-
Revue pariée SOUS LE HAUT PATRONAGE DE M. ÀRPÀD GÔNCZ,
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE HONGRIE.
SCENES HONGROISES D'AVANT-GARDE (SURRÉALISMES ET AUTRES
AVANT-GARDES EN HONGRIE)
PARIS, 13 MAI - 1 JUIN 1992
TIBOR DERY : "REVEILLEZ-VOUS" (1929) LECTURE À PLUSIEURS VOIX
D'APRÈS LE RÉCIT SURREAUSTE DE TIBOR DÉRY- CRÉATION MONDIALE.
LA PETITE SALLE, VENDREDI 15 MAI À 21 H.
•
^ H | ÀRPÀD GÔNCZ : "COMÉDIE PESSIMISTE" (1990)
LECTURE-SPECTACLE DE LA DERNIÈRE PIÈCE D'ÀRPÀD GÔNCZ - CRÉATION
MONDIALE.
LA PETITE SALLE, SAMEDI 16 MAI À 21 H.
•
LE SURRÉALISME, SA PRÉSENCE ET SON INFLUENCE EN HONGRIE
RENCONTRESDÉBATS AUTOUR DE LA PRÉSENTATION D'ŒUVRES LITTÉRAIRES ET
PLASTIQUES.
LA PETITE SALLE, VENDREDI 15 MAIÀ 18 H ET SAMEDI 16 MAI À 15
H.
•
V ^ ^ H LE THÉÂTRE D'ARPÀD GÔNCZ : I AVANT-GARDE ET POLITIQUE
DANS LE THÉÂTRE HONGROIS
RENCONTRE-DÉBAT AUTOUR DE L'ŒUVRE D'ARPÀD GÔNCZ ET D'AUTRES
DRAMATURGES HONGROIS. LA PETITE SALLE, SAMEDI 16 MAI À17 H.
•
^ ^ H HHENDRE NEMES, PEINTRE SURRÉALISTE HONGROIS ET EUROPÉEN
(1909 -1985)
PRÉSENTATION DE L'ŒUVRE DU PEINTRE : TABLEAUX, DOCUMENTS,
CATALOGUES. PREMIÈRE EXPOSITION EN FRANCE (ŒUVRES PRÊTÉES PAR LE
MUSÉE DE PÉCS, HONGRIE)
EXPOSITION AU PETIT FOYER - 1S MAI -1 JUIN 1992 VERNISSAGE
VENDREDI 15 MAI À 17 H.
•
M Centre Georges Pompidou
-
EXPOSITION, RENCONTRES-DÉBATS ET LECTURES-SPECTACLES
ORGANISÉS
DANS LE CADRE DE LA REVUE PARLÉE DU CENTRE GEORGES POMPIDOU
(DIRECTEUR : BLAISE GAUTIER)
PAR L'ASSOCIATION SCÈNES HONGROISES D'AVANT-GARDE (PARIS)
ET PAR LA FONDATION BALASSA POUR LES AVANT-GARDES EN HONGRIE
(BUDAPEST)
SOUS LA DIRECTION DE GEORGES BAAL
MESDAMES EDIT GERELYES ETJUDITH KARAFIÀTH ET MESSIEURS GÉRARD
NAURET
ET GEORGES TVERDOTA ONT APPORTÉ LEUR AIDE À L'ORGANISATION
NOUS REMERCIONS PARTICULIEREMENT MESDAMES MARIA TOTH ET MARIA
PASZTERNÀK
EXPOSITION :
CHOIX DE TABLEAUX ET MISE EN PLACE : GEORGES BAAL
REPRÉSENTANT DU MUSÉE DE PECS : FERENC ROMVÀRY
"RÉVEILLEZ-VOUS" ET LA "COMÉDIE PESSIMISTE" SERONT PRÉSENTÉES
PAR LES COMÉDIENS :
CLAUDE BUCHWALD, MARTINE DEMARET, JADE DUVÏQUET, ALAIN GARENNE,
LUIS MARQUES,
CLAUDE MERLIN, GÉRARD NAURET, CHRISTIAN RUGRAFF ET GEORGES
BAAL.
NOUS ATTENDONS LA PARTICIPATION AUX RENCONTRES-DÉBATS DE :
G. ANDRASI, G. ANGYALOSI, L. BEKE, E. ERDÔDY, L. FERENCZI, E.
GERELYES, J. KARAFIÀTH,
O. MEZEI, G. PATAKI, B. POMOGATS, F. SIK, Z. TORDAI, A. VAJDA,
I. VARGA ET DE H. BEHAR,
J. P. FAYE, F. FEJTÔ, G. KASSAI, G. LONDEIX, R MOURIER-CASILE, K
PASSUTH,
J. PIERRE, G. RAILLARD, G. SEBBAG, C. SCHUMACHER, R. TEMKINE, G.
TVERDOTA, J. VOVELLE.
PROJECTIONS : SÀNDOR KARDOS. ARCHIVES HORUSZ.
AFFICHES, MAQUETTES : VALÉRIE MARGAILLAN
TRADUCTION DES TEXTES HONGROIS : GEORGES BAAL
PLAQUETTE CONÇUE ET RÉALISÉE PAR GEORGES BAAL
E N COORDINATION AVEC CES MANIFESTATIONS AURA LIEU UN COLLOQUE
SCIENTIFIQUE :
SURRÉALISME, MODERNITÉS ET POST-MODERNITÉ EN HONGRIE
ORGANISÉ AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE
SCIENTIFIQUE
ET DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE HONGRIE
À PARIS, LUNDI 18 ET MARDI 19 MAI 1992 DE 10 À 13 ET DE 15 À 18
HRS
IMSECO - CNRS - 9, RUE MICHELET, 75006 PARIS
Atraal - théâtre - B.P. 37 - 94160 Saint-Mandé - France
-
SOUS LE HAUT PATRONAGE DE M. ARPÀD GÔNCZ, PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE DE HONGRIE
SOUS LE HAUT PATRONAGE DE M. ALAIN POHER,
PRÉSIDENT DU SÉNAT,
DE
M. BERTALAN ANDRÀSFALVY MINISTRE DE LA CULTURE ET DE L'EDUCATION
DE HONGRIE,
ET DE
M. PIERRE JOXE MINISTRE DE LA DÉFENSE
ANCIEN PRÉSIDENT DES AMITIÉS FRANCO-HONGROISES
COMITE D'HONNEUR
M. Ferenc Kulin, Président de la Commission des Affaires
culturelles, Assemblée Nationale de Hongrie,
M. Maurice Schumann, de l'Académie, M. Hubert Martin, Président
du Groupe d'Amitié franco-hongroise du Sénat,
M. J-M. Belorgey, Président de la Commission des Affaires
culturelles de l'Assemblée Nationale, M. René Drouin, Président du
Groupe d'Amitié franco-hongroise de l'Assemblée nationale,
M. Otto Habsbourg, député européen.
COMITE SCIENTIFIQUE ET ARTISTIQUE :
MM. G. Baal, H. Béhar, M. Ferro, C. Karnoouh, G. Kassaî et D.
Mesguich (France) et M. F. Bodri, Mme J. Karafiàth, MM. B.
Pomogàts, Z. Tordai et G. Tverdota (Hongrie).
AVEC LE CONCOURS DE : l'Association "Scènes hongroises
d'Avant-Garde", la Fondation Balassa, le Musée de Pècs,
le Ministère de l'Education et de la Culture de Hongrie,
l'Académie des Sciences de Hongrie, les Ministères de la
Culture
et de la Recherche, le Centre National de la Recherche
Scientifique, les Services culturels de l'Ambassade de France,
l'Institut Français de Budapest et l'Association Française
d'Action Artistique.
-
Depuis le début du XXe siècle, les courants artistiques hongrois
ont,
à plusieurs moments cruciaux, rencontré et rejoint
les grands mouvements européens d'avant-garde.
La Revue Parlée présente en mai trois artistes hongrois,
aussi différents entre eux par leurs œuvres que par leur
vie.
Endre NEMES reste toute sa vie peintre surréaliste, pendant que,
fuyant le fascisme, il
parcourt toute l'Europe de Prague à Stockholm.
TiborDERY, écrivain, poète, auteur dramatique, adhère, au début
des années vingt, aux
mouvements hongrois et européens d'avant-garde et crée, avec une
rapidité fulgurante,
une œuvre poétique et dramatique marquée par l'expressionisme,
dada et surtout le sur-
réalisme, avant de se convertir au roman et au réalisme.
