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Psychoanalytische Perspectieven, 2000, nr. 39.
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L'AUTISME A LA LETTRE: QUELS TYPES DE CHANGEMENTS SONT PROPOSES
AUX SUJETS AUTISTES AUJOURD'HUI?
Franois Sauvagnat
"Il est clair qu'il ressentait le besoin de contrler les
conversations. Parce qu'il ne comprenait pas ce que disaient les
autres personnes, il essayait de nous faire participer ses rituels.
Cela concernait toujours des listes, un ordre, une rptition.
(Barron, 1992).
Introduction
Mme si on peut constater, lorsqu'on intervient dans des
institutions recevant des enfants autistes, que la plupart des
praticiens tendent leur proposer des activits tout fait varies,
plusieurs types de conceptions opposes tendent s'affronter dans les
prises en charges. On peut bien sr considrer que ce ne sont que des
questions de mots, et que l'inventivit ou la sensibilit de chacun
rendra sans grandes consquences l'adhsion telle ou telle thorie.
Nanmoins, en l'absence de recherches comparatives de bonne qualit
entre les diverses mthodes de soins existantes de l'autisme, on
aurait tort de ngliger l'tude diffrentielle des cadres thoriques
actuellement proposs.1 Plusieurs tudes ont en effet montr que les
thrapeutes tendent appliquer les concepts et mthodes dont ils se
rclament, mme s'ils professent un certain dtachement par rapport
aux thories. Et d'autre part, s'agissant de troubles aussi intenses
que ceux prsents par des sujets autistes, il est invitable que les
praticiens et autres intervenants recherchent activement des
guides, des directives et des interdictions, que la littrature
existante leur fournit en abondance.
1. Ce manque est mis en vidence en particulier dans le rapport
no. 47 (CCNE, 1996).
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114 FRANOIS SAUVAGNAT
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Cette abondance de conseils est prodigue un moment o le statut
de l'autisme, du point de vue psychopathologique, est devenu des
plus paradoxaux.
La faiblesse des rsultats de la recherche biologique et ses
consquences
D'un ct, les recherches biologiques semblent pitiner, et aucune
dcouverte d'importance n'est venue tayer les hypothses que chaque
ligne de recherche essaie de soutenir. Rappelons en quelques mots
les rsultats auxquels est arrive la recherche rcente.2 Aucun
facteur infectieux n'a vu son rle dmontr dans le dclenchement de
l'autisme. On a certes not que les complications pr- et prinatales
seraient deux fois plus importantes que dans le cas d'enfants
normaux, mais il n'a pas t possible d'isoler un facteur pathogne
prcis. Pour ce qui est des dterminations gntiques, s'il est utile
de rappeler qu' aucun gne responsable de l'autisme n'a t mis en
vidence, il faut aussi noter qu'aucune explication ne fait
l'unanimit pour rendre compte d'un risque de rcurrence dans la
fratrie plus lev que la normale (estim entre 2 et 3%, c'est dire 60
fois plus que la normale). 3 Il est de toutes faons exclu de faire
de l'autisme une maladie gntique, et certains auteurs s'orientent
vers l'hypothse d'un trouble polygnique dont l'explicitation n'est
pas prvoir dans l'immdiat Rappelons en outre que la distinction
entre ce qui est gntique-inn d'une part et acquis de l'autre n'est
en rgle gnrale pas bien tranche, et qu'on admet de plus en plus
qu'un grand nombre de prdispositions gntiques ou associations de
facteurs gntiques puissent tre dclenches par des facteurs
environnementaux, une ligne de recherche qui apparat trs
prometteuse pour l'avenir, et constitue, avec la thorie de la
slection neuronale de Changeux et des cartographies d'Edelmann, une
incontestable justification, sur le terrain biologique, la notion
de psychognse.4
L'incertitude rgne sur les facteurs neurobiologiques qui
pourraient avoir un rle dans le dclenchement de l'autisme; on a par
exemple trouv
2. Nous nous appuyons ici notament sur l'avis du CCNE concernant
les traitements de l'autisme (CCNE, 1996). 3. A noter par exemple
les checs rdupliquer les rsultats qu'une quipe de recherche pensait
avoir obtenus dans un travail sur le gne de Harvey-Ras (Ibid.). 4.
Sur les consquences de ces thories, voir notamment notre article
(Sauvagnat, 1994: 93-121). Il est par ailleurs regretter que les
tudes sur les interactions prcoces entre les trs jeunes enfants
autistiques et leur entourage fassent l'objet d'une sorte de
stigmatisation idologique, alors mme que par ailleurs les tudes sur
les expressed emotions de l'environnement de sujets psychotiques
ont amplement dmontr l'intrt de l'tude des interactions entre les
sujets psychotiques et leur entourage immdiat.
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L'AUTISME LA LETTRE 115
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chez des enfants autistiques entre 2 et 12 ans des taux sanguins
de srotonine plus levs que dans une population tmoin. On en a dduit
que les systmes producteurs et rgulateurs des catcholamines
pourraient tre impliqus dans la physiopathologie du syndrome, sans
que cette hypothse, qui ne peut videmment pas prtendre tre
spcifique, ne reoive d'autre confirmation. Les tudes portant sur
l'imagerie crbrale ne sont arrives rien de probant. De la mme faon,
une tude du dbit sanguin crbral aurait mis en vidence un hypodbit
chez des enfants autistes gs de 3 ans; 6 ans, ce dbit serait devenu
normal; selon les auteurs de cette tude, un "retard de la
maturation mtabolique des lobes frontaux" serait de la sorte
suggre, mais cette tude n'a gure t confirme.5
En fait, ces diffrentes lignes de recherche viennent avant tout
nous rappeler quel point nos connaissances sont limites dans le
domaine de la neurobiologie des maladies mentales, et tout
particulirement en ce qui concerne l'autisme. On ne doit donc pas
s'tonner, dans ces conditions, qu'un neurolinguiste belge
spcialiste de l'autisme comme Theo Peeters (1996: 10) puisse crire
froidement que "l'autisme n'est pas une maladie", opinion conforte
au demeurant par deux facteurs de taille: le faible impact des
traitements chimiothrapiques sur les troubles ("l'absence de
traitement mdicamenteux de rfrence" mme si dans certains cas,
certains neuroleptiques, amphtamines ou vitamines peuvent rendre
des services) (Bouvard, 1994: 9-23), et la dcision de l'Association
Psychiatrique Amricaine, de classer l'autisme parmi les "troubles
envahissants du dveloppement".
L'ambigut classificatoire
Quiconque s'intresse au traitement de l'autisme ne peut manquer
d'tre frapp par l'ambigut dans laquelle le syndrome se trouve plac
du point de vue classificatoire. En effet, lorsqu'il l'a dcouvert,
Leo Kanner a essentiellement utilis une catgorie clinique employe
par Eugen Bleuler et l'a inverse (l'autisme consquence tardive du
processus
5. Le D.S.M.-IV rsume schement l'tat actuel de la recherche
biologique de la faon suivante: "Lorsque le trouble autistique est
associ avec une maladie, des rsultats de laboratoire en rapport
avec cette maladie sont observs. Des diffrences dans la mesure de
l'activit srotoninergique ont t relevs dans certains groupes, mais
ils n'ont pas de valeur diagnostique pour l'autisme infantile.
L'imagerie crbrale peut donner des rsultats anormaux dans certains
cas, mais aucun pattern spcifique n'a t clairement identifi. Des
anomalies l'E.E.G. sont frquentes, mme en l'absence de crises
avres" (notre traduction) (D.S.M.-IV, 1994: 69). On est donc bien
loin de savoir lucider les bases biologiques de l'autisme
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116 FRANOIS SAUVAGNAT
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schizophrnique pour Bleuler, devenant un "autisme primaire" ou
"autisme d'emble" pour Kanner). Tout naturellement, il l'a inclue
dans la srie des infantile schizophrenias que les auteurs
germanophones et amricains tentaient de constituer depuis les annes
vingt en appliquant eux aussi la catgorie bleulrienne des
schizophrnies aux enfants non pubres. Nanmoins, depuis longtemps
une telle application n'tait pas sans poser de nombreux problmes;
beaucoup s'en fallait que l'ensemble des symptmes dcrits par
Bleuler se retrouvent dans les infantile schizophrenias; dans
nombre de cas, la symptomatique tait trs variable, dans d'autres
elle tait cache ou du moins ne se manifestait que faiblement; dans
d'autres enfin, seuls des troubles de l'apprentissage ou du
comportement taient visibles. Un problme classique donne une ide de
l'intensit de l'embarras des cliniciens concernant les infantile
schizophrenias: les enfants affects de ce trouble ont-ils des
hallucinations? Une tude clbre de Despert montrait quel point la
plupart des cliniciens mconnaissaient l'intensit et mme la ralit
des troubles de ces enfants, au point de ne pas arriver diffrencier
des hallucinations tout fait comparables celles ressenties par des
adultes, et l'imagination ou le jeu propre l'enfance. 6 Enfin, il
ne faut pas perdre de vue que Bleuler a t lu aux Etats-Unis travers
la prsentation qu'en a faite l'cole d'Adolf Meyer, c'est dire
partir de l'interprtation la plus large et la plus librale
possible, ce qui ne facilitait pas la mise en place de limitations
cliniques strictes. Le rsultat en a t une dfaveur croissante de la
notion d'infantile schizophenia , considre de plus en plus comme un
fourre-tout sans particularits propres, dont on en est venu exiger,
dans le D.S.M.-IV, qu'elle soit l'quivalent absolu de la
schizophrnie de l'adulte, ce que personne dans le pass n'avait
prtendu rclamer.
A ct, et en opposition cette catgorie considre comme de plus en
plus caduque, se sont dveloppes des catgories perues comme mieux
assures, soit parce qu'une forte demande sociale existait pour les
diffrencier (comme le trs controvers Attention Deficit and
Hyperactivity Disorder), soit parce qu'il existait des tests qui
semblaient permettre de mesurer les difficults en cause et que les
enfants concerns posaient de toutes faons de srieux problmes
d'adaptation, comme dans les troubles envahissants du dveloppement.
Calqu sur la progression scolaire, apparemment bien document par
des tudes empiriques ( commencer par les clbres recherches de
Gesell), le concept de trouble du dveloppement, dfaut de dsigner un
type de trouble ou de vcu bien prcis, semblait bien fait pour
rpondre aux demandes sociales concernant
6. Voir ce propos Despert (1976).
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L'AUTISME LA LETTRE 117
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des enfants en difficult. Constatons qu' partir de l le pas a t
franchi: nombre de troubles qui depuis des dcennies taient considrs
comme des formes particulires de psychoses plus ou moins masques se
trouvrent classs par les D.S.M. ( partir du D.S.M.-III) comme
troubles envahissants du dveloppement. Comme il ne s'agit en fait
que d'une catgorie psychologique-descriptive, on conoit que
certains auteurs en soient venus tenter de la sortir du domaine
mdical pour tenter d'en faire un handicap fixe, dont la socit
devrait assurer la prise en charge sur des fonds non-mdicaux.
Le paradoxe est nanmoins que ce soient des tenants d'une
approche qui se veut biologique qui aient ainsi tenu dmdicaliser
l'autisme, pour des raisons largement sociales nanmoins.
