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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman1
Lactivit scientifique est in extenso uneoscillation du voir un
comprendre trans-cendant le voir et de ce comprendre unvoir de son
ordre. (Guillaume 1973: 18)
1. Introduction
1.1 Ladjectif-adverbe
Au sujet des liens fonctionnels entre adverbe et adjectif,
Sechehaye 1926: 64 crit:Cette classe de mots [ladverbe] joue son
gard [ lgard du verbe] le mmerle que ladjectif lgard du substantif,
et la manire nest pas autre chose quela qualit du procs [exprim par
le verbe]. Par cet nonc, lauteur souligne leparalllisme des
fonctions adjectivale et adverbiale sur le plan du contenu;
maiscest sans doute dans ce paralllisme mme que se situent lorigine
et la conditiondune certaine instabilit de ces rapports sur le plan
de lexpression.
Dans la prsente tude, nous montrons quen morphosyntaxe romane,
la dfi-nition courante des fonctions de ladjectif et de ladverbe,
que nous appellerons ladfinition standard, selon laquelle
ladjectif, variable (reconnaissable lamarque daccord), complte un
nom, et ladverbe, invariable (reconnaissable labsence dune marque
daccord), un verbe, un adjectif ou un autre adverbe, nesapplique
intgralement aucun parler roman moderne et probablement aucundes
tats en lesquels se dcompose lvolution de ce sous-systme depuis le
pro-toroman antique. Nous conservons cependant cette dfinition en
tant que repre,par rapport auquel nous pourrons caractriser les
autres dfinitions.
Tous les parlers romans prsentent des adverbes dont la forme est
identique celle de ladjectif correspondant, mis part laccord de
celui-ci avec un nom; ainsien est-il du fr. fort dans (1):
(1aa) Paul est fort(1ab) Paul chante fort(1ba) Pauline est
forte(1bb) Pauline chante fort
Nous avons affaire ici une classe bifonctionnelle
dadjectifs-adverbes, qui, envertu des critres du comparatisme
historique, reprsentent, mis part les ad-
1 Nous tenons remercier Mme Ins Fernndez-Ordez (Universit
Autonome de Madrid),M. Jan Koster (Universit de Groningen) et M.
Peter Wunderli (Universit de Dsseldorf) pourlaide quils nous ont
apporte au cours de llaboration de cet essai.
Vox Romanica 68 (2009): 1-22
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Robert de Dardel
verbes de lieu et de temps, la seule classe dadverbes qui soit
productive en proto-roman ds son origine et dun emploi encore
attest dans les parlers romans.
Historiquement, cette classe dadverbes concide avec le
nominatif-accusatifneutre singulier du latin (primum premier,
facile facile) et finit, avec la dispari-tion du genre neutre, par
se confondre avec laccusatif masculin singulier (primum,facilem),
forme laquelle se rduit, en protoroman ancien, la dclinaison de
lad-jectif masculin singulier et qui devient la forme non marque de
ladjectif roman(it. primo, facile), par opposition ses formes
marques pour les besoins de lac-cord (it. prima donna premire
femme, lavori facili travaux faciles). Ladjectif-adverbe fonctionne
donc en protoroman soit comme adjectif (montem altummont lev,
montes altos monts levs), soit comme adverbe (cantant altumils
chantent haut). Il inclut aussi bien des lexmes quantifiants
(multum beau-coup) ou identifiants (metipsimum mme) que des lexmes
qualifiants (grandemgrand).
La possibilit dune origine indo-europenne de ladjectif-adverbe,
quenvisa-geait Maurer 1959: 78 et que nous avons nagure prise en
considration (Dardel1995), nous parat aujourdhui moins plausible;
la rduction morphologique, qui ca-ractrise dune manire gnrale le
passage du latin aux parlers romans et qui a trcemment mise en
vidence plus en dtail (Dardel 2005), en rend mieux compte,sous la
forme dune rduction casuelle de ladjectif, aboutissant laccusatif
(altumet altam), et dune rduction des morphmes constitutifs de
ladverbe (faciliter facilem, alte altum et bene bonum). La question
de la gense morpholo-gique de ladjectif-adverbe et de sa prsence en
protoroman tant ainsi, notreavis, rgle, reste celle de savoir
comment sorganisent ses deux fonctions, adjecti-vale et adverbiale,
au point de vue de la morphosyntaxe, en protoroman et, par lasuite,
dans les parlers romans. Cest lexamen de ce problme quest consacr
leprsent essai. La mthode retenue est lanalyse comparative
historique.
1.2 Lhtrognit des donnes
En bonne mthode, les seules donnes sur lesquelles le
comparatiste puisse fairefond pour reconstruire le protoroman sont
celles des parlers romans. Or, en ce quiconcerne lemploi de
ladjectif-adverbe, ces donnes sont, pour lobservateur mo-derne, on
ne peut plus htrognes et scartent de diverses manires de la
dfini-tion standard. Par exemple, ladjectif-adverbe en fonction
adjectivale quantifiantenest pas toujours variable, puisquon
rencontre des drivs romans du type mul-tum annos beaucoup dannes,
et, en fonction dadverbe, il est parfois variable,puisquon trouve
des drivs romans du type quillustre (2):
(2) protoromanbonam parabolat filiamLa fille parle bien.
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
Sur ce problme sen greffe un autre: le syntagme nominal articul,
par quoinous entendons un syntagme nominal pourvu dun article ou
dun dterminant dela mme classe, qui apparat, en liaison avec un
adjectif-adverbe quantifiant ouidentifiant, tantt variable, tantt
invariable, dans des constructions romanes is-sues respectivement
des types totam illam villam et totum illam villam, signi-fiant le
village entier.
La documentation romane est htrogne galement en ce qui concerne
lachronologie. Il sy mle des lments de rgles protoromanes bien
tablies destmoins de tendances probablement passagres. ce flou des
structures morpho-syntaxiques sajoute un flou mthodologique
chronique; la mthode comparativedont nous nous servons aboutit dans
certains cas des conclusions inverses de celles auxquelles
aboutissent dautres romanistes, sur la foi de la chronologie
detextes romans anciens, ou des latinistes, sur la base de textes
latins dats.
Dans ces conditions, depuis lpoque des no-grammairiens, lexamen
des fonc-tions de ladjectif-adverbe suscite la controverse, dont
tmoigne une littraturesuivie, sur laquelle nous prendrons position
la fin de cet essai.
1.3 Le but de la prsente tude
Ladjectif-adverbe en tant que terme bifonctionnel a donc en
protoroman et en ro-man une histoire intressante, mais encore
obscure, pour ne pas dire nigmatique.
