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ETTY HILLESUM ET SAINT AUGUSTIN : L'INFLUENCE D'UN
MATRESPIRITUEL?
Grard Remy
Centre Svres | Recherches de Science Religieuse
2007/2 - Tome 95pages 253 280
ISSN 0034-1258
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Pour citer cet article
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Remy Grard, Etty hillesum et saint Augustin : l'influence d'un
matre spirituel? , Recherches de Science Religieuse, 2007/2 Tome
95, p. 253-280.
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Etty hillesum et saint Augustin : linfluence dun matre
spirituel?
par Grard REMY
| Centre Svres | Recherches de science religieuse2007/2 - Tome
95ISSN 0034-1258 | ISBN 2-913133-35-8 | pages 253 280
Pour citer cet article : Remy G., Etty hillesum et saint
Augustin : linfluence dun matre spirituel?, Recherches de science
religieuse 2007/2, Tome 95, p. 253-280.
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ETTy HILLESUM ET SAINT AUgUSTIN :LINFLUENCE DUN MATRE SPIRITUEL
?
Grard remy
Une enqute au sujet de linfluence dAugustin sur Etty Hillesum,
la suite de ses lectures des Confessions, repose sur dventuelles
traces litt-raires reprables dans son Journal et, de manire plus
diffuse mais peut-tre plus significative, sur les indices dune
correspondance entre leur volution humaine et spirituelle
respective.
Si attrayante que soit cette recherche sur deux personnalits
aussi types, elle nen demeure pas moins une gageure dans la mesure
o tout les diffrenciait. il serait par consquent plus facile de
dgager les traits qui les distinguent, tant ils sont vidents, en
particulier lcart de temps et de lieux, dappartenance religieuse et
de destin. Lemprise quAugustin aurait pu exercer sur Etty devra
stablir et svaluer sur la base de son Journal, dont le genre
littraire nautorise quun rapprochement prudent avec une uvre non
moins personnelle mais de conception et de facture diffrentes, qui
sappelle les Confessions. Aussi est-il a priori douteux quil
convienne de rserver une place au Journal dEtty dans leur postrit
littraire1.
Etty affirme loriginalit de sa personnalit dans sa manire propre
daf-fronter le destin, communment tragique de ses compatriotes,
avec les res-sources de son nergie intrieure. Elle possde pour sen
expliquer un talent littraire assez assur pour masquer par osmose
les traces quun modle, ft-il Augustin, aurait laisses dans sa
mmoire. Chercher dtecter dans son Journal la prsence dlments
emprunts quivaut en quelque sorte essayer de dmler les composants
dune combinaison chimique.
Alors quoi bon tenter limpossible et courir le risque dun bilan
ngatif et dun travail strile ? Sil est de quelque profit, celui-ci
consisterait ren-dre Etty elle-mme en faisant droit loriginalit de
son talent, mesurer sa force dme face lpreuve, suivre son volution
religieuse ; ce qui, dfaut de liens de dpendance littraire dment
reprables entre elle et un matre, permettrait le constat de
correspondances ou de consonances ventuelles entre deux
cheminements spirituels, la part dinfluence ou de
1. Nous empruntons cette formule Pierre CourCelle, Les
Confessions de saint Augustin dans la tradition littraire.
Antcdents et postrit, d. aug., Paris, 1963.
RSR 95/2 (2007) 253-280
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254 G. REMY
rminiscence augustiniennes stant si intimement intgre la
personna-lit dEtty que son estampille sen trouve oblitre. En rsum,
les ventuel-les traces augustiniennes se dtachent sur fond de
dissimilitude.
Linfluence dAugustin ?
Le dfaut de critres externes pour mesurer le parti quEtty aurait
tir de sa frquentation dcrits augustiniens laisse au commentateur
une marge de libert dapprciation entre deux tendances. Ou bien il
prsumera de lascendant quun gnie tel que celui dAugustin a d
exercer sur le talent dEtty, ou bien il abordera la lecture du
Journal comme le miroir dune personnalit assez riche pour tre digne
dintrt en elle-mme, indpen-damment des influences subies. Dans ce
dernier cas, ce sont les divergences qui lemporteront sur les
ventuels points de rencontre quon jugera plutt discrets,
occasionnels, voire hypothtiques.
Le Journal dEtty : un cho des Confessions dAugustin ?
Si une certaine proximit entre le Journal et les Confessions
dcoule de leur commun caractre autobiographique, ces deux uvres
diffrent par leur intention et leur mode de rdaction. Aussi
refltent-elles autrement la per-sonnalit de leur auteur. Alors
quAugustin reconstruit son itinraire vers la foi aprs sa conversion
et son accession lpiscopat, Etty nous introduit dans ses
dispositions et son volution au fil des jours. Ainsi la distinction
entre ces deux uvres a pour mesure celle de la relation du vcu et
de la relecture dune tranche de vie.
1) Les lectures augustiniennes dEttyNotre enqute trouve sa
raison dtre et son sens dans les mentions dAugus-
tin que fait le Journal dEtty. Statistiquement, elles sont
rduites et occasion-nelles. Au palmars des auteurs cits, Augustin
arrive largement aprs Rilke, dont Etty dira quil a t lun de ses
grands matres de lanne 19422, puis ensuite la Bible. Ldition
nerlandaise3 contient onze mentions dAugustin ; si elles sont
gnralement laconiques, elles sont parfois fortes4.
2. Etty hillesum, Une vie bouleverse Journal 1941-1943 suivi de
lettres de Westerbork, trad. Ph. Noble, Seuil, coll. Points, Paris,
1995, Journal, p. 224.
3. De nagelaten geschriften van Etty Hillesum 1941-1943,
Amsterdam, 3e d., 1991.4. Ldition franaise ne contient
malheureusement que quatre mentions. Voir Sylvie
GermaiN, Etty Hillesum, Pygmalion, Paris, 1999, p. 44-45.
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255E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
La premire lassocie bien dautres autorits prises dans le monde
artis-tique, littraire ou religieux, dont Etty affirme quils
peuplent sa vie5 . De S. Augustin elle se nourrit avant le
petit-djeuner ; elle le trouve enthou-siasmant et plein de feu6 .
Mais cette ardeur sinterrompt brusquement pour laisser place une
plainte au sujet dun rhume de cerveau. Enfin Augustin occupe son
bureau en compagnie de la Bible, dune grammaire russe, de Rilke et
de Jung7. Elle laisse nouveau exploser son enthousiasme tout la fin
du Journal o rapparat limage du feu mais tempre par un constat de
svrit ; elle nous en apprend un peu plus sur limpression quelle
retire de cette lecture : la passion et labandon dAugustin dans ses
lettres damour Dieu8 .
Si Etty cite volontiers ses auteurs prfrs, elle est beaucoup
plus discrte sur les uvres quelle lit9. Qua-t-elle lu dAugustin ?
Elle nous apprend quelle eut les Confessions entre les mains, sans
doute grce Spier qui pos-sdait plusieurs uvres dAugustin dans sa
bibliothque10. Une indication dcisive est celle du 30 mai 1942 o
Etty transcrit un extrait de ce livre (iV, X) quelle dut trouver en
accord avec sa situation. inspir par le ps 145, 2, Augustin loue
Dieu pour ses cratures mais refuse la louange des cratures voues au
nant. Si lme aspire au repos dans ce quelle aime, les cratures,
insaisissables mme par nos sens, ne peuvent que la dcevoir. On
comprend quelle trouve la lecture des Confessions enthousiasmante
et pleine de feu, dautant que leur genre littraire se rapproche de
celui de son Journal, et quelles sont luvre la plus immdiatement
abordable de lvque dHip-pone11. Devrait-on exclure a priori dautres
uvres comme les dialogues phi-losophiques, par exemple ?
Lorsquelle envisage la menace dune dportation prochaine et
invita-ble, et se demande quels auteurs elle pourrait mnager une
petite place dans ses maigres bagages, ce nest pas Augustin quelle
songe mais une
5.Journal, p. 117.6. ibid., p. 124. Limage du feu est
augustinienne ; cf. Confessions iX, iV, 8 ; Xi, XXiX, 39 ;
Xiii, iX, 10.7. Ibid., p. 134.8. Ibid., p. 241. il convient
dentendre ces lettres dans un sens figur. Cest aux Confessions
quil faut appliquer ces images vives : le feu , la passion , l
abandon sans rserve .9. De Rilke elle mentionne le ber Gott (p.
124), les Lettres (p. 170 ; 180 ; 237), les
chants (p. 189) ; de Dostoevski, LIdiot (p. 88).10. Voir Paul
lebeau, Etty, Hillesum. Un itinraire spirituel Amsterdam 1941
Auschwitz 1943,
Albin Michel, Paris, 2001, p. 94. Spier avait entrepos une
partie de sa bibliothque chez Etty ; elle y fait allusion, p. 200.
Etty a lu Augustin dans une dition allemande, puisquelle le cite en
allemand ; cf. De nagelaten, p. 404.
11. Les tudes sur Etty Hillesum privilgient le choix de cet
ouvrage, dont Spier lui aurait recommand la lecture comme celle de
la Bible ; cf. P. lebeau, op. cit., p. 70 ; Sylvie GermaiN, op.
cit., p. 38.
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256 G. REMY
petite Bible, ses dictionnaires russes, aux rcits populaires de
Tolsto et ventuellement un volume de la correspondance de Rilke12.
Ce choix rela-tivise linfluence dAugustin. il faudra pallier le
dfaut dindications plus nombreuses grce des indices et des
rminiscences dans une uvre trop personnelle pour ne pas porter
dabord la marque de son auteur.