La diffrenciation autisme-schizophrnie infantile, prise ainsi au
pied de la lettre, a t l'origine d'un autre embroglio, lorsqu'il
s'est agi d'exporter les catgories amricaines en Europe. Alors que
la notion amricaine de schizophrnie tait traditionnellement d'une
ampleur confinant l'indistinction, les pays europens, marqus par
les diverses discussions de critres diffrentiels de la schizophrnie
(Ecole franaise, Schneider, travaux de Lutz), avaient tout
naturellement appliqu des conditions restrictives la notion de
psychose infantile, quitte la complter des notions de prpsychose,
parapsychose ou dysharmonie. Certains auteurs anglo-saxons
spcialement Rutter et Schopler se sont donc efforcs de sparer toute
force l'autisme de ce qui restait de l'infantile schizophrenia ,
alors mme qu'ils admettaient que bien des symptmes sont communs ces
deux affections, en s'appuyant par exemple sur des recherches
tendant montrer de fortes diffrences de rsultats quant aux troubles
familiaux prsents dans l'entourage d'enfants porteurs de ces deux
affections. Ils reprochaient aux psychanalystes continentaux, en
particulier les franais, d'en rester des conceptions que la science
avait balayes depuis longtemps en refusant de dclarer que l'autisme
ne ferait pas partie des psychoses infantiles. Or au mme moment,
les tenants de la theory of mind, qui pourtant taient d'accord sur
l'essentiel des rsultats des lves de Rutter ou Schopler,
protestaient vigoureusement contre cette mme sparation, considrant
que les difficults des autistes laborer une theory of mind n'taient
pas si loigns de ce qu'on pouvait constater chez des schizophrnes!
7
7. Ajoutons qu' notre connaissance la grande majorit des travaux
biologiques ou cognitivistes rcents insistent beaucoup plus sur la
parent entre autisme et psychoses infantiles que sur une diffrence
de nature telle que la supposaient, pour des raisons qui leur
taient propres, les quipes de Schopler et Rutter. Voir par exemple
ce propos Messerchmitt (1990); Aussilloux, Livoir-Petersen
(1994).
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118 FRANOIS SAUVAGNAT
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C'est dire que nous nous trouvons devant un champ en constante
volution, o anathmes et jugements l'emporte-pice ne manquent pas de
fleurir, alors mme que tous parlent de catgories cliniques,
(l'autisme primaire de Kanner, le syndrome d'Asperger) dfinies
assez rcemment dont les symptmes principaux font encore l'objet
d'un large consensus, mme si certains tendent en largir les
contours d'une faon peu contrle.
Nous avons, ailleurs, retrac l'historique de la notion d'autisme
(Sauvagnat, 1999a: 259-292; Sauvagnat, 1999d). Il nous suffira,
pour prparer la discussion qui va suivre sur les trois grandes
tendances actuelles, de rappeler les grands types de symptmes spars
par Kanner, puisque leur distinction mme est l'origine des dbats
contemporains.
Le syndrome de Kanner et ses rinterprtations rcentes
Kanner, dans son article inaugural et les travaux subsquents,
avait tenu distinguer deux grands types de troubles dans l'autisme
infantile primaire: 1) la "solitude extrme", ou encore "un profond
retrait du contact avec les gens" 2) "un dsir de prservation
l'identique" qu'il qualifiait d'"anxieusement obsessionnel" quoi
s'ajoutaient "une habilet et mme une relation affectueuse avec les
objets, le maintien d'une physionomie intelligente et pensive, et
soit un mutisme ou un genre de langage qui ne semble pas dcouler de
l'intention de servir une communication interpersonnelle" (Kanner,
1949: 416).
Le premier symptme est certainement le plus li la notion de
"troubles autistique du contact affectif" qui tait le titre mme de
la communication princeps de Kanner. Bien avant que Kanner ne s'y
intresse, le terme d'autisme dsignait dj quelque chose de ce genre,
et il faut rappeler par exemple que mme en dehors du champ
strictement psychiatrique, Husserl, dans les annes vingt
(probablement inspir d'ailleurs par les thories de l'empathie de la
fin du XIXme sicle), avait dj labor finement la notion
d'intersubjectivit, reprise immdiatement il est vrai par un de ses
lves directs un psychiatre Hnigswald.
Le second symptme, lui, portait dj un autre nom, fort mal fam il
est vrai, puisqu'il dsignait presque immanquablement sauf
exceptions (Guiraud) un trouble dficitaire: la strotypie. La
formulation de Kanner, toute colore de style psychodynamique
puisqu'il insistait sur l'angoisse qui y tait inhrente, avait
videmment l'avantage de dire qu'il ne s'agissait
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L'AUTISME LA LETTRE 119
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pas d'un signe de dmence, ce que venaient prciser les autres
symptmes, indicatifs de l'intelligence prserve des patients.
Parmi les autres symptmes, les troubles du langage et notamment
le mutisme qui apparaissait parfois, allaient souvent tre retenus
par les non-spcialistes, mais pour Kanner, il fallait comprendre,
derrire sa formulation un peu alambique, qu'il y avait au moins
deux troubles du langage, lorsque ces patients parlaient: un jargon
incomprhensible, sur lequel il n'insistait gure, et deux formes
d'cholalie, immdiate et diffre.
Le D.S.M.-IV a port une attention toute particulire l'autisme,
puisque, par rapport au D.S.M.-III R., il a transport l'ensemble
des "troubles envahissants du dveloppement" de l'axe 2 (troubles de
la personnalit et du dveloppement dans le D.S.M.-III) l'axe I
(Clinical disorders. Other conditions that may be a focus of
attention), l'axe 2 du D.S.M.-IV regroupant en revanche les
"troubles de la personnalit et retard mental" les raisons d'un tel
regroupement restant au demeurant peu claires.
Si maintenant nous nous intressons la faon dont ces symptmes ont
t retraduits dans le D.S.M.-IV, nous notons ce qui suit: 1) Le
premier symptme dcrit correspond visiblement au premier symptme
kannerien. Il s'agit d'un "dficit de l'interaction sociale", dont
les comportements non-verbaux de type recherche du regard,
expression, position du corps et gestes d'interaction; les
relations avec les pairs; absence de recherche de partage d'motion;
manque de rciprocit sociale ou motionnelle. 2) Le second dcrit un
dficit de la communication: retard de langage; si langage il y a,
difficult initier ou soutenir une conversation; langage strotyp et
rptitif ou idiosyncrasique; absence de jeu impliquant une tromperie
ou une imitation. 3) Des patterns de comportement, intrts, ou
activits restreints, rptitifs et strotyps: soit que l'intrt soit
anormal, soit qu'il soit excessif; adhsion inflexible des routines
ou rituels; manirismes moteurs strotyps; proccupations persistantes
avec des parties d'objets.8
O nous notons que les deux symptmes caractristiques de Kanner
sont devenus trois, les troubles du langage se voyant attribuer une
rubrique particulire; en revanche, l'expression intelligente et
pensive,
8. Le D.S.M.-III R tait plus restrictif quant ce troisime
symptme: "Restriction marque des activits et des intrts", une
lecture du deuxime symptme kannerien qui a videmment une allure
beaucoup plus dficitariste.
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120 FRANOIS SAUVAGNAT
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ainsi que "une habilet et mme une relation affectueuse avec les
objets", semblent avoir disparu.
Il ne nous semble pas indiffrent de devoir constater que c'est l
tout le domaine du vcu interne, du vcu corporel qui est en fait
vacu. Nous aurons y revenir.
Un rapide coup d'il aux autres troubles envahissants du
dveloppement (qui sont beaucoup plus nombreux dans le D.S.M.-IV),
et notamment au syndrome d'Asperger, nous montreront quoi la
diffrenciation de trois symptmes cardinaux au lieu de deux a t
utile: en effet, le syndrome d'Asperger est caractris trs
simplement par un dficit de l' interaction sociale et des patterns
de comportement, intrts, ou activits, rptitifs et strotyps. Ce qui
veut dire que pour l'American Psychiatric Association, l'autisme
d'Asperger est un autisme de Kanner sans les troubles du langage
(ce qui, cliniquement parlant, est tout de mme excessif, puisque de
tels troubles du langage rapparaissent rgulirement dans certaines
conditions chez ces sujets). Nous voyons donc ici ce critre jouer
plein.
Ceci est d'autant plus fcheux que l'on voit couramment la notion
de "psychopathie autistique" propose par Asperger applique de faon
relche des cas dans lesquels la prsence des deux symptmes cardinaux
dcrits par Kanner est pour le moins douteuse. Il nous semble que
cette catgorie ne doit tre utilise que de faon restrictive, des cas
dans lesquels un tableau kannerien strict, et notamment la prsence
des deux symptmes cardinaux a pu tre prouve, pour ultrieurement
trouver diverses sortes de supplances, comme cela nous semble tre
le cas chez Donna Williams, dont nous parlerons plus loin. 9
Nous nous intresserons maintenant la faon dont certains lves
lointains de Kanner, relis lui par Schopler, son successeur la
direction du Journal of Infantile Autism, en sont venus comprendre
apparemment les choses.
Les programmes de Schopler et les tenants de la "thorie de
l'esprit"
La theory of mind, rejeton tardif de la notion husserlienne
d'intersubjectivit, s'appuyait au dpart sur des tudes de
psychologie animale. Elle a t dveloppe par des auteurs comme
Baron-Cohen,
9. Il est ainsi regretter que lorsque H.C. Rmke, dans les annes
cinquante, discute du clbre cas de Rene, la patiente de Marguerite
Schehaye, il en fasse un cas de "psychopathie autistique", qu'il
range dans les pathologies de type hystrique. Voir ce propos notre
article (Sauvagnat e.a., 1991: 611-620). Ajoutons que la
publication, par C. Mller, d'lments du dossier psychiatrique montre
sans conteste notre sens qu'il s'agissait bien d'une vritable
schizophrnie.
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L'AUTISME LA LETTRE 121
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Leslie, Happ et U. et C.D. Frith en rfrence la notion de
modularit telle qu'elle tait dj suppose par Noam Chomsky dans sa
thorisation des Language Acquisition Devices: il s'agirait d'une
capacit inne, prforme, permettant que ds le dpart un enfant
s'intgre dans une srie d'activits communicationnelles.10 Selon la
theory of mind un sujet va pouvoir communiquer avec autrui parce
qu'il suppose chez autrui des tats mentaux qui seraient semblables
aux siens; or cette capacit serait gravement compromise chez les
enfants autistiques. En outre, ces derniers s'avrent prsenter des
difficults particulires au jeu de faire semblant, sauf s'ils
avaient un ge mental au-dessus de huit ans, alors que les autres
enfants y arrivent ds l'ge de 4 ans. Une fois que ces deux phnomnes
furent mis en vidence, explique James Russell (1998: 139-206) le
programme de recherche des dix annes suivantes tait tabli.