Une rflexion prolonge sur les matriaux dont nous disposons nous
aconvaincu que lexistence de ladjectif-adverbe en protoroman et son
volution enroman ne se laissent pas apprhender simplement partir de
la dfinition stan-dard, que rsume, trop schmatiquement pour nos
besoins, le principe ladjectifest au nom ce que ladverbe est au
verbe, mais que leur morphosyntaxe est rgieds lorigine, cest--dire
ds le latin global antique, par des facteurs qui nont pasencore t
systmatiquement mis en vidence. Or, nous pensons avoir trouv
unfacteur appropri chez Bally 1950, dans le critre smantique des
rapports dinh-rence et de relation, lequel se reflte secondairement
dans le critre morpholo-gique dune marque daccord grammatical
exprimant linhrence et de labsencede cette marque exprimant la
relation (pour le dtail de cette thorie, cf. 2.3.1).
Nous commenons notre essai par une analyse globale (en 2),
continuons parune analyse spcifique des adjectifs-adverbes
quantifiants et identifiants (en 3) etterminons par une critique
des approches antrieures en (4).
Deux clefs donnent accs linterprtation des exemples: les
formules qui ren-voient au classement morphosyntaxique des tableaux
A et B et les traductions etgloses incorpores aux exemples (en
2.2).
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Robert de Dardel
2. Analyse globale
2.1 Le tableau A des constructions
Dans la colonne de gauche du tableau A (classement syntaxique),
nous tablissonsun classement des constructions syntaxiques, sous la
forme de sept niveaux dana-lyse, avec, pour certaines de ces
constructions, la distinction entre adjectifs-adverbesqualifiants
(ql) et quantifiants ou identifiants (qt). Dans la colonne I (rgles
proto-romanes), nous formulons les rgles du protoroman, selon la
thorie de Bally, o ap-paratra, dans les exemples, un cart par
rapport la dfinition standard; dans la co-lonne II (rgles et
tendances romanes spcifiques), nous indiquons certains
dve-loppements romans, une flche dirige gauche signifiant le
maintien de la rgle an-trieure. Les croix en gras reprsentent des
rgles, les autres croix des rgles ou ten-dances spcifiques de
chaque parler roman. Le terme de marque concerne lac-cord en genre,
nombre et cas, y compris celui en nombre et en genre dun sujet
im-plicitement exprim par le verbe; la marque peut connatre une
ralisation zro.
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Tableau A
Classement syntaxique I. rgles protoromanes II. rgles et
tendances romanes
inhrence relation spcifiques
[+marque] [marque] [introduction dune(= accord) (= rection)
marque]
1a Proposition: attribut ql x du sujet qt x
1b Proposition: compl- ql x xment circonstanciel qt x x
2 Syntagme verbal: ql x xattribut dobjet
3 Syntagme participial ql x xqt x x
4 Syntagme nominal ql x xavec nom [+verbal]
5 Syntagme adverbial qt x x
6 Syntagme adjectival qt x x
7 Syntagme nominal ql x avec nom [verbal]Nom [articul] qta x
xNom [+articul] qtb x x
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
2.2 Exemples
Ici, les rgles du tableau A sont reprises, distingues par des
formules; ainsi, la rgleI/1a/ql renvoie, dans lensemble des rgles
de I, celle numrote 1a/ql [+marqu],illustre par lexemple (3). En
premire approximation, ces rgles sont traites comme si elles
remontaient toutes au protoroman, mme si, comme on le verra parla
suite, toutes ny remontent pas forcment. Lordre des termes ny est
pas perti-nent.
Ladjectif-adverbe adverbial tant homophone de ladjectif-adverbe
adjectivalnon marqu, dans (1aa) et (1ab), le trait [marqu] nest
explicite que dans desexemples o le terme complt par
ladjectif-adverbe est lui-mme marqu,comme dans les exemples (1ba),
[+marqu], et (1bb), [marqu].
2.2.1 Rgles I (protoroman)
2.2.1.1 Exemples [+marqu]
(3) I/1a/qlafr. (Roland, Bdier 1922: v. 814)Halt sunt li pui
[cas sujet masculin pluriel; marque zro]Hauts sont les monts.
(4) I/7/qlafr. (Roland, Bdier 1922: v. 3496)males nuveles li
aportet [cas rgime fminin pluriel][Il] lui apporte de mauvaises
nouvelles.
2.2.1.2 Exemples [marqu]
(5) I/1b/qlit. dialectal (calabrais, Rohlfs 1966-69/2:
887)cntanu biellu[Ils] chantent bien.
(6) I/1b/qtsarde (Spano 1871: 114)Sa cosa furada pagu duratLa
chose vole dure peu.
(7) I/2/qlaoc. (Schultz-Gora 1973: 174)Totas las vuelh onrar e
car tener[Je] veux toutes les honorer et chrir.
(8) I/3/qlfr. une fille nouveau-ne
(9) I/3/qtroum. (Maurer 1959: 164)foarte larg recompensaitrs
largement rcompenss
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Robert de Dardel
(10) I/4/qlaoc. (Schultz-Gora 1973: 174)cartenensaaction de
chrir quelquun
(11) I/5/qtafr. (Roland, Bdier 1922: v. 143)Vus avez mult ben
ditVous avez trs bien parl.
(12) I/6/qtafr. (Roland, Bdier 1922: v. 2243)Par granz batailles
et par mult bels sermons . . .Par de grandes batailles et par de
trs beaux sermons . . .
(13) I/7/qtait. dialectal (calabrais, Rohlfs 1937: 62)sugnu de
puocu salute[Je] suis de peu de sant.
(14) I/7/qtbafr. (Roland, Bdier 1922: v. 2642; 1968: 490, tut
est qualifi dadjectif)Par Sebre amunt tut lur naviries turnent[Les
paens] remontent lbre avec toutes leurs nefs.
2.2.2 Rgles II et tendances romanes, [+marqu]
(15) II/1a/qtaport. (Orto de esposo, Nunes 1970: 59)E tanta foy
a uirtude . . .Et si grande fut la vertu . . .
(16) II/1b/qlesp. (Hanssen 1910: 59.2, avec renvoi Cuervo
1893/2: 911, qui ne mentionne pas cetexemple, mais en cite de
nombreux autres du mme type)ella se fue derecha casa[Elle] se
rendit droit la maison.
(17) II/1b/qtaoc. (G. de Bornelh, Jensen 1986: 48)totz men cudei
laissar [accord de totz avec le sujet implicite, qui reprsente
lauteur][Je] pensais men dsister entirement.