Aïpàd GONCZ, enfin, que l'histoire mène de la prison, en 1956, à
la Présidence de la République, en 1990, et dont les pièces de
théâtre sont une douloureuse révision de l'his-toire contemporaine
de la Hongrie où le réalisme le plus cru devient lui-même
surréel.
Certes, la culture hongroise n 'a jamais été ignorée en France,
mais, en raison de son iso-
lement linguistique et des longues périodes sombres de son
histoire, elle est restée long-
temps et injustement méconnue.
Toutefois, on ne s'y intéressera pas pour des raisons de mode,
d'actualité, d'opportunité
et d'exotisme. La question se pose donc: quels sont les courants
et les époques, les
écoles et les créateurs dont l'œuvre est la plus apte à
contribuer aujourd'hui à la vie litté-
raire et artistique française? Trois périodes organiquement
liées semblent s'imposer: la
fin du dernier siècle qui voit la naissance de la modernité
suivre de près l'apothéose du
classicisme national, le début de notre siècle avec ses
avant-gardes en contact étroit avec
les grands courants européens, et, bien sûr, la création
contemporaine en train de
retrouver un champ de liberté et d'originalité.
Cette présentation s'articule donc autour de ces trois périodes
et intègre, dans une
approche interdisciplinaire et interculturelle, poésie,
littérature, arts plastiques, autour
de deux points forts : le théâtre et la peinture de Nemes.
G.B.
-
THÉÂTRE HONGROIS AU CENTRE POMPIDOU C'est la troisième série de
manifestations
que la Revue Parlée consacre au théâtre hongrois.
En 1984, dans le cadre d 'une Quinzaine de Théâtre Hongrois,
Georges Baal et rAtraal-Théâtre ont présenté, en lecture-spectacle,
pour la première fois en France, le plus grand classique du théâtre
hongrois, la pièce philosophique d'Imre Madàch : "La Tragé-die de l
'Homme" (traduction de Jean Rousselot) avec, entre autres, Valérie
Dréville, Aurelien Recoing, André Lacombe, les acteurs de
rAtraal-Théâtre et le musicien Frank Royon Le Mée.
Ils ont lu, en première française, la pièce surréaliste de Tibor
Déry : "Le Bébé Géant" (traduction et adaptation de Georges Baal,
avec Micheline Uzan, Gérard Nauret, etc.).
En 1987, lors des 1ères Journées sur lej^vants-Gardes en
Hongrie, à l'occasion du cente-naire de Lajos Kassàk,
rAtraal-Théâtre a présenté, en première mondiale, "Que Prenez Vous
au Petit Déjeuner ?" , de Tibor Déry, et un ensemble de lectures
d'écrivains et de poètes hongrois, de Kassàk à Hatàr et à
Szentkuthy, avec la participation d 'une vingtaine d'acteurs, parmi
lesquels Alain Cuny et Richard Fontana.
Ces manifestations ont été produites par rAtraal-Théâtre, la
conception et la direction d 'ac^Ers étaient assurés par Georges
Baal.
•
^ ^ H L'ATRAAL-THÉÂTRE ^ ^ H L'Atraal-Théâtre, fondé par Georges
Baal en 1974, a créé des spectacles sur des textes de Lautréamont,
Antonin Artaud, Beckett et des poètes surréalistes, ainsi que des
pièces de danse-théâtre. Il a tourné en France, aux Etats-Unis, en
Suisse, en Espagne, en Italie, en Hongr ie . . . et a j o u é
certains de ses spectacles plus de cent fois. Parallèlement, il a
déployé une activité de formation d'acteurs et de recherche en
théâtrothérapie, a parti-cipé à de nombreux festivals et colloques,
organisé des ateliers et publié, entre autres, un numéro spécial
sur Artaud pour la revue Textuerre.
Depuis 1984, l'Atraal-théâtre s'intéresse à la littérature et le
théâtre hongrois qu'il a pré-sentés à travers des
lectures-spectacles, souvent en création mondiale, au Centre
Georges Pompidou et ailleurs (La Tragédie de l 'Homme, des pièces
de T. Déry). Il a édité en français "le Bébé géant" de T. Déry.
L'Atraal-théâtre a fait quatre tournées et dirigé une dizaine
d'ateliers en Hongrie.
•
-
^ ^ ^ H LES COMÉDIENS ^ ^ ^ H
Tous les comédiens ont déjà participé aux lectures-spectacles de
théâtre hongrois présentées par Georges Baal au Centre Georges
Pompidou en 1984 et 1987.
Georges Baal, metteur en scène, comédien et chercheur au CNRS,
après avoir travaillé en Hongrie et à Paris, a fondé en 1974
rAtraal-théâtre. II a adapté et mis en scène des textes de Beckett,
Lautréamont et Artaud, et a joué, dans plusieurs pays, un spectacle
solo consacré à Artaud. Il est également le traducteur et
l'adaptateur de plusieurs pièces hongroises. Par ailleurs, il
enseigne la théâtrothérapie à l'Université Paris 5 et à l'étran-ger
et publie régulièrement dans des revues spécialisées.
Claude Buchwald a joué avec le théâtre du Campagnol, les
Athevains et sous la direction de A. Astruc, C. Merlin. Elle a tenu
de nombreux rôles au cinéma et à la télévision et elle enseigne à
l'Université Paris 8.
Martine Demaret est comédienne et chanteuse. Elle a joué
Molière, de Sade, Brecht et son propre o n e - w m a n show, chanté
Satie, du jazz et de la chanson française, a tourné dans des
émissions de télévision.
Jade Duviquet a travaillé au théâtre avec, entre autres, M. M.
Georges, J. F. Philippe, J. Savary, G. de Kernabon dans des pièces
et créations de Pirandello, Vitrac, Queneau, S. Ganzl et Y
Plevnes.
Alain Garenne, Gérard Nauret et Christian Rugraff sont tous les
trois membres fonda-teurs de l'Atraal-théâtre et ont joué dans tous
les spectacles de la compagnie, dans les mises en scènes de Georges
Baal (Lautréamont, Beckett, Artaud...) Chacun d'eux a créé
également son spectacle solo. Ils participent tous les trois aux
recherches et aux activités pédagogiques du groupe.
Luis Marques, après une formation chez R. Cordier, T. Balachova
et Véra Gregh, a joué, depuis 1984, au cinéma dans Hors la loi et
Parole de Flic, au théâtre le Moine de Lewis et dans de nombreux
rôles de télévision. Il a fait récemment des expériences de théâtre
rural en Côte d'Ivoire.
Claude Merlin faisait partie du théâtre du Soleil et du
Campagnol, il a joué avec T. Kantor, J. M. Serreau, B. Bayen, C.
Dasté et Ph. Adrien ainsi qu 'à la télévision et au cinéma. II a
mis en scène des pièces de Tchéchov et de Pessao et il enseigne à
l'Université Paris 8.
•
-
• SCENES HONGROISES D'AVANT-GARDE I ^ ^ ^ H PRÉSENTATION DU
PROJET I Les grands chamboulements politiques, récroulement du
rideau de fer et d'autres Murs, les transformations économiques,
sociales et culturelles des pays de l'Est suscitent actuelle-ment
une vague d'intérêt considérable pour les arts et littératures de
ces pays. Certes, la culture hongroise n'a jamais été entièrement
ignorée en France, mais, question d'isole-ment linguistique et
conséquence de longues périodes sombres de l'histoire, elle est
restée longtemps et injustement méconnue.
Toutefois, on ne s'intéressera pas à la culture hongroise pour
des raisons de mode, d'actua-lité, d'opportunité ou d'exotisme. La
question se pose donc : quels sont, en Hongrie, les courants et les
époques, les écoles et les créateurs dont l'oeuvre est la plus apte
à contri-buer, aujourd'hui, à la vie littéraire et artistique
française ? A notre avis, trois périodes organiquement liées s
'imposent : la fin du dernier siècle qui voit la naissance de la
modernité suivre de près l'apothéose du classissisme national, le
début de notre siècle avec ses avant-gardes en contact étroit avec
les grands courants européens, et, bien sûr, la création
contemporaine en train de retrouver un champ de liberté et
d'originalité.
