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Revue de Revue de lERSUMAlERSUMA Droit des Affaires - Pratique
Professionnelle
Numro 3 Septembre 2013 Version Electronique sur
http://revue.ersuma.org
Doctrine Etudes Lgislation Jurisprudence : Commentaires darrts
Pratique professionnelle Bibliographie
Editorial La Revue de lERSUMA : une autorit plus que jamais
confirme ! par Flix ONANA ETOUNDI, Magistrat, Enseignant-Chercheur
HDR , DG/ERSUMA
Revue semestrielle dEtudes, de Lgislation, de Jurisprudence et
de Pratique Professionnelle en Droit des Affaires
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DIRECTEUR DE PUBLICATION
Flix ONANA ETOUNDI, Magistrat, Enseignant-Chercheur HDR,
Directeur Gnral de
lERSUMA
CONSEIL SCIENTIFIQUE
Pr. AKUETE SANTOS Pedro, Agrg des Facults de Droit, Doyen de la
Facult de droit, Universit de Lom ;
Pr. BOKALLI Victor Emmanuel, Doyen de la Facult des Sciences
Juridiques et Politiques, Universit de Yaound II ;
Pr. CISSE Abdoulah Agrg des Facults de Droit, Universit Cheick
ANTA Diop de Dakar ; (il faut vrifier si Abdoulah Ciss est encore
cette Universit car il me semble
qu'il est l'Universit de Saint-Louis) ;
Me COUSIN Barthlmy, Avocat au Barreau de Paris, Cabinet Norton
Rose LLP ; Pr. DJOGBENOU Joseph, Agrg des Facults de Droit,
Universit dAbomey Calavi ; Me DOSSA Raymond, Avocat au Barreau du
Bnin, Docteur en Droit ; Pr. DOUMBE BILLE Stphane, Agrg des Facults
de Droit, Facult de Droit,
Universit de Lyon ;
Pr. JAMES Jean Claude, Agrg des Facults de Droit, Universit Omar
Bongo de Libreville ;
Me KONATE Mamadou Ismal, Avocat au Barreau du Mali ; Mr. MBOSSO
Jacques, Magistrat hors hirarchie, Ancien Premier Prsident de la
Cour
de cassation de Centrafrique ;
Pr. MODI KOKO BEBEY Henri, Professeur agrg des Facults de droit,
Doyen de la Facult des Sciences Juridiques et Politiques de
lUniversit de Douala Dschang ;
Pr. POUGOUE Paul-Grard, Professeur Titulaire, Vice-recteur de
lUniversit de Yaound II ;
Pr. SAWADOGO Michel Filiga, Professeur Titulaire, Universit de
Ouagadougou.
SECRETARIAT DE LA REVUE
Pr. Moussa SAMB, Agrg des Facults de Droit, Universit Cheik Anta
Diop, Dakar, Directeur de la Recherche et de la Documentation,
ERSUMA ;
Dr.Achille NGWANZA, Charg d'enseignement Universit Paris Sud 11,
Universit Versailles Saint Quentin-en-Yvelines ;
M. Karel Osiris Coffi DOGUE, Chef Services des Etudes, de la
Formation et de la Recherche, ERSUMA ;
M. Ghislain OLORY-TOGBE, M.Sc., Cadre Juriste , ERSUMA.
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SOMMAIRE
Editorial, La Revue de lERSUMA : une autorit plus que jamais
confirme ! par Flix
ONANA ETOUNDI, Magistrat, Enseignant-Chercheur HDR.....5
DOCTRINE .... 7
Droit commun de la responsabilit civile et indemnisation des
victimes des prjudices ns
dinfractions boursires : le cas du Cameroun, par Gatchoup
Tchinda Dsir. 9
Lessor de larbitrage international en Afrique sub-saharienne :
les apports de la CCJA, par
Ngwanza Achille..30
Limmunit dexcution des personnes morales de droit public lpreuve
de la pratique en
droit OHADA, par Armel Ibono Ulrich80
Le nantissement de compte de titres financiers dans lespace
Ohada : regard sur une sret
nouvelle dans un contexte dmergence des marchs financiers, par
Sunkam Kamdem
Achille..95
Lvocation en matire judiciaire : obligation ou simple facult
pour la Cour Commune de
Justice et dArbitrage? par Ibrahim Ndam113
La protection du dposant des tablissements de microfinance, par
Sara Nandjip
Moneyang133
La ralisation de lhypothque en droit OHADA : Etude de lAUS la
lumire du droit
franais, par Christine YOUEGO155
Lexpression de la souverainet des tats membres de lOhada : une
solution-problme
lintgration juridique, par Moneboulou Minkada Herv
Magloire185
ETUDES ... 215
Le recouvrement de la dette publique intrieure dans les Etats de
lOHADA, par Apollinaire
A. de Saba .216
Redcouvrir la technique du Build, Operate and Transfer (BOT)
pour une ralisation optimale
de projets publics et privs en Afrique, par Roger
Tafotie..227
Le prott et la protection du porteur dun effet de commerce dans
la zone Cemac, par
Mlilingo Ellong Jean Joss.233
The advent of OHADA Cooperatives companies - An Insight into
management control, by
Monkam Cyrille252
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4
JURISPRUDENCE ..265
Commentaire arrt CCJA du 28 fvrier 2008, par Gamaleu Kameni
Christian.267
Les rcents dveloppements de la jurisprudence communautaire Ohada
en matire
dinjonction de payer, par Jrmie WAMBO..273
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EDITORIAL
La Revue de lERSUMA : une autorit plus que jamais confirme !
Le troisime numro de votre Revue de lERSUMA : Droit des affaires
Pratique
professionnelle parat et maintient le cap. La Revue continue
dcrire en lettres dor une
page de lhistoire du Droit des affaires OHADA et des Droits
communautaires africains. Elle
tient la drage haute et rassure de plus en plus sa tribune par
lmancipation et la promotion
dune doctrine africaine et internationale de haute qualit.
Les contributions retenues dans ce numro couvrent les principaux
axes de la Revue.
Dans la rubrique Doctrine, ct dun article sur la contribution de
la jurisprudence de la
CCJA larbitrage international, figurent deux publications dans
un de ces domaines encore
inexplors pour ne pas dire sotrique du Droit des affaires
africain : le Droit boursier. Le
premier de ces articles se dmarque justement puisquil allie
droit de la responsabilit civile et
droit boursier. Le second article est topique par son savant
alliage des rgles du nouveau
nantissement des comptes de titres financiers, issu de la rforme
OHADA des srets de 2010
et lmergence des marchs financiers africains.
A la suite de ces trois contributions, la question lancinante de
limmunit dexcution des
personnes morales de droit public est propose nos lecteurs.
La qualit de la moisson de ce numro est complte par des
rflexions portant sur la facult
ou lobligation dvocation de la CCJA de lOHADA, la ralisation de
lhypothque en droit
compar franais et OHADA, de mme que la problmatique de
lexpression de la
souverainet des Etats membres de lOHADA dans un contexte
dintgration juridique.
La rubrique Etude nous plonge dans lunivers du droit prospectif
OHADA et nous fait
dcouvrir la technique du Built Operate and Transfer (BOT),
nouveau contrat de la
commande publique ayant pour objectif la ralisation optimale des
projets de dveloppement
sous lapproche partenariat public-priv en Afrique. Ce sont
ensuite des considrations de
recouvrement de la dette publique intrieure et de droit
cambiaire en zone CEMAC qui sont
abordes par les contributeurs. Nos lecteurs anglophones ne sont
pas en reste puisque cette
section est close par un article en anglais intitul The advent
of OHADA Cooperatives
companies - An insight into management control et portant en
substance sur les socits
coopratives OHADA du point de vue des rgles de gestion et de
contrle.
Enfin, des commentaires aviss de Jurisprudence de la CCJA nous
sont proposs dans la
section ddie cet exercice pour une exprimentation de ce droit
uniforme vivant que la
jurisprudence contribue inluctablement maintenir vivace.
La qualit des contributions et lautorit croissante de la Revue
de lERSUMA laissent
prsager de bonnes suites quant au processus rcent de
reconnaissance de cette Revue par le
Conseil Africain et Malgache pour lEnseignement Suprieur
(CAMES).
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Sil est donc vrai que lautorit de votre Revue ERSUMA est
confirme, sa conscration
CAMES nen sera que pour bientt !
Flix ONANA ETOUNDI
Magistrat, Enseignant-Chercheur HDR
DIRECTEUR GENERAL DE LERSUMA
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DOCTRINE
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DROIT COMMUN DE LA RESPONSABILITE CIVILE ET INDEMNISATION
DES
VICTIMES DES PREJUDICES NES DINFRACTIONS BOURSIERES : LE CAS
DU
CAMEROUN
Par
GATCHOUP TCHINDA Dsir
Docteur en Droit priv
Assistante la Facult des Sciences Juridiques et politiques
Universit de Yaound II
e.mail : [email protected]
RESUME
La prsente tude a pour objet de sinterroger sur laptitude du
droit commun de la responsabilit civile rgir lindemnisation des
victimes des prjudices boursiers. Il en rsulte un constat, la
prsence de nombreuses difficults dapplication tant du droit matriel
que du droit formel la rparation des prjudices et une ncessit, le
besoin dadapter ventuellement le droit de la responsabilit aux
spcificits de la rparation des prjudices boursiers :
lapplication du droit matriel fait face aux obstacles lis la
caractrisation des conditions de la responsabilit civile, do le
besoin de recourir la notion de perte dune chance et celle de
victimes par ricochet ; lapplication du droit procdural se heurte
galement aux difficults relatives ltablissement de la faute
boursire et lapplication des mcanismes procduraux actuels aux
prjudices de masse, ce qui impose notamment lintroduction de la
prsomption de fraude sur le march et des class actions. Ces mesures
doivent saccompagner dune bonne interprtation et dune bonne
adaptation des situations par le juge.
ABSTRACT
The present study has as an aim to wonder about the aptitude of
the common right of
the civil responsibility to govern the compensation for the
victims of the stock exchange
damages. It results from it a report, the presence of many
difficulties of application as well of
the material law as of the formal right to the repair of the
damages and a need, the need to
possibly adapt the right of the responsibility to specificities
for the repair of the stock
exchange damages: the application of material law faces the
obstacles related to the
characterization of the conditions of the civil responsibility,
from where the need to resort to
the concept of loss for a chance and to that of victims by
rebound; the application of the
procedural law also runs up against the difficulties relating to
the establishment of the stock
exchange fault and the application of the current mechanisms
procedural to the damages of
mass, which imposes in particular the introduction of the
presumption of fraud on the market
and the class actions. These measurements must be accompanied by
a good interpretation and
a good adaptation of the situations by the judge.
