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LIPSET ET LES CONDITIONS DE LA DÉMOCRATIE Jean-Louis Thiébault De Boeck Supérieur | « Revue internationale de politique comparée » 2008/3 Vol. 15 | pages 389 à 409 ISSN 1370-0731 ISBN 9782804157579 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2008-3-page-389.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jean-Louis Thiébault, « Lipset et les conditions de la démocratie », Revue internationale de politique comparée 2008/3 (Vol. 15), p. 389-409. DOI 10.3917/ripc.153.0389 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque et Archives nationales du Québec - - 198.168.27.218 - 12/11/2015 23h54. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque et Archives nationales du Québec - - 198.168.27.218 - 12/11/2015 23h54. © De Boeck Supérieur
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Feb 02, 2016

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Sacha Gabilan

Le thème essentiel du travail et de la réflexion de Seymour Martin Lipset a porté sur les conditions de la démocratie. Sa contribution à l’étude des conditions poli- tiques et économiques de celle-ci a été fondamentale. Certes, il avait une définition très étroite de la démocratie. Mais ses réflexions sur l’importance du développe- ment économique, du changement culturel et de la légitimité comme facteurs essen- tiels du succès et de la longévité de la démocratie ont exercé une influence durable sur la politique comparée, en particulier sur les discussions à propos des processus de transition vers la démocratie.
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Page 1: RIPC_153LIPSET ET LES CONDITIONS DE LA DÉMOCRATIE

LIPSET ET LES CONDITIONS DE LA DÉMOCRATIEJean-Louis Thiébault

De Boeck Supérieur | « Revue internationale de politique comparée »

2008/3 Vol. 15 | pages 389 à 409 ISSN 1370-0731ISBN 9782804157579

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2008-3-page-389.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jean-Louis Thiébault, « Lipset et les conditions de la démocratie », Revue internationale depolitique comparée 2008/3 (Vol. 15), p. 389-409.DOI 10.3917/ripc.153.0389--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 15, n° 3, 2008 389

LIPSET ET LES CONDITIONS DE LA DÉMOCRATIE

Jean-Louis THIÉBAULT

Le thème essentiel du travail et de la réflexion de Seymour Martin Lipset a portésur les conditions de la démocratie. Sa contribution à l’étude des conditions poli-tiques et économiques de celle-ci a été fondamentale. Certes, il avait une définitiontrès étroite de la démocratie. Mais ses réflexions sur l’importance du développe-ment économique, du changement culturel et de la légitimité comme facteurs essen-tiels du succès et de la longévité de la démocratie ont exercé une influence durablesur la politique comparée, en particulier sur les discussions à propos des processusde transition vers la démocratie.

Le thème essentiel du travail et de la réflexion de Seymour Martin Lipset aporté sur les conditions, les valeurs et les institutions de la démocratie, à lafois aux États-Unis et de manière comparative. C’est essentiellement à partirde la publication de son article en 1959 1, mais aussi de son ouvrage publiéen 1960 2, que Lipset s’est davantage intéressé à la question de la démocratie.

C’est encore plus vrai depuis le début de la troisième vague de démocra-tisation, décrite par Huntington. Il a participé activement au mouvement pro-pre aux États-Unis, visant à renforcer les institutions démocratiques à traversle monde, à travers des organisations non gouvernementales. En effet, l’idéeest apparue au début des années 1980 de la nécessité pour les États-Unisd’assister les efforts visant au développement ou au renforcement de la démo-cratie, en disant que ces efforts seraient bons pour les États-Unis, mais aussipour tous ceux qui luttent pour la liberté et la démocratie à travers le monde.La création du National Endowment for Democracy (NED) visait à remplircet objectif. Lipset a appuyé cette démarche. Il a montré qu’à travers l’histoireaméricaine, des militants pour la démocratie ont regardé vers les États-Uniscomme source d’assistance à la fois idéologique et matérielle. Il a participéactivement au développement du Journal of Democracy, créé en 1990 qui

1. LIPSET S.M., « Some Social Requisites of Democracy, Economic Development and Political Legi-timacy », American Political Science Review 53, 1959, p. 69-165.2. LIPSET S.M., Political Man : The Social Bases of Politics, Baltimore, Johns Hopkins University Press,2nd ed., 1981, p 439 (original work published in1960).

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est devenu l’une des revues les plus influentes dans l’analyse des régimes etdes mouvements démocratiques à travers le monde.

Le dernier ouvrage qu’il a publié, The Democratic Century, en collabo-ration avec son assistant de recherche à George Mason University, Jason M.Lakin, portait sur cette question de la démocratie. Ce livre était basé sur troisconférences que Seymour Martin Lipset donna à l’Université d’Oklahomaen 1996 dans le cadre des Julian J. Rothbaum Distinguished Lecture Series.Les thèmes de ces trois conférences portaient sur les conditions de la démo-cratie, la démocratie en Amérique latine et le rôle de George Washington.Lipset avait le projet de transformer ces conférences pour écrire un livre.Mais le manuscrit n’était pas terminé, lorsqu’en mai 2001, il fut victime d’uneattaque cardiaque. C’est Jason M. Lakin seul qui a terminé le manuscrit, sansque Lipset puisse relire le produit fini.

Il est donc important dans ce numéro de la RIPC de revenir sur le sujetqui a animé tout son travail de recherche depuis les années 1950 : les con-ditions de la démocratie. Il faut retourner aux textes de Lipset, dans lesquelsil s’interrogeait sur le rôle de l’économie, de l’éducation, de la religion, dela culture et de la légitimité dans l’émergence et le maintien de la démocra-tie. Mais auparavant, il faut faire un détour par la définition de la démocratieproposée par Lipset.

La définition de la démocratie par Lipset

Au début du chapitre 2 de son ouvrage L’Homme et la Politique, Lipsetdéfinissait la démocratie comme « un système politique qui, à l’intérieurd’un complexe social, permet le renouvellement légal du personnel diri-geant, et comme un mécanisme social qui permet à une très grande partie dela population d’exercer une influence sur les décisions importantes en choi-sissant les responsables » 3.

Dans le chapitre 1 de son dernier livre, The Democratic Century, il mar-quait sa préférence pour une définition minimale de la démocratie : unarrangement institutionnel d’après lequel tous les individus adultes ont lepouvoir de voter, à travers des élections concurrentielles, libres et loyales,pour choisir le chef de l’exécutif et les membres du parlement. Lipset sesituait aux côtés de ceux qui présentaient une définition minimaliste de ladémocratie, notamment Joseph Schumpeter, contre ceux qui en présentaientune définition maximaliste. En pensant la démocratie dans ces termes, ilreconnaissait explicitement sa dette à l’égard de Joseph Schumpeter 4. Écri-

3. LIPSET S.M., L’Homme et la Politique, Paris, Édition du Seuil, collection Esprit, 1963, p. 57, (traduc-tion française de Political Man, New York, Doubleday and Co, 1960).4. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., The Democratic Century, University of Oklahoma Press, 2004, p. 19.

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vant à un moment où la démocratie était gravement menacée, ce dernier pré-sentait une conception « réaliste » et, dans un certain sens, minimale de ladémocratie. Selon les termes de Schumpeter, « la méthode démocratique estle système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequeldes individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issued’une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple » 5.

Ainsi pour Lipset, la démocratie est un système de droits politiques, quispécifie comment les autorités politiques doivent être désignées au plus hautniveau dans un régime politique. Sa conception mettait l’accent sur la com-pétition pour les fonctions politiques, comme trait essentiel de la politiquedémocratique. Comme il le disait un peu plus loin dans son ouvrage, les élec-tions expriment la « lutte des classes démocratique ».