Il est utile peut-être de rappeler que, par sa position
géographique et son histoire, la vie culturelle de la Hongrie
s'inscrit, selon l 'époque, dans celle de la Monarchie, de
l'Euro-pe Centrale, voisine des Balkans, et des "pays de l'Est"
socialistes. Elle se trouve des rami-fications, engage des
dialogues le long du Danube et par-dessus les Carpathes.
A plusieurs moments important du 20e siècle, les courants
artistiques hongrois ont pu ren-contrer et rejoindre les
grandsmouvements européens d'avant-garde. Il en était ainsi non
seulement pour la peinture et la musique où les idées et les
oeuvres circulent avec une facili-té relative, mais aussi, malgré
la barrière linguistique, pour la littérature et le théâtre. La
Revue parlée présente trois artistes hongrois, de trois générations
successives et aussi dif-férents entre eux dans leurs oeuvres que
par le parcours de leur vie : l'écrivain-poète Tïbor Déry, le
peintre surréaliste Endre Nemes et l'auteur dramatique Arpàd Gôncz.
A eux trois, ils symbolisent l'apport des artistes hongrois de
divers courants à la culture européenne.
Tibor Déry, écrivain, poète, auteur dramatique, adhère, au début
des années vingt, aux mouvements hongrois et européens
d'avant-garde et créé, entre 1920 et 1930, avec une rapidité
fulgurante, une oeuvre poétique et dramatique marquée par
l'expressionnisme, dada et surtout le surréalisme, avant de se
convertir au roman et au réalisme (qui devien-dra "socialiste"...
). Endre Nemes, peintre surréaliste toute sa vie, dont l'oeuvre
prend for-me à la veille de la dernière guerre et qui, fuyant le
fascisme, parcourt toute l'Europe. Arpàd Gôncz, enfin, que
l'histoire mène de la prison, en 1956, à la Présidence de la
République, en 1990, et dont les pièces de théâtre, datées des
années 70 et 80, sont une douloureuse révision de l'histoire
contemporaine de la Hongrie où le réalisme le plus cru devient
lui-même surréel.
Certes, ni Déry, ni Nemes, ni Gôncz ne représentent le
surréalisme (ni aucun autre "isme" ) à son état pur, certes, les
oeuvres présentées ici montrent l'originalité de chacun d'eux, au
croisement de plusieurs chemins, soumis aux forces historiques
autant qu 'à l'influence des écoles européennes, certes ils
seraient - et Gôncz sans doute plus que les autres - étonnés de se
retrouver voisins, mais à eux trois ils représentent trois points
cul-minants de l'art du 20e siècle en Hongrie et incarnent trois
destins typiques, façonnés par les convulsions de l'histoire en
Europe centrale.
Georges Baal
•
-
£
"REVÇILLEZ-VOUS" I I RECIT SURREALISTE DE TIBORDERY
La vie de T i b o r D é r y (1894-1977) , contemporain, à trois
ou quatre ans près, de Breton et d 'Aragon, n 'est pas sans
rappeler, par son appartenance, dans sa jeunesse, aux mouvements
d'avant-gar-de, puis sa conversion au roman réaliste, par ses r
appor t s étroits mais orageux avec le Parti Communiste, celle
d'Ara-gon. Très jeune , au début de sa carrière, il adhère à l '
important groupe d'avant-garde hongrois qui se constitue d'abord à
Budapest puis, en émigration, à Vienne, autour de Lajos Kassàk, et
qui devient
l 'ac t ivisme h o n g r o i s avec ses revues célèbres. En
1924, Déry vient à Paris pour deux ans. Il y rencontre les
avant-gardes pa r i s i ennes et le j e u n e su r r éa l i sme .
Soupault se souvenait encore de lui.
Dans les années vingt, Déry est fortement inf luencé par l '
express ionnisme alle-mand, dada et, enfin, le surréalisme
fran-çais. Il est aussi en contact étroit avec les t e n d a n c e
s de Kassàk à syn thé t i s e r l'ensemble des mouvements
européens
• • •
beaumoneRectangle
beaumonephoto
-
d'avant-garde, au-delà des querelles de c h a p e l l e et de c
locher . A pa r t i r des années trente, il se convertit au
réalisme (et même, plus tard et non sans quelques conflits avec
l'idéologie du parti, au réa-l isme soc ia l i s te ) et éc r i t p
l u s i e u r s r o m a n s - f leuves , des nouve l l e s , des
pièces. Communiste depuis la première guerre, il entretient avec le
Parti des rela-tions tumultueuses et, après en avoir été l'écrivain
consacré, gloire du pays socia-liste, il rejoint les jeunes
intellectuels de la Révolution de 1956, ce qui lui vaut d 'ê t re
empr isonné après le re tour des chars sovié t iques puis c o n d a
m n é au silence avant de devenir, dans les der-nières années de sa
vie, avec le poète Illyès, l ' u n e des g r a n d e s a u t o r i
t é s morales de la vie culturelle hongroise.
C'est après son séjour à Paris, en Italie et à son retour en
Hongrie que Déry écrit, avec une rapidité et une fertilité
surpre-nantes, dans une exaltation et jubilation évidentes, tout au
plaisir de jouer avec t ou t ce q u e les exp re s s ion i s t e s
, les dadaïstes et les surréalistes venaient de découvrir, les
meilleures oeuvres de sa période d'avant-garde : des poèmes (Les
Animaux des Nuages) trois pièces de théâtre et, en 1929, un récit s
u r r é a l ^ H le poème en pros]™ Réveillez-vous !
Réveillez-vous ! est une histoire - si l'on peut parler
d'histoire surréaliste : un par-cours, u n voyage ini t iat ique du
j e u n e hérosffi^nis, dans des pays merve^Eux, à travers des
paysages de montagne et de mer, en lutte avec les é léments et les
hommes, proie de l'amour, des rêves, des cauchemars et de la haine,
ordonnateur et v ic t ime de m é t a m o r p h o s e s . . .
sur-réelles, aimé et délaissé de son amoureu-se, Mousse. Le monde
que Déry crée est un m o n d e sauvage, cruel , dramat ique voire
tragique où chacun est à son tour bourreau et victime, où le temps,
l'espa-ce, la vie même cessent d'obéir aux lois de la logique.
Monde parcouru par des animaux extraordinaires, survolé par des
villages qui ont lâché leurs amarres. Déry écr i t en p o è t e ,
mais il p a r a i t sous l'influence des images. Plus qu 'un récit,
son texte semble sortir tout droit des meilleurs tableaux
surréalistes, s'y retrou-
vent Dali et Max Ernst et, pourquoi pas, le monde de Nemes. En
filigrane, com-me toujours chez Déry, a p p a r S s e n t aus-si,
revues, éclatées et reas®>ciées, recom-posées, les grandes
questions morales, éthiques, politiques et philosophiques de
l'époque et du pays, et la figure caracté-ristique des contes
hongrois, le voyageur : é t range étranger, révélateur de la vie,
catalyseur des amours.
C'est sans dou te la p remiè re fois que "Réveillez-vous !" est
adapté à la lecture théâtrale. Il sera lu à plusieurs voix.
Déry est, parmi les trois artistes présentés ici, le seul déjà
connu en France. Il est publ ié au Seuil et chez Albin Michel
(romans, nouvelles), et en 1984 et 1987 la Revue parlée a présenté,
en lecture-spectacle, deux de ses pièces surréalistes : "Le Bébé
géant" et "Que prenez-vous au petit déjeuner ?"
Georges Baal
•
beaumoneillustration
-
LA COMÉDIE PESSIMISTE D'ARPÀD GÔNCZ
Né en 1922, Arpàd Gôncz appartient à la génération des
intellectuels hongrois qui a peut-être le plus souffert des
convul-sions de l 'histoire. Résistant contre les Al lemands à la
fin de la g u e r r e , puis opposé au fas^Kme comme au stalinisme,
il passe la plus grande partie de sa vie condamné au silence. Après
des études de droit , après avoir fait cent métiers p o u r vivre
ou surv ivre ( j ou rna l i s t e , ouvrier métallurgiste...), il
devient ingé-nieur agronome. En 1956, sa participa-tion à la
Révolution lui vaut une condam-nation à perpétui té et six ans
d'empri-sonnement sous le régime de Kàdàr (sa vie croise ainsi
celle de Déry, son aine de trente ans). Ce n'est qu 'en 1965, à
tren-te-trois ans, que sa carrière d'écrivain c o m m e n c e , et
enco re , p e n d a n t long-temps, il ne vit que de son travail de
tra-ducteur littéraire : Faulkner, Hemingway, G o l d i n g , les a
u t e u r s c lass iques e t contemporains anglais, américains,
japo-nais. Son oeuvre personnelle (un roman, des nouvelles, six
pièces) n 'est éditée qu 'à partir de 1974. Gôncz n'est pas un
écrivain prolifique : les circonstances lui ont rarement permis
d'écrire...
publique de son pays. D'abord à la tête de la Ligue des Droits
de l 'Homme, il préside ensuite, quand elle devient indé-pendan te
, l 'Union des Ecrivains hon-grois. C'est là que la vie politique
l'appel-le : en 1990, il est élu Président de la République.