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PLAN SOMMAIRE
Introduction
I : Une certaine inaptitude du droit commun de la responsabilit
civile rgir
lindemnisation des victimes de prjudices boursiers
A : Linaptitude du droit substantiel B: Linaptitude du droit
formel
II : Les voies dadaptation du droit de la responsabilit civile
aux spcificits de la rparation des prjudices boursiers
A : Le recours certains palliatifs au droit matriel de la
responsabilit civile
B : Linvitable introduction dun rgime particulier de rparation
au plan procdural
Conclusion
INTRODUCTION
La libert a t consacre par la Dclaration des droits de lhomme et
du citoyen de 1789 comme le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit
pas autrui. Au-del de cette frontire,
toute personne, quelle soit physique ou morale, est susceptible
dengager sa responsabilit civile lgard de ceux qui ont subi un
prjudice de ce fait. Ainsi dfinie, la responsabilit civile apparat
comme un principe gnral qui sapplique toutes les activits humaines
en contrepartie de la libert de les entreprendre. Ce droit stend
presque tous les domaines de la vie sociale, quils soient de nature
civile ou commerciale.
Que ce soit sur les marchs boursiers1 ou dans tout autre
domaine, la responsabilit
civile poursuit un double objectif : la rparation des dommages
causs et la dissuasion de les
commettre ou de ritrer un acte fautif. Si la responsabilit
civile remplit toujours, au moins
partiellement, ces deux fonctions, les conditions de sa mise en
uvre imposent parfois de favoriser lune ou lautre. Loptimisation
simultane des objectifs de rparation et de dissuasion est en effet
un idal quil nest pas toujours possible datteindre2. A cet effet,
il nous semble important de faire prvaloir la fonction indemnitaire
de la responsabilit
notamment, en prenant davantage en considration lintrt des
victimes des fautes
1 La terminologie march boursier est ancienne et a connu une
volution. Traditionnellement, la bourse
voquait les marchs rglements grs par une entit but non lucratif
et o laccs aux ngociations tait le plus souvent rserv aux dtenteurs
de parts ou dactions. Ce mode dorganisation a t abandonn au profit
dun nouveau statut ouvert aux non actionnaires. On est donc pass de
lappellation de march boursier celle de march financier et plus
rcemment celle de march dinstruments financiers ; cette nouvelle
appellation couvre non seulement la bourse, mais aussi dautres
organismes intervenant dans le fonctionnement du march tels le
dpositaire central, la banque de rglement, lautorit de contrle du
marchLexpression march financier est ainsi plus large. Le choix de
la dnomination de march boursier dans le cadre de ce travail
tmoigne de la volont de vouloir limiter notre champ danalyse aux
acteurs boursiers. 2 SPITZ N., La rparation des prjudices
boursiers, Revue banque dition, 2010, pp. 65-66.
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boursires3. Lindemnisation met donc laccent sur la personne qui
subit le prjudice boursier
que sur lauteur de la faute boursire. Par ailleurs, plusieurs
arguments peuvent tre avancs pour carter lindemnisation des
consquences dommageables de certaines infractions boursires : de
nombreuses rgles
rgissant les marchs financiers ont pour seule finalit la
protection du march, ce qui
exclurait la protection des investisseurs. Ces derniers seraient
ainsi privs du droit de
demander la rparation des prjudices quils ont subi
individuellement. Parmi ces rgles boursires, les infractions
dinitis sont frquemment cites comme un exemple de rgles participant
lintrt gnral. A cet effet, il est difficile de dceler la place de
la victime dans larsenal juridique rpressif. Et pourtant, cette
place des victimes dinfractions boursires doit tre trouve, car la
rparation du prjudice
4 subi par elles est une ncessit morale et un
facteur de crdibilit du march.
Le choix du qualificatif boursier par rapport lexpression
prjudice de march financier sexplique par la volont didentifier des
manifestations financires prsentant des caractristiques singulires
au regard du droit de la responsabilit civile. Il sagit donc de
discerner les spcificits de lindemnisation des prjudices
particuliers qui peuvent tre subis par les acteurs boursiers. Les
prjudices de marchs financiers reprsentent un ensemble trs
large de prjudices. En effet, ils comprendraient tous les
dommages subis sur tous les marchs
financiers. La rparation de certains prjudices relevant de ce
domaine repose mme
principalement sur les mcanismes du droit de la responsabilit
contractuelle dans lesquels les
dispositions contractuelles tiennent lieu de loi aux parties5.
Les prjudices boursiers sont donc
des dommages subis par une personne qui dtient ou aurait d
dtenir un titre financier admis
la ngociation sur un march rglement ou inscrit sur un systme
multilatral de
ngociation organis, la suite dune atteinte au bon fonctionnement
de la bourse6. La rparation des prjudices boursiers en droit
camerounais nest pas pour linstant
encadre par un rgime particulier. Elle sinscrit dans le cadre
gnral de la responsabilit civile
7. Ainsi, lon est en droit de sinterroger sur laptitude de notre
droit commun de la responsabilit civile, tant matriel que formel,
rgir lindemnisation des victimes des prjudices boursiers,
cest--dire, surmonter les divers obstacles dresss sur la voie de
son application par les particularismes techniques du
fonctionnement des marchs financiers. Ces
particularismes sont notamment, lanonymat et lintermdiation des
transactions, la complexit des techniques et des produits
financiers, la multiplicit des ordres et la diversit
des situations individuelles, la varit des catgories
dintervenantsLenjeu dune telle recherche est considrable tant au
plan pratique quau plan thorique. Au plan thorique, elle permettra
de vrifier ladaptabilit du droit commun de la responsabilit rgir
lindemnisation des victimes dinfractions boursires. Lenjeu au plan
pratique est dans lassistance fournie toutes les personnes
intresses par la rsolution des litiges individuels. Ainsi, il sagit
dun outil de travail pour nos juges qui seront certainement
interpells sur la question dans nos marchs financiers. Lenjeu est
aussi de taille pour lattractivit de nos
3 Les fautes boursires sont constitues par des comportements
ayant une influence illgale ou artificielle sur le
fonctionnement de la bourse. La ncessit de qualifier dillgale ou
dartificielle linfluence exerce sexplique par le fonctionnement des
marchs boursiers qui repose notamment sur le principe de licit de
la spculation. 4 Le prjudice peut tre dfini comme le dommage subi
par une personne dans son intgrit physique (prjudice
corporel, esthtique), dans ses biens (prjudice patrimonial,
pcuniaire, matriel), dans ses sentiments (prjudice
moral) qui fait natre, chez la victime, un droit rparation. 5
Par exemple, les dommages rsultant des transactions portant sur des
titres financiers cots mais effectus sur
un march de gr gr. 6 SPITZ N., La rparation des prjudices
boursiers, Revue banque dition, 2010, p. 43.
7 Un auteur a pu mentionner la vocation universelle de la
responsabilit civile comme remde aux lacunes du
droit : FASQUELLE D., La rparation des prjudices causs par les
pratiques anticoncurrentielles , RTDcom.
n 51, oct- dc. 1998, p. 763 et 766.
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places financires naissantes. Ceci dit, lanalyse va se situer
davantage sous langle prospectif au regard de ltat de lvolution de
la question dans notre environnement. Ce qui nous impose de mener
une rflexion partir de lexemple des droits trangers8. En effet, le
droit des marchs financiers est un droit naissant dans notre
contexte
9, do labsence presque totale de la jurisprudence en matire
dindemnisation des victimes de prjudices boursiers. Bien plus, le
droit pnal camerounais des marchs financiers regorge de nombreuses
lacunes
relatives son systme rpressif10
; de nombreuses insuffisances sont enregistres dans le
domaine de la conscration des infractions, par exemple, la
conscration de lincrimination de manipulation de cours est
implicite. Ce qui ne favorise gure la situation des victimes
des
prjudices qui pourraient natre de cette infraction. Les
sanctions ne sont pas assez dissuasives
du fait de leur faiblesse. Tout ceci engendre de nombreuses
consquences ngatives sur
lindemnisation des victimes des prjudices. Les prjudices
boursiers sont difficiles caractriser notamment, en ce qui concerne
leurs caractres certain, direct et personnel. Leur
valuation pose aussi dnormes problmes. La preuve nest pas en
reste. Ces multiples difficults compliquent la situation des
victimes. La procdure devant le juge napporte pas de soulagement.
Au contraire, les principes procduraux applicables en matire
judiciaire
accentuent cette situation. La liste des difficults nest pas
exhaustive.
En considration de nombreux obstacles enregistrs tant au niveau
du droit substantiel
qu celui du droit formel, il se prsente que le droit commun de
la responsabilit civile connat une certaine inaptitude rgir
lindemnisation des victimes des prjudices ns des infractions
boursires (I). Pour cela, simpose la ncessit ventuelle de ladapter
aux spcificits des marchs financiers (II).
I UNE CERTAINE INAPTITUDE DU DROIT COMMUN DE LA
RESPONSABILITE
CIVILE A REGIR LINDEMNISATION DES VICTIMES DE PREJUDICES
BOURSIERS
Linaptitude du droit de la responsabilit rgir lindemnisation des
victimes des prjudices boursiers est visible tant dans le droit
substantiel (A), que dans le droit formel (B).
A. Linaptitude du droit substantiel
Les obstacles lis au droit matriel se fondent sur les trois
conditions requises pour
engager la responsabilit civile. A cet effet, ils concernent le
prjudice (1), la faute et le lien
de causalit (2).
1 : Les difficults dapplication lies au prjudice Afin de mieux
caractriser les prjudices boursiers, il semble ncessaire
danalyser
successivement le cas de la manipulation de march (a), celui du
dlit diniti (b) afin de conclure sur la difficile valuation des
prjudices (c).
8 Le droit franais et le droit amricain en loccurrence.
9 Ce nest que le 22 dcembre 1999 que le Cameroun va se doter de
la premire loi portant cration et
organisation dun march financier. Le march ainsi cr ne sera
inaugur quau 23 avril 2003, marquant le dbut de son fonctionnement.