En s’affirmant dans la tradition de Schumpeter, Lipset était, à ce moment-là, presque seul. Plus tard, dans un autre ouvrage influent de cette tradition,Robert A. Dahl 6 identifiait la compétition politique comme l’une des deuxpropriétés définissant la polyarchie (ou la démocratie). Dans la période posté-rieure à la seconde guerre mondiale, durant les années 1950 et 1960, le modèlecompétitif de la démocratie apparaissait comme une conception post-totali-taire, en réaction aux régimes totalitaires, national-socialiste et stalinien, desannées 1930 et 1940. Mais ce modèle a fait l’objet de critiques importantesà la suite des années 1960.

La conception classique de la démocratie professée par Joseph Schum-peter a été attaquée pour ne pas aborder suffisamment la question des liber-tés civiles et politiques. Cette définition ne faisait aucune mention de laliberté de parole ou de la liberté d’association. Elle a aussi été critiquée pourlimiter la démocratie à la sphère du politique plutôt que de s’intéresser aussià la démocratie économique et sociale. Lipset rejetait ces accusations etconsidérait qu’on pouvait extrapoler beaucoup à partir de sa propre défini-tion minimaliste. C’était pour lui la matière d’un débat que de savoir si cer-taines libertés étaient une part inhérente de la démocratie et dans quel degréelles pouvaient être protégées par les institutions démocratiques.

Sa définition minimale de la démocratie lui permettait de ne pas êtreentraîné dans des débats sur d’autres valeurs qui peuvent être importantes,mais qui sont la source de désaccords sur la base de valeurs et d’opinionsdistinctes. Ce qui lui permettait de rejeter toute équivalence entre la démo-cratie et l’égalité économique que quelques théoriciens de gauche propo-saient. La démocratie et l’égalité ne sont pas les mêmes 7. Il considérait aussi

5. SCHUMPETER J., Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1983 (traduction del'ouvrage original publié pour la première fois en 1942), p. 355.6. DAHL R.A., Polyarchy, New Haven, CT, Yale University Press, 1971.7. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 23.

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que la démocratie n’était pas un système construit pour l’objectif d’imposerà la société une vision idéologique de la stratification économique.

Dans l’élaboration de son approche libérale et pluraliste des conditionsde la démocratie, Lipset a été fortement influencé par un ensemble de théo-riciens de la politique. Mais en référence aux conditions de la démocratie, ila subi l’influence intellectuelle de Tocqueville. L’intérêt de celui-ci pour lesfacteurs qui empêchent le conflit politique au sein d’une société fondée surle consensus, et qui ainsi neutralisent les demandes pour un changement vio-lent et révolutionnaire, a constamment été au centre de la réflexion et desécrits de Lipset sur la démocratie et la société. Suivre Tocqueville l’a con-duit à s’intéresser au changement graduel, au compromis politique, et auxsources de la légitimité politique ; à la limitation du pouvoir de l’État ; auxassociations indépendantes et volontaires, comme moyen important de con-trôler l’État et de permettre le développement de l’infrastructure socialed’une société libre. Lipset a constamment montré de l’intérêt, dans ses écritssur les conditions de la démocratie, pour tout ce qui peut éviter la polarisa-tion du conflit, la formation des mouvements politiques extrémistes, ou l’éli-mination de tout conflit dans une « société de masse » dominée par l’État 8.

Très peu de chercheurs sur les conditions de la démocratie ont été plusconcernés que Lipset par les formes variées du conflit et de la compétition.La démocratie, selon ce dernier, « exige des institutions qui soient aptes às’accommoder des conflits et des désaccords aussi bien qu’à favoriser lalégitimité et le consentement unitaire »9. Lipset se situait clairement dans lalignée de Schumpeter qui voyait la libre compétition entre les partis politi-ques comme un trait caractéristique de la démocratie.

Lipset a toujours eu une profonde appréciation de l’importance du conflitpolitique en démocratie. Dans ses efforts pour comprendre les forces quidéterminaient les régimes politiques, il a analysé les sources d’une série deconflits, à la fois à droite et à gauche du paysage politique. Il a constaté queles conflits étaient un trait inhérent à la vie politique. Il faut noter qu’il main-tenait cette perspective même dans le contexte d’une prévision de la « fin desidéologies », par laquelle il signifiait un déclin dans l’intensité du clivage tra-ditionnel droite-gauche, plutôt que l’émergence d’un consensus sur les prin-cipales questions économiques ou politiques, telles que la distribution de larichesse ou l’échange entre la croissance économique et la qualité de la vie.

Son analyse des effets de la structure des clivages est parmi les plus clai-res en sociologie politique. Une des contributions durables de Lipset à la

8. DIAMOND L. and MARKS G., « Seymour Martin Lipset and the Study of Democracy », inDIAMOND L. and MARKS G., (eds)., Re-examining Democracy Essays in Honor of Seymour MartinLipset, London, Sage Publications, 1992., p. 2.9. LIPSET S.M., 1963, op. cit., p. 433.

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compréhension de la stabilité démocratique est la notion des clivages entre-croisés, qui rassurent les individus qui sont en minorité sur une questionqu’ils peuvent former la majorité sur d’autres questions.

Lipset défendait l’idée de la démocratie comme moyen de canaliser oude structurer, et non pas d’éradiquer, le conflit. Il reconnaissait que « les lut-tes et rivalités pour la conquête des postes de direction, l’affrontement despartis et leur alternance dans l’exercice des fonctions de gouvernement sontles conditions d’une démocratie stable. Et sans un accord préalable sur larègle du jeu politique, sans la soumission des minoritaires aux décisions dela majorité réversible, sans la reconnaissance de la légitimité de ces déci-sions, il ne saurait y avoir de démocratie » 10.

Lipset recommandait aux chercheurs travaillant sur la nature et les origi-nes de la démocratie et sur la stabilité démocratique d’être attentifs, afin dene pas confondre les considérations morales avec l’enquête scientifique 11.Leur tâche n’est pas de moraliser, mais d’identifier et d’analyser. Il affirmaitqu’il est inutile d’attribuer une valeur morale à la démocratie, parce quecette attribution élargit le concept au-delà de sa signification comme sys-tème politique. Il pensait qu’il faut traiter d’abord de la démocratie, et nonpas de la liberté ou de l’égalité, ni de la politique sociale ou du marché libre.Que la démocratie soit liée (ou corrélée) à d’autres concepts était, à sesyeux, une autre question.

Il existe aussi une tendance à vulgariser le terme de démocratie. Il est désor-mais commun d’entendre parler de la démocratisation de différents aspects dela société, de l’économie ou de l’université. Pour Lipset, la démocratie a pourseule définition de fournir l’accès, sous la forme du vote, à travers des électionsouvertes et contestées, aux principales fonctions politiques. Il s’en tenait tou-jours à sa définition minimaliste 12.