Occupation qui ne lui laisse-ra sans doute pas le loisir
d'écrire...
Gôncz est l'auteur de six pièces dont plu-sieurs créées à
Budapest, depuis 1976, et certaines jouées à l 'étranger (en douze
pays, déjà). Son oeuvre ne sera peut-être pas considérée comme de T
avant-garde" : ce qu'il a à dire porte sur la réalité du pré-sent
et du passé récent de la Hongrie et des Hongrois, qu'il en parle à
travers des parallèle^ffistoriques, les mythes grecs ou directement
au préseffl!. Dans ses pièces Gôncz se plonge, alternativement,
dans le monde des mythes grecs qui refont surfa-ce dans n o t r e
pe t i t m o n d e é t r i q u é d'aujourd'hui, dans l'hisBjre : la
Réfor-me et ce qu'elle demande de courage et de sacrifice, « t r e
présent enfin. Il veut contourner les censures, transgresser les
interdits, et l'allusion, l'allégorie histo-riques le servent
autant que l 'échappée dans l ' i r r ée l . Son bu t , avoué , est
de "répondre aux questions qui talonnent sa génération". Ce besoin
impératif de dire ce qui, pendant les dernières décades, devait
être tu, explique sans doute son style particulier où presque
chaque phra-se, d 'abord précise, incisive, lisse, s'effi-loche et
reste souvent inachevée pour céder la place au non-dit, au
sous-enten-du, à I'entre-mots. Il est vrai que, par la force des
choses, lire entre les lignes est devenu à l'Est un sport
national...
Placer Gôncz au voisinage des surréa-listes n'est cependant pas
tout à fait arbi-traire, arbitraire. Il y a d'abord l'influen-ce
profonde, libératrice du surréalisme sur l 'écriture qui a
profondément mar-qué la deuxième moitié de notre siècle et d o n t
on trouve pa r tou t les traces, les effets, les relents.
Après le silence, la prison et encore le silence, Gôncz apparait
tard dans la vie • • •
beaumonephoto
-
Les techniques, les secrets de fabrication des avant-gardes
servent souvent, sous les dictatures, à véhiculer une pensée poli-t
i q u e qu i e s p è r e ainsi é c h a p p e r à la répression. Sa
dernière pièce, La Comé-die pessimiste, publiée en 1990, n'est pas
sans rappeler un certain goût, une certai-ne couleur, u n ry thme,
u n e ambiance qui évoquent le surréalisme pour mieux faire parler
le réel.
Mais, avant tout, elle décrit la réalité, réa-lité telle q u e
Gôncz et son pays l 'ont vécue et qui devient surréelle à force de
déformer, travestir sans cesse son propre passé, de faire régner
une logique faus-sée à la base, de créer un "mentir-vrai" où même
le mensonge m e n t
La Comédie pessimiste est, bien sûr, une t ragédie . Si Ton y
rit , c 'est l 'effet de confrontations surréelles, de rencontres
surréalistes. C'est aussi pour avoir dépassé les limites de la
tragédie, à force de trahi-sons, de lâchetés, de compromis. On ne
peu t q u ' e n r i re - mais peut-on en rire vraiment ? Pessimiste
? Peut être pas -mais l 'opt imisme n 'es t que pour plus tard, q u
a n d les nouvelles généra t ions s e r o n t gué r i e s du passé
p o u r l 'avoir regardé en face, digéré, sublimé.
La Comédie pessimiste est donc la tragé-die de son héroïne, Iza,
qui n'y prononce que trois mots mais reste au centre de la pièce.
Femme vieillissante, restée seule, vivant sa solitude après avoir
été victime de toutes les vicissitudes de l'histoire : la guerre ,
la Gestapo, le stalinisme et ses procès , la d u r e nécessité de
survivre, d 'é lever seule sa fille dans l ' absurde monde de la
dictature.
Autour d'Iza se retrouvent, se réunissent, se côtoient ou se
croisent tous ceux qui ont joué un rôle dans sa vie : ses parents,
fossiles d 'un monde disparu à jamais et qui ne comprennent pas ce
qui leur arri-ve ; son mari, communiste emprisonné comme traître,
battu à mort puis "réhabi-l i té" ; ceux qui l 'ont dénoncé,
condam-né puis réhabilité avec la même lâcheté ; son deux ième mari
, ex-ami et compa-
gnon de détention du premier, qui l'a remplacé à la maison avant
de partir, en 1956, s'enrichir en Australie ; des jeunes
révolutionnaires et des vieux apparat-chiks ; Eva, enfin, sa fille
qui s'en est sor-tie, elle, en perdant à jamais le pouvoir d'aimer,
d 'ê t re aimée, Eva qui ne s'est jamais remise de n'avoir pas
connu son père, Eva la révoltée, un peu Antigone, un peu Electre...
Comme souvent chez Gôncz qui, dans d'autres pièces, évoque Médée et
Perséphone, la femme est le point focal de la tragédie, seule lueur
d ' u n avenir incer ta in . Eva, endurc ie , intransigeante,
accusatrice mais profon-dément déchirée par sa révolte même, petite
fille en sanglots qui poursuit avec le dernier désesnHr sa quête,
même pas d'amour mais de pouvoir aimer. L'occupation permanen te ,
et combien symbolique, d'Iza, tout le long de la piè-ce, est de
recoller patiemment, méticu-leusement les pièces brisées de l 'urne
qui contenait les cendres de son mari. Pen-dant que le passé défile
devant ses yeux, elle en r econs t i tue ainsi le puzzle et remet à
leur place les éclats de vérité. Elle enter re ainsi une nouvelle
fois et, espérons, définitivement, tous les morts : hommes morts,
idées mortes. Les voies de l'avenir ne s'ouvriront qu'au-delà de la
pièce, quand les cendres du mari mort au ron t re t rouvé leur
place, q u a n d on aura fini de compter les grandes et les pe t i
tes t rah i sons , les c o m p r o m i s , les peurs et les
lâchetés.
La pièce se passe dans un espace flottant, irréel, peut-être
dans un rêve ou dans les p e n s é e s p e r d u e s d ' I za : r e
n c o n t r e s impossibles, imaginaires, où les morts croisent les
absents, le passé s 'emmêle avec le présent et les vivants sont
aussi fantomatiques que les morts. Espace pré-cis, situations
douloureusement précises mais qui se t r o u b l e n t , " sau ten
t" , se broui l lent comme des vieux films mal projetés. La réalité
elle-même ne s'inscrit plus dans ses contours, elle se redessine
dans les rencontres, fantomatiques des revenants et des
survivants.
• • •
-
Gôncz écrivain n 'a que faire du réalisme socialiste si
longtemps infligé. Il est par-fois, lui auss i , sous l ' i n f l u
e n c e de l'expressionnisme et évoque par sa der-nière pièce Karol
Capek (celui de "La Mère" ). Et le surréalisme ? Est-ce sa fau-te
si la réal i té h is tor ique ne lui laisse qu 'une alternative :
soit s'enfermer dans la tour d'ivoire des j eux formels en
espé-rant sans agir des lendemains qui chan-tent ou qui déchantent
mais laissent au moins dans la vie une place aux chan-sons, soit
habiller d 'oripeaux la nudité d ' u n e r é a l i t é de l ' i nd
i c ib l e , se faire [maquillage et montrer enfin la "beauté
convulsive" rédemptrice d 'un passé des rolus laids. Gôncz, le
politicien, appelle D'écriture pour dire que son optimisme ne
naîtra que de la sublimation d 'un pes-simisme fondamental étayé
par une abso-l u e honnêteté dans le faire face.
