EXORDE
EXORDE
L'affliction du deuil, due l'habitude du prsent, n'est pas
raisonnable.[28] Ceux pour qui la suite [1] que prend ncessairement
notre nature [2] au sortir de la vie est un malheur, et qui sont
accabls par le deuil de ceux qui passent de la vie d'ici-bas la vie
spirituelle et incorporelle, ne se sont pas demand, me semble-t-il,
ce qu'est notre vie, mais ont ragi comme la plupart des gens, qui,
par une habitude sans raison, chrissent la ralit prsente comme si
elle tait bonne quelle quelle soit. Or celui que la raison et la
pense placent devant la nature dnue de raison [3] doit pencher
uniquement vers ce qui semble bon et souhaitable au jugement de sa
raison; il ne doit en aucun cas choisir ce que les gens, du fait
dune certaine habitude et dune inclination insense, trouvent
agrable et conforme leur dsir. C'est pourquoi, mon sens, il est bon
d'carter les gens de leur disposition habituelle par quelque
mditation, pour les tourner, autant que possible, vers la pense,
qui est meilleure et plus approprie aux hommes de raison. Car ainsi
serait bannie de la [29] vie humaine la draison que les gens
mettent leurs passions.But du discours : la conversion au vrai
bien.Notre effort de rflexion s'accorderait logiquement avec le
sujet que nous nous proposons, si nous examinions d'abord ce qu'est
le vrai bien, si ensuite nous considrions quel est le propre de la
vie corporelle et, enfin, si nous opposions par une comparaison les
biens prsents ceux que l'esprance nous rserve (cf. 2 Tim.
4,8).Ainsi nos considrations [4] parviendraient au but de ce
discours : ramener de leur habitude la pense des gens vers le bien.
En effet, comme tout homme a en lui une propension naturelle au
bien [5], et que toute dcision y tend et se le propose comme but
dans tout effort de la vie, c'est la mprise sur le bien vritable
qui provoque dordinaire la plupart des fautes humaines; car si le
bien vritable tait vident pour tous, nous ne manquerions pas de
l'atteindre, lui qui a pour nature la bont, et nous ne ferions pas
volontairement l'exprience du mal, si la ralit n'tait pas teinte
d'une reprsentation mensongre du bien [6]. Appliquons donc avant
tout notre rflexion ce qu'est le vritable bien, afin quaucune
erreur son sujet ne tourne nos efforts vers le moins bon plutt que
vers le meilleur; aussi faut-il, mon avis, mettre en prambule notre
discours une sorte de dfinition et de caractrisation de lobjet que
nous cherchons : de cette manire, notre saisie du bien sera exempte
d'erreur.
Notes[1] Il y a pour Grgoire une suite, une cohrence interne
dans la destine et la pense humaines comme dans lEcriture: sur le
sens du mot akolouthia, la fois rgle exgtique et, comme ici, loi de
la nature, voir J. Danilou, Ltre et le temps chez Grgoire de Nysse,
Leiden 1970, p. 18-50.[2] Cf. Or. cat. PG 45, 52B, o la mort est
aussi considre comme un vnement naturel. Mais cest galement pour
Grgoire la punition du pch : cf. De hom. op. PG 44, 200D, De an. et
res. PG 46, 81B, In sanct. Pascha PG 46, 661=GNO IX, 254 et De
virg. PG 46, 373=GNO VIII-1, 302. Voir ce sujet H. U. von
Balthasar, Prsence et pense. Essai sur la philosophie religieuse de
Grgoire de Nysse, Paris 1942, p. 52). Le mot "nature" a dans le De
mortuis des sens trs varis : condition d'existence, notamment
terrestre, genre (humain ou animal, comme ici, mais aussi cleste),
essence, vie du corps, cration dans son ensemble, tre de Dieu, ou
principe qui rgit lunivers.[3] Nous traduisons ici littralement le
mot alogon qui dsigne communment lanimal.[4] La mthode de Grgoire
est theoria, cest--dire contemplation: elle sapplique aussi bien la
recherche de Dieu qu la recherche scientifique ou philosophique,
comme ici. Voir ce sujet J. Danilou, Ltre et le temps, p. 1-17.[5]
Nul ne commet de faute volontairement: sur cette ide platonicienne
(Protagoras 345de, Mnon 77d-78b, Gorgias 466b-468c, Sophiste 228c,
Time 86e), cf. De hom. op. PG 44, 201B, Or. cat. PG 45, 25A, 29D et
60B, De virg. PG 46, 364C=GNO VII-1, 291-292; voir aussi J.
Danilou, Platonisme et thologie mystique. Essai sur la doctrine
spirituelle de saint Grgoire de Nysse, Paris 1944, p. 54.[6] De
faon significative et trs anti-manichenne (pour les manichens, le
mal tait le fait dun Dieu mauvais, rival du Dieu bon), Grgoire use
ici de comparatifs, prsentant ainsi le mal comme un bien "infrieur"
et non comme une ralit part entire. Sur le mal dfini comme
perversion, privation de l'tre ou non-tre, cf. par ex. De an. et
res. PG 46, 93B; voir aussi J. Danilou, L'origine du mal chez
Grgoire de Nysse, dans Diakona pistes. Mlanges De Adalma, Grenade
1969, p. 33-36.PREMIERE PARTIE : RECHERCHE DU VRAI BIEN
Dfinition du vrai bien.Quel est donc le caractre de la vritable
bont? Ce nest pas davoir un avantage purement relatif, ni de
paratre utile ou inutile selon les circonstances, ni [30] dtre bon
pour l'un et mauvais pour l'autre. Mais c'est la fois d'tre bon en
soi-mme et de par sa propre nature, et de ltre de faon identique
pour tout homme et en tout temps : voil ce qu'est, ce que j'en
juge, le caractre infaillible et indubitable de la nature du bien
[7]. Car ce qui n'est bon ni pour tous, ni toujours, ni en soi-mme,
indpendamment des circonstances extrieures, ne saurait au sens
propre tre jug comme tant de la nature du bien.C'est pourquoi
nombre de ceux qui se fient sans examen la ralit se sont imagin que
c'est dans les lments du monde que se trouve le bien [8], alors
qu'une recherche minutieuse ne trouverait pas un seul de ces lments
qui soit bon en lui-mme, toujours et pour tout. Car l'influence
bnfique qui vient de chacun d'eux est mle l'influence contraire :
ainsi l'eau est salutaire pour les tres qui croissent en elle et
funeste pour ceux qui se trouvent sur la terre ferme, si celle-ci a
t inonde; de mme, l'air est salutaire pour ceux qui vivent
naturellement en son sein, mais il savre mortel et funeste pour
ceux qui ont pour sort de vivre sous leau, lorsque lun deux y est
expos; le feu a galement pour nous une relative utilit, mais il est
nfaste la plupart du temps; quant au soleil, on dcouvrirait qu'il
nest bon ni pour tous, ni toujours, ni en toute circonstance pour
ceux qui reoivent ses rayons; en effet, il y a des cas o il devient
mme grandement nuisible : lorsqu'il bout au-del du degr convenable
et qu'il dessche l'excs ce qui [31] se trouve sous lui; lorsque,
comme il le fait souvent, il provoque des maladies et empire le mal
des yeux les plus souffrants; lorsque, enfin, il rend les humeurs
putrides en produisant chez elles des effets nuisibles et
dsagrables, qui les putrfient et les dcomposent.Ainsi, comme nous
l'avons dit, seul entre tous doit tre choisi comme bon ce qui, en
tout temps et de faon gale pour tous, a manifestement la nature du
bien et la garde toujours, sans subir de changement selon les
circonstances extrieures. Car sur tout ce qui, selon un prjug plutt
irrationnel, semble bon aux hommes en dehors de ce bien (le corps
et les biens extrieurs, comme force, beaut, noblesse d'origine,
richesse, pouvoir, clbrit et tous biens du mme ordre), parce que
c'est en soi visible tous, je prfre me taire et ne pas encombrer en
vain notre propos darguments sur lesquels tout le monde est
d'accord. Qui, en effet, ne sait que la beaut et la force sont
promises prompt destin, que le pouvoir facilement seffondre, que la
gloire est sans assises, ou quest vaine la passion des hommes pour
l'argent, eux pour qui le bien rside dans telle ou telle matire
parce qu'elle est rare et que sa couleur est belle? Ces vrits une
fois clairement nonces, il serait bon d'examiner si la vie prsente,
j'entends celle qui seffectue dans la chair, est ou n'est pas
susceptible d'tre reconnue dans le caractre du bien; car les
conclusions auxquelles notre rflexion aboutira au sujet de cette
vie guideront sans aucun doute la pense de ceux qui se demandent
comment se comporter vis--vis du dpart hors de ce
monde.Caractrisation de la vie corporelle.La vie de nos corps,
donc, consiste la fois se remplir et se vider [9]; son activit est
double: d'une part, le corps se remplit de nourriture et de
boisson, d'autre part, il ne cesse d'aspirer et d'expirer de l'air;
sans quoi la vie charnelle ne peut maintenir sa nature. Car l'homme
cesse de vivre, lorsque la succession de ces contraires ne trouble
plus sa nature : aprs cette vie une telle activit s'arrte [32]
totalement ds que, chez les dfunts, aucun lment extrieur n'entre ni
ne sort, mais que les lments propres la constitution du corps se
sparent et se dissolvent [10]. La nature, ds lors, est tranquille
et paisible; elle fait reposer dans son lment familier ce qui est
de mme origine et de mme provenance : dans la terre ce qui vient de
la terre, dans l'air ce qui est propre l'air, dans l'eau ce qui est
familier l'eau, dans la chaleur ce qui convient la chaleur. En
effet, ds que la masse htrogne de notre constitution n'est plus
unifie par la contrainte et la ncessit, mais que chacune des
parties qui nous composent retourne librement son milieu familier,
ds lors la nature cesse de contenir en elle des lments trangers
unis elle par la force. Si, aprs ce que l'on vient de dire, est
pris en compte dans la forme de cette vie l'tat de sommeil et de
veille, notre rflexion ne sera pas en dehors de la vrit : la nature
peine aussi dans le sommeil et la veille, qui la tirent sans arrt
en sens contraires, soit que le sommeil la dtende, soit que la
veille la tende nouveau : tous deux la disposent ainsi se remplir
et se vider.Si donc la proprit de notre vie est la fois de se
remplir et de se vider, on peut aisment comparer prsent le caractre
du bien tel que nous l'avons dfini et les proprits de la vie, afin
de savoir si cette vie est le vritable bien ou quelque chose
d'autre. Ainsi, qu'en soi-mme le remplissage, selon toute
vraisemblance, ne saurait tre jug comme tant de la nature du bien,
[33] c'est pour tous une vidence, vu que son contraire (je veux
dire le vidage) est galement considr comme bon. En effet, comme il
s'agit de contraires qui s'opposent l'un l'autre, il est impossible
que la notion de bien s'applique galement aux deux; en revanche, si
l'un d'entre eux est bon de par sa propre nature, son contraire
sera totalement mauvais; or la nature offre ici en chacun d'eux une
gale utilit. Ni le remplissage ni le vidage ne peuvent par
consquent recevoir la dfinition du bien; on admet donc que le
remplissage est diffrent du bien : de l'avis de tous, en effet, il
n'est souhaitable ni pour tout, ni toujours, ni sous toute forme;
car non seulement il est funeste dtre rassasi daliments nocifs,
mais dans le cas des aliments sains aussi il est souvent dangereux
et mortel de faire des excs; et si, alors que la surcharge de
lestomac exige un vidage, une autre surcharge vient encore
l'alourdir, une telle situation devient un amoncellement de maux
qui promet des souffrances sans remde. Le remplissage nest donc un
bien ni pour tout homme ni tous gards, mais son utilit est
relative, occasionnelle et limite du point de vue de la quantit et
de la qualit. De mme, si lon pense son contraire, cest--dire au
vidage, on trouvera tout aussi dangereux pour ceux qui y sont
sujets quil dpasse la limite de ce qui est utile; en revanche, il
ne sera pas sans intrt si on le considre comme un avantage parmi
d'autres et que lon prenne en compte les circonstances, la quantit
et la qualit dans lutilit du vidage.La mort est libration du mal et
passage vers le vrai bien.Ainsi, comme la forme que prsente notre
vie ne correspond pas au caractre du bien, [34] on devrait
logiquement convenir partir de ce que nous avons dit, que passer
hors dune telle vie ne nous spare d'aucun bien: car il est clair
que le bien vritable, authentique et premier n'est ni le vidage ni
le remplissage, dont on a montr que l'utilit tait occasionnelle,
relative et ponctuelle, et dont ne rsulte pas le caractre du
vritable bien. Par consquent, puisqu'il y a opposition entre le
bien vritable et son contraire, et que la contradiction entre les
deux ne comporte pas de moyen terme, il serait logique, pour ceux
qui se sparent de ce qui est loppos du vrai bien, de croire qu'ils
passent de ce monde au bien par nature, qui est un bien intemporel,
absolu et intgral: non pas un bien qui varie selon les
circonstances, les objets, les gens ou les points de vue, mais un
bien ternellement immuable et identique. Lme humaine passe donc de
la vie charnelle ce bien, changeant ainsi lexistence prsente contre
une autre condition de vie, dont nous ne pouvons pas connatre avec
exactitude la nature, nous qui sommes encore mls la chair, mais sur
laquelle il est possible, par dduction de ce que nous savons de
cette vie-ci, de former des conjectures comparatives. En effet, lme
ne sera plus lie lpaisseur corporelle ni place sous lgale
domination des lments contraires, qui, par le combat quils se
livrent entre eux, donnent la fois consistance et sant notre
organisme : [35] de fait, lexcs ou le relchement de lun des
contraires devient pour la nature une souffrance et une faiblesse.