Lipset pensait que la définition de la démocratie en termes théoriquesaidait à la mesurer empiriquement. Mais cette opérationnalisation de ladémocratie n’est pas facile. Il est assez simple de déterminer si un pays tientdes élections. Le problème est de savoir si elles sont vraiment compétitives.La question centrale pour lui est de savoir mesurer la compétitivité et la pro-babilité d’une alternance au pouvoir. Przeworski et ses collègues lui four-nissaient un premier élément de réponse 13. Ils affirmaient que les systèmescompétitifs devaient avoir plus d’un parti. Mais ils ajoutaient une autre

10. IBID., 1963, p. 33.11. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 24.12. Ibid., 2004, p. 35.13. PRZEWORSKI A., ALVAREZ M., CHEHUB J.A. and LIMONGI F., « What Makes DemocraciesEndure ? », Journal of Democracy, vol. 7, January 1996 ; PRZEWORSKI A., ALVAREZ M., CHE-HUB J.A. and LIMONGI F., « Classifying Political Regimes », Studies in Comparative InternationalDevelopment, vol. 31, summer 1996.

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condition : les élections devaient prévoir la réelle possibilité de la défaite duparti au pouvoirs. Ils cherchaient à savoir si des partis avaient perdu le pou-voir dans le passé ou s’ils avaient été capables de rester au pouvoir pendantplus de deux mandats. Cette règle était destinée à éliminer les régimes politi-ques qui sont considérés comme des démocraties, mais qui organisaient desélections seulement parce qu’il n’y avait aucune chance réaliste d’une défaite.Selon Lipset, l’opérationnalisation de Przeworski et de ses collègues étaitutile 14, parce que la question restait encore de savoir si un régime politiquecomme le Japon avant 1993 pouvait être considéré comme démocratique.

La nature minimaliste de la définition de la démocratie est devenue lanorme, selon Lipset. Mais cette définition fait problème 15. Il y a un débatconsidérable sur les définitions opérationnelles de la démocratie. Il se deman-dait aussi s’il ne fallait pas ajouter quelque chose à la définition minimale dela démocratie. Robert Dahl incluait une variété de libertés dans sa définitionde la polyarchie. Lipset affirmait cependant qu’il était clair pour lui qu’unesociété qui fonctionne sur la base d’élections contestées inclut aussi les liber-tés fondamentales. Il y a, selon lui, une corrélation extrêmement forte entreles libertés civiles et politiques, et c’est généralement vrai que les polyar-chies ont beaucoup de ces libertés. Il pensait cependant que l’inclusion duconflit institutionnalisé avait ses propres avantages. Un système politiquecontesté permet aux électeurs de choisir entre de meilleures politiques quecelles qui sont dictées par des autocrates ou par des minorités organisées 16.

Lipset s’est beaucoup intéressé aux conditions de la démocratie. Il estimportant de souligner que ces conditions n’étaient pas considérées par luicomme des mécanismes de causalité forgés dans le fer. Elles représentaient,au mieux, des probabilités de ce qui pouvait être sûr. La démocratie était,pour lui, plus assurée de se maintenir dans les pays riches. Ceci ne signifiaitpas qu’elle ne pouvait pas exister dans des pays pauvres, comme le montrela situation de pays comme l’Inde. Mais un pays qui manque quelques-unesde ces conditions n’est pas assuré de devenir ou de maintenir une démocratie,alors que celui qui les possède tous a de fortes chances de la maintenir. Eneffet ce qu’il manque dans un secteur, par exemple la richesse, il peut le com-penser par une autre condition, par exemple, une société civile socialementégalitaire (comme aux États-Unis des débuts) ou de multiples clivages entre-croisés (comme en Inde). Un pays peut devenir une démocratie, même s’illui manque quelques conditions particulières. Une démocratie est un modèlede modalité multivariée. Lipset proposait donc d’analyser en profondeur leseffets indépendants de ces conditions qui constituent le phénomène de ladémocratie 17.

14. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 29.15. Ibid., p. 31.16. Ibid., p. 32-33.17. Ibid., p. 35-36.

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Pour cela, nous nous proposons de suivre la réflexion de Lipset. Ildémontrait d’abord l’importance du développement économique pour lalongévité de la démocratie. Il affirmait ensuite que le changement culturelest souvent une variable critique pour le succès de la démocratie. Il estimaitenfin qu’une autre variable est spécifique aux institutions politiques et cru-ciale pour la démocratie : la légitimité.

La relation directe entre le développement économique et la démocratie

Les variables économiques ont été fortement analysées dans la littérature surla démocratie. Mais très peu de contributions sur ce thème ont une influenceplus durable que l’article de Lipset de 1959 18, où il affirmait l’existenced’une relation directe entre le développement économique et la démocratie 19.Son argument était simple. Il montrait que « plus une nation dispose du bien-être, plus grandes sont ses chances de soutenir la démocratie » 20. Pour déve-lopper son argument, il classait les pays d’Amérique latine et d’Europe, ainsique les démocraties de langue anglaise, en deux séries de deux groupes,basées sur leur expérience démocratique : pour l’Europe, l’Amérique duNord, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les démocraties stables contre lesdémocraties instables et les dictatures ; pour l’Amérique latine, les démocra-ties et les dictatures instables contre les dictatures stables. À l’intérieur dechaque région ou série, il comparait les deux groupes de régimes sur la based’indicateurs du développement socio-économique : le revenu, les commu-nications, l’industrialisation, l’éducation et l’urbanisation. Il trouvait qu’àl’intérieur de chaque série régionale, les pays plus démocratiques avaient, demanière consistante et souvent dramatiquement, des niveaux moyens dedéveloppement plus hauts que ceux des pays moins démocratiques. L’ana-lyse montrait donc une forte relation causale entre le développement écono-mique et la démocratie.

La corrélation la plus souvent analysée était la relation entre la richesse(mesurée par le produit national brut par habitant) et la survie de la démo-cratie. C’était le point le moins controversé. L’évidence d’une telle corréla-tion continue à se démontrer, depuis l’affirmation de Lipset en 1959. Sontravail original a été soutenu par des analyses de régression plus sophisti-quées. Aujourd’hui, une multitude d’études, toutes utilisant différents indi-

18. LIPSET S.M., « Some Social Requisites of Democracy : Economic Development and Democracy »,American Political Science Review 53, 1959, p. 69-105.19. À l’occasion de la sortie du centième volume de l’American Political Science Review, Larry Diamondaffirmait que cet article est l’un des essais les plus cités et les plus influents de science politique du dernierdemi-siècle, American Political Science Review, vol 100, no4, november 2006, p. 675-676)20. LIPSET S.M., op. cit., 1959, p. 75.

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cateurs ou méthodologies, vont dans la même direction : « plus une nationfait bien, plus grandes sont les chances d’une démocratie durable » 21.

L’analyse de Lipset peut être et a été critiquée sur des points conceptuelset méthodologiques. Larry Diamond a repris certaines des critiques adres-sées au travail de Lipset 22. C’était une analyse statique de données à partird’un seul point dans le temps. La relation n’était pas aussi linéaire que cedernier le supposait. Il ignorait l’impact négatif possible sur la démocratiedu processus de changement d’un type de développement à un autre. Il éta-blissait une corrélation, mais pas une causalité. Il montrait la corrélation dela démocratie avec un ensemble de facteurs de développement différents,mais il ne présentait pas une analyse vraiment multivariée dans laquelle lepoids causal indépendant ou la signification corrélationnelle de chaquevariable est établie par le contrôle avec d’autres variables. Mais Larry Dia-mond a aussi raison d’écrire qu’il faut tenir compte que les sciences socialesà cette époque-là (1959) commençaient seulement à employer des analysesde régression multiple 23.