2) Augustin : modle dEtty ?Cette carence dindications
pourrait-elle permettre une supplance
en prjugeant de lascendant dAugustin en raison et la mesure de
son renom ? Ainsi a-t-on avanc que, sur le plan du message et de
lexemplarit, Augustin aurait stimul Etty dans le combat mener pour
une vritable conversion . Sur le plan littraire on se laissera
tenter par un rapproche-ment avec les Confessions qui auraient
fourni Etty un modle, en lui livrant la structure de son Journal,
construit en fonction de trois grands interlocu-teurs : soi, Dieu
et lhumanit. Elle y aurait aussi trouv lexemple dune prire
spontane. la diffrence de Rilke, Augustin simpose comme un modle
puissant pour ce qui va devenir le seul et unique souci dEtty :
dia-loguer avec Dieu13 . Ainsi son influence sur Etty reproduirait,
chelle individuelle, celle quil a exerce sur le monde occidental au
point de vue littraire et spirituel.
Sans rcuser en doute, par raction, le rle dAugustin sur
lvolution per-sonnelle dEtty, il convient de se livrer une
confrontation attentive entre les deux uvres. On ne perdra pas de
vue que les Confessions divergent dun journal pour dvidentes
raisons de chronologie, de contenu et de finalit. Augustin se
propose de confesser laction de Dieu dans sa vie, voil pour-quoi il
voque son pass14. Etty raconte son prsent au gr des jours qui se
suivent et qui la conduisent la dcouverte de la prsence de Dieu en
elle. Les pages de son Journal sont dates et se remplissent au fur
et mesure quelle confie son cahier les vnements extrieurs ou
personnels quelle vit et qui la bouleversent. Elle suit le cours du
temps. Augustin, au contraire, le remonte et fait un travail de
mmoire. Mme si ces deux uvres tmoi-gnent dune convergence
croissante mesure quEtty avance dans la rdac-tion de son Journal,
et mrit intrieurement face au destin qui se prcise, leur
perspective reste exactement inverse : lune est progressive et
dcouvre la dimension spirituelle de lexistence ; lautre est
rtrospective et claire le pass la lumire de la foi accueillie.
Cette diffrence doit tre souligne.
12. Journal, p. 215. Elle garde la Bible et le Livre dheures de
Rilke en sret sous son oreiller, Lettres, p. 307 ; 309 ; 317.
13. Pascal dreyer, Etty Hillesum Une voix bouleversante, DDB,
Paris, 1997, p. 71.14. Cf. Confessions, X, iii, 3 iV,6.
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257E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
3) La vise propre de deux uvres distinctesLe Journal dEtty et
les Confessions dAugustin ne relvent pas du mme
genre littraire, parce que leur intention est autre. Le projet
quEtty dfinit en une page particulirement dense et prcise est d
crire la chronique de tant de choses de ce temps15 . Elle souligne
ce terme de chronique en le rptant et en dfinissant son contenu par
un gal souci dobjectivit et de subjectivit. Celle-l sidentifie au
lot de souffrance qualimente le drame du peuple juif ; celle-ci est
faite des tats dme dEtty, dont lintrt pourrait paratre drisoire en
comparaison du malheur de tant de morts gratuites, mais qui nen
garde pas moins sa lgitimit dans la mesure o les vnements du monde
retentissent intrieurement comme autant de questions en qute de
sens. Etty se reconnat une passion unique pour ces vnements, car
elle se sent la mission dtre tmoin de son temps et de tra-vailler
la socit future16 ; mais elle doit laccomplir de manire rflchie
pour les tirer au clair. Jamais elle nacceptera de sacrifier lun de
ces deux ples dintrt lautre17.
Le Journal dEtty rejoint les Confessions dAugustin au moins par
un trait commun : le discours la premire personne. Mais dans quel
but celles-ci ont-elles t crites ? La question complexe de la
rdaction de cet ouvrage na pas tre reprise ici18, mais il est
capital de rappeler la vise dAugus-tin. Son retour sur le pass
saffranchit du genre autobiographique dans la mesure o, sinscrivant
dans un contexte culturel sduit par les exempla que les hommes
illustres lguent la postrit, Augustin vise une intention difiante.
Non quil se prsente ses amis comme un modle imiter, lui plus prompt
saccuser qu sexcuser, mais il leur offre lexemple dune vie difie
par la grce de Dieu. La vise de son ouvrage nest pas stocienne mais
chrtienne. Son assise biographique est au service de la foi.
Avant Etty, Augustin a galement nonc son intention en se
racontant. il sadresse Dieu qui rien ne demeure cach19, afin de
faire la vrit devant lui mais aussi devant de nombreux tmoins20 .
Son dialogue prend ainsi une forme triangulaire, Dieu tant le
partenaire invisible mais parfaitement averti de confidences qui
veulent tre une profession de foi en sa misricorde. Elles
15. Journal, p. 51. Elle se reprochera davoir failli sa mission
qui est d crire, de noter, de fixer , de dchiffrer la vie ; son
talent sidentifie cette mission ; p. 229.
16. Lettres, p. 288.17. La coexistence entre ces deux ples
pourrait reflter une influence (indirecte par Spier ?)
dAugustin, dans la mesure o on les retrouve chez lui mais dans
un ordre de subordination de lextriorit lintriorit ; cf.
Confessions, X, Vi, 9 ; Xi, 65.
18. On pourra consulter S. laNCel, Saint Augustin, Fayard,
Paris, 1999, p. 292-296.19. Confessions, X, ii, 2.20. Ibid., X, i,
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258 G. REMY
rpondent aussi la curiosit de gens qui, contrairement Dieu
intimement prsent, nont avec Augustin quun rapport dextriorit, eux
dont :
loreille nest pas contre mon cur, l o je suis ce que je suis.
ils veulent donc apprendre par ma confession ce que je suis
moi-mme, au-dedans, o ils ne peuvent diriger ni lil, ni loreille,
ni lesprit ; ils le veulent, prts me croire malgr tout, quant me
connatre ? et cest la charit qui leur dit, en les rendant bons, que
je ne mens pas dans mes confessions ; cest elle en eux qui me
croit21.
Pour livrer lintime de sa personne, Augustin est oblig de puiser
dans les ressources de sa mmoire, atteinte par loubli, ou dont la
richesse excde les vnements retenir22. Que leur slection soit
involontaire ou volontaire, elle est finalise par une intention
pdagogique : lhommage rendu lu-vre de la grce et de la misricorde
divines. il suffit, pour en tre averti, de comparer les premires
pages du Journal qui relatent le quotidien avec celles des
Confessions qui font monter une prire Dieu et se situent demble sur
un plan doxologique et thologique, avec lcriture comme rfrence. Les
Confessions ne sont pas un soliloque mais un dialogue avec Dieu,
stimul par une profonde aspiration trouver le repos en lui. Quand,
faisant retour sur soi, Augustin voque son enfance, il se place
sous le regard de Dieu, dont la recherche persvrante est un motif
permanent de louange et daction de grce. Les Confessions slvent
partir dune exprience passe au niveau dune mditation croyante,
voire thologique. Ces traits trouveraient leur confirmation dans
lensemble de luvre.
Par son intention et sa mthode, le travail dAugustin rejoint le
genre lit-traire des livres bibliques : comme eux, il est une
relecture croyante dv-nements que la mmoire a slectionns. On touche
ici un clivage manifeste avec le Journal dEtty, qui rapporte les
vnements sur le vif, sans intention dclare de les interprter comme
des signes divins. Le souci anecdotique est premier et relatif un
contexte tragique, sans exclure louverture sur une intriorit et une
recherche de Dieu qui pourraient faire cho au des-sein primordial
dAugustin.
Lindpendance dEtty vis--vis dAugustin
Le Journal dEtty offre dabord le miroir dune personnalit en
proie ses conflits personnels et aux questions angoissantes qui
dcoulent du
21. Ibid., X, iii, 4.22. Voir S. laNCel, op. cit,. p.
301-303.
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259E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
sentiment dune menace croissante23. Les remous dune vie
tumul-tueuse incitent Etty, par raction, mieux se connatre en
analysant ses tats dme. Cette recherche la rapproche du but des
Confessions, mais elle se gardera demboter le pas de leur auteur
sur le chemin de la culpabilit ou de ses analyses des
convoitises24. Dautre part, le danger qui la guette veille chez
elle un sens de Dieu tranger linfluence augustinienne.
1) Le besoin de lucidit sur des tats dmeEtty ouvre son Journal
en faisant tat de linhibition, cause par une rac-
tion de pudeur, nuisible la spontanit et la franchise de ses
confiden-ces. Cet aveu est immdiatement travers par limage de
Spier, dont elle subit lascendant tout en essayant de sen dfendre
afin de prserver son indpendance. Ses confidences traduisent un
besoin de lucidit intrieure rendue ncessaire par le trouble de ses
dbats affectifs. Etty dialogue avec elle-mme sur elle-mme. Elle se
livre nous en apprenant se connatre sans complaisance partir des
vnements importants mais aussi des faits divers qui surviennent
jour aprs jour. Ce genre de proccupation, rcur-rent dans le
Journal, est le signe probant de la distance entre un besoin de
faire retour sur soi et le propos des Confessions qui est un
dpassement de soi.