Mais, dix (10) ans aprs son inauguration, ce march ne dcolle pas
toujours
vritablement : trois socits seulement sont cotes, notamment
SEMC, SAFACAM et SOCAPALM et quelques
emprunts obligataires ont t lancs comme celui de lEtat du
Cameroun. La CEMAC a cr aussi son march un an aprs le Cameroun,
soit en 2000. La situation nest gure meilleure de ce ct-l. 10
Sur les lacunes relatives aux systmes rpressifs boursiers
camerounais, CEMAC et UEMOA, lire
GATCHOUP TCHINDA D., La transparence dans les marchs financiers
de lUEMOA, de la CEMAC et du Cameroun. Regard crois avec le droit
franais , Thse, UYII, 2011-2012, pp.200-250.
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a : La difficile caractrisation des prjudices dans les
manipulations de march
La manipulation de march regroupe la diffusion des fausses
informations et
informations trompeuses et la manipulation de cours. Ces faits
faussent le fonctionnement
rgulier du march. Conformment au droit commun de la
responsabilit civile, le prjudice
doit tre certain, direct et personnel. Les situations dans
lesquelles le prjudice est incertain
concernent les titres financiers qui sont la fois acquis ou cds
au cours de la priode de
commission de la faute boursire. Ainsi, un actionnaire qui
prtend avoir pris sa dcision
dacheter des actions sur la base de linformation fausse ou
trompeuse, peut demander tre remis dans la situation dans laquelle
il aurait t si la faute boursire navait pas t commise
11. La difficult est de dterminer qui a subi un prjudice du fait
de la diffusion d'une
information errone. Le doute rgne sur le fait de savoir sil faut
indemniser les actionnaires qui ont achet au moment de cette
diffusion, ceux qui possdaient auparavant des titres et qui
n'ont pas vendu, ceux qui auraient pu vouloir acheter mais qui
ont chang d'avis du fait de
l'information. Il sagit de savoir sil faut subordonner
l'indemnisation un achat postrieur ou au contraire antrieur la
diffusion d'informations
12. Si malgr les difficults la victime dune manipulation de
march parvient dmontrer le caractre certain du prjudice, encore
faut-il
que soit tabli le caractre direct et personnel13
, ce qui se heurte aux mcanismes de droit des
socits.
Pour tre indemnis, le prjudice doit tre direct et personnel. Or
lon refuse dindemniser sparment le prjudice invoqu par un associ ds
lors quil ne se singularise pas du prjudice social
14. Le prjudice de lassoci nest que le corollaire du prjudice
social qui labsorbe compltement15. De ce fait, seuls les prjudices
relevant du non-respect des droits individuels de lactionnaire
peuvent donner lieu une indemnisation individuelle16. La situation
est plus complique dans le dlit dinitis.
11
La rparation des prjudices de dcision pose la question de leur
caractre certain. La rponse ce problme
est a priori simple dans lhypothse o linvestisseur a revendu les
titres quil avait dcid dacqurir avant la fin de la priode de
commission de la faute boursire. La rponse est bien plus complexe
lorsque linvestisseur avait dcid dacheter des titres financiers et
ne les a pas encore vendus ou lorsque la dcision consistait vendre
des titres dtenus. En effet, dans la mesure o le prjudice de
dcision inclut lala boursier, il devient certain la date laquelle
la faute boursire est totalement rectifie. A cette date,
linvestisseur qui a dcid de vendre ses titres peut, en toute
connaissance de cause, les racheter sur le march, ce qui limite son
prjudice de dcision aux
pertes subies pendant cette priode. Inversement, linvestisseur
qui conserve les titres financiers quil avait dcid dacheter peut
les cder un cours correctement valu. Une telle solution vite de
faire supporter indfiniment lauteur de la faute boursire la partie
du prjudice de dcision reprsentant lala boursier. De mme, lauteur
de la faute boursire ne peut plus bnficier dune volution positive
du cours aprs rectification de la faute boursire pour rduire, voire
anantir, les dommages et intrts quil est tenu de verser. Les
prjudices de dcision dsignent les dommages subis par un acteur
boursier qui a pris une dcision
dinvestissement dfavorable en raison dune faute boursire. Ils
sopposent aux prjudices de condition qui dsignent les dommages
subis par un acteur boursier du fait de la ralisation dune
transaction boursire un cours dfavorable au regard du cours qui
aurait rsult du bon fonctionnement du march. 12
Pour les tentatives de solutions ces proccupations, voir la
sous-partie A de II. 13
La chambre criminelle de la Cour de Cassation franaise a admis,
dans une dcision du 11 dcembre 2002, la
constitution de partie civile dun actionnaire du chef du dlit
diniti commis en estimant quil y a eu atteinte un intrt direct et
personnel des actionnaires : COURET A. et alii, Droit financier,
Prcis Dalloz, 1
re d., 2008,
pp. 950-951. 14
Il est dfendu dans certaines circonstances que le prjudice
constitu par la baisse de la valeur patrimoniale
dune socit, du fait dune infraction boursire, constitue un
prjudice personnel cette socit qui seule peut intenter une action
en rparation, lexclusion des actionnaires. 15
Il est souvent tentant de considrer que tout prjudice est peu ou
prou un prjudice social : LIKILLIMBA G-
A., le prjudice individuel et/ou collectif en droit des
groupements , RTDcom 2009, p. 1. 16
VALANCE L., Lindemnisation des victimes dinfractions boursires ,
mmoire de Master 2 juristes daffaires, Universit de Paris II
Panthon-Assas, anne 2006-2007, p. 16.
-
14
b : Les incertitudes du droit sur le dlit dinitis
Si la dtermination du prjudice en matire de manipulations de
march est ardue, elle
semble relever de limpossible en matire de dlit dinitis. Il
existe une controverse autour de la notion de victimes dans le dlit
dinitis. Les oprations dinitis ont la singularit de faire natre une
question particulire, celle de savoir si elles sont prjudiciables
aux marchs ou aux
investisseurs. La premire incertitude concerne donc les victimes
indemniser. Face cette
proccupation, daucuns ont pu affirmer que le trouble qui rsulte
de linfraction touche les intrts gnraux de la socit et de ce fait,
la rparation ne peut tre assure que par laction publique : la
commission du dlit diniti ne cre pas de prjudices pour les porteurs
de titres, dautant plus que ce dlit a un fondement moral et non
conomique17. Dans lannotation de laffaire Socit Gnrale de
Fonderie18, le Professeur H. HOVASSE dclare quon aperoit mal
comment le dlit diniti pourrait donner prise une demande en
rparation de la part des oprateurs, car le dlit diniti ne cause
aucun prjudice ; si un initi titulaire dinformations boursires se
porte acqureur, il va tirer les cours vers le haut et toute la
communaut
doprateurs va en profiter ; le mme raisonnement pourrait tre
conduit en sens inverse lorsque liniti est titulaire dinformations
dfavorables. Ces dclarations ne nous semblent pas
convaincantes.
En effet, la victime qui a conserv des titres antrieurement
acquis en raison de la
hausse artificielle des cours rsultant de la diffusion
dinformations fausses ou trompeuses sur la situation des metteurs
naurait srement pas agi de la sorte si les informations navaient
pas t publies. Par le canal de la notion de perte dune chance, ce
prjudice est rparable. Pourquoi ne pas retenir un raisonnement
similaire en matire de dlit diniti ; nous pensons que lpargnant
naurait pas conserv ses titres si linformation privilgie tait
publique. Il convient de dire en dfinitive que le dlit diniti porte
certainement un prjudice aux investisseurs. Par ailleurs, il faut
sinterroger sur le fait de savoir si le march lui-mme subit un
prjudice du fait des oprations dinitis. En rapprochant le titre de
sa valeur relle, lopration diniti contribue au bon fonctionnement
du march en rtablissant lefficience informationnelle. Mais, une
telle conception est limite en ce quelle omet de prendre en compte
la perte de confiance qui sinstalle dans lesprit des investisseurs,
ce qui conduit une rduction de linvestissement sur ce march
19. En dautres termes, lopration diniti soppose lefficience
parce quelle diminue le niveau dinvestissement et le profit des
non-initis. Au Cameroun, le march financier est un phnomne nouveau
et reste embryonnaire.
Ce qui explique labsence de jurisprudence sur la question. En
puisant dans le droit franais, il faut relever que dans laffaire
Socit Gnrale de Fonderie, la Cour dAppel de Paris20 a vit de
rpondre la question de savoir qui est victime du dlit dinitis. Elle
sest contente de relever que les parties civiles navaient rclam
aucune rparation du chef des dlits dinitis pour lesquels les
prvenus taient galement poursuivis. Or, lon remarque que les
victimes ne sont pas toujours conscientes de leurs droits. Par un
arrt du 11 dcembre 2002
21,
la chambre criminelle de la Cour de cassation franaise a cass
une dcision de la chambre
dinstruction de la Cour dAppel de Paris en date du 15 juin 2001
qui avait dclar irrecevable la constitution de partie civile du
chef du dlit dinitis en estimant que lutilisation
17
DE VAUPLANE H. et SIMART O., Dlits boursiers : propositions de
rformes , Rev. Droit bancaire et
bourse, mai-juin 1997, n 61, p. 85. 18
CA Paris, 15 janvier 1992, 9me
ch., Rev.Soc., septembre 1992, Obs. H. HOVASSE. 19
DEFFAINS B. et STASIAK F. : Les prjudices rsultant des
infractions boursires : approche juridique et
conomique , le droit au dfi de lconomie, CHAPUT Y., droit
conomique 2002, 1997, p. 177. 20
CA Paris, op.cit. 21
Cass.crim, 11 dcembre 2002, Bull. Crim. n 224 ; Bull. Joly
bourse 2003, p. 149, 23, note F. STASIAK;
Bull. Joly bourse 2003, p. 437, 87, note E. DEZEUZE.
-
15
dinformations privilgies si elle peut porter atteinte au
fonctionnement normal du march, ne cause par elle-mme aucun
prjudice personnel et direct aux autres actionnaires de la
socit ni la socit elle-mme . La Cour de Cassation franaise a
sanctionn cette
dcision. Cette importante dcision marque une affirmation de la
possibilit dun prjudice caus aux actionnaires du fait du dlit
diniti. Cette position a t confirme par laffaire Sidel
22. En lespce, les juges ont admis la constitution de partie
civile des actionnaires qui rclamaient la rparation du prjudice
subi en consquence des diffrentes infractions,
notamment le dlit diniti. En tout tat de cause, il faut dire que
le droit positif franais est favorable la rparation du prjudice
individuel subi du fait doprations dinitis mme sils subsistent de
nombreuses difficults quant la caractrisation du prjudice
23. Et cest la voie que doit suivre le droit camerounais. Ces
difficults ont un impact sur lvaluation du prjudice.
c : La dlicate valuation des prjudices
La dtermination du montant du prjudice subi par l'actionnaire
qui a t victime d'une
information errone est si dlicate qu'elle a longtemps frein
toute indemnisation. Celui qui
investit en bourse s'expose un risque qui est parfois considr
comme un obstacle de
principe l'indemnisation de toute perte subie suite une chute de
cours. Mme si l'on
accepte l'indemnisation, le droit de la responsabilit civile
n'admet la rparation d'un prjudice
que s'il est certain. Or de nombreuses incertitudes rendent
particulirement dlicate la
dtermination de l'tendue de ce prjudice.