Au contraire, rien en lme nest amoindri par un vide ni accabl dune
charge; loin de subir les dsagrments de lair (je veux dire le froid
et la chaleur), et dbarrasse de toutes les contrarits pensables,
elle demeure en un lieu o la vie est libre et dcharge de toute
peine contraignante : plus de terre travailler, de mers traverser,
de commerce dgradant faire et tenir, plus de maisons construire, de
vtements tisser ni de travaux douvriers accomplir. Menant, comme le
dit Paul, une vie calme et paisible (1 Tim. 2,2), elle ne livre ni
combats de cavalerie, ni batailles navales, ni luttes au corps
corps dans les rangs de linfanterie; elle nest pas occupe aux
prparatifs militaires, ni soumise aux contributions de guerre, ni
la ralisation de fosss et de murs : exempte et libre de tout souci
de cette sorte, elle na ni ne cre aucune difficult; servitude ou
souverainet, misre ou richesse, noble ou basse naissance, humble
condition du simple particulier ou puissance des dignitaires,
aucune ingalit de ce type na de place dans cette vie : son absence
de besoin et son immatrialit enlvent tous les dsagrments de ce
genre leur ncessit; si, en elle, lme subsiste, ce nest pas par
participation au sec et lhumide [11], mais par la saisie de la
nature divine, et nous ne doutons pas quau lieu du souffle arien,
[36] ce soit lEsprit [12] de vrit et de saintet qu'elle communie
(cf. 2 Cor. 13,13). La jouissance de ces biens ne change pas comme
celle des biens de cette vie, selon que nous les possdons ou non,
ou selon que nous les acceptons ou les rejetons, mais est toujours
pleine, et mme la satit ne vient jamais circonscrire sa plnitude
[13]. Car le bien-tre spirituel [14] ne connat ni poids ni satit,
il dborde chaque fois les dsirs de ceux qui en jouissent, sans
jamais les combler. Cest pourquoi cette vie est bienheureuse et
pure : les plaisirs des sens ne linduisent plus en erreur dans le
jugement du bien.Quy a-t-il donc datroce dans le dpart des
personnes qui nous sont chres? Rien, si ce nest que lon trouve
triste quils passent la vie dpourvue de passions et de troubles,
cette vie qui na supporter la douleur daucun coup, qui ne craint
pas la menace du feu, ni les blessures du fer, ni les malheurs des
sismes, des naufrages et des captivits de guerre, ni lattaque des
btes carnivores, ni la piqre et la morsure des serpents venimeux;
cette vie o nul ne senfle de vain orgueil ni nest cras sous
lhumiliation, o nul ne devient sauvage force daudace, ni nest
paralys par la lchet, o nul ne se gonfle de colre en bouillant sous
leffet du courroux et de la furie, ni nest pourchass par la peur
lorsquil ne peut rsister lassaut du plus fort; cette vie o lon ne
se soucie plus de savoir quelles sont les murs des rois, quelles
sont les lois, quelle est lhumeur des magistrats, quel est le
contenu des dcrets, [37] combien se monte limpt annuel, si une
pluie abondante a inond de faon excessive les terres cultives, si
les espoirs des paysans ont t anantis par la grle, ou si la
scheresse dominante a dessch toute la vgtation; quant au reste des
malheurs de la vie, cette vie-l en est entirement labri. Car la
sombre douleur de lorphelinat ne vient pas lattrister; le malheur
du veuvage ny a pas de place; mme les mille et unes faiblesses du
corps ny ont aucune influence; la jalousie lgard des hommes
heureux, le mpris des malchanceux et tous les sentiments de ce
genre en ont t bannis; une galit dans la parole et devant les lois
rgne dans la paix et en toute libert sur le peuple des mes, chacun
ayant ce que, de son propre choix, il se sera lui-mme prpar; si au
bien quelquun a par irrflexion prfr quelque mal, la mort nen sera
pas responsable, puisque la volont a choisi librement ce qui lui
semblait bon [15]. La prison du monde et la beaut du ciel.Pourquoi
donc se lamentent-ils, ceux qui gmissent sur leur dfunt ? En vrit,
si ce dernier, aprs stre dpouill du plaisir et du chagrin en mme
temps que de son corps, ne stait entirement purifi de toute
disposition aux passions, cest lui qui, plus lgitimement, gmirait
sur les survivants, qui sont comme des dtenus dans un cachot [16]:
habitus leur sombre sjour et vivant dans lobscurit, ceux-l croient
que le prsent est agrable et sans tristesse. Et [38] sans doute,
sils se lamentent sur ceux qui sont sortis de la prison, cest par
ignorance de la lumire qui accueille ceux qui quittent lobscurit:
car sils connaissaient les spectacles de lair libre, la beaut de
lther, la hauteur du ciel, lclat des plantes, le chur des toiles,
la ronde du soleil, la course de la lune, mais aussi la varit des
saisons agissant sur les germes de la terre, la douce vision de la
mer lorsque sa surface frissonne imperceptiblement, remplie de la
lumire du soleil, sous un souffle lger, ou encore la beaut des
difices urbains, privs ou publics, dont sont ornes les cits
illustres et opulentes, si donc ceux qui sont ns dans leur cachot
connaissaient ce genre de spectacle, ils ne plaindraient pas ceux
qui sortent avant eux de la prison comme si ctait un bien quils
perdaient; il est donc vraisemblable que ces derniers trouvent
digne de piti la vie misrable de ceux qui sont encore enferms :
cest aussi, me semble-t-il, ce que feraient ceux qui ont quitt la
prison de cette vie, sil leur tait vraiment possible de verser des
larmes de compassion lgard des infortuns, de gmir et de pleurer sur
ceux qui sont torturs par les douleurs de cette vie, parce quils ne
voient pas les beauts immatrielles qui sont au-dessus du monde, les
Trnes, les Principauts, les Puissances, les Seigneuries (Col. 1,16;
ph. 1,21), les armes angliques (cf. Luc 2,13), [39] les assembles
de saints, la Cit den haut, la runion supra-cleste de ceux dont les
noms sont inscrits (Hb. 12,22). Car la beaut transcendante de ces
ralits, celle que verront les curs purs, comme le rvle la Parole de
vrit (Mat. 5,8), va au-del de toute esprance et plus haut que les
conjectures par lesquelles nous nous la reprsentons.
Notes[7] Cette dfinition du bien est platonicienne: cf. Phdon
78d et Banquet 210e-211b, ainsi que les parallles chez Grgoire : De
hom. op. PG 44, 184C, In Eccl. PG 44, 737=GNO V, 421, De virg. PG
46, 368=GNO VIII-1, 296.[8] Allusion probable lcole ionienne et
Empdocle. Dans des termes semblables, le De an. et res. (PG 46,
20B-24A) sen prend lpicurisme : voir ce sujet H. von Balthasar, op.
cit., p. 14.[9] Cf. Philbe 42c, Time 43a et des passages similaires
dans le De hom. op. PG 44, 165AB, le De an. et res. PG 46, 146C et
lIn fun. Plac. PG 46, 888=GNO IX, 485.[10] Cf. Empdocle, fragment
31 B8 D.-K.6, Platon, Time 32c et les parallles dans le De hom. op.
PG 44, 129AB et 224D, l Or. cat. PG 45, 49BC, le De an. et res. PG
46, 44C et le De virg. PG 46, 404=GNO VIII-1, 331-332.[11] Cette
ide est lorigine celle de lcole mdicale de lancien stocisme; cf.
Or. cat. PG 45, 24A.[12] Sur ce jeu de mot entre souffle et Esprit
Saint, cf. De virg. PG 46, 368A et 413A=GNO VIII-1, 295 et 341, De
spir. PG 46, 697C.[13] Grgoire prend clairement ici, par une ide
qui lui est chre, le contrepied de lorignisme (cf. Trait des
principes II 8,3): voir M. Harl, Recherches sur l'orignisme
d'Origne : la satit (koros) de la contemplation comme motif de la
chute des mes, dans SP VIII=TU 93, Berlin 1966, p. 373-405. Cest le
cas aussi dans ses autres uvres : De vita Moys. PG 44, 404-405=GNO
VII-1, 114 et 117, In inscr. Psalm. PG 44, 452BC=GNO V, 40, In
Eccl. PG 44, 648D-649A=GNO V, 313, In Cant. PG 44, 777BD et
876C=GNO VI, 31-32 et 159, De an. et res. PG 46, 96C-97A et 113B.
Voir galement J. Danilou, Platonisme et thologie mystique, p.
291-292.[14] Spiritualis, le plaisir est trs important pour Grgoire
: cf. De hom. op. PG 44, 196D; voir aussi H. von Balthasar, op.
cit., p. 71.[15] Cf. Platon, Rpublique X 617e : La responsabilit
[du mal] incombe celui qui choisit; Dieu nest pas responsable.[16]
La comparaison des vivants des prisonniers enferms dans le monde
terrestre (et non particulirement dans le corps : l'image du
corps-prison telle qu'on la trouve dans le Cratyle 400c est donc
inopportune) n'illustre pas, comme l'allgorie de la caverne de
Platon (Rpublique VII 514sq et Phdon 61b), le problme de la
connaissance de l'tre, ni ne sert, comme celle d'Aristote, montrer
l'existence et la puissance cratrice des dieux, mais vise mieux
opposer deux ralits temporelles inluctables : la vie terrestre et
l'au-del. Il faut noter toutefois que "l'opposition du
christianisme et du platonisme" dont parle J. Danilou dans Le
symbole de la caverne chez Grgoire de Nysse, dans Mullus,
Festschrift fr Theodor Klauser, Mnster 1964, p. 46 ("Il ne s'agit
plus de l'homme qui monte vers la lumire, il s'agit de Dieu qui
descend dans la tnbre") est ici absente. Voir les parallles
grgoriens dans l'In inscr. Psalm. GNO V, p. 41-42; voir aussi J.