En l'absence, comme nous avons vu, de donnes biologiques solides
et fiables sur l'autisme, une telle thorie psychologique a connu un
succs fracassant, mme si vrai dire elle ne peut gure apparatre
comme une nouveaut. Elle a bien videmment t restyle selon la mode
cognitive, c'est dire qu'elle a t donne comme modulaire, devant
relever d'une lsion d'une fonction neurologique priphrique plutt
que centrale.11 Selon U. Frith (1992), il y aurait dans l'autisme
une dysfonction du traitement de l'information qui affecterait par
retour le fonctionnement central de la pense permettant d'assurer
une cohrence l'interprtation d'informations disparates. Nous
verrons ultrieurement comment les tentatives de la valider de ce
point de vue ont chou.
Les thories de Frith, Baron-Cohen et des cliniciens apparents
ont t massivement utilises pour interprter ou donner sens aux
programmes
10. Rappelons ici les rfrences les plus significatives: Frith,
1992; Baron-Cohen, Leslie, Frith, 1985: 37-46; Baron-Cohen, 1995.
11. Le terme modulaire (ou priphrique), qualifiant certaines
fonctions mentales est dfini par le philosophe J. Fodor (1983) dans
son clbre The modularity of mind, par 9 critres: un module a un
domaine particulier, son opration est obligatoire, les systmes
centraux ont un accs limit aux calculs qu'il effectue, son opration
est rapide, elle est informationnellement cloisonne, elle a des
entres superficielles peu dpendantes des systmes centraux, elle est
associe une architecture neuronale fixe, elle a une dtrioration
caractristique (lorsqu'elle se dtriore), son dveloppement
ontogntique prsente une vitesse et une succession caractrises. Au
contraire, les systmes centraux sont isotropes (tout le savoir
disponible est pertinent pour savoir quelles croyances il doit
adopter) et quinen (la confirmation de ses hypothses de croyances
est holistique, c'est dire sensible tout le systme de croyances).
Baron-Cohen (1995) a rejet trois des critres de Fodor
(cloisonnement de l'information, sorties superfic ielles,
inaccessibilit des systmes centraux) et considre qu'il y aurait des
"modules prcurseurs qui activeraient d'autres modules prcurseurs:
le "dtecteur d'intention" et le dtecteur de direction de regard"
activeraient conjointement le mcanisme de l'"attention partage" qui
son tour activerait activerait le mcanisme de "theorie de
l'esprit". Nous verrons quelles critiques ces modifications ont
provoqu.
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122 FRANOIS SAUVAGNAT
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ducatifs dvelopps par l'quipe de Schopler.12 Ce dernier, ancien
tudiant de Bruno Bettelheim qui s'tait rebell contre le ct trop
imprvisible de ce dernier avait dvelopp dans les annes '70 un
programme ducatif appuy essentiellement sur des tests
psychologiques. Le principal test utilis, le P.E.P. de Schopler et
Reichler (1995: 30-36), tentait d'valuer les performances des
exercices d'imitation, de perception, de motricit fine, de motricit
globale, de coordination il-main, les performances cognitives,
verbales ainsi que le dveloppement gnral. Il semble que la
conception d'ensemble que se faisait Schopler de l'autisme tait
plutt empiriste-clectique. Les performances manuelles taient
favorises pour des raisons pragmatiques, parce que c'tait de toutes
faons ainsi qu'on occuperait les enfants leur vie durant. En outre,
Kanner lui-mme avait reconnu que les enfants autistiques avaient
des intrts et parfois mme de la sympathie pour les objets. Des
exercices gradus taient d'ailleurs proposs pour dvelopper ces
habilets, sans trop se proccuper d'o les difficults de dpart
pouvaient bien provenir. Au demeurant, la notion demeurait
visiblement que la difficult principale de ces enfants tait un
trouble du contact affectif, selon la formulation initiale de
Kanner, et ceci allait certainement faciliter l'acceptation de la
theory of mind.
Pour ne pas nous perdre dans les mandres de la riche littrature
psychologique et philosophique que cette tentative historique a
suscit, nous nous contenterons de discuter un ouvrage de rfrence
trs largement diffus, qui tente prcisment de conjoindre les
pratiques trs empiriques de la mthode TEACHH et les conceptions de
la theory of mind.
Si nous nous intressons ainsi la faon dont Theo Peeters, qui a t
prsent il y a peu d'annes comme un des reprsentants officiels de la
mthode TEACHH en Europe, y applique la theory of mind, nous
rencontrons ceci. Dans la prsentation de l'ouvrage, une
psychologue, Rog, insiste presque exclusivement sur la nature
sociale du trouble, estimant qu'il s'agit d'une anomalie "au niveau
de la comprhension des expressions faciales et des gestes de
communication, et dans l'expression de ces diffrents signaux en
situation sociale". Il en serait de mme du langage, qui serait
perturb du fait de la "dimension sociale du trouble" (Peeters,
1996: xii). Dans ce contexte, pas un mot n'est dit sur le problme
de la "restriction des intrts" c'est dire la sameness de Kanner, si
ce n'est pour l'annexer elle aussi un trouble de la socialisation.
Rog ne fournit pas d'arguments particuliers pour rordonnancer les
grilles de
12. Voir note 10.
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L'AUTISME LA LETTRE 123
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Schopler en fonction de cette direction. Elle admet nanmoins que
la conception de la theory of mind n'est probablement pas primaire:
"L'origine d'une telle perturbation est encore dbattue et plusieurs
thses restent en prsence. Il pourrait d'agir d'un dysfonctionnement
initial des mcanismes cognitifs, mais d'autres anomalies pourraient
exister en amont et tre responsables des problmes rencontrs dans le
dveloppement de la thorie de l'esprit" (Ibid.: xiii). Elle cite
ainsi le "systme motionnel dfaillant qui nuit la mise en place des
interactions prcoces", ou encore "l'imitation et l'attention
conjointe" qui seraient d'emble dfaillants. Quoi qu'il en soit,
voici la thse centrale dveloppe par Rog dans l'introduction de
l'ouvrage de Peeters, et que ce dernier partage largement: "Les
problmes d'utilisation adapte des informations sociales [dans
l'autisme] ont t mis en relation avec des difficults
d'interprtation des actions d'autrui en rfrence leurs tats mentaux.
Il existerait ainsi chez les autistes un trouble spcifique du
dveloppement de la thorie de l'esprit. Le sujet en interaction ne
peut s'ajuster son partenaire qu'en se reprsentant ce que celui-ci
connat, pense, ressent ou croit. Ces hypothses, que tout un chacun
est amen chafauder, constituent la thorie de l'esprit, dont le
dveloppement s'bauche dans la deuxime anne pour s'affirmer vers
quatre ans avec l'intgration de la notion de fausse croyance, et
avec son utilisation dans le raisonnement" (Ibid.). Or ce
dveloppement serait entrav dans l'autisme.
On peut bien entendu lgitimement s'interroger sur la mise au
premier plan d'une thorie qui ne se dvelopperait que dans la
seconde anne, alors que l'autisme est rput apparatre, dans la
plupart des cas, bien plus tt. Mais voyons quels sont les effets
dans la pratique de ce recentrement sur la theory of mind, c'est
dire sur l'accs au partage social.
En fait, lire l'ouvrage de Peeters, on est extrmement frapp par
une contradiction massive entre les descriptions cliniques
proposes, et les tentatives de les rapporter la theory of mind.
D'un ct, Peeters consacre un chapitre "Autisme. Le problme de la
communication" aux difficults des autistes "aller au-del des
informations donnes", leur "difficult accder au symbolique" qu'on
pourrait croire inspir par Franoise Dolto, si les rfrences ne se
voulaient pas strictement cognitivistes; curieusement, ce chapitre
se termine par une dfense d'une organisation trs ritualise et
minute des journes des sujets autistes, la suite de quoi l'auteur
se dfend de vouloir faire du dressage, comme certains, dit-il, l'en
ont accus (Peeters, 1996: 19-61).
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124 FRANOIS SAUVAGNAT
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Suit un chapitre sur les troubles du langage, occup expliquer
que les autistes veulent communiquer mais ne savent pas comment ce
que tout un chacun, au vu notamment d'autobiographies d'autistes,
doit bien videmment accorder. De mme, Peeters relve trs
correctement, toujours au vu des biographies d'autistes (Joliffe,
1992: 3), mais aussi de la recherche existante (Sauvagnat, 1999b:
7-8) que l'cholalie est chez eux en quelque sorte un moyen de
communication, et qu'il s'agirait donc de leur apprendre
communiquer autrement. Suivent des propositions de lettres pour
apprendre lire des autistes, qui sont en fait des pictogrammes
devant les aider se reprer dans les activits de la journe, et il
est encore une fois rpt qu'il n'est pas question de renforcer leur
ritualisation, mais de leur permettre d'acqurir une certaine
libert.
Le chapitre sur les interactions sociales, aprs avoir prsent la
theory of mind et les volutions compares des enfants normaux et
psychotiques, reprend massivement les travaux de Lorna Wing et de
ses lves. Peeters rappelle notamment les diffrents types de
socialisation d'autistes dcrits par Wing et Prizant: les "replis
sur eux-mmes", les "passifs", et les "normaux, actifs mais
bizarres", curieusement sans citer le syndrome d'Asperger, dont
Wing s'est pourtant occupe de prs. Il voque galement la tentative
d'largissement du syndrome autistique qui a t propose par L. Wing,
lorsqu'elle a dcrit la triade "communication, relations sociales et
imagination" pour rechercher des cas d'autisme "masqus" et
notamment chez des personnes institutionnalises pour d'autres
motifs. La lecture que propose Lorna Wing des troubles fondamentaux
de l'autisme se prte assez bien une comparaison avec la theory of
mind. Selon elle les autistes ont une "capacit limite comprendre
les sons spcifiquement humains, et les reproduire. Il leur manque
aussi la capacit de dcouvrir l'environnement et de former des
concepts compliqus concernant cet environnement et de voir que les
tres humains sont vraiment importants et qu'ils reprsentent des
partenaires potentiels dans un procd d'change social" (Wing, 1981:
31-45; Peeters, 1996: 117).
Nanmoins, ici aussi, Peeters ne donne pas l'impression que cette
thorie intersubjectiviste permette de s'occuper des difficults des
autistes: il ne propose pas de technique permettant de faire voluer
cette inaccessibilit une theory of mind et se concentre sur les
difficults de socialisation des autistes ce qui est certes trs
important, mais ne plaide gure en faveur de la thorie qu'il
dfend.
Dans la dernire partie de son ouvrage, Peeters discute des
"troubles de l'imagination" des autistes, c'est dire de ce que le
D.S.M.-III appelait la "restriction des intrts", et Kanner la
sameness. Il constate que de part en
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L'AUTISME LA LETTRE 125
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part, le comportement, la vie des autistes est traverse par la
strotypie, mme lorsqu'ils semblent avoir une existence tout fait
diffrencie et libre. Il pose franchement la question de savoir par
quoi il est possible de remplacer les strotypies, et visiblement,
la chose lui parat fondamentalement impossible dans bien des cas.
