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Alain Besanon
Roger Bastide, Sociologie des maladies mentalesIn: L'Homme,
1967, tome 7 n1. pp. 117-120.
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Besanon Alain. Roger Bastide, Sociologie des maladies mentales.
In: L'Homme, 1967, tome 7 n1. pp. 117-120.
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sultanats du xve sicle, les protger et les utiliser comme
main-d'uvre pour les expditions maritimes.
Ce livre est remarquable plus d'un gard. Il met la disposition
du lecteur une somme considrable de documents jusqu'ici dissmins
(consquence de l'extrme mobilit des peuples de la mer) dans des
publications les plus diverses (la bibliographie de plus de trois
cents titres en fait foi, pp. 388-403). Il innove, puisque jusqu'
prsent aucun essai srieux d'interprtation, d'analyse et de synthse
de tous ces documents pars n'avait t tent. Cependant, la
quasi-absence (4 dessins imprcis) de la partie iconographique
intressant la technologie de ces peuples (qui ne fait que reflter
la pauvret des prcdents travaux dans ce domaine) montre combien
cette tude, base essentiellement comme son auteur l'indique dans le
sous-titre sur la littrature mriterait d'tre poursuivie sur le
terrain .
B. Koechlin.
DIVERS
Roger Bastide, Sociologie des maladies mentales, Paris,
Flammarion, 1966, 282 p., 21 cm. (Nouvelle Bibliothque
Scientifique).
Immenses lectures, clarification patiente de concepts enchevtrs,
critique serre des rsultats, confrontation de ce qui est
confrontable enfin, en peu de mots, conclusions hardies quant au
fond, modestes quant l'nonc : c'est le style ordinaire de Roger
Bastide.
Le moment est venu d'tablir un cadastre , annonce
l'introduction. Aprs recensement des nombreuses dfinitions de la
psychiatrie sociale, le sociologue, qui n'en veut rien perdre, y
reconnat autant de chapitres d'une discipline plus tendue. A savoir
: la psychiatrie sociale, qui se rserve le comportement social
morbide des individus atteints de troubles mentaux ; la sociologie
des maladies mentales, qui s'intresse aux collectivits et aux
groupes notamment ceux qui se forment spontanment ou non dans les
hpitaux psychiatriques ; enfin l'ethnopsychiatrie qui tablit des
corrlations entre faits ethniques et types de maladies. Mais aprs
avoir spar, il appartient au sociologue de rtablir le rseau de
communication entre les trois domaines ainsi dlimits, thoriquement
et pratiquement.
Ici se place une remarquable rflexion mthodologique. L'volution
conceptuelle qui va de Comte Durkheim et de Freud Sullivan et
Parsons, montre deux grands types d'approches thoriques. Les unes
partent de la psychiatrie pour aller vers la sociologie, les autres
vont de la sociologie vers la psychiatrie. Mais toutes juxtaposent
une exprience psychiatrique une sociologie htrogne. Il faudrait que
les psychiatres se forgent leur propre sociologie, qu'ils
dterminent l'influence de la sociogense et des facteurs
structuraux, diffrencient corrlativement le champ pathologique.
Deux mthodes sont employes : La mthode statistique : Durkheim a
montr une fois pour toutes que le suicide
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Il8 COMPTES RENDUS
offre sur le plan sociologique une lgalit qui n'est pas contenue
analytiquement dans les conclusions de la recherche
psychopathologique. Entre les deux niveaux (micro- et
macroscopique) il y a disjonction et complmentarit, au sens
d'Heisen- berg. Encore faut-il manier correctement l'outil
statistique. Entre les faits bruts et leur traitement mathmatique
s'interpose la classification du psychiatre, laquelle varie dans le
temps et selon les coles. Telle courbe qui montrerait
l'augmentation du nombre des maladies mentales partir du nombre des
admissions dans les hpitaux mentirait si elle ne tenait pas compte
de la facilit croissante et de la propension se faire soigner, ni
de la tolrance envers la maladie, fait social. Il faut autant que
possible structurer les variables, former des matrices
compartimentes de classification.
Les histoires de cas : elles permettent de dpasser la corrlation
( quoi se borne la preuve statistique) pour arriver la comprhension
(Weber) et l'explication. On n'chappe donc pas la recherche
interdisciplinaire, qui doit inclure aussi l'ethnopsychiatrie. Il
s'agit toujours de substituer un objet construit un objet donn,
mais en construisant collectivement cet objet, en passant d'un
registre de preuves un autre, d'un Cogitamus un Cogito : l'auteur
esquisse un code de collaboration interdisciplinaire.
Qu'est-ce qu'un cas pathologique ? Depuis Benedict, le concept
de normalit se dfinit relativement aux normes d'une culture donne.
