avant de la nacelle, le sculpteur montre l’extrémité d’un bétyle. La face b de la poutre B représente des prêtres portant le calathos38 officiant deux par deux de part et d’autre de pyrées métalliques surmontés de flammes (=Thymiaterion).

La scène du combat illustre un épisode du mythe par lequel Bel accède à la souveraineté parmi les dieux. La scène de la procession avec bétyle illustre le déplacement des dieux régionaux pour l’Akîtu. Celle de la rencontre de deux divinités entre un arbre et un temple illustre la conjonction des dieux au sanctuaire extra-urbain. Celle des prêtres nombreux officiant de part et d’autre d’autels illustre les rites de conjonction.

En reconnaissant à Palmyre un rite d’Akîtu, susceptible de subsumer une interprétation intégrant ensemble la distribution des inscriptions donatoires et les bas-reliefs du sanctuaire majeur inauguré en Nisan, on agrège la ville à un paradigme sémitique étendu dans l’espace et dans le temps. Ce qui ne manque pas d’intérêt.

Un Akîtu de printemps s’impose tant par les inscriptions que par les bas-reliefs. Cependant, les histogrammes de distribution ont présenté une allure bimodale constante, ce qui impose d’interpréter cela en liaison avec l’Akîtu dont nous acceptons la présence à Palmyre. Un détail des bas-reliefs fournit une clef à cet égard : sur la face a de la poutre A, sous la poignée de mains des dieux, on voit des offrandes végétales :

Sur chacun des deux autels (ou tables d’offrande), on voit quatre fruits. Sont identifiables sans confusion possible deux grenades et une pigne sur l’autel de gauche, deux pignes et une grenade sur l’autel de droite. Le quatrième fruit peut être identifié comme une poire ou un coing (il est occurrent aussi sur les guirlandes sculptées en frise en d’autres points du temenos). Le point important n’est pas tant la nature de

Le noyau dur du rite semble se construire autour d’une sortie du dieu urbain, accompagné en procession par une partie de la population, vers un sanctuaire extra-urbain où viennent le rencontrer des divinités « extérieures » accompagnées par une partie des populations qui leur rendent un culte dans leurs lieux de résidence respectifs.

Doté d’une tonalité religieuse domi-nante, l’événement possède néanmoins une dimension socio-politique indéniable, puisqu’il met en co-présence pacifique les populations de la ville avec les populations de la région qui est en contact direct avec elle.À partir de ce schéma de base, on peut reconnaître comme rites d’Akîtu des pratiques qui n’ont pas été désignées comme telles auparavant. On en retrouve des occurrences au Yemen et au Hijaz, où le Hajj de Makkat préserve, sous une forme islamisée, la structure de base d’un Akîtu (HAMMAD 2 003). En Syrie du nord, Alep présentait encore au dix-neuvième siècle un rite similaire quoique simplifié.

Une inscription palmyrénienne (CANTINEAU 1933 : IX,1) précise la date de l’inauguration du sanctuaire de Bel. Gravée sur la base d’une statue élevée dans l’enceinte du temple au mois de Tishry 357 ES (= 45 EC), elle dit que Lishamsh fils de Taibbol inaugura le temple de Bel le sixième jour du mois de Nisan de l’an 343 ES (= 32 EC). La conjonction du nom de Bel avec une date de Nisan appelle la mise en relation avec les rites d’Akîtu, célébrés le même mois à Babylone en l’honneur de Bel Marduk. Bien que Palmyre soit séparée de Babylone par plus de trois cents kilomètres, et que le

Page 45: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

sémiotiser l’espace278

VILNIAUS UNIVERSITETASExploration sémiotique de l’architecture et des plans

37 Dessins détaillés dus à Robert Amy dans SEYRIG,H., AMY,R., WILL.E., Le temple de Bel à Palmyre, volume Album pages 89 à 92, Paris, Geuthner, 1975.

38 Coiffe rituelle des prêtres palmyréniens.39 Coran, Sûrat Quraysh (n°106), Ayat 2.40 Le calendrier assyrien présentait la même particularité. Nous préparons une publication sur ce

sujet. Travaux en cours.41 On reconnaît aussi des aspects dans de nombreuses autres langues, dont le chinois et le hopi.

Page 46: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

VILNIAUS UNIVERSITETASExploration sémiotique de l’architecture et des plans

à la mémoirede mon maître et ami

Algirdas Julien Greimas

1 REMARQUES LIMINAIRES

Cette analyse est née d’une d’opportunité. Le Greimo Centras de l’Université de Vilnius1 m’invita en 2012 à faire une série de conférences portant sur mes travaux en sémiotique de l’espace. J’ai suggéré alors d’animer un séminaire portant sur un cas concret, pour dynamiser la participation des chercheurs présents. On me proposa le site même de l’Université de Vilnius. Ce choix reflète la valorisation de ce lieu en Lituanie : résultat d’une longue croissance perturbée par quelques secousses, cet ensemble de bâtiments témoigne de l’histoire du pays. Peu de sites universitaires dans le monde gardent des éléments du seizième siècle parmi les additions des périodes suivantes. Cette institution témoigne en plus du désenclavement intellectuel du pays, dont la situation riveraine de la Baltique impliquait un éloignement certain par rapport aux centres où s’élaborait le savoir européen. L’analyse fut amenée à expliciter que, dès ses débuts, l’Université de Vilnius attestait l’opposition implicite entre valeurs locales et valeurs universelles.

J’ai visité l’ensemble des lieux à trois reprises. Afin de mieux saisir ce complexe spatial, j’ai demandé si l’on pouvait en trouver des plans. Deux ouvrages d’histoire de l’architecture en avaient publié2, mais l’échelle était petite et les détails peu lisibles. Justinas Dudenas et Magdalena Slavinska trouvèrent dans les archives du département de l’héritage culturel auprès du Ministère de la Culture (Kulturos Paveldo Departamentas prie Kulturos Ministerijos) un corpus remarquable, rassemblant plus de cent plans, pliés et regroupés en « albums » selon une logique dépendant de projets d’aménagement successifs. J’ai été amené à opérer un choix dans ce large ensemble, selon des critères qui seront détaillés ci-dessous. En cours d’analyse, partant des références mentionnées dans les ouvrages évoqués, j’ai retrouvé à la Bibliothèque Nationale de Paris un ensemble de plans dessinés pour Vilnius aux seizième et dix-septième siècles, parmi lesquels j’ai retenu un petit nombre dont la pertinence sera précisée.

SOMMAIRE

1 REMARQUES LIMINAIRES 2812 REMARQUES MÉTHODOLOGIQUES 289 2.1 Langage /vs/ Discours 289 2.2 L’hypothèse du langage descriptif 289 2.3 Conventions de représentation : langage régissant le langage descriptif 290 2.31 Le plan d’architecte est une coupe à un mètre du sol 290 2.32 Représenter les murs /vs/ Représenter les Voûtes : 292 2.4 Énonciateur construit et Énonciataire construit 296 2.41 L’énonciateur du plan 297 2.42 Lecteur énonciataire construit 2973 ESQUISSE D’ANALYSE DE CONTENU 299 3.1 Intervention du lecteur Destinataire 299 3.2 Lecture diachronique des plans 299 3.21 Distribution temporelle des plans 299 3.22 Diachronie extensive des transformations 301 3.23 Inscription de l’Université en face de l’église St Jean 303 3.24 Adoption des directions cardinales 304 3.3 Lecture syntaxique de l’espace physique 305 3.31 La cour comme unité constructive 305 3.32 L’organisation topologique des cours en résille 308 3.33 L’organisation semi-axiale initiale et son investissement sémantique 313 3.34 L’organisation sémantique projetée par les visites publiques 314 3.35 Les portiques sur arcades et leur valeur énonciative 316 3.36 Récapitulation sur les effets de sens syntaxiques 319 3.4 L’espace social inscrit dans les plans et bâtiments 321 3.41 La société universitaire présupposée par les plans 323 Groupes sociaux impliqués par les plans 325 La société universitaire distribuée dans l’espace 327 La société universitaire distribuée dans le temps 328 La société universitaire réunie dans l’espace et le temps : Salles collectives de Prestige 328 3.42 Les bâtiments universitaires orientés vers le public 330 L’Université en perspective externe 330 Le bâtiment Nord-Sud : Réfectoire, Galerie de Minéralogie, Bibliothèque 331 Le bâtiment Est-Ouest : l’Observatoire 336 La conjonction des bâtiments N-S et E-W sur la cour d’accueil 337 3.43 Les espaces semi-publics orientés vers la société universitaire 339 Cadre énonciatif 340 Vestibule des fresques baltes 341 Vestibule des fresques grecques 345 Mise en opposition des deux vestibules peints 347 3.5 Les acteurs non humains de l’espace universitaire 348 3.51 Les acteurs immatériels présupposés par l’architecture 349 Le froid 349 Le feu 351 Le temps 355 3.52 La mise en visibilité des solutions techniques 358 La mise en visibilité comme stratégie discursive 359 Les couvrements internes et les façades externes 361 Les toitures 3684 EN GUISE DE CONCLUSION 371BIBLIOGRAPHIE 375NOTES 378TABLE DES ILLUSTRATIONS 380

Page 47: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

sémiotiser l’espace282

Fig. 3, 4, 5, 6. Plans d’ensemble de l’Université de Vilnius.Le Nord est à gauche.

Les plans sont rangés par date,ramenés à la même échelle.

Les trois plans à droite placent sur une même verticale leurs éléments homologues.Noter l’extension progressive en surface.

3. Sur fond blanc. Plan de 1773 (ou 1780), annoté en Latin, reproduit dans un

ouvrage d’histoire de l’architecture.

