REVUE CONGOLAISE DE DROIT ET DES AFFAIRES N°40 (Avril-Mai-Juin 2020) rcgdroit.com EDITORIAL «L’utilité du droit», par Inès FÉVILIYÉ, Enseignant-chercheur à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, Directrice de la Revue Congolaise de droit et des affaires. ARTICLES Le législateur camerounais et les objectifs du droit de l’OHADA, par Salifou MOUHOUAIN, Assistant de cours, Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II, Cameroun. La contribution des techniques juridiques dans la consolidation de l’intégration économique en zones CEMAC et UEMOA, par Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, Chargé de cours, Habilité à diriger des recherches (HDR) en droit public, Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Dschang, Cameroun. La violation du droit à un environnement sain dans la mise en œuvre des contrats miniers : responsabilité des Etats africains et réparation du préjudice subi, par Nature de Destin Andosmoui, Doctorant en droit à l’Université de Montréal, Canada, LL. D., Associate Fellow au Centre de Droit International de Développement Durable (CDIDD/CISDL). La Revue est disponible : - A Brazzaville : Librairie PRIMO (255, Avenue des 1ers Jeux Africains, Face Stade Marchand, à côté de la DEC Générale, Bacongo, Brazzaville) ; - A Pointe-Noire : Librairie Paillet (face Tour Mayombe), Maison de la Presse (face Mairie centrale) ; - A Paris : Librairie LGDJ (20, rue Soufflot, 75005 Paris). Revue éditée par : PRIMO EDITION 255, Avenue des 1ers jeux Africains, Bacongo, Brazzaville (Congo) Face au Stade Marchand, à côté de la Direction des examens et des concours (la DEC) 254, rue Adolphe Pajeaud, 92160 Antony (France)
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REVUE CONGOLAISE DE DROIT ET DES AFFAIRES
N°40 (Avril-Mai-Juin 2020) rcgdroit.com
EDITORIAL
«L’utilité du droit», par Inès FÉVILIYÉ, Enseignant-chercheur à
l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, Directrice de la Revue
Congolaise de droit et des affaires.
ARTICLES
Le législateur camerounais et les objectifs du droit de l’OHADA,
par Salifou MOUHOUAIN, Assistant de cours, Faculté des
sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II,
Cameroun.
La contribution des techniques juridiques dans la consolidation de
l’intégration économique en zones CEMAC et UEMOA, par
Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, Chargé de cours, Habilité à
diriger des recherches (HDR) en droit public, Faculté des sciences
juridiques et politiques de l’Université de Dschang, Cameroun.
La violation du droit à un environnement sain dans la mise en
œuvre des contrats miniers : responsabilité des Etats africains et
réparation du préjudice subi, par Nature de Destin Andosmoui,
Doctorant en droit à l’Université de Montréal, Canada, LL. D.,
Associate Fellow au Centre de Droit International de
Développement Durable (CDIDD/CISDL).
La Revue est disponible :
- A Brazzaville : Librairie PRIMO (255, Avenue des 1ers Jeux
Africains, Face Stade Marchand, à côté de la DEC Générale,
Bacongo, Brazzaville) ;
- A Pointe-Noire : Librairie Paillet (face Tour Mayombe), Maison
de la Presse (face Mairie centrale) ;
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Revue éditée par : PRIMO EDITION 255, Avenue des 1ers jeux Africains, Bacongo, Brazzaville (Congo)
Face au Stade Marchand, à côté de la Direction des examens et des concours (la DEC) 254, rue Adolphe Pajeaud, 92160 Antony (France)
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
2
REVUE CONGOLAISE DE DROIT ET DES AFFAIRES
N°40 (avril-mai-juin 2020)
rcgdroit.com
Directrice de la Revue : Inès FÉVILIYÉ
Comité scientifique : Claire Dickerson, Professeur de droit à l’Université de Tulane de la
Nouvelle Orléans (Etats-Unis) et à l’Université de Buea (Cameroun) ; Salvatore Mancuso,
Professeur en droit comparé à l’Université de Macao (Chine) ; Flora Dalmeida Mele,
Magistrate, Ancienne Deuxième Vice Présidente de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA ; Louis-Daniel Muka Tshibende, Docteur en droit,
Enseignant-chercheur à l’Université Catholique de Lyon.