En effet, il y a une difficult isoler le prjudice subi par
lactionnaire de celui subi par la socit, mesurer le prjudice la
lumire de la variation constante dun cours de bourse, notamment
dans un contexte de forte volatilit, quantifier la perte dune
chance, fondement souvent allgu. La rponse ces questions est
dautant plus dlicate que le raisonnement repose sur une diffrence
de valorisation dinstruments cots, avant et aprs linfraction
considre qui varie en permanence sous leffet des facteurs
exognes24. Ainsi, ltude des prjudices boursiers ne sduit gure les
juristes : leur valuation serait une mission impossible pour les
pessimistes
25, difficile rduire en quelques formules
logiques pour les ralistes26
et mme en dehors de leur champ de comptence pour les plus
prudents27
. Faut-il pour autant renoncer rflchir aux prjudices boursiers
dun point de vue juridique ? Des auteurs ont rpondu cette question
par une autre, pleine de dfi : comment
une jurisprudence capable de dterminer le prix des larmes pour
la rparation du prjudice moral, par dfinition non valuable en
argent, pourrait-elle tre gne pour valuer
un prjudice purement financier ? 28
. Ces interrogations sont une invite tenter une
valuation des prjudices ns des infractions boursires. Il faut
souligner quen ltat actuel du
22
T. corr. Paris, 12 septembre 2006, n 0018992026, Bull. Joly
socits, janvier 2007, n 1, p. 119, note J.-F
BARBIERI ; Bull. Joly bourse, janvier 2007, n 1, p. 37, note E.
DEZEUZE ; D. 2006, n 36, p. 2522, note D.
SCHMIDT. 23
VALANCE L., Lindemnisation des victimes dinfractions boursires ,
mmoire de Master 2 juristes daffaires, Universit de Paris II
Panthon-Assas, anne 2006-2007, p. 23. 24
CLERMONTEL P., Le droit de la communication financire, Joly
ditions, 2009, p.444 25
MAZEAUD L., Le dlit daltration des prix, DP, 1927, 4, p. 146.
26
ALAMOWITCH S., De la rumeur la manipulation : la diffusion des
fausses informations , Marchs et
techniques financires, n 74, oct. 1995, p. 13. 27
COURET A.et al., Les contestations portant sur la valeur des
droits sociaux , Bull. Joly socits, n 11, nov.
2001, p. 1045, n 242. 28
DEFFAINS B. et STASIAK F., Les prjudices rsultant des
infractions boursires, approche juridique et
conomique , Le droit au dfi de lconomie, Publications de la
Sorbonne, 2002, p. 177, spc. p. 185.
-
16
droit positif camerounais, aucune rponse de principe nexiste.
Plusieurs mesures sont tout de mme envisageables, mais elles
connaissent des limites.
On peut rechercher limpact de la fausse information sur le cours
de bourse ou encore valuer le montant du prjudice partir de la
diffrence entre la valeur normale du cours et la
valeur aprs diffusion de fausses informations. Cette approche ne
tient pas malheureusement
compte de la dformation opre par linformation fausse ou la
manipulation sur le cours du titre avant sa dcouverte ; la
diffrence de cours nest pas uniquement due la diffusion de la
fausse information ou la manipulation. On peut aussi raisonner sur
la certitude du prjudice.
Mais cette mthode ignore le caractre alatoire de linvestissement
en bourse. Lorsque les juridictions dcident de fonder leurs
dcisions sur la notion de perte dune chance, elles ont lobligation
de prendre en compte lala pour valuer le prjudice subi et en
limiter la rparation. Le prjudice manant des oprations dinitis
natrait de limpact sur le cours de bourse ; ainsi, son valuation
pourrait correspondre la diffrence de cours entre la valeur
normale du titre et la valeur du titre aprs les oprations
dinitis. Une telle mesure est surprenante dautant plus que
contrairement aux manipulations de march, les oprations dinitis
auront tendance rapprocher le titre de sa vraie valeur selon la
thorie de lefficience informationnelle
29.
Au-del de la difficile valuation des prjudices ns des
infractions boursires, de
nombreux autres obstacles semblent natre du domaine boursier
lui-mme. Dans de
nombreuses hypothses, la dtermination des prjudices ressentis
suppose la comparaison
entre deux cours de bourse et notamment la caractrisation de
limpact sur ce cours de bourse de lopration diniti, de la fausse
information et de la manipulation. Mais valuer exactement la
variation des cours des instruments financiers concerns induite par
la
commission des infractions boursires savre difficile. Le cours
de bourse varie en fonction de trs nombreux facteurs qui peuvent
mme lui tre trangers. Il peut sagir des recommandations danalystes,
des anticipations des investisseurs, des rumeurs de march, de la
publication de rsultats ou de prvisions ou dune situation conomique
globale. Le juge civil doit pour cela recourir lautorit de contrle
des marchs financiers pour valuer le montant des prjudices
boursiers
30. Le prjudice nest pas lui seul une condition suffisante pour
engager la responsabilit civile. Lexigence de la faute et dun lien
de causalit entre cette faute et le prjudice constitue des
conditions supplmentaires.
2 : Les obstacles relatifs la faute et au lien de causalit
Quil sagisse de la caractrisation de la faute (a) ou de
ltablissement du lien de causalit (b), des obstacles sont encore
prsents.
a : La pnible caractrisation de la faute
Ltude des fautes boursires invite rechercher une dfinition
gnrale de la faute civile qui puisse servir de point de dpart.
Larticle 1382 du code civil pose le principe gnral de la
responsabilit pour faute
31. Soucieux de poser ce principe gnral, les rdacteurs
du code civil nont pas apport davantage de prcision la dfinition
de la faute civile. A dfaut dun encadrement plus structurant de
cette notion de faute civile, la faute boursire,
29
VALANCE L., Lindemnisation des victimes dinfractions boursires ,
mmoire de Master 2 juristes daffaires, Universit de Paris II
Panthon-Assas, anne 2006-2007, p. 26. 30
CONAC P-H, Synthse de la consultation publique sur le rapport du
groupe de travail sur lindemnisation des prjudices subis par les
pargnants et les investisseurs , 16 mai 2011, Dalloz.fr, Rev. Soc.
2011, p. 451. 31
Lart. 1382 du code civil dispose que tout fait quelconque de
lhomme, qui cause autrui un dommage, oblige celui par la faute
duquel il est arriv le rparer .
-
17
lment central des conditions de la responsabilit boursire, doit
tre tudie de manire
autonome en recherchant directement ses caractristiques.
La condition pralable lexistence des prjudices boursiers est la
commission dune faute boursire. Cette dernire se prsente tout
simplement comme une atteinte au bon
fonctionnement de la bourse. Dresser une liste exhaustive de
tous les faits constitutifs dune faute boursire relve videmment de
limpossible tant limagination et lingniosit des hommes sont
grandes. Les fautes boursires susceptibles dengendrer des prjudices
boursiers prsentent cependant un trait caractristique commun :
elles conduisent une altration de
linformation fournie au march boursier. Elles mritent ainsi dtre
qualifies de fautes par influence artificielle ou illgale
32. Commet ainsi une faute boursire, toute personne dont
le comportement a eu une influence artificielle ou illgale sur
le bon fonctionnement de la
bourse.
Le comportement fautif couvre les actes rprhensibles commis par
les dirigeants. Ce
qui peut entraner la mise en cause de la responsabilit de la
personne mettrice. La mise en
uvre de la responsabilit des dirigeants relvent du droit des
socits commerciales. Dans cette uvre, les victimes dinfractions
boursires se heurtent de nombreux obstacles : la mise en cause
personnelle des dirigeants est sujette la dmonstration de
lexistence dune faute sparable des fonctions du dirigeant en cause.
La faute dtachable est le fait pour le
dirigeant de commettre intentionnellement une faute dune
particulire gravit incompatible avec lexercice des fonctions
sociales 33. Ce principe sexerce pour la responsabilit des
dirigeants sociaux lgard des tiers34. Or cette rgle est applique
aux actions en responsabilit engages par les actionnaires de la
socit. Face lexigence dune faute sparable des fonctions pour
engager la responsabilit des dirigeants, la mise en cause de la
responsabilit civile de lmetteur parat plus aise, ce dautant
plus que les demandeurs bnficient de la capacit financire et de la
solvabilit de ce dernier. A dfaut dune telle faute, lcran de la
personnalit morale simpose et la socit est responsable des fautes
commises par ses dirigeants dans lexercice de leurs fonctions.
Cette situation ne nous parat pas pleinement satisfaisante. En
effet, les actionnaires supportent seule la charge financire
des fautes commises par les dirigeants, alors mme quen raison
des poursuites judiciaires, et des fautes commises par les
dirigeants, notamment caractre pnal comme la diffusion
dinformations fausses ou trompeuses, la socit a pu elle-mme
perdre de la valeur. Autrement dit, les actionnaires indemnisent un
prjudice, alors mme quils en subissent un du fait de la dprciation
de leurs titres, qui nest pourtant pas rparable individuellement.
Ainsi, un paradoxe fait surface : la socit est tenue seule
responsable des agissements de ses
dirigeants alors que dautre part elle peut tre elle-mme victime
de ces agissements35. Mme en prsence dune faute caractrise, la mise
en uvre de la responsabilit
suppose lexistence dun lien de causalit entre cette faute et le
dommage.
b : Le difficile tablissement du lien de causalit
Dterminer lexistence dun lien de causalit entre la faute et le
prjudice est une tche difficile pour linvestisseur. En effet, la
question de la preuve du lien de causalit dans laction individuelle
de lactionnaire est dlicate et subjective. Il nest pas ais de
dmontrer
32
SPITZ N., La rparation des prjudices boursiers, Revue banque
dition, 2010, p. 106. 33
Cass. Com., 20 mai 2003, Bull. Civ. IV, n 84; Bull. Joly Socits
2003, 167, p. 786, note H. Le
NABASQUE ; D. aff. 2003, p. 1502, Obs. A. LIENHARD ; RTDcom
2003, p. 523, Obs. J-P. CHAZAL et Y.