Danilou, L'tre et le temps, p. 167-168.DEUXIEME PARTIE :
EXHORTATION LA CONNAISSANCE DE LA VIE INCORPORELLE
Toutefois ce nest pas la seule raison pour laquelle ceux qui ont
pass nous jugeraient dignes de lamentations et de tristesse : car
alors que les peines de la vie sont si nombreuses, il s'est
introduit chez les hommes une telle disposition l'gard de leurs
souffrances qu'ils ne supportent pas leur atteinte comme une charge
ncessaire assumer, mais mettent tous leurs efforts ce quelles
soient perptuelles : en effet, le dsir qui se porte vers la
puissance, vers la prpondrance et vers cette jouissance que procure
la gloutonnerie, et tous les autres intrts de ce genre qui poussent
aux armes, aux guerres, aux massacres mutuels et toutes les peines
et les ruses volontaires, ne sont rien dautre quun monceau de
malheurs ajouts la vie de faon dlibre, ardente et zle.Pleurer,
cependant, est une passion qui, comme toute autre passion, est
impossible aux dfunts; tant devenus esprit et souffle, ils n'ont
plus ni chair ni sang : leur nature, de ce fait, les empche dtre
vus par ceux qui sont enterrs sous lpaisseur du corps [17], ni
avertir deux-mmes les hommes de leur erreur de jugement sur la
ralit.Dbut de la prosopope de l'esprit : la connaissance de soi par
la connaissance de Dieu.Que notre esprit parle donc en leur nom, et
disons, en sortant autant qu'il est possible de notre corps par la
pense, et en dtournant notre me du penchant vers la matire :[40]
Homme, qui que tu sois, toi qui as part la nature humaine, Prte
attention toi, selon le commandement de Mose (Deut. 15,9), et
connais-toi toi-mme [18], en sachant bien qui tu es et en
distinguant par la rflexion ce que tu es vraiment de ce que tu vois
autour de toi; quand tu regardes ce qui est en dehors de toi, ne
crois pas que cest toi-mme que tu vois; coute le grand Paul, juge
attentif et rigoureux de notre nature, qui dit que nous avons un
homme extrieur et un homme intrieur [19], et que si le premier se
dtruit, le second se renouvelle (2 Cor. 4,16). Ainsi, quand tu vois
celui qui se dtruit, ne va pas croire que cest toi que tu vois (un
jour, lui aussi sera exempt de destruction, lorsque par la
rgnration (cf. Mat. 19,28) l'tre mortel et corruptible sera revtu
de limmortalit et de lincorruptibilit (cf. 1 Cor. 15,53); toutefois
l'tre prsent s'coule et tombe, pendant que se dtruit notre tre
extrieur et apparent). Ce nest donc pas vers cela quil faut tourner
son regard, car rien de ce qui est visible ne doit tre vu non plus,
comme le dit Paul : Nous ne regardons pas les ralits visibles, mais
les ralits invisibles. Les choses visibles, en effet, nont quun
temps, mais les choses invisibles sont ternelles (2 Cor. 4,18).
Dirigeons donc notre regard vers ce qui est invisible (cf. Hb.
11,27) en nous, et croyons que notre tre vritable est ce qui chappe
la perception sensible.Soyons ainsi, selon le Proverbe, appliqus
nous connatre nous-mmes (Prov. 13,10): car la connaissance de soi
purifie des fautes dues lignorance. Nanmoins, mme en le voulant
vraiment, il nest pas facile de se voir soi-mme, tant donn quaucun
effort de pense ne peut nous rendre possible limpossible : cest ce
que [41] fit la nature pour les yeux du corps, qui voient tout,
mais demeurent incapables de se regarder eux-mmes; de mme, lme
explore, recherche de mille manires et suit la trace tout ce qui
est en-dehors delle, mais il lui est impossible de se voir
elle-mme. Que lme imite donc les yeux : eux aussi la nature refuse
la facult de tourner sur eux-mmes leur propre vue et de se mirer
eux-mmes; en regardant toutefois dans un miroir la forme et la
configuration qua leur propre rondeur, ils se voient par
lintermdiaire de limage; de mme il faut que lme regarde sa propre
image et considre comme sien ce qu'elle voit dans le caractre dont
elle a reu la ressemblance (cf. 2 Cor. 3,18; cf. Gen. 1,26; cf.
Sag. 7,26). Il convient cependant de modifier un peu l'exemple pour
que lide soit approprie la raison; car limage de la forme
apparaissant dans le miroir [20] est une imitation du modle, tandis
que pour le caractre de lme, notre ide est inverse : comme la forme
de lme est faite l'image de la beaut divine, lorsque lme regarde
son modle, alors cest elle-mme quelle voit avec clart.Quel est donc
le trait divin auquel lme est conforme ? Ce ne sont ni le corps, ni
la configuration, ni la forme, ni la taille, ni la solidit, ni le
poids, ni le lieu, ni le temps, ni aucune des proprits similaires
par lesquelles on a connaissance de la cration matrielle, mais une
fois que lon a cart toutes les particularits de ce genre, c'est
comme quelque chose d'intelligible, immatriel, intangible,
incorporel et sans tendue que nous devons sans aucun doute
concevoir le reste [21]. Si le caractre du modle est ainsi conu, on
doit logiquement reconnatre lme, qui y est entirement conforme,
[42] daprs les mmes caractres, savoir quelle est, elle aussi,
immatrielle, invisible, intelligible et incorporelle.L'incorporit
est la vraie nature de l'homme [22]Rflchissons donc si la nature
humaine sapproche davantage de la beaut du modle dans la vie
charnelle ou hors de celle-ci. Or il est clair pour tous que, de la
mme manire que la chair, qui est matrielle, a t apparente la
matrialit de cette vie, de mme lme a part la vie intelligible et
immatrielle lorsquelle a secou (cf. Luc 9,5) la matire qui la
recouvre. Quel malheur y a-t-il donc l-dedans? Si le vritable bien
tait le corps, il nous faudrait tre fchs de lalination de la chair
sous le prtexte que lorsque la mort nous dtache de celle-ci, nous
perdons en mme temps que le corps toute parent au bien. Mais tant
donn que le bien qui est au-del de toute intelligence, et limage
duquel nous sommes faits, est spirituel et incorporel, il serait
logique de croire que, quand nous traversons la mort (cf. Jn 5,24;
cf. I Jn 3,14) et devenons incorporels, nous nous approchons de
cette nature qui est exempte de toute paisseur corporelle, et quen
tant comme un masque hideux notre enveloppe charnelle, nous
remontons vers la beaut familire la ressemblance de laquelle nous
avons t forms au commencement, nous qui sommes faits limage du
modle.Or une telle pense devrait tre un sujet dallgresse et non
d'abattement, si lon croit quaprs avoir rempli cette charge
ncessaire, lhomme ne vit plus dans une chair trangre: aprs avoir
rendu chacun des lments la proprit quil avait qute auprs deux, il
est retourn dans son foyer familier et naturel, qui est pur et
incorporel. Car la matire du corps est en vrit trangre la [43]
nature incorporelle; lesprit, dans cette vie, est uni elle par la
ncessit et mne malgr lui la vie dun tranger. L'entrelacement mutuel
des lments, en effet, comme un peuple unique form d'hommes de
langues, de murs et d'origines diffrentes, est contraint et
discordant, chacun tant entran par sa nature propre vers ce qui lui
est apparent et familier. Or lesprit qui est ml ces lments nest
compos daucune partie et sa nature est simple et uniforme; mais il
vit au milieu dlments trangers et diffrents, alors quil nest pas de
mme sorte que le peuple des lments qui lentourent; insmin malgr lui
dans la multiplicit du corps, il contraint sa propre nature en
s'unissant avec les lments trangers; puisque ceux-ci, par une
mutuelle dsunion, sont naturellement entrans vers ce qui leur est
apparent et familier, et que leur cohsion se dissout et se dfait,
la sensibilit en est ncessairement afflige, et avec elle la partie
intellectuelle de lme qui, du fait de l'habitude, est toujours
encline s'attrister. Lesprit cesse donc dtre irrit et attrist quand
il sort de la lutte engage dans l'enchevtrement des lments
contraires; en effet, lorsque le froid est mis en droute par la
chaleur victorieuse ou qu linverse la chaleur fuit devant la monte
du froid, ou encore quand lhumidit recule devant la supriorit de la
scheresse, ou quand celle-ci voit sa solidit se dissoudre par la
surabondance de lhumidit, alors la guerre [23] qui a lieu en nous
cesse avec la mort, et lesprit vit en paix; il quitte [44] le champ
de bataille, je veux dire le corps, et loin de la mutuelle
confrontation des lments, il vit par lui-mme et recouvre
tranquillement sa force mise lpreuve par son union au corps
.Ampleur de l'ignorance humaine.Voil donc ce que dit lesprit ceux
qui vivent dans le corps, et voici ce quil ajoute, tout comme sil
faisait entendre une voix : Hommes, o vous tes, vous ne le savez
pas exactement, et o vous irez, vous nen avez pas encore
connaissance. Ce quest par nature le prsent, la raison na pu encore
le dcouvrir : elle regarde seulement ce quoi la vie laccoutume,
sans qu'elle puisse connatre la nature du corps, le pouvoir des
sens, la disposition des membres organiques, lordre intrieur des
entrailles, lactivit spontane des nerfs, ni comprendre comment ce
quil y a au-dedans de nous tantt solidifie sa nature et se fait os,
tantt reoit pour substance lclat lumineux de lil; ni comment la mme
nourriture et la mme boisson tantt saffinent en cheveux, tantt
s'largissent en ongles au bout des doigts; ni comment le feu qui
brle dans le cur, en remontant travers les artres, se rpand sans
arrt dans tout le corps; ni comment ce que lon boit, une fois pass
dans le foie, change de forme et de qualit et, par une certaine
altration, se convertit de lui-mme en sang. La connaissance de ces
phnomnes est jusqu prsent reste mystrieuse, si bien que nous
ignorons la vie dans laquelle nous vivons. Ce quest la vie dpourvue
de sensation, ceux qui vivent dans la sensation ne peuvent en avoir
aucune vision. Comment, en effet, voir par la sensation ce qui est
en dehors de la sensation ?L'irrationalit de la crainte.Les deux
sortes de vie sont donc galement mconnues de nous, la premire parce
que nous ne regardons que ce que nous voyons, [45] la seconde parce
que la sensation est incapable de latteindre; dans ces conditions,
qu'avez-vous, hommes, treindre lune comme un bien sans la connatre,
et trembler de peur devant lautre comme si elle tait pnible et
redoutable, pour la seule et unique raison que lon ignore ce quelle
est?Et pourtant, il est bien dautres ralits, parmi celles qui nous
apparaissent grce la sensation et que nous ne connaissons pas, dont
nous navons pas peur : quelle est la nature des phnomnes clestes,
quest-ce qui cause le mouvement rotatoire et inverse des ples,
quest-ce qui assure la terre sa fixit, comment la nature fluente de
leau surgit-elle toujours de la terre, comment celle-ci ne
spuise-t-elle jamais ? Et il y a bien dautres choses de ce genre
dont nous navons pas connaissance, sans que pour autant nous
jugions notre ignorance digne de crainte. Pourtant, mme la nature
divine, bienheureuse et insaisissable qui "surpasse toute
intelligence" (Phil. 4,7), nous avons mis notre foi dans son
existence, alors quaucune conjecture n'a encore saisi en quoi
consiste son tre; nanmoins nous aimons de tout notre cur, de toute
notre me et de toute notre force (Deut. 6,5) un tre que nous ne