(18) II/2/qlaoc. (G. de Bornelh, Jensen 1986: 46)e si tos dichs
no te charset si elle nestime pas tes propos
(19) II/3/qlfr. une vache frache vle
(20) II/3/qtacat. (Flos de les Medicines, XVe s.; DCVB, s.
molt)de la molta beneventurada vergede la vierge trs heureuse
(bienheureuse)
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
(21) II/4/qlfr. (toponyme, Dauzat/Rostaing 1983: 95, bonne
forteresse; [ bona warda bonumwarda (rgle I/4/ql) bonum wardn bien
garder])Bonnegarde
(22) II/5/qtacat. (Tirant, DCVB, s. molt). . . an fill de molta
poca edad[Ils] ont un fils de trs peu dge.
(23) II/6/qtafr. (Roland, Bdier 1922: v. 982)Piere ni ad que
tute ne seit neire[Il] ny a pierre qui ne soit toute noire.
(24) II/7/qtaaport. (Fabulas esopianas, Nunes 1970: 51)auia
muytos ossos[Il] y avait beaucoup dossements.
(25) II/7/qtbafr. (Roland, Bdier 1922: v. 212)Metez le sege a
tute vostre vieMettez-y le sige, dt-il durer toute votre vie.
2.3 Commentaires
2.3.1 Les rgles protoromanes
Nous commenons par quelques passages tirs de Bally 1950: 107-13,
164-74, o lauteur prcise sa thorie.
Le rapport entre sujet et prdicat ou entre dtermin et dterminant
est dinhrence ou de re-lation. Linhrence est une compntration
intime des deux termes et indique soit quunechose (le sujet)
appartient au genre dsign par lattribut (La terre est une plante),
soit quilpossde la qualit dsigne par cet attribut, proprit qui peut
tre une qualit constante (Laterre est ronde), ou un accident: tat
ou action (La terre tourne). Lexpression grammati-cale de linhrence
est laccord. . . . La relation est un rapport entre deux objets
extrieurs lun lautre, p. ex. livre et table dans Le livre sur la
table, cerise et noyau dans La cerise a unnoyau. . . . La relation
est marque linguistiquement par la syntaxe de rection.
Dans le systme protoroman que nous avons reconstruit (colonne I
du tableau A),en synchronie, tout se passe comme si tait luvre la
distinction de Bally entrele rapport dinhrence et le rapport de
relation. Les deux structures syntaxiquesqui, selon notre tableau
et nos exemples, comportent la marque daccord, savoirI/1a/ql (3) et
I/7/ql (4), sont des cas de rapport dinhrence. Les structures
res-tantes, toutes non marques, sont des cas de rapport de relation
exprims par lasyntaxe de rection; chose remarquable, ceci vaut
aussi, comme le montre le ta-bleau, pour les adjectifs quantifiants
des structures I/7/qt (13) et (14), au sujet des-
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Robert de Dardel
quels Bally prcise (173) quils sont, avec le terme quantifi, en
un rapport de re-lation. Pour la structure I/1a/qt, la construction
non marque quimpliquerait cettedernire observation de Bally nest
pas atteste dans nos matriaux (nous y re-viendrons en 2.3.2.2).
Dans lAntiquit, lpoque du protoroman initial, cest--dire
approximative-ment au moment du passage au premier millnaire de
notre re, le systme du la-tin parl tel que le comparatisme le
reconstruit prsente une certaine cohrencedans le sens de la thse de
Bally. En revanche, dans le latin des textes de la mmepoque, ft-il
qualifi de vulgaire, ce systme ne se manifeste que vaguement.Cette
constatation justifie un choix mthodologique, dont nous nous
expliquerons la fin de cet essai (en 5).
2.3.2 Les rgles et tendances romanes
2.3.2.1 Le dclin des rgles de Bally
Avec les rgles et tendances romanes (colonne II du tableau A),
on aborde lvo-lution diachronique qui fait suite aux rgles I; elle
consiste, dune part, dans laconservation des rgles I [+marqu],
constante du protoroman aux parlers romansmodernes, et, dautre
part, dans lintroduction dune marque pour toutes les struc-tures
des rgles I [marqu], selon une tendance, non pas systmatique ni
gn-rale, mais isole, dans certains parlers romans seulement. Au
cours de cette volu-tion, le systme prvu par la thorie de Bally est
donc en partie aboli.
2.3.2.2 Aspects de la chronologie
Pour reconstruire une protolangue, le comparatisme historique se
fonde entre autres sur lopposition de traits anomaux et de traits
rguliers des langues filles;les traits anomaux sont des traits
aberrants par rapport aux rgles et aux tendancesen cours et
demandent une explication, quon a des chances de trouver dans la
pro-tolangue ou dans un tat ancien des langues filles. En
loccurrence, pour le com-paratiste, la tendance, sensible dans les
exemples de 2.2.2, gnraliser la marque,sexplique par un besoin
duniformiser dans ce sens le systme morphologique, desorte que ce
sont les structures des rgles I [marqu] et ce qui en subsiste dans
lesparlers romans qui font figure danomalies et reprsentent la
situation ancienne.
Ce phnomne la tendance passer de ladjectif-adverbe [marqu]
lad-jectif-adverbe [+marqu] rsulte du besoin que, dans sa Grammaire
des fautes,Frei (1929: chap. 1) appelle le besoin dassimilation, et
plus particulirement leconformisme, qui est un procd gnral
dassimilation discursive; lauteurlillustre prcisment, entre autres,
avec laccord de ladverbe en franais, dans unefleur frache close,
une fentre grande ouverte, les nouvelles-venues, la premire-neet
elle est toute surprise (Frei 1929: 57), constructions conformes
aux rgles II/3/ql(19) et II/3/qt (2). Cette tendance sobserve aussi
ailleurs, peut-tre universelle-ment; le nerlandais actuel, par
exemple, est en train de passer du type een heel
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
goede dag, une trs bonne journe, avec ladverbe heel [marqu], au
type eenhele goede dag, o ladverbe heel est marqu, comme le serait
un adjectif.
Dans sa thorie, Bally (1950: 173, avec renvoi au 357s.) prvoit
en partie aussicette volution; ce sujet, il prsente, dans une
perspective diachronique, les consi-drations suivantes:
laccord . . . est psychologiquement un rapport plus troit que la
rection; grammaticalement,laccord est un procd plus synthtique, la
rection, un procd plus analytique. Il sensuit quelaccord entrane
plus aisment la concordance formelle que la rection. Cf. lat.