Il finit mme par considrer que ce doit tre un droit qui leur soit
reconnu (Peeters, 1996: 191). Il en vient proposer une sorte de
liste de recommandations dont l'absence de cohrence est
probablement prendre comme un indice de son embarras: 1) prendre
des mesures prventives contre les strotypies; 2) augmenter les
succs pour faire diminuer les strotypies; 3) employer le
comportement strotyp comme rcompense; 4) proposer un programme
strotype; 5); 6); 7) faire que toutes les activits soient
prvisibles, visualiss; 8) changer l'environnement pour interrompre
la routine; 9) permettre des variations; 10) dplacer la strotypie
dans un autre cadre; 11) remplacer une strotypie par une autre; 12)
perturber une tape de la routine; 13) rentabiliser la
strotypie.13
Au terme de son ouvrage, on doit donc considrer que si Peeters
n'a gure russi nous convaincre, contrairement ce qui tait propos au
dpart, que la theory of mind peut expliquer l'autisme, il a t tout
fait efficace montrer, au contraire, que les personnes autistes
"ont des problmes d'imagination: elles n'arrivent pas dpasser le
littral" (Peeters, 1996: 119).
Dans ces conditions, il est difficile de s'tonner que la theory
of mind ait subi l'assaut de nombreuses critiques pour ses
insuffisances rendre compte de faon spcifique de l'autisme. Parmi
les critiques qui se sont dtaches ces dernires annes, il est hors
de doute que le courant s'intitulant theory of control a pu faire
valoir des arguments qui ont retenu l'attention d'un certain nombre
de cliniciens et de chercheurs.
La "theory of control" contre la "thorie de l'esprit"
Nous nous contenterons, pour prsenter brivement les
contre-propositions faites pour situer diffremment la theory of
mind dont la prsentation surprenante, notamment chez Baron-Cohen
(1994: 513-552; 1995), ainsi que son peu d'applicabilit ont tendu
dcourager les bonnes volonts de rapporter les rflexions proposes
par Russell (1998),
13. Nous devons nanmoins reconnatre que Peeters a certainement
le mrite de traiter frontalement une question qui n'est qu'effleure
dans les manuels dits par Schopler et ses collaborateurs. Comparer
notamment avec Schopler, Reichler, Lansing, (1995) et Schopler,
Lansing, Waters, (1993).
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126 FRANOIS SAUVAGNAT
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Jeannerod et Campbell dans l'ouvrage dj cit, Subjectivit et
conscience d'agir.
Outre la critique vidente qui consiste remarquer qu'un mcanisme
d'intersubjectivit prsent comme le rsultat de plusieurs mcanismes
pralables peut difficilement tre prsent comme modulaire au sens de
Fodor, et d'autant plus que Baron-Cohen, en refusant trois des
critres essentiels de la modularit, sape incontestablement la
distinction entre mcanismes centraux et modulaires, ce qui n'est
gure tonnant lorsqu'on connat par ailleurs les corrlats globalistes
de la plupart des conceptions de l'intersubjectivit depuis
Brentano, nous devons nous centrer sur un point. La mise au premier
plan du symptme d'aloneness, que prsuppose la theory of mind, tend
lui faire considrer comme secondaire la sameness, c'est dire, pour
dire les choses crment, les strotypies. Nous en avons montr
plusieurs reprises l'chec dans l'ouvrage de Peeters. De mme,
Russell considre que "la thse selon laquelle la rigidit
comportementale et les mauvais rsultats aux tests formels de
fonctionnement excutif sont causs par le mauvais fonctionnement du
M.T.d.E. (module thorie de l'esprit)" n'a pas t vrifie (Russell,
1998: 160). Baron-Cohen dfend cette conception "en disant que
l'incapacit d'attribuer des tats mentaux aux autres (par suite
d'une dysfonction du M.T.d.E.) rend autrui imprvisible l'enfant, ce
qui cause de l'angoisse sociale et encourage l'enfant rduire cette
angoisse en se livrant des habitudes rigides et strotypes". Outre
que ceci ne peut rendre compte des cas d'autistes bizarres plutt
que renferms selon les caractrisations de Wing et Prizant, ceci
n'explique gure les strotypies prcoces, estime Russell; enfin, il
considre que dans bien des cas certains autistes prsenteraient des
strotypies quand ils n'ont rien faire, et une certaine
socialisation pourrait semble-t-il avoir lieu si des adultes
s'occupent de prs de certains autistes.
Russell se montre partisan d'une thorie selon laquelle la
rigidit mentale et plus gnralement les strotypie autistiques
dpendraient de deux troubles de base: - l'incapacit du suivi des
actions, qui consisterait localiser la cause de la modification des
entres perceptives dans le corps du sujet, en ralisant leur copie
d'effrence, - l'incapacit de ressentir que le sujet est
l'instigation de la modification de ces entres.
Ceci aurait lieu normalement, non par auto-rflexion, mais de
faon immdiate, et il s'agirait de conscience de soi
pr-thorique.
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L'AUTISME LA LETTRE 127
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On pourrait penser que Russell s'oriente ds lors vers une
difficult, frquemment reprable chez les autistes, celle d'une
impossibilit d'inscrire leur corps dans certaines rgulations
symboliques; ce n'est nanmoins pas le cas, il se montre partisan de
l'hypothse d'une certaine absence de prcablage, qui normalement
permet de faire triompher des rponses prpotentes devant une
stimulation externe, sans la mdiation d'une incorporation
symbolique de l'extrieur. De mme, et contre toute vidence, il ne
semble pas tenir compte du fait que les strotypies ont souvent un
rle stabilisateur et ordonnateur chez les autistes, et ne souhaite
y voir qu'un manque de slectivit.
Il rejoint en fait cet gard les travaux de Jeannerod, qui est
d'accord avec Widlcher et Hardy-Bayl, Hemsley, Hoffmann ou Frith
pour considrer qu'un mcanisme crucial de la psychose rsiderait dans
"un dficit de la production des signaux centraux d'action et des
mcanismes assurant la comparaison entre ces signaux et les signaux
priphriques", ce qui devrait expliquer tant la symptomatologie
positive que ngative (Jeannerod, Fourneret, 1998: 92). De ce fait,
"les conditions seraient alors runies pour qu'un mouvement spontan
soit interprt comme rsultant d'une cause ou d'un agent distinct du
sujet". Dans les cas, comme dans certaines formes de schizophrnie,
o une telle xnopathie ne serait pas atteste, ce serait un
fonctionnement automatique et implicite de la conscience d'agir qui
ne fonctionnerait pas.
Ce type de thorie n'est vrai dire pas nouveau: ce n'est, comme
l'admet Jeannerod (Ibid.: 84), que la reprise de la thorie dite des
"sensations d'innervation", thorie neurologique selon laquelle tout
sujet aurait normalement une sensation subliminale, centrale, par
laquelle il se reprsenterait et contrlerait ses mouvements
musculaires. Dveloppe surtout par Cramer et Stricker la fin du
XIXme sicle, cette thorie fut reprise par Wundt qui l'intgra dans
sa thorie de l'aperception volitive; elle est toujours reste l'tat
d'hypothse, mais a continu fasciner les chercheurs depuis lors (par
exemple Penfield), et rcemment a t propos le terme "copie
d'effrence" qui permettrait un sujet de contrler ses mouvements
tout en ayant le sentiment d'en avoir l'initiative.14
On peut se demander si ce type de mcanisme, consistant avoir de
la difficult pouvoir s'attribuer la paternit d'un mouvement (sans
pouvoir le constater visuellement), et qui est suppos tre dfaillant
chez les schizophrnes, pourrait galement rendre compte de l'autisme
et en particulier des strotypies.
14. Voir sur les dbats entrans par cette hypothse la fin du XIXe
sicle notre article (Sauvagnat, 1986: 12-18).
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128 FRANOIS SAUVAGNAT
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En effet, quelles que soient le mrite des objections faites par
Proust, ou Russell, il est clair que leurs critiques ne touchent
qu'une partie des thses de C.D. Frith, dans la mesure o celui-ci
insiste bien sur le rle de troubles de la conscience de l'agir dans
les psychoses qui pourrait nous faire penser qu'il va construire
une thorie des psychoses vritablement appuye sur la clinique des
strotypies, mais il n'en est rien: son point de vue est finalement
phnomnologiste-intersubjectiviste; et c'est galement celui de
Proust et Russell, ceci prs que leur problme est en dernire analyse
de fonder la notion de theory of mind, dans un horizon qui est
visiblement compris entre les tudes cognitives et le renouveau des
tudes brentaniennes dans les pays anglo-saxons.15 Il y manque en
effet un certain nombre d'ingrdients cliniques, que nous souhaitons
maintenant tenter d'numrer, en nous inspirant, soit d'observations,
soit de biographies d'autistes.
Nous avons, dans les paragraphes prcdents, dcrit les dbats qui
se
sont levs parmi les tenants de la thorie de l'esprit, les uns
considrant qu'elle tait modulaire et les autres estimant qu'elle
dpendait d'un certain nombre de prconditions, notamment le contrle
de la motricit.
On peut se demander galement si ce curieux ralliement la theory
of mind de certains praticiens qui tendent par ailleurs montrer que
cette thorie est peu approprie n'est pas l'origine du fait que les
approches psychothrapiques aient t dclares hors-jeu par un certain
nombre de tenants de l'approche dite biologique.
Rappelons dans quel cadre les psychothrapies sont historiquement
apparues. Elles ont t dfinies, petit petit, par une srie
d'exclusions (ni direction spirituelle, ni approche ducative ou de
resocialisation, ni chtiment) et ne sont vraiment apparues de faon
autonome qu' partir du XVIIIme sicle, lorsqu' on a bien voulu
supposer l'me humaine une division qui ne se laissait rduire ni un
loignement de Dieu, ni un dveloppement insuffisant, ni une
asocialit, ni un vouloir criminel. Or il est patent que les
dclarations des tenants de la mthode TEACHH
15. Ainsi par exemple, John Campbell (d'Oxford) critique le
modle de la schizophrnie de Christopher Frith en s'attaquant sa
notion de "sens de l'effort", car selon lui son dficit ne peut
rendre compte de la notion de xnopathie; il propose, la place,
l'hypothse selon laquelle les schizophrnes "considrent leurs penses
occurrentes (c'est dire venant de l'extrieur) non comme le produit
de ses tats de longue dure sous-jacents, mais comme le produit des
croyances et des dsirs de quelqu'un d'autre". Aussi fascinante une
telle question peut-elle tre pour un phnomnologue, elle repose sur
l'ide que le schizophrne "perd le sens de lui-mme en perdant les
frontires entre lui et le monde", qui est hlas, la lecture la plus
superficielle des ouvrages spcialiss le montre bien, trs
insuffisante pour rendre compte de la clinique de la
schizophrnie
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L'AUTISME LA LETTRE 129
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contre les psychothrapies vont certainement trop vite en
besogne, dans la mesure o, mme en dehors du courant psychanalytique
qui rend compte rgulirement de telles cures, d'autres courants,
comme le courant rogrien, font assez rgulirement tat de thrapies
menes auprs de tels patients. Il est galement intressant de noter
qu'un groupe de praticiens trs proches du courant schoplrien, et
qui se reconnaissent dans ce que Lelors a appel la "thrapie
d'change et de dveloppement", n'aient aucune hsitation considrer
que leurs pratiques soient de l'ordre de la thrapie. Il serait
difficile de considrer que l'appartenance au courant cognitiviste
ou biologiste soit un argument pour refuser qu'il y ait des
psychothrapies d'autistes.