4. Sur fond bleu (tirage). Plan de 1802, annoté en Français. (Archives DHC)

5. Sur fond rouge (tirage). Plan de 1921, annoté en Polonais. (Archives DHC)

6. Sur fond jaune. Plan de 1997, dossier projetant des travaux. (Archives DHC).

Fig. 2. Plan métallique placé à l’entrée de l’Université. (Photo MH).1 Grande Cour2 Cour de l’Observatoire3 Cour de la Bibliothèque4 Cour Sarbievijus5 Cour Dauksa6 Cour Daukantas

7 Cour des Arcades8 Cour Gucevicius9 Cour Mickevicius10 Cour Stanevièius11 Cour Sirvydas12 Cour de l’ancienne imprimerie13 Cour des Bourses

Fig. 1. Vue satellite de l’Université de Vilnius insérée dans le tissu urbain. Le Nord est en haut. (Google)

Page 48: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

Fig. 9. Plan de 1642. Projet approuvé en 1643, annoté en Latin, représentant le Premier Étage de l’Université. (BnF)Fig. 8. Plan de 1582. Les façades sont rabattues autour de la Grande Cour. Un mur diaphragme sépare l’Université de l’église St Jean. (BnF)

Page 49: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 303sémiotiser l’espace302

l’université à partir de son noyau initial : elle s’est étendue à l’Est, au Sud, au Nord, et tend à occuper la totalité de l’îlot urbain déterminé par les rues de l’Université, de St Jean, Pilies et Skapo. On peut donc lire dans cette évolution un tropisme extensif aux dépens d’espaces auparavant privés, et dont les limites sont les espaces publics de circulation. On peut prédire sans gros risque d’erreur que l’Université occupera la totalité de son quadrilatère urbain dans un temps relativement proche.

3.23 Inscription de l’Université en face de l’église St JeanL’Université fut fondée sur une parcelle de terrain située à l’Ouest de l’église St Jean, le long d’une rue qui prendra le nom de l’université. Ladite église était l’édifice de culte majeur de Vilnius et desservait la ville dans sa totalité. Lors de la fondation de l’Université, cette dernière ne fut pas dotée d’une église propre, et l’église St Jean fut confiée aux jésuites qui dirigeaient l’université. On a beau rappeler qu’un mur séparait l’université de l’église, et que l’église continuait à desservir les habitants de la ville, il y a dans l’implantation de l’université face à l’église, et dans la direction jésuite commune à l’église et à l’université, des indices qui suggèrent fortement que l’église St Jean était destinée à rejoindre l’université. On attendit pour finaliser l’opération que d’autres églises importantes soient construites en ville, et que l’université prenne de l’ampleur.

Notons, dès l’implantation initiale, que la relation spatiale de vis à vis entre les deux lieux (Expression) manifeste une relation symbolique désirée (Contenu). Un ancien dessin, daté de 1582, montre l’existence d’un mur modérément haut (deux à trois mètres) marquant la séparation entre la grande cour de l’Université et l’église St Jean13. Un portail sobre était ouvert dans ce mur, dans l’axe de l’église, pour autoriser la circulation et marquer la relation entre ces deux espaces encore autonomes. Les fondations de ce mur ont été retrouvées par les archéologues en 197814 sous le dallage de l’actuelle Grande Cour. Un plan de projet, daté du dix-septième siècle15, montre un accès direct (numéro 28) situé à l’étage entre un couloir de l’université et une coursive de l’église St Jean. Il subsiste aujourd’hui quelques traces architecturales

Fig. 20. Extrait du plan de 1582: la façade de l’église St Jean se profile derrière le mur qui ferme la Grande Cour vers l’est.

Fig. 21. Extrait du rapport de fouille de 1987, position des fondations du mur de séparation sous le pavé de la Grande Cour.

Fig. 19. Église St Jean. Façade actuelle sur la Grande Cour. Photo MH.

Page 50: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 305sémiotiser l’espace304

au caractère aléatoire du tracé des rues de Vilnius. Inscrite dans l’architecture dès la fondation, l’opposition universel / local se manifesta à maintes reprises ultérieurement, en particulier à la fin du vingtième siècle avec les fresques murales reprenant des thèmes mythologiques grecs et baltes.

Nous noterons au passage que l’orientation exacte Nord-Sud, mise en place au seizième siècle, simplifia l’installation des additions de l’Observatoire au dix-huitième siècle, en particulier le réglage du mur portant les lunettes méridiennes qui en faisaient la fierté.

3.3 Lecture syntaxique de l’espace physiqueParallèlement à l’analyse diachronique du corpus des plans, l’analyse synchronique tire profit du transfert de sens entre la forme de l’Expression graphique et la forme du Contenu sémantique. De ce fait, elle met en évidence une syntaxe logique qui se développe dans la simultanéité.

3.31 La cour comme unité constructiveEn Lituanie, la cour entourée de bâtiments semble être une unité constructive utilisée aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. L’étendue centrale à ciel ouvert est souvent de dimensions relativement importantes par rapport à l’anneau périphérique construit. L’ensemble ne présuppose pas un maître unique, mais il constitue un voisinage partageant un espace privé rendu semi-public par la multiplicité des propriétaires et par la circulation des usagers. Une ou plusieurs ouvertures assurent le passage direct entre l’extérieur et la cour. L’accès aux bâtiments périphériques se fait par la cour centrale et non par l’extérieur. Au vingtième siècle, bon nombre de nouveaux quartiers construits à Vilnius ont mis en œuvre de tels bâtiments autour de larges cours.

Ce schéma organisationnel contrôlant les accès et relevant d’une logique défensive est mis en œuvre dans l’Université dès le seizième siècle, et la croissance du complexe universitaire peut être décrite en termes de cours assemblées les unes aux autres par contiguïté. Lorsqu’un corps de bâtiment se trouve entre deux cours, on constate que l’entrée des salles se fait par un portique placé le long d’une cour, alors que les fenêtres des salles donnent sur une autre cour. Rares sont les cas où un couloir central dessert des salles placées de part et d’autre et ayant vue sur deux cours différentes.

Comparées aux autres cours de la ville de Vilnius, où l’on constate la présence régulière d’une végétation abondante, les cours de l’Université manifestent un caractère minéral marqué, à l’exception notable de la cour de l’Observatoire, laquelle fut fondée comme un herbarium destiné à procurer des herbes médicinales à l’apothicaire mentionné par les légendes des plans (l’herbarium est dessiné sur le plan de 1773, l’apothicairerie est mentionnée dans la légende du plan de 1802 annoté en langue française). On peut noter aussi la relative pauvreté en équipements prévus pour s’asseoir dans les cours. Ceci est probablement à mettre en liaison avec le froid des longs hivers qui ne favorise pas la vie en plein air. Mais, quelle que soit la raison ultime, il n’en reste

attestant qu’une telle connexion projetée a été réalisée, au moins pour sa partie initiale jonctive. La coursive haute de l’église semble avoir été coupée lors de l’adjonction d’une chapelle latérale sur le flanc nord.Nous avons visité, dans le voisinage immédiat du Rectorat actuel, les restes d’une ancienne chapelle construite au premier étage face à l’église St Jean. En hauteur, son volume occupait le premier étage et le deuxième étage à la fois. Par son emprise horizontale et son implantation topologique, cette chapelle était destinée à la direction de l’Université. Elle n’aurait pu, en aucun cas, accueillir l’ensemble du corps enseignant et celui des étudiants. Pour les réunions plénières en relation avec le divin, l’église St Jean a été nécessaire pour l’Université.Signalons que le plan de 1921, établi après la réouverture de l’Université, n’inclut pas l’église St Jean parmi les bâtiments universitaires (fig. 18). Cette exclusion (motivée par des raisons idéologiques) est marquée graphiquement de deux manières :- Le plan de l’église n’est pas dessiné, alors que les autres bâtiments universitaires sont dessinées.- Entre l’église St Jean et la Grande Cour, le plan de 1921 dessine un alignement de piliers régulièrement espacés, qui représentent une arcade linéaire tendue entre le coin oriental du bâtiment Nord de la cour et le coin oriental de la bibliothèque méridionale (qui sera transformée en Salle des Colonnes). L’absence de traces au sol de ladite arcade permet de conclure que le plan de 1921 représente un projet qui n’a pas été exécuté à cet emplacement.

3.24 Adoption des directions cardinalesAlors que les rues de Vilnius sont curvilignes et suivent des directions aléatoires par rapport aux directions cardinales, on donna aux nouveaux bâtiments de l’Université des façades droites et on les inscrivit conformément aux directions Nord-Sud (corps de bâtiment du Rectorat, et celui du Réfectoire qui accueillit ultérieurement la Bibliothèque) et Est-Ouest (bâtiment au Nord de la cour de l’Herbarium, ultérieurement devenue cour de l’Observatoire). Ce fait est d’autant plus remarquable que l’église St Jean n’était pas exactement orientée Est-Ouest. Son orientation antérieure approximative fut conservée, même lors de sa reconstruction au dix-septième siècle, mais sa direction imposante ne fut pas adoptée pour les constructions de l’Université.Cependant, l’Université ne recula pas sur son terrain pour corriger l’orientation le long de la rue qui prit son nom : elle se contenta de respecter le tracé extérieur préexistant, légèrement brisé, pour tirer le meilleur profit du terrain qui lui était offert. L’ouverture de la porte au sommet de l’angle plat atténuait la perception de ce dernier. C’était la première manifestation en ces lieux de l’idée d’utiliser un artifice architectural pour masquer un manque de cohérence formelle. Nous verrons que le même procédé sera utilisé avec récurrence sur les cours, en particulier avec les portiques et avec la façade de la Salle aux colonnes sur la Grande Cour.