Comment reconnaître le hongrois "ano-nyme" d e ma généra t ion ,
âgé comme moi de plus de soixante ans ? Essayons de dessiner son
por t ra i t - robot c o m m e la police le ferait pour un criminel
selon les descriptions quelques fois concordantes quelques fois
divergeantes des témoins oculaires. Ce hongrois devait au diable
six ans de sa vie, perdus sans trace, qui lui ont laissé ces deux
plis profonds au coin de la bouche. Ceci, s'il avait la chan-ce qu
'on n'ait pas enseveli son cadavre en grattant la terre gelée
d'Ukraine mais qu ' i l ait pu m a r c h e r à p ied , avec ses
godasses aux semelles minces, les orteils gelés , au mil ieu des
combats pe rma-nents, quelques douze cents lieux, sans être fait
prisonnier, et qu'il ait pu rentrer chez lui, à la maison, et que
s'il avait eu f e m m e e t e n f a n t s , ils l ' a t t e n d a i
e n t , vivants. S4ils l 'attendaient...
A peine quatre ans plus tard, on lui a pris sa terre, sa maison,
nationalisé son ate-lier, on l'a chassé de son appartement, on l'a
déporté, il a fui son village, et ou
Ce n'est pas l'ironie du sort mais une cer-taine logique des
pays de l'Est qui fait qu'avant de devenir le premier Président d
'un pays démocratique, Gôncz a donné dans une de ses pièces une
esquisse mor-dante du Président dictateur. Avec lui à Budapest,
Havel à Prague, auteurs si dif-férents mais qui ont fait le saut
acroba-tique de la prison à la plus haute fonc-tion de l'état, on
verra si l 'exercice de l'écriture dans la clandestinité, le
samiz-dat et l 'opposition protège bien, mieux que n ' importe
quelle idéologie, contre les tentations du pouvoir.
La Comédie Pessimiste sera présentée, sous forme de
lecture-spectacle, en créa-tion mondiale, pour le 70e anniversaire
d'Arpàd Gôncz.
Georges Baal
bien il a renié sa foi, ses idées politiques, sa patrie, ou bien
il s'est trouvé en camp de travail, en prison, et s'il a retrouvé
sa liberté, il n'avait plus qu 'à tout recom-mencer à zéro, en
dorlotant son "âme" dans une émigration intér ieure. Et de nouveaux
cinq-six années sont passées. Si rien de plus grave ne lui est
arrivé, pas même la captivité, il lui restait la misère, la pr
ison, le r ecommencemen t . Entre t emps , s'il n 'avai t pas c o m
p l è t e m e n t capitulé, il avait appris qu'il fallait mentir
comme respirer - par auto-défense. Jus-qu'à la mort de Staline.
Alors - lentement - l'obscurité commença à se dissiper, et en 1956
le peuple s'est levé, la révolution a éclaté. Dans l'âme du
hongrois anony-me, elle est devenue inséparable du sou-venir de
1848, quand ses arrière grand-pè r e s o n t g a g n é , face aux a
r m e s de l 'empereur d'Autriche, l ' indépendance de leur patrie,
ont jeté les bases de la pre-mière républ ique hongroise
démocra-tique.
• • •
•
LE HONGROIS "ANONYME"
-
A l'époque, c'était l 'armée russe du tzar qui l'avait écrasée,
tout comme l 'armée rouge de Khrouchtchev écrasera la secon-de en
1956. Après cela, le hongrois ano-nyme, - s'il n 'é ta i t pas
tombé dans les combats comme des dizaines de milliers des s iens,
s'il ne s 'é tai t pas réfugié à l 'étranger comme les deux cent
mille, si on ne l'avait ni emprisonné, ni interné feomme les huit
mille, si on ne l'avait pas pendu comme les quatre cents - il s'est
de nouveau retiré dans l 'émigration intér-ieure et il s'est tu par
auto-défense. Ou bien, faute d'avenir, il s'est adonné à la
boisson, il s'est suicidé, il a eu un infarc-tus, il s 'est usé :
il est m o r t avant son temps. A la fin des années 70, l'obscurité
de nouveau a commencé à se lever. La majorité n ' en a pas cru ses
yeux, mais quelques uns des anonymes se sont mis à faire du
samizdat, acceptant les perquisi-tions, les coups de mat raque . Le
long combat, sans sang versé mais amer, diffici-le, a commencé ; il
n 'a pris fin qu'avec la dernière élection, espérons-nBs, et
défi-nitivement, voulons-nous croire, avec la victoire de la l iber
té e t n o n pas de la misère. Le hongrois anonyme porte sur son
visage les traces de ce combat aussi, comme un signe particulier de
reconnais-sance. On le reconnaît facilement
Cette image me va-t-elle aussi ? Ma mère est h o n g r o i s e -
sa ville n a t a l e est aujourd'hui en Roumanie. Mon père est h o
n g r o i s - son l ieu d e na i s sance est aujourd'hui en
Yougoslavie. Le père de ma femme est hongrois - il est né dans ce
qui est devenu la Tchécoslovaquie. Ils sont tous des réfugiés. Pour
moi c'était déjà plus facile - j ' en savais trop de ce qui est
inhumain pour ne pas reconnaître, déjà é tud ian t ( j 'étudiais le
d ro i t ) , où é t a i t m a p l a c e . Les p a r e n t s de m o
n meilleur ami sont partis en wagon à bes-tiaux plombé vers
Auschwitz, lui-même, le seul saint que j ' a i rencontré de ma vie
-partai t au travail obligatoire. La mort l'attendait, il aurait pu
s'échapper mais il ne l'a pas fait : il a accepté le sort de ses
camarades et j u squ ' à la mort il n ' a eu que de bonnes paroles,
même pour ses assassins. Moi, n o n . J e ne suis pas u n sa in t :
on m ' a a p p e l é à l ' a r m é e , j ' a i
déser té . J ' a i pris les a rmes con t re les nazis, j ' a i
été blessé - et cela a immédiate-ment désigné ma place dans la
nouvelle démocratie naissante de l'après-guerre. Celle qui n ' a
pas vécu quatre anniver-saires - Staline et la guerre froide l 'ont
étouffée dans sa tendre enfance. Et avec elle, mon avenir aussi,
comme, semblait-il, l'avenir de tant d'autres hongrois ano-nymes.
Celui qui a r isqué u n e fois sa peau pour la démocratie est
suspect : il pourrait la risquer une nouvelle fois. Mes études ont
été interrompues par la Révo-lut ion. Encore u n e fois, j ' a i eu
de la chance : de nouveau j ' é t a i s témoin de trop d'atrocités
pour ne pas chercher, avec mes amis, après l'écrasement de la
RévojKion, une issue politique, un com-promis de bon sens, un modus
vivendi avec l 'Union soviétique, p o u r que les huit terrijpes
années ne se répètent pas ;
llfotre tentative a échoué. C'est là qu'arri-vaient mes six
années à moi - celles que j e croyais devoir au diable. Dans un
procès secret, à huit clos, par un procédé accélé-r é , sans pouvoi
r faire appe l , on m ' a condamné à la prison à vie pour complot
et haute trahison, en compagnie d'Istvàn Bibo - le deu%jjme héros
politique de 56, avec le premier ministre communiste et martyr Imre
Nagy. C'est en prison que j ' a i appris l 'anglais et, au jourd
'hui , j e sens que pour cela aussi j e devais me lais-ser
enfermer... J 'ai vécu vingt ans de la t raduction d'écrivains
américains. Les Etats-Unis l 'ont récompensé par le prix
Wheathand.
Après quelques articles techmques, me voilà devenu écrivain.
J'avais 52 ans quand j ' a i vu ma première oeuvre imprimée.