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Elles sont personnelles à leurs auteurs.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
3
SOMMAIRE
EDITORIAL : «L’utilité du droit», par Inès FÉVILIYÉ, Docteur en droit, Enseignant-
chercheur à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, Directrice de la Revue
Congolaise de droit et des affaires, Membre de la Commission nationale OHADA du
Le législateur camerounais et les objectifs du droit de l’Organisation pour
l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), par Salifou
MOUHOUAIN, Assistant de cours, Faculté des sciences juridiques et politiques de
l’Université de Yaoundé II, Cameroun........................................................................5
La contribution des techniques juridiques dans la consolidation de l’intégration
économique dans les zones de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique
centrale (CEMAC) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA),
par Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, Chargé de cours, Habilité à diriger des
recherches (HDR) en droit public, Faculté des sciences juridiques et politiques de
l’Université de Dschang, Cameroun..........................................................................20
La violation du droit à un environnement sain dans la mise en œuvre des contrats
miniers : responsabilité des Etats africains et réparation du préjudice subi, par Nature
de Destin Andosmoui, Doctorant en droit à l’Université de Montréal, LL. D.,
Associate Fellow au Centre de Droit International de Développement Durable
(CDIDD/CISDL), Membre Etudiant Associé du Centre Interdisciplinaire de Recherche
sur l’Afrique et le Moyen-Orient (CIRAM)...............................................................46
Sommaires des numéros déjà parus …………………………………….............................52
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
4
EDITORIAL : «L’utilité du droit».
Par Inès FÉVILIYÉ, Docteur en droit, Enseignant-chercheur à l’Université Marien
Ngouabi de Brazzaville, Directrice de la Revue Congolaise de droit et des affaires,
Membre de la Commission nationale OHADA du Congo.
L’utilité du droit n’est plus à démontrer, mais
il faut en convaincre encore certains, tant ils
ignorent leurs droits et davantage encore
comment les défendre. C’est pourquoi, les
pouvoirs publics ont la responsabilité
d’adopter des textes allant précisément dans le
sens des objectifs qu’ils se fixent, ou auxquels
ils ont adhéré sur le plan régional ou
international. C’est ainsi que dans le premier
article de ce numéro 40 de la Revue
Congolaise de droit et des affaires, proposé
par M. Salifou Mouhouain, Assistant de cours
à la Faculté des sciences juridiques et
politiques de l’Université de Yaoundé II, au
Cameroun, intitulé : « Le législateur
camerounais et les objectifs du droit de
l’Organisation pour l’harmonisation en
Afrique du droit des affaires (OHADA) »,
l’auteur se demande si entre des normes
similaires de droit interne et de droit
communautaire, les justiciables sont à même
de déterminer lesquelles sont applicables et à
quelle juridiction de cassation s’adresser, à la
Cour suprême nationale ou à la Cour
commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de
l’OHADA, bien que le droit OHADA prime le
droit national. L’auteur montre que cela n’est
pas toujours effectif et les Etats parties de
l’OHADA devraient s’abstenir d’adopter des
textes qui ont le même champ d’application
que les Actes uniformes de l’OHADA. Dans
son article intitulé : « La contribution des
techniques juridiques dans la consolidation de
l’intégration économique dans les zones de la
Communauté économique et monétaire de
l’Afrique centrale (CEMAC) et de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine
(UEMOA) », M. Jacques Bipele Kemfouedio,
Chargé de cours, Habilité à diriger des
recherches (HDR) en droit public à la Faculté
des sciences juridiques et politiques de
l’Université de Dschang, au Cameroun,
montre à quel point les techniques juridiques
d’uniformatisation et d’harmonisation ont
contribué à l’élaboration des normes
susceptibles de favoriser l’intégration
économique dans ces organisations sous-
régionales. Si le droit y a été et y est très utile,
il faut encore qu’il soit appliqué avec efficacité
pour que les objectifs de développement
économique de ces Etats soient remplis.