La psychologie dEtty est non seulement complexe, mais instable
et tourmente, en proie des forces contraires qui rendent sa liaison
avec Spier contradictoire et conflictuelle25. Lattrait physique
quelle prouve pour lui est contrari par une volont dautonomie
laquelle elle tente continuellement de se raccrocher, plus que par
lide dunion illgi-time26. Cet attrait est dlibrment consenti en
dehors de toute pers-pective de mariage qui leffarouche27 et la
laisse interdite, car elle ne se sent pas appele la maternit28 et
craint de ne se sentir comble ni physiquement ni spirituellement
par un homme unique29 ; la fin du Journal cette crainte se change
en un amour qui promet le bonheur en
23. Cf. Journal, p. 133.24. Confessions, X, XXX, 41 XXXiX,
64.25. Voir S. GermaiN, op. cit., p. 30-40. On consultera aussi les
analyses pntrantes et dtailles
de ingmar GraNstedt in Portrait dEtty Hillesum, DDB, Paris,
2001, p. 69-128.26. Journal, p. 66 : Spier est dj promis une autre
femme rsidant Londres.27. Sur sa perplexit devant cette ventualit,
voir Journal, p. 67 ; 120-121.28. Ibid., p. 76.29. Ibid., p. 66 ;
69 ; 102-103. Cette libert quelle saccorde, elle la refuse son
partenaire ;
cf. p. 61-62.
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260 G. REMY
se spiritualisant et en suniversalisant30, jusqu
laffranchissement des liens familiaux31.
La place que fait Etty ses tats dme appartient la substance de
son Journal, car elle veut voir clair en elle ; elle engage un
dialogue avec elle-mme, se sentant enveloppe dans la chaleur de ses
sentiments32 ; si elle est porte laversion pour des gens qui lui
inspirent, par ailleurs, un amour et une piti trs profonds , elle
dcouvre quune telle aversion a ses racines dans le dgot de soi33.
Ses contradictions internes rvlent en elle une multiplicit dtres
humains34 . Lunit de sa personne, sur le plan psychologique, reste
construire. Les indniables aspects psychologiques du cas Etty ne
sont pas sparables daspects moraux, mais qui sont peine
effleurs.
Quand cette situation ambigu arrache-t-elle quelque accent de
remords ou un aveu de culpabilit chez Etty ? Ses relations avec
Spier sont analyses sur le mode clinique, sans veiller de vritable
interrogation morale. Certes elle a quelque scrupule par rapport sa
fiance35. Elle utilise mme le terme de culpabilit36. Mais vis--vis
de qui ? Elle prouve ce sentiment lgard du prochain quelle peut
offenser dans le contexte de rivalit o elle est prise. Pourtant
lorsquelle examine ses dispositions, ne prfre-t-elle pas un
voca-bulaire prdominance psychologique ? Les questions qui
pourraient dri-ver dune situation quivoque servent de prtexte un
surcrot de lucidit sur soi. Mme si son langage frise la morale,
lorsquelle voque par exemple une vritable toilette morale37 ou un
grand mnage intrieur38 , elle vise plus une srnit et un quilibre
psychologiques pour parvenir la clart et la paix et sadonner ltude,
que perturbent des forces contrai-res, puisquelle se reconnat
incapable de rsister une personne quelle avoue aussi ne pas
aimer39. Elle tend une cure mentale plus qu une mise en ordre
thique. Elle est la recherche dun quilibre psychique40 . En
30. Ibid., p. 242. Limpossible dtermination pour un partenaire
unique semble louvrir sur luniversalit humaine ; voir p. 42.
31. Lettres, p. 318. Lide se rclame dune citation libre de Lc
14, 26.32. Journal, p. 52-54 ; 80.33. Ibid., p. 81.34. Ibid., p.
66.35. Cf. Journal du 24 mai 1942, in lebeau, op. cit., p. 64. Plus
tard, elle se reprochera ses
manques dattention lgard dautrui ; ibid., p. 223-224.36. Cf.
GraNstedt, op. cit., p. 116-117.37. Journal, p. 14.38. Ibid., p.
15. On trouverait une rserve analogue chez Augustin et son ami
Alypius ; cf.
Confessions, Vi, Xii, 22.39. Ibid., p. 47.40. Ibid., p. 96.
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261E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
admettant quil faut savoir avouer ses faiblesses, mme physiques,
songe-t-elle des faiblesses morales ? Ce nest pas certain. il
sagirait plutt de maladresses et de dfaut dadaptation dans ses
relations avec Spier41 ; la recherche de parent spirituelle rend
ses dsirs physiques excusables42 ; elle remerciera mme Dieu et non
sans raison de sa rencontre avec Spier43. Elle parle dune mauvaise
habitude, extirper44 , non de la gurison dune passion coupable, qui
serait le langage dAugustin. Si la contradiction lha-bite, elle
doit apprendre lassumer45.
Victime de dispositions antagonistes qui la livrent lagitation
et laf-folement, et dirrsistibles fantasmes, elle se dit partage
entre dgot et sentiments levs46. Ce diagnostic, qui se veut sincre
et lucide est proche du jugement moral, de lexamen de conscience,
mais une limite semble lempcher daller jusqu la confession . Ce
silence serait-il antrieur linfluence augustinienne ? Etty voquera
ses problmes dthique47 , vite esquivs par un problme alimentaire,
qui pourrait symboliser la mme gloutonnerie48 dans la vie
spirituelle. Elle ne semble pas prouver le besoin de pardon divin.
La hantise et mme la notion de pch se faire pardon-ner, si
lancinante chez Augustin, propos de difficults comparables, est ici
inconnue. Sur ce terrain aucune trace dune ventuelle influence
dAugus-tin nest reprable.
Ce sont les difficults quelle rencontre avec son pre qui lui
inspirent des propos de porte thique : elle saccuse dgosme49 et se
rappelle son devoir de pit filiale et de pardon pour une prsence
drangeante. Mais comment saisir dans cette morale lmentaire quelque
souvenir dAugus-tin, dont elle aurait au mieux retenu une exigence,
indpendamment de sa dimension thologique ?
Ainsi le retour dEtty sur elle-mme ne franchit pas le seuil du
sens augusti-nien de la miseria peccati . O remarque-t-on, chez
elle, les accents accu-sateurs dAugustin sur la turbulence de son
adolescence ou les carts de son sjour Carthage50 ? O sont
corrlativement les accents de confiance
41. Ibid., p. 151.42. Ibid., p. 96.43. Ibid., p. 224.44. Ibid.,
p. 47.45. Ibid., p. 52.46. Ibid., p. 29-30.47. Ibid., p. 72.48.
Ibid., p. 73.49. Ibid., p. 83.50. Confessions, ii, ii, 2 ; iii, i,
1.
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262 G. REMY
et dattachement au Dieu qui gurit lme de son pch51 ? Le
vocabulaire de lamour perverti en convoitise mais guri est un thme
inconnu dEtty ; cette absence accuse ainsi le contraste avec sa
frquence et son intensit dans les Confessions, dont le propos
thique et thologique est aussi, par rpercussion, source
denrichissement pour une psychologie de lamour. Si pntrante que
soit lanalyse laquelle Etty se soumet, elle demeure inspi-re par le
souci thrapeutique de la lucidit sur soi. Tout autre est le propos
dAugustin : il fait retour sur son pass dvoy et coupable pour
illustrer laction de la grce illuminatrice de Dieu en lui. En un
mot, Etty prouve des tats dmes troubles mais pas des cas de
conscience culpabilisants face une Torah. la libration quelle
ngocie diplomatiquement avec elle et ses partenaires52 soppose la
lutte dAugustin en vue dun affranchisse-ment par la rupture. La
prosopope des passions et de Dame continence engages dans un ultime
combat en vue dune fcondit exclusivement spi-rituelle symbolise les
forces adverses du pch et de la grce53. Augustin confesse ses
garements et ses fautes devant Dieu pour le louer de son par-don.
Lindpendance dEtty lgard dAugustin ne se limite pas au champ moral,
elle se vrifie aussi par un sens original de Dieu dont les
circonstan-ces ont favoris lveil.
2) Le sens mystique du Dieu impuissantLe samedi 11 juillet 1942,
Etty confie en plusieurs pages le sens de Dieu
que lui inspirent les forces de mort dont elle sera la victime.
Elles mettent en vidence limpuissance de Dieu lgard des innocents.
Parvient alors maturit une prise de conscience dont les
commentateurs se plaisent sou-ligner ltonnante nouveaut et la
parent avec certains courants mystiques et la libert par rapport au
langage traditionnel54.
Dans la trame dun rcit ponctu par plusieurs mentions de la prire
de demande laide55 ou daction de grces, surgit, face une fatalit
immi-nente, non plus une imploration de lassistance de Dieu mais le
sentiment de lobligation de secourir un Dieu impuissant, menac lui
aussi par le dfer-lement de la souffrance et de lextermination.
Ainsi les rles sinversent :
Et si Dieu cesse de maider, ce sera moi daider Dieu56.
51. Ibid., iV, Xii, 18.52. Nous renvoyons aux analyses dune
situation dfinie avec prcision et perspicacit par
i. GraNstedt, op. cit., p. 69-128.53. Confessions, Viii, Xi,
26-27.54. Cf. lebeau, op. cit. ,p. 142-158 ; GraNstedt, op. cit.,
p. 163-170.55. Journal, p. 24 ; 41 ; 78 ; 87.56. Ibid., p. 169.
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263E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
Ce devoir nest pas jet comme en passant, car il est rpt57 puis
prcis, le lendemain dimanche, dans un passage qui mrite dtre
transcrit en rai-son de loriginale tmrit de son engagement :
Je vais taider, non tteindre en moi, mais je ne puis rien
garantir davance. Une chose cependant mapparat de plus en plus
claire : ce nest pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons
taider et ce faisant nous nous aidons nous-mmes. Cest tout ce quil
nous est possible de sauver en cette poque et cest aussi la seule
chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-tre
pourrons-nous aussi contribuer te mettre au jour dans les curs
martyriss des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable
de modi-fier une situation finalement indissociable de cette vie.