Ces questions d’orientation ne sont pas anodines. En adoptant des façades droites, l’Université affirmait la primauté de la régularité (et de la rigueur) sur l’irrégularité locale. En adoptant les directions cardinales pour ses nouveaux bâtiments, elle affirmait son adhésion à des valeurs universelles, valides en tout point du globe terrestre, et les opposait

Page 51: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 325sémiotiser l’espace324

GroupessociauximpliquésparlesplansRéparties sur la périphérie occidentale de la petite cour, on trouve trois salles dites communes (10, 13, 16-17), des latrines communes, cinq cellules d’habitation pour les professeurs (11), et une petite chapelle (18) dite « domestique pour les nôtres ». Les salles 10 et 13 semblent être des salles de travail scientifique : Logique, Physique, Métaphysique, etc. dit la légende. La salle 16-17 est une bibliothèque réservée aux professeurs24.Réparties sur la périphérie orientale et méridionale de la Grande Cour, on trouve sept salles d’enseignement, dites salle d’école (indiquées par les chiffres 1 et 3 répétés). Au Sud, à la jonction des deux cours, on trouve une grande salle de conférences (7- Aula sine salam), accessible par deux portes (5 et 8) ouvertes de part et d’autre du mur plein séparant les cours.

A partir d’une telle description, on peut proposer la répartition de l’ensemble du site universitaire en deux zones contiguës mais séparées : autour de la petite cour, la communauté des professeurs ; autour de la grande cour, l’école d’enseignement. La symétrie est cependant perturbée par l’attribution des salles juxtaposées formant l’aile Nord de la Grande Cour : ce sont les six cellules du Père Provincial, du Recteur, des deux Confesseurs, et de deux adjoints. Le positionnement des logements de ces personnes mérite un commentaire : ils ne sont pas logés avec les professeurs autour de la petite cour. On aurait pu les placer dans l’aile Ouest de celle-ci, là où sont logés des professeurs. En les plaçant autour de la cour de l’École, on affirme leur rôle administratif et non éducatif. En implantant leurs cellules sur le chemin qui mène de l’ensemble de l’étage à l’Église, on les place en position de contrôle quotidien par rapport à la population des élèves et des enseignants (ce groupe comprend des professeurs et des Maîtres, selon la légende relative au deuxième étage (dit 3°)).Une particularité de la distribution des lieux renforce la distinction entre le groupe des administrateurs et celui des professeurs : chacun de ces groupes dispose d’un lot de latrines communes qui lui est propre, regroupées en deux points éloignés vers le Nord et placés à l’extrémité d’un long couloir destiné à éloigner les lieux de vie des lieux émetteurs d’odeurs inévitables en l’absence d’un système de chasse.La société universitaire se trouverait donc distribuée en trois niveaux articulés par quatre relations sémantiques différentes :

Fig. 44. (Page 324) Plan du projet de 1610, étage supérieur.Noter l’assemblage de deux cours ouvertes dont les axes d’allongement sont orthogonaux. Un local collectif, à l’implantation distinguée, est prévu à droite au centre. En haut à droite, l’emplacement des latrines correspond à celui du plan de 1642. (BnF)

Fig. 45. (Page 324) Plan du projet de 1610, étage «médian». Noter que la cour orientale (en bas du dessin) est refermée par un corps de bâtiment (limité au rez-de-chaussée). Un local collectif, et des latrines se retrouvent à droite du dessin. Noter le changement de distribution entre étages. (BnF)

Fig. 43. Le plan de 1610 porte la mention que le projet est relatif à la reconstruction des bâtiments consumés par le feu. (BnF)

Page 52: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 327sémiotiser l’espace326

Lasociétéuniversitairedistribuéedansl’espaceLe plan de 1642 ne décrit qu’un étage sur un ensemble de quatre niveaux. Ce qui est insuffisant pour tenir un discours raisonné sur la distribution de la société universitaire dans l’ensemble des espaces qui lui sont dévolus. Il n’en reste pas moins que nous pouvons tirer de ce seul niveau des informations non triviales, que nous complétons par des informations tirées des plans de 1802:

Sur le plan de 1642 :1. Les administrateurs et les enseignants de l’Université y sont logés. Cela semble aller de soi. Il serait intéressant de comparer à la pratique des autres universités européennes de l’époque, mais nous ne disposons pas de l’information nécessaire. L’exemple des grandes universités anglaises (Oxford, Cambridge) indiquerait qu’il en était de même ailleurs, mais les exemples de Bologna en Italie et de la Sorbonne en France plaideraient en sens contraire. En tout état de cause, la situation de Vilnius en 1642 semble être l’héritière du Collège Jésuite qui fut transformé en Université : la résidence y était de règle.2. Le deuxième constat dépend du premier. Il concerne la présence des salles de cours 10 et 13 dans la partie « privée » des lieux : elles sont identifiées comme « communes », destinées aux « nôtres ». En d’autres termes, l’enseignement y est destiné aux jeunes jésuites en cours de formation, et non aux élèves externes qui suivent d’autres études. C’est ce caractère « interne » d’une partie de l’enseignement qui explique l’implantation des salles dans la distribution de l’ensemble.3. Le Provincial, le Recteur et les Confesseurs sont logés au premier étage, ce qui suffit pour caractériser ce dernier comme « étage noble ». L’expression était courante en Italie et en France pour désigner ce même étage dans les demeures de l’aristocratie. L’usage s’étend donc à l’Université de Vilnius. Du point de vue de la privatisation, les locaux de l’étage sont plus éloignés de la circulation publique, et leur accès est plus contrôlé : ils sont plus privés que le rez-de-chaussée.4. Tous les logements se réduisent à des salles simples (parfois dites cubicula : cellules pour dormir) dépourvues d’équipements sanitaires ou culinaires. Les besoins alimentaires et les besoins naturels sont extériorisés, pour être servis dans des locaux collectifs et non privés. Le modèle fonctionnel sous-jacent est celui du monastère et non celui de la résidence.5. La séparation des fonctions est étendue à celle de l’enseignement : les matières différentes sont enseignées dans des salles différentes (logique, physique, métaphysique…) ; les relations avec les externes se font dans d’autres salles. La bibliothèque est séparée, la chapelle est séparée. En ceci, l’espace universitaire s’oppose aux espaces domiciliaires de l’époque, où la multifonctionnalité des locaux était la norme.

Sur le plan de 1802:6. Les cuisines occupent quatre locaux regroupés deux par deux, les sites étant relativement éloignés l’un de l’autre, ce qui laisse entendre que l’activité culinaire n’y était pas faite pour les mêmes groupes, l’un étant interne et l’autre externe.7. On note la présence de remises et d’écuries : l’Université disposait donc de montures, et peut-être de voitures hippomobiles.

1- Administrateurs /vs/ Administrés (relation de contrôle hiérarchique)2- Les Administrés sont divisés en Enseignants /vs/ Élèves (relation selon la transmission du savoir)3- Les Enseignants sont distingués en Professeurs /vs/ Maîtres (relation selon le degré d’acquisition du savoir)4- Les Élèves sont distingués par une relation spatiale en Internes /vs/ Externes. Les élèves internes sont logés au troisième étage (dit 4°) de la Grande Cour.

Projetée sur les catégories précédentes, la relation spatiale fait apparaître les Administrateurs, les Professeurs et les Maîtres comme des Internes. C’est l’ensemble de ces internes qui est dit « nôtres » dans les rubriques de la légende, logés à l’intérieur de la clôture. On peut supposer qu’ils appartenaient tous à la Compagnie de Jésus.Ce qui peut être sommairement résumé par le schéma suivant :

Professeurs Enseignants MaîtresAdministrateurs Internes Élèves Externes

Un sixième groupe est présupposé par les dispositions architecturales du plan de 1642 : on y trouve en effet un ensemble de salles communes explicitement désignées comme chauffées (10, 13, 16-17). Les cheminées sont indiquées sur le plan en trait fin, et le dessinateur a pris soin d’en marquer la bouche d’alimentation : toutes les cheminées sont alimentées en combustible par l’extérieur des salles qu’elles chauffent. Le même dispositif est reconnaissable parmi les cellules d’habitation attribuées aux professeurs et administrateurs, comme parmi les salles de cours. Dans tous ces cas, les cheminées sont mitoyennes à deux locaux chauffés : leur chaleur est diffusée par chacun de leurs côtés allongés. Ce qui mérite commentaire, ce n’est pas le fait que l’on chauffe les locaux à Vilnius, puisque l’hiver y est rigoureux et que le chauffage s’impose. Ce qui est remarquable, c’est que toutes les bouches d’alimentation sont extérieures aux locaux chauffés, qu’ils soient à usage commun ou à usage individuel. En d’autres termes, c’est par le couloir froid que l’on ajoute le combustible. On pourrait arguer que le procédé vise à éviter un éventuel incendie, après celui de 1610 qui restait présent dans les mémoires. Cela est possible. Mais le procédé technique et sécuritaire a une incidence sociale : il présuppose un groupe de domestiques qui apporte le combustible, sans que les personnes chauffées n’aient à quitter leur environnement douillet. Les domestiques sont explicitement mentionnés (rubrique 21) pour le Père Provincial. Mais on les retrouve tout aussi explicitement, et en plus grand nombre, dans les plans de 1802. Le fait social est stable dans le temps, et la société universitaire est hiérarchiquement différenciée.