Arpàd Gôncz Budapest, 1991
Préface aux "Copeaux"
• • •
-
ECRIVAIN ET POLITICIEN
La guerre avait déjà commencé quand j ' a i terminé le lycée, et
j 'é tais encore étu-d ian t (en d ro i t ) q u a n d la H o n g r
i e a rejoint les belligérants. J 'a i commencé ma vie d'écrivain
et celle de politicien à v ingt t ro i s a n s . Ce qu i p r é c é
d a i t -quelques poèmes, des rêves littéraires et ma pa r t i c
ipa t ion dans la lut te a rmée contre le nazisme - prenai t ses
racines dans mes sent iments et mes émotions mais ne se p r é s e n
t a i t ni c o m m e u n e action concertée de politicien ni comme
une mise à répreuve du talent en forma-tion d'un j eune homme. La
fin de la guerre a fait miroiter l'espoir de retrouver l '
indépendance nationale si attendue et de construire enfin, à partir
des r u i n e s , m ê m e au pr ix de g rands sacrifices, une
démocratie. Il s'est avéré cependant assez rapidement que sous la
libération se cachait l 'occupation sovié-tique, et la guerre
froide a entraîné la prise de pouvoir effective par les
commu-nistes. Les quatre années intermédiaires, commencées pleines
d'espoir et qui pro-met ta ien t , au débu t , u n e démocra t i e
pol i t ique , se sont avérées des années d ' a m è r e s lut tes d
' a r r iè re -garde . Moi-même, j'essayais de fructifier mon
capital moral, acquis dans la résistance contre les allemands, en
militant au Parti Indé-pendant des Petits Propriétaires, le parti
le plus fort de l'après-guerre et qui repré-sentait encore l
'opposition bourgeoise d ' en t re -deux-guer res . Mes rêves
litté-raires antérieurs ont été noyés dans la rédaction d 'un
journal pour la jeunesse que j ' a i entreprise j e u n e et sans
expé-rience.
La pr ise de pouvoir communis te m ' a bien sûr immédia tement
et définitive-ment dessoûlé de tout rêve politique ou l i t t é r a
i r e . N o n s e u l e m e n t le c h a m p d'action politique se
fermait devant les gens de mon acabit mais le travail deve-nait
introuvable : il me fallût un an pour pouvoir me faire e m b a u c
h e r c o m m e manoeuvre, et encore contre les règle-ments . L
'écr i ture , dans mon cas, était hors de question - ce que j ' a i
écrit, je l'ai fait sous des noms d 'emprunt, en nègre.
Mais non seulement il m'é ta i t impos-sible, dans la prat ique,
de publier des oeuvres littéraires - j e n 'en avais guère envie :
l 'écriture, puisqu'il fallait écrire sous la dictée du Parti
Communiste, reve-nait à la prosti tution de l'esprit. Pour moi qui
n'ai jamais vécu de ma plume, il ne s'agissait pas d 'une question
de sur-vie. En fin de compte, j ' eus de la chance, comme écrivain
autant que comme poli-ticien : j ' a i réussi à me r ééduque r en
ouvrier métallurgiste, j ' a i travaillé à l'usi-ne dans la soudure
autogène et la grosse c h a u d r o n n e r i e . Plus tard, j e me
suis converti à l 'agriculture, où j ' a i recom-mencé de nouveau
comme ouvrier avant de travailler, jusqu'en 1956, comme tech-nicien
et enfin comme ingénieur agrono-me spécialisé dans la conservation
des sols et dans l'organisation des exploita-tions. A l 'époque
j'avais même presque terminé l'Ecole d'Agriculture.
1956 m'a d 'un seul coup replongé dans le courant de la
politique, mais désor-mais en possession de connaissances sociales
plus approfondies.
Le soulèvement hongrois a échoué -j'ai encore par t ic ipé dans
ses luttes poli-t iques d ' a r r i è r e -ga rde . Pour cela, j e
devais être condamné, pour complot et trahison de la patrie, au
cours d 'un pro-cès secret et accéléré, à la prison à vie. J'y
passais six ans pendant lesquels j ' a i eu l'opportunité
d'apprendre l'anglais et de travailler, pendant trois ans, comme
tra-ducteur. Encore une fois, j ' a i eu de la chance : j e dois à
la prison la base de mon futur gagne-pain : la connaissance d ' u n
e l a n g u e , et, dans u n e c e r t a i n e mesure, mes savoirs
historiques et poli-tiques, puisque j ' a i traduit exclusivement
des textes — mémoires de la deuxième guerre, études de nature
politique- qui m'auraient été inaccessibles à l'extérieur.
• • •
-
Une fois libéré, j ' a i essayé de me recaser dans mon métier
précédent, l'agricultu-re, mais aucun lieu de travail ne voulait de
moi, et il ne me restait que le dernier salut de tous les
intellectuels ayant passé par la prison : la vie de traducteur. Ce
qui, avec le temps, m'a ouvert la voie vers l'écriture.
J'avais cinquante deux ans quand - après cinq ans d'attente -
mon premier livre a été publié. Ce premier roman a été plus tard
traduit en plusieurs langues. Le livre est l 'histoire d ' un
procès d 'hérét iques dans la Hongr i e du quinz ième siècle, mais
il est plutôt la somme de mes expé-riences de prison qu 'un vrai
roman histo-r ique. Ceci -bien que personne ne l'ai jamais écrit- a
été r e c o n n u non seule-ment par mes lecteurs mais également
par le "commissariat de la littérature ".
Cependant, j e continuais de gagner ma vie par la traduction
littéraire. L'écriture prenait le temps volé sur la traduction. Vu
les a léas de la p u b l i c a t i o n et les longues attentes, j e
n'aurais pas pu vivre de mes écrits. Il n'était pas facile non plus
de se faire une idée de l'effet qu'exer-çaient mes oeuvres -la
critique était peu expansive et, quand elle était de bonne foi,
elle taisait, dans mon propre intérêt, l 'essentiel . Les tirages é
ta ient faibles. L'influence de mes écrits s'est répandue comme un
courant souterrain qui ne sur-gissait q u e par-ci par-là. Ceux qui
me reconnaissaient étaient également très pudiques —ils ne
voulaient faire du tort ni à eux-mêmes ni à moi. Chacun de mes
écrits fût conçu en sachant d'avance que leur sa ignante actual i
té pou r ra i t ê t re p é r i m é e avant m ê m e q u ' i l n ' a
r r i ve devant le lecteur ou le spectateur.
L 'auteur , affamé, à la frontière ent re in t e rd ic t ion et
to lé rance , ne pouvai t espérer qu 'une chose : que son oeuvre,
éditée en peu d'exemplaires, lue par un petit cercle de
connaisseurs, étranglée par le silence, puisse représen te r u n e
vraie valeur et résister au temps.
Elu Président de l 'Union des Ecrivains b i e n q u ' é t a n t
u n " o u t s i d e r " c o n n u d'avantage comme traducteur de
littéra-
ture anglophone que comme auteur dra-matique, membre émérite de
l'opposi-tion démocratique, mais connu dans son p r o p r e pays
seu lement par u n cercle étroit , moi-même j e suis incapable de
dire ce qui a joué le rôle principal dans cet te élection : mes
écrits, m o n passé politique ou ma personnalité encore à peine
connue. L'intérêt momentané de l 'Union des Ecrivains lui a dicté
de se tenir en dehors des luttes politiques quo-t i d i e n n e s ,
les devoirs du p r é s i d e n t étaient non pas politiques mais
au-dessus de la politique. Ceci a demandé que j e renonce au rôle
que j ' a i joué jusque là dans l'opposition démocratique.
Ma désignation au poste de Président de la République, d ' abord
par le mouve-ment libéral issu de l'opposition démo-cratique puis
par mon parti et, enfin, par l'Union des Démocrates Libres, si elle
ne m'a pas tout-à-fait surprise, était due uni-q u e m e n t au
fait q u e mes a ines qu i , depuis 1941, relégués à l
'arrière-plan pol i t ique, on t j o u é u n rôle d i r igeant dans
toutes les initiatives démocratiques, n 'on t pas vécu jusqu 'aux
changements qu'ils auraient dû si justement représen-ter et
incarner. Il restait -moi, avec les trois époques de ma vie
teintées de poli-tique, mon travail d'écrivain et, derrière moi,
l'autorité gagnée comme président de l'Union des Ecrivains.
Si l 'on me demandait donc, aujourd'hui, si j e suis écrivain ou
politicien, j e répon-drais : écrivain et politicien, sans pouvoir
séparer les deux.
Avril 1992 Arpàd Gôncz
Texte écrit pour la création de la Comédie pessimiste
•
-
• ENDRE NEMES : ^^M • UN GRAND PEINTRE SURRÉALISTE • "Endre
NEMES est né en Hongrie, dans un petit village près de Pécs, en
1909. Dans les années trente, il vit à Prague, où il peint une
série d'intérieurs mystérieux habités par des écorchés, des
mannequins à la De Chirico et imprégnés de l'atmosphère magique de
la vieille Prague dans laquelle est née la légende du précurseur de
ces êtres artificiels - le Golem. Au début de la guerre, il
s'enfuit en Suède, où il peint encore pendant un cer-tain temps ses
intérieurs métaphysiques historisants avant de se consacrer à
l'abstraction lyrique. Il renoue avec son passé surréaliste vers
les années soixantes, dans des tableaux et collages ayant pour
thème les métamorphoses poétiques et ironiques d'un univers
technologique."