Cela ne veut pas dire que le normal s'identifie avec la moyenne
statistique du comportement. Seul le psychiatre en fin de compte
peut dterminer si telle conduite est pathologique. Comme l'a montr,
d'autre part, Devereux, le postulat de la thse relativiste implique
que la socit soit toujours saine. Si la socit est malade, l'homme
adjusted intriorise des normes morbides et le chemin de la sant
passe par la rbellion. Il reste de la thse relativiste le constat
de la plasticit du concept de maladie, de son ingale distribution,
de sa varit symptomatique. Le mdecin cherche les causes de la
maladie, mais c'est la socit qui lui dsigne les malades
soigner.
Quelle place tient la sociogense dans l'tiologie de la folie ?
Des facteurs purement biologiques, comme la race, le sexe, la
snescence, agissent autant comme facteurs culturels. Si le
vieillard est vulnrable la folie, est-ce parce qu'il est vieux ou
parce que la socit rejette les vieillards ? Ey a object que la
folie tant une mise hors socit, elle ne saurait tre explique par la
socit. Mais l'argument, s'il vaut pour la psychose, ne vaut pas
pour la nvrose. De plus le sociologue envisage l'tiologie du point
de vue des structures globales qui agissent inconsciemment, et non
du point de vue du traumatisme spcifique ; celui-ci peut tre
d'ailleurs un simple prcipitant de la maladie, non sa cause.
L'influence du milieu doit tre reconnue.
Dernier problme : les socits peuvent-elles devenir folles ? Ce
sont les individus qui en dernire analyse tombent malades. La socit
ne fait qu'amplifier les tendances morbides de ses membres. Il
parat confusionnel de parler, comme on l'a fait, de socits
hystriques ou paranoaques, usant abusivement de catgories qui n'ont
de sens que clinique.
Le cadastre ainsi trac, Roger Bastide runit et confronte les
rsultats partiels et htrognes acquis depuis trente ans. Nous ne
rsumerons pas cette partie encyclopdique et pdagogique au meilleur
sens du terme : sa valeur rside dans le dtail de la dmonstration
critique. Ces pages informatives cartent le prjug et la platitude.
L'on n'y enfonce nulle porte ouverte. Sont ainsi successivement
passes en revue l'influence de l'cologie (la campagne est aussi
pathogne que
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COMPTES RENDUS
la ville), de la socit industrielle, des facteurs religieux, des
groupes ethniques et familiaux. Chaque fois les divers modes
d'approches sont combins non juxtaposs l'intrieur d'une synthse
intgrative. Au bout de ce long chemin analytique vient la
rcompense, quelques chapitres originaux et profonds o se fait
entendre la rsonance humaine de toute haute vrit scientifique.
Pour mettre en place les pices disparates des recherches de
dtail, il faut les considrer distance convenable et mettre part
nvrose et psychose. A propos de la nvrose, psychanalyse et
sociologie devraient parvenir une thorie gnrale de la rptition. Je
cite une formulation brillante : Les structures sociales prsentent
des analogies formelles, indpendantes de leurs contenus diffrents,
sous la forme de conflits, de ruptures de comportements qui
pourraient tre classs selon certains types ractionnels : lorsque la
socit globale prsenterait une personne une structure analogue celle
qui a t traumatisante dans sa prime enfance, exigeant d'elle un
comportement similaire, la nvrose s'insinuerait . Ainsi la duret de
l'organisation bureaucratique peut rveiller le drame des
disciplines svres du pre.
La psychose : on sait qu'il y a des zones pathognes et que les
manifestations des psychoses changent suivant les milieux et
suivant les poques. Ici encore une rciprocit des perspectives est
souhaitable, qui considrerait tour tour la dsorganisation sociale
et la dsorganisation individuelle. Le structuralisme parat
avantageux, puisqu'il prtend intgrer le normal et le pathologique
dans un systme global et, faisant abstraction de l'origine des
troubles, situer le malade dans un ensemble collectif structur. On
ouvrirait ainsi deux voies d'tudes qui reposeraient, l'une sur la
complmentarit de l'activit symbolique des malades et des
non-malades dans les structures de la mentalit collective, l'autre
sur la complmentarit des malades et des non-malades dans les
structures de la socit globale.