connaissons pas et quil est impossible de saisir par le moindre
raisonnement.L'infantilit due l'habitude.Pourquoi cette peur
irrationnelle surgit-elle donc seulement face la vie qui nous
attend aprs celle-ci, nous dont l'ignorance seule nous fait
craindre ce que nous ne connaissons pas, tout comme les petits
enfants effrays par leurs suppositions sans fondement ? Si lon veut
voir la vrit des tres, on circonscrit dabord lobjet auquel on a
affaire, puis on sapplique dfinir sa nature et se demander sil est
utile et acceptable, ou sil est pnible et viter; [46] mais ce qui
est totalement obscur et inconnu, comment un tre dou desprit le
jugerait-il pnible, redoutant le simple abandon de l'habitude comme
la menace dun feu ou dune bte sauvage?Or la vie nous enseigne
clairement ne jamais prendre lhabitude [24] en considration, mais
convertir sans cesse nos dsirs vers le bien. En effet, la vie ne
demeure pas toujours ltat embryonnaire pour les tres qu'elle
faonne, mais tant quils sont dans les entrailles maternelles, la
nature rend agrable et convenable la vie intra-utrine, et lorsquils
sortent, ils ne restent pas toujours suspendus aux mamelles, mme
si, pour autant quils nont pas atteint lge opportun, cest une
habitude bonne et convenable; puis leur vie suit un autre cours,
sans que lhabitude leur fasse aucunement regretter le sein
maternel; ensuite, aprs lenfance, les occupations des adolescents
deviennent diffrentes, diffrentes aussi celles des plus gs, et
lhomme, en suivant lvolution de ses occupations, change sans
tristesse dhabitude en mme temps que dge. Par consquent, si un tre
encore nourri dans le ventre de sa mre avait une voix, il
sindignerait, lors de sa naissance, de se voir dlog des entrailles
de celle-ci, et crierait quelle terrible souffrance il prouve tre
tir hors de ce dsirable sjour [25] (cest prcisment ce quil fait en
respirant pour la premire fois, quand, sa naissance, ses larmes
jaillissent comme pour sindigner et se plaindre dtre arrach sa vie
habituelle); de mme, me semble-t-il, ceux qui ne supportent pas que
la vie prsente soit change sont comme des embryons : ils veulent
passer toute leur vie dans le sein de cette matire rpugnante.La
mort est une seconde naissance.[47] Car lorsque le douloureux
"enfantement de la mort" (Act. 2,24; cf. Rom. 8,22) fait natre les
hommes une autre vie, ils exprimentent alors, en savanant vers
cette lumire et en aspirant le souffle pur, quelle diffrence il y a
entre cette vie-l et la ntre; en revanche, ceux quils ont laisss
cette vie humide et molle, en vrit, sont des embryons et non des
hommes, lorsquils se lamentent sur celui qui, avant eux, est sorti
des attaches qui nous enserrent, comme sil avait perdu un bien;
mais ils ne savent pas que son il souvre comme celui dun nouveau-n
en quittant les attaches de la vie prsente (il faut, certes,
entendre par l lil de lme (cf. ph. 1,18), grce auquel elle discerne
la vrit des tres), ni que sveille son sens acoustique, par lequel
il entend les paroles ineffables quil nest pas permis un homme de
dire, comme dit lAptre (2 Cor. 12,4), ni que sa bouche souvre et
aspire le souffle pur et immatriel, qui le tend vers la voix
intelligible et la Parole de vrit, lorsquil a t uni lcho du chur
des saints en fte; de mme lui est accord un got divin, par lequel
il sait, comme il est crit dans le Psaume, que le Seigneur est bon
(Ps. 33,9); grce son odorat il peroit la bonne odeur du Christ (2
Cor. 2,15; cf. ph. 5,2), et en recevant en outre le toucher, son me
tte la vrit et touche le Verbe, comme en tmoigne Jean (1 Jn 1,1)
[26].Rtablissement du jugement de l'me, troubl par les sens.Si,
aprs lenfantement travers la mort, ces possibilits et dautres
semblables sont offertes aux hommes, quel sens ont le deuil, l'air
sombre et labattement ? Quil nous rponde maintenant, celui qui
scrute la nature des choses, [48] sil juge prfrable de se tromper
dans la saisie du bien cause des sens corporels, plutt que de
regarder la ralit des choses elle-mme lil nu de son me ! Car il
sensuit ncessairement qu'ici-bas lme est lesclave dun jugement
extrieur sur lide suppose du bien : en effet, puisque le corps dun
enfant ne peut pas encore contenir la perfection des facults de lme
[27], et que le plein dveloppement des organes sensibles, lorsquils
naissent avec le nouveau-n, est donn immdiatement, pour ces raisons
lintelligence est dabord devance dans son jugement du bien par la
sensibilit, et lme reoit sans aucun examen critique ce que les
sens, daprs ce quil leur a sembl, ont dores et dja considr comme
bon et que, par habitude, ils ont jug davance comme tel; convaincue
que le bien est ce que la sensation a au pralable jug et attest
comme tel, elle voit le bien dans des couleurs, des saveurs et
dautres sottises de ce genre; comme ces dernires disparaissent aprs
la sortie du corps, c'est en toute ncessit qu'apparat lme le vrai
bien, auquel elle a t naturellement apparente. Car la vue ne sera
plus sduite par lappt des couleurs, puisque cet il qui est le ntre
aujourdhui nexistera plus, et notre choix ninclinera plus vers
aucun autre objet qui caresse nos sens, tant donn que toute
sensation corporelle se sera teinte. Seule la facult intellectuelle
touchera, de faon immatrielle et incorporelle, le bien
intelligible, si bien que la nature ne sera plus empche de
recouvrer son bien propre, qui nest ni la couleur, ni la forme
extrieure, ni la dimension, ni la grandeur, mais ce qui dpasse
toute reprsentation conjecturale.
Notes[17] Sur ce thme platonicien (cf. Gorgias 493a et Phdre
250c), voir P. Courcelle, Le corps-tombeau, dans REA 68, 1966, p.
101-122.[18] Le thme de la cration de l'homme la ressemblance de
Dieu christianise de faon tonnante chez Grgoire (et plus
radicalement que ne l'avaient fait les autres Pres de l'glise) la
maxime socratique. Celle-ci, comme l'a fait remarquer J. Danilou,
est transpose par Grgoire du domaine moral au domaine mystique: "La
conversion de l'me est la condition de la connaissance de Dieu,
mais c'est une conversion de l'me vers Dieu, et non vers soi
(Platonisme et thologie mystique p. 229). Voir aussi P. Courcelle,
Connais-toi toi-mme, de Socrate saint Bernard, Paris 1974-1975 et
E. von Ivanka, l'appui de ce passage du De mortuis, peut crire :
"l'me ne peut se connatre elle-mme que si elle regarde Plato
Christianus. ber Nahme und Umgestaltung des Platonismus durch die
Vter, Einiedeln 1964, trad. de l'allemand par E. KESSLER, Paris
1990, p. 179.[19] Cette ide paulinienne se trouve aussi chez
Platon, Rpublique IX 589a et Phdre 279b. Elle est rcurrente chez
Grgoire: cf. De hom. op. PG 44, 236A, In Cant PG 44, 769C,
804A-805A et 1061C=GNO VI, 21, 63, 399, De perf. PG 46, 260C et
284D=GNO VIII-1, 183 et 212, De inst. christ. GNO VIII-1, 54-55 (o
lhomme intrieur est clairement assimil lme, tout comme lhomme
extrieur au corps) et 59, De virg. PG 46, 397A et 413=GNO VIII-1,
325 et 342, Epist. PG 46, 1013C=GNO VIII-2, 18.[20] Prsente chez
Platon (cf. Alcibiade I, 132d-133c, Time 71b, Phdre 255d), limage
du miroir est centrale chez Grgoire: cf. In Cant. PG 44, 824D, 832,
868, 1093D-1096A =GNO VI, 91,102, 148, 439-440; De Beat. VI, GNO
VV-2, 143-144; De hom. op. PG 44, 136C et 161D, De vita Moys. PG
44, 340A=GNO VII-1, 46, De inf. PG 46, 164C=GNO III-2, 69, De virg.
PG 46, 368 et 392=GNO VIII-1, 295 et 341; voir aussi H. von
Balthasar, op. cit., p. 86 et 95, ainsi que .J. Danilou, Platonisme
et thologie mystique, p. 45 et 223. Ce passage montre bien que
Grgoire ne fait pas de distinction entre limage (aspect statique de
la ressemblance) et la ressemblance (aspect dynamique); cf. R.
Leys, L'image de Dieu chez saint Grgoire de Nysse, Bruxelles 1951,
p. 116 et M. Alexandre, Protologie et eschatologie dans Arch e
Telos. L'antropologia di Origene e di Gregorio di Nissa, ed. U.
Bianchi, SPM 12, Milan 1981, p. 158. W. Vlker (Gregor von Nyssa als
Mystiker, Wiesbaden 1955, p. 182) et P. Courcelle (Connais-toi
toi-mme p. 719) ont soulign cette originalit de Grgoire : ce n'est
plus Dieu qui est le miroir, mais l'me qui contemple en Dieu,
l'image duquel elle est faite, son tre mme, et non un simple
reflet.[21] Ce reste qui dsigne Dieu souligne ici le caractre
ngatif ou apophatique de la connaissance de Dieu.[22]
L'identification de l'homme un tre "incorporel" et la perfection de
la joie de l'me spare du corps se comprennent si l'on considre que
celui-ci est entendu au sens du corps terrestre et mis dessein dans
une consolation comme celle-ci au rang de tous les maux de la
cration, et que l'adjectif "incorporel" ne veut pas dire
"indpendant de tout corps", mais "dpourvu de corps matriel": voir
J. Danilou, Grgoire de Nysse et le noplatonisme de l'cole d'Athnes,
dans REG 80, 1967, p. 396.[23] Grgoire parle ailleurs de guerre
contre lesprit : cf. In Cant. PG 44, 777A=GNO VI, 30 et Or. dom. PG
44, 1157=GNO VII-2, 39.[24] Lhabitude est selon Aristote une
seconde nature (Eth. Nic. VII 11, 1152a30); chez Grgoire, elle est
parfois prise en bonne part : De virg. PG 46, 360=GNO VIII-1,
287-288 (cf. Basile, De leg. libris VIII, PG 31, 588D), mais dprcie
la plupart du temps : In Eccl. GNO V, 418, Or. dom. PG 44, 1136=GNO
VII-2, 19, De an. et res. PG 46, 16A et De virg. PG 46, 349=GNO
VIII-1, 278.[25] Cette ide, en elle-mme trs moderne, se trouve dj
chez Pline l'Ancien, Nat. hist. VII, 1.[26] Sur lveil des sens
spirituels, ce passage illustre bien la diffrence entre Origne,
pour qui cet veil est d l'enthousiasme intellectuel, et Grgoire,
pour qui il correspond la prsence du Christ dans l'me et la vie
surnaturelle (voir J. Danilou, Platonisme et thologie mystique, p.
235sq et 264).[27] La prexistence de lme est ici clairement nie;
cf. De an. et res. PG 46, 125A-128B. Voir aussi Lenfant natre, PDF
78, Paris 2000, avec la traduction de La cration de lhomme, ch. 28
et 29 par J.-Y. Guillaumin, revue par M.-H. Congourdeau, p.
87-98.
TROISIEME PARTIE : DFENSE DU CORPS [28]
Le corps, moyen de maturation : comparaison avec l'pi de bl
[29](cf. Mc 4,27sq; cf. 1 Cor. 15, 35-49).Que dira donc, selon
toute vraisemblance, celui qui se plaint de la vie prsente ? Dans
quel but et pour quel bnfice avons-nous un corps, [49] sil a t
dmontr par la raison que la vie qui en est spare est meilleure ?.
Nous lui rpondrons que nest pas non plus ngligeable le profit quon
en tire lorsqu'on sait regarder lconomie de la nature en son
ensemble. De fait, la vie des anges est vritablement heureuse, elle
qui na nul besoin de la pesanteur corporelle; et pourtant, notre
vie nest pas imparfaite non plus, quand on la compare avec la
leur.Car la vie prsente est un chemin qui mne au terme de notre
esprance, tout comme lon voit sur les pousses le fruit qui commence
sortir de la fleur, et qui, grce elle, parvient lexistence comme
fruit, mme si la fleur nest pas le fruit. De mme, la moisson qui
nat des semences napparat pas immdiatement avec son pi, mais cest
lherbe qui est la premire pousser; ensuite, une fois l'herbe morte,
la tige de bl surgit et ainsi le fruit mrit la tte de lpi.