REIHARD ; Rev. Soc. 2003, p. 479, note J-F. BARBIERI. 34
SCHILLER S., Lactionnaire plus facilement indemnis en cas de
diffusion dune information errone , Petites affiches, 10 sept.
2010, n 184, p. 4. 35
VALANCE L., Lindemnisation des victimes dinfractions boursires ,
mmoire de Master 2 juristes daffaires, Universit de Paris II
Panthon-Assas, anne 2006-2007, p. 29-30.
-
18
quel point linformation financire errone ou trompeuse, voire son
absence ou son insuffisance a eu de limportance dans la dcision de
linvestisseur et dans lvolution des cours de bourse
36. Il faut notamment prouver quen matire de dlit de fausses
informations ou trompeuses, linformation litigieuse a t dterminante
de la volont de lactionnaire investir, en se portant acqureur des
titres de la socit un prix suprieur leur valeur relle.
Dans le domaine boursier, les considrations dachat et de vente
rpondent autant de variables que dlments influant sur le cours.
Cest lapproche retenue par laffaire Socit Gnrale de Fonderie : il
est impossible de dmontrer le fait gnrateur du prjudice allgu,
ce dautant plus que les oprateurs se sont dtermins acheter les
titres de la socit de fonderie en fonction des articles de presse,
en suivant les tendances du march et les ordres
passs en bourse sans quil soit possible dtablir avec certitude
que la diffusion du dernier communiqu ait t la cause principale ou
la seule de lacquisition ou de la conservation des titres par les
parties civiles et donc pas de lien de causalit direct.
Gnralement, cest le rapprochement des circonstances de fait qui
permet dtablir de faon suffisamment certaine une relation de cause
effet entre linfraction boursire et le prjudice subi par
linvestisseur. Les circonstances de fait sont primordiales, ce qui
marque lemprise de la subjectivit dans la caractrisation du lien de
causalit en matire boursire. La victime devra dmontrer le caractre
dterminant de la faute boursire sur sa dcision
dinvestissement ou, dfaut, son influence significative sil
ninvoque quune perte de chance
37. Le caractre dterminant doit pouvoir tre dmontr tant lgard du
comportement fautif que de latteinte au bon fonctionnement du
march. Par exemple, dans lhypothse dune faute boursire par
dsinformation directe, il suffirait linvestisseur de dmontrer que
sa dcision dinvestissement repose soit sur le communiqu diffusant
une information fausse ou trompeuse, soit sur le franchissement dun
seuil par le cours du titre financier du fait de la faute boursire.
En consquence, il nest pas forcment ncessaire linvestisseur de
dmontrer quil a pris personnellement connaissance du document
contenant une information fausse ou trompeuse. La preuve du lien de
causalit devient diabolique lorsquil sagit dune dcision dabstention
comme celle de conserver des titres financiers quil sapprtait cder.
En dfinitive, le droit matriel de la responsabilit civile semble
sappliquer difficilement lindemnisation des victimes de prjudices
boursiers. Faire une analyse de la rparation des prjudices
boursiers relativement au droit matriel sans prolongement vers
le
droit procdural, cest samputer dune dimension intellectuelle
certaine 38.
B: Linaptitude du droit formel
Les conditions de recevabilit de laction la fois devant le juge
civil et devant le juge pnal constituent dimportants freins laction
des victimes dinfractions boursires (3). Dautres obstacles
proviennent de la complexit inhrente aux marchs financiers (1) et
de la multiplicit des parties en cause (2).
36
CLERMONTEL P., Le droit de la communication financire, Joly
ditions, 2009, pp.463-464. 37
Les dcisions relatives aux transactions boursires effectues
antrieurement sans conservation de titres ou
postrieurement la dcision de commission de la faute boursire
nont pas pu tre prises sur la base de cette faute, ce qui prive les
ventuels prjudices de tout lien de causalit. Cest ce que le juge
pnal a rappel dans laffaire SEDRI, TGI Paris, 11me ch., 27 fv.
1998, RG n 98 /07599 : Bull. Joly, 1er sept. 1998, n 9, p. 925,
note N. RONTCHEVSKY. 38
VINCENT J., GUINCHARD S., Procdure civile, Dalloz, 2me
d., 2003, spc. n 9.
-
19
1 : La complexit des marchs financiers, obstacles la rparation
effective des
prjudices boursiers
La rparation effective des prjudices boursiers dpend troitement
de la capacit du
droit et des tribunaux traiter des litiges dune grande complexit
technique39. Cette technicit entraine de nombreuses difficults dans
ltablissement de la faute boursire, cest--dire la difficult de la
dtecter (a) et de la prouver (b).
a: La difficult de dtecter la faute boursire
Les fautes boursires sont particulirement difficiles dtecter par
les personnes qui
en subissent pourtant les consquences. Les prjudices boursiers
surviennent sur des marchs
o les investisseurs choisissent volontairement de sexposer un
certain risque en contrepartie dun rendement espr. Les cours
auxquels ils achtent ou vendent des titres financiers fluctuent au
gr de la publication des informations les concernant, sans quil
soit possible en principe danticiper ces volutions. Cet ala
boursier a pour consquence de masquer les effets dventuelles fautes
boursires. Parfois, les investisseurs lss ont des difficults
dtecter la faute boursire en raison de lanonymat des donneurs
dordre qui peut rendre complexe lidentification de lauteur. A dfaut
de pouvoir identifier lauteur, la personne lse renonce lexercice de
son droit rparation.
Le caractre dterminant de la faute boursire pourrait tre apprci
soit in abstracto
soit in concreto. Lapproche in abstracto utilise en matire de
manquements dabus de march, est certainement la plus favorable aux
victimes car, il leur suffit de dmontrer le
caractre dterminant de la faute boursire pour un investisseur
raisonnable. Cette approche
nest pas nanmoins la bienvenue dans la rparation des prjudices
de dcision car ce type de prjudices met la charge de lauteur de la
faute lala boursier auquel la victime sest expose. La rparation des
prjudices boursiers risquerait alors de driver vers une
assurance
contre les moins-values40. Pour viter cet cueil, il semble quil
faille opter pour une approche
in concreto41
. La preuve de la faute est aussi source de difficult.
b : La difficult de prouver la faute
Lorsquune faute boursire est dtecte, la charge de la preuve pse
sur les acteurs boursiers victimes. Ltablissement des faits
seffectue selon le principe gnral de la procdure civile. Daprs ce
principe, il incombe chaque partie de prouver conformment la loi
les faits ncessaires au succs de sa prtention. La difficult tient
ici au fait que les
personnes lses ne dtiennent pas toujours les documents
ncessaires pour prouver cette
faute. Ces documents sont parfois dtenus par les tiers et le
plus souvent par lauteur suppos de la faute boursire. Les victimes
de fautes boursires ont ainsi difficilement accs aux
documents de preuve et leurs actions sont pour cela entraves. La
consolation nest pas rechercher dans les mcanismes procduraux de
notre droit judiciaire.
39
Cette complexit sexplique par le fonctionnement des marchs
boursiers et en particulier par la prsence inhrente du risque.
40
Dans le mme sens, SPITZ N., La rparation des prjudices
boursiers, Revue banque dition, 2010, p. 272. 41
Cette approche a t retenue dans diffrentes affaires : Cass.
Com., 22 nov. 2005, pourvoi n 03-20.600 indit,
Banque et droit n 105, janv.-fv. 2006, p. 25, Obs. H. DE
VAUPLANE ; RTDcom. 2006, p. 445, note M.
STORCK; Affaire REGINA RUBENS, CA Paris, 9me
ch., sect. B, 14 sept. 2007, n 07/01477.
-
20
2 : Linefficacit des mcanismes procduraux actuels prendre en
compte la multiplicit des parties en cause : les principes gnraux
limitant les prjudices de masse
En plus de lventuelle pluralit des auteurs de la faute boursire,
le nombre de personnes qui subissent un prjudice boursier est
positivement corrl au volume des titres
changs pendant la priode de dysfonctionnement du march boursier.
Il en rsulte une
multiplicit de victimes. Leffectivit de la rparation des
prjudices boursiers dpend notamment de la capacit des rgles
procdurales faciliter le traitement des litiges de masse
dans le domaine boursier. Le constat partag est celui de
lincapacit des mcanismes actuels prendre en compte la multiplicit
des parties, lses ou fautives, dans le cadre des actions en
rparation des prjudices boursiers. Plusieurs rgles de la
procdure civile entravent le
traitement judiciaire des litiges de masse. Il sagit notamment
de lautorit relative de la chose juge (a), de ladage nul ne plaide
par procureur (b) et de la libert individuelle dester en justice
(c).
a : Le principe de lautorit relative de la chose juge
Les dcisions judiciaires sont revtues de lautorit relative de la
chose juge, ce qui signifie quun jugement ne peut ni profiter ni
nuire une personne qui nest pas partie au litige. Cette mesure nest
pas favorable au traitement des litiges de masse. Une dcision de
justice obtenue par une association de droit commun ne simpose par
exemple qu cette association et ses ventuels mandants, lexclusion
de toute autre personne. Lautorit de la chose juge est donc un
obstacle au traitement judiciaire des litiges de masse. Le principe
de
lautorit relative de la chose juge doit ainsi tre assorti
dexceptions pour permettre lintroduction de certaines formes
dactions de groupe. Quid de ladage nul ne plaide par procureur
?
b : Le principe nul ne plaide par procureur
Aujourdhui, le rle de la maxime nul ne plaide par procureur est
devenu plus formel et consiste faire obligation au mandataire
dindiquer le nom de son ou de ses mandants dans tout acte de
procdure quil fait en son nom. Il sagit dassurer une certaine
transparence lors du procs o les parties doivent connaitre lidentit
de leurs contradicteurs. Cette rgle suppose donc de connatre
lidentit des parties qui seront lies par la dcision de justice, ce
qui pose une difficult a priori insurmontable pour les actions de
groupe reposant
sur un mcanisme dopt-out42. Le nombre lev de victimes dans les
prjudices boursiers constitue un obstacle la connaissance des
diffrentes identits. Dautres formes dactions de groupe, en
particulier le mcanisme de lopt-in43, sont en revanche compatibles
avec cette rgle qui alourdit toutefois la procdure. Il convient
prsent danalyser le principe de la libert individuelle dester en
justice.
c : Le principe de la libert individuelle dester en justice
Le principe de la libert individuelle dester en justice comprend
le droit pour chaque personne dester en justice. Ce droit doit
sexercer en accord avec le consentement de la personne concerne. Ce
principe de la libert individuelle dester en justice reprsente
un
42
Le mcanisme de lopt-out consiste agir pour un groupe dont les
membres, identifiables mais non identifis, sont prsums avoir donn
tacitement leur accord sauf sils manifestent leur volont dtre
exclus. 43
Le mcanisme de lopt-in consiste agir pour le compte dun groupe
dont tous les membres, identifis, ont expressment donn leur
accord.