Enfin, dans l’article intitulé : «La violation du
droit à un environnement sain dans la mise en
œuvre des contrats miniers : responsabilité des
Etats africains et réparation du préjudice
subi », de Nature de Destin Andosmoui,
Doctorant en droit à l’Université de Montréal,
Canada, LL. D., Associate Fellow au Centre de
droit international de développement durable
(CDIDD/CISDL), l’auteur relève que les
populations victimes peuvent utiliser les
instruments juridiques à leur disposition,
comme les conventions internationales et
africaines, mais aussi les règles de
responsabilité civile pour obtenir réparation de
la part des Etats, qui concluent des contrats
d’exploitation minière avec des sociétés, qui
peuvent causer des atteintes à
l’environnement.
Ce numéro 40 de la Revue Congolaise de droit
et des affaires marque ses dix ans d’existence.
Plus que jamais, la Revue s’inscrit dans la
dynamique de la démonstration de l’utilité du
droit.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
5
Le législateur camerounais et les objectifs du droit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Par Salifou MOUHOUAIN, Assistant de cours, Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II, Cameroun .
Introduction.
L’on peut se demander s’il est encore opportun
de s’interroger sur le point de savoir si le
législateur du Cameroun1 se conforme aux
objectifs de l’OHADA2, quand on sait, d’une
part, que l’article 10 du Traité de l’OHADA3
contraint ses Etats membres, dont fait partie le
Cameroun, à aller vers la réalisation de ses
objectifs, et d’autre part, que la Cour
commune de justice et d’arbitrage de
1 Loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression
des infractions contenues dans certains Actes uniformes
de l’OHADA et loi n° 2015/018 du 21 décembre 2015
régissant l’activité commerciale au Cameroun. 2 Il ressort du préambule du Traité de l’Organisation
pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
(OHADA) que les Hautes parties contractantes au Traité
sont déterminées à accomplir de nouveaux progrès sur
la voie de l’unité africaine et à établir un courant de
confiance en faveur des économies de leur pays en vue
de créer un nouveau pôle de développement en Afrique ;
elles réaffirment leur engagement en faveur de
l’institution d’une communauté économique africaine,
convaincues que l’appartenance à la zone franc, facteur
de stabilité économique et monétaire, constitue un atout
majeur pour la réalisation progressive de leur
intégration économique et que cette intégration doit
également être poursuivie dans un cadre africain plus
large, persuadées que la réalisation de ces objectifs
suppose la mise en place dans leurs Etats d’un droit des
affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de
faciliter l’activité des entreprises, conscientes qu’il est
essentiel que ce droit soit appliqué avec diligence dans
les conditions propres à garantir la sécurité juridique des
activités économiques, afin de favoriser l’essor de
celles-ci et d’encourager l’investissement ; etc. Tous
ces objectifs peuvent se résumer en deux grandes
finalités : la sécurité juridique et l’unification juridique. 3 L’article 10 du Traité OHADA dispose que « Les Actes
uniformes sont directement applicables et obligatoires
dans tous les Etats Parties nonobstant toute disposition
contraire de droit interne, antérieure ou postérieure »,
v. A.-M. FONE MDONTSA, « Réflexion sur l’article 10
du traité OHADA », RASJ, n° 1, 2010, p. 47 et s.; P.
MEYER, « La sécurité juridique et judiciaire dans
l’espace OHADA », Penant, n° 855, p. 151 et s.
l’OHADA (CCJA)4 renforce cette contrainte
en sanctionnant les décisions des juridictions
des Etats membres qui n’appliquent pas
rigoureusement le droit dérivé de l’OHADA.