Lagriculteur ne met nanmoins pas en cause la ncessit de ce cycle et
de cette succession, en se demandant pourquoi la fleur vient avant
le fruit, ou pour quelle raison lherbe pousse la premire de la
semence, si la fois la fleur aussi se perd et lherbe sassche
inutilement, sans contribuer en rien la nourriture des hommes. Qui
observe, en effet, les merveilles de la nature, sait que le fruit
naurait pu arriver maturit partir des semences et des pousses si
cette succession ingnieuse ne lui frayait un chemin pour sa
maturation; ce nest pas parce que lherbe qui sort la premire des
semences est inutile pour notre jouissance, que ce qui se produit
est vain et superflu; car celui qui manque de nourriture ne voit
que son propre besoin, alors que la raison de la nature veille
seulement ce que la production du fruit s'achemine vers sa
ralisation selon la succession qui a t fixe.C'est pourquoi [50] la
semence pousse d'abord depuis le sous-sol travers diverses racines,
par lesquelles elle tire la nourriture qui lui convient grce
l'humidit, puis fait surgir l'herbe en formant un gazon qui, cause
des dommages que provoque l'air, sert de couverture la racine; elle
n'est pas le fruit, mais elle aide et ouvre la voie la maturation
du fruit : premirement, elle expurge d'elle-mme la puissance
contenue dans la semence (la nature rejetant en premier l'herbe
comme un rebut du fruit), et ensuite elle constitue un abri pour
que la racine ne souffre pas des atteintes de l'air, soit cause du
froid, soit cause de la chaleur. Mais ds que, par la profondeur de
ses racines, la semence a t rendue plus vigoureuse, alors, la
racine n'ayant plus besoin de couverture, l'herbe est dornavant
nglige; tout l'effort est consacr la croissance de la tige; avec un
ingnieux savoir, la nature fabrique artistement lquipement en forme
de flte dont la pousse, toute droite, le distingue des revtements
qui s'accumulent les uns sur les autres autour de lui; car la tige,
lorsqu'elle est molle et sans vigueur, doit, pour commencer, tre
nourrie par eux et ceinture, pour sa scurit, par les liens
intermdiaires; mais quand la tige a atteint la taille convenable,
elle a dsormais une longue chevelure : son revtement final a fait
apparatre l'pi qui sest dgag hors de lui et qui, partag en
plusieurs barbes semblables des cheveux, cache le grain nourri la
base de celle-ci par les glumes.Par consquent, si le paysan ne se
plaint ni des racines des semences, ni de l'herbe qui est rejete
hors de la semence, [51] ni de la barbe de l'pi, mais voit en
chacun de ces lments un besoin ncessaire, par lequel la nature
trace ingnieusement sa route et amne le fruit sa maturit, en
cartant ce dont elle n'a pas besoin et en expurgeant ainsi la
semence fconde, il est temps que toi aussi, tu cesses de te
plaindre: cest par des voies ncessaires que notre nature chemine
vers sa fin propre, et il faut que tu comprennes, d'aprs la
comparaison avec les semences, que de toute faon la ralit prsente a
toujours une utilit et une ncessit relatives, bien que ce ne soit
pas ce pour quoi nous sommes ns.Car notre Crateur ne nous a pas
destins la vie embryonnaire, et le but de la nature n'est pas la
vie des nouveaux-ns; elle ne vise pas non plus les ges successifs
quelle revt sans cesse avec le temps par le processus daltration
qui change sa forme, ni la dissolution du corps survenant la mort,
mais tous ces tats ainsi que tous les tats de ce genre sont des
tapes sur le chemin o nous avanons. Le but et le terme de la marche
travers ces tapes, c'est la restauration en notre ancienne
condition [30], qui n'est autre que la ressemblance au Divin. Et de
mme que, d'aprs l'image de l'pi de bl, l'herbe rejete en premier
parat galement ncessaire la raison de la nature, bien que ce ne
soit pas pour elle que la culture de la terre, les revtements, la
barbe, la tige et ce qui la ceinture font lobjet des efforts de
l'agriculteur, mais pour le fruit nourrissant qui, grce eux, vient
maturit, de mme le terme attendu de la vie est la batitude; mais
aujourd'hui tout ce qui regarde le corps : la mort, la vieillesse,
la jeunesse, l'enfance et la formation de l'embryon, tous ces tats,
comme autant d'herbes, de barbes et de tiges, forment un chemin,
une succession [52] et une potentialit permettant la maturit espre.
Celle-ci une fois prise en considration, si ta pense est juste, tu
n'auras ni haine pour ces choses ni, cependant, de passion ni de
dsir qui te fassent regretter d'en tre spar, ou qui te poussent
dserter et passer du ct de la mort.Rle de la mort au sein mme de la
vie.Il n'est peut-tre pas inutile d'ajouter, s'il le faut, notre
discours, mme si cela semble hors de propos, qu chaque instant la
nature se prpare la mort [31], et que la mort est en tout point
unie la vie dans son progrs travers le temps. En effet, comme la
vie est sans cesse mue du pass vers l'avenir et ne va jamais en
arrire, la mort est ce qui suit toujours troitement l'activit de la
vie: de fait, dans le pass, cessent compltement tout mouvement de
vie et toute activit. Ainsi, puisque l'inertie et l'inaction sont
le propre de la mort, et que de toute faon elles suivent toujours
par derrire l'action de la vie, il n'est pas faux de dire que la
mort est entrelace cette vie; et d'ailleurs, une telle ide pourrait
se trouver pour nous confirme dans sa vrit par le tmoignage de
l'exprience elle-mme : l'homme d'aujourd'hui n'est pas le mme
qu'hier en son substrat matriel, mais il est certain que toujours
une partie de lui meurt, empeste, se corrompt et se voit expulse
comme hors de sa demeure, je veux dire de la constitution du corps;
la nature emporte la puanteur cadavrique et rend la terre ce qui
est dsormais en dehors du pouvoir de la vie. C'est pourquoi, selon
la parole du grand Paul, nous "mourons chaque jour" (1 Cor. 15,31);
nous ne restons pas toujours identiques dans la mme [53] demeure
corporelle, mais devenons chaque fois diffrents de ce que nous
tions, sans cesse altrs, force dajout et de rejet, comme en un
corps nouveau. Pourquoi donc tre dpayss par la mort, alors qu'il a
t dmontr que la vie charnelle est prparation continuelle et
exercice de la mort ? Et si l'on parle du sommeil et de la veille,
c'est une autre forme d'union de la mort et de la vie dont on parle
: les sens s'teignent quand on dort et, l'inverse, le rveil
accomplit pour nous en lui-mme la rsurrection espre [32].La
sauvegarde de la libert humaine : la "tunique de peau" comme
antidote.Mais ces questions ne nous ont pas fait perdre de vue
notre propos, mme si une pense digressive a conduit notre discours
d'autres considrations. Revenons donc nouveau notre propos, savoir
que dans l'attente des biens esprs, mme la nature du corps n'est
pas inutile. Car si nous tions tels que nous fmes au commencement,
nous n'aurions aucunement besoin de la tunique de peau [33] (Gen.
3,21) et la ressemblance Dieu brillerait sur nous. Le caractre
divin qui se voyait sur nous au commencement n'tait pas une qualit
propre une configuration ou une couleur, mais les traits sous
lesquels la beaut divine se laisse voir taient aussi ceux qui
embellissaient l'homme: par l'impassibilit, la batitude et
l'incorruptibilit, il imitait la grce de son modle. Toutefois, tant
donn que, par la tromperie de l'Ennemi de la vie (cf. 1 Cor.
15,26), il pencha de lui-mme vers la bestialit et la draison, il
peut sembler bon, si l'on n'y rflchit pas, que les hommes soient
carts du mal malgr eux et ramens au bien sous la contrainte;
cependant le Crateur de la nature a jug dommageable et injuste de
frustrer la nature du plus grand des [54] par une telle mesure. De
fait, puisque l'homme a reu forme divine et que l'honneur d'tre
libre fait son bonheur (car l'autonomie et l'indpendance sont
propres la batitude divine), le pousser quoi que ce soit par la
contrainte et t lui ter de force cette dignit [34]. En effet, si,
par la force et la contrainte, il avait de lui-mme dtourn de ce qui
lui plat la nature humaine qui, libre de ses mouvements, s'tait
lance vers ce qu'il ne faut pas, il lui aurait enlev le privilge
qu'il lui avait donn et l'aurait prive de l'honneur qui l'gale Dieu
(car la libert est galit Dieu).C'est pourquoi, afin que la nature
garde sa libert et que le mal disparaisse, la Sagesse de Dieu conut
le dessein de laisser l'homme dans l'tat que celui-ci a voulu, de
telle sorte qu'aprs avoir got aux maux qu'il dsirait et appris par
l'exprience quels biens il a chang contre eux, il retourne
librement, par son propre dsir, sa batitude premire, aprs avoir
dcharg sa nature du passionnel et de l'irrationnel comme d'un
fardeau, et s'tre purifi, soit dans la vie prsente par l'attention
et la philosophie, soit aprs son dpart d'ici-bas par la fonte
qu'opre en lui le feu purificateur.Car il en va comme d'un mdecin
qui possde, grce son art, un complet savoir des remdes et des
poisons, et qui conseille au jeune homme ce qu'il lui faut; or il
ne saurait, par ses conseils, empcher celui-ci, dont l'ge et
l'esprit ne sont pas assez mrs, de dsirer un fruit ou une herbe
nuisible; mais s'il a en sa possession toutes sortes de prparations
contre les poisons, [55] il permettra son enfant de manger des
aliments nocifs, pour que celui-ci comprenne par l'exprience des
douleurs la justesse du conseil de son pre et acquire le dsir des
aliments sains, et qu'ainsi le pre redonne son fils, grce ses
contre-poisons, la sant qu'il perdit par l'absurde dsir des
aliments nfastes. De mme, le tendre et bon Pre de notre nature, qui
sait ce qui nous garde en vie et ce qui nous l'te, fit connatre
l'homme quel aliment tait nfaste et lui conseilla de ne pas en
manger (cf. Gen. 2,17); toutefois, lorsque le dsir du mal
l'emporta, il ne manqua pas des bons antidotes qui lui
permettraient de redonner l'homme sa sant originelle. Car voyant
que l'homme avait prfr ce plaisir qui est matriel [35] la joie
spirituelle, il jugea bon de concourir d'une certaine faon son
impulsion au moyen de la tunique de peau (Gen. 3,21) dont il le
revtit cause de l'inclination de l'homme au mal; grce cette
tunique, la Sagesse divine, dispensant le bien au moyen de son
contraire, fit des proprits de la nature irrationnelle le vtement
de la nature rationnelle. En effet, cette tunique de peau porte en
elle toutes les proprits dont elle revtait la nature animale :
plaisir, colre, gourmandise, insatiabilit, etc.; elle fraie ainsi
la voie la dcision humaine pour pencher d'un ct ou de l'autre,
devenant matire soit au vice soit la vertu.Puisque telles sont les
conditions de son existence dans la vie d'ici-bas, l'homme agira
donc de son propre mouvement s'il distingue ce qui lui est propre
de ce qui appartient l'irrationnel et se tourne vers lui-mme par
une vie raffine, et il purifiera sa vie prsente de l'immixtion du
mal [56] en dominant la draison par la raison. Cependant, s'il
incline vers la pente irrationnelle des passions aprs avoir pris
pour complice la peau des btes, c'est en vain qu'il dcidera de se
tourner vers le bien aprs la sortie du corps, mais il mesurera la
diffrence entre la vertu et le vice, parce qu'il ne pourra pas
prendre part la vie divine sans tre lav par le feu purificateur de
la souillure immisce en son me.Voil les raisons pour lesquelles
nous avons ncessairement besoin du corps, grce auquel notre libert
est sauve en mme temps que notre retour au bien n'est pas entrav.
C'est au contraire en faisant ce logique tour par le corps que
vient spontanment en nous l'inclination au bien : certains, ds
ici-bas, gardent travers la vie charnelle, par l'impassibilit, une
vie spirituelle prospre, comme nous l'entendons dire des
patriarches, des prophtes et de ceux qui, avec eux et aprs eux, ont
remont par la vertu et l'amour de la sagesse la voie de la
perfection (j'entends les disciples, les aptres, les martyrs et
tous ceux qui ont prfr la vie vertueuse la vie matrielle et qui,
mme s'ils sont moins nombreux que la foule qui drive vers le mal,
ne tmoignent pas moins qu'il est possible d'accomplir droitement la
vertu dans la chair); les autres, duqus la vie future, rejettent le
penchant passionn pour la matire dans le feu purificateur, et
regagnent spontanment, par le dsir du bien, la grce prodigue au
commencement la nature.La perversion de la nature est provisoire.