-
21
obstacle au traitement des litiges de masse dans la mesure o il
impose de recueillir avant la
date de jugement le consentement des personnes qui seront tenues
par la dcision judiciaire.
Cet obstacle nest pourtant pas infranchissable. Ainsi, la Cour
Suprme des USA a pu admettre quune large diffusion de la publicit
faite autour des actions de groupe, avec la possibilit pour les
personnes concernes de demander leur exclusion du groupe,
suffisait
garantir leur libert individuelle dagir en justice44. La
publicit rendrait ainsi admissible ladage qui ne dit mot consent .
Lexpos de ces quelques principes dmontre quel point le traitement
des litiges de masse se heurte actuellement aux rgles de la
procdure civile. Des drogations sont prvues,
notamment les associations de dfense des droits des
investisseurs. Les investisseurs qui
subissent un prjudice boursier peuvent envisager de se regrouper
au sein dune association dont lobjet consiste les reprsenter dans
le cadre des dmarches contentieuses. Toute association rgulirement
dclare peut ester en justice. Mais cette action a des limites :
- laction est cantonne aux actes ncessaires laccomplissement de
sa mission telle que dfinie par lobjet social ;
- elle ne peut viser que lindemnisation des prjudices subis
individuellement par chacun des membres quelle reprsente ;
- elle ne peut pas agir devant les juridictions rpressives, par
voie de constitution de partie civile, mais seulement devant les
juridictions civiles.
La difficult rparer les prjudices boursiers tient donc notamment
lexistence des principes procduraux qui semblent sopposer a priori
au traitement collectif des litiges de masse. Les associations, qui
sont rgulirement mises en avant par les lgislateurs comme le
moyen le plus appropri de faciliter le traitement des litiges de
masse, ne pourraient permettre
actuellement de droger efficacement aux rgles juridiques
reprsentant des obstacles la
rparation des prjudices boursiers.
3 : Les obstacles relatifs laction en justice
Ils concernent non seulement les conditions de la recevabilit de
laction en justice(a), mais aussi les moyens (b).
a : Les obstacles relatifs aux conditions de la recevabilit de
laction
La recevabilit de laction au civil suppose un intrt agir et
laction au pnal est conditionne la dmonstration de lexistence dun
prjudice personnel, direct et certain. Laction en justice est
ouverte tous ceux qui ont un intrt lgitime au succs ou au rejet
dune prtention. Lintrt agir doit tre n et actuel. En droit
processuel, lancien actionnaire na plus dintrt agir. Son intrt nest
plus actuel. Linvestisseur victime dune infraction boursire qui na
pas encore cd ses titres se verra opposer labsence dintrt direct
alors que celui-ci existe bel et bien. Les contentieux seront ainsi
arrts au stade de la
recevabilit. La situation au pnal nest pas meilleure.
Laction civile devant le juge pnal est ouverte tous ceux qui ont
souffert personnellement du dommage directement caus par
linfraction. Le prjudice invoqu par la victime doit donc runir
certaines conditions. Il doit sagir dun prjudice certain, n dune
infraction punissable ; il doit galement sagir dun prjudice
personnel, directement caus par linfraction. La dfinition de la
recevabilit de laction civile devant les juridictions
44
SPITZ N., La rparation des prjudices boursiers, Revue banque
dition, 2010, p. 393.
-
22
rpressives est ainsi rigoureuse. Laction civile devant les
juridictions rpressives est un droit exceptionnel qui doit tre
encadr strictement par la loi.
b : Les obstacles relatifs aux moyens
Le procs civil est contraignant au plan financier pour
linvestisseur isol. Laction civile devant le juge pnal est certes
moins contraignante, mais la justice pnale est alatoire.
Lindemnisation des prjudices ns des infractions boursires
connat, au-del des obstacles juridiques des obstacles matriels.
Le premier est celui du cot du procs civil. En effet, le foss
est immense entre
lpargnant personne physique dune part et dautre part les
metteurs et leurs dirigeants et les professionnels dappel public
lpargne. Les difficults rencontres par un individu isol, notamment
lorsque son prjudice, bien que certain, reste minime, en
comparaison avec les
cots dun procs, incitent peu saisir les tribunaux judiciaires.
Cette situation explique la ncessit de dvelopper des actions
individuelles exerces collectivement et des rflexions sur
les actions de groupe. Les personnes physiques disposent donc
des moyens financiers limits
et une faible connaissance de la matire financire. Vu les
difficults de prouver le prjudice,
la victime dun prjudice boursier peut aussi faire recours
lexpertise judiciaire ; mais cette mesure a des cots non
ngligeables qui ne sont pas la porte de tous, ce qui peut justifier
le
recours au juge pnal.
La justice pnale prsente des avantages : elle est peu onreuse
dautant plus que les frais de lenqute sont la charge de lEtat ; le
plaignant est pargn de la charge de la preuve. Cependant, la voie
pnale est dabord faite pour sanctionner les comportements
illicites. Lindemnisation nest donc que laccessoire de laction
publique. Elle est dailleurs le plus souvent forfaitaire, car elle
ne fait lobjet daucune valuation. Ceci nous amne nous interroger
sur le point de savoir ce que devient le grand principe de la
rparation intgrale du
prjudice en droit commun des obligations.
En effet, le montant de la rparation dpend de lampleur du
prjudice : tout le dommage et rien que le dommage doit tre rpar. La
jurisprudence la affirm dans cette formule : le propre de la
responsabilit civile est de rtablir aussi exactement que
possible
lquilibre dtruit par le dommage et de replacer la victime, aux
dpens du responsable, dans la situation o elle se serait retrouve
si lacte dommageable ne stait point produit 45. Or, lindemnisation
forfaitaire ne permet pas toujours de couvrir intgralement le
prjudice subi. Finalement, il est remarquer que le droit de la
responsabilit civile tant substantiel que
procdural rencontre dnormes difficults en matire dindemnisation
des victimes des prjudices boursiers. Il serait donc louable de
ladapter ventuellement aux spcificits des prjudices boursiers.
II : Les voies dadaptation du droit de la responsabilit civile
aux spcificits de la rparation des prjudices boursiers
Partant du constat que lindemnisation des victimes des prjudices
ns des infractions boursires connat beaucoup dobstacles relatifs au
droit matriel et au droit procdural, il nous semble urgent de
rflchir sur lventuelle ncessit dadapter notre droit lenvironnement
des marchs boursiers. Relativement aux obstacles dordre matriel,
des
45
Civ. 2me
, 4 fvrier 1982, JCP 1982. II. 19984, note J. -F. BARBIERI.
-
23
palliatifs doivent tre trouvs (A). Dans le droit procdural, la
spcificit de la matire
boursire semble imposer un rgime particulier de rparation
(B).
A : Le recours certains palliatifs au droit matriel de la
responsabilit civile
La dtermination dun prjudice par un ventuel demandeur est
dlicate46. On peut estimer que le prjudice subi par linvestisseur
est le fait davoir achet les actions un cours suprieur leur valeur
relle du fait de la diffusion des informations fausses ou
trompeuses
47.
De mme, on peut octroyer la rparation du prjudice pour les
acquisitions de titres
postrieures la publication dinformations trompeuses. Un
actionnaire peut demander la rparation du prjudice de la revente
perte des actions acquises aprs la publication dun communiqu
litigieux sur les rsultats prvisionnels de lmetteur. On peut
retenir comme prjudice le fait davoir achet des actions des
conditions beaucoup trop onreuses et de les avoir revendues avec
une moins-value substantielle. Lon peut mme sappuyer sur la notion
de perte dune chance pour fonder son action en indemnisation48. Le
prjudice boursier peut donc rsulter de lacquisition ou de la vente
des titres pendant la priode de diffusion des informations fausses
ou trompeuses ou de la conservation des titres antrieurement
acquis.
Sera retenue ici la notion de perte dune chance (1), tant donn
quelle apparat comme un remde gnral beaucoup de situations. Elle
doit tout de mme saccompagner de celle de victime par ricochet dans
une hypothse particulire (2).
1 : Le recours la notion de perte dune chance
La notion de perte dune chance apparat comme un palliatif
possible pour la rsolution des obstacles au droit matriel. Elle
constitue un remde la difficult dtablir la certitude du
prjudice
49 dans les manipulations de march et dans les oprations
dinitis, de
mme qu la difficult de dmonter la certitude de lexistence du
lien de causalit.
La perte dune chance fait appel des prvisions, cest--dire des
donnes dont la fiabilit nest pas certaine par principe, quel que
soit le srieux qui a prsid leur laboration. La question de
lvaluation du prjudice subi par les actionnaires en cas de
diffusion dinformations errones par les dirigeants est assurment
dlicate, au sens o il est quasi-impossible dtablir quelle serait
lindemnisation rparant exactement le prjudice subi par chaque
actionnaire ou ancien actionnaire, voire par les actionnaires
potentiels qui
nauraient pas ralis un investissement la suite dinformations
errones de la socit. Les situations prendre en compte sont
extrmement variables. Cela explique sans doute que les
principes de la responsabilit civile soient inflchis et quon
renonce une indemnisation exacte du prjudice. Le recours la notion
de perte dune chance semble participer de cette logique.
La faute de lmetteur, souvent constitutive dun dlit de diffusion
dinformations fausses ou trompeuses, mme si elle ne reprsente pas
srement la cause unique de la dcision
dinvestissement ou de dsinvestissement, aura de toute manire obr
les chances de
46
Cette difficult tient ltablissement dune ligne de dmarcation
entre le prjudice et lala boursier. 47
La cour a par une dcision de la chambre criminelle de la Cour de
Cassation du 15 mars 1993 confirm un
arrt de la Cour dAppel de Paris du 15 janvier 1992 dans laffaire
Socit Gnrale de Fonderie : CA Paris, 15 janvier 1992, 9
me ch., Banque et droit, nov.-dc. 1993, n 32, p. 22, note F.
PELTIER ; Gaz. Pal. 22-23 avril
1992, obs. J-P. MARCHI ; Rev. Soc., septembre 1992, obs. H.