Cependant Lipset lui-même, en collaboration avec deux doctorants, aentrepris un peu plus tard une analyse statistique. Ils continuaient à trouver« que le développement économique est le prédicateur le plus important dela démocratie politique quand on contrôle les autres variables » 24. Testantdes modèles non-linéaires sur un échantillon de pays en développement, ilstrouvaient que le développement économique augmentait les chances pour ladémocratie à un niveau moyen-bas de produit national brut par habitant, puisles diminuait à un niveau moyen de revenu, tout en stabilisant les chancespour la démocratie à une probabilité très forte à un haut niveau de revenu.

Mais à travers une large série d’études, avec une grande variété d’échan-tillons, de périodes de temps, et de méthodes statistiques, le niveau de déve-loppement économique continuait à être le prédicateur le plus puissant deprobabilité de la démocratie (Trois de ces études empiriques les plus nota-bles sont parues en 1996 25). De plus, il y avait beaucoup d’évidence histo-rique à soutenir les hypothèses de Lipset sur l’idée que le développementéconomique assurait la promotion de la démocratie en donnant naissance àdes valeurs et à des attitudes plus démocratiques, à une structure de classe

21. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 140.22. LIPSET S.M., « Economic development and democracy reconsidered », in DIAMOND L. andMARKS G., (eds), Re-examining Democracy, 1992, p. 93-139.23. Ibid., p. 94.24. LIPSET S.M., SEONG K.R. and TORRES J.C., « A Comparative Analysis of the Social Requisitesof Democracy », International Science Journal 45, may 1993, p. 155-175.25. PRZEWORSKI A., ALVAREZ M., CHEIBUB J.A. and LIMONGI F., op. cit.,1996, p. 39-55 ;BARRO R.J., « Determinants of Economic Growth », National Bureau of Economic Research workingpaper 5698, august 1996 ; LONDREGAN J.B. and POOLE K., « Does High Income Promote Demo-cracy ? », World Politics, vol. 49, october 1996.

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moins polarisée, à une classe moyenne plus large et à une vie associativeplus vigoureuse. Ce sont ces facteurs qui détiennent la clé du développe-ment d’une démocratie stable.

Selon Lipset, il y aurait cependant deux importantes exceptions à cettegénéralisation. D’abord, il y aurait les pays producteurs de pétrole, riches, maisnon démocratiques. Les pays ne possédant qu’une seule matière première nesont pas assez diversifiés pour créer des centres distincts de pouvoir 26. Ensuite,bien que les effets de la richesse sur la démocratie s’exercent dans toutes lesrégions du monde, il y aurait une démocratie plus forte encore en Europe duNord et en Amérique du Nord. D’un point de vue économique, ce qui dis-tingue ces pays du reste du monde est une longue histoire du capitalisme.Le capitalisme a produit une base décentralisée de la richesse économiqueet du pouvoir politique, c’est une aubaine pour la démocratie, pour exacte-ment les mêmes raisons que la production d’une seule matière première estun obstacle pour celle-ci.

Ce qui conduisait Lipset à s’interroger sur les relations entre la démocra-tie et le capitalisme 27. Certains croient que la démocratie a été le produit dulibéralisme de la classe moyenne. Ils pensent que la démocratie et le capita-lisme constituent des partenaires naturels, mais que la coïncidence entrecapitalisme et démocratie a été une condition nécessaire, mais insuffisante,pour la démocratie. D’autres auteurs ont affirmé que la cause de la classemoyenne a été propulsée beaucoup plus par la classe ouvrière que par leslibéraux bourgeois. Lipset s’appuyait sur l’analyse de Dahl, selon laquellela démocratie est le résultat d’un processus historique de contestation ou delutte continue, et de participation croissante qui a pris place dans les paysoccidentaux. Le rôle de la classe ouvrière ne fut vital que dans la pousséefinale pour la démocratie. Mais, en même temps, il rappelait que les tra-vailleurs n’ont pas toujours été les soutiens de la démocratie. Il existe uneforte tendance autoritaire à l’intérieur de la classe ouvrière, qui s’est mani-festée par le soutien aux partis communistes 28.

Lipset mettait aussi en avant une série de mécanismes susceptible desouligner la relation entre le développement économique et la démocratie.Il faisait l’hypothèse d’un ensemble de processus historiques et sociologi-ques suivant lesquels le développement économique donnerait naissance àun développement certain de la démocratie.

D’abord, le développement économique donnerait naissance à desvaleurs et des attitudes, et donc à une culture politique plus démocratique,

26. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p 150-151.27. Ibid., p 153-159.28. LIPSET S.M., « Democracy and Working-class Authoritarianism », American Sociological Review,vol. 24, 1959, p. 482-502.

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due en partie à une plus grande éducation. Les citoyens en viendraient àvaloriser davantage la démocratie et à manifester des attitudes plus toléran-tes, plus modérées, plus restreintes et plus rationnelles. Lipset citait de nom-breuses études suggérant une relation forte entre l’éducation, le statut socio-économique et la modernisation, d’un côté, et les valeurs et tendances démo-cratiques, de l’autre 29. Ces études renforçaient son argument selon lequel lesindividus éduqués tendraient à être plus tolérants à l’égard de l’oppositionet des minorités, et plus favorables à la démocratie et à la participation.

Ensuite, la modération du conflit politique était aussi avancée en fonc-tion de plusieurs changements dans la structure de classe qui accompa-gnaient le développement économique. Lipset insistait beaucoup sur le faitque des niveaux plus élevés de revenu et de sécurité économiques au seinde la population réduirait l’intensité de « la lutte des classes », en permettantà ceux qui appartiennent aux catégories sociales les plus basses de dévelop-per des perspectives à plus long terme et des points de vue plus modérés surla vie politique 30. Les attitudes changeraient également dans les catégoriessociales élevées. Plus généralement, il affirmait que la croissance de larichesse réduirait le niveau total de l’inégalité objective, en affaiblissant lesdistinctions de statut, et surtout en augmentant la taille de la classe moyenne.Le développement économique réduirait aussi la tendance des classes infé-rieures à l’extrémisme politique, en les exposant à des pressions croiséesdans une société plus complexe. Finalement, par rapport à la classe, Lipsetsuggérait que le développement économique diminuerait la pression sur lepouvoir politique en réduisant les coûts de la redistribution socio-économi-que et en donnant naissance à un revenu attractif et à des alternatives de car-rière par l’apparition de nouvelles positions dans l’État et le secteur public.

En fait, ces changements (la croissance de la classe moyenne, et plus spé-cifiquement, de la bourgeoisie commerciale et industrielle ; l’élargissement,la syndicalisation, et l’amélioration des revenus de la classe ouvrière ; et lamigration des ruraux vers les villes et par conséquent l’interruption des rela-tions clientélistes et féodales dans les campagnes) seraient fortement liésdans le temps et la logique. L’effet d’interaction stimulerait la démocratie.

Enfin, indépendamment de ces changements dans la structure de classe,Lipset maintenait, suivant Tocqueville, que le développement économiquecontribuerait aussi à la démocratie en donnant naissance à un grand nombred’organisations volontaires, intermédiaires, qui collectivement accroîtraient

29. ALMOND G. and VERBA S., The Civic Culture, Boston, Little, Brown, 1963 ; INKELES A.,« Participant Citizenship in Six Developing Countries », American Political Science Review, vol. 63, 1969,p. 1120-1141.30. LIPSET S.M., op. cit., 1959, p. 83.

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la participation politique, renforceraient l’apprentissage politique, diffuse-raient de nouvelles idées et empêcheraient l’État et d’autres forces domi-nantes de monopoliser les ressources politiques 31.