Ccit de l'me [36].[57] Car le dsir de ce qui est tranger ne reste
pas ternellement prsent dans la nature : chacun est rassasi
jusqu'au dgot de ce qui ne lui est pas propre, dont l'origine la
nature n'en avait en elle-mme aucune part, tandis que seul ce qui
est de mme origine et de mme provenance demeure continuellement
dsirable et aimable, tant que la nature reste inchange en elle-mme;
toutefois, si elle est dtourne par un mauvais choix, alors en elle
vient le dsir de ce qui lui est tranger, dont la jouissance charme
non pas elle, mais sa passion. Une fois celle-ci disparue, le dsir
des biens contraires la nature disparat aussi et ce qui lui est
familier lui redevient dsirable et convenable, savoir la puret,
l'immatrialit et l'incorporit, et l'on ne se trompera pas en disant
qu'elles sont le propre de la Divinit qui est au-dessus de tout.Car
pour les yeux du corps, lorsqu'un coulement trop piquant a troubl
leur souffle visuel, l'obscurit leur devient propre cause de la
parent de l'paisseur avec la tnbre, mais ds que la gne optique a t
limine par un traitement mdical, la lumire redevient un lment
familier et convenable qui se mle la puret et l'clat de la pupille.
De mme, quand le vice, par la tromperie de l'Adversaire, s'est coul
comme un liquide dans l'il de l'me, le raisonnement, familiaris par
la passion avec l'obscurit, a pench de lui-mme vers la vie de tnbre
(en effet, quiconque fait le mal hait la lumire (Jn 3,20), comme le
dit la Parole divine), mais une fois le mal limin des tres et
revenu au nant, nouveau la nature se tourne avec plaisir vers la
lumire, puisque ce qui troublait la puret de l'me a disparu.La
chair n'est pas la cause du mal. Sens des besoins corporels.[58] Il
est donc vain, comme nous venons de le dmontrer, d'tre hostile la
nature de la chair; car ce n'est pas d'elle qu'a dpendu la cause
des maux [37] (sinon, elle dominerait de faon gale tous ceux qui
ont eu pour sort la vie corporelle). Au contraire, chacun de ceux
dont on garde en mmoire la vertu vivait dans la chair, sans vivre
pour autant dans le vice: c'est l une preuve vidente que ce n'est
pas le corps qui est la cause des passions, mais le choix qui
produit les passions [38]. Car le corps se meut conformment sa
nature propre, et se dirige par sa propre impulsion vers ce qui lui
permet de conserver sa cohsion et sa permanence. Par exemple, si le
corps a besoin de manger et de boire, c'est pour que la force qu'il
perd par la transpiration soit ajoute au reste en remplacement: tel
est le motif de l'apptit; par la succession des gnrations, la
nature du corps, bien que mortelle, redevient immortelle; c'est
pourquoi cette impulsion la procration lui est galement approprie;
en outre, notre corps a t dpourvu de la couverture des poils, si
bien que nous avons besoin d'un vtement tranger; de plus, ne
pouvant soutenir les chaleurs, froidures et pluies excessives, nous
avons cherch un abri en construisant des maisons. Si l'on rflchit
de faon rationnelle au besoin, on admet sans embarras chacun des
manques de ce genre, en limitant le but du besoin la satisfaction
de l'apptit: le logement, le vtement, l'union sexuelle et la
nourriture, chacun de ces expdients permet de remdier
l'insuffisance de la nature.La perversion des besoins en passions
insatiables est la vritable cause du mal.Toutefois, si l'on devient
esclave des plaisirs, on fait des besoins ncessaires le chemin des
passions : au lieu de la satit, on recherche la volupt, au lieu du
vtement, on choisit l'ornement, au lieu du besoin de logement [59]
on prfre le luxe, et au lieu de la procration on vise les plaisirs
illgitimes et dfendus.C'est ainsi que la cupidit fait irruption par
des portes grandes ouvertes dans la vie humaine, et que les vices
tels que la mollesse, l'orgueil, la vanit et la dbauche sous toutes
ses formes poussent comme des rejets et des branches mortes sur nos
besoins ncessaires, lorsque l'apptit franchit les limites du besoin
et s'largit aux envies superflues. En effet, qu'a de commun avec
l'utilit de la nourriture l'argent cisel incrust d'or et de pierres
? Et pourquoi le manteau a-t-il besoin de fil d'or, de pourpre
clatante et de dessins brods, par lesquels les tisserands
reprsentent guerres, btes sauvages et semblables motifs sur les
tuniques et les vtements qui recouvrent celles-ci, alors qu'allie
ce luxe nat la maladie de la cupidit ? C'est que, pour obtenir
l'quipement et les ressources que ce luxe requiert, ils tirent de
leur cupidit la matire de leurs dsirs. Mais la cupidit a ouvert la
voie l'insatiabilit qui est, selon Salomon (Prov. 23,27), le
tonneau perc" qui doit toujours ceux qui le trouvent vide en venant
y puiser. Par consquent, ce n'est pas le corps qui est l'origine
des malheurs, mais le choix qui pervertit le but du besoin en dsirs
dplacs.
Notes[28] Le rle du corps n'est pas seulement d'embellir l'me
aprs la rsurrection (cf. p. 59), mais est le lieu o les tuniques de
peau produisent leur efficience. C'est donc par lui que l'homme
fait l'exprience du mal lui permettant de dsirer le bien (cf. p.
54), par lui que l'homme apprend retourner librement vers Dieu, par
lui que "la libert est sauve et que le retour au bien n'est pas
empch" (p. 56). Le "tour" que fait l'me par le corps animal n'est
pourtant pas une ngation de la corporit du premier homme. La
purification qui s'effectue en lui est en outre pour l'me un moyen
de maturation; c'est pourquoi le corps est bien l'instrument de
l'me (cf. De hom. op. PG 44, 161AB, In sanct. Pascha PG 46, 653=GNO
IX, 247); mais un instrument "connaturel" appel lui aussi la
participation la beaut divine (cf. p. 48 et 61sq), non un
instrument adventice et provisoire.[29] L'image de l'pi de bl,
comme M. Alexandre l'a remarqu (Le De mortuis de Grgoire de Nysse,
dans SP IX = TU 107, Berlin 1971, p. 40), n'est pas destine ici
faire comprendre les changements qui ont lieu la rsurrection (voir
J. Danilou, La rsurrection des corps chez Grgoire de Nysse, dans
VCh 7, 1953, p. 170), mais justifier "la ncessit du passage par le
corps". Sur cette comparaison, cf. Prima Clementis XXIV; Thophile
dAntioche, Ad Autolycum I 8; Irne, Adv. hr. V, II 3; Origne cit par
Mthode, De res. I 24; Jrme, Contra Joh. Hier. 26; cf. aussi De hom.
op. PG 44, 209A et 236A, In sanct. Pascha PG 46, 669=GNO IX,
259-260 et De an. et res. PG 46, 153B.[30] Cf. Origne, De princ. II
1,1-2; II 8,3; III 5,7-8 et III 6,3.6.9 ainsi que De hom. op. PG
44, 188C, In Eccl. GNO V, 296, In fun. Pulch. GNO IX, 472, 479 et
De an. et res. PG 46, 148A, 156B; cf. aussi M. Alexandre,
Protologie et eschatologie chez Grgoire de Nysse, p. 128-133 et J.
Danilou, L'tre et le temps, p. 205-226.[31] La vie est mditation ou
exercice de la mort: cf. Phdon 67c. La valorisation de la mort que
lon trouve dans ces pages est peu frquente; son rle est double :
elle est non seulement la suivante ncessaire et la compagne jumelle
de la vie (celle qui permet son renouvellement et qui l'exerce la
mort finale, c'est--dire la naissance l'au-del), mais encore la mre
de la nouvelle vie avec Dieu (p. 47) et la libratrice du pch et de
ses consquences (cf. p. 34-37), mme si elle est la premire de ces
consquences (cet aspect est tu dans le texte; la mort est considre
uniquement comme un processus naturel : cf. p. 28).[32] Sur la
mtaphore de la mort comme sommeil, cf. Homre, Iliade XIV 231 et XVI
672; Hraclite, fragment 22B 88 D.-K.6 et les parallles dans lIn
Cant. PG 44, 992=GNO VI, 311 et lIn sanct. Pascha PG 46, 672D=GNO
IX, 262-263. Voir aussi J. Danilou, Platonisme et thologie
mystique, p. 300-301. Sur la mtaphore de la rsurrection comme
rveil, cf. Athnagore, De res. 17; Mthode, De res. I 37 et 53; cf.
aussi In sanct. Pascha PG 46, 661=GNO IX, 252-253.[33] Aprs la
faute dAdam et Eve, Dieu fit lhomme et sa femme des tuniques de
peau et les en vtit. Bien que lies au corps et aux passions, les
tuniques de peau, consquence du pch, ne sont ni le corps, ni les
passions qui existaient avant la faute originelle. Ce sont plus
exactement les "proprits de la nature animale", qui peuvent donner
lieu au mal, mais aussi au bien : tendances naturelles (plaisir,
colre, gourmandise, insatiabilit, etc.), appeles tre tournes vers
Dieu; besoins d'alimentation, de procration, de vtement, de
logement, assurant la conservation de la vie; mais aussi naissance,
croissance, vieillesse et mort, permettant la maturation de l'homme
vers sa nouvelle vie. Cf. Origne Contre Celse IV 40; Mthode, De
res. I 29; cf. aussi In Cant. PG 44, 800=GNO VI, 60, Or. dom. PG
44, 1184=GNO VII-2, 65, De Beat. PG 44, 1292=GNO VII-2, 161, Or.
cat. PG 45, 33 et 36B, De an. et res. PG 46, 148C-149A et De Mel.
PG 46, 861B=GNO IX, 454.[34] Cf. Origne, Contre Celse IV 3, De
princ. II 9,2 et III 1, 13, Hom. Jer. XIX, 2 et les parallles dans
le De hom. op. PG 44, 136 et 184, lIn Cant. PG 44, 796=GNO V, 55 et
lOr. cat. PG 45, 24 et 77. Grgoire ne fait pas ici de distinction
entre la libert mtaphysique (vis--vis de la contrainte) et la
libert chrtienne (vis--vis du pch) : voir J. Danilou, Platonisme et
thologie mystique, p. 115-116.[35] La passion pour le plaisir
matriel existait donc avant le don des tuniques de peau; celles-ci
ne sont donc pas proprement parler un moyen de faire l'exprience du
mal (voir J. Danilou, L'tre et le temps, p. 157), mais un moyen
d'tre puni du mal et de se tourner vers le bien.[36] Sur cette
image trs courante chez Grgoire, cf. In Cant. PG 44, 1060A=GNO VI,
395, De Beat. PG 44, 1272C, De inf. PG 46, 177AC=GNO III-2, 81, De
virg. PG 46, 360D et 368D-369A et De deit. Fil. et Spir. PG 46,
557C (voir J. Danilou, L'origine du mal chez Grgoire de Nysse, p.
37-42).[37] En insistant sur l'ide que le corps n'est pas la cause
du mal, Grgoire s'oppose Plotin et, plus encore, lasctisme
outrancier et lencratisme. Cf. In Eccl. PG 44, 733C=GNO V, 426-428
et 741, Or. dom. PG 44, 1169=GNO VII-2, 51-52 et De an. et res. PG
46, 61A; voir aussi H. von Balthasar, Prsence et pense., p. 49 et
51 et J. Danilou, L'origine du mal chez Grgoire de Nysse, p.