HOVASSE. 48
CA Paris, 26 septembre 2003, Soulier c/ Flammarion et a., Bull.
Joly bourse, janvier 2004, n 1, Obs. E
DEZEUZE ; Bull. Joly socits, janvier 2004, n 1, p. 84, Obs. J.J
DAIGRE. 49
Pour assurer une meilleure indemnisation des victimes, lexigence
de certitude a t relativise par la notion de perte dune chance :
CABRILLAC R., Droit des obligations, 3ime d., 1998, p. 208.
-
24
linvestisseur de prendre une dcision en connaissance de cause et
dagir au mieux de ses intrts. Ainsi, lorsque le caractre dterminant
de la faute boursire sur la dcision
dinvestissement nest pas dmontr, une partie du dommage subi par
linvestisseur peut cependant tre indemnise sous la forme dune perte
de chance condition quil tablisse au moins linfluence significative
de la faute sur sa dcision. Avec le recours la notion de perte dune
chance, mme si la rparation montaire ne peut alors tre que
partielle, il permet nanmoins daccorder une certaine indemnit aux
victimes de prjudices boursiers. Afin de surmonter donc toutes les
difficults pour dterminer son montant et pouvoir ainsi
attribuer une indemnisation, on peut faire recours la notion de
perte de chance. La victime
ne touchera pas la diffrence entre le prix de vente et le prix
qu'elle aurait obtenu en l'absence
d'information errone, car il est impossible de dterminer avec
prcision qui sont les victimes,
ainsi que le comportement qu'aurait adopt chacun et le montant
de son prjudice. La victime
sera indemnise pour avoir perdu la chance de pouvoir prendre une
dcision en se fondant sur
des lments justes.
Cette solution prsente de nombreux avantages. Tout d'abord, elle
permet de
surmonter la difficult dfinir qui a rellement subi un prjudice.
Elle vite de faire une
apprciation au cas par cas et de s'interroger pour chacun sur
ses motivations, sa date d'entre
et sa date de sortie. Est indemnis le prjudice subi par les
actionnaires, en achetant ou
conservant une action aux perspectives prometteuses survalues.
Ensuite, elle permet
galement de contourner les incertitudes qui rendent si difficile
l'valuation du prjudice. La
rgle est que la rparation d'une perte de chance doit tre mesure
la chance perdue et ne
peut tre gale l'avantage qu'aurait procur cette chance si elle
tait ralise. En pratique,
elle aboutit verser aux victimes une indemnisation forfaitaire,
par exemple de 10 par action dans l'affaire Sidel
50. Mme si cette dmarche peut tre critiquable, elle doit tre
nanmoins approuve du fait de l'impossibilit pratique d'valuer le
rel prjudice de chacun
et de faire une apprciation au cas par cas en prsence de
centaines de demandeurs. Elle a t
suivie par l'arrt de la Cour de Cassation franaise du 9 mars
2010 selon lequel celui qui
acquiert ou conserve des titres mis par voie d'offre au public
au vu d'informations inexactes,
imprcises ou trompeuses sur la situation de la socit mettrice
perd seulement une chance
d'investir ses capitaux dans un autre placement ou de renoncer
celui dj ralis 51
.
Certes, la Cour de cassation franaise a cass l'arrt d'appel qui
avait retenu un prjudice du
minimum de l'investissement ralis ensuite des informations
tronques portes leur
connaissance, mais la cassation tait invitable. En effet, il est
impossible d'affirmer que les
actionnaires auraient tous sauv intgralement leur investissement
s'ils avaient connu les
vraies informations. Le prjudice devant tre certain, il ne peut
donc pas tre valu en faisant
la diffrence entre ce qu'ils avaient investi et la valeur
actuelle des titres.
La fixation de la rparation selon les chances perdues nexclut
pas du reste de procder une valuation pragmatique et nuance des
prjudices des diffrents investisseurs dont la
situation peut tre sensiblement diffrente du point de vue de
limpact de la fausse information sur la dcision dinvestissement.
Lestimation de la chance perdue pourra ainsi varier entre un faible
pourcentage des sommes investies (par exemple pour un prjudice
tenant la conservation des titres) et un pourcentage lev des
mmes sommes aboutissant
une indemnisation proche de la diffrence entre le prix
dacquisition du titre et leur valeur aprs la rvlation de la
fraude.
50
TGI Paris, 11e ch., 12 sept. 2006, sidel, D. SCHMIDT, affaire
sidel: lindemnisation des actionnaires, D. 2006.
Point de vue 2522, Rev. Soc. 2007. 102, Obs. J-J. DAIGRE ; Bull.
Joly 2007. 37, note E. DEZEUZE. 51
Com. 9 mars 2010 cit par RONTCHEVSKY N., Rparation du prjudice
des actionnaires victimes de
manipulations ou tromperies en matire financire : des
foreign-cubed class actions une action de groupe la
franaise ? , RTDcom. 2011, p. 753.
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25
Derrire la notion de perte dune chance, se cachent les formes
trs varies de prjudices alors que ce mode dindemnisation ne devrait
concerner que les prjudices boursiers de non-dcision, cest--dire,
labstention dacheter ou de vendre. Dans cette logique, les
tribunaux devraient rigoureusement valuer pour chaque investisseur
ayant choisi
de conserver ses titres, la probabilit quil les ait cds puis la
multiplier, le cas chant, par la plus-value quil aurait pu raliser
par cette cession, cest--dire, le cours moyen de cession52 moins le
cours au jour de la rectification de la faute boursire. Le cours de
cession en question
est celui du titre financier tel quil aurait t en labsence de
faute boursire, ce qui impose chaque jour de cotation de calculer
un cours thorique. Le recours la notion de perte dune chance,
au-del de son intrt napporte pas de solutions toutes les difficults
dindemnisation des victimes des prjudices dinfractions boursires ;
pour cela, il faut recourir dautres notions.
2 : Le recours la notion de victime par ricochet Le prjudice
nest indemnisable que sil est certain, direct et personnel. Les
obstacles
au caractre direct et personnel peuvent trouver un dbut de
solutions dans le recours la
notion de victimes par ricochet. Il convient de noter que
lincertitude sur le titulaire de laction en responsabilit naffecte
pas le constat de lexistence dun prjudice rparable. En ce sens, on
peut affirmer que le caractre personnel du prjudice ne fait pas
dfaut
53. En effet,
en droit des obligations, il est tabli dsormais que si la
rparation du dommage est
subordonne au caractre direct de celui-ci, il ne faut pas en
dduire que dautres personnes que la victime immdiate ne peuvent
pas, elles aussi, titre personnel se prvaloir lgard de lauteur de
laccident, des dommages qui en rsultent pour elles. A ce titre, ne
pourrait-on pas considr que laction individuelle de lactionnaire
serait fonde tre admise, malgr lexistence parallle des prjudices
affectant la personne morale, car le prjudice conomique de
lactionnaire rentrerait dans la catgorie de prjudices par ricochet.
Latteinte au patrimoine social conscutive une mauvaise gestion se
rpercute sur les droits des associs,
dont les actions baissent. Un auteur pense que ce raisonnement
tend vacuer le risque de
lassoci inhrent aux alas de la vie sociale et entretient le
risque douvrir largement les portes de laction individuelle54, do
linvite la prudence des juges. Encore faut-il pouvoir apporter la
preuve de ces allgations.
En dfinitive, au plan du droit matriel, les solutions aux
difficults dindemnisation des victimes des prjudices boursiers
peuvent se trouver dans le recours la notion de perte
dune chance et celle de victimes par ricochet. Il convient
prsent denvisager les hypothses du droit procdural.
B : Linvitable introduction dun rgime particulier de rparation
au plan procdural
Les obstacles au plan du droit formel sont importants et
ncessitent lintroduction dun rgime particulier de rparation. Le
rgime envisageable doit tre orient vers des objectifs
prioritaires identifis. Ainsi, il doit prendre en compte dune
part la difficult dtablissement de la faute boursire (1) et dautre
part, la multiplicit des parties en cause (2). Le rglement des
litiges est une ncessit (3).
52
Lutilisation du cours moyen de la cession nest approprie que
pour des priodes courtes o le cours a suivi une volution linaire ;
en cas de priodes de dysfonctionnement du march plus longues o la
volatilit du cours
a t forte, il conviendrait de distinguer des sous-priodes qui
seront pondres par leur dure. Il en est de mme
si, pour certaines priodes, la cession des titres engendre une
moins-value pour linvestisseur. 53
SPITZ N., La rparation des prjudices boursiers, Revue banque
dition, 2010, p. 37. 54
COURET A., Interrogations autour de la rparation du prjudice
individuel de lactionnaire , RJDA, mai 1997, p. 391.
-
26
1 : Lintroduction dun rgime prenant en compte la difficult
dtablissement de la faute boursire
Une incertitude plane sur la preuve du prjudice et la rend
difficile tablir en matire
de manipulations de march. En matire de diffusion dinformations
fausses ou trompeuses, linformation litigieuse doit tre de nature
agir sur les cours. Les difficults de preuve se concentrent sur
lincidence de linformation sur les cours et non sur le caractre
faux ou trompeur de linformation qui est relativement ais
caractriser. Il semble difficile dtablir que si le cours a vari,
cest parce que les oprateurs ont intgr la fausse information. Le
plaignant doit-il tablir que cest linformation trompeuse qui a dcid
son intervention sur le march ou suffit-il dtablir que puisque le
cours a t fauss par la fausse information, le plaignant a
ncessairement peru ou pay un prix artificiel ? Il convient de
retenir que
linformation ayant altr le cours est frauduleuse du seul fait de
cette altration alors mme que le plaignant naurait pas eu
connaissance de cette information avant son intervention sur le
march. Dans la tentative de recherche des solutions aux difficults
dtablissement de la faute boursire, deux mesures peuvent tre
envisages : la prsomption de fraude au march
(a) et la spcialisation de la procdure (b).
a : Limportation de la prsomption de fraude au march
La prsomption de fraude au march doit tre importe du droit
amricain. La preuve
du prjudice rsultant des manipulations de march se heurte aux
obstacles en raison
notamment de labsence dintgration de la thorie financire
fraud-on-the-market theory. Cette thorie dcoule de celle de
lefficience informationnelle en conomie. Selon cette thorie
conomique, le march doit intgrer linformation relative un bien et
la transformer ensuite un prix qui dterminera ultrieurement
lquilibre entre loffre et la demande. Les prix des actifs refltent
toute linformation disponible. Cette thorie est transpose dans le
droit sous le nom de fraud on the market theory. Cette dernire
repose sur le principe selon
lequel linvestisseur peut faire confiance dans le prix du march
dun titre en tant quil reflte la vraie valeur de celui-ci. Sur le
fondement de la prsomption de confiance, les investisseurs
qui acquirent des titres financiers un prix qui intgre une
information fausse ou trompeuse
ou qui nintgre pas toutes les informations disponibles subissent
un prjudice, sans quils doivent apporter la preuve du caractre
dterminant de cette information dans leur dcision.