Et pourtant, l’interrogation est légitime.
D’abord, parce que l’article 10 du Traité qu’on
évoque pour « bloquer »5 ces lois
camerounaises et restaurer la sécurité juridique
et l’unité du droit des affaires est en l’espèce
d’aucune efficacité. Il faut noter que
l’efficacité6 de l’article 10 du Traité
4 En effet, cette suprématie de la CCJA sur les
juridictions internes provient de l’exigence selon
laquelle l’ordre juridique OHADA ne doit souffrir
d’aucune variation dans son application. C’est pourquoi,
son interprétation ne saurait être abandonnée
intégralement aux organes juridictionnels nationaux.
L’objectif est d’assurer l’unité d’interprétation, l’unité
du droit uniforme, v. J. KAMGA,
« Réflexions concrètes sur les aspects judiciaires de
l’attractivité économique du système juridique de
l’OHADA », http : //www.ohada.com., p. 13, § 16,
consulté le 10 janvier 2015,; H. D. MODDI KOKO
BEBEY, « L’harmonisation du droit des affaires en
Afrique : Regard sous l’angle de la théorie générale du
droit », http : //www.ohada.com., p. 16, consulté le 13
avril 2016. 5 V. Denys SIMON qui parle de « l’effet bloquant » pour
l’abrogation d’une loi postérieure contraire : D.
SIMON, « Les fondements de l’autonomie du droit
communautaire », Société française pour le droit
international, p. 243, cité par D. J. ZAMBO ZAMBO,
« Le législateur camerounais et la hiérarchie des
normes : Réflexion à partir de la loi du 19 avril 2007
fixant le juge de l’exécution », RASJ, n° 2, 2011, p. 73,
§ 15. 6 L’effectivité est l’interaction droit/société, c’est-à-dire
le comportement des individus vis-à-vis du droit. Quant
à l’efficacité, elle doit être comprise sous l’angle de la
réalisation du droit en fonction de sa finalité. Sur la
question de ces deux concepts, lire P. LASCOUMES et
S. ÉVELYNE, « Théorie et pratique de l’effectivité du
droit », Droit et société, n° 2, 1986, p. 104 et s. ; F.
Or, en l’état actuel, il est difficile qu’une telle
action aboutisse et ce, pour deux raisons. La
première tient au fait que le juge ordinaire
camerounais8 ne se reconnait pas déjà
compétent en matière de contrôle de
constitutionalité de la loi, à plus forte raison
celui de la conventionalité des lois. La seconde
est due au fait que le conseil constitutionnel
chargé d’accueillir des recours directs est
encore ineffectif. Ainsi, l’on pourrait dire que
les lois camerounaises en l’occurrence celle de
2003 et de 2015 continueront à vivre et à
produire leurs effets juridiques sur les
personnes habitant le territoire camerounais.
Ensuite, le juge Suprême OHADA9 ne peut
RANGEON, « Réflexion sur l’effectivité du droit »,
http : //www.u-picardie.fr/curapp-
revues/root/23/rangeon.pdf, p. 126 et s. consulté le 13
juin 2016; F. ROUVILLOIS, « La règle de droit entre
efficacité et légitimité », Lettre, n° 13, juin 2005, p. 1 et
s. 7 Le contrôle direct renvoie à celui qui est exercé tant a
priori qu’a posteriori par les représentants du peuple
notamment le Président de la République, le Président
de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, un tiers
des députés ou un tiers des sénateurs, les présidents des
exécutifs régionaux : v. art. 47 al. 3 de la loi portant
révision de la Constitution camerounaise de 1972. Par
contre, le contrôle indirect ou le recours incident est
celui qui est exercé par tout justiciable devant le juge
ordinaire (judiciaire ou administratif). 8 Il s’agit, d’une part, de l’affaire des voleurs de coffres-
forts, dans laquelle le juge judiciaire avait déclaré que
« la juridiction répressive n’est pas au Cameroun juge
de l’inconstitutionnalité des lois » ; et d’autre part, de
l’arrêt de la Cour fédérale de justice dans lequel le juge
affirmait qu’ « au regard de la constitutionnalité ou de
l’inconstitutionnalité de la modification litigieuse,
aucun contrôle de la constitutionnalité des lois par voie
d’exception comme en l’espèce n’est prévu en droit
camerounais » : D. J. ZAMBO ZAMBO, art., préc., p.