Je ne ten demande pas compte, cest toi au contraire de nous appeler
rendre des comptes, un jour. il mapparat de plus en plus clairement
chaque pulsation de mon cur que tu ne peux pas nous aider mais que
cest nous de taider et de dfendre jusquau bout la demeure qui
tabrite en nous. il y a des gens le croirait-on ? qui au dernier
moment tchent mettre en lieu sr des aspi-rateurs, des fourchettes
et des cuillers en argent, au lieu de te protger. Et il y a des
gens qui cherchent protger leur propre corps, qui pourtant nest
plus que le rceptacle de mille angoisses et de mille haines. ils
disent : Moi, je ne tomberai pas sous leurs griffes ! ils oublient
quon nest jamais sous les griffes de personne tant quon est dans
tes bras. Cette conversation avec toi mon Dieu, commence me
redonner un peu de calme. Jen aurai beaucoup dautres avec toi dans
un avenir proche, tempchant ainsi de me fuir. Tu connatras sans
doute aussi des moments de disette en moi, mon Dieu, o ma confiance
ne te nourrira plus aussi richement, mais crois-moi, je continuerai
uvrer pour toi, je te resterai fidle et ne te chasserai pas de mon
enclos.
Cette prire, dune relative ampleur, na rien de commun ni pour le
fond ni pour la forme avec celles qui ouvrent ou qui concluent la
plupart des livres des Confessions. Sobre dans sa forme, franche
dans le ton, audacieuse dans son intention, raliste dans sa
prvision dun avenir sombre, confiante en Dieu quelle assure de
fidlit, demeurerait-elle en retrait du sens augus-tinien de la
transcendance ? inversant les rles, elle est mue par le dsir de
prendre un Dieu impuissant en tutelle, dfaut de pouvoir se ranger
sous sa protection, neutralise par les circonstances. Dieu est, en
effet, menac par le drame qui se prpare, et mme, la suite dune
inversion insense des valeurs, abandonn par certains au profit de
proccupations matrielles, souponnables didoltrie.
Le soin dont Etty assure Dieu est certes tempr et corrig dans sa
gnreuse prtention par une mtaphore qui rordonne les rles et
res-titue comme instinctivement Dieu sa fonction protectrice contre
toute agression. Ses bras qui rassurent sopposent aux griffes de
lennemi
57. Ibid., p. 170.
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264 G. REMY
ventuel qui blessent. Cette rectification nest toutefois quune
incise ; le point de vue redevient anthropocentrique dans les
dernires images qui ramnent Dieu au rang de bnficiaire de la
bienveillance dEtty. Sinterrogeant plus tard sur ce que Dieu veut
faire delle, la rponse lui semble inspire par ce quelle veut faire
de lui58, comme si leur volont se croisait ; mais laquelle
attribuer la dcision ultime ? Cest la fin du Journal quelle
consentira un acte dabandon sans ambigut, de saveur vanglique :
Que ta volont soit faite et non la mienne59.
Cette conversation franche et nave avec Dieu, qui reflte une
grande gnrosit spirituelle, affranchie du langage thologique
habituel, est manifestement trangre linspiration des prires
dAugustin. Celles-ci ne viennent pas dune personne menace dans sa
chair mais consciente dun pass lest par le pch dont Dieu la libre
par misricorde. Elles jaillissent du regret dAugustin de stre
fourvoy dans la qute du Dieu du cur en dehors de soi60 ; elles
confessent devant Dieu et les hommes la grce qui jus-tifie limpie61
; elles sont un sacrifice de louange62 au Dieu qui nous cherche
malgr nous63. Les convictions thologiques quAugustin dveloppe par
des emprunts lcriture, avec lintensit de son lyrisme, la solennit
du ton et du rythme, dans une construction potique aux images
fortes, sont restes sans effet sur la conversation thologiquement
ose mais spirituellement sincre et magnanime dEtty avec Dieu64.
Certes, ce langage ne serait sus-pect de prsomption que pour sa
forme. Comment aider et protger Dieu sinon en soulageant le
prochain dans la misre ? Etty est tellement sensible limmanence
entre Dieu, elle et les autres quelle ne se formalise pas dun
langage dallure panthistique.
Comment le sens du Dieu immuable et incorruptible65, et la
sensibilit antiplagienne dAugustin auraient-ils ragi face ce
renversement, mme
58. Ibid.59. Ibid., p. 236 ; cf. Marc 14, 36.60. il nous faut
nous limiter quelques traits caractristiques sur lesquels sexercent
les
variations dAugustin ; cf. Confessions, Vi, i, 1.61. Ibid., X,
i, 1 ii, 2.62. Ibid., Viii, i, 1 ; iX, i, 1. Xi, ii, 3.63. Ibid.,
Xi, ii, 4.64. lebeau voit, non sans raison, dans les intuitions
dEtty lbauche du renouveau de la
thologie de Dieu aprs Auschwitz (p. 146). il nest pas dans la
vise de ce travail de poursuivre cette ligne de recherche.
65. Cf. Confessions, Vii, iV, 6 ; Vii, XVii, 23 et passim.
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265E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
formel, des rles ? Si lhomme est le bnficiaire de la
justification gratuite de Dieu, lexpression, ft-elle mtonymique,
dune assistance de Dieu par lhomme serait ressentie comme une
substitution intolrable de la gratuit des uvres celle de la grce.
Cest plus quil nen aurait fallu pour rveiller la combativit
dAugustin, mme si ultrieurement Etty se rachte en se sen-tant dans
les bras de Dieu protge, abrite, imprgne dun sentiment dternit66
.
Cet engagement dEtty envers Dieu relve-t-il dune intuition ou
dune inspiration totalement originale ? il reste certes envelopp de
mystre. On le rencontre dans la kabbale disaac Louria travers lide
de tiqqoun , qui signifie : correction ou rparation de la chevirah
, cest--dire : bris de vases, division. Or le tiqqoun est confi
lhomme, en particulier isral, appels jouer un rle fondamental dans
la dtermination de leur destin, de celui du monde, voire du royaume
divin. Cest lhomme qui doit aider Dieu raliser vritablement son
unit67.
Certes, la prire dEtty est loin des spculations de cette kabbale
dont elle aurait pu avoir connaissance par Spier, mais dont elle ne
sest appropri quune ide : aider Dieu. Elle demeure ainsi
personnelle, aussi distance de Louria que dAugustin. Au mieux
a-t-elle appris son cole prier, mais elle sest rserv sa manire elle
de sen acquitter. Ces marques dind-pendance laisseraient-elles
nanmoins place des traces dinfluence ou de convergences ?
Consonances ou convergences Augustiniennes
Si le portrait moral et spirituel dEtty apparat dabord comme
celui dune lve libre lgard de son matre, le feu quelle a senti chez
lui ne rejaillirait-il pas en elle travers certaines tincelles quil
revient la critique interne de saisir ? Ne finirait-il pas par
prendre en elle, ft-ce de manire dif-fuse, et par instaurer une
convergence de pense et de disposition, dfaut dune dpendance
littrale ?
66. Journal, p. 207.67. Dictionnaire encyclopdique du Judasme,
Cerf/Robert-Laffont, Paris, 1996, p. 604. On trouve
cette ide dans le Cantique de Dbora (Jg 5,23), mais il ne semble
pas quEtty lait puise cette source. Sur les inconnues de la
question, voir J. sivers Aider Dieu Rflexions sur la vie et la
pense de Etty Hillesum , in Service international de Documentation
judo-chrtienne, vol. XXViii, n 3, p. 15 et n. 47. Cette aide est
susceptible dune transcription chrtienne, si lon songe laide
apporte au Christ par Simon de Cyrne. Cf. E. steiN, Source cache,
uvres spirituelles, Ad Solem, Genve/Cerf, Paris, 1998, p. 232. La
lecture de cet pisode vanglique aurait-elle pu en suggrer lide,
concurremment Louria ? il est difficile de rpondre dautant que la
place du Christ dans le Journal est occasionnelle.
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266 G. REMY
tincelles augustiniennes
Laissons dabord jaillir quelques tincelles dont la retombe se
traduit par un vocabulaire augustinien librement rutilis par Etty,
cest--dire abs-trait de son contexte originel. Le dbut du Journal
transcrit une figure de style de Spier combinant oxymoron et
chiasme : une passivit active et une activit passive68 . Serait-il
excessif dy deviner quelque rminiscence dAugustin amateur de ce
genre de figures quand par exemple il se repr-sente la vie ternelle
comme un tat o lactivit ne sera pas laborieuse ni le repos oisif69
. Spier avait frquent des cercles allemands, marqus par lesprit
augustinien des deux Cits.
Sous la plume dEtty, le Journal utilise trois fois ladverbe
graduel-lement70 , qui correspond trs exactement au gradatim
augusti-nien. Le contexte est-il toutefois le mme ? Cet adverbe est
utilis par les Confessions71 pour figurer lascension progressive de
lme vers Dieu, selon la mystique platonicienne. Ce mouvement dpasse
le niveau de la sensation physique pour pntrer dans lintriorit de
lme et y dcouvrir la lumire transcendante qui est la norma normans
de ses jugements.
Ce mouvement grandiose et savamment orchestr chez Augustin se
retrouve seulement ltat de bribe chez Etty, qui voque lide de
gra-dation dans un contexte beaucoup plus prosaque, puisquelle
prend son point de dpart dans le ravaudage dun bas pour slever
jusquau sommet o je retrouve potes et penseurs 72 ; nullement dupe
de ce langage, elle se reproche lenflure de son style.
La mme formule revient quelques jours plus tard quand, dans une
sorte dexamen de conscience, Etty constate quelle refusait
daccomplir les tches prsentes et de slever degr par degr vers
lavenir73, qui lui est devenu maintenant indiffrent, alors quil
sagit de vivre pleinement le prsent. La gradation est aussi une
manire de traduire une volution intrieure, celle de la fille qui ne
savait pas sagenouiller74 , et qui doit apprendre passer
68. Cf. De nagelaten, p. 29.69. De catechisandis rudibus, 47.
Confessions, Xiii, XXXVii, 52 : semper operaris et semper
requiescis . Les Confessions sont riches de ce genre de figures,
runies par M. pelleGriNo, Les Confessions de Saint Augustin,
Alsatia, Paris, 1960, p. 284.