En fait, le raisonnement tenu par les tenants de la mthode
TEACHH contre les psychothrapies en gnral semble tre: nous
voudrions bien qu'il y ait des psychothrapies d'autistes,
d'ailleurs, nous nous rallions la theory of mind, toute nimbe du
prestige de la phnomnologie, et donc de l'intersubjectivit; or un
nombre considrable de psychothrapeutes se rallient depuis un sicle
la notion d'intersubjectivit. Mais ceci n'est pas suffisant dans le
cas de l'autisme. Pourquoi?
A partir de ce qui prcde, on peut se demander si la theory of
mind est bien approprie pour rendre compte de l'autisme.
On est frapp par l'insuffisance de la notion de dficit des
interactions sociales si on essaie de la vrifier dans les
tmoignages d'autistes: ceux-ci font part bien plutt d'une vritable
pouvante l'ide d'tre dsign, touch, regard face face. La parent avec
les phnomnes de signification personnelle caractristiques de la
paranoa est galement noter, comme nous l'avons fait observer dans
plusieurs publications, et les cliniciens les plus rigoureux savent
quel point il est important, lorsqu'on s'adresse des sujets
autistes, de le faire latralement, ou en parlant une autre personne
devant le sujet de faon lui permettre une non-implication minimale.
On peut se demander si les autistes souffrent vraiment d'un dficit
d'une capacit se reprsenter les tats mentaux d'autrui et les
comparer aux leurs, ou bien plutt d'une crainte d'envahissement par
la dsignation venant d'autrui. En ralit, on cherchera en vain, dans
les biographies d'autistes, des marques de dsintrt primaire
vis--vis de ce que pourrait penser autrui. En fait, on peut se
demander si les tenants de la theory of mind ne sont pas victimes
d'une connaissance insuffisante de l'histoire de la phnomnologie,
dont une certaine partie a inspir leurs travaux.
Un aspect clbre de la phnomnologie est certainement peu appropri
pour rpondre de l'autisme: le postulat selon lequel le moi est
prsent
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130 FRANOIS SAUVAGNAT
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soi-mme et s'prouve ncessairement tre l'origine des processus
qu'il initie (intentionnalit). Seuls quelques auteurs qui se sont
situs l'extrme pointe de la recherche phnomnologique ont remis en
cause ce type de postulat: ainsi Merleau-Ponty, lorsqu'il a
travaill sur les phnomnes hallucinatoires et sur l'esthtique,
Hnigswald lorsqu'il travaillait sur la fuite des ides ou encore
Binswanger dans certains de ses travaux, les thoriciens de l'cole
de Heidelberg, de Waelhens et certains de ses lves.
En fait, les prsupposs phnomnologiques semblent bien
insuffisants rendre compte des troubles autistiques. Nous allons,
dans les lignes qui suivent, proposer un certain nombre de
suggestions. Mais avant cela, il n'est peut-tre pas inutile de
rappeler quelles sont les diffrences d'approche entre le courant
psychanalytique et les courants de la tradition
behavioriste-cognitiviste.
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L'AUTISME LA LETTRE 131
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Quelles diffrences de fond entre les approches
cognitivistes-biologiques
de l'autisme et les approches psychanalytiques?
On considre habituellement que deux types de prises en charge
sont actuellement proposes aux sujets autistes.16 Un clivage entre
l'approche psychanalytique et les travaux plus bio logisants,
dclench au milieu des annes soixante par l'ouvrage de Rimland
(1964: 237-265), a pris une ampleur beaucoup plus radicale partir
de la fin des annes soixante-dix, au moment o le Journal of Autism,
fond au dpart par L. Kanner, est repris par Schopler en 1978, se
met afficher des options organicistes et anti-psychanalytiques tout
fait tranches, accusant ple-mle les psychanalystes de ne pas faire
de diagnostic prcis de l'autisme, de geler les recherches
empiriques, de maltraiter les parents, en leur imputant des mauvais
traitements envers leurs enfants.
On connat la suite: une srie de critiques souvent agressives de
la part des tenants de l'approche biologique contre les praticiens
se rclamant de l'approche psychanalytique, la prtention affiche par
les comportementalistes d'tre seuls capables de porter un
diagnostic fiable et prcis des troubles autistiques, de proposer
des prises en charges adaptes, et de permettre aux parents de jouer
un rle positif dans l'ducation de leurs enfants17.
16. Le courant rogerien, qui a classiquement essay de constituer
une troisime voie parmi les courants psychothrapiques
scientifiquement fonds, avec notamment les travaux d'Axline dans
les annes soixante, ne semble plus gure actuellement constituer une
alternative indpendante. 17. Ce dernier aspect s'est accompagn d'un
discours trs particulier sur les parents des enfants autistes,
soutenu par des recherches labores par Rimland et Rutter. Ces
auteurs expliqurent qu'il tait possible de distinguer les parents
d'enfants autistes des parents d'enfants psychotiques (le terme
anglo-saxon est infantile schizophrenia); selon eux, si les travaux
sur ces derniers ont montr qu'ils prsentent un certain nombre de
difficults, ayant pu avoir un retentissement sur l'ducation de
leurs enfants, ceci ne serait absolument pas le cas des parents
d'enfants autistes. A vrai dire, une telle dclaration suscite
depuis des annes la plus grande perplexit. Dans un article de Leo
Kanner (1965: 412-420), inventeur de la notion d'autisme infantile
primaire, et qui n'a pas t le dernier dclarer qu'il fallait viter
de "culpabiliser les parents" d'enfants en difficult, a d'emble
fait remarquer quel point la prtention de Rimland (1964) de
considrer l'infantile schizophrenia comme une entit unique tait
dnue de justification clinique, ce qui rendait impossible la tche
d'interprter d'ventuelles statistiques propos des parents de ces
enfants! Cette objection, qui n'a jamais notre connaissance t
surmonte, n'a pas empch Michael Rutter de continuer la mme ligne de
travaux, pour arriver au mme rsultat que Rimland. Paradoxalement,
les mmes auteurs estiment pouvoir mettre en vidence dans les
familles d'enfants autistes et singulirement chez leurs parents, un
certain nombre de traits prsents comme lis la transmission gntique
de l'autisme. Il est malheureusement admis que la distinction entre
hrditaire et acquis est extrmement mal fonde, ce qui pourrait
difficilement, si les rsultats de Rutter s'avraient exacts, carter
un facteur ducatif dans l'apparition de l'autisme
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132 FRANOIS SAUVAGNAT
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De leur ct, un certain nombre de psychanalystes n'ont pas manqu
de faire remarquer quel point les thories comportementales et
cognitivistes tendaient considrer les difficults des jeunes
autistes comme le rsultat de dficits neurologiques comparables des
arrirations, et comment beaucoup de programmes comportementaux ou
cognitivistes s'apparentaient un dressage laissant peu de place aux
potentialits propres des sujets concerns. Pour ce qui est des
relations avec les parents des enfants concerns, il est remarquer
qu'un nombre important de psychanalystes se sont en fait impliqus
dans des groupes visant aider ces parents et qu'au demeurant des
institutions comme l'cole exprimentale de Bonneuil ont pendant des
annes t dpendantes d'une aide directe fournie par les parents des
enfants qu'ils recevaient.
En fait, une comparaison raisonne entre ces deux types de
dmarches ne peut se contenter d'arguments passionnels; c'est par
exemple le cas lorsque tel courant accuse l'autre d'ignorer les
recherches fondamentales ce qui, dans les deux cas concerns, est
grossirement inexact. Historiquement parlant, le courant
cognitiviste a t permis par des nouvelles laborations dveloppes par
des psychanalystes s'appuyant sur les applications de la
cyberntique la neurologie et la psychologie, dans les annes
quarante et cinquante. 18 Il s'agit donc au dpart d'une
excroissance d'un courant scientiste qui a toujours t trs prsent
dans le domaine psychanalytique o prdomine actuellement la thorie
bio-psycho-sociale de Reiser selon laquelle il ne saurait tre
question de ngliger, ni les donnes les plus rcentes de la biologie,
ni les donnes sociologiques ou ethno-anthropologiques prsentes chez
tout patient. Sa seule particularit est d'avoir renonc aux
exigences psychanalytiques de rpondre du sujet de l'inconscient et
des apories de la jouissance, et d'avoir du mme coup rejoint le
courant rductionniste-behavioriste. Ce n'est donc pas ce niveau de
la scientificit que nous devons nous situer si nous souhaitons
diffrencier ces deux courants. Il faudrait bien plutt examiner la
manire dont des bases scientifiques semblables ont t lues. En fait,
si nous voulons donc proposer une comparaison de ces deux
approches, il semble que nous devons nous situer trois niveaux: 1)
Du point de vue historique, les deux courants, tout en ayant leurs
inspirations propres, sont relativement dpendants des travaux
dvelopps par Leo Kanner et Asperger sur l'autisme infantile
primaire, dont ils ont propos plusieurs types d'interprtations. 2)
Du point de vue de la conception des symptmes et du type de sujet
qui leur est sous-jacent: il demeure certainement exact que le
courant
18. Voir ce propos notre mise au point (Sauvagnat, 1994:
93-121).
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L'AUTISME LA LETTRE 133
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psychanalytique se diffrencie par la mise en avant de la
problmatique de la jouissance, partir de quoi l'effet de sujet est
fondamentalement le rsultat d'une dfense. On est galement frapp par
l'insuffisance des prises en considration du vcu corporel de ces
patients dans les travaux cognitivistes; eux-mmes se plaignent de
n'avoir pas de corps, et partant pas de personnalits, et tout se
passe comme si les tenants de l'approche biologique appliquaient ce
programme la lettre. Nous aurons y revenir. 3) Du point de vue de
la stratgie thrapeutique par rapport aux symptmes tels qu'ils ont t
dcrits par chaque courant, nous avons vu qu'un certain brouillage
tait opr par le ralliement des cognitivistes la notion
d'intentionnalit et d'intersubjectivit, prsente dans le courant
psychanalytique. Nanmoins, dans ce dernier courant, la seule
intersubjectivit reconnue est celle mise en place par le fantasme
(la fameuse relation d'objet), ce qui la coordonne la problmatique
de la jouissance.
En fait, le point crucial que nous avons vu diviser les
cognitivistes et les tenants de la theory of mind, c'est dire le
type de rapport qui peut exister entre le symptme de aloneness et
celui de sameness, est galement au centre des proccupations des
psychanalystes: nous allons voir que ces derniers, tout
particulirement dans le courant lacanien, ont tent de coordonner
l'un et l'autre la question de la jouissance.