Paulus vivittranquillus et Paulus vivit Romae. Mais ce caractre
synthtique de laccord peut avoirpour effet, dans une langue porte
la synthse, le passage dune syntaxe de rection une syntaxe daccord
par voie de transposition. Le cas le plus connu est celui des
adjectifs de re-lation . . ., chaleur solaire pour chaleur du
soleil (lat. bellum punicum pour bellum contraPoenos, . . .); nous
verrons . . . que des rapports rectionnels ont la forme de laccord
dans lesdterminatifs (articles, dmonstratifs, possessifs, adjectifs
de quantit, etc.), cest--dire dansdes formes traditionnelles qui
rsistent la tendance analytique des idiomes modernes.
De toutes les rgles et tendances de la colonne II, seules les
rgles II/7/qta (24) etII/7/qtb (25) sont panromanes. Ceci, sauf
volution parallle et tardive, est un in-dice de grande anciennet,
laissant toutefois intact le principe de leur postrioritpar rapport
aux rgles correspondantes de la colonne I, I/7/qta (13) et I/7/qtb
(14).tant donn le caractre synthtique des deux constructions en
question, II/7/qtaet II/7/qtb, cette constatation rejoint et
confirme la dernire observation dans lepassage de Bally cit
ci-dessus.
Quant au contre-argument thoriquement possible dun dveloppement
paral-lle et tardif de ces deux rgles, il est rendu caduc par le
raisonnement que voici.Comme il y a dans notre corpus, pour la
catgorie II, des lacunes relatives desparlers romans spcifiques, ce
nest probablement pas un hasard si le sarde, parlerqui conserve en
gnral un tat archaque du protoroman, ne prsente dattesta-tions sres
des rgles et tendances de la colonne II que celles que nous
supposonsles plus anciennes, donc II/7/qta et II/7/qtb; les lacunes
de ce parler pour les autresrgles et tendances de II ne seraient
donc pas fortuites. Labsence dun exemple dela rgle I/1a/qt dans nos
matriaux, signale en 2.3.1, signifie probablement quajou, peut-tre
trs tt, le passage de la rection laccord, prvu dans ce cas parBally
et quillustre la construction II/1a/qt (15).
La chronologie esquisse ici est confirme par des attestation
romanes de cer-taines des rgles de I [marqu] dans des parlers
anciens ou archasants: en sardeancien, o ladverbe non marqu est
cependant le plus souvent muni dun s finalen fonction de marque
prdicative, comme dans solus (Wagner 1951: 362s.; Dar-del 2004), en
rhto-roman des Grisons (26):
(26) I/1b/qtrhto-roman des Grisons (sursilvan, Spescha 1989:
377)Ella ei tut en larmasElle est tout en larmes.
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Robert de Dardel
avec de nombreuses autres attestations de la mme rgle, par
exemple pak belapeu belle paucum (Augustin 1903: 42) et tut bluts
[anges] compltement nus(Renzi 1994: 386), en dalmate, o lon emploie
en fonction dadverbe ladjectif issude bonum (27):
(27) I/1b/qldalm. vegliote (Bartoli 1906/1: col. 285, 155)i ma
livo bonJe me lve bien (i. e. tt).
et en roumain, parler qui prsente encore aujourdhui, ct de
formations ad-verbiales qui lui sont propres, les grandes lignes de
la structure, reste productive,de ladjectif-adverbe protoroman,
quillustrent les drivs de formosum, avec unadjectif variable,
frumos/frumoas, et un adverbe invariable, frumos (28):
(28) I/1b/qlroum. frumos vorbeti[Tu] parles joliment.
La chronologie que nous postulons sur la base du tableau A est
confirme aussi,inversement, dans certaines des rgles et tendances
de II, par une distribution ro-mane diffuse, qui pourrait
sexpliquer dans chaque parler sparment et tardive-ment,
indpendamment du protoroman. Ainsi en est-il de (29):
(29) II/1b/qtesp. dAmrique et du sud de la pninsule ibrique (Ins
Fernndez-Ordez, lettre du5. 12. 2005)Mi padre me trajo puros libros
de su viajeMon pre ma seulement rapport des livres de son
voyage.
Il en est ainsi aussi de laoc. cit en (17), de lafr. bons tuez,
rgle II/3/ql, qui signi-fie que laction de tuer est bonne (Tobler
1971/1: chap. 12, 86-88) et du haut-en-gad. ps omens et psas donas
plus, II/7/qta (Augustin 1903: 49, adjektivi-sche Form).
La situation qui prvaut en roman (colonne II), o domine
lintroduction de lamarque daccord, na pourtant pas entirement
supplant labsence daccord en vi-gueur en protoroman (colonne I,
relation); il sensuit videmment quun peu par-tout les deux systmes
coexistent et sont sans doute sentis par le sujet parlantcomme
variantes lun de lautre. propos de lexemple espagnol (16),
comportantladverbe [+marqu] derecha, Hanssen 1910: 59.2 signale que
la mme phrase sedit aussi, dans (30), avec ladverbe [marqu]:
(30) I/b/qlella se fu derecho casaElle se rendit directement la
maison.
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
En rsum, le contraste en diachronie entre les traits I [marqu]
et les traits II[+marqu] exprime une situation o la tendance gnrale
consiste tendre lechamp de la marque de laccord la rection; on peut
donc dire que la rection[marqu] est une forme romane anomale,
tandis que la rection [+marqu] des r-gles et tendances de II
sexplique par la tendance volutive dcrite par Bally et parles
besoins systmatiss chez Frei.