Dictionnaire général du surréalisme - Presses Universitaires de
France
beaumonephoto
-
Endre NEMES est hon-gro is p a r sa l a n g u e maternelle, par
son lieu de n a i s s a n c e , p a r ses racines et son at
tache-ment à la Hongr ie où, c e p e n d a n t , il a p e u vécu.
Né en 1909, il tra-verse la première guerre en Slovaquie, puis
étu-die à Budapest, à Vien-n e , à Bra t i s lava e t à Prague où
il passe cinq ans à l 'Académie des Beaux-arts. Après avoir été cri
t ique et caricaturiste, il se consacre à la peinture. En 1933, il
fait un voyage d ' é t u d e s à Par i s . Ses a n n é e s
d'apprentissage l 'amènent à rejoindre le groupe surréaliste de
Prague. Mais, en 1938, il est obligé de fuir le fascisme et
s'installe d 'abord en Finlande, puis, à par-tir de 1940, en Suède
où il vit et travaille jusqu'à sa mort, en 1985. A Stockholm, il
fait partie du groupe surréaliste Minotau-re, et ainsi le hongrois
Nemes, marqué par le surréalisme tchèque, apporte une impulsion
décisive au mouvement surréa-liste suédois. L 'Europe des
avant-gardes précède bien l 'Europe politique !
En S u è d e , N e m e s a c q u i e r t , d a n s les années
50, une réputation internationale. II expose d'abord en Scandinavie
puis en Europe, au Canada, aux Etats-Unis, gagne un prix au Japon.
Il voyage en Amérique, au Japon, en Chine. En même temps, il
déploie une intense activité pédagogique.
Passionné dès ses débu ts par les tech-niques, utilisant la
tempera, fabriquant souvent lui-même ses couleurs, Nemes s
'épanouit dans les formats et les sup-ports les plus divers :
dessins, aquarelles, col lages , hu i l e s d e g r a n d f o r m a
t et , après-guerre, des oeuvres monumentales et l ' e x p é r i m
e n t a t i o n de t e c h n i q u e s variées : émail, marbre,
fresque, tapisse-rie, t issage, souvent en co l labora t ion
étroite avec des architectes, ainsi que des décors et des costumes
pour un ballet de Tudor, etc. Nemes n'oublie pas qu'il est
aussi artisan, et artisan méticuleux, scrupuleux et
inventif.
L 'œuvre de Nemes prend son élan à Prague, me l t i ng po t à
cet te époque des avant-gardes e u r o p é e n n e s , sous l '
influence des grands aines de l'impressionnis-me , de Cézanne , des
expressionnistes, et de
ses prédécesseurs immédiats, cubistes et abstraits. L' influence
la plus forte est cependant celle du surréalisme.
Si en Hongrie, en 1984, on était encore obligé de placer Nemes
sous l'égide d'un réalisme socialiste qui est cependant loin d e
lui , si les c r i t i ques l ' o n t souven t méconnu ou mal
situé, pour nous il n'y a aucun doute : Nemes est un peintre
sur-réaliste, et des plus grands. Il est aussi unique : on aimerait
bien le voir comparé à Ernst et à Dali, à Magritte et à Tinguely,
mais on ne risque pas de le confondre avec eux. Cependant , il est
aussi jus te d 'évoquer comme lui-même et ses cri-tiques l 'ont
fait, la pe in tu re métaphy-sique, l'influence de la Renaissance,
du gothique et du baroque, l 'expres^nnis-me, le cubisme et le
symbolisme, et cer-tains de ses tableaux viennet s'inscrire d a n s
la m o u v a n c e de l ' abs t r ac t ion lyrique. Tant de
références pourraient faire craindre que Nemes ait manqué de pe r
sonna l i t é . Tout au con t ra i re , son oeuvre entière suit un
fil conducteur et montre une homogénéité, une cohésion exemplaire.
Mais, comme tous les vrais peintres de sa génération, celle qui
suc-cède aux grands innovateurs du tournant du siècle, Nemes est
prêt à profiter des leçons de toutes les écoles qui le précé-dent,
reste très attentif à tout ce qui se fait en Europe en son temps,
ouvert aux influences les plus variées, sans jamais se r e n i e r
. Il a i m e aussi e x p é r i m e n t e r , découvrir, se remettre
en question.
ENDRE NEMES. . .
Endre Nemes -1958 - atelier, Stockholm
beaumonephoto
-
Une des constantes du travail de Nemes est son extrême attention
au détail, à la réalisa-tion technique impeccable.. En ceci, il
reste classique, et d'ailleurs les allusions, les cita-tions, les
détails élaborés de ses tableaux font souvent pense r aux anciens
des grandes époques d'Italie et de Flandre. Plus peut- être que
beaucoup de créateurs de sa génération, Nemes croit au
savoir-faire, au travail perfectionniste.
L'univers de Nemes, nous nous répétons, est un univers
surréaliste. Dans ses com-positions s'élabore un monde né
d'asso-ciations les p lus i na t t endues , de ren-contres contre
nature, de confrontations dramat iques . Plusieurs grands thèmes
parcourent cette oeuvre. Il y a les corps,
souvent hybrides, mi-homme, mi-auto-mate, où les peaux, les
chairs, la mysté-rieuse anatomie des entrailles s'oppose d ramat
iquement à la mécanique , aux armures, aux boulons et aux vis. Et
ces corps s 'ouvrent, laissent entrevoir des plans cachés où Ton
voit les secrets de l'inconscient ou les échappées d 'un au-delà
métaphysique, où l 'on devine des rêves et des cauchemars. Mais
parfois, ce sont les motifs gais, ceux de l'imagerie populaire,
ceux des contes, ceux des ani-maux poétiques de Chagall (encore une
référence !) qui apparaissent : châteaux enchantés, cavalier sur
son cheval blanc, oiseau fabuleux (certaines de ces images
pourraient illustrer les textes surréalistes deDéry). • • •
beaumoneillustration
-
L'appel à la poésie , l ' é lément lyrique marquen t p ro
fondémen t Nemes, dans ses figures h u m a i n e s , clowns et
voya-geurs , dans ses paysages romant iques éclatés, dans son
animalier surnaturel.
Avec le temps (et sensible, sans doute , aux malheurs et aux
tourments du mon-de qui l 'entoure) , l'oeuvre de Nemes se laisse
envahir par la civilisation moderne, le monde de la mécanique, du
métal et du câble, des robots et des usines. Monde qu'il ressent
dans sa chair, qui le blesse, lui fait peur, comme en témoignent
des titres d e tableaux : "Idylle menacée" , "Idylle effrayante" ,
"Cauchemar". Les machines y j o u e n t un rôle impor tant , non
pas par leur fonc t ionnement (les machines inuti les mais en
mouvement pe rpé tue l d e Tinguely) mais par leur dureté, leur
consistance compacte, leurs formes et contours , leur lourd impact
psychologique.
Nemes donne champ libre aux images des rêves, à l ' invent ion,
à la fantaisie, aux visions. II n'exclut pas, pour autant, la
pen-sée : la métaphysique est omniprésente, le lyrisme éclatant,
ses idées philosophiques, psychologiques, sociales se tissent dans
l'imagerie. Et la tension dramatique est omniprésente. Nous sommes
loin de tout esthétisme, de tou te tentat ion de l 'art pour l'art,
de la tour d'ivoire.
Nemes est avant tout surréaliste. Cela n'est ni une recette, ni
un label de fabrication. Cela est à la fois mode et école, air du
temps et air de famille, mais aussi une tech-nique, une morale, une
psychologie, une phi losophie. Le surréal isme de Nemes montre ses
signes extérieurs de richesse et garde ses richesses intérieures
cachées.
Là où Chirico casse ses colonnes et visages classiques, là où
Dali oppose à la solidité du réel la fluidité d 'un surréel qui
ramol-lit et fait fondre les objets, là où Magritte traque le
secret de l'image la plus modes-te d 'un chapeau, d 'une pipe, et
cherche la mer derr ière le mur, l'oiseau dans le roc, Nemes laisse
éclater u n e richesse immense où, à travers le corps central, s
'entrechoquent les milliers d'éclats d 'une réalité à retrouver, à
recomposer.