Page 53: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 329sémiotiser l’espace328

8. Certains personnages se voient attribuer plusieurs locaux contigus (ex : L’abbé Kundzaz, professeur émérite, bénéficie de sept locaux à l’étage). L’explication d’une telle situation n’est pas évidente.

Sur les plans de 1642 et 18029. Sur le plan de 1802 au moins deux locaux sont destinés à des domestiques, mentionnés par la légende. Sur le plan de 1642, le Provincial disposait de deux serviteurs logés à côté de lui, et l’ensemble des cheminées présuppose un groupe de domestiques dont le logement est inconnu.10. Les plans de 1642 et de 1802 indiquent la présence de salles de prestige (Aula) destinées aux grands événements de l’Université, auxquels le public est admis. Dès les débuts, ces espaces tendent à être placés dans la rangée Sud des bâtiments. Cette tendance n’a pas été démentie par l’évolution de l’Université. Nous aurons à y revenir.

Enfin, un groupe de quatre plans, datables vers 1820 ou peu après, fourmille d’indications sur les locaux et leur usage. Nous n’avons pas pu exploiter ces documents par manque de compétence linguistique : les commentaires y sont rédigés en polonais.

LasociétéuniversitairedistribuéedansletempsLa division de l’espace de l’Université de 1642 en partie privée (interne) et partie publique (externe) ne fait que transcrire spatialement une distinction temporelle qui différencie ceux qui ne passent qu’un bref laps de temps à l’Université (étudiants) de ceux qui y passent longtemps, pour ne pas dire toute leur vie (enseignants et administrateurs). Le plan de 1802 identifie même des professeurs émérites qui continuent à habiter dans l’université, et un « habitué ou mansionnaire de l’Église » (logé au numéro 17 du plan de l’étage 2).Quant au bâtiment dit Alumnatas, dont le nom suggère la présence d’anciens étudiants de l’université, il semble qu’il ait été dévolu à la formation de prêtres catholiques destinés à œuvrer au sein des églises uniates des pays orthodoxes. Alors que la fondation daterait de 1582, des plans datés de 1622 en donnent la forme actuelle.

Lasociétéuniversitaireréuniedansl’espaceetletemps:SallescollectivesdePrestigeCertaines salles de l’Université sont consacrées aux cérémonies relatives aux grandes entrées et sorties de l’université (accueil des nouveaux à l’université, distribution des diplômes de sortie, décès d’enseignant ou d’administrateur). Il est indubitable que de telles cérémonies assurent une interface périodique entre l’Université et le public extérieur. Mais elles remplissent aussi une fonction identitaire : elles permettent à la société universitaire de se voir elle-même, dans sa totalité, en fonctionnement. Elles ne sont donc pas uniquement dirigées vers l’extérieur, mais vers l’intérieur aussi. A ces titres, elles sont doublement nécessaires.

Fig. 46. (Page 329) Cour et portiques du bâtiment externe dit Alumnatas.Son plan est attesté dans les archives avec la date de 1622. (Photo MH)Fig. 47. (Page 329) Salle aux colonnes, dite aussi Aula, réservée aux réunions de prestige, en particulier les remises de diplômes. Les plans attestent qu’elle fut utilisée comme bibliothèque au dix-huitième siècle. (Photo MH)Fig. 48. (Page 329) Salle dite du théâtre, placée au premier étage entre le rectorat et la salle aux colonnes.Elle sert couramment aux réunions de préparation des doctorants. (Photo MH)

Page 54: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

Fig. 61. Vestibule balte. Voûtes et fresques murales.(Photo MH)

Fig. 62. Vestibule balte. Fresque de l’apiculteur.(Photo MH)

Fig. 63. Vestibule balte. Bas-relief des langues baltes disparues.(Photo MH)

Fig. 58. Vestibule balte. Voûtes et fresques murales.

(Photo MH)

Fig. 59. Vestibule balte. Fresque et inscription.

Chaire des études lituaniennes.(Photo MH)

Fig. 60. Vestibule balte. Fresque et inscription.

Chaire des études baltes.(Photo MH)

Page 55: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 345sémiotiser l’espace344

avec évidence que les saisons aient un caractère dominant, même si elles permettent de regrouper les scènes. Le discours visuel semble déborder largement les contenus du titre verbal.

VestibuledesfresquesgrecquesSitué au premier étage du bâtiment oriental de la cour Daukantas, ce vestibule est visible de la cour, à travers deux fenêtres, lorsque les conditions d’éclairage sont favorables. On y accède par une volée d’escalier droite faisant face à la porte d’entrée du bâtiment. De ce fait, le visiteur perçoit clairement la relation entre cet espace et celui de la cour d’accès : il n’y a aucune perte de repères comparable au cas du vestibule balte.Le vestibule a l’allure d’un palier rectangulaire spacieux, éclairé par deux grandes fenêtres aux vitres claires. Trois couloirs en partent, le premier devant l’escalier, le second vers la gauche, le troisième derrière la trémie d’escalier, près de la façade. Les murs peints sont divisés en grands panneaux rectangulaires réguliers, surmontés d’une frise et soulignés d’une bande, ces deux éléments linéaires étant ornés d’une suite de carrés figurant des caissons schématiques. Entre les grands rectangles à fond rouge grenat, de longues barres verticales, alternativement noires et blanches, dessinent des encadrements.A l’intérieur de chaque rectangle rouge on voit une grande figure féminine blanche, dont les plis des vêtements antiques trahissent le mouvement. Certaines des figures tiennent des instruments de musique, d’autres tiennent un masque ou des feuilles inscrites. Des caractères grecs, tracés en blanc sur le fond rouge et formant de grandes lignes courbes semblables à celles qui garnissent les vases attiques, inscrivent les noms de chacune des muses près de sa représentation.

Il suffit d’avoir des rudiments de culture classique pour identifier le contenu du décor ornant ce vestibule. Même en l’absence d’une indication verbale placée par les autorités universitaires, on identifie sans peine les neuf muses. On ne peut cependant deviner que le peintre s’appelle Rimtautas Gibavičius (1935-1993), ni qu’il peignit cet ensemble en 1969. Pour cela, il faut chercher l’information ailleurs.

Représentées de profil, les muses exhibent des yeux immenses surmontés de sourcils marqués rejoignant un nez grec caractéristique. Les visages ne sont guère personnalisés : ils tendent plutôt vers un type idéal, à la manière classique. Cependant, les fresques ne présentent pas des figures rouges sur fond noir, ni des figures noires sur fond rouge comme le firent tour à tour les céramistes attiques. Elles retiennent de l’ancienne tradition sa gamme limitée à trois couleurs mais elles se permettent des écarts en changeant la valeur du rouge et en adoptant le blanc pour les figures. L’interprétation de cet écart n’est pas fournie.Comme il n’y a qu’une figure par rectangle, les fresques ne présentent pas de scènes narratives identifiables. Mais les muses adoptent des attitudes dynamiques signifiant qu’elles sont en pleine action : l’immobilité du geste dessiné est instable, et le mouvement présupposé. Chaque figure est donc porteuse d’un programme d’action propre, même si les partenaires présupposés de l’interaction ne sont pas représentés.

croisées d’arêtes est peint en bleu nuit, celui des doubleau est blanc. Au bord des panneaux bleus, des figures peintes jouent au trompe l’œil avec le cadre, à la manière des fresques de plafond baroques. Les grandes surfaces murales sont découpées en panneaux inégaux séparés par des cadres blancs. La gamme de couleurs utilisées est restreinte : y dominent l’orange, le jaune, le blanc et le noir. Les panneaux sont occupés par des scènes narratives où figurent des personnages humains, masculins ou féminins, toujours nus, accompagnés de quelques animaux, arbres, ou des éléments mobiles. Personnages et scènes semblent être dispersés et disparates : les contenus narratifs restent incompréhensibles.

Dans la partie postérieure, sur un fond blanc tapissant une voûte en berceau, un grand arbre est dessiné au faîte et sur le tympan terminal du passage menant vers l’auditorium. Certains y voient un arbre de vie, mais les étoiles qui sont dessinées dans la masse du tronc induisent une autre lecture, celle de la voie lactée, qui serait vue comme l’arbre primordial dans certains mythes baltes. Sur le reste du berceau de la voûte, des cadres elliptiques et octogonaux délimitent des scénettes narratives dont le contenu n’est pas aisément compréhensible.

Il faut un commentaire verbal pour mettre cet ensemble de scènes en relation avec l’un des ouvrages d’Algirdas Julien Greimas, publié en langue lituanienne et dont la traduction française postérieure est intitulée «Des dieux et des hommes ». Il tente d’y reconstituer la cohérence des bribes conservées de la mythologie lituanienne, pour leur redonner sens. C’est alors que l’on peut interpréter parmi les fresques, par exemple, la silhouette d’un homme dont le visage est recouvert d’une résille et qui porte, enfilés sur son bras droit, deux petits cadres en bois : c’est un apiculteur en route pour entretenir une ruche30. Et l’on peut aussi replacer en perspective le bas-relief recouvert des noms de dialectes baltes disparus. Insérées entre la chaire des lettres baltes et la chaire de langue lituanienne, les œuvres plastiques de ce vestibule célèbrent la mémoire des anciennes populations baltes, ancêtres des lituaniens actuels. A défaut d’une galerie des ancêtres, ce lieu propose une version visuelle d’une mythologie incomplète et peu comprise. Exprimée en termes non verbaux, cette réalisation est un hommage parallèle à celui du sémioticien qui s’est penché sur l’aspect discursif de l’ancienne culture locale.