Un second facteur pour le succès de la démocratie : le changement culturel

Les facteurs économiques de la démocratie sont puissants, mais ils restentinsuffisants. La relation généralement acceptée entre le développement éco-nomique et la démocratie ne peut pas expliquer le déroulement précis destransitions démocratiques ou pourquoi de nombreuses transitions échouentavant qu’un régime donné établisse une démocratie réussie et durable. Ledéveloppement économique est seulement un des facteurs qui aident au suc-cès de la démocratie. Parce qu’il est plus facile à mesurer, il retient davantagel’attention que les autres facteurs plus abstraits, comme la culture. Lipset pro-posait donc de mettre l’accent sur les valeurs et les normes sociétales qui ontune relation directe avec le régime politique, notamment, le gradualisme, laculture et la légitimité 32.

Selon Lipset, le gradualisme était un concept extrêmement important,mais large. Il appelait gradualisme simplement ce qui prend du temps pourles sociétés en changement afin de faire évoluer les normes, les institutionsstables et les « règles du jeu », qui sont largement respectées (« légitimée »).Même avec un changement économique rapide, les normes et la culture poli-tique d’une société ne changent pas du jour au lendemain. En conséquence, lerythme d’un changement politique peut être une variable cruciale expliquantses succès et ses échecs, sans regarder les facteurs économiques existants. Leschangements culturels sont plus efficaces politiquement, s’ils interviennentgraduellement. Le gradualisme, considéré comme un facteur non économi-que de la démocratisation, est pourtant lié à l’économie, car plus riche est unpays, plus défendable sera le processus gradualiste. Partout où la démocratiea été institutionnalisée, le processus a été incrémental 33.

Mais le gradualisme n’est pas seulement une affaire de culture politiqueou d’adaptation des institutions. Il est lié aussi au rythme du changementéconomique et à son impact sur le système politique. L’Occident a été favo-risé à cet égard. L’évidence historique de nombreux pays européens suggèreque là où l’industrialisation est intervenue rapidement, introduisant de for-tes discontinuités entre les situations préindustrielles et industrielles, des

31. Ibid., 1959, p. 84.32. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 170.33. Ibid., p. 172-183.

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mouvements extrémistes de la classe ouvrière ont émergé 34. Selon Lipset,le meilleur exemple de cette relation est la révolution russe 35.

Par culture, Lipset définissait les valeurs supérieurs dont les comporte-ments, les institutions et les valeurs pouvaient être dérivées. La culture étaitun produit non seulement des valeurs hors du temps, mais aussi de proces-sus historiques concrets. Par exemple, le sentiment antiétatique postrévolu-tionnaire (comme aux États-Unis) pouvait encourager les institutions(comme la constitution des poids et des contrepoids) qui servent à créer età renforcer les valeurs. De nombreuses traditions pouvaient avoir ou non unimpact sur l’acceptation des normes associées à la démocratie. Lipset dis-cutait la nature changeante de certaines traditions culturelles, spécialementcelles liées à la religion, et il liait ces changements à ceux de la politiqueglobale. Il interrogeait pleinement la nature de la culture politique démocra-tique et comment celle-ci pouvait être reliée à d’autres aspects de la culturenationale. Même quand les facteurs économiques suggéraient qu’une sociétéétait mûre pour une réforme politique de démocratisation, la culture politiqued’une société pouvait rejeter les réformes libérales, gênant la transition versla démocratie. Clairement, il y avait une relation entre le changement écono-mique et la culture politique, mais ceci ne signifiait pas que le développementéconomique marchait au même pas que le changement culturel. Au contraire,les facteurs culturels et économiques changeaient rarement au même rythmeet en même temps. Ce fait compliquait la transition vers la démocratie dansles pays qui avaient des héritages culturels antidémocratiques 36.

Pour Lipset, la démocratie réclamait une culture de soutien ; l’accepta-tion par les citoyens et par les élites politiques de principes sous-tendant laliberté de parole, des médias, d’assemblée, de religion ; l’acceptation desdroits de l’opposition, de la règle de droit, des droits de l’homme. Les his-toires coloniales et les traditions religieuses pouvaient compliquer l’accep-tation des normes démocratiques.

Important pour cette discussion était la découverte particulière que(jusqu’à récemment) la démocratie a été établie plus sûrement dans lesanciennes colonies britanniques que dans celles des autres nations. Claire-ment, le passé colonial britannique faisait une différence en faveur de la démo-cratie. Les facteurs sous-tendant cette relation n’étaient pas simples. Derrièrele contraste britannique/non-britannique, était le fait que de nombreuses zonesanciennement contrôlées par les Britanniques (l’Est de l’Amérique du Nord

34. LIPSET S.M., « Socialism. Left and Right, East and West », Confluence, n°7, summer 1958,p. 173-192 ; LORWIN V., « Working Class Politics and Economic Development in Western Europe »,American Historical Review, vol. 63, january 1958, p. 338-351 ; OLSON M., « Rapid Growth as a Des-tabilizing Force », Journal of Economic History, vol. 23, december 1963, p. 529-552.35. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 179.36. Ibid., p. 170-171.

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avant la Révolution ; l’Australie et la Nouvelle-Zélande au 19e siècle ; etl’Inde, l’Irlande et le Nigéria plus récemment) ont eu des élections, desembryons de partis politiques et la règle de droit alors qu’elles étaientencore contrôlées par la Grande-Bretagne. Les expériences avant l’indépen-dance ont procuré une sorte de processus de socialisation, facilitant la tran-sition vers la liberté. Ceci est en accord avec l’argumentation de Dahl que lesrégimes politiques avec un haut niveau de contestation et de bas niveaux departicipation se démocratiseront plus facilement que ceux dans la situationinverse 37. Il est plus facile d’accroître la participation (une matière légale)que d’encourager la contestation (une matière de culture politique). Ainsi lalongueur du gouvernement britannique a permis l’émergence et l’expansionprogressives des institutions démocratiques pour incorporer des segments deplus en plus larges de la population et pour assumer des responsabilités signi-ficatives croissantes (avec les exemples de l’Inde et de la Jamaïque) 38.

Lipset s’interrogeait aussi sur le point de savoir s’il y avait des préalablesreligieux à la démocratie. Les nations de religion protestante ont été les premiè-res à démocratiser leur pays (et à développer le capitalisme) 39. Il insistait surl’ensemble constitué par le développement économique, le protestantisme, lamonarchie, le changement politique progressif, la légitimité et la démocratie 40.En revanche, les pays de religion catholique lui semblaient quelque peu imper-méables à la démocratie et résistantes à l’économie de marché. L’islam étaitencore plus hostile à la démocratie. Quelques pays de l’Asie de l’Est rejetaientla démocratie alors que leurs élites affirmaient qu’elle était dissonante par rap-port aux « valeurs asiatiques » 41.

Il y a une tendance à penser que la religion est une cause de présence oud’absence de la démocratie Même ceux qui rejettent ce point de vue, commeAdam Przeworski et ses collègues 42, affirment simplement que la religion nedevient une cause que lorsque que les autres facteurs ont été pris en compte.Mais la religion ne peut pas être considérée strictement comme une cause ounon. Lee Kuan Yew, culturaliste par excellence, a affirmé que la religion peutêtre vue comme un effet. Il constate notamment que la Corée, la Thaïlande,Hong Kong et Singapour ont connu un éveil de la religion 43.