L'autisme la lettre: l'approche lacanienne de l'autisme
Les autistes, constate Peeters, sont particulirement enchans
leurs strotypies, et il semble mme admettre qu'il y a un risque
leur proposer des programmes trop rigides qui pourraient, soit ne
leur faire aucun effet, soit les encourager vers des conduites
strotypes pauvres.19
Nous venons de voir quel point la question des strotypies tait
envahissante: Peeters (1996) raconte plusieurs anecdotes d'autistes
rputs amliors, qui en fait intgraient des conduites socialement
adaptes dans des strotypies demeures indtectes. Tel devient gardien
de buts dans une quipe de football, mais se met brusquement
insulter l'arbitre de faon ordurire parce qu'il a vu un arbitre
faire de mme la tlvision (en somme, son programme s'est mis intgrer
ces donnes tlvisuelles), une autre cambriole une banque aprs avoir
lu dans la presse qu'une personne ayant la mme activit
professionnelle qu'elle avait fait de mme, une
19. Il s'agit galement ici d'une dconvenue signale par l'avis du
CCNE de 1996: les programmes behavioristes ne semblent amliorer les
autistes que tant qu'ils durent; ds qu'ils cessent, ils
retourneraient leurs strotypies
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134 FRANOIS SAUVAGNAT
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troisime prend un partenaire et a des relations sexuelles parce
qu'elle a lu dans un livre que c'est ce qui se passe entre les
hommes et les femmes, mais interrompt cette relation pour se
conformer la suite du livre
Il existe nanmoins une autre faon d'envisager les choses:
considrer par exemple que les strotypies, ou leurs quivalents, au
lieu d'tre des sortes de mouvements parasites, comme semble le
penser Schopler dans ses manuels, soient une faon de rpondre ce qui
pour eux constitue les apories de la jouissance.
Nous avons montr, dans un travail paratre, que la problmatique
de l'crit, telle qu'elle est discute par J. Lacan dans plusieurs de
ses travaux, tait prcisment une faon de traiter cette question. Or
nous avons t frapp de constater que J. Lacan prenait d'emble la
question de l'crit partir d'uvres crites par des sujets
psychotiques (son premier texte sur la question s'appelle
"schizographie" (Lacan, 1975: 368-380), et que cette thmatique
s'tait maintenue jusqu' la fin de son enseignement. Cette thmatique
est lie par lui celle du signifiant, de la faon suivante: un
signifiant reprsente un sujet pour un autre signifiant; or, dans la
psychose, et tout particulirement dans l'autisme, tout se passe
comme si la dfense propre du sujet faisait qu'il refusait de se
laisser dsigner par un signifiant.
L'horreur du toucher, dont parlent tous les autistes qui sont en
tat de tmoigner, l'horreur du regard, l'angoisse atroce d'tre
emport par des significations incontrlables, le fait qu'ils se
raccrochent des squences de signifiants vides, ou encore des images
visuelles qui ne sont pas susceptibles de crer des effets de
signification, tout ceci tmoigne nettement dans ce sens. Or le
rapport du jeune enfant aux signifiants n'intervient pas comme on
le croit encore frquemment, la fin de la premire anne, mais, comme
la recherche empirique l'a montr, ds les premiers jours de sa vie,
avec une capacit presque immdiate ( l'ge de quatre jours!)
discriminer les systmes phonologiques, comme l'ont montr les
travaux de Vigorito ou Mehler. 20
Ainsi, on peut se demander si les diffrents types de strotypies
la lettre ou d'cholalie que racontent qui mieux mieux les
spcialistes de l'autisme ne devraient pas tre prises non pas comme
des excroissances monstrueuses, mais comme des troubles
fondamentaux du sujet vis--vis de la fonction langagire; il faut
alors considrer que ces strotypies littrales constituent une
tentative d'criture du sujet lui-mme, plus ou moins habiles, plus
ou moins pigeantes. Nous avons vu que Lorna Wing et d'autres ont
souhait, partir du style d'interaction sociale, distinguer les
autistes renferms, passifs et normaux mais bizarres. Plus
fondamental
20. Voir ce propos l'ouvrage de J. Mehler et E. Dupoux
(1990).
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L'AUTISME LA LETTRE 135
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selon nous serait la question de savoir sur quel type de
littralit ces sujets russissent s'appuyer.
La problmatique dite borromenne introduite par J. Lacan la fin
de son enseignement permet d'envisager ces rapports dans les cas
les plus varis, en prenant un point de vue extrme: celui selon
lequel il n'y a plus aucune prminence naturelle entre le
symbolique, l'imaginaire et le rel, ce qui constitue, comme nous
l'avons montr, une claire allusion l'abord de la schizophrnie prn
au dbut du sicle par Philippe Chaslin.21 Nous n'y reviendrons pas
ici dans le dtail et rappellerons simplement que si chez Chaslin la
question se prsentait comme un simple signe clinique, la
discordance entre diverses fonctions psychologiques (humeur,
mimique, pense, actes), avec toute l'ambigut que cela peut
comporter (signe clinique de quoi? Chaslin ne tranchera jamais),
Lacan fait au contraire l'hypothse que le sujet se constitue par et
dans le drame du nouage entre les trois dimensions relle,
symbolique et imaginaire.
La faon dont Lacan prsente les choses consiste considrer que ces
trois dimensions sont avant tout des trous, des bances,
susceptibles de se nouer entre elles, et d'acqurir ainsi une
consistance: 1) Bance du symbolique, en ce qu'il n'y a pas d'Autre
de l'Autre l'Autre comme systme de signifiants est soumis la
condition gdelienne d'tre soit incomplet soit inconsistant. 2)
Bance de l'imaginaire: c'est le sac de l'image du corps, 3) Bance
du non-rapport sexuel dans le rel, car "c'est au rel comme faisant
trou qu'existe la jouissance phallique".22
Lacan comparera l'articulation entre ces trois dimensions avec
les clbres armoiries de la famille Borrome de Milan, dans laquelle
trois boucles se trouvent articules entre elles de telle faon que
si l'une se dfait, les autres se dtachent galement les boucles
correspondant en principe chacune des branches de la famille.
Au lieu de considrer, comme Chaslin, qu'il y aurait une harmonie
naturelle entre les facults psychiques chez les sujets normaux, la
perspective propose par Lacan consiste considrer: - que dans les
cas nvrotiques les diffrents domaines se trouvent articuls, nous
entre eux d'une faon qui leur donne la fois une
21. Voir ce propos quelques-unes de nos publications (Sauvagnat,
1996: 215-235; 1995: 141-152; 1997: 13-42; 1999c: 167-188; 1999e).
22. Cette triade imaginaire - rel - symbolique n'est pas sans
rappeler bien videmment la triade freudienne de la seconde topique
(1920) moi - a - surmoi, et d'une certaine faon nous devons nous
rappeler que lorsqu'il dveloppait cette thorisation, Freud galement
essayait de rendre compte des nvroses narcissiques, mais il ne
s'agit pas particulirement de rendre compte de la schizophrnie au
sens strict.
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136 FRANOIS SAUVAGNAT
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limitation et une consistance; ainsi par exemple, parlant du
"sac de l'image du corps", Lacan (1977: 2-9) prcisera, le 11 mai
1976, "qu'un sac n'est clos qu' se ficeler". - ce nouage correspond
la mise en place d'un fantasme fondamental par lequel la vie du
sujet est organise, entre sa position de sujet inconscient et
l'objet cause de son dsir, prsent comme serr par l'articulation des
trois dimensions ce qui est, si l'on veut, la version lacanienne de
la question classique de l'intentionnalit. 23
En fait, la faon dont chaque dimension vient surmonter, limiter,
coincer ou non une autre dimension sera nomme par Lacan jouissance,
et il en viendra distinguer: 1) le sens, correspondant la faon dont
le symbolique surmonte l'imaginaire, permettant, dans les cas
nvrotiques, la constitution d'une image du corps dtermine comme moi
idal, 2) la jouissance phallique, correspondant la faon dont le rel
vient limiter l'ordre symbolique, s'en sparer, correspondant, chez
les nvross, la constitution de l'objet perdu du dsir, 3) la
jouissance Autre, correspondant une imaginarisation du rel il
voquera dans Encore ce propos la jouissance de Dieu, et les
diffrentes apories du "masochisme primaire" (Lacan, 1975).
Dans l'autisme, un trouble fondamental consiste dans une
difficult essentielle ce que le corps soit saisi, prenne forme et
rgulation par une prcipitation symbolique, et notamment par une
fonction d'exception qui attire l'adhsion du sujet. En tmoigne la
prgnance du sentiment de laisser-tomber, le sentiment de ne pouvoir
opposer aucune rsistance aux effets de signification. C'est de ce
ct selon nous qu'il faudrait chercher le vritable sens de
l'aloneness: non que le sujet n'ait pas de sentiment de ce que peut
tre l'intersubjectivit, mais bien plutt qu'il ne puisse avoir le
sentiment de scurit minimale devant le signifiant. Et comme, ce
signifiant, il ne peut quoi qu'il fasse s'en passer, il ne peut le
traiter que par l'criture minimale de la strotypie, qui doit donc
tre considr comme le trouble le plus fondamental, renvoyant un
vouloir fondamental de l'Autre. On a not quel point les strotypies
taient souvent prcoces chez les autistes; et nous tenons qu'elle
est effectivement primaire par rapport l'aloneness, puisque le
signifiant lui parat immanquablement beaucoup plus solide et
invitable que le sentiment de son propre corps.
23. Rappelons que la fonction de l'objet a n'est pour Lacan, la
fin de son enseignement, que le rsultat du nouage entre les trois
dimensions, assur chez le nvros par le fantasme. Ceci rend
discutable de s'intresser de faon trop privilgie aux objets des
autistes, si on ne se demande pas au pralable ce qu'ils essaient de
coincer.
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L'AUTISME LA LETTRE 137
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Pour mieux faire saisir ce que nous tentons d'avancer, nous
discuterons ici la faon dont une autiste de haut niveau, Donna
Williams, est arrive selon elle fabriquer certains types de
nouages, en se crant des "personnages de substitution" ayant un
caractre stabilisateur. Nous nous appuierons galement sur les
commentaires qu'elle en propose.
Une tentative de nouage autistique: les deux "personnalits de
substitution" de Donna Williams
On peut se demander, la lecture des deux livres
autobiographiques de
Donna Williams (1997; 1996), si son cas relve au sens strict de
l'autisme, dans la mesure o son niveau de fonctionnement est
particulirement lev, et ses capacits d'entrer en relation avec
autrui, sa maturit du moins, relativement importantes, un point tel
qu'elle a pu travailler brivement comme actrice. Nanmoins, il me
semble qu'on peut trancher la question partir de trois lments
dcisifs. Tout d'abord, la prcocit des troubles, et son refus tout
fait originaire de toute relation; ensuite, son attachement des
conduites strotypes qui servent parfois la stabiliser ou la calmer,
notamment lorsqu'un effet de signification se fait particulirement
menaant; enfin, la prvalence d'un intrt primaire pour des objets
durs, non humains, qui se maintiendra quasi inchang pendant toute
son existence. En fait, sa singularit tient davantage dans les
montages quelque peu acrobatiques qu'elle a su mettre en place pour
se stabiliser et organiser des relations hautement problmatiques
nanmoins avec d'autres sujets. Ajoutons que le fait qu'elle ait pu
exercer peu de temps comme actrice ne doit aucunement valoir pour
preuve qu'elle prsenterait en fait une structure hystrique: elle ne
pouvait jouer que des rles la limite de l'humain, produisant une
impression des plus pnibles sur les spectateurs, une particularit
qu'elle partageait avec un autre homme de thtre psychotique,
Antonin Artaud.