La fragmentation des scènes peintes correspond à la fragmentation des récits conservés, et la difficulté à les interpréter correspond à la difficulté d’interpréter les fragments littéraires. L’absence d’interprétation explicite écrite peut être lue comme l’expression de l’incertitude relative aux interprétations possibles. La mise en espace des œuvres, telle que nous l’avons brièvement décrite avec des mots, équivaut à un acte énonciatif : celui d’une invitation à poursuivre les études et la réflexion sur ce même matériau.

Précisons, avant de clore ce paragraphe, ce que rien n’annonce sur place : le peintre auteur de ces œuvres s’appelle Petras Repšys (né en 1940). L’ensemble des fresques a été peint entre 1974 et 1984. Elles représenteraient librement les saisons de l’année, chaque saison étant développée sur un mur. Au vu des scènes peintes, il n’apparaît pas

Page 56: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 347sémiotiser l’espace346

réponse est double. D’une part, les études anglaises, françaises et russes voisinent avec les études germaniques et les lettres classiques. D’autre part, la Renaissance italienne a voulu, au quinzième siècle, retrouver les valeurs universelles de la culture humaine en retournant aux œuvres littéraires et plastiques de la Grèce antique. L’Antiquité Grecque fut idéologiquement posée comme représentant des valeurs humaines intemporelles, valables pour tous les hommes. La tâche des hommes de la Renaissance était de promouvoir ces valeurs, aux dépens des valeurs qui prévalaient alors, et qui étaient identifiées comme Gothiques. L’architecture gothique fut décriée et dénoncée comme locale : l’universalité de la culture grecque était affirmée dans l’espace (partout), dans le temps (pour toujours), et dans la société (pour tous). La Renaissance milita avec force en ce sens : son action fut polémique, elle fit reculer le Moyen Âge. La création de l’Université à Vilnius manifeste, avec un siècle et demi de décalage, l’arrivée de la vague polémique de la Renaissance, dont les valeurs universelles devaient supplanter les valeurs locales. Au dix-neuvième siècle, ce furent les intellectuels allemands qui représentèrent pour la Lituanie les porteurs de la culture classique universelle. Ce qui permet d’interpréter l’implantation en ces lieux de l’ensemble de fresques considéré.

MiseenoppositiondesdeuxvestibulespeintsLa comparaison des deux vestibules met en évidence les valeurs profondes qui sous-tendent leur opposition : le vestibule balte représente le particularisme culturel local, le vestibule grec représente l’universalité de la culture classique. Ils ont en commun leur mode d’expression non-verbale et l’absence de message verbal d’accompagnement. S’ils sont installés tous deux au premier étage à proximité immédiate d’une cour, l’un explicite sa relation spatiale à la cour et l’autre la brouille. Ce faisant, ils expriment par

Fig. 66. Le Vestibule grec. est au premier étage, derrière les fenêtres surmontant l’inscriptionDOMUS PHILOLOGIAE (Photo MH)

Le visiteur est en droit de se demander pourquoi les muses sont installées là, entre l’inscription DOMUS PHILOLOGIAE, placée au-dessus de la porte d’entrée, et le département des études germaniques. Par ce rapprochement spatial qui équivaut à un acte d’énonciation, l’énonciataire est invité à rechercher ce qui est commun aux muses de la Grèce classique, à la philologie et aux études germaniques. La

Fig. 64. Vestibule grec. Fresques des muses.

(Photo MH)Fig. 65. Vestibule grec.

Fresques des muses.(Photo MH)

Page 57: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 349sémiotiser l’espace348

n’est pas question d’en faire l’inventaire, ni de mener une analyse exhaustive dans cette étude exploratoire. Nous ferons donc une sélection de ce qui nous paraît pertinent en première approche. Nous commencerons par les acteurs de l’environnement, tels que nous en avons déjà reconnu la présence dans des séquences signifiantes (Hammad 1985a, 1989a et 1989b), puis nous passerons à l’interaction sémiotique entre les formes de couvrement et les façades.

Ce faisant, nous illustrerons encore une fois, à la suite de nos travaux sur l’électromagnétisme (Hammad 1985a), le verre (Hammad 1989b) et les panneaux de façade de Le Corbusier à La Tourette (Hammad 1989a) le fait que les objets matériels sont investis, par les hommes, de valeurs modales destinées à réguler la circulation d’acteurs humains et/ou non humains. Il en découle que l’architecture et les objets manufacturés apparaissent comme des dispositifs délégués par les hommes pour interagir avec les hommes et les choses. Dans ces analyses, la dimension du Contenu assure la cohérence de la démarche sémiotique (Hammad 1985b). En raison de la nouveauté relative de certains développements, il sera nécessaire de tenir ici un discours méthodologique et épistémologique encadrant les éléments d’analyse appliquée à l’Université de Vilnius.

3.51 Les acteurs immatériels présupposés par l’architectureUn architecte qui examine les lieux selon une perspective technique reconnaît, dans la matière et la forme des bâtiments de l’Université de Vilnius, plusieurs éléments qui apparaissent comme une réponse apportée à des problèmes posés par des acteurs dont la matérialité n’est guère évidente : nous voulons parler du froid, du feu et du temps. Nous considérerons ces acteurs dans la mesure où ils ont une incidence sur la forme architecturale et nous montrerons que leur interaction avec l’architecture relève du sens.

LefroidLe froid n’est ni un objet ni une matière. Au terme correspond un concept, inscrit sur l’isotopie thermique. Les physiciens définissent une grandeur dénommée chaleur, reconnue comme l’une des formes de l’énergie, susceptible d’être emmagasinée dans la matière ou d’y circuler plus ou moins rapidement de manière quantifiable. Ce qui permet de reconnaître, du point de vue thermique, des matériaux isolants et des matériaux conducteurs. Dans le langage technique des constructeurs, le froid n’est que le contraire de la chaleur. Pour la climatologie, le refroidissement résulte parfois de la diminution d’exposition au rayonnement solaire, suite au mouvement de la terre sur son orbite (augmentation de la distance terre-soleil, inclinaison de l’axe de rotation par rapport au plan de l’écliptique), ce qui fait que la terre reçoit moins de chaleur. D’autres fois, sans que l’alternative soit exclusive, le refroidissement résulte du déplacement des masses d’air et de l’abaissement de leur température.

Il n’est pas question ici de faire de la thermodynamique ni de la climatologie. Nous nous contenterons de considérer quelques faits architecturaux pour en expliciter la relation sémiotique au froid :

un débrayage spatial la clarté de l’ancrage temporel de la culture grecque classique et l’indétermination de l’ancrage temporel de la culture balte locale. Le vestibule grec est un volume rectangulaire simple au plafond plat, alors que le vestibule balte est un assemblage de volumes voûtés doté de supports médians. Au foisonnement des scènes narratives baltes s’oppose la simplicité de la disposition des muses posées hors de toute temporalité narrative, en une position inspiratrice inchoative.

En somme, tant l’implantation topologique, que la morphologie volumétrique et la distribution des surfaces expriment, de manière non-verbale, l’opposition des valeurs baltes locales et des valeurs grecques universelles. L’espace d’un ici précis est associé à des valeurs peu déterminées, alors qu’un ailleurs imprécis est associé à des valeurs très déterminées. La situation paradoxale constatée résulte d’une longue action polémique passée qui s’était donné pour objectif d’affaiblir les contours d’une culture locale associée au paganisme, alors que la culture nouvelle importée était associée au christianisme : les pays baltes ont été les dernières terres européennes à adopter la religion qui prétend à l’universalité.

En accueillant de tels ensembles de peinture vers la fin du vingtième siècle, l’Université de Vilnius ne se propose pas de rallumer une lutte idéologique qui a déjà eu lieu et dont les résultats sont fermement établis. Elle ne peut donc que représenter visuellement les deux sources de la culture qu’elle se propose de développer dans le pays : une source locale, fondatrice de l’identité en ces lieux, et une source universelle, tout aussi constitutive de l’identité dans un monde en expansion. La coprésence de ces espaces peints équivaut à une assertion de coexistence pacifique, de type contractuel et non polémique. Alors qu’à sa fondation l’Université de Vilnius fut une institution universalisante dont le prosélytisme tendait à réduire le particularisme lituanien, elle se voudrait aujourd’hui conciliatrice entre les deux groupes de valeurs, assumant les deux composantes de l’héritage en ces lieux. Tout du moins, c’est l’image construite qui ressort de l’analyse. Le message non-verbal est adressé à la population universitaire interne : celle qui réfléchit sur sa culture et élabore la nouvelle culture du pays.

On notera que l’opposition entre les valeur locales et universelles était déjà repérable dans le tracé de l’implantation des bâtiments de l’Université à la fin du seizième siècle. L’isotopie que nous considérons traverse donc la longue durée dans l’institution et se retrouve dans différents moyens d’expression.