2.3.2.3 La redistribution des marques et laltration
Par rfrence au principe de lisomorphisme entre expression et
contenu, formulchez Martinet 1963: 42 en ces termes: chaque
diffrence de sens correspondncessairement une diffrence de forme
quelque part dans le message, et par r-frence limage saussurienne
de la feuille de papier dont les deux faces figurentle signifiant
et le signifi, lesquels restent congruents quelle que soit la
manire dela dcouper (Saussure 1949: 157), on sattend ce que, dans
le systme rgissantla rection et laccord, la morphologie et la
syntaxe voluent paralllement. Dupoint de vue de la langue, envisage
en synchronie, en tant que systme de valeurs,tel nest le cas que
sous condition. Dans par exemple II/5/qt (22), acat. de moltapoca
edad, de trs peu dge, si poca sexplique, selon la rgle II/7/qta
(24), commeadjectif variable dans la thorie de Bally, molta, au
contraire, conserve la fonctiondun adverbe dterminant poca, selon
la rgle II/6/qt (23). Inversement, dansI/7/qtb (14), si lafr. tut
dans tut lur naviries turnent est adjectif, comme le dit ldi-teur
et comme le confirme sa traduction, labsence de marque, en
infraction ladfinition standard, reste pourtant conforme aux rgles
tablies par Bally. Demme, dans le syntagme nerlandais een hele
goede dag une trs bonne journe,cit en 2.3.2.2, ladverbe hele,
prsent avec la forme dun adjectif [+marqu], nena pas le sens, qui
serait entier, mais celui de ladverbe heel [marqu], trs. Cequi,
dans le sous-systme ltude, nous fait leffet dune entorse aux
principessaussuriens cits plus haut, cest le fait que les exemples
en question ressortissent la parole, envisage en diachronie, et
reprsentent la notion saussuriennedaltration, i. e. de dplacement
du rapport entre le signifi et le signifiant,processus volutif o ce
qui domine . . ., cest la persistance de la matire an-cienne
(Saussure 1949: 109, citant lancien allemand dritteil le tiers
allemandmoderne Drittel; les recherches rcentes sur les textes de
Saussure, notammentdans Saussure 2002, confirment que laltration
est une pice matresse dans saconception de la mutabilit du signe).
Laltration ainsi dfinie laisse donc intactsles principes de
lisomorphisme et des valeurs du signe.
Comme, dans chacun des parlers romans, pour les mmes structures
syn-taxiques, on observe la prsence simultane de variantes avec et
sans marque (cf.I/2/ql et II/2/ql, propos de laoc. car/cars, et
I/7/qtb et II/7/qtb, propos de lafr.tut/tute), nous y supposons une
certaine instabilit du systme des marques et in-clinons penser que
leur redistribution est lie, au moins en partie, ce quil sagitde
faits de parole plutt que de langue. la suite de Saussure, qui
sparait m-
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Robert de Dardel
thodiquement les points de vue synchronique de diachronique
(Saussure 1949:119), Guillaume, trs proche de lui sur des points
essentiels, a pourtant postulavec insistance et dcrit, entre les
systmes de langue synchroniques successifs, lerle de la parole,
quil nommait discours, dont il a maintes fois voqu les
par-ticularits diachroniques et, long terme, les effets par
fixation en langue. Dans undocument de sa main, intitul Systme et
diachronie des systmes, Guillaume1973: 106-7 crit:
Dans la pense de Saussure, les deux images dominantes sont
celles du temps qui scoule etde linstant qui sarrte, et immobilise.
[Ici: un schma du temps, symbolis par une ligne lon-gitudinale,
coupe de lignes transversales, qui symbolisent les instants.] Cette
vision profondereste, en la matire, un peu sommaire. Car la
systmatisation, rapporte par Saussure chaqueinstant immobilis dans
la marque longitudinale du temps, nest pas instantane: elle a
de-mand, elle demande et, puisquelle est changeante, demandera du
temps, tout de mme quele procs inverse de dsorganisation partir
duquel elle opre.
Suivant ce modle, la redistribution des marques quon devine
derrire nos exem-ples, flottante comme elle est et stalant sur un
ou deux millnaires, pourrait biense ramener des faits de parole, au
nombre desquels des fautes au sens de Frei(cest--dire suscites par
des besoins), retenues et l dans les documents ro-mans et attestant
sur laxe du temps le stade de la dsorganisation entre le
systmeprotoroman, que nous supposons organis, et les divers systmes
romans en voiedorganisation ou dj organiss. Cest pourtant le lieu
de prciser, comme le faitP. Wunderli (lettre du 17. 5. 2008), que
les faits de parole, racines de toutes les in-novations, ne sont
quun tat transitoire initial, et que, quand ces phnomnessont
grammaticaliss, ils quittent le domaine de la parole et montent, en
passantpar la norme (dans le sens de Coseriu), au niveau de la
langue.
2.3.2.4 Un aspect typologique: lchelle de laccord
Fernndez-Ordez 2006-7 explore la diachronie linguistique romane
sous langle de la chronologie et de la hirarchie selon lesquelles,
en fonction de plu-sieurs critres (telles la classe des mots et
leur position), certaines volutions seralisent. Elle observe, ce
faisant, des chelles analogues entre parlers romans etaussi entre
des parlers romans et des langues non romanes, ce qui la conduit
yvoir un phnomne typologique, prsentant une certaine gnralit, mais
sans ori-gine commune ncessaire.
Cette collgue, qui a eu sous les yeux une version antrieure du
prsent essai, yrelve (lettre du 5. 12. 2005), dans cette
perspective, une chelle de laccord, quispcifie lordre chronologique
du passage de ladjectif-adverbe dune construction[marqu] la
construction [+marqu] correspondante; cette chelle se laisse
for-maliser selon la classe de mots (nom adjectif), selon la
position syntaxique (po-sition intrieure du syntagme nominal
attribut prdicat) et selon le type dad-jectif-adverbe (qualifiant
quantifiant et identifiant). Cette constatation de sa
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
part nous parat rejoindre, par une approche videmment un peu
diffrente et plusconcrte, mais galement un niveau danalyse gnral et
interlinguistique, les r-sultats obtenus ici partir de la thorie de
Bally.
En roman mme, seule une analyse beaucoup plus dtaille, que nous
navonspas entreprise, permettrait de situer avec quelque prcision,
dans la chronologie,chacun des changements de rgle.
2.3.2.5 Aboutissements spcifiques
Au niveau des rgles et tendances de II, nous trouvons dans les
parlers romans,ralise localement, une situation o tout
adjectif-adverbe tend tre marqu,sans gard sa fonction adjectivale
ou adverbiale; on y assiste au triomphe de lac-cord, mme l o dans
lanalyse selon la dfinition standard on verrait un adverbe,par
exemple dans II/1b/qt (17). Ce phnomne a t mis en vidence par
Rohlfs1966-69/2: 887; effectivement, en Italie mridionale, peut-tre
sous linfluence dugrec, il semble bien que se soit perdue jusqu la
notion dune opposition adjec-tif/adverbe, car laccord y est
systmatique, mme entre un complment circons-tanciel et un sujet
implicite, comme dans (31):
(31) II/1b/qlItalie mridionale (Rohlfs 1966-69/2: 886)facciamo
lteFaisons vite. (dit par des femmes dans la langue parle
daujourdhui)
Lexistence de ce phnomne est confirme, du point de vue de la
linguistique g-nrale, par Karlsson (1981: 16): in very few
languages is the form of the adverbtotally indistinguishable from
that of the adjective. In such atypical languages,word order will
provide clues.