La prsomption de fraude au march est systmatiquement invoque
comme un
moyen de faciliter lindemnisation des victimes des prjudices
boursiers. Elle permet aux investisseurs, principalement aux
victimes dinfractions boursires, de substituer la dmonstration du
caractre dterminant dune information fausse ou dune omission sur
leur dcision dinvestissement, celle du caractre dterminant du cours
de bourse. Labsence de reconnaissance de la prsomption de fraude
sur le march est souvent cite comme un
obstacle infranchissable pour les victimes de prjudices
boursiers lorsquelles doivent dmontrer le lien de causalit ou
dterminer le prjudice subi
55. La victime ne peut attribuer
les dommages subis lauteur de la fausse information ou
information trompeuse qu la condition de dmontrer quelle a eu
connaissance de cette information au moment de sa dcision
dinvestissement. Or il savre matriellement impossible de remplir
une telle condition lorsque la faute boursire consiste en lomission
dune information par lmetteur dun titre financier. Cest pour
rpondre cette preuve impossible que la prsomption de fraude a t
dveloppe. Selon cette thorie, les marchs boursiers sont efficients
et intgrent
55
ARSOUZE C. et LEDOUX P., Indemnisation des victimes dinfractions
boursires , Bull. Joly bourse, n 4, juillet-aot 2006, 101, spc. n
14 ; SIMART O., La notion de manipulation de cours et ses
fondements en
France et aux USA , RD Bancaire et financier, n 56, juillet-aot
1996, pp. 158-159.
-
27
ainsi dans les cours toutes les informations disponibles. De ce
fait, linvestisseur peut prtendre que linformation omise par le
dirigeant de la socit mettrice a t dterminante dans sa dcision
dinvestissement prise en considration du cours de bourse nintgrant
pas cette omission. Une autre mesure de solution est la
spcialisation de la procdure.
b : La spcialisation de la procdure de rparation des prjudices
boursiers
Certaines difficults procdurales lies au caractre complexe des
prjudices boursiers
tiennent au manque de comptence technique des demandeurs et des
juges de la rparation.
Lune des solutions ces difficults est la spcialisation de la
procdure. Les questions relatives la rparation des prjudices
boursiers sont assez techniques, et pour cela, la
comptence en la matire doit tre dvolue une juridiction
spcialise. Cette spcialisation
doit saccompagner dun effort de formation des magistrats sur les
questions boursires et financires. Les juges, mme spcialiss,
doivent tre accompagns dans leur tche par des
experts financiers56
: cet effet, les juges seront chargs de trancher les prjudices
boursiers
que les experts auront eu la charge danalyser. En effet,
lattribution des actions en indemnisation des victimes des
prjudices boursiers une juridiction spcialise prsente lavantage de
faire traiter ces litiges par des magistrats forms en la matire.
Elle permettrait aussi le dveloppement dune jurisprudence cohrente
et serait par l-mme une source de scurit juridique pour les acteurs
de la bourse.
La spcialisation des juridictions doit saccompagner dun recours
lexpertise financire. Les juristes appels statuer sur le
contentieux boursier, mme avec leur spcialisation, ne
seraient pas des experts financiers. Certes, le recours
lexpertise financire engendre des frais et des dlais supplmentaires
mais cela nous semble important. Par exemple,
ltablissement dun prjudice supposant dvaluer leffet de la faute
boursire sur le cours ncessite davantage les lumires dun expert
financier. Les expertises financires semblent tre un gage
damlioration de leffectivit de la rparation des prjudices
boursiers. La spcialisation de la procdure aurait aussi
certainement pour avantage dapporter quelques solutions aux
difficults relatives la multiplicit des parties en cause.
2 : Lintroduction dun rgime prenant en compte la multiplicit des
parties en cause
Deux principales mesures sont envisageables : les actions de
groupe (a) et les fonds
dindemnisation (b).
a : Lintroduction des actions de groupe
Les actions de groupe sont des actions qui consistent runir dans
une seule
instance, donnant lieu un seul jugement, la rparation des
prjudices individuels multiples
ayant une origine commune 57. Il sagit plus simplement de
laction en justice dun groupe
de consommateurs non encore identifis reprsents par quelques
personnes, voire
simplement par un avocat en rparation du prjudice. Dans ces
actions, un groupe de
personnes est reprsent en justice sans avoir pralablement donn
son accord exprs. Elles
permettent de rendre plus effective la rparation des prjudices
boursiers. Lobjet recherch
56
Cest la technique de lchevinage. 57
Table ronde de droit et dmocratie, Pour mieux rparer les
prjudices collectifs-une class action la franaise,
Gaz. Pal. 29 sept. 2001, pp. 1469-1470 ; pour BORE L., il sagit
de laction introduite par un reprsentant pour le compte de toute
une classe de personnes ayant des droits identiques ou similaires
qui aboutit au
prononc dun jugement ayant autorit de la chose juge lgard de
tous les membres de la classe (cit dans le Rapport sur laction de
groupe, remis le 16 dc. 2005, p. 28).
-
28
est de permettre au plus grand nombre dagir en rparation de
leurs prjudices individuels de manire regroupe, linstar des class
actions aux USA.
En effet, les actions de groupe permettent des conomies de cot
sur le plan
judiciaire ; le cot excessif de laction individuelle limite
laccs des personnes lses la justice. Elles ont donc lavantage
damliorer laccs effectif la justice : par la mutualisation des
frais de justice entre tous les membres, laction de groupe abolit
lobstacle financier rencontr par chaque personne lse dans le cadre
dune action individuelle o les cots judiciaires excdent le montant
du dommage subi.
Au-del des intrts prsents, les actions de groupe participent la
bonne
administration de la justice en vitant que les tribunaux ne
prennent des dcisions
contradictoires lorsquils ont connatre simultanment dactions
individuelles ayant un objet similaire. Cest dire concrtement que
les actions collectives permettraient de regrouper les petits
contentieux ayant la mme origine, de mme que les pargnants dont le
prjudice est
trs modeste pour quils puissent supporter seuls les frais dune
procdure judiciaire face aux metteurs beaucoup plus puissants. Son
introduction dans notre droit permettrait de diminuer
les risques de dcisions divergentes et aurait un effet dissuasif
sur les metteurs et les
dirigeants fautifs58
. Il semble nanmoins que les class actions ne doivent pas se
limiter
strictement au domaine de la consommation. Une class action
limite au seul domaine de la
consommation laisserait beaucoup de victimes sans moyens
dactions efficaces. Laction collective doit se distinguer de
laction dune association. La diffrence
essentielle entre la class action et laction dune association de
consommateurs consiste en ce que lassociation dfend lintrt gnral
des consommateurs tandis que la class action dfend les intrts
particuliers de chacun des consommateurs, voire tous les individus
mme sils ne sont pas des consommateurs. Les actions de groupe
doivent saccompagner de la mise sur pied des fonds
dindemnisation.
b : Lintroduction des mcanismes alternatifs dindemnisation
Il sagit notamment des fonds dindemnisation. Ces derniers
constituent galement une solution aux obstacles la rparation des
prjudices boursiers. Leur cration est du pouvoir du
rgulateur boursier, en loccurrence la commission des marchs
financiers. Ils sont constitus des fonds provenant non seulement
des gains illgalement acquis mais aussi des sanctions
pcuniaires, que ces sanctions aient t prononces par un tribunal
au terme dune procdure contentieuse ou quelles rsultent dune
transaction conclue avec les personnes poursuivies, afin de les
redistribuer aux investisseurs lss. Cette redistribution serait
interprte comme
une marque dintrt porte aux personnes lses. Mais, elle nest
possible que si la personne sanctionne est galement tenue de
restituer les gains illgalement acquis. Les fonds
dindemnisation ne sauraient tout de mme tre substitus aux
actions de groupe dans la mesure o ils ne garantissent pas la
rparation intgrale des prjudices subis ds lors que les
sanctions prononces sont plafonnes par la rglementation
boursire.
En dpit de la contribution limite des fonds la rparation des
prjudices, leur
introduction dans notre environnement permettrait dmettre un
signal fort en direction des acteurs du march boursier de la volont
politique dadjoindre la rgulation par les autorits publiques une
rgulation par ces acteurs boursiers. Le rglement amiable des
litiges est aussi
une voie non ngligeable.
58
CLERMONTEL P., Le droit de la communication financire, Joly
ditions, 2009, pp.469.
-
29
3: La ncessit de privilgier le rglement amiable des litiges
Le rglement amiable des litiges, bien que susceptible de couvrir
tout le champ
financier, y compris les abus de march, a en ralit pour terrain
dlection les relations entre les professionnels et leurs
clients.
A loccasion de la vente des produits financiers, lpargnant ou
linvestisseur peut estimer ne pas avoir bnfici de linformation ou
du conseil requis et solliciter le professionnel afin dobtenir la
modification ou la rparation de lachat effectu, avant dinitier, en
cas de dsaccord, une action contentieuse. Il convient de ce fait,
de faciliter le rglement amiable des litiges, qui prsente
lavantage dtre rapide. Ceci suppose non seulement un traitement
adapt et efficace des rclamations par les professionnels, mais
aussi la possibilit dune mdiation ds lors que le client nest pas
satisfait des suites donnes par le professionnel sa rclamation59.
Un tel dispositif concourt lamlioration du processus de
commercialisation des produits financiers sous deux angles :
- il permet aux consommateurs de produits financiers de faire
valoir leurs droits plus rapidement et plus facilement que par la
voie contentieuse ;
- il constitue, pour ltablissement concern, une source prcieuse
dinformation sur les dysfonctionnements qui peuvent affecter son
dispositif de commercialisation et une
incitation les corriger, sans encourir un risque de rputation
conscutif une
procdure judiciaire60
.
CONCLUSION
En dfinitive, il faut relever la difficile prise en compte des
victimes dinfractions boursires. Cette situation sexplique dune
part, par le fait dune certaine incapacit de notre droit de la
responsabilit civile et surtout de notre droit judiciaire priv
favoriser la