70. Journal, p. 21 & 26.71. Confessions Vii, XVii, 23 ; iX,
X, 24 ; X, Viii, 12. il faut aussi rattacher cet adverbe lide
dascension ; ibid. : X, Vii, 11 ; Viii, 12 ; XVii, 26.72.
Journal, p. 21.73. Ibid., p. 26.74. Ibid., p. 76.
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267E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
de lambition de dire des choses gniales la reconnaissance des
choses importantes, en somme la sincrit.
Bien que ce genre de proccupations, de nature morale, se tienne
dis-tance de la mtaphysique platonicienne, il est un autre trait
augustinien, celui des fantasmes et de limagination, dont Etty se
propose de dbarrasser son cerveau afin de laisser la place aux
choses de ltude, humbles ou le-ves75 . Cette lutte contre les
vagabondages de limagination est ritre au nom dune hygine mentale.
Voil pourquoi Etty se dfend vigoureusement contre ses remous
intrieurs , qui font delle une bonne rien76 . Dans la continuit,
elle se fixe comme objectif de sengager sur la voie de loubli de
soi, dans le renoncement une vanit pleine de fantasmes et de
ten-dance narcissique77.
Chez Augustin, la rprobation des crations imaginaires est trs
forte dans le retour critique quil fait sur son pass manichen. il
fustige avec vigueur les phantasmata de la mythologie de Mani,
aussi distants des vritables ralits corporelles que du vrai Dieu78.
Dans le contexte de ses extases mila-naises, la monte graduelle
vers Dieu exigeait aussi la rpudiation de la cohue contradictoire
des fantasmes79 . Quand il voque limagination cest pour lintgrer,
comme une tape ncessaire, dans le processus de la mmo-risation80.
Si lidentit de vocabulaire indique des points de contact possibles
entre Augustin et Etty, la divergence de contexte nchappe pas.
Alors que lhorizon de lun est essentiellement polmique,
psychologique et mtaphy-sique, voire mystique, la proccupation de
lautre est plus immdiate ; elle relve dune ascse personnelle
ressentie comme urgente dans ltau qui se resserre de plus en
plus.
Lorsque, dans une prire, Etty demande Dieu de lui accorder la
sagesse plutt que le savoir dont laccumulation serait leffet dune
sorte de volont de puissance , laquelle il faut prfrer une science
qui conduit la sagesse, source de bonheur81, elle utilise quatre
concepts augustiniens. Mais cette commune terminologie ne signifie
pas une communaut demploi ni
75. Ibid., p. 15.76. Ibid., p. 16.77. Ibid., p. 37.78. Cf.
Confessions, iii, Vi, 10 : phantasmata est rpt trois fois. Sont
aussi dnoncs les
figmenta , iV, ii, 1.79. Confessions, Vii, XVii, 23. Lamour de
Dieu doit bien se dpouiller de celui dune illu-
sion. ( non pro te phantasma )80. Cf. De Trinitate Xi, Viii
13.81. Journal, p. 58. On serait tent de faire un rapprochement
avec la prire de Salomon
1 R 3, 9.
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268 G. REMY
de signification. Chez Augustin, science et sagesse ont
respectivement pour objet le temporel et lternel82 ; la volont de
puissance qualifie le com-portement diabolique par opposition la
justice divine83 ; quant au vaste thme du bonheur, sil traduit
laspiration universelle du cur de lhomme, il sachve dans la
batitude. Quand Etty demande Dieu un peu dhumi-lit84 , elle aspire
une vertu essentielle chez Augustin, mais sans le suivre dans sa
reconnaissance du Verbe incarn comme modle dhumilit85.
En reconnaissant sa dette lgard de Spier, alors dcd, pour son
vo-lution religieuse, car il lui a appris prononcer sans honte le
nom de Dieu86 , Etty lui assigne le rle de mdiateur entre Dieu et
elle ; esseule aprs sa disparition, elle se trouve tre le chemin
direct vers Dieu, toute dis-pose quelle est jouer son tour ce rle
pour dautres. Ce vocabulaire de mdiateur et de chemin porte une
marque spcifiquement augustinienne, mais, dans son remploi, il est
dpouill de son sens exclusivement chris-tologique et sotriologique
pour tre ramen au sens commun de rvla-teur ou dveilleur de Dieu, et
non de Dieu incarn, unique voie de salut87. Ces contacts
fragmentaires et matriels ouvrent-ils sur des lignes de
conver-gence plus profondes ? Ces tincelles pourraient-elles tre le
signe du feu augustinien en train de couver ?
La conversion par la voie de lintriorit
La dfiance lgard de limagination est motive par un souci qui
porte une marque augustinienne indiscutable : celui de lintriorit.
Cest le contexte des Confessions qui a pu suggrer Etty la ncessit
dun retour en soi88, ou la dcouverte de la vie intrieure dans
lharmonie avec la vie extrieure . Cette dcouverte tait un chemin de
conversion commun Augustin et Etty. Leur approche de Dieu fut trs
personnelle sans tre une aventure en solitaire, car elle fut
conditionne par des mdiations humaines
82. Cf. De Trinitate Xii, XV, 25 ; Confessions Xiii, XX, 27.83.
ibid., Xiii, Xiii, 17.84. Journal, p. 56.85. Confessions V, iii, 3
; Vii, iX, 14 ; XViii, 24 ; XX, 26 ; Viii, ii, 3. 4 ; Xii, ii,
2.86. Journal, p. 202. Sur le rle de Spier dans lvolution
spirituelle dEtty, voir la belle analyse
de ingmar GraNstedt, op. cit., p. 136-143.87. Cf. Confessions
Vii, XViii, 24 ; X, XLii, 67 XLiii, 68 ; Xi, ii, 4 ; XXiX, 30.
Mdiateur, au
sens dEtty se dirait admonitor chez Augustin. Elle a galement
rencontr ce titre, appliqu un prtre, dans un roman ; elle se
lattribue aussi elle ; cf. lebeau, op. cit., p. 68 et 77.
88. Ibid., p. 64.
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269E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
et livresques89 qui ont conduit lun jusquau baptme mais nont
permis lautre que de goter la saveur biblique et vanglique tout en
les dispo-sant lexprience mystique.
1) Le retour en soiCest bien cette intriorit quAugustin a tent
de revenir grce aux livres
platoniciens sous la conduite de Dieu90. il est hors de propos
de reprendre lanalyse de cette exprience qui a pu servir de modle
ou, selon le vocabu-laire augustinien, d admonitio Etty, lengageant
faire retour sur elle-mme contre la force attractive des
circonstances. On constate chez elle un souci croissant dintriorit
ou dintriorisation, qui quivaut un besoin dauthenticit. Elle
cherche se dtacher dune certaine image de faade pour intrioriser sa
vie91, pour recueillir le monde extrieur en elle au lieu de cder au
mouvement inverse92. Elle se livre une ascse personnelle, une sorte
de purification qui doit aboutir lacceptation de soi tel que lon
est contre la rsistance de linhibition93. Cette volont de
sidentifier soi en luttant contre le mouvement dextraversion qui
asservit aux ralits ext-rieures se rpte94, et conduit au dialogue
avec soi95.
A-t-elle appris dans les Confessions le chemin de
lintrospection, du hineinhorchen ? Leur lecture na pu que
lencourager le suivre. En se donnant comme objectif de rentrer en
moi-mme96 , elle reprend littralement le vocabulaire augustinien :
admonitus redire ad memet ipsum intravi in intima mea97 . Cet
exercice quelle appelle aussi mditation , une demi-heure dcoute de
soi, rpond un besoin dhygine mentale et dquilibre humain par
dsencombrement des broussailles sournoises qui vous bouchent la
vue98 . Voil encore une image de saveur augusti-nienne, la fin du
livre Vii des Confessions voquant un sommet bois et
89. Elles ont jou pour la conversion intellectuelle dAugustin
avec Ambroise et les livres platoniciens puis morale avec
Simplicianus et Ponticianus, lexemple de Marius Victorinus et la
vie de S. Antoine ; chez Etty il faut souligner le rle de Spier,
qualifi de mdiateur, et de ses diverses lectures, dont celle
dAugustin, sans omettre le rle dterminant de lcriture chez tous
deux.
90. Voir Confessions, Vii, X, 16.91. Journal, p. 37. On ne peut
non plus carter linfluence de Rilke ; cf. lebeau, op. cit.,
p. 80-81.92. Ibid., p. 46.93. Ibid., p. 44.94. Ibid., p. 52 95.
Ibid., p. 53.96. Ibid., p. 35.97. Confessions, Vii, X, 16.98.
Journal, p. 36.
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270 G. REMY
des rgions impraticables99 . Ce retour sur soi a pour fin, chez
Etty, une concentration de lesprit qui parvienne faire abstraction
de lentourage pour permettre la lecture et lcriture, mais il est
aussi requis pour sex-pliquer100 avec les ralits quelle affronte ;
Augustin sefforce plutt de comprendre les vrits que la foi lui
rvle. Finalement la foi dEtty en la vie implique la reconnaissance
dune plus grande proximit de Dieu avec elle101, mme si elle demeure
encore prisonnire dune tension intrieure entre la dispersion, ce
quelle dplore, et la voie de la retraite en soi afin de poursuivre
sa qute personnelle102 . Lhygine mentale nest pas son unique souci.
Le retour en soi signifie aussi faire entrer un peu de Dieu en soi
, dont lquivalent est un peu dAmour en soi103 .