81 et s., § 30 et s. 9 Art. 13 du Traité OHADA : « le contentieux relatif à
l’application des Actes uniformes est réglé en première
instance et en appel par les juridictions des Etats
Parties ». L’article 14 dudit Traité ajoute que « La Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage assure
l’interprétation et l’application communes du Traité,
des règlements pris pour son application, des Actes
uniformes et des décisions. (…)Saisie par voie du
recours en cassation, la Cour se prononce sur les
décisions prises par les juridictions d’appel des Etats
Parties dans toutes les affaires soulevant des questions
assurer le contrôle de l’application effective
des normes issues des Actes uniformes par les
juges internes que si un pourvoi est formé. Or,
pour que ce recours soit possible, il faut au
préalable qu’une partie qui n’a pas eu gain de
cause ou qui conteste la compétence du juge
interne puisse saisir la CCJA. Ce qui veut dire
qu’en cas d’inaction de cette partie, la loi
contraire ou identique au droit OHADA
conservera toute sa vigueur. De plus, il faut
ajouter l’effet limité des décisions de justice.
En réalité, quand bien même le juge OHADA
rendrait inapplicables les dispositions
contraires ou identiques de la loi incriminée
par une décision, celle-ci ne paralysera ces lois
que pour le litige dans lequel leur
conventionnalité est remise en cause. Pour
d’autres litiges, elles pourront être appliquées.
En effet, l’examen minutieux des lois
camerounaises n° 2003/008 du 10 juillet 2003
portant répression des infractions contenues
dans certains Actes uniformes10
et n° 2015/018
du 21 décembre 2015 régissant l’activité
commerciale au Cameroun laisse apparaître
que la formulation du domaine de ces textes et
celle de leurs dispositions est loin de rassurer quant à l’atteinte des objectifs de sécurité et d’unité juridiques. S’agissant de la formulation de leurs
dispositions, on constate qu’elles sont tantôt
relatives à l’application des Actes uniformes et des
règlements prévus au présent Traité, à l’exception des
décisions appliquant des sanctions pénales ( …) En cas
de cassation elle évoque et statue sur le fond » : V. R.
NEMEDEU, « OHADA : de l’harmonisation à
l’unification du droit des affaires en Afrique », http// :
www.ohada.com., p. 8, consulté le 16 avril 2016,; R.
MASSAMBA, « L’optimisation du processus
d’harmonisation du droit des affaires en Afrique »,
http// : www.ohada.com., p. 5, consulté le 15 mai
2016; J. KAMGA, « Réflexion « concrètes » sur les
aspects judiciaires de l’attractivité économique du
système juridique de l’OHADA », http// :
www.ohada.com., p. 13, § 16, consulté le 10 janvier
2015. 10
Art. 5 du Traité OHADA : « Les Actes uniformes
peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale.
Les Etats Parties s’engagent à déterminer les sanctions
pénales encourues » : A. FOKO, « Analyse critique de
quelques aspects du droit pénal de l’OHADA », Penant,
Actes uniformes OHADA. Et pourtant, l’uniformisation ou l’unification du droit
entreprise par l’OHADA consiste à instaurer,
dans chacune des matières, une règlementation
unique, identique et applicable dans tous les
Etats membres11
.
Quant à leur champ d’application, certes celui
de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 est
clairement formulé12
, il demeure que celui de
la loi n° 2015/018 du 21 décembre 2015 prête
à équivoque13
. La formulation du champ
d’application de cette loi ne permet pas de
déterminer avec netteté sa démarcation avec le
domaine réservé à l’Acte uniforme portant
droit commercial général. On y voit une sorte
de doublon. Et pourtant, cela est prohibé14
.