37. DAHL R.A., op. cit., 1971, p. 36-40.38. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 175-176.39. LIPSET S.M., op. cit., 1959, p. 85.40. Ibid.41. YEW L.K., interviewed by Fareed Zakaria, « Culture is Destiny : A Conversation with Lee KuanYew », Foreign Affairs, n°73, march-april 1994.42. PRZEWORSKI A., ALVAREZ M., CHEHUB J.A. and LIMONGI F., « What makes democraciesendure ? », Journal of Democracy, vol. 7, january 1996 ; PRZEWORSKI A., ALVAREZ M., CHEHUB J.A.and LIMONGI F., « Classyfying political regimes », Studies in Comparative International Development,vol. 31, summer 1996.43. YEW L.K., op. cit., 1994.

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402 Jean-Louis THIÉBAULT

Aujourd’hui, la situation est différente. Il n’empêche que la culture poseproblème. Elle a posé problème dans le passé et elle apparaît encore poserun problème. Est-ce que la culture fait beaucoup de différences ? C’est vraique la culture ne joue qu’un rôle limité dans la démocratisation, parce quedes pays culturellement divers peuvent adopter la démocratie. Mais qu’est-ce qui explique cette adoption ? La démocratie doit impliquer une culturepolitique particulière, une culture démocratique. Cette culture consiste dansl’acceptation de la règle de droit, la tolérance de l’opposition, le respect desdifférences d’opinions, la légitimité des institutions nationales et l’accepta-tion de l’incertitude. La culture démocratique comprend aussi des attitudessur la relation entre l’État et la société, qu’Almond et Verba caractérisaientcomme la « culture civique » 44.

L’attitude de Lipset au sujet de la culture n’était pas différente de saposition générale sur la démocratie : il était à la fois pessimiste et optimiste.Selon lui, la culture faisait problème, en particulier dans le court terme. Maisdans le long terme, la plupart des cultures apparaissaient avoir le potentielpour converger avec la culture démocratique. La convergence est un proces-sus complexe qui est proscrit non par la culture en elle-même, mais plutôtpar le point de vue dominant à l’intérieur d’une culture donnée à un momentdonné. Lipset cite Abdou Filali-Ansary 45, « si beaucoup de musulmansaujourd’hui invoquent la religion plutôt que la démocratie comme alterna-tive au despotisme, et si d’autres considèrent la démocratie elle-mêmecomme une sorte de nouvelle croyance religieuse, ce n’est pas à cause decaractéristiques spéciales soit de l’islam, soit des musulmans. C’est plutôt àcause de circonstances historiques particulières » qui ont conduit à une défi-nition particulière actuelle de l’islam et des principes islamiques 46.

La stabilité et le changement culturel. La relation entre un type de régimeet la culture était, selon Lipset, un mélange de deux questions distinctes.D’abord, quel type de culture aurait inventé et établi la démocratie ? Ensuite,quel type de culture peut soutenir la démocratie une fois qu’elle a étéétablie ? 47.

En ce qui concerne la première question, Lipset revenait sur l’hypothèsede Weber concernant le protestantisme et le capitalisme et suggérant les fac-teurs de l’invention de la démocratie en Europe et en Amérique du Nord etson développement précoce dans ces pays. Mais ceci ne signifiait pas queles cultures partout ailleurs ne pouvaient pas s’adapter à la démocratie.

44. ALMOND G. and VERBA S., op. cit., 1963, p. 16-20 ; LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004,p. 185.45. LIPSET S.M., « Muslims and Democracy », Journal of Democracy, vol. 10, july 1999, p. 30.46. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 187-188.47. Ibid., p. 194.

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En ce qui concerne la seconde question, Lipset pensait que les effets dedémonstration qui émanent une fois que la démocratie existe dans unendroit, font qu’il est plus facile pour d’autres pays culturellement distinctsd’adopter la démocratie. Le processus ressemble au développement du capi-talisme. Il est possible que des changements institutionnels particuliers con-duisent à l’application de la démocratie, mais l’absence de changement desvaleurs peut conduire à l’instabilité. Quelques sociétés, cependant, peuventn’avoir jamais inventé la démocratie ou le capitalisme, mais leurs culturespeuvent se trouver fortement compatibles avec eux. Dans ce cas, les chan-gements institutionnels peuvent s’enraciner relativement facilement sur unsol relativement étranger. Le Japon procure un excellent exemple de cettesituation. Il peut ne pas avoir eu les valeurs culturelles conduisant au déve-loppement de la démocratie, mais la démocratie s’est imposée de l’exté-rieur, et le Japon avait les valeurs pour la soutenir une fois que la démocratiea été établie. Francis Fukuyama croît même que le confucianisme pourraitêtre un très fort pilier de la démocratie à travers l’Asie de l’Est 48.

Les valeurs et les attributs culturels ne sont pas préexistants et immua-bles. Ils sont le résultat de développements et de processus historiques. Laculture n’est pas un obstacle permanent à la démocratie. Comme Przeworskil’écrit, paraphrasant John Stuart Mill, « les peuples peuvent ne pas être pré-parés à la démocratie, mais ils peuvent apprendre à se comporter comme desdémocrates » 49. Les cultures peuvent changer et devenir compatibles avec ladémocratie. Certaines sociétés sont plus enclines que d’autres à être démo-cratiques, mais ceci ne fait pas problème. Chacune peut devenir démocrati-que. Oui, mais elles doivent changer une partie de leur culture. Elles peuventrenoncer à leurs tendances autoritaires, à leur non-sécularisme, même peut-être à leur croyance dans le bien de la société avant le bien de l’individu. End’autres termes, les peuples peuvent avoir à substituer les valeurs démocra-tiques à leurs propres valeurs quand celles-ci sont en conflit avec lespremières 50.

Lipset ne se positionnait pas sur la non-importance de la culture pourdéterminer le succès de la démocratie. Plutôt, il se contentait de dire que tou-tes les cultures peuvent changer pour ressembler à la culture démocratique.Il y a culture démocratique, lorsqu’il y a une culture enracinée dans le sécu-larisme, la tolérance, l’individualisme libéral, le respect et l’obéissance à larègle de droit. Toute culture qui souhaite devenir démocratique doit intégrerces valeurs et les adapter aux siennes. Mais si les cultures doivent changer

48. FUKUYAMA F., « Confucianism and Democracy », Journal of Democracy, vol. 6, april 1995 ;LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 195.49. PRZEWORSKI A., « Culture et démocratie », Paris, UNESCO, 1998.50. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 197.

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pour devenir démocratiques, alors la culture devient un important facteurdans le succès ou l’échec de la démocratie 51.

Lipset terminait sa réflexion par quelques « excursis » sur la culturedémocratique. Il montrait notamment que les valeurs démocratiques sontcontrebalancées par d’autres valeurs dans chaque société démocratique (ounon démocratique). La démocratie stable dépend de la primauté relative, etnon pas absolue, des valeurs démocratiques, particulièrement parmi les élites.Tandis que des éléments de ces valeurs peuvent être trouvés dans n’importequelle société, ce n’est pas l’existence des valeurs démocratiques, mais leurprédominance qui est importante. Bien que la relative prédominance desvaleurs démocratiques soit de bonne augure pour la stabilité d’une démocratie,le sécularisme, la tolérance et les respects de la règle de droit sont compatiblesavec d’autres types de régimes. Certains auteurs ont affirmé que la démocratierequiert aussi d’autres normes, spécifiquement liées à la façon dont les citoyensperçoivent le gouvernement, la société civile et la lutte politique. Ces normesdéfinissent le rôle de l’État et des citoyens et permettent aux processus démo-cratiques d’avancer sur une base quotidienne 52.