Au niveau des rgles et tendances II, dans la Romania
continentale continue, doncsans le roumain, ladjectif-adverbe hrit
du protoroman ne reste productif que danssa fonction adjectivale.
Dans sa fonction adverbiale, il cesse dtre productif, proba-blement
ds avant lapparition des parlers romans concerns, qui nen
conserventplus gure quune distribution grammaticale limite et des
tours figs. En espagnol,selon Rainer 1993: 688, 6.1.3, lemploi
adverbial dadjectifs se produce con un nmero reducido de adjectivos
en relacin con muy determinados verbos.
Aprs la simplification morphologique selon les rgles et
tendances de II, quisupprime en bonne partie la distinction
formelle entre les deux fonctions de lad-jectif-adverbe, sinon
toutes, la drivation adverbiale avec -mentem introduit
uneexplicitation de cette diffrence fonctionnelle. Logiquement, en
Italie mridionale,en dalmate et en roumain, o ladverbe en -mentem
ne sest pas implant, ladjec-tif-adverbe protoroman se maintient
avec ses deux fonctions, sauf, comme nous ve-nons de le signaler,
en ce qui concerne leur fusion en Italie mridionale.
En fin de compte, la dfinition standard ne semble sappliquer
systmatiquementni la situation en protoroman, ni celle qui se
dessine dans les parlers romans.
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Robert de Dardel
3. Analyse du cas spcial des quantifiants et identifiants
En 2, nous avons prsent une vue globale de la morphosyntaxe des
adjectifs-ad-verbes, comportant leur rpartition dans le temps, en
protoroman et en roman, selon le critre de labsence ou de la
prsence dune marque exprimant respecti-vement la rection et laccord
dans la thorie de Bally. Il sen est dgag un en-semble de
constructions, tendant dans les grandes lignes passer de la rection
enprotoroman laccord en roman, mais qui semble, par la mise au jour
dune chellechronologique ordonne des accords, rejoindre des
observations au niveau detraits typologiques ou universels.
Reste pourtant un sous-ensemble de constructions, lorigine
rectionnelles, necomportant que des adjectifs-adverbes quantifiants
et identifiants, qui, vu la com-plexit de leur volution, doivent
faire lobjet dune analyse distincte; il sagit desstructures I et
II/7/qt du classement syntaxique du tableau A. Lanalyse sera
pro-pose en premier lieu pour ladjectif-adverbe totum, dont la
frquence demploiet labondance dattestations romanes offrent laccs
le plus ais la descriptionet lexplication historiques (3.1). Les
autres lexmes de cette catgorie serontabords brivement ensuite
(3.2).
3.1 TOTUM et OMNEM
3.1.1 Esquisse diachronique
Lhistoire de totum est insparable de celle de ladjectif omnis,
laquelle elle estlie par certains traits smantiques propres la
fonction adjectivale de ce groupe, savoir, au singulier, le sens
discontinu-distributif, quillustre en franais chaquevillage, et le
sens continu, quillustre le village entier, au pluriel, le sens
discontinu-collectif, quillustre tous les villages.
Au dbut, dans la phase 1 du tableau B, en croire les
attestations romanes, no-tamment sardes et italiennes, ladjectif
omnis et ses drivs ont, comme en latinclassique, un sens
discontinu-distributif au singulier (omnem villam, ancien sardein
omni opera dans chaque jour de travail, it. ogni giorno chaque
jour), un sensdiscontinu-collectif au pluriel (omnes villas, ancien
sarde omnes sanctos prophe-tas tous les saints prophtes) et, au
singulier, en plus, un sens continu, dj pr-sent en latin crit, qui
fait encore surface en ancien sarde (cun omnia pertinenthiaissoro
avec toute leur dpendance, Monaci 1955: t. 16,9, o omnia
fonctionnecomme fminin singulier) et en italien (omne mia fidanza
toute ma confiance,Monaci 1955: t. 33, III,1; ogni lor virt toute
leur vertu, M.-L., 3,729). Ltymo-logie de ce quantifiant nest pas
encore assez bien tablie pour quon puisse ad-mettre sans rserve
quil y a accord tardif, au singulier, selon la rgle II/7/qta.
La phase 2, o apparat totum, soulve un problme danalyse
syntaxique et declassement: si le type totum villam est un syntagme
nominal relevant de la rgle
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Tableau B
Phase adjectif adverbe
singulier pluriel
1 I/1b/qt
omnem villam omnes villas videt totum illam
villam(discontinu-distributif) (discontinu-collectif) videt totum
illas villaschaque village tous les villages entirement
(continu)le village entier
2 I/7/qtatotum villam(continu)le village entier
3 II/7/qta II/7/qta
totam villam totas villas(discontinu-distributif)
(discontinu-collectif)chaque village tous les villages
(continu)le village entier
4 I/7/qtb I/Ib/qt
totum illam villam [videt] totum illam (continu) villamle
village entier
totum illas villas [videt] totum illas(discontinu-collectif)
villastous les villages
5 II/7/qtb II/7/qtb
totam illam villam totas illas villas(continu)
(discontinu-collectif)le village entier tous les villages
La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
I/7/qta, totum a une fonction adjectivale et, daprs les
tmoignages romans, lesens continu de entier. Si totum villam fait
partie dun syntagme verbal du typevidet totum villam, totum peut
avoir une fonction adverbiale et signifier enti-rement; le problme
se pose dans (32), qui admet deux interprtations:
(32) I/7/qtacat. moderneHe corregut tot Catalunya[J] ai parcouru
toute la Catalogne.[J] ai entirement parcouru la Catalogne.
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Robert de Dardel
Nous navons trouv, dans les rares exemples du type de la phase
2, aucune attes-tation dun sens autre que le sens continu.
Dans la phase 3, avec laccord, totum se substitue omnem pour les
trois fonc-tions que cet adjectif-ci assume dans la phase 1:
discontinue-distributive au singu-lier (totam villam, it. tutta
citt toute ville, M.-L., 3, 165), discontinue-collectiveau pluriel
(totas villas, aport. armado de todas armas, M.-L., 3, 165; ancien
sardetotas billas tous les villages) et continue au singulier
(totam villam, ancien sardetotta corona toute lassemble des juges,
afr. toute nuit toute la nuit, M.-L., 3,165).
Jusquici, totum, comme adjectif-adverbe en fonction adjectivale,
donc dans unsyntagme nominal, se joint un nom [articul] au
singulier, selon la rgle I/7/qta.Pendant ce temps, au niveau de la
proposition, la fonction adverbiale est rguli-rement exprime par
totum invariable et de sens continu, entirement, selon largle
I/1b/qt, soit en protoroman, (33a) et (33b):
(33a) I/Ib/qtvidet totum illam villam[Il] voit le village
entirement.