40-44.[38] De mme que c'est le choix de l'homme qui a provoqu le
mal, c'est de mme le mauvais usage des passions qui est la vritable
cause du mal. Le mot passions est cependant ambigu : d'une part,
Grgoire les dfinit comme la perversion des besoins biologiques et
vitaux, et c'est ce sens ngatif qui domine trs largement dans le
texte (ici elles sont clairement assimiles au mal); d'autre part,
elles dsignent ou ces besoins eux-mmes ou les lans de l'homme, vers
le bien comme vers le mal; le seul emploi positif du mot dsigne le
dsir de l'insatiabilit spirituelle (p.61). Ce sens permet nanmoins
de comprendre ce que Grgoire entend par impassibilit, et qu'il est
ncessaire de prciser ici : ce n'est pas la suppression des passions
(entendues comme les "tendances naturelles" de l'homme), mais leur
bon usage, conformment la ressemblance Dieu par laquelle
l'impassibilit divine est donne ou restitue l'homme.
QUATRIEME PARTIE : LA RSURRECTION DU CORPS [39]
Dignit du corps purifi par la mort. Image du bloc de fer.Que les
insenss n'offensent donc pas leur corps : c'est par lui,
lorsqu'aprs cette vie, il aura t recompos par la rgnration en un
tat plus divin, que l'me sera embellie, la mort expurgeant ce qui
est superflu et [60] inutile la jouissance de la vie future. Car ce
qui nous sera utile dans la vie venir n'est pas ce qui aujourd'hui
nous convient, mais les dispositions de notre corps seront adaptes
et conformes la jouissance de cette vie-l, et harmonieusement
prpares la participation aux biens.Par exemple (il vaut mieux
claircir sa pense par un exemple tir de ralits connues), le bloc de
fer est utile l'art du forgeron, mme quand l'artisan ne le
travaille pas et qu'il s'en sert comme enclume; mais lorsque le fer
doit tre transform en un objet plus raffin, alors il prend soin de
le purifier par le feu et d'carter toute la partie terreuse et
inutile, que ceux qui pratiquent cet art appellent scorie, et ainsi
l'ancienne enclume, une fois affine, est devenue une cuirasse ou un
autre objet ouvrag, que la fonte a purifi d'un tel rebut, mais que,
tant qu'on avait besoin d'enclume, on ne considrait pas comme un
rebut; car la scorie elle aussi contribuait en partie la grosseur
du fer, quand elle tait mle au bloc.Si nous avons compris cet
exemple, il faut donc ramener ds prsent notre propos la pense que
l'on a vue dans l'exemple. Quelle est-elle donc? La nature du corps
a actuellement beaucoup de qualits semblables des scories, qui pour
la vie prsente comportent un certain intrt, mais qui sont
parfaitement inutiles et trangres la batitude attendue aprs cette
vie. [61] Par consquent, ce qui dans le feu reste du fer, une fois
que la fonte a rejet tout ce qui est inutile, c'est ce qui, travers
la mort, est redress pour le corps aprs que la dissolution du
cadavre a rejet tout rebut. Ainsi apparat tout fait clairement, si
l'on examine srieusement la question, ce dont le corps est purifi
plus tard et qui, si nous n'en avions pas besoin dans la vie
prsente, serait dommageable pour cette vie-ci.Au reste, pour plus
de clart, nous allons en peu de mots nous expliquer. Supposons que
le bloc soit l'apptit qui s'exerce naturellement pour tout, et la
scorie, ce vers quoi l'apptit nous pousse actuellement : plaisir,
richesse, amour de la gloire, pouvoir, colre, orgueil, etc.; de
toutes ces passions, la mort purifie radicalement; une fois dpouill
et purifi d'elles toutes, l'apptit tournera son activit vers ce qui
est seul enviable, dsirable et aimable, sans teindre compltement
les impulsions qui rsident naturellement en nous et nous entranent
vers de telles passions, mais en les convertissant vers la
participation immatrielle aux biens. L se trouve l'amour sans fin
de la vraie beaut, l, la louable avidit des "trsors de la sagesse"
(Col. 2,3), la belle et bonne soif de gloire, corrige en vue de la
participation la royaut divine, et la belle passion de
l'insatiabilit, dont la bnfique attirance n'est jamais frappe de la
satit des ralits d'en haut. Sachant qu'aux temps opportuns
l'Artisan de l'univers reforgera le bloc du corps pour en faire
"une arme qui lui plaise" (Ps. 5,13), en fabriquant, comme le dit
l'Aptre, la cuirasse de la justice, le glaive de l'Esprit, le
casque" [62] de l'esprance (ph. 6,14-17) et toute l'armure de Dieu
(ph. 6,11), chris donc ton propre corps, conformment au
commandement de l'Aptre, qui dit que nul n'a jamais ha son propre
corps (ph. 5,29): cest le corps purifi qui doit tre aim, non la
scorie mise au rebut.Assurance de la transformation du corps,
mystre de la divinisation de ses attributs.Car il est vrai, comme
le dit la parole divine, que si la tente o nous demeurons sur la
terre vient tre dtruite, alors nous la trouverons change en un
difice construit de la main de Dieu et non de celle de l'homme, une
demeure ternelle dans les cieux (2 Cor. 5,1), digne d'tre elle-mme
pour Dieu une habitation dans l'Esprit (ph. 2,22). Et que personne
ne me dessine le caractre, la forme et l'aspect de cette demeure
qui n'est pas faite de main d'homme, en imitant les caractres qui
apparaissent actuellement sur nous et nous distinguent les uns des
autres par les traits qui nous sont propres ! Car les oracles
divins ne nous ont pas seulement annonc la rsurrection, mais la
divine criture garantit aussi que doivent tre transforms (cf. 1
Cor. 15,51) ceux qui seront renouvels (cf. Col. 3,10) par la
rsurrection; de toute ncessit doit donc tre cach et ignor
entirement ce en quoi nous serons changs, puisque lon ne voit, dans
la vie prsente, aucun exemple des ralits espres. Maintenant en
effet, tout ce qui est pais et solide est naturellement emport vers
le bas, mais alors, la modification du corps lentrane vers le haut
: ainsi la Parole dit qu'aprs la transformation de la nature en
tous ceux qui sont revenus la vie grce la rsurrection, nous serons
emports sur des nues pour rencontrer le Seigneur dans les airs, et
ainsi nous serons toujours avec le Seigneur (1 Thes. 4,17). Si, par
consquent, le corps des tres transforms n'a plus de poids, mais que
se meuvent dans les rgions clestes avec la nature incorporelle ceux
dont les lments ont t recomposs en une condition plus divine,
forcment le reste des [63] proprits du corps sont galement changes
en attributs plus divins : ainsi la couleur, la forme, le contour
et toutes ses proprits prises individuellement.Spiritualisation de
la sexualit.C'est pourquoi nous ne trouvons nullement ncessaire de
voir en ceux que la rsurrection aura transforms la diffrence [40]
(cf. Luc 20,35) qu' prsent la nature comporte ncessairement cause
de la succession des gnrations (et cependant, qu'il n'y en aura
aucune, on ne peut laffirmer clairement, vu que nous ignorons en
quoi ces proprits, sous leffet de la transformation, seront
changes); nanmoins, que tous forment un seul genre, lorsque tous
seront "un seul corps dans le Christ" (Rom. 12,5; cf. ph. 4,3sq;
cf. 1 Cor. 12,12sq), conforms un seul caractre, nous n'en doutons
pas, car sur tous l'image divine resplendira galement; mais ce qui
remplacera de telles proprits lors de la transformation de notre
nature, nous affirmons que ce sera mieux que tout ce qu'on peut
imaginer par la pense.Pour ne pas laisser nos propos entirement
inexercs sur ce sujet, nous disons qu'tant donn que la diffrence
entre mle et femelle n'a pas par nature d'autre fonction que la
procration, il est peut-tre digne des biens que promet la bndiction
de Dieu (cf. Gen. 1,28; cf. 2 Cor. 9,5) de conjecturer que la
facult procratrice de la nature servira cet enfantement auquel eut
part le grand prophte Isae, qui a dit : De ta crainte, Seigneur,
nous avons conu, nous avons prouv les douleurs et nous avons
enfant; ton esprit salvateur nous avons donn naissance sur la terre
(Is. 26,18). Car si un tel enfantement est bon, et que la maternit
devient cause de salut, comme le dit l'Aptre (1 Tim. 2,15), jamais
l'on ne cesse de faire natre l'esprit salvateur, lorsque par un tel
enfantement on a mis au monde pour soi-mme la multiplicit des
biens.Abolition des particularits dues l'ge ou la
maladie.Toutefois, mme si [64] lon dit que nous retrouverons
identique, une fois revenus la vie, le caractre auquel nous avons t
conforms, il nest pas non plus facile pour notre pense de deviner
sil en sera ainsi ou non. Si l'on prtend, en effet, que le retour
la vie se fera sous la mme forme, notre rflexion tombera dans un
grand embarras, car l'homme ne reste pas toujours identique lui-mme
et ne garde pas la forme qui le caractrise, puisquil prend tantt
telle forme, tantt telle autre selon les ges et les maladies :
autre est laspect de lenfant et de l'adolescent, autres ceux du
jeune, de l'adulte, de l'homme d'ge moyen, de l'homme sur son
dclin, de l'homme g et du vieillard; aucun d'entre eux n'est
semblable l'autre. Mais il en va de mme de l'homme couvert de
taches cause de la jaunisse, du corps que l'hydropisie fait enfler,
du malade qui dprit en se desschant, de l'obse souffrant d'un
mauvais mlange des aliments, de l'atrabilaire, du sanguin et du
flegmatique : chacun d'entre eux prenant l'aspect de la maladie qui
les domine, on ne peut convenablement penser que ces diffrences
subsistent aprs le retour la vie, lorsque la transformation fait
tout passer une condition plus divine.Le corps, expression de
l'meIl n'est pas ais non plus denvisager par analogie sous quelle
forme nous nous panouirons, tant donn que conformment la foi, les
biens que l'esprance nous propose dpassent la vue, loue et
lintelligence (cf. 1Cor. 2,9); ou bien peut-tre, si lon dit que la
qualit propre des traits moraux est la forme sous laquelle chacun
sera reconnaissable, ne sera-t-on pas compltement dans le faux. Car
de mme que maintenant la transformation qui fait alterner en nous
tel ou tel lment produit en chacun les diffrences qui le
caractrisent, selon laugmentation ou la diminution de lun des
lments contraires dont dpendent la configuration et la couleur qua
notre aspect propre, de mme, mon [65] avis, ce qui donne alors
chacun son aspect du point de vue de la forme, ce ne sont pas ces
lments-l, mais ce qui le caractrise, ce sont les proprits
concernant le vice ou la vertu, dont le mlange dtermine de telle ou
telle manire par sa qualit notre forme; et il en va peu prs de mme
dans la vie prsente : lorsque l'expression extrieure du visage rvle
celle, secrte, de l'me, nous reconnaissons facilement l'homme domin
par la tristesse, emport par la colre ou dbrid dans ses dsirs et,
inversement, l'homme radieux, sans courroux ou embelli par
l'auguste empreinte de la temprance.Par consquent, de mme que dans
la vie actuelle, la qualit du cur est exprime par laspect extrieur,
et que par sa forme lhomme est limage de ce qu'il prouve
intrieurement, de mme, me semble-t-il, une fois la nature passe une
condition plus divine, l'homme prend la forme que lui donnent ses
traits moraux [41], sans que son essence soit diffrente de son
apparence, mais il est connu tel qu'il est: temprant, juste, doux,
pur, aimant, pieux (cf. 2 Tim. 3,4) ou encore, dans ces vertus, dot
de tous les biens, ou par d'un seul, ou bien de la plupart, ou
infrieur en celui-ci, mais suprieur en tel autre.L'union des corps
glorieux en Dieu [42]Cest selon les proprits de ce genre, qui
manifestent la supriorit morale ou son contraire, que les individus
sont rpartis en diverses formes qui les distinguent les uns des
autres, jusqu' ce qu'une fois le dernier Ennemi dtruit, comme dit
[66] l'Aptre (1 Cor. 15,26), et le mal entirement chass de tous les
tres, brille sur tous comme lclair lunique beaut divine, laquelle
nous avons t conforms au commencement, cest--dire la lumire, la
puret, lincorruptibilit, la vie, la vrit et semblables perfections
: car il n'est nullement invraisemblable que nous soyons et
paraissions enfants du jour et de la lumire (1 Thes. 5,5; ph. 5,8).