Gabriel Almond et Sidney Verba ont réalisé une analyse empirique de laculture politique dans Civic Culture. Ils affirmaient qu’une culture politiquedémocratique mélange et équilibre la culture paroissiale, la culture de sujétionet la culture de participation. La culture civique est un mélange de ces troiscultures. Elle encourage la modération des conflits et constitue une culturepolitique flexible et pluraliste 53.

L’ouvrage a fait l’objet de nombreuses critiques. Lipset considérait quela conception de la culture politique démocratique défendue par Almond etVerba a une saveur différente de la définition standard de « tolérance, modé-ration, sécularisme et respect de la règle de droit ». Selon lui, la culture civi-que traite d’abord avec les orientations des citoyens envers les institutionspolitiques et l’État. Il est donc possible de prendre une approche à deux élé-ments de la culture politique démocratique. D’abord, les valeurs de modé-ration, de tolérance, de sécularisme, et de respect de la règle de droit, quis’appliquent en premier lieu aux élites dans les systèmes démocratiques.Ensuite, la vision de la culture civique avancée par Almond et Verba, qui aune plus large application. Elle s’applique à la majorité des citoyens. Parceque la conception d’Almond et Verba se relie à l’idée de modération, Lipsetpense qu’il n’est pas possible de considérer les deux conceptions commecomplètement distinctes 54.

51. Ibid., p. 198.52. Ibid., p. 198-204.53. ALMOND G. and VERBA S., op. cit, 1963.54. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 203.

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Un dernier facteur spécifique aux institutions politiques, mais crucial pour la démocratie : la légitimité

Lipset s’intéressait aussi beaucoup à la légitimité. Selon Lipset, la légitimitéimpliquait la capacité d’un système politique à engendrer et à maintenir lacroyance que les institutions politiques existantes sont les plus appropriéespour le bon fonctionnement de la société 55). La mesure selon laquelle lessystèmes politiques démocratiques contemporains sont légitimes dépendaitdans une large mesure de la façon dont les principales questions qui ont diviséune société ont été résolues 56. Il considérait aussi que c’est une variable cri-tique pour le succès de la démocratie. Le fait était qu’il n’y a courammentaucune alternative à la démocratie comme principe de légitimité.

Pour Lipset, « une crise de légitimité est une crise du changement. Donc,ses racines peuvent être recherchées dans le caractère du changement d’unesociété moderne. Les crises de légitimité interviennent pendant la transitionvers une nouvelle structure sociale, si (1) le statut des principales institutionsconservatrices est menacé pendant la période de changement structurel ;(2) tous les principaux groupes dans la société n’ont pas accès au systèmepolitique dans la période transitoire, ou au moins aussi longtemps qu’ilsdéveloppent des demandes politiques » 57.

Le concept de légitimité est pertinent pour tous les régimes à travers tou-tes les cultures, pas simplement pour les démocraties. Le manque de légiti-mité peut affecter les variables culturelles, économiques et institutionnelles.Un système politique bien conçu dans un pays relativement riche, mais quiest jugé illégitime par une grande partie de la population et des élites (ex. del’Allemagne de Weimar), peut s’effondrer en face de crises, alors que lesrégimes politiques légitimes peuvent être capables de résister. Le degré delégitimité d’un régime peut être affecté par des attentes culturelles, mais aussidépendre de facteurs économiques et institutionnels qui ne sont pas liés à laculture. La légitimité est donc un pont entre les facteurs culturels et les varia-bles institutionnelles 58.

Lipset s’intéressait surtout aux sources et à l’importance de la légitimité.Une menace constante pour les systèmes démocratiques provient de l’exis-tence de clivages susceptibles de conduire à des conflits et à la désintégrationde la société 59. Il pensait que la résolution de ces tensions devait permettred’en réduire l’intensité et que cette résolution était nécessaire pour établir

55. LIPSET S.M., op. cit., 1959, p. 86.56. Ibid.57. Ibid., p. 87.58. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004; p. 209.59. LIPSET S.M. and ROKKAN S., « Cleavage Structures, Party Systems, and Voter Preferences », inLIPSET S.M. and ROKKAN S., (eds.), Party Systems and Voter Alignments : Cross-National Perspectives,NY, Free Press, 1967, p. 1-64.

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un système politique démocratique et renforcer sa légitimité. Selon lui, troisimportants clivages ont marqué les sociétés occidentales. Le premier était leclivage religieux, la place d’une église et/ou de différentes religions à l’inté-rieur d’une nation. Le second était le problème de l’admission des bassesclasses, notamment des ouvriers, à la citoyenneté, l’accès au pouvoir par lesuffrage universel et le droit légitime à la négociation collective dans lasphère économique et sociale. Le troisième était la lutte permanente à proposde la distribution du revenu national 60.

Les systèmes politiques, mêmes ceux qui sont autoritaires, ne reposentpas d’abord sur la force. L’alternative à la force est la légitimité, un « titreà gouverner » largement accepté. La légitimité n’est pas l’équivalent de la« satisfaction » avec le régime en place, avec une évaluation positive despolitiques économiques et sociales. Elle doit persister en dépit des échecspolitiques. Elle signifie que la société dans son ensemble croit que les insti-tutions politiques existantes sont les plus appropriées, sans tenir compte dela façon dont elle juge les leaders qui occupent des positions à un momentdonné. Ceux qui sont au pouvoir ont gagné leur position selon des processusacceptés par tous 61.

La légitimité d’un régime est difficile à mesurer. Une démocratie conso-lidée doit avoir un soutien des deux tiers ou plus de la population en faveurde la démocratie 62. La légitimité est fortement corrélée avec le niveau dedémocratie dans un pays. Plus une nation est démocratique, plus le systèmepolitique tend à être légitime. Les facteurs politiques (libertés civiles et poli-tiques) sont plus importants que la simple performance économique pour pré-dire la légitimité d’un régime démocratique dans une nation. Ceci ne signifiepas que la légitimité est la source des succès démocratiques. Plus sûrement,la démocratie et la légitimité se renforcent mutuellement à travers un méca-nisme complexe de feedback. La légitimité peut être considérée comme unstock de crédibilité qui peut retarder ou réduire l’intensité des crises dans unedémocratie. Quand les temps sont bons, la légitimité s’accumule doucement.Quand les temps sont mauvais, la légitimité s’épuise.

Après avoir discuté brièvement l’importance de la légitimité pour tousles régimes, mais plus particulièrement pour les régimes démocratiques,Lipset explorait les sources et les variantes de la légitimité. Max Weber avaitété le premier à identifier trois types de légitimité : traditionnelle, ration-nelle-légale, et charismatique 63. Il a analysé ces trois types de légitimité 64

60. LIPSET S.M., op. cit., 1959, p. 91.61. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 210.62. DIAMOND L., Developping Democracy. Toward Consolidation, Baltimore / London, The JohnsHopkins University Press, 2000, p. 68)63. GERTH H.H. and MILLS C.W., (eds), From Max Weber : Essays in sociology, NY, Oxford Univer-sity Press, 1946, p. 78-79.64. LIPSET S.M., op. cit, 1963.

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qui, bien entendu, n’ont pas besoin d’exister dans leur forme pure. Les Étatspeuvent tirer leur légitimité d’une combinaison de ces trois sources 65.