(33b) I/Ib/qtvidet totum illas villas[Il] voit les villages
entirement.
soit en roman, (34) et (35):
(34) I/1b/qtcat.erem tot orelles[Nous] tions tout oreilles.
(35) I/1b/qtroum. (DLRM, s. tot adv.)Tot n-a murit mtu-meaMa
tante nest pas encore (litt. entirement) morte.
Dans la phases 4, totum adverbe subit une altration (cf.
2.3.2.3), en passant du ni-veau de la proposition, o il signifie
entirement, celui du syntagme nominal[+articul], o il est adjectif,
sans pourtant recevoir de marque daccord; dans cetteposition, il a
le sens continu au singulier ([videt] totum illam villam, sarde
mo-derne totu sacqua toute leau, Rohlfs 1937: 35) et le sens
discontinu-collectifau pluriel ([videt] totum illas villas et
[videt] illas villas totum, ancien sardetoctu sos saltos tous les
bois; il en va de mme dans (36):
(36) I/7/qtbancien sarde (M.-L., 3: 494, sans rfrence)appo vistu
sas femnas todu[J] ai vu toutes les femmes.
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
Ainsi, totum devient, pour la fonction, un constituant immdiat
du syntagme no-minal, selon la rgle I/7/qtb, interprtation confirme
par le fait que ce syntagmepeut tre introduit par une prposition,
comme dans (37):
(37) I/7/qtbancien sarde (Condaghe di S. Pietro di Silki,
Lazzeri 1954: t. I.21.a, l. 22, p. 110, cf. N10)et ego pettilila a
tottu frates suoslitt. Et moi [le prtre] la [la serve] lui [ I. de
V.] demandai, (et) tous ses frres. [?]
Des matriaux romans se dgage limpression que la rgle relative au
nom [+arti-cul] (I/7/qtb), lie linstauration progressive de
larticle dfini, tend supplan-ter le nom [-articul] correspondant
(I/7/qta), tout en en conservant le sens continuau singulier. En
fait, la structure opposant, dans les phases 3 et 4, les syntagmes
is-sus respectivement des fonctions adjectivale (totam villam) et
adverbiale (totumillam villam) de totum est atteste dans deux des
parlers romans les plus archa-sants que sont le sarde (exemples
ci-dessus) et le rhto-roman des Grisons, o, se-lon Augustin (1903:
46), totum saccorde avec un nom [-articul], totas kumnastoutes les
communes (II/7/qta), mais reste invariable avec un nom [+articul],
totlas sairas tous les soirs (I/7/qtb). En fin de compte, totum,
comme adjectif-adverbe quantifiant invariable, se trouve, dans la
phase 4, insr dans un syntagmenominal, o il revt, malgr labsence de
marque, une fonction syntaxique adjecti-vale, en infraction donc la
dfinition standard, mais en accord avec la thorie g-nrale de Bally
(2.3.1), ainsi quavec la dfinition de laltration selon
Saussure(2.3.2.3).
Dans une cinquime phase, enfin, avec totum [+marqu], la rgle
II/7/qtb rta-blit la marque prvue par Bally pour lvolution
morphosyntaxique de ladjectif-adverbe quantifiant (2.3.2.2), au
singulier et au pluriel (totam illam villam ettotas illas villas,
aoc. tota lonors tout le domaine, Schultz-Gora 1973: 176;it. tutta
la citt la ville dans son intgrit, tutti gli uomini les hommes dans
leur to-talit, tous les hommes, M.-L., 3: 165; roum., avec larticle
postpos au nom, tottrupul tout le corps, toat apa toute leau, toat
ziua tout le jour, DLRM, s. totadv.).
3.1.2 La documentation minimale de la rgles I/7/qta
Toute lvolution de ladjectif-adverbe dcrite dans la prsente tude
saccom-pagne de lintroduction, puis de la gnralisation de larticle
et dautres dtermi-nants, le plus souvent antposs au nom, larticle
dfini ntant postpos quen rou-main. De ce fait, on rencontre dans le
corpus dexemples romans, en fonction dad-jectif continu, la fois le
type archaque tot Catalunya et le type courant toute laFrance,
ainsi que, dans la rgle rhto-romane rapporte plus haut (3.1.1), en
fonc-tion dadjectif discontinu-collectif, la fois totas kumnas et
tot las sairas.
Voici les quatre types de construction possibles en termes de
traits [marqu]et [articul]:
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Robert de Dardel
(i) I/7/qta [marqu], [articul] totum villam(ii) II/7/qta
[+marqu], [articul] totam villam(iii) I/7/qtb [marqu], [+articul]
totum illam villam(iv) II/7/qtb [+marqu], [+articul] totam illam
villam
Lvolution quils illustrent suggre deux explications. Selon la
premire, il y apeut-tre lorigine une rgle concernant la
dtermination du nom, car, dans lesnombreux exemples romans du
syntagme nominal avec totum, la construction (i)est atteste, mais
extrmement rare, comme dans le catalan He corregut tot Cata-lunya,
I/7/qta, de lexemple (32), avec linterprtation adjectivale de
totum; nousen concluons que, ds une date recule, le nom doit, en
rgle gnrale, tre ac-compagn dun dterminant qui en prcise les traits
grammaticaux et quen lab-sence dun tel dterminant, dans le type
(ii), cest totum [+marqu] qui assume cette fonction; les exemples
rhto-romans cits en 3.1.1 nous paraissent confirmerces vues. Selon
la seconde explication, en recourant la thorie de Bally, on
peutcomprendre que le type (i), trs synthtique, ait adopt laccord,
en (ii), plus rapi-dement que ne la fait le syntagme moins
synthtique du type (iii), en adoptantlaccord, dans le type (iv).
Ces deux explications ont pu tre dterminantes en com-binaison. Nous
ne voyons pas dautre moyen de rendre compte de la frappante raret
documentaire de (i).
3.2 Les autres lexmes ressortissant aux classes des quantifiants
et des identifiants
Totum, le plus frquent des adjectifs-adverbes quantifiants, est
aussi le mieux at-test; il nous permet de suivre dans le dtail
lvolution des lexmes soumis lori-gine la syntaxe de rection. Pour
les autres quantifiants et les identifiants, moinsfrquents, moins
bien attests et au parcours moins connu, parmi lesquels ipse,
me-dium, metipsimum, minus, plenum, purum, solum et summum, valent
probablement,dans les grandes lignes, la mme description et les
mmes explications; nous disonsdans les grandes lignes, parce quen
vertu de diffrences smantiques entre ceslexmes, il semble exister
aussi quelques variantes qui ne se sont pas prsentesavec totum.