Et l'on ne trouvera aucun changement de lumire, de puret et
d'incorruptibilit, ni aucune diffrence entre tres de genre
identique, mais une grce unique rayonnera en tous, lorsque, devenus
fils de la lumire (1 Thes. 5,5; Jn 12,36), ils resplendiront comme
le soleil, selon la Parole vridique du Seigneur (Mat. 13,43). Mais
la promesse de la Parole de Dieu que "tous seront rendus parfaits
pour que tous soient un" (Jn 17,21-23), cest en mme temps la pense
qu'une seule et unique grce se manifestera en tous (cf. Tite 2,11),
de sorte que chacun rende grce son voisin de la mme joie, et
qu'ainsi chacun se rjouisse en voyant la beaut de l'autre et
rjouisse son tour celui-ci, sans qu'aucun vice n'en altre la forme
en lui donnant la moindre empreinte de laideur.
Notes[39] Pour Grgoire, le corps ressuscit est bien identique au
corps terrestre dans sa substance, dont les lments sont runis
nouveau (cf. De an. et res. PG 46, 76C), mme s'ils sont transforms
en un tat spirituel, "plus divin" et affranchi de la pesanteur (cf.
p. 62). Il se place donc bien du ct de Mthode d'Olympe, qui
combattait dans le De resurrectione la doctrine qu'il supposait
origniste de l'absence d'identit matrielle des deux sortes de
corps.[40] Cf. In Cant. GNO VI, 213 et De hom. op. PG 44, 181AC et
188C-189D; sur la division des sexes chez Grgoire, cf. H. von
Balthasar, op. cit., p. 52-53, n. 5; F. Flori, Le sens de la
division des sexes chez Grgoire de Nysse, , dans criture et culture
philosophique dans la pense de Grgoire de Nysse, Actes du colloque
de Chvetogne (22-26 sept. 1969), ed. M. Harl, Leyde 1971, p.
105-111; E. Corsini, Plrme humain et plrme cosmique chez Grgoire de
Nysse, dans RSR 27 (1953), p. 111-126; M. Alexandre, Protologie et
eschatologie chez Grgoire de Nysse, p. 143-144 et 161-164; E.
Jeauneau, La division des sexes chez Grgoire de Nysse et Jean Scot
rigne, dans Erigenia. Studien zu seinem Quellen, 1980, p.
33-54.[41] Cf. Plotin, Enn. IV 4,5. La forme, ou plutt l'aspect du
corps ressuscit changera : cette fois-ci, Grgoire reprend les
arguments origniens sur l'absence d'identit extrieure du corps, de
mme que l'ide d'une "forme" constante, principe d'existence et de
personnalisation du corps, permettant de le reconnatre malgr les
changements dus au temps, la maladie ou la rsurrection. Aprs
celle-ci nanmoins, cette forme, et c'est l ce par quoi le texte est
unique dans l'uvre du Nyssne comme dans celles de l'ensemble des
Pres de l'glise, ne sera plus dtermine par les lments du corps,
mais c'est ceux-ci qui seront dtermins par les qualits morales de
l'me, mauvaises ou bonnes; il ne s'agit pas, bien sr, de
l'information aristotlicienne du corps par l'me, car l'me n'est pas
ici une pure forme, mais une ralit substantielle indpendante du
corps; l'important, c'est que l'apparence corporelle, tout comme un
visage expressif, soit entirement conforme l'essence
spirituelle.[42] Grgoire va ici jusqu' envisager la disparition des
diffrences morales entre les individus lors de l'union dfinitive
Dieu: faut-il donc distinguer les corps ressuscits des corps
proprement parler glorieux ? Par quoi, en outre, se distinguent les
individus, puisque "chacun" garde malgr tout son identit propre ?
A. Le Boulluec suggre cette rponse: Il suffit de conjecturer que
lcart jamais creus entre Dieu et la crature implique non seulement
le mouvement infini de lassimilation, mais aussi la diffusion de la
beaut divine, jamais surabondante, particulire en chacun des
individus, pour imaginer que la forme singulire accueillant sa part
de cette beaut soit la corporit de chacun (Corporit ou
individualit? La condition finale des ressuscits selon Grgoire de
Nysse, dans Augustinianum 35, 1995, p. 307-326). On peut remarquer
ce propos que cette union illuminante sera celle de "tous" (cf. p.
66) et non seulement celle des "justes" en Mat. 13,43, et qu'elle
sert de faon remarquable tayer l'hypothse de la disparition des
diffrences sexuelles : ces ides sont toutes deux origniennes, mais
se trouvent galement dans d'autres textes de Grgoire, notamment le
De hom. op. PG 44, 181AC, 188C-189D et le De an. et res. PG 46,
144B-145A. Bien sr, il ne s'agit ici que de simples conjectures
pour Grgoire, qui insiste de faon rpte sur l'impossibilit pour
l'homme d'ici-bas de connatre l'au-del (cf. p. ex. p. 62). Toujours
est-il qu'il s'aventure ici sur un terrain o nulle part ailleurs il
n'a os aller.PRORAISON
Tristesse du monde et tristesse selon Dieu.Voil ce que notre
esprit nous a dit au nom des dfunts, en empruntant autant que
possible leur voix pour nous rpondre. Quant nous, concluons par la
parole du grand Paul nos conseils aux personnes accables par le
deuil : Je ne veux pas, frres, que vous soyez dans l'ignorance au
sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort, afin que vous ne
soyez pas attrists comme les autres, qui n'ont pas d'esprance
(1Thes. 4,13)[43].Donc, si nous avons reu un enseignement digne
d'intrt sur les morts, par les dveloppements philosophiques que
notre discours a fournis leur sujet[44], n'acceptons plus cette
tristesse-l, qui est basse et servile, [67] mais s'il faut tre
attrists, choisissons cette tristesse qui est louable et vertueuse.
Car de mme que le plaisir est tantt bestial et irrationnel, tantt
pur et immatriel, de mme l'oppos du plaisir se divise en vice et en
vertu. Il existe donc aussi une forme de deuil que l'on peut
considrer comme heureux (cf. Mat. 5,4) et qu'il ne faut pas rejeter
si l'on veut acqurir (cf. 1 Tim. 4,4) la vertu; c'est le contraire
de cet abattement qui est irrationnel et servile. En effet, celui
qui a connu ce dernier se reprochera par la suite avec regret
d'avoir t entran au-del de ce qu'il convient[45], ds lors que la
passion eut sur lui le dessus; au contraire, le deuil dit heureux
(cf. Mat. 5,4) revt un air sombre qui ne contient ni regret (cf. 2
Cor. 7,10) ni honte pour ceux qui, grce lui, accomplissent une vie
vertueuse. Car on est vraiment en deuil lorsque l'on peroit ces
biens que l'on a perdus par sa chute, et que l'on compare cette vie
prissable et souille cette batitude intacte dont on jouissait
librement avant que l'on fasse de la libert mauvais usage, en
voyant que plus le deuil pse pour une vie telle que celle-ci, plus
vite on acquiert les biens que l'on dsire. De fait, la perception
de la perte de la beaut suscite un zle ardent pour les biens
dsirs.Puisqu'il existe aussi un deuil salutaire, ainsi que notre
discours l'a offert en exemple, comprenez donc, vous qui tes
facilement ports la passion de la tristesse, que nous ne condamnons
pas la tristesse, mais que nous vous conseillons celle qui est
bonne, plutt que celle que nous blmons. Ne vous attristez donc pas
de la tristesse du monde, qui produit la mort (2 Cor. 7,10), comme
le dit l'Aptre, mais de la tristesse selon Dieu (2 Cor. 7,10), dont
la fin est le salut de l'me[46]. Car les larmes verses au hasard et
en vain sur les morts peuvent mme entraner la condamnation de [68]
celui qui gre mal ce qui est utile. De fait, si "Celui qui a fait
l'univers avec sagesse" (Ps. 103,24) a fix dans notre nature cette
disposition la tristesse, afin qu'elle nous purifie du pch qui nous
dominait auparavant et soit un viatique qui permette d'avoir part
aux biens esprs, peut-tre celui qui pleure en vain et inutilement
sera-t-il accus par son propre Matre comme, dans l'vangile (cf. Luc
16,1sq), le mauvais intendant qui a dilapid inutilement la richesse
qui lui avait t confie; car tout ce qui est utilis en vue du bien
est une richesse qui est compte parmi les plus prcieux des
trsors.L'ultime Consolation.C'est pourquoi je ne veux pas, frres,
que vous ignoriez au sujet de ceux qui se sont endormis dans la
mort (1 Thes. 4,13) ce qui nous a t enseign, ni aucun autre
enseignement que l'Esprit Saint rvle en outre aux plus parfaits,
afin que vous ne soyez pas attrists comme les autres, qui n'ont pas
d'esprance (1 Thes. 4,13); en effet, seuls les incroyants peuvent
limiter l'existence prsente l'esprance de vivre et considrent la
mort comme un malheur, parce qu'ils n'ont pas d'espoir en ce que
nous croyons. Nous, en revanche, qui avons foi dans le majestueux
Garant de la rsurrection d'entre les morts, le Matre mme de la
cration tout entire, qui est mort et ressuscit afin que la foi dans
la parole de la rsurrection soit confirme par la ralit, nous
n'avons aucun doute dans l'esprance des biens, en prsence de
laquelle la tristesse au sujet des morts n'aura pas de place. Notre
Dieu et Seigneur Jsus-Christ, "Consolateur[47] des malheureux" (2
Cor. 7,6), "consolera votre cur et l'affermira" (2 Thes. 2,17; 1
Pi. 5,10) dans son Amour grce aux bienfaits de sa misricorde. Car
c'est Lui qu'appartient la gloire pour les sicles des sicles.
Amen.
Notes[43] Mme citation dans le De Beat. PG 44, 1220CD, le De
Mel. GNO IX, 456 et 472, lIn fun. Pulch. GNO IX, 464.[44] Pour
Grgoire, la philosophie nest pas seulement une ascse monastique ou
un simple amour de la sagesse, mais une relle manire de penser et
de chercher la vrit. Comme le dit J. Danilou, Grgoire ne distingue
pas entre philosophie et thologie, au sens o la premire ne
sinspirerait que des donnes de la raison et la seconde de
lenseignement de la rvlation; dans les domaines thologiques, il
sinspire la fois de la raison et de la rvlation: Grgoire de Nysse
et la philosophie, dans Gregor von Nyssa und die Philosophie,
Zweites internationales Kolloquium ber Gregor von Nyssa,
Freckenhorst bei Mnster (18-23 sept. 1972), ed. H. Drrie, M.
Altenburger et U. Schramm, Leiden 1976, p. 16-17.[45] La vertu pour
Grgoire nest pas labsence totale de passions, mais leur matrise
quilibre et leur bon usage, linstar de la vertu aristotlicienne
conue comme juste mesure entre deux excs, Ethique Nicomaque II 6,
1106b.[46] La tristesse selon Dieu, dit Paul, produit un repentir
salutaire quon ne regrette pas; la tristesse du monde, elle produit
la mort. Loin de linsensibilit des stociens, la tristesse selon
Dieu est positive: voir I. Hausherr, Penthos. La doctrine de la
componction dans l'orient chrtien, Orientalia christiana analecta
132, Rome 1944, p. 26sq et les parallles chez Grgoire: dans le De
Beat. PG 44, 1219CD=GNO VII-2, 100, le De an. et res. PG 46, 13A,
le De Mel. PG 46, 861C=GNO IX, 456 et lIn fun. Pulch. PG 46,
868C=GNO IX, 464.[47] Contre Eunome, Grgoire dfend lide que les
trois personnes divines mritent galement le nom de Paraclet ou
Consolateur (Refut. Conf. Eun. PG 45, 552=GNO II, 390-391).