2) De la dispersion au recueillement en DieuFace aux dangers
extrieurs, Etty se retire lintrieur du mur protecteur
de la prire qui doit laffranchir de la hantise de lparpillement
et de la dispersion. Elle aspire senfermer mentalement dans lenclos
protecteur dune cellule monastique. Cet idal, quelle voque ailleurs
travers la fla-gellation et la vie asctique des moines104 agit
comme un rve qui fait contre-poids ses penchants naturels. ici
lidal de lintriorit lui sert de cadre psychologique pour se livrer
au rve sinon au dsir dune concentration qui sidentifie la
prire.
Ce souhait est reformul quelque huit mois plus tard, avec un
souci gale-ment thrapeutique. La gurison du monde extrieur doit
commencer par soi. Telle est la leon quEtty tire de la guerre. Lide
de se recueillir en soi-mme rapparatra encore six mois plus
tard105. Elle est expressment attribue S.106 qui vient de mourir.
Pour Etty ce soi , o lon se recueille, sappelle Dieu107. Cette
assimilation nest-elle pas expose une divinisa-tion ou une idoltrie
de soi, laquelle Augustin stait donn les moyens dchapper ? Etty
tente une esquive analogue en sadressant Dieu comme un autre dans
les bras duquel elle cherche refuge. Dans une prire spon-tane et
trs personnelle, elle confesse par trois fois que sa vie nest
quun
99. Confessions, Vii, XXi, 27 mais aussi ii, i : silvescere
ausus sum variis et umbrosis amoribus .100. Limportance de ce
besoin est soulign par GraNstedt, op. cit., p. 148-149.101.
Journal, p. 64.102. Ibid., p. 211.103. Ibid., p. 36.104. Ibid., p.
14 ; 101.105. Respectivement, le 19 fvrier 1942 (Journal, p. 104),
et les 17 et 29 septembre 1942
(Ibid., p. 207 ; 211).106. Cest ainsi quEtty dsigne Julius
Spier, son amant.107. Ibid., p. 207.
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271E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
long dialogue avec Toi et quelle convertit son nergie cratrice
en dialogues intrieurs avec Dieu qui contenant tout voue le reste
linutilit. Le recueillement en lui veille des accents affectifs et
lyriques qui portent lmotion jusquaux larmes. Cet aveu ferait-il
cho au frmissement int-rieur dun Augustin la recherche de Dieu108
?
Le rapport entre lintriorit et lextriorit est une proccupation
dEtty. La recherche de la premire ne doit pas se faire au dtriment
de la seconde. Linstauration dun quilibre entre les deux est
qualifie de tche exal-tante . Mais en mme temps, Etty est ferme sur
la manire dont ces deux plans du rel doivent sarticuler en elle :
Ne rien sacrifier de la ralit extrieure la vie intrieure pas plus
que linverse109.
On admettra une consonance avec laspiration dAugustin lintriorit
pour connatre soi et Dieu110, sinon une influence de sa qute
spirituelle, librement approprie. Augustin a ressenti le conflit
entre une dispersion qui projette dans lextriorit et la ncessit du
recueillement, qui est un don de Dieu :
douceur de bonheur et de scurit, toi qui me rassembles de la
dis-persion, o sans fruit je me suis parpill, quand je me suis
dtourn de toi lUnique pour me perdre dans le multiple111.
Cette proccupation rapparat dans une rflexion sur le temps.
Celui-ci est ressenti comme une distension112 laquelle soppose
lintention pr-sente qui conduit le futur dans le pass. Le lieu du
temps est lesprit qui effectue un acte dattente, dattention et de
souvenir. Laveu dEtty peut rejoindre celui dAugustin affirmant : ma
vie est une distension 113, un parpillement dans le temps aux
variations tumultueuses , mais la recherche de son unit. La
philosophie augustinienne du temps dbouche, grce Phil. 3, 12-14,
sur un horizon christologique avec la figure du mdia-
108. Cette prire est transcrite dans une lettre Henny Tideman du
18 aot 1943, Lettres, p. 317. On pourrait en rapprocher les accents
de Confessions Vii, X, 16 ; X, Vi, 9 Vii, 11. Sur les larmes voir
ibid. Viii, Xii, 28 ; iX, Vi, 14 ; Xii, 33.
109. Journal, p. 33. Cette proccupation dun juste quilibre entre
mon ct introverti et mon ct extraverti la taraudera encore la fin
de son Journal ; cf. p. 238.
110. Augustin a repris ce thme philosophique, insparable de
celui de lme : animum in seipsum colligendi De ordine i, i, 3.
111. Confessions, ii, i, 1 ; cf. X, XXiX, 40. Le travail de la
mmoire consiste rassembler ce qui est dispers ; X, Xi, 18.
112. ibid., Xi, XXVi, 33. La dispersion est une rgression dans
le temps et lespace qui tend au nant sans y tomber, comme
semblablement le mal est la consquence dune cause et dune volont
dficientes.
113. ibid., Xi, XXiX, 39.
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272 G. REMY
teur, chemin de lunit, laquelle aspirent les hommes prsentement
par-pills dans le multiple. Si Etty a rencontr chez Augustin ce
tiraillement entre la dispersion et la concentration, elle en a
fait une application psycho-logique et spirituelle, centre sur la
prire, en dehors de toute rfrence philosophique, thologique ou
christologique.
3) Lintriorit source doptimismeEst-ce pour dfier un monde dont
limage se fait de plus en plus terri-
fiante quEtty en affirme la beaut ? Chercherait-elle exorciser
lhorreur en poursuivant travers la nuit quelque rayon de lumire
?
Je trouve la vie belle, digne dtre vcue et riche de sens. En
dpit de tout.114
La beaut est insparable du sens, dont Etty trouve que la vie est
pleine malgr lextermination programme de ses coreligionnaires. La
reprise du binme de la beaut et du sens prend une insistance
presque obsdante, comme si lauteur cherchait sen persuader par un
procd incantatoire :
Mme si lon doit connatre une mort affreuse, la force essentielle
consiste sentir au fond de soi, jusqu la fin que la vie un sens,
quelle est belle115.
force de lentendre, on se laisse saisir par un accent de sincrit
que confirme la force dme avec laquelle Etty sengage ne pas dvier
de cette conviction face la mort de son ami ou, devant limminence
de sa dpor-tation116. En outre et surtout, cette affirmation
sinscrit dans une prire qui deviendra de plus en plus intense, et
se fera chant de gratitude envers Dieu pour tant de beaut. Le
langage dEtty slve du plan psychologique celui dune foi dont
lardeur ne craint pas le paradoxe117.
Cette conviction se trouve en accord avec la mtaphysique
anti-mani-chenne dAugustin dont les lignes essentielles se
dessinent dans lvocation que font les Confessions du trait dj perdu
lpoque de leur rdac-tion : le De pulchro et apto, qui fondait la
beaut des corps sur leur unit, et lharmonie, sur ladaptation des
parties avec le tout118. La beaut et le sens
114. Journal, p. 143 ; cf. p. 22. Elle crit le 26 juin 1943 :
Par essence la vie est bonne ; ibid., p.144 ; 206 ; 282 ; 343.
115. ibid., p. 156 ; cf. p. 133 : Je chante les louanges de
cette vie. ; p. 221 ; 239 : La vie est belle. Et je crois en
Dieu.
116. ibid., p. 206 ; 209 ; 214.117. Elle raffirmera le lien
entre la beaut de la vie et sa foi en Dieu, malgr les atrocits,
la fin du Journal, p. 239.118. Confessions, iV, Xiii, 20 XV, 27.
Sur la beaut des corps, voir ibid., Vii, XVii, 23.
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273E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
du monde, si intensment prsents Etty, ne sallient-ils pas avec
son dsir de se gurir de lparpillement par le retour en soi,
conformment ce constat dAugustin ?
Cest lorsque lme est revenue elle-mme quelle comprend en quoi
consiste la beaut de lunivers Cest pourquoi cette beaut nest pas
acces-sible lme qui se rpand sur beaucoup dobjets et qui veut
remdier son indigence par lavidit sensible, ne sachant pas quelle
ne peut viter lindi-gence quen se sparant de la multitude119.
Le sens de la beaut de la vie chez Etty est en parfait accord
avec lhymne dAugustin la beaut et la bont de lunivers, et plus
encore de son Crateur :
Seigneur tu les as faits, toi qui es beau, car ils sont beaux ;
toi qui es bon, car ils sont bons ; toi qui es car ils sont120.
La bont de la cration est formellement atteste par Gense 1121,
lencon-tre du dualisme manichen. Que la terminologie soit celle de
la beaut ou celle de la bont et du bien, lesthtique et lthique
manent de leur com-mune source transcendante : la beaut toujours
ancienne et nouvelle 122, trop tard aime par Augustin, ou le
souverain Bien, unique secret du bon-heur qui donne sens la vie,
comble nos aspirations incoercibles et rpond lorientation du grand
dsir dEtty123. Ses proccupations et la conviction dAugustin se
rencontrent dans la ncessit daccueillir la lumire suscepti-ble
denfreindre les tnbres de lexistence.
Le sens de Dieu
Le sens de Dieu va en sintensifiant chez Etty, ainsi quen
tmoignent les mentions dune frquence croissante de la prire et de
son expression physique dans lagenouillement. Si la vocation
dAugustin a ncessit une rupture volontaire avec les liens charnels
qui le retenaient, les circonstan-ces sen sont charges dans le cas
dEtty qui, aprs la mort de Spier, devra affronter seule mais avec
Dieu les preuves quelle pressent.