Que l'on tudie l'histoire de la psychiatrie, la relation du
malade au mdecin ou la rinsertion du malade dans la socit, il
apparat que la folie n'est pas une entit naturelle. C'est le
concensus social qui dlimite les zones fluctuantes de la raison et
de la draison. Or, en tant que partie prenante du systme gnral de
la socit, les fous ne peuvent tre spars des autres dviants. La
folie est peut- tre une affectation la maladie d'une dviance qui,
affecte un autre type de comportement, serait plus dangereuse pour
la stabilit du systme. Mais la socit industrielle, notre socit, est
une socit liminatrice de dchets. Est dchet l'improductif : c'est ce
titre que le fou est dsign pour la poubelle sociale. L'ouverture
rcente des asiles est moins philanthropie que rcupration des
dviants pour l'immense machine produire.
Le critre de normalit est devenu l'utilit. Dans un monde vou la
rationalisation et la planification il n'y a plus que le fou, de
Nietzsche Artaud, pour lever une protestation. Il oppose poiesis et
techn : vainement, puisqu'au temps de la culture de masse, la
poiesis elle-mme devient techn et que, la folie tant rupture des
communications, le fou ne parle plus qu' des sourds.
L'isolement, par quoi peut se dfinir le monde du malade mental,
n'est ainsi que la traduction de ce marginalisme des valeurs
repousses et rprimes par la socit ; en ce sens, la schizophrnie est
un parfait modle de catgorie sociologique : elle offre aux hommes
la coquille qu'ils doivent scrter autour d'eux pour y maintenir, en
veilleuse, l'tat protoplasmique, les systmes de valeurs barrs. La
folie est une institution sociale. Entre le mdecin et son malade il
y a ce mdia-
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120 COMPTES RENDUS
teur, le consensus collectif qui dfinit et l'alin et sa gurison.
Le fou est l'aspect le moins important du systme de la folie.
Si l'on tourne maintenant son regard vers l'activit symbolique,
on voit que les symboles n'ont pas le mme sens chez le normal et
chez le malade ; dans le premier cas ils assurent la communication,
ils l'obstruent dans l'autre. Le schizophrne invente son lexique,
sa syntaxe, inaccessible autrui, ranon de sa rupture avec le monde
social. Mais le fou n'invente pas sa folie : il use des strotypes
symptomatologiques que lui fournit la socit. Il donne au mdecin les
signes morbides que celui-ci attend de lui. La langue du fou est
sans doute langue trangre, mais aussi langue connue et apprise :
par l le symbolisme priv se rattache au rseau du symbolisme commun.
Ce qui est priv, c'est moins le symbolisme en lui-mme que son
utilisation par le malade.
Folie et socit sont soumises ensemble aux lois de transformation
du systme global. La loi gnrale de scularisation se lit au registre
de la folie : L'asile est le couvent scularis o se clbrent les
nouvelles liturgies d'un monde qui aprs avoir chass le grand Pan
s'est attach tuer Dieu . La folie est une maladie du sacr. Les
Morts, bannis de la communaut des vivants, reviennent
clandestinement, en fantasmes dangereux. L'ogresse scularise
devient la mre dvoratrice. A moins encore que l'imaginaire ne
s'enlise dans le soma, comme semble l'indiquer la rcente
mtamorphose des symptmes morbides. Telle est la conclusion du livre
: le monde de la folie non seulement se nourrit d'images et de
signes emprunts au monde environnant, mais encore garde-t-il les
lois formelles de ce monde. Le problme du malade dans la socit est
le problme de la communaut elle-mme.
Il n'est pas facile de rendre compte d'un ouvrage au grain si
serr : nous n'en donnons que le squelette, dpouill des analyses qui
lui donnent sa force de conviction. Sauf de rares dtails
(personnellement je ne crois gure que la nvrose ait disparu en
U.R.S.S. ni qu'elle se manifeste exclusivement sous forme
somatique), faits et interprtations s'imposent puissamment, et
forment ensemble une sj^nthse qui ouvre autant de problmes qu'elle
en rsout. Ce qui en fait un modle.
Alain Besanon.
The Relevance of models for social anthropology, A. S. A.
Monographs i, Londres, Tavistock Publications ; New York, Frederik
A. Praeger, Publishers, 1965, XL + 238 p., 22,5 cm.
En juin 1963 se tenait Cambridge (G.-B.) une confrence
anglo-amricaine consacre aux Voies nouvelles en anthropologie
sociale . Quatre volumes d'essais sont issus de cette confrence et
c'est du premier que l'on rend compte ici. Sur les cinq essais qui
le composent, seuls les deux premiers traitent des problmes de
formalisation.
Ces problmes sont actuellement abords selon l'une ou l'autre des
deux perspectives suivantes : le structuralisme, tel que l'a fond
Claude Lvi-Strauss et que l'ont repris en le modifiant chacun sa
manire Edmund Leach et Rodney Needham ; la nouvelle ethnographie
amricaine de Floyd Lounsbury, Ward Goodenough, Harold Conklin, etc.
Si le courant structuraliste fait l'objet d'une
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