11
J. ISSA-SAYGEH, « L’intégration juridique des Etats
africains de la zone franc », Penant, n° 823, janv.-avr.
1997, p. 5 et s.; P-G. POUGOUE, « Doctrine et théorie
juridique », art., préc., p. 11 ; Alhousseini MOULOUL,
Comprendre l’Organisation pour l’Harmonisation en
Afrique du Droit des Affaires (OHADA), op., cit., p. 23. 12
L’art. 1er
de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003
dispose que « la présente loi fixe les peines applicables
aux infractions prévues dans les Actes uniformes
OHADA relatifs : au Droit Commercial Général ; au
Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement
d’Intérêt Economique ; aux Procédures Collectives
d’Apurement du passif et à l’organisation et
l’harmonisation des Comptabilités des Entreprises ». 13
L’art. 2 de la loi n° 2015/018 dispose que « (1) La
présente loi s’applique à tout commerçant, personne
physique ou morale, camerounaise ou étrangère qui
exerce sur le territoire. (2) Elle s’applique en outre à
toutes les activités de production, de distribution et de
services. (3) Sont exclus du champ d’application de la
présente loi : les ventes aux enchères publiques
pratiquées par les officiers ministériels et les
fonctionnaires ou agents assermentés ; les vendeurs et
les prestataires de services occasionnels ». 14
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dans l’un
de ses Avis relatif à l’interprétation de l’article 10 du
Traité OHADA le 30 avril 2001 avait encore rappelé
cette interdiction. À cet effet, elle soulignait que l’effet
abrogatoire de cet article frappe non seulement et
naturellement les dispositions contraires à ceux-ci, mais
encore et surtout les dispositions internes portant sur un
même objet ou étant identiques aux dispositions des
Actes uniformes : v. A.-M. FONE MDONTSA,
« Réflexion sur l’article 10 du traité OHADA » art.,
préc., p. 50, § 7 ; P. MEYER, art., préc., p. 156 ; D. J.
ZAMBO ZAMBO, « Le législateur camerounais et la
hiérarchie des normes : Réflexion à partir de la loi du 19
avril 2007 fixant le juge de l’exécution », art., préc., p.
74, § 15.
Fort de ce constat, on se pose la question de
savoir si le législateur camerounais, à travers ces deux lois, contribue encore à la réalisation
des objectifs de sécurité et d’unification
juridique, de l’OHADA.
Il apparaît que l’abandon de la souveraineté
tant normative que judiciaire des Etats Parties
au profit de « cet outil technique »15
qu’est
l’OHADA reste encore problématique.
Certains Etats parties semblent empiéter sur le
champ juridique de l’OHADA.
Aussi, une grille d’analyse et d’interprétation
de ces deux textes du législateur camerounais
peut être faite, non pas du point de vue de leur
validité, mais sous l’angle de ce qu’ils
représentent dans la réalisation des objectifs de
l’OHADA. Cela répond à l’impératif pour les
Etats Parties de respecter le pacte signé à Port-
Louis en Ile Maurice le 17 octobre 1993, en ce
sens que les objectifs assignés à l’OHADA
sont aussi les leurs16
. Ce respect de leurs
engagements est la condition sine qua none de
la réalisation des objectifs de sécurité juridique
et d’unification du droit des affaires en
Afrique.
Face à un tel engagement, on pense que les
textes du législateur camerounais ne méritaient
pas d’être adoptés parce que, d’une part, ils
portent atteinte à l’objectif de sécurité
juridique (I), et d’autre part, ils remettent en
cause l’objectif d’unification juridique (II).