119. De Ordine i, ii.120. Confessions, Xi, iV, 6 ; cf. X, Vi, 9.
10 ; Xiii, XX, 28 ; XXXiV, 48. 50.121., Confessions Vii, V, 7 ;
Xii, 18 ; Xiii, XXViii, 43 XXXii, 47 ; XXXVi, 51.122. Ibid., X,
XXVii,38.123. Confessions, X, XXi, 30 XXiii, 34. Sur le dsir chez
Etty, voir GraNstedt, op. cit.,
p. 156-157.
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274 G. REMY
1) Dieu et la souffranceLa rencontre que fait Etty de Dieu dans
la souffrance lloigne de liti-
nraire augustinien, tout en la rapprochant de lune de ses
convictions : Dieu est innocent du mal dont les hommes portent la
responsabilit. Elle soulignera cette certitude :
Dieu na pas nous rendre des comptes pour les folies que nous
commet-tons. Cest nous de rendre des comptes124.
Dans une formulation diffrente, elle affirme que si la vie est
devenue ce quelle est, ce nest pas le fait de Dieu mais le ntre125
. Ainsi la responsabilit des atrocits qui se commettent incombe aux
hommes, tandis que Dieu, qui est amour126, mrite toute la confiance
dEtty ; il est la source dune gnro-sit qui se rpandra en amour pour
tous ceux qui en ont besoin127. Etty sent cette confiance, par
rapport laquelle les privations sont de peu de chose128, faire de
plus en plus partie delle-mme. De plus, poussant sa recherche de
lintriorit jusquen ses ultimes consquences, elle note que les pires
souf-frances de lhomme, ce sont celles quil redoute129 ; aussi sen
prend-elle la reprsentation de la souffrance quil faut briser pour
se librer.
Tout en convergeant sur le fond, lapproche du mal selon Augustin
et selon Etty est fort diffrente. Celle-ci sent la souffrance
physique et morale autour delle ; elle sait quelle ny chappera pas,
car quelle quen soit la forme, la souffrance fait corps avec
lexistence humaine130, mais elle refuse le droit dy succomber131.
En sattaquant sa reprsentation, elle se rclame (peut-tre son insu)
de lidal stocien132. Linterrogation dAugustin est autre : elle est
de type mtaphysique, en raction contre la solution mani-chenne, au
terme dune recherche laborieuse qui sorientera vers lide dune cause
dficiente et non efficiente, une cause qui se drobe notre
124. Journal, p. 139. Si la vie bonne par essence prend parfois
de si mauvais chemins, ce nest pas la faute de Dieu mais la ntre
Lettres, p. 282.
125. Ibid., p. 166.126. Lettres, p. 284.127. Journal, p.
161.128. Ibid., p. 166 ; 173.129. Ibid., p. 230.130. Lettres de
Westerbork, p. 264.131. Ibid., p. 288.132. On en trouverait le
modle dans le Manuel dpictte (XVi ; XX ; XXX). Cette concep-
tion rapparat chez un Pre grec, dont Etty ignorait probablement
tout : Jean Chrysostome, qui rpte inlassablement que la cause du
malheur est en nous-mmes. Voir. G. remy, Le rveil du sens du
tragique en thologie in Rev. S. R., n 3, 2001, p. 312-321.
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275E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
saisie, tout comme le silence nest pas proprement lobjet de
notre oue133. Le mal a sa racine non dans la reprsentation mais
dans notre volont :
le libre arbitre de la volont est la cause du mal que nous
faisons et ton jugement celle de nos souffrances134.
Pour lessentiel, la solution dAugustin est enferme dans cette
rponse. Le mal vient de lhomme, la souffrance est la sanction
directe ou indirecte, par ses origines adamiques, du malheur que
nous subissons. Celui-ci se laissera absor-ber par un bien plus
grand et sinscrira dans un ordre universel lharmonie duquel il
contribue135. Si cette explication contient le principe dune
ddrama-tisation du mal sur le mode impersonnel de la pense affronte
cette nigme, Etty lexorcise en le bravant avec les ressources de
son nergie spirituelle.
Tous deux innocentent Dieu du mal pour en affliger les hommes et
trou-vent en Dieu la source de notre nergie intrieure face la
souffrance, mais les conditions dans lesquelles ils sont confronts
cette redoutable question divergent : lun est plong dans un trouble
intellectuel profond ; lautre se sent tragiquement menace dans sa
chair.
il est un cas prcis dune souffrance comparable chez Augustin et
chez Etty : la perte dun ami pour lun et dun amant pour lautre. La
mditation qua inspire cette mort dun ami a-t-elle marqu les
dispositions dme dEtty ? Une certaine convergence de sentiments, de
force et de foi est vri-fiable dans leur confession respective,
mais littrairement indpendante :
133. Cf. Cit de Dieu Xii, Vii-Viii.134. Confessions, Vii, iii,
5.135. Cf. Journal, p. 201.
Quoique tu sois partout prsent, as-tu rejet loin de toi notre
malheur et demeures-tu en toi, tandis que nous roulons dans les
preuves ? Do vient donc que sur lamertume de la vie on cueille un
fruit suave : gmir, pleurer, soupirer et se plain-dre ? Y aurait-il
l de la douceur, parce que nous esprons que tu entends ? Bien sr,
je nesprais pas quil revct et mes larmes ne demandaient pas cela :
simplement je souffrais et je pleurais ; oui, jtais perdu et javais
perdu ma joie*.
Jai cru mon esprit et mon cur de force tout supporter seuls Je
sens prsent tout le poids que tu mas donn porter, mon Dieu. Tant de
beaut et tant dpreuves. Et toujours, ds que je me montrais prte les
affronter, les preuves se sont chan-ges en beaut. Et la beaut, la
gran-deur, se rvlaient parfois plus dures porter que la souffrance,
tant elles me subjuguaient Je te suis si reconnais-sante, mon Dieu,
davoir choisi mon cur, en cette poque pour lui faire subir tout ce
quil a subi**.
* Confessions, iV, V, 10.
** Journal, p. 199-200.
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276 G. REMY
Malgr cette convergence de sentiments, la rflexion dAugustin
reste centre sur la question du mal, en raison du dualisme manichen
et acces-soirement sur celle de la souffrance, tandis que ce
rapport sinverse chez Etty en raison du drame historique quelle
vit.
2) Une maturation de lamourComme chez Augustin, lamour chez Etty
a connu une volution remar-
quable dans le sens dune spiritualisation et dune ouverture sur
un univer-salisme comprenant lamour des ennemis, qui lui ont permis
de surmonter lpreuve dune perte douloureuse. Cette volution est
insparable de la dcouverte de Dieu dans la prire qui se vit dans
lamour du prochain136. Augustin ly aurait-il aide ?
Pour Etty, lamour dautrui commence par la correction de soi
:
que chacun de nous fasse un retour sur lui-mme et extirpe et
anantisse en lui tout ce quil doit devoir anantir chez les
autres137.
la place de la lutte des classes, que prconisait Klas
Smelick138, mais qui sous la contrainte du moment a perdu toute
signification, la seule lutte envi-sageable, selon Etty, est celle
dune ascse personnelle. Fidle son besoin dintriorit, elle invite
retourner contre soi le combat quon voudrait livrer sur les autres
et dpasser tout ressentiment lgard des ennemis. Est-elle en cela
influence par Augustin ? Alors que les Confessions compor-tent
certains dveloppements thiques, par exemple sur les tentations139,
il sen faut quelles refltent la riche doctrine augustinienne de la
charit, dont elles ne livrent qupisodiquement les traits prcis.
Recommandent-elles aussi lamour du prochain ? Elles noncent
plusieurs reprises le prcepte de la charit fraternelle140, mais
sans le dvelopper. Daprs son exprience, Augustin ressent lamour
comme une sorte de retour narcissique sur soi-mme, dans lattente de
briser ce mouvement cyclique en trouvant un tre aimer141. Sil
repasse dans sa mmoire ce quil considre comme des gare-ments dans
sa qute du vritable amour, cest par amour de Dieu, en
recon-naissant sa douceur. La vrit de lamour nest pas un fait
acquis mais une
136. Voir la remarquable finale de la Lettre du 8 aot 1943, p.
308-309. Le pre dEtty recon-nat quelle sest comme spiritualise ;
cf. lebeau, op. cit., p. 254.
137. Ibid., p. 218.138. Journaliste et crivain, ami dEtty.139.
Ibid., X, XXX, 41 XXXiX, 64.140. Ibid., Xii, XXV, 35 ; Xiii, XVii,
22. XXVi, 36 ; XXVi, 41. Sur lamour du prochain chez
Augustin, voir Anna areNdt, Le Concept damour chez Augustin,
Bibl. Rivages, 1996, p. 92-121.141. Ibid., iii, 1, 1.
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277E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
ralit qui sapprend, car Augustin ne savait pas aimer Dieu142.
Lignorance atteint tout autant lamour des humains, qui demande se
laisser purifier, car cest folie de ne pas aimer les hommes avec
humanit143 .
Ce qui mrite dtre aim, cest ce que Dieu aime en nous, savoir le
bien144. Aussi cet amour se reporte-t-il sur Dieu grce un
dpassement du sensible pour se dcanter en une inaltrable intriorit
et parvenir jusqu ltre qui est au-dessus de la cime de mon me145 .
Les Confessions chantent lintriorit et le poids , cest--dire
lorientation naturelle, le tropisme de lamour qui vient de Dieu
pour retourner lui, qui nous enflamme et nous emporte en haut146 .
Si elles ont pu aider Etty dcouvrir la dimen-sion universelle de la
charit, dautres sources y ont aussi contribu comme la Bible,
lvangile et Paul, en particulier lhymne la charit de i Co
13147.