Donna Williams suggre, dans ses deux ouvrages, que dans les cas
d'autisme volution favorable, ont t mises en uvre des "personnalits
de substitution", permettant d'chapper ce qu'elle appelle le
"gouffre", et qui prsente des caractristiques semblables ce que
Lacan a dcrit sous les termes de laisser tomber ou de miracle de
hurlement. Mme si par ailleurs d'autres jouets ou objets divers
sont voqus ("chien voyageur" par exemple), elle insiste sur l'ide
que trs tt, deux "personnalits de substitution" sont intervenues,
qui lui permettaient d'avoir des rapports de communication
difficiles certes avec ses semblables, mais permettant nanmoins de
jouer un nombre important de rles sociaux.
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138 FRANOIS SAUVAGNAT
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Or la mise en forme de ces personnages, bien loin de constituer
un choix alatoire, a t l'objet, explique Williams, d'une vritable
construction. Elle en souligne la fragilit, le manque d'efficacit
par rapport aux mcanismes nvrotiques: par exemple, l'utilisation de
ces personnages de substitution ne lui permettait de prter
attention qu' "dix quinze pour cent des vnements qui se passaient
autour d'elle", et plusieurs reprises elle dclare qu'elle va s'en
dbarrasser, chose qu'elle ne semble avoir tent de raliser vraiment
qu'avec l'criture de sa biographie. 24
La faon dont ces personnages de substitution sont dcrits prsente
une grande rgularit, qui permet d'numrer prcisment les
caractristiques de Willie et Carol.
Willie ou l'tre cholalique
Willie est associ ce que Williams appelle "les filaments
magiques", qui pour leur part semblent lis une srie d'objets
dcoupables et colors qu'elle a, plusieurs reprises, emports dans
ses bagages. Voici comment elle dcrit le rapport entre Willie et
les "filaments magiques": "J'avais deux autres amis qui
n'appartenaient pas au monde physique et que j'avais accueillis
dans le mien: les filaments magiques, bien sr, mais aussi une paire
d'yeux verts qui se cachait sous mon lit et que j'avais baptise
Willie" (Williams, 1997: 27). 25
Le point de dpart de cette cration est situ dans la peur du
noir: "j'avais peur de dormir, j'en avais toujours eu peur. J'ai
dormi les yeux ouverts pendant des annes" (Ibid.). Incapable de
s'endormir au sens nvrotique du terme, c'est dire de prendre cong
de l'environnement et de fermer les yeux, Williams explique " je
rfugiais mon regard dans les filaments transparents qui voletaient
au-dessus de moi" (Ibid.). Elle pense s'tre alors inspire des mches
de cheveux qui intressaient une de ses tantes, Linda, et elle-mme
raconte qu'elle aimait toucher les cheveux de ses camarades. Cette
contemplation des "minuscules taches qu'elle appelait les toiles,
comme une sorte de cercueil de verre usage rituel et mystique"
qu'elle pouvait contrler en regardant "au travers d'elles"
constituait une "protection contre les intrus qui pntraient dans la
pice". Nanmoins, "les intrus finissaient par arriver. Ils
chassaient mes anges
24. Par exemple, dans Williams (1997: 113), est racont
l'"enterrement de Willie". 25. Cf. le pome "Les filaments magiques
viennent m'entourer dans mon lit,/ils viennent l voltiger pour me
protger,/Car ils sont mes amis" (Williams, 1997: 26).
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L'AUTISME LA LETTRE 139
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gardiens qui leur tour suscitaient ma colre pour m'avoir trahie
en me laissant seule, vulnrable et expose".26
"Willie", pour sa part, apparat en mme temps que les filaments;
il leur est associ en mme temps qu'oppos: il ne procure aucun
apaisement, mais sert de garde du corps. "Ce Willie, ce n'tait
qu'une paire d'yeux verts luisant dans l'obscurit, mais quels yeux!
Ils me faisaient bien un peu peur, ces yeux-l, mais je me disais
qu'en retour je leur inspirais la mme crainte. Je me dcidai les
traiter en amis, quoi qu'il arrivt. Fidle mon habitude, je tentais
de me perdre en eux, comme en tout ce qui me devenait proche. Je
pris got m'endormir sous le lit et je devins Willie" (Ibid.:
29).
Ce personnage, dont le nom, estime Williams, tait driv de son
propre nom de famille, est lui-mme calqu du personnage de sa mre.
Donna Williams insiste plusieurs reprises sur le caractre
pathologique de celle-ci, sur sa duret et son agressivit tant
verbale que physique son gard, le fait qu'elle ait habill son frre
alternativement en fille et en garon, etc., un point tel qu'un des
diteurs qui elle s'tait adresse lui avait propos de prsenter sa
propre pathologie comme le rsultat de mauvais traitements, thme trs
la mode l'poque, auquel elle explique avoir refus d'adhrer.27 Quoi
qu'il en soit, Willie est dcrit comme "une crature au regard
flamboyant de haine, la bouche pince, aux poings serrs, arborant
une posture la rigidit cadavrique. Willie tapait du pied et
26. D. Williams prcise que "les filaments magiques ne me
quittrent qu'au moment o j'entrai la grande cole", ce qui ne fut
pas le cas des "toiles qui me protgeaient pendant mon sommeil"
(Ibid.: 28). 27. Il faut bien entendu distinguer ici trois aspects
dans l'argumentation de Williams. Tout d'abord, l'imputation
hypothtique de mauvais traitements dveloppe par Bettelheim dans les
annes '70, en rfrence ses travaux sur les situations extrmes, et
qui a en retour donn lieu, de la part des tenants du behavioristes,
des accusations d'abus de parents d'enfants en difficults, de
culpabilisation contre des psychanalystes. D'autre part, le courant
des personnalits multiples essentiellement des praticiens de
l'hypnose qui ont tent jusqu'au milieu des annes '90 de gnraliser
au maximum les imputations de mauvais traitements l'environnement
de sujets prsentant toutes sortes de troubles cliniques, y compris
l'autisme. Troisimement, du fait que l'Australie a t trs
majoritairement peuple, au XIXme sicle, de convicts, c'est--dire de
prisonniers de droit commun, et que les pratiques de dportation,
sur ce territoire, d'enfants cas sociaux britanniques n'a cess
progressivement qu' partir du milieu du XXme sicle, il semble que
le niveau de violence intrafamiliale et donc le niveau de tolrance
aux divers abus, notamment sur les enfants, y ait t et reste
gnralement plus lev que dans d'autres contres de culture
anglo-saxonne (l'hebdomadaire amricain Newsweek s'en est fait
plusieurs fois l'cho lors d'accusations de pratiques pdophiles
l'encontre de diplomates australiens), sans parler de la rputation
de rudesse dont bnficient les Australiens, etc. L'argumentation de
D. Williams semble reprendre ces trois lments, sans les rpartir de
faon labore. Remarquons qu'au demeurant, l'hypothse que son autisme
aurait t largement dtermin par les mauvais traitements qu'elle a
subis de la part de sa mre est trs fortement soutenue par son
propre pre plusieurs reprises, dans son second ouvrage (Williams,
1996).
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140 FRANOIS SAUVAGNAT
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crachait la moindre contrarit". Ce personnage lui servait,
assure-t-elle, donner la rplique sa mre, et le chapitre qui lui est
consacr contient cinq fois plus de texte sur la mre que sur le
personnage en question. En fait, il est tout fait possible de
driver ce personnage de pratiques d'cholalie par lesquelles, au
lieu de donner la rplique par un rle diffrent, la jeune Donna ne
fait que rpter les noncs qui lui sont proposs, opposant donc
l'agressivit maternelle une agressivit parfaitement symtrique.
Cette impression se confirme lorsque Williams explique
ultrieurement que Willie est un "dictionnaire ambulant", capable
d'apprendre par cur des livres entiers et de les citer avec une
rigueur parfaitement mcanique. Williams se plaint par ailleurs
d'tre trahie par ce personnage, qui ne lui permet pas d'entrer en
contact avec autrui, et ne lui permet videmment pas une
identification au sens nvrotique du terme. Nanmoins, ce personnage
lui permet de se dfendre, de rtablir une sorte de lgalit certains
moments o elle se sent en danger.
Il s'agit indubitablement d'une figure qui tient la fois du code
(A) et de l'idal (I(A)). Mais alors que dans le cas de Schreber,
par exemple, l'idal juridique n'est pas inclus dans les phnomnes de
code dont le sujet est envahi (Grundsprache), dans le cas de la
figure de Willie, tout se passe comme si cet idal tait annex dans
une figure cholalique (et donc tyrannique) du code.
Carol ou l' tre-rejet
Le personnage de Carol apparat comme trs diffrent de Willie,
quoique le lien entre les deux soit vident - nous y reviendrons.
Carol apparat alors que Williams se livre un exercice dans lequel
elle s'jecte d'un arbre o elle se balance, pour atterrir
acrobatiquement sur ses pieds. Carol l'invite alors venir chez
elle, sa mre lui lave le visage, et Donna se trouve alors assise
une table, entendant une voix qui lui propose de boire un verre de
boisson; elle voit alors, devant elle, Carol lever son verre;
"comme j'tais son miroir, je fis comme elle" (Ibid.: 38),
crit-elle. Il s'agit donc d'une situation dans laquelle une
correspondance exacte entre Donna et Carol est ralise, partir d'une
voix qui donne un ordre. Le reste de la scne concerne la question
de savoir o habite Donna, Carol et la mre de celle-ci se montrant
avant tout proccupes de s'en dbarrasser le plus vite possible, au
grand dam de la jeune autiste. Sur ce fond de drliction, se trouve
ralise une sorte d'identification avec "la fille dans le miroir".
Cette drliction restera jamais lie au personnage de Donna; derrire
cette identification immdiate, se trouvent en effet des objets
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L'AUTISME LA LETTRE 141
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abandonns: des petits chats. "En grandissant, je ne pouvais
m'empcher de rapporter compulsivement des petits chats la maison,
rejouant chaque fois la scne de Carol m'amenant chez elle. Ce
faisant, je me plaisais imaginer que ma mre se mtamorphoserait en
la mre de Carol. Le miracle ne s'est jamais produit".
Cette rencontre, quelle que soit la faon dont elle a eu lieu,
provoque une transformation, en ceci que Donna Williams renonce,
dit-elle, se suspendre un arbre et se laisser tomber, pour, la
place, faire surgir un personnage dans le miroir. 28 Ce personnage
est en mme temps un double spculaire: elle "entre par le miroir",
elle lui ressemble trait pour trait, si ce n'est l'clat de son
regard; elle provoque une grande perplexit chez Williams, dans la
mesure o aucune coordination n'est assure chez elle entre la parole
et l'image spculaire en particulier, la nomination, la dsignation,
et bien entendu le toucher lui posent des problmes insolubles ce
qui est tout fait remarquable est qu'elle arrive aller au-del d'une
relation purement mimtique, qui aurait trs bien pu la renvoyer des
phnomnes de type signe du miroir, dans lesquels aucune limitation
de son corps ne serait plus possible. Or il n'en est rien: "Je me
mis lui parler, et elle m'imita. Cela me mettait en colre et je lui
expliquai qu'elle n'avait pas besoin de s'amuser cela, puisque nous
tions seules. Passant outre, elle se mit faire tout ce que je
faisais. Je lui demandais pourquoi, elle me retournait la question.