3.5 Les acteurs non humains de l’espace universitaireLorsque nous avons mis en place les concepts nécessaires à une analyse sémiotique de l’espace (GROUPE 107 : 1973 ; Hammad 1977, 1979, 1983), nous avons reconnu la nécessité de considérer l’interaction de trois composantes principales : l’espace comme étendue articulée disponible au mouvement, les hommes dont l’action et l’interprétation produisent le sens, les objets manipulés par les hommes dans l’espace. Nous avons successivement concentré notre attention, aux paragraphes 3.3 et 3.4, sur l’Espace de l’Université et sur la Société Universitaire. Il nous reste donc à considérer de plus près la troisième catégorie d’acteurs impliqués dans les processus signifiants. Il

Page 58: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 351sémiotiser l’espace350

• Rétrécissement des baies d’arcades. Au cours du dix-huitième siècle, on réduisit la taille des baies des arcades en y élevant des murs où l’on découpa des fenêtres. Cette opération améliora la fonction d’isolation thermique, aux dépens de la fonction qui laissait passer la lumière. Ce qui témoigne d’un choix effectué par les usagers : ils craignaient plus le froid, et pouvaient pallier la diminution de l’éclairage naturel par l’utilisation d’un éclairage artificiel à l’intérieur.• Vitrage des fenêtres sous arcades. A un moment ultérieur, peut-être au dix-neuvième siècle, les baies rétrécies des arcades, devenues fenêtres, furent garnies de vitres. Ces dernières fonctionnent comme un filtre sélectif, investi de deux modalités contraires à l’égard de deux acteurs différents : la vitre laisse passer la lumière (pouvoir faire) tout en empêchant le passage de l’air froid (ne pas pouvoir faire). Encore une fois, il s’agit d’un sujet délégué, analysable comme acteur syncrétique réunissant deux rôles actantiels pour réaliser un comportement donné à l’égard d’un sujet désirable (lumière) et un comportement différent à l’égard d’un anti-sujet indésirable (le froid).

Ce faisant, les portiques à arcades ont été progressivement transformés en semi-couloirs isolés de l’extérieur, et assurant, par leur fonction d’espace tampon, une meilleure isolation des salles de travail. Le tout pour le bénéfice de la société universitaire, qui réunit syncrétiquement, en dernier ressort, les rôles de sujet Destinateur manipulateur et de sujet Destinataire bénéficiaire. Il n’en reste pas moins que l’on peut décrire le phénomène considéré comme un processus diachronique, inscrit entre un avant et un après, où la transformation dynamique est une opposition entre le froid et l’architecture. Au cours du processus duratif, les formes de l’architecture changent pour mieux lutter contre le froid. Ledit processus est encore en cours : on peut s’attendre à de nouvelles évolutions dans l’avenir.

LefeuLe feu n’est pas un acteur matériel non plus. Malgré la commodité d’usage du terme, et l’ancienneté de son attestation dans toutes les langues, la notion recouverte est difficile à définir. En termes scientifiques, il est plus simple de parler de la combustion que de parler du feu : la combustion est un processus chimique qui réalise la combinaison d’un combustible et d’un comburant, modifiant la structure des deux pour produire un troisième corps résultant (ou plus d’un corps résultant). Dans la transformation, on dit que la partie combustible est détruite. On pourrait en dire tout autant du comburant, mais le discours est régi par une perspective qui privilégie l’un des produits aux dépens de l’autre, car le comburant n’est souvent que l’oxygène de l’air, omniprésent, invisible et gratuit. En termes sémiotiques, la partie combustible est dotée d’une compétence : celle de pouvoir brûler. Les produits incombustibles sont dotés de la compétence contraire : celle de ne pas pouvoir brûler. Entre les deux, il y a la gamme des produits qui se consument plus ou moins bien, ou plus ou moins mal.Peu de réactions de combustion sont spontanées. Le plus souvent, le démarrage d’une combustion exige31 un apport de chaleur initial : cet apport est porteur d’une autre modalité, celle de pouvoir démarrer la réaction. Du point de vue sémiotique, elle précède la modalité du pouvoir (brûler), ce qui la rend comparable à la modalité virtualisante. Elle s’en distingue pourtant, puisqu’elle n’est assimilable ni à une volition ni à une obligation reconnaissable dans la matière. Elle se place en position

• Épaisseur des murs. Si les murs de l’Université de Vilnius atteignent couramment un mètre d’épaisseur, et dépassent souvent 1,50 m, c’est pour opposer au froid une barrière protectrice : la masse de la pierre, et son épaisseur, ont pour rôle d’isoler l’espace intérieur du froid extérieur. En d’autres termes, la pierre a pour fonction d’interdire le passage du froid (ou, ce qui revient au même, interdire la fuite de la chaleur en sens inverse). Le mur est donc investi de la charge modale « ne pas pouvoir faire » à l’égard de l’acteur froid. Ce n’est pas un interdit virtualisant (devoir ne pas faire), mais une actualisation négative.Comme les choses inertes ne sont pas dotées de vouloir propre, c’est le vouloir du constructeur qui s’exprime lorsqu’il place un mur épais dont la mauvaise conductibilité thermique (incapacité à conduire = ne pas pouvoir faire) « doit » assurer l’isolation désirée. Les hommes sont doublement impliqués dans l’interaction entre le froid et les murs : d’une part, c’est l’homme qui perçoit le froid et le chaud et décide du confort qui lui convient ; d’autre part, c’est l’homme qui augmente l’épaisseur des murs pour améliorer l’isolation. Cependant, considérant que la présence de l’homme est constante dans ces interactions, certains analystes tendent à ne plus en parler, et vont même jusqu’à dire que les murs épaississent en réponse au froid, installant les murs et le froid en des positions actantielles anthropomorphes opposées, gommant l’implication présupposée des hommes et produisant un discours aux apparences objectivées.Reconsidérons les conditions de cette interaction. Malgré l’épaisseur des murs, on constate que le froid passe quand même, mais lentement. Le passage n’est donc pas arrêté par le dispositif matériel mis en place, mais il est ralenti : c’est l’une des formes possibles de l’accès conditionnel (Hammad 1989a). Le constructeur ne délègue donc pas à la pierre la tâche de fermer le passage au froid (alors qu’une porte fermée arrête le passage des hommes), mais celui de le ralentir. En agissant sur la forme des murs et sur leur épaisseur, le constructeur protège les usagers de l’agression du froid. En termes sémiotiques, le mur de pierre est un sujet délégué dépourvu de perception et de cognition, dépourvu de volition, manipulé pour opposer une certaine résistance à l’anti-sujet froid, tout aussi dépourvu de perception, de cognition et de volition. Le constructeur est dans la position du Destinateur (le Maître d’œuvre est délégué par le Maître d’ouvrage), l’usager dans la position du Destinataire.• Portiques à arcades. Lorsque le constructeur place (au dix-septième siècle), devant les murs de l’Université de Vilnius, plusieurs portiques à arcades, il interpose entre lesdits murs et les vents froids un dispositif qui freine la vitesse de ces derniers, réduit leur énergie cinétique, et réduit leur contact avec les murs en question. Il en résulte une pré-isolation du mur, lequel avait déjà pour fonction d’isoler l’espace intérieur. Il y a donc redoublement de l’isolation par installation d’un espace tampon intermédiaire. Et l’on obtient un meilleur résultat à l’intérieur : la chaleur y est mieux conservée. Le mécanisme sémiotique de base est le même que le précédent, au redoublement itératif près.

Les baies ouvertes sous les arcades ont pour fonction de laisser passer la lumière tandis que les piliers porteurs brisent le flux de l’air. Elles reçoivent donc la charge modale « pouvoir faire » à l’égard d’un deuxième acteur immatériel : la lumière. Le portique à arcades est donc un acteur syncrétique doté de deux charges modales différentes à l’égard de deux acteurs naturels différenciables froid et lumière.

Page 59: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

vilniaus universitetas 367sémiotiser l’espace366

intersections avec la voûte principale, contribue à la rigidification de l’ensemble. Une telle solution est déjà mise en œuvre à Urbino avant 1470.

L’exécution de telles voûtes en pierre posait des problèmes de stéréotomie considérables, ce qui rendait leur réalisation difficile. Leur réalisation en briques était autrement plus commode. Cependant, le franchissement de grandes portées avec des voûtes surbaissées pose problème. Deux solutions peuvent y être apportées : la réduction des portées, et l’utilisation d’armatures noyées dans les voûtes. Aucun document disponible n’atteste l’utilisation de cette dernière technique. Elle n’en reste

Fig. 83. Encorbellement de briques à Ostie, port antique de Rome.L’appareillage des briques annonce celui de la Renaissance italienne.(Photo MH)

Fig. 84. Voûte surbaissée en briques apparentes, Ostie.Époque romaine.(Photo MH)

On constate que les voûtes des salles sont relativement basses à l’exception du rectorat et de la chapelle attenante, qui occupaient la hauteur combinée du premier et du deuxième étage. Le profil surbaissé de la majorité des voûtes peut résulter de la transformation d’anciennes salles plafonnées en salles voûtées. Mais le fait n’est pas certain, car la même solution peut être justifiée par le souci de ne pas laisser la chaleur monter en hauteur : la recherche de l’efficacité thermique (lutte contre le froid) aurait contribué à déterminer la forme des couvrements. Quelle que soit la situation initiale, le profil surbaissé des voûtes rend l’exécution difficile et fait appel à une technicité certaine. Dans un tel contexte, la multiplication des voûtains pénétrants, formant des

Fig. 81. Voûtes renaissance au

palais ducal d’Urbino.Les baies

d’ouverture (fenêtre haute,

fenêtres munies de banc) sont

placées en tenant compte des points

d’appui des voûtes.

(Photo MH)

Fig. 82. Voûte surbaissée dans les sous-sols du

palais ducal d’Urbino.

Elles n’ont jamais été

enduites, et laissent voir

l’appareillage des briques.