Comment ces trois types de légitimité ont-ils affecté l’acceptation de ladémocratie ? La légitimité traditionnelle a joué un rôle significatif dansl’institutionnalisation de la démocratie. Les nations d’Europe du Nord et duCommonwealth britannique et les Pays-Bas ont développé des institutionsdémocratiques tout en maintenant la légitimité traditionnelle, c’est-à-dire engardant leurs monarchies. En 1959, Lipset parlait déjà de ce qu’il appelait« un fait absurde », que toutes les démocraties stables alors existantes étaientdes royaumes, sauf pour les EU, la Suisse et, à ce moment-là, l’Uruguay 66.La survivance de la monarchie reflète le fait que la démocratie a évolué gra-duellement au lieu de connaître une rupture violente avec le passé absolu-tiste, au moins en Europe 67.

Le renversement des monarchies a réduit les chances d’une survie démo-cratique. Lipset mettait l’accent sur les trajectoires différentes des empereursdu Japon et de l’Allemagne. Les nouvelles républiques, même avec des pré-sidents symboliques qui essayaent d’agir comme des monarques constitu-tionnels, comme l’Allemagne de Weimar et la France de la IVe République,étaient plus instables que les régimes qui ont maintenu un royaume sans pou-voir. Le danger pour la continuité est encore plus grand quand le Chef del’État est aussi détenteur d’un pouvoir exécutif, comme en Amérique latine,où l’autorité symbolique et le pouvoir effectif sont combinés dans une seulepersonne 68.

Quant aux efforts pour construire une légitimité rationnelle-légale, ilsimpliquent nécessairement d’étendre la règle de droit et le prestige des tribu-naux, qui doivent être aussi indépendants que possible du reste du régime poli-tique. Dans les nouvelles démocraties, ces exigences impliquent la nécessitéd’élaborer une constitution « libérale » le plus tôt possible. En fin de compte,la constitution peut procurer une base pour la légitimité, pour des limitationsdu pouvoir de l’État et pour des droits politiques et économiques 69.

La légitimité est facilitée par l’homogénéité culturelle, mais la plupartdes États postcoloniaux sont fortement fragmentés. Bien que la légitimitésoit difficile à encourager dans des conditions d’hétérogénéité culturelle, lesélites peuvent choisir d’exacerber ou d’améliorer ces conditions. Il n’est pasimpossible de négocier avec les différences ethniques dans la constructionde la légitimité, mais ceci requiert un sens de l’État sophistiqué et l’usage

65. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 215.66. LIPSET S.M., op. cit., 1959, p. 8767. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 216.68. IBID., p. 217.69. ACKERMAN B., The Future of Lberal Revolution, New Haven, Yale University Press, 1992, chapi-tre 4) ; LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 219.

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de gestes à la fois symboliques et concrets. Les acteurs politiques, en Afri-que par exemple, ont souvent exacerbé le conflit ethnique afin de créer oude trouver une base de loyauté (l’exemple du Kenya) 70.

Là où la légitimité est faible, comme c’est le cas dans les nouveaux Étatsou dans les États postrévolutionnaires, elle est mieux stimulée par la perfor-mance du gouvernement, par le degré avec lequel il satisfait les besoins debase de la grande partie de la population. Pour la plupart des gens, l’effica-cité est un jugement largement basé sur la performance économique etl’effet consécutif sur le niveau de vie. Dans le court terme, cependant, cettegénéralisation est de peu d’aide pour les nouveaux systèmes politiques. Poureux, la solution institutionnelle la plus immédiate est de perpétuer ou decréer une source d’autorité nationale distincte de l’agent de l’autorité. Cecin’est pas facile à réaliser, bien que l’Espagne postfranquiste semble l’avoirfacilité avec une monarchie constitutionnelle revivifiée 71.

Avant de quitter le thème de la légitimité, Lipset notait un facteur decomplication en déterminant l’étendue de la légitimité démocratique et sonimpact. Une tendance intéressante qui a eu cours dans certaines régions del’Amérique latine est l’idée que la démocratie est le type de régime le pluslégitime, mais qu’en raison des défaillances démocratiques, l’action mili-taire peut être conduite à renverser un gouvernement démocratique et leremplacer par un autre. Par exemple au Brésil, à la fois les élites militaireset de nombreux citoyens ont longtemps cru que l’armée était la gardienne, le« pouvoir modérateur », à l’intérieur de la politique démocratique. Ce typede légitimité est problématique 72.

Lipset soulignait enfin que la légitimité présente quelques-unes desmêmes difficultés de mesure que celles qui sont associées à la mesure desautres variables, gradualisme et culture. Il incitait donc les chercheurs à trou-ver les moyens d’opérationnaliser les variables qui jouent un rôle vital dansla démocratisation et la stabilité démocratique. La culture notamment requiertune étude plus systématique. Il se félicitait de l’avènement du World ValuesSurvey, qui permettait de commencer des études transnationales de variationculturelle, comme aussi de l’apparition de différents baromètres d’opinionpublique qui existent à travers le monde. Il terminait en disant que les ques-tions soulevées feront partie du futur agenda de recherche des spécialistes dessciences sociales intéressés par la démocratie. Les difficultés pour mesurer lalégitimité, la culture et, dans une moindre mesure, le rythme du changementpolitique et économique ne doivent pas empêcher les études nécessaires.Selon Lipset, ces variables sont trop importantes pour les ignorer.

70. LIPSET S.M. and LAKIN J.M., op. cit., 2004, p. 221.71. Ibid., p. 221-222.72. Ibid., p. 222.

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Conclusion

Lipset a travaillé sur quelques-unes des questions les plus importantes de lasociologie et de la science politique : la structure de classe et la mobilitésociale, le système de partis et le comportement électoral, les origines socia-les du socialisme, du fascisme, de l’extrémisme, de la révolution... Une descontributions essentielles de Lipset à la compréhension de la stabilité démo-cratique est la question des clivages entrecroisés. Il était un solide adepte dela politique comparée.

Mais sa contribution à l’étude des conditions sociales et politiques de ladémocratie a été fondamentale. Il se considérait lui-même comme un étu-diant de la démocratie. Son dernier livre a d’ailleurs été un retour à l’analysedes conditions de la démocratie. Mais la définition étroite de la démocratieavancée par Lipset dans le contexte particulier des lendemains de la secondeguerre mondiale est davantage délaissée maintenant au profit d’une défini-tion plus large. Dans un ouvrage récent, l’un de ses proches, Larry Diamond,donne une liste de conditions, susceptibles de fournir une définition pluslarge et plus universaliste de la démocratie. Parmi ces facteurs figurent laliberté individuelle d’opinion et de croyance, de réunion et de manifestation ;la liberté religieuse et celle des groupes raciaux et ethniques minoritaires ; ledroit de vote ; la concurrence électorale entre partis politiques ; l’égalité descitoyens devant la règle de droit ; un pouvoir judiciaire indépendant ; la pro-tection des libertés individuelles ; la séparation des pouvoirs ; le pluralisme del’information ; l’existence d’une société civile active ; le contrôle de l’arméeet de la police. La démocratie apparaît alors comme un système politique sus-ceptible de variations entre deux limites distinctes : la démocratie électorale,avec des élections libres et loyales, au niveau minimum, et la démocratie libé-rale, avec les normes et les valeurs d’une démocratie plus large, au niveaumaximum 73.

73. DIAMOND L., The Spirit of Democracy. The Struggle to Build Free Societies throughout theWorld, New York, Times Books, 2008.

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