I. L’atteinte à l’objectif de sécurité
juridique
La sécurité juridique17
qui renvoie à la
situation dans laquelle les règles de droit sont
connues, précises, correctement appliquées et
15
P-G. POUGOUE, « Doctrine et théorie juridique »,
art., préc., p. 11. 16
L. J. KWAWO, « L’OHADA et la modernisation du
droit des affaires en Afrique », Unidroit, 2003-1/2, p. 71
et s. 17
C’est un principe consacré par le Conseil
constitutionnel français, inspiré par la jurisprudence de
la Cour de Justice des Communautés Européennes : v. F.
TERRÉ, Introduction générale au droit, Dalloz, 7e éd.,
2006, p. 375, § 457 ; A. AKAM AKAM, « Libres
propos sur l’adage « Nul n’est censé ignoré la loi » »,
RASJ, n° 1, 2007, p. 31 et s. ; P.-G. POUGOUÉ, « Les
figures de la sécurité juridique », RASJ, n° 1, 2007, p. 1
et s.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
8
sont dotées d’une certaine stabilité18
ne rime
pas avec le chevauchement des textes dans un
même domaine19
. Or, avec l’entrée en scène
juridique de ces deux textes camerounais, on
n’est pas loin de cette situation d’incertitude
juridique. Le législateur camerounais met sur
le champ juridique du droit des affaires, des
lois aux dispositions contradictoires (A) et
identiques aux Actes uniformes OHADA (B).
A. La contradiction des dispositions
des lois camerounaises avec les Actes
uniformes OHADA
La contradiction renvoie à l’action de
contredire20
. Quant aux dispositions, elles sont
des prescriptions énoncées dans un texte21
,
c’est-à-dire les articles, les alinéas ou les
phrases d’un texte juridique22
. La question de
la contradiction des dispositions des lois
camerounaises avec les Actes uniformes
OHADA pourra donc renvoyer à l’étude des
articles, des alinéas ou des phrases de la loi n°
2003/008 (1), et celle n° 2015/018 (2) qui
contredisent les dispositions ou une disposition
des textes de l’OHADA.
1. Les dispositions de la loi n° 2003/008
contraires aux Actes uniformes
OHADA
Intitulée « répression des infractions
contenues dans certains Actes uniformes
OHADA », la loi n° 2003/008 du 10 juillet
2003 vient rendre effectif l’article 5 du Traité
OHADA23
. En l’espèce, elle fixe les multiples
peines aux infractions prévues dans les 18
P. MEYER, « La sécurité juridique et judiciaire dans
l’espace OHADA », art., préc., p. 151, § 1. 19
Alhousseini MOULOUL, op., cit., p. 8. 20
Petit Larousse en couleurs, Dictionnaire français, p.
261, V° Contradiction. 21
Ces prescriptions renvoient aux articles, aux alinéas,
aux phrases d’un texte de loi : v. G. CORNU,
vocabulaire juridique, PUF, 2012, p. 353, V°
Dispositions. 22
A-M. FONE MDONTSA, « Réflexion sur l’article 10
du traité OHADA », art., préc., p. 54, § 18. 23
L’art. 5 du Traité OHADA dispose que « les Actes
uniformes peuvent inclure des dispositions
d’incrimination pénale. Les Etats parties s’engagent à
déterminer les sanctions pénales encourues ».
différents Actes uniformes24
.
Malheureusement, au lieu de se limiter à la
fixation des peines, cette loi a repris les
différentes incriminations déterminées par le
législateur OHADA dans ses différents Actes
uniformes avant de leur appliquer la sanction
appropriée. Cette politique de reprise des
incriminations établies par un texte
international en droit interne n’est pas nouvelle
au plan du droit. En effet, dans le cadre de la
réception du droit pénal international, le
législateur national dispose de la latitude de
choisir entre la technique d’incorporation et
celle de référence25
. Le plus souvent, c’est
celle d’incorporation qui semble préconisée.