(Photo MH)

Page 60: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

EN GUISE DE CLÔTURE

Avant de clore ce recueil, rappelons que la sémiotisation de l’espace est un projet en cours, et qu’à ce titre elle est inachevée. Le nombre croissant des publications se réclamant de la sémiotique de l’espace pourrait donner l’illusion que la spécialité est constituée, stabilisée, et que les travaux se contentent d’aborder de nouveaux objets à l’aide des mêmes méthodes. Mais une telle idée serait trompeuse. Il est indubitable que la sémiotique de l’espace a acquis une place parmi les autres spécialités sémiotiques, et l’on y admet sans discussion les hypothèses de base que nous avons proposées au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, telle la nécessité de considérer simultanément l’espace avec les hommes et les objets qui y sont inscrits1, ou celle de considérer des portions d’espace dotées de rôle syntaxique et mises en circulation parmi les hommes2. Mais l’arrêt des contestations théoriques, et l’acceptation pratique de telles prémisses ne constituent que des conditions nécessaires, non suffisantes. Il y a lieu de réaffirmer que la mise en place de méthodes d’analyse sémiotique adaptées à l’espace n’est pas terminée. Un grand nombre de questions restent sans réponse, et les cas «résistants» sont légion. Il importe de poursuivre l’entreprise pour repousser plus loin les limites des territoires explorés, en particulier dans les domaines ardus du sens attaché à la propriété du sol, aux morphologies architecturales complexes, aux modifications progressives des qualités spatiales, et à la conception des projets architecturaux, pour ne citer qu’un petit nombre de questions qui nous paraissent d’actualité.

Dans notre récente étude sur les Régimes anciens de la terre au Proche-Orient3, nous avons défriché la question épineuse de la propriété foncière et des modes de circulation de fractions de l’espace physique au sein de l’espace social. La distinction entre terres privées et terres institutionnelles n’est pas réductible à l’opposition entre espaces privés et espaces publics que nous avions analysée de manière syntaxique dans notre étude sur la Privatisation de l’espace4. Les mécanismes nécessaires à la description de la propriété du sol sont nettement plus complexes, et la syntaxe plus élaborée. Une suite à cette étude est en préparation.

Nous travaillons aussi à un ouvrage en trois volets, où nous nous proposons de mettre en évidence de manière comparative le rôle des configurations spatiales dans la modification de relations sociales (configuration de l’espace social). Ce mécanisme était déjà cher à certains architectes de la Renaissance, tels que Filarete (utopie de

Page 61: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

Sforzinda) et Palladio5, qui pensaient que les formes données à l’espace induisent des programmes d’action susceptibles de modifier les relations entre acteurs sociaux. Par la mise en parallèle d’organisations topiques et d’organisations actorielles, nous reprenons ainsi l’étude de questions que nous avions abordées entre 1976 et 1983, et que nous avions délaissées entre-temps afin de poursuivre des pistes apparues comme plus abordables et prometteuses. La difficulté méthodologique principale posée était le caractère observable ou non observable des actions qui sémantisent l’espace. Par l’étude d’actions observables, nous avons dégagé des structures syntaxiques récurrentes. Avec le bagage ainsi acquis, il est devenu possible de revenir vers des actions non directement observables (en raison de leur éloignement dans l’espace, dans le temps, ou pour des questions d’échelle) mais accessibles à la restitution en fonction de données spatiales et de métatextes descriptifs.

Comment le sens est-il modifié par des processus spatiaux qui concatènent de petites modifications successives jusqu’à ce que leur cumul produise des changements qualitatifs? De tels phénomènes sont observables à l’échelle urbaine, et l’on peine à les saisir et décrire avant de pouvoir entamer une tentative d’interprétation. C’est ainsi que certaines villes perdent, au cours du temps, leur importance au profit d’autres villes qui en acquièrent. Ou a contrario : qu’est-ce qui fait le caractère urbain d’un établissement humain? Car une ville n’est pas un village qui a grossi de manière continue, et l’on connaît en Extrême-Orient de gros bourgs dont la population est plus nombreuse que celle de plusieurs de nos villes, et qui sont pourtant des bourgs, non des villes : il y a une différence qualitative entre un village et une ville, différence qui ne se réduit pas à une simple accumulation scalaire.

La question de l’inscription du sens dans l’espace au moment de la conception architecturale demeure plus élusive : elle porte sur des espaces non encore réalisés. Les outils de la sémiotique ont été conçus pour une lecture a posteriori, où la détermination du sens s’appuie sur la fin du processus narratif. Il en découle que tout processus non terminé pose des problèmes d’indétermination. A cela s’ajoute le fait que la description du processus conceptuel même échappe à notre observation. Les architectes seraient éminemment intéressés par des progrès sémiotiques en ce domaine.

Si l’inventaire des pistes d’exploration en sémiotique de l’espace est loin d’être clos, celui des résultats acquis n’en demeure pas moins appréciable. Avec le recul, le travail accompli s’avère cohérent, solide, et susceptible de servir de base pour aborder les questions ouvertes. Par delà l’éclairage interprétatif qu’il projette sur un ensemble étendu de questions spatiales, il a permis de mettre au point des procédures capables de dégager du sens. Perfectibles, ces procédures sont susceptibles d’alimenter la reprise de la recherche sémiotique qui se dessine dans les milieux universitaires, tant parmi les sémioticiens que parmi les architectes.

NOTES

1 HAMMAD, Manar, 1983, « L’espace comme sémiotique syncrétique », in Actes Sémiotiques - VI-27, GRSL-EHESS, Paris, repris dans Lire l’espace, comprendre l’architecture, Geuthner, 2003.

2 HAMMAD, Manar, 1979, « Définition syntaxique du topos », in Le Bulletin N° 10, GRSL-EHESS, Paris, repris dans cet ouvrage page 75; et 2008, « Les Parcours, entre manifestations non verbales et métalangage sémiotique », in Nouveaux Actes Sémiotiques 111, PULIM, Limoges, repris dans cet ouvrage pages 79-123.

3 HAMMAD, Manar, 2014, « Régimes anciens de la terre au Proche-Orient » (Actes Sémiotiques 117, PULIM, Limoges. http://epublications.unilim.fr/revues/as/5247.

4 HAMMAD, Manar, 1989, « La Privatisation de l’espace », in Nouveaux Actes Sémiotiques 4-5, PULIM, Limoges, repris dans Lire l’espace, comprendre l’architecture, 2003, Geuthner, pages 157-220.

5 HAMMAD, Manar, 1990, « La sémiose essentialiste en architecture », in Carte Semiotiche, Rivista dell’Associazione Italiana di studi Semiotici, n°7, repris dans Lire l’espace, comprendre l’architecture, 2003, Geuthner, pages 9-29.

clôturesémiotiser l’espace388 389

Page 62: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE ix INTRODUCTION xi

I LA SÉMIOTISATION DE L’ESPACE 1

1. Notes limiNaires 32. CoNstruire uNe sémiotique de l’espaCe 52.1 Reconnaître l’espace comme objet de savoir 52.11 Approches de l’espace avant 1972 52.12 L’espace comme objet d’un diplôme en architecture 62.13 Colloque sémiotique de l’espace, mai 1972 72.2 Difficultés méthodologiques et épistémologiques 92.3 Définition « interne » de l’espace signifiant 122.31 Définir l’espace : un continuum non vide 122.32 Découper l’espace en unités discrètes dotées de sens 132.33 L’espace pour lui-même/vs/l’espace pour autre chose que lui-même 142.4 Définition « externe » de l’espace signifiant 162.41 Changer de perspective sur le topos 162.42 Définition syntaxique du topos 172.5 Composer les perspectives interne et externe 182.51 Composants communs et caractères différenciateurs 192.52 Perspective de la définition interne, ou l’homme inséré dans l’espace physique 192.53 Perspective de la définition externe, ou l’espace physique pris en charge par l’espace social 202.54 Relations entre les perspectives interne et externe 212.6 Syntaxes pour l’expression et pour le contenu 222.61 Forme de l’expression et forme du contenu 222.62 Forme de l’expression spatiale : géométries 232.63 Forme du contenu 322.64 Isotopies sémantiques pour l’espace urbain 392.7 Perspective énonciative 1 : marquage par l’énonciateur 432.71 Liminaire épistémologique : dépassement de l’approche énoncive 432.72 Construire est un acte énonciatif majeur 432.73 Distinguer une perspective énonciative spatiale 442.74 Donner forme à un lieu restreint : le pavillon du thé au japon 442.75 Donner forme à un lieu étendu : le sanctuaire poliade de Palmyre 452.76 Donner forme à la ville : la croissance de Palmyre 462.8 Perspective énonciative 2 : objectivation par l’énonciataire 482.81 Liminaire épistémologique 482.82 La construction sémiotique des objets 502.83 Construction du contenu : expansion, structuration et décryptage 552.84 Objectivation : autonomisation de l’objet spatial 572.85 Clôture épistémologique pour cette perspective 59

Page 63: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

table des matièressémiotiser l’espace392 393

IV PRÉSUPPOSÉS SÉMIOTIQUES DE LA NOTION DE LIMITE

1 remarques limiNaires 125 Limite /vs/ Délimitation ; Donné /vs/ Construit2 aNalyse aCtaNtielle 1273 le poiNt de vue impliCite de l’observateur 1294 le déplaCemeNt impliCite

et l’aNthropomorphisme premier 1305 les ChaNgemeNts d’éChelle 1326 le modèle de la géométrie 1337 agrégatioN, désagrégatioN et délimitatioN 1348. CoNClusioNs 134

V LE MUSÉE DE LA CENTRALE MONTEMARTINI 139

0. remarques limiNaires 1411. le musée Comme uNité porteuse de seNs 1411.1 Musée / Objets 1421.2 La prise en charge spatiale des objets 1421.21 Là où il n’y a pas Musée 1421.22 La relation fondamentale du musée : regardant / regardé 1431.23 Modeler matériellement la relation fondamentale 1431.24 La distribution des objets dans l’espace 1471.25 La mise en lumière 1491.26 La circulation entre les objets 150