Dune manire gnrale, est conforme ce quon observe propos de
totumlinvariabilit de ladjectif-adverbe en fonction adverbiale
jusque dans les parlersromans modernes, puis son passage tardif
ventuel la forme marque. Par ail-leurs, la conformit avec la
syntaxe de totum se rencontre dans des exemples re-fltant encore la
rgle I/7/qta, tel (38):
(38) I/7/qtabas-engad. (Augustin 1903: 49)Main ufants main
fastidisMoins [il y a d] enfants, moins [il y a de] soucis.
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
ainsi que les rgles I et II/7/qtb (afr. meisme le jour le mme
jour, M.-L., 3: 729).Sont galement conformes aux rgles de totum la
possibilit dintroduire le syn-tagme nominal par une prposition
(afr. par esse la charrire par le mme cheminM.-L., 3: 729) et la
libert de position de ladjectif-adverbe en fonction adverbialeou
drive dadverbe devant ou derrire le syntagme nominal, comme
lillustrentrespectivement les exemples (35) et (36). La raret de la
construction I/7/qta, si-gnale propos de totum (3.1.2), caractrise
aussi les autres quantifiants et lesidentifiants.
Et voici deux aspects de la non-conformit de totum avec les
autres termes ltude. La libert positionnelle de ladverbe ou du driv
dadverbe dans lesconstructions rgies par la rgle I/7/qtb, que nous
venons de citer, ne semble pastre exploite smantiquement avec
totum; mais elle peut ltre avec dautreslexmes; Gamillscheg 1957: 29
postule, avec lidentifiant ipse, les types proto -romans ipse ille
homo derselbe Mensch/ille homo ipse der Mensch selbst, se-lon un
schma squentiel dont on retrouve le reflet dans les parlers romans,
parexemple en franais, dans le mme homme/lhomme mme, le seul
homme/lhommeseul. Enfin, la squence adjectif-adverbe + dterminant +
nom, normale avec to-tum, subit souvent une inversion des deux
premiers termes avec les autres quanti-fiants et les identifiants
(afr. meisme le jour le mme jour fr. moderne le mmejour).
4. Critique des thses antrieures
Les recherches traditionnelles ne dpassent gure la collecte de
faits isols, glansdans des textes anciens, des grammaires
historiques et des dictionnaires, chacundes parlers romans tant
envisag sparment et dans une perspective historiquefonde sur les
textes anciens, dont la pertinence pour la localisation et la
chrono-logie est souvent trompeuse. Seuls les comparatistes de
lpoque no-grammai-rienne parviennent imprimer aux recherches une
approche densemble plus so-lide, fonde sur des donnes panromanes
classes, compares et analyses.
Les vues les plus prometteuses se prcisent alors propos de
quelques pro-blmes romans o se fait jour une certaine cohrence
interromane. Aussi est-ce aucomparatiste Meyer-Lbke (1890-1906/3:
137, 173-75; 165, 203-04; 729, 812)quest emprunt lessentiel de
notre 3.1.1; et cest dj lui qui, suivi par quelquesautres
romanistes (Heise 1912 et Maurer 1959: 163-65), estime que
lvolution deladjectif-adverbe consiste majoritairement en un
remplacement de structures nonmarques par des structures marques,
peu prs comme le reprsente notre tableau A. Pendant ce temps,
dautres chercheurs, surtout parmi les latinistes, pren-nent le
contre-pied de ces vues. Richter (1909: 145) sappuie sur le latin
crit plu-tt que sur lanomalie des donnes romanes ou sur le
protoroman; tous les lexmesqui entrent ici en ligne de compte
(solus, purus, etc.) tant, comme totus, attes-ts en latin sous la
forme dadjectifs [+marqu] en fonction adverbiale, elle estime,
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Robert de Dardel
la diffrence de Meyer-Lbke, que cest au contraire le type marqu
qui est leplus ancien. Cette chronologie-ci est adopte aussi, avec
des arguments du mmeordre, par Andersson 1954: 106-13; 1961: 5 et
Gamillscheg 1957: 60-61.
5. Remarques finales sur la mthode
Les deux interprtations qui se dessinent en 4 sont
incompatibles: le latin parl quereprsentent le protoroman et les
parlers romans, dune part, et le latin des textes,dautre part,
appartiennent ds lAntiquit des normes diffrentes, ce dont beau-coup
de chercheurs nont pris conscience que tardivement. En outre, le
protoro-man reconstruit est un fait de langue, tandis que le latin
crit, notamment vul-gaire, est avant tout un fait de parole.
Cette incompatibilit sexplique par lhistoire des recherches
latino-romanes.En gros, au XXe sicle, nombre de chercheurs, surtout
des latinistes, taientadeptes du modle dit de la successivit,
cest--dire pensaient que, puisque lesparlers romans apparaissent
aprs le latin crit antique et tardif, ils sont ipso factoissus du
latin crit. Dautres chercheurs, cependant, notamment des
romanistes, sesont douts que, selon un modle dit de la simultanit,
les parlers romans sontissus ds lAntiquit du latin parl, qui
existait cte cte avec le latin crit; les re-cherches, dont lexpos
mnerait trop loin (cf. Dardel 1996: ch. 1), tendent en ef-fet
montrer que les traits romans les plus anciens dont il est avr
quils refltentle protoroman remontent au moins au premier sicle
avant notre re (Dardel1985); aussi estimons-nous quen bonne mthode
le modle de la successivit doitcder la place celui de la
simultanit. Les rsultats divergents ou contradictoiresque nous
venons dpingler sont en partie imputables lapplication combine
deces deux modles.
Toutefois, le comparatisme historique appliqu selon le modle de
la simulta-nit ne suffit pas, dans le cas prsent, pour dcrire et
expliquer la morphosyntaxedes adjectifs-adverbes en protoroman et
en roman. Si lhypothse difie ici sur lecritre des rapports
dinhrence et de relation et du besoin de conformisme per-met de
faire avancer les choses ce qui semble tre le cas cest qutait
nces-saire au pralable une rflexion thorique approfondie (dans
lesprit du texte plac en exergue), valable en synchronie et en
diachronie et invitant des pro-longements typologiques, comme celle
que nous offrent Bally et Frei. Cest donc,dans ce cas, grce un
retour de la pense sur elle-mme que pourraient tre relances les
recherches sur le terrain.
Groningue Robert de Dardel
20
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La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman
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