Deux raisons justifient très souvent cette
option : la sécurité juridique parce qu’on aura
un corpus de règles pénales complètes où
incrimination et sanction sont logées, ensuite,
l’accès aux règles de droit26
où l’utilisateur du
texte n’aura plus à aller chercher de part et
d’autre le texte d’incrimination et celui de
sanction. Un seul texte rassemble les
infractions et les sanctions, toute la politique
criminelle est dans un seul texte. C’est cette
option que le législateur camerounais a choisi
c’est-à-dire « la nationalisation du Traité »27
.
Mais, ce qui paraît incongru, c’est qu’en
24
Il s’agit des Actes uniformes relatifs au droit
commercial général, au droit des sociétés commerciales
et du groupement d’intérêt économique, aux procédures
collectives d’apurement du passif et à l’organisation et
l’harmonisation des comptabilités des entreprises : art.
1er
de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003. 25
Il convient de relever qu’en matière de droit pénal
international, le législateur national a une option pour la
fixation des peines. Il peut décider de choisir la
technique d’incorporation, qui consiste à reproduire les
infractions communes dans sa loi nationale en y
affectant les sanctions, soit utiliser la technique par
référence, qui consiste à se référer à la norme
internationale et à prévoir des sanctions réprimant leur
violation. Face à ces deux techniques, le législateur
camerounais a fait le choix de la technique
d’incorporation. Sur la question des techniques de
réception du droit international en droit interne, lire A-
M. MDONTSA FONE, « A propos de l’extension de la
compétence pénale OHADA », Revue Africaine des
Sciences Juridiques, n° 1, 2008, p. 80, § 10 et s. 26
N. MOLFESSI, « La sécurité juridique et l’accès aux
règles de droit », RTD civ., 2000, p. 662. 27
R. NEMEDEU, « OHADA : de l’harmonisation à
l’unification du droit des affaires en Afrique », art. préc.,
p. 6.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
9
reproduisant les infractions, le législateur
camerounais apporte parfois du sien au point
où le contenu de certaines infractions n’a plus
rien à voir avec celui défini par son
homologue de l’OHADA. C’est notamment le
cas des infractions relatives au droit
commercial, au droit des sociétés et aux
procédures collectives d’apurement du passif.
Primo, les infractions relatives au droit
commercial OHADA sont contrariées par les
dispositions de la loi n° 2003/00828
concernant
les infractions relatives aux obligations
d’inscription au Registre du commerce et du
crédit mobilier (RCCM) et celles relatives à la
publicité du locataire-gérant.
S’agissant de l’infraction aux obligations
d’inscription au RCCM, l’article 2 de la loi n°
2003/008 dispose que « En application de
l’article 68 de l’Acte uniforme du 17 avril
1997 relatif au droit commercial général (…)
toute personne qui a inscrit une sûreté
mobilière soit par fraude soit en portant des
indications inexactes données de mauvaise
foi ». À la première lecture de cette
disposition, il ressort une incrimination de
deux faits dans une seule formalité auprès du
RCCM. Il s’agit de l’inscription frauduleuse
de la sûreté mobilière et l’inscription inexacte
de mauvaise foi de la sûreté mobilière.
Cependant, la lecture de l’article 69 AUDCG29
donne une autre réalité30
. Les faits incriminés
sont différents de ceux du législateur
camerounais. D’une part, ces faits concernent
tant l’inscription que l’immatriculation31
au 28
Certes, le législateur camerounais, à travers la loi n°
2015/018 du 21 décembre 2015, a renforcé l’arsenal
pénal en matière d’exercice de l’activité commerciale, il
demeure que les infractions traitées dans le cadre de
cette loi ne sont pas celles du droit OHADA. 29
Il convient de relever que dans l’ancien Acte
uniforme, cette infraction était logée à l’article 68. Avec
la révision de l’Acte uniforme intervenue le 15
décembre 2010, elle se trouve dans l’article 69 de
l’AUDCG. C’est pourquoi, on parle de l’article 69 au
lieu de l’article 68 de l’AUDCG. 30
Art. 69 de l’AUDCG dispose que « toute personne
tenue d’accomplir une des formalités prescrites au
présent