Nemes, vivant sur tout des commandes d'oeuvres monumentales et
de son tra-vail de pédagogue, a relativement peu vendu dans sa vie,
il préférait réunir et conse rve r son oeuvre qu i se t rouve ,
actuellement, dans des musées de Tché-coslovaquie, d'Israël, de
Yougoslavie et des pays Scandinaves.
En 1984 s'est ouvert le Musée Endre Nemes de Pécs, situé dans un
magnifique bâtiment historique, exposant une fabu-leuse collection
de 250 oeuvres couvrant 50 ans de travail (1932-1982). L'ensemble
que le Centre Georges Pompidou présente vient de ce musée. Le choix
que nous don-nons à voir ici est restreint, limité par l'espace
disponible. Il était guidé par un désir d'unité, à travers les
quarante ans en t re le premier (1941) et le dern ier (1980) tab
leau p r é s e n t é . Nous nous sommes c o n c e n t r é s sur ce
qu i nous s e m b l e le p lus for t chez N e m e s , en excluant
ses expériences dans les direc-tions de l'expressionnisme, du
cubisme ou de l'abstraction. Les six tableaux de grand format
choisis sont complétés par q u e l q u e s pe t i t s fo rmats :
col lages e t aquarelles, aussi importants pour lui que ses ouevres
monumentales.
Nemes n 'a jamais été exposé en France. Voici un vide à combler.
Nous espérons, bien sûr, que le Petit foyer servira de trem-plin
pour la grande exposition rétrospective que Nemes mérite (pourquoi
pas pour le dixième anniversaire de sa m o r t ? ) . Au moins,
qu'il respire, en attendant, l'air même qu 'ont respiré, il y a
peu, André Breton et Max Ernst
Georges Baal
•
-
ENDRE NEMES ET SON MUSEE A PECS
Les tableaux présentés ici appartiennent tous au musée consacré
dans son entier à Endre Nemes, fondé à Pècs, au Sud de la Hongrie,
en 1983.
Nemes a vécu la majeure partie de sa vie en Scandinavie, avant
tout en Suède. Son oeuvre est cependant typiquement d'Euro-pe
Centrale, profondément marquée par le destin de cette région du
monde.
les frontières et, du même coup boule-versent la vie des
familles. Iglo devient une ville slovaque et les Nemes se
dépla-cent de nouveau : ils sont "rapatriés". Nemes fait ses é
tudes secondaires en Hongrie. Il n 'a pas dix-neuf ans quand son
frère (devenu connu sous le nom de Louis Nagel , f o n d a t e u r
des Edi t ions Nagel à Genève et à Paris) édite, en hon-grois, son
recueil de poèmes.
Nemes est né en 1909 à Pécsvàrad, petite ville de la Hongrie
méridionale au passé millénaire qui a joué un rôle historique à
l'époque de la fondation de l'état magyar. Son p è r e est f onc t
ionna i r e de l 'é tat . Quand Nemes a cinq ans, sa famille
s'ins-talle au Nord du pays, à Iglo. Mais la chute de la monarchie
austro-hongroise, la paix imposée à la fin de la guerre
redessinent
Après q u e l q u e s semes t res à V ienne , Nemes termine ses
études à l'Ecole des Beaux-arts de Prague où son maître est Willy
Nowak. Il assure sa subsistance matérielle en faisant des
caricatures pour la presse. Il est aussi critique d'art dans des
journaux de langue hongroise édités en Tchécoslovaquie.
• • •
•S
•y
beaumoneillustration
-
Les événements de 1938 l'obligent à émi-grer de nouveau. La
Finlande est le seul pays qui accepte des hongrois sans visa. Mais
en 1940, elle aussi l 'expulse, six jours avant l'occupation
allemande. Grâce à l'appui d'artistes amis, il trouve asile en
Norvège . Les a l l emands avancent , et devant l 'écroulement
militaire de la Nor-vège, Nemes se réfugie en Suède où il est
d'abord interné avant que ne lui soit déli-vré un permis de séjour.
Après la guerre, en 1948, il acquiert la nationalité suédoise et y
passe le reste de sa vie, jusqu'à sa mort en 1985.
C'est là qu'il organise en 1941 sa première exposit ion
individuel le . Avec d 'au t res artistes réfugiés, il fonde le
groupe des artistes apatrides en Suède.
En 1947, il devient directeur de l'école de pe in ture et de
dessin du Musée de Gôteborg qui devient, sous sa direction, u n e i
m p o r t a n t e Ecole des Beaux-arts. Entre temps, son activité
créatrice s'épa-nouit sur plusieurs plans. Outre de nom-breux
tableaux, collages, dessins et litho-graphies, il réalise des
décors et des cos-tumes pour l 'Opéra Royal, il exécute des m o n u
m e n t s m é m o r i a u x , des é m a u x muraux, il dessine des
tapisseries, des gobe-lins. .. Il expose souvent à Stockholm, mais
aussi à travers l'Europe et l'Amérique.
En 1970, il par t ic ipe à l 'exposit ion de Budapest consacrée
aux artistes d'origine hongroise vivant à l'étranger. Sa première
exposition individuelle en Hongrie a lieu au Musée des Beaux-arts
de Budapest, en 1973. A partir de cette date, on commence à le
reconnaître dans son pays d'origine.
Après plus d 'un demi-siècle d'absence il visite, en 1978, sa
ville natale. Bien qu'il vécut la plus grande partie de sa vie loin
de la H o n g r i e , ses l iens avec sa t e r re natale et sa
langue maternelle, qui n 'ont pas faibli, l 'ont poussé à r enoue r
avec son pays.
Au milieu des années 70, lors d 'un de ses voyages d ' exp lo ra
t ion , u n r app roche -ment et un dialogue particuliers
s'établis-sent entre Nemes et le Musée de Pècs. A l ' initiative de
ce dern ie r , u n e g r a n d e
expos i t ion r é t rospec t ive voit le j o u r d'abord à
Budapest puis à Pècs.
Nemes répond à l'initiative de Pècs par la confiance qu'il
témoigne pour son musée. La province de Baranya et la ville de Pècs
libèrent et restaurent un bâtiment histo-rique, la "Maison du
Chanoine" , située dans la célèbre **rue des musées" de la ville.
Nemes estime les conditions réunies et fait don, pour la création
de son musée, de plus de 250 œuvres : tableaux, aquarelles,
gouaches, collages, dessins, esquisses et graphiques, un ensemble
représentatif de c inquante ans d'activité artistique. "Le but de
ma donation est - écrit-il - que mon œuvre devienne la propriété d
'une communauté qui témoigne, pour la pré-sentation de plusieurs
artistes de renom-mée européenne, de l'estime et de l'intérêt qu'el
le por te à l 'art contemporain". La "rue des musées" abri te
ainsi, dans le voisinage du musée Nemes, des musées consacrés à
l'oeuvre du grand T. Csontvàry Kosztka, de Vasarely né à Pècs,
d'Amérigo Tôt et de E. Schaar, à côté d'un musée d'art moderne et
des expositions temporelles.
Enfin, une salle commémorative Nemes-Nagel, installée à
Pécsvàrad, apporte la preuve définitive de l 'attachement fidèle
que Nemes porte à son pays natal.
Ferenc Romvàry (Préface au catalogue Endre Nemes)
•
-
TABLEAUX ET COLLAGES DE NEMES «
PRÉSENTÉS AU CENTRE GEORGES POMPIDOU
LA REVUE PARLÉE • PETIT FOYER • 13 MAI-IER JUIN 1992
TROIS AMIS, 1944 (8)
DEVANT LA TAPISSERIE, 1944 (9) I
RÊVE DE 23 DÉCEMBRE, 1968-70 (40) I I
À L'OMBRE DE LA CHAISE ÉLECTRIQUE, 1979 (64)
I DANS L'ATTENTE DU PRINTEMPS, 1979 (62)
PRIS PAR LE HOCHET, 1977 (59) I
ESQUISSE POUR L'ARCHITECTE BAROQUE, 1941 (5)
I DEVANT LE CHEVALET, 1943 (7) I
CENT MÉLODIES CÉLÈBRES, 1980 (251)
ILS VONT ET ILS VIENNENT, 1980 (247)
B RENCONTRE À L'ESCALIER, 1982 (253)
H L'HÉRITAGE DE LA RENAISSANCE, 1982 (252) g
CONFÉRENCE MÉDICALE, 1970 (225)
(Entre parenthèses, les numéros du catalogue hongrois du Musée
de Pècs)
page 1page 1