2. le musée de la CeNtrale moNtemartiNi 1502.1 Du musée–volume au musée–séquence 1512.11 Le parcours du sujet visiteur 1512.12 Effets de sens induits par la mise en séquence 1532.13 Effets de sens induits par la dénomination des lieux 1542.2 Les lieux de la séquence muséale 1542.21 La crypte des origines (C0) 1552.22 La crypte technique (M0) 1602.23 La Salle des Machines (M1) 1622.24 La Salle des Chaudières (C1) 1782.3 Le discours urbain de la muséographie à la C. Montemartini 1852.4 Les discours juxtaposés des musées archéologique et technique 1862.41 Le musée technique de la Centrale Montemartini 1862.42 Le musée archéologique de la Centrale Montemartini 1882.43 La logique commune aux musées technologique et archéologique 1892.44 Les connecteurs d’isotopie 1902.45 Le paradigme des musées installés dans des lieux préexistants 1912.46 L’isotopie dominante 192

3. éCoNomie géNérale des approChes déployées 603.1 Caractère opératoire de l’analyse 603.2 Enchaînement logique des perspectives 603.3 Rangement des objets d’étude par ordre de complexité 633.4 Limites 663.5 Écrire pour le sémioticien et le non sémioticien 66

II DÉFINITION SYNTAXIQUE DU TOPOS 75

III LES PARCOURS entre manifestations non-verbales et métalangage sémiotique 79

0 remarques limiNaires 811 Corpus des parCours de départ 821.1 Représentation graphique d’un parcours élémentaire 821.2 Remarques méthodologiques : découpage et point de vue 841.3 La visite domiciliaire japonaise 851.4 Zashiki 891.5 Jardins 921.6 O Furo Ba ou l’honorable bain 98

2 les programmes Narratifs struCturaNt les parCours 101

3 la struCture immaNeNte des parCours 1023.1 Le parcours graphique et le modèle E 1023.2 Le parcours de la visite et le modèle F 1033.3 Le modèle G 1053.4 Le parcours du bain 1073.5 Le parcours du jardin 1073.6 Le parcours assis du Zashiki 1073.7 La règle du parcours du sujet d’état : jonction partielle cumulative 1093.8 Structure profonde du parcours du sujet d’état 1103.9 Interprétation aspectuelle du parcours du sujet d’état 114

4 les parCours du modèle sémiotique greimassieN 1154.1 Les parcours du tarot 1154.2 Cursus honorum et Curriculum vitae 1174.3 Le parcours narratif 1184.4 Le parcours génératif 118

5 CoNClusioNs 119

Page 64: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

table des matièressémiotiser l’espace394 395

2 artiCuler l’ère séleuCide à palmyre 2322.1 Convenir d’un métalangage 2322.2 Y a-t-il une ou plusieurs ère(s) séleucide(s) ? 2332.3 Forme(s) de l’année séleucide 2352.31 La forme de l’année 2352.32 Formes de l’année macédonienne 2352.33 Les mois de l’année macédonienne 2352.34 Les mois de l’année babylonienne 2352.35 Le cycle de Méton 2362.37 Les mois de l’année palmyrénienne 2372.38 L’absence d’intercalation à Palmyre 2382.39 Une année julienne pour Palmyre? 2382.4 Les cycles temporels nommés à Palmyre 2392.41 Le cycle de base du décompte : le jour ou YWM 2402.42 Le cycle de référence des jours : le mois ou YRH 2412.43 Le cycle de référence des mois : l’année ou SNT 2422.44 Enchâssement et Approximation des cycles nommés 2422.45 Présupposés sémantiques des repères 243

3 artiCuler le temps à tadmor-palmyre 2443.1 Changer de visée et de point de vue 2443.2 Les relations sémantiques entre écrire et agir 2453.3 Les contenus sémantiques des classements en usage 2453.31 Les inscriptions honorifiques 2463.32 Les inscriptions religieuses ou dédicatoires 2463.33 Les inscriptions funéraires 2473.34 La comparaison sémantique des catégories d’inscriptions 2473.35 Aspects quantitatifs 2493.4 L’analyse distributionnelle du corpus des inscriptions de Palmyre 2503.5 Distribution différenciée des inscriptions par mois 2513.51 Mois fréquents 2513.52 Distribution des inscriptions par mois 2513.53 Distribution selon les catégories énonciatives des inscriptions 2563.54 Détermination religieuse de la distribution des inscriptions sur l’année 2573.55 Les rites de l’Akîtu et leur diffusion 2583.56 Année religieuse, année commerciale, année guerrière, année politique 264

4. artiCuler le temps par l’aCtioN 2664.1 Présupposés sémantiques des procédures mises en œuvre 2664.2 Les actions célestes et leurs sujets 2674.21 Les processus célestes comme énoncés 2674.22 L’organisation énonciative du ciel 2674.3 Les actions terrestres et leurs sujets 2684.31 Le don comme énoncé non-verbal et l’isotopie de l’honneur 2684.32 Les catégories de sujets palmyréniens 2684.4 La mise en relation des actions célestes et terrestres 2695. CoNClusioNs 269

3. la struCture hiérarChique du disCours muséal 1933.1 La catégorie des objets muséaux 1933.2 La catégorie de l’aménagement muséal 1943.3 La catégorie de l’architecture 1953.4 La relation d’enchâssement discursif 1953.5 La hiérarchie des niveaux linguistiques 196

4. l’iNterprétatioN du disCours muséal 1974.1 Lecture et déchiffrement 1974.2 Le sujet du déchiffrement 1985. remarques CoNClusives 199

VI PALMYRE, LE SENS DES TRANSFORMATIONS URBAINES 201

0. remarques limiNaires 2031. doCumeNts reteNus 204

2. présupposés sémaNtiques de la reCoNstruCtioN du saNCtuaire de bel 2052.1 Présupposés de l’acte de reconstruction 2052.2 Présupposés de la taille du sanctuaire 2062.3 Présupposés de l’évacuation du tell 2072.4 Présupposés de la dédicace à Bel 2122.5 Présupposés du culte de Bel 2132.6 Présupposés de la triade divine (Bel, `Aglibol et Yarhibol) 2132.7 Présupposés des choix architecturaux 2152.8 La polarisation de Palmyre autour du sanctuaire de Bel 2163. CoNClusioNs 218

VII ARTICULER LE TEMPS À TADMOR-PALMYRE 223

0 remarques limiNaires 2251 artiCuler le temps de tadmor-palmyre 2261.1 Au déchiffrement du palmyrénien 2261.2 L’usage normalisé des épigraphistes 2261.3 Le silence numismatique de Palmyre 2271.4 L’introduction argumentée d’un calendrier pour Palmyre 2281.41 Chez les antiquaires ou amateurs de l’antiquité 2281.42 L’apport des astronomes 2281.43 L’inscription clef 2291.44 Le raisonnement mis en œuvre par Halley 2301.45 La dénomination de l’ère Séleucide 231

Page 65: Sémiotiser l'espace, décrypter architecture et archéologie

table des matièressémiotiser l’espace396 397

Vestibule des fresques grecques 345 Mise en opposition des deux vestibules peints 3473.5 Les acteurs non humains de l’espace universitaire 3483.51 Les acteurs immatériels présupposés par l’architecture 349 Le froid 349 Le feu 351 Le temps 3553.52 La mise en visibilité des solutions techniques 358 La mise en visibilité comme stratégie discursive 359 Les couvrements internes et les façades externes 361 Les toitures 3684 En guisE dE conclusion 371

EN GUISE DE CLÔTURE 387

VIII VILNIAUS UNIVERSITETAS Exploration sémiotique de l’architecture et des plans 279

1 REmaRquEs liminaiREs 2812 REmaRquEs méthodologiquEs 2892.1 Langage /vs/ Discours 2892.2 L’hypothèse du langage descriptif 2892.3 Conventions de représentation : langage régissant le langage descriptif 2902.31 Le plan d’architecte est une coupe à un mètre du sol 2902.32 Représenter les murs /vs/ Représenter les Voûtes 2922.4 Énonciateur construit et Énonciataire construit 2962.41 L’énonciateur du plan 2972.42 Lecteur énonciataire construit 297

3 EsquissE d’analysE dE contEnu 2993.1 Intervention du lecteur Destinataire 2993.2 Lecture diachronique des plans 2993.21 Distribution temporelle des plans 2993.22 Diachronie extensive des transformations 3013.23 Inscription de l’Université en face de l’église St Jean 3033.24 Adoption des directions cardinales 3043.3 Lecture syntaxique de l’espace physique 3053.31 La cour comme unité constructive 3053.32 L’organisation topologique des cours en résille 3083.33 L’organisation semi-axiale initiale et son investissement sémantique 3133.34 L’organisation sémantique projetée par les visites publiques 3143.35 Les portiques sur arcades et leur valeur énonciative 3163.36 Récapitulation sur les effets de sens syntaxiques 3193.4 L’espace social inscrit dans les plans et bâtiments 3213.41 La société universitaire présupposée par les plans 323 Groupes sociaux impliqués par les plans 325 La société universitaire distribuée dans l’espace 327 La société universitaire distribuée dans le temps 328 La société universitaire réunie dans l’espace et le temps : Salles collectives de Prestige 3283.42 Les bâtiments universitaires orientés vers le public 330 L’Université en perspective externe 330 Le bâtiment Nord-Sud : Réfectoire, Galerie de Minéralogie, Bibliothèque 331 Le bâtiment Est-Ouest : l’Observatoire 336 La conjonction des bâtiments N-S et E-W sur la cour d’accueil 3373.43 Les espaces semi-publics orientés vers la société universitaire 339 Cadre énonciatif 340 Vestibule des fresques baltes 341