Je finis par en conclure que la rponse devait tre un secret." Ce
secret semble entre autres conditions consister dans le fait que le
lien entre Carol et Donna devait rester cach, pour la protger. En
fait, la relation entre Donna et Carol semble avoir oscill entre
deux extrmes: d'un ct, une "frustration" de ne pouvoir dcouvrir la
solution de l'nigme de son identification Carol (Ibid.: 41). Cette
impossibilit lui semblait rsulter, crit-elle, de la "rsistance que
je rencontrais juste avant de heurter le miroir qui m'empchait
d'entrer dans le monde de Carol". Dsespre de cette rsistance, Donna
Williams, selon ses propres explications, se frappait elle-mme, se
griffait le visage, s'arrachait les cheveux, choses que lui faisait
galement par ailleurs sa mre.
D'autre part, Donna Williams explique qu'elle arrivait nanmoins
rejoindre Carol " l'intrieur d'elle-mme", notamment en se rfugiant
dans le placard de sa chambre. Paralllement, lors de certaines
occasions, "Carol tait aux commandes", et Donna pouvait alors
devenir une "poupe dansante, une acrobate, une contorsionniste",
capable de raliser une
28. Donna Williams semble plusieurs reprises douter de la ralit
effective de cette rencontre.
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142 FRANOIS SAUVAGNAT
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reprsentation thtrale Donna Williams explique qu'elle a t
actrice un moment de sa vie (Ibid.: 46).
On pourrait considrer qu'il s'agit ici d'une forme particulire
de moi idal, mais condition d'ajouter qu'il n'est aucunement
coordonne un idal du moi qui en limiterait l'efficace Donna
Williams explique qu'elle questionne sans cesse cette figure idale,
se demandant d'o elle lui vient et surtout, quivalente un objet
abandonn.
De la sorte, nous pourrions dsigner de la faon suivante ces deux
"personnages de substitution". Pour Willie, il s'agit d'un
personnage idal, driv de la fonction cholalique, qui vient se
substituer aux filaments brillants eux-mmes drivs de l'impossibilit
de raliser l'endormissement transitionnel caractristique des
enfants nvrotiques. Nous pourrions donc le reprsenter de la faon
suivante:
)impossiblesparation(I)echo(A ?
En revanche, Carol est une image dans le miroir qui intervient
comme
substitution du rejet, du laisser-tomber; elle est d'ailleurs
nettement identifie un petit chat abandonn:
)tomberlaisser()a(i
?
Ce laisser-tomber est plus ou moins associ la figure du
grand-pre en
tant qu'il disparat pour faire place un sentiment de catastrophe
(Ibid.: 263).
Cette caractristique poursuit d'ailleurs Donna Williams
lorsqu'elle voudra abandonner la figure de Carol: elle dcrit
plusieurs reprises ce qu'elle appelle le "grand nant noir" qui
intervient lorsqu'elle est menace par des significations qui
pourraient la dsigner, sans aucune protection (Williams, 1996:
141).
Mais mme lorsque Carol semble en "bon tat de fonctionnement", sa
nature de rejet continue transparatre, et son caractre artificiel
est sensible aux spectateurs attentifs.
D'une faon gnrale, qu'est-ce qui diffrencie des "personnages de
substitution" d'identifications nvrotiques, et qu'est-ce qui au
contraire les en rapproche?
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L'AUTISME LA LETTRE 143
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Il est certain que dans les deux cas, il y a substitution, comme
nous avons cru pouvoir l'indiquer par les formules que nous avons
proposes. Cette substitution intervient galement la suite d'une
perte, comme l'indique Freud dans son article "L'identification" o
il dcrit l'identification comme une incorporation d'un objet perdu.
Nanmoins, la diffrence est qu'il y a, dans l'identification
nvrotique, un effet d'criture qui va attribuer l'Autre une certaine
consistance, le constituant notamment comme Autre de la demande,
qui institue le sujet comme sujet de l'appel, au prix d'inclure
dans le symptme tout ce qui ne se conforme pas cette
standardisation de l'Autre.
Nous ne trouvons aucunement une telle consistance dans le type
d'Autre auquel Donna Williams a affaire. Il s'agit, de part en
part, d'un Autre du rejet, par rapport quoi il ne s'agit de gure
plus que dtourner l'attention ce qui est certes dj beaucoup.
"Willie devait aller sauver les chats"
S'il n'y a pas de coordination rgle entre Willie et Carol,
comparable ce qui peut exister entre l'idal du moi et le moi idal
d'un sujet nvros, il existe tout de mme une dialectique assez bien
articule entre les deux. En effet, Williams prsente de faon dtaille
la situation de ces deux personnages vis- vis de sa mre, ainsi que
dans une certaine mesure par rapport son petit frre Tom.
Pour ce qui est de la relation de ces personnages vis- vis de sa
mre, les trois premiers chapitres de son premier ouvrage sont
explicites: Willie est au dpart une sorte de rponse en cho aux
agressions maternelles, avant mme de se matrialiser en quelque
sorte dans les "yeux verts"; quant Carol, elle doit rpondre
l'obsession de la mre de Donna, d'avoir une fille qui soit une
"poupe-ballerine", et y russit dans une assez large mesure. On peut
donc conclure que Willie et Carol constituent des rponses directes
deux aspects du dsir maternel (qu'on pourrait probablement spcifier
par S(A? ) et ? F). 29
Mais il existe galement un autre aspect qui lie ensemble ces
deux personnages de substitution.
"Je vis dans un rve mon petit frre attacher sept petits chats.
Il leur avait li les pattes pour les empcher de courir. Puis il
leur avait attach les pattes au cou afin de les empcher de respirer
sous peine de s'trangler. Je me vis tendre les mains pour l'empcher
de jeter l'un des chatons par-
29. La premire formulation dsigne l'aspect peu contrlable de la
mre de Donna Williams, le second, son dsir d'avoir une fille qui
soit comme une petite poupe.
-
144 FRANOIS SAUVAGNAT
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dessus un haut mur de brique. Puis je sentis qu'on me tirait en
arrire. C'tait ma mre qui m'agrippait par les cheveux. Je luttais
en vain pour sauver les chats, au moment o ma tte cogna contre le
mur" (Williams, 1997: 261).
Voici comment Donna Williams comprend ce rve: "Dans le pass,
chaque fois que j'avais pris le parti de Carol, j'avais symbolis
mon moi vritable par un petit chat. Je me voyais toujours dans la
situation o Carol, la vraie, m'avait emmene chez elle comme si elle
avait trouv un chaton gar dans le parc. J'avais trouv un jour un
sac contenant sept chatons au bord d'un ruisseau et les avais
rapports la maison pour les cacher dans le garage. C'est ainsi que
j'allai me rfugier dans les garages des autres plus tard. Dans mon
esprit, chaque petit chat correspondait une couleur de
l'arc-en-ciel [qui] correspondait elle-mme chacun des sentiments
familiers tout un chacun, mais qui pour moi n'taient
qu'abstractions vides de contenu".
Ainsi, Donna Williams nous indique que le point essentiel du
personnage de Carol est le fait qu'elle l'ait "ramene chez elle"
comme un chat abandonn, rejet; Carol condense ainsi en elle la
drliction et une tentative de "ramener la maison", avec toute la
valeur magique que cette expression peut avoir; elle nous indique
galement que les "sentiments familiers" supposs prouvs par tout un
chacun avait galement selon elle cette consistance de rejet.
Ceci semblait tout particulirement tre le cas de son petit frre,
"le premier tre envers qui j'avais des sentiments en tant que
personne entire", explique-t-elle (Ibid.: 261). Elle explique de
fait l'acte de son frre Tom dans le rve comme une sorte de
projection de son propre vcu: "Tom attachait les petits chats et
les jetait hors de ma porte, de la mme faon que ma peur des motions
m'avait attache moi-mme"; de faon caractristique, cet autorejet
d'elle-mme est identifie au personnage de Carol ("J'avais pass ma
vie rejeter cet tre sans dfense par-dessus le mur, dans 'le monde',
sous le dguisement de Carol"(Ibid.)).
C'est ici qu'intervient Willie, qui venait en quelque sorte
corriger le caractre que nous pourrions dire trop passif de Carol.
"Willie, c'tait le protecteur de ce self sans dfense. C'est lui qui
devait aller sauver les chats. Mais sa bravoure tait entrave par
l'intervention de ma mre qui avait laiss jeter les chats dans 'le
monde' avant mme qu'il fussent prts l'affronter".
Nous avons donc en quelque sorte avec Willie quelque chose qui
un moment donn vient redoubler, soutenir le personnage de Carol,
mme si son rle est prsent comme entrav par la mre.
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L'AUTISME LA LETTRE 145
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De fait, plusieurs reprises, Donna Williams dcrit des
situations, notamment scolaires et professionnelles, dans
lesquelles "Willie se jette au secours de Carol"; et notamment
lorsqu'elle a affaire des agresseurs quelque peu consistants.30
Nanmoins, elle insiste constamment sur ce que ces mcanismes
identificatoires ont d'insatisfaisant, tendant en fin de compte la
laisser la plupart du temps sans dfense vis--vis de la dsignation
catastrophique par laquelle elle se sent affecte.
En dpit de cette insuffisance, Donna Williams admet que ces
personnages ont eu pour elle une certaine efficacit pour lui
permettre une adaptation relativement bonne, et notamment obtenir
un diplme universitaire de premier cycle.
Il est galement intressant qu'elle retrouve chez certains autres
autistes des "personnages de substitution" de mme nature, mme si
elle ne prtend pas en gnraliser l'existence dans tous les cas de
syndrome d'Asperger. Ainsi, dans Quelqu'un, quelque part,
explique-t-elle qu'un employ d'htel qu'elle rencontre en
Angleterre, Olivier, aurait constitu, sur un modle semblable au
sien, deux "personnages de substitution": Bettina (quivalent de
Carol) et Le Directeur (quivalent de Willie) (Williams, 1996:
263-264). A propos de "Bettina", un personnage de substitution
calqu plus ou moins sur le chanteur homosexuel Boy George, Donna
Williams note "Bettina tait une expression verbale aux dpens de la
propre expression d'Olivier. Elle s'impliquait aux dpens de
l'implication de son moi. Elle tait accepte aux dpens d'un
appauvrissement de ses motions. Elle lui apportait une identit et
un jeu de convictions qu'il portait comme des valises en attendant
que les siennes apparaissent un jour". Elle insiste donc sur le
caractre factice, peu stabilisateur de cette identification, comme
nous l'avons vu plus haut. A propos de son autre "personnage de
substitution", elle indique: "Son autre personnage tait masculin.
Son moi intellectuel, le dpt de choses pratiques, logiques,
responsables et apprises automatiquement plutt qu'empiriquement, il
l'avait appel le Directeur".
Mme s'il serait peut-tre excessif de voir l le pendant de