Quand, dsabuse par ses aventures sentimentales, se sentant
ltroit dans lamour dun homme unique, laissant son amour se
transformer en charit, sollicite par la misre de ses compatriotes
dinfortune, Etty renonce au mariage, se laisserait-elle influencer
par lexemple dAugustin ? Rien ne permet de le conjecturer. Les
antcdents de ce choix divergent. On ne peroit chez elle ni la crise
ni la rupture dramatique consentie148 par un Augustin avant dopter
pour une vie rmitique laquelle les besoins de lglise larracheront,
mais plutt un veil progressif une autre forme damour149. Aussi rien
ne permet de projeter entre lui et elle une exempla-rit comparable
celle de la vie dAntoine sur Augustin par lentremise de
Ponticianus150. Leur itinraire personnel, leur appartenance
religieuse, le contexte historique soumettent un choix de vie
identique des motifs tout diffrents.
3) La communion avec Dieu par la prireAlors quEtty reste sourde
au sens augustinien de la culpabilit par rap-
port son pass tumultueux, la cruaut des vnements louvre une
exi-gence thique de courage et de gnrosit qui se mle un geste
religieux,
142. Ibid., iV, ii, 3.143. Ibid., iV, Vii, 12.144. Ibid., X, iV,
5.145. Ibid., X, Vi, 8 Vii, 11.146. Ibid., Xiii, iX, 10. il est
fort possible que cette prire dAugustin ait inspir la remarque
dEtty, op. cit., p. 124 & 241.147. Elle cite Mt 5,23, p. 222
et se rfre 1 Co 13, Lettres, p. 225 ; 270 ; cf. lebeau, op.
cit.,
p. 89.148. Confessions Viii, V, 10-12 ; Xi, 25-Xii, 30149.
Journal , p. 65-67.150. Confessions Viii, Vi, 13.
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278 G. REMY
lagenouillement, et une prire dont les mentions se font de plus
en plus frquentes. Do tient-elle ce geste ? Ni de la tradition
juive ni dAugus-tin. Faut-il le rattacher une certaine nostalgie,
dj signale, de lidal monastique ?
La touche augustinienne trouverait un champ de vrification dans
la vie spirituelle dEtty qui vient compenser, si lon peut dire, une
carence de juge-ment moral. Le besoin de rencontrer Dieu par la
prire se fait de plus en plus intense partir de mai 1942. Le nombre
de mentions quelle en donne atteste un tat de prire continu.
Celle-ci est laboutissement dun refus de la dispersion qui
confinerait un anantissement par le retrait en soi afin de faire
route avec Dieu151 , de se sentir dans la main de Dieu152 , en
somme faire confiance la providence, sans tenter de se mler de ses
dcrets153. Surmontant les distances, la prire nest pas seulement
rencontre avec Dieu mais encore avec autrui ; elle est un acte de
dtachement de soi et daccueil des autres, non pour demander un
retournement de situation en leur faveur mais la force intrieure
pour supporter les preuves154, dont elle estime avoir t gratifie
par Dieu, tout en le suppliant de la lui donner155.
Mue par lamour du prochain, la prire dEtty nest nullement un
refuge en soi mais don de soi aux autres quelle remercie Dieu
davoir fait venir jusqu elle avec le poids de leur misre, et quelle
voudrait conduire Dieu grce au don quil lui a accord de lire dans
le cur des autres156 . Sa prire se fait universelle, englobant mme
lennemi157. il faut nous limiter ces caractristiques dune prire,
signe dune intriorit peu commune, face ladversit. La question est
alors celle dventuelles traces augusti-niennes dans cette rencontre
avec Dieu.
Une consonance profonde, sinon une influence, est noter avec
lexp-rience spirituelle dAugustin confessant : Tu tais plus intime
que lintime de moi-mme et plus lev que les cimes de moi-mme158 , ou
dclarant : Dieu doit tre cherch et pri dans les profondeurs mmes de
lme159. Lintimit avec soi et avec Dieu est insparable dun mouvement
de conver-sion de lparpillement vers lunit intrieure. Faute de
reprer quelque rminiscence formellement identifiable de la prire
dAugustin chez Etty,
151. Journal., p. 178.152. Ibid., p. 181.153. Ibid., p. 195.154.
Ibid., p. 182.155. Ibid., p. 184 ; 186-187.156. Ibid., p. 208.157.
Ibid., p. 147.158. Confessions, iii, Vi, 11 ; ce rapprochement a t
fait par lebeau, op. cit., p. 141.159. De Magistro, i, i, 2.
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279E. HiLLESUM ET ST AUGUSTiN
on est au contraire rendu sensible la diffrence du langage qui
sous-tend des proccupations ou une sensibilit spirituelle communes.
La prire dEtty est spontane ; elle est lexpression de la maturation
spirituelle que provoque chez elle le drame quelle sent proche. On
ne saurait en repro-duire ici les traits que dautres ont dj
signals.
La prire dAugustin est le fruit dun cheminement tellement
diffrent vers la conversion, la suite dun drame intrieur,
intellectuel et moral. Elle est habite par un tour interrogatif160
et un sens critique toujours en veil, attentif sa droiture qui est
fonction de son motif et de lide que lon se fait de Dieu ; elle est
en garde contre une drive idoltrique possible et sou-cieuse dun
dpassement de toutes les cratures vers celui qui les a faites161.
Aussi, sans se dnaturer, sa prire est-elle le reflet dune me
inquite , cest--dire la recherche du repos en Dieu162. Elle est
habite par un sens de la transcendance qui en fait comme le signe
intrieur de la prsence invi-sible de Dieu en nous163 qui, face lui,
prenons conscience de labme que creuse notre condition cre et
pcheresse164. La prire dAugustin reste essentiellement celle du
thologien de la grce, trait que lon ne retrouve pas chez Etty.
*
Lvangile invite rendre Csar ce qui est Csar ; il nous faut
ren-dre Etty son bien propre. La difficult dpasser le constat de
certai-nes convergences pour dceler des rminiscences et surtout des
signes de dpendance, plaide en faveur de loriginalit et de la
crativit dEtty qui a au mieux glan dans le champ des Confessions.
La structure de son Journal reflterait-elle le modle triangulaire
augustinien : soi-mme, Dieu et lhu-manit ? On retrouve
manifestement ces partenaires chez elle. Cette confi-guration
serait-elle pour autant dorigine augustinienne ? Si Etty a tenu un
Journal, cest quelle prouvait le besoin de dialoguer avec elle-mme
en raison de sa personnalit, instable mais foisonnante, en qute
didentit. Si elle a dialogu avec lhumanit, elle y fut contrainte
par les vnements ; le
160. il est manifeste dans la prire inaugurale des Confessions,
i, i. il est hors de propos de donner ne ft-ce quune esquisse de la
prire dAugustin. il faut nous limiter quelques carac-tristiques.
Pour une tude complte, voir Grald aNtoNi, La prire chez Saint
Augustin. Dune philosophie du langage une thologie du Verbe, Vrin,
Paris, 1997.
161. Cf. Confessions X, Vi, 9.162. Ibid., i, i, 1.163. Ibid., i,
ii, 2.164. Ibid., ii, Vii, 15.
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280 G. REMY
monde est venu, menaant, elle, autant quelle est alle,
secourable, vers les autres. Quant son dialogue avec Dieu, ne
serait-il pas le terrain le plus ouvert des influences externes et
une empreinte augustinienne ? Les Confessions sont une prire
continue, sans en pouser toujours la forme, car elles expriment le
dsir de Dieu. Le Journal tmoigne dun veil une prire ininterrompue
dans la disponibilit Dieu travers un dialogue trs per-sonnel165.
Etty y a sans doute t encourage par Augustin, grce Spier, et par la
lecture de la Bible ou de Rilke. Mais il subsiste un clivage
capital entre Augustin et Etty, car lui a appris, au terme dune
dmarche dialectique, quil ne sunirait Dieu que par le Christ
mdiateur, tandis quelle demeure fidle ses racines juives ; elle
sadresse Dieu sans suivre Augustin dans son itinraire
philosophique, et sans autre mdiation que la Bible, libre de toute
appartenance confessionnelle et des normes dogmatiques, malgr sa
sym-pathie pour le christianisme. Sa frquentation des vangiles ne
la conduira pas jusqu la foi explicite au Christ166. Elle
sidentifie avec le chemin vers Dieu, quAugustin dcouvrira dans le
Christ. Arriv au paroxysme de sa crise finale, Augustin extrait du
premier chapitre de Paul o tombrent ses yeux : Revtez-vous du
Seigneur Jsus-Christ et ne vous faites pas les pour-voyeurs de la
chair dans les convoitises167. Durant son dernier voyage, Etty
ouvre aussi la Bible au hasard, et en retient : Le Seigneur est ma
chambre haute168. Lecture chrtienne chez lun, juive chez lautre ?
Monte dans le train de la mort qui la conduit aussi au terme de son
aventure spirituelle, Etty se trouve plus proche de Dieu que le
fils de Monique, encore retenu par ses attaches manichennes, ne
ltait au dpart de son itinraire vers la foi, tout en tant
affectivement plus proche du Christ quelle ne ltait. Nous savons
quel fut laboutissement de la qute dAugustin. Quel aurait t celui
dEtty ? Nous ne le saurons jamais. Au mieux nous est-il permis
desprer quils se sont rejoints dans la lumire quils ont patiemment
cherche. n
165. Cf. Lettre Tide du 6 septembre 1943, cite par lebeau, op.
cit., p. 267-268.166. Cf. lebeau, op. cit., p. 188.167.
Confessions, Viii, Xii, 29. Cf. Rom 11, 14.168. Journal, p. 344. La
mention de la chambre haute est frquente dans la Bible mais la
for-
mule reproduite par Etty ne sy trouve pas telle quelle ; cf.
lebeau, op. cit., p. 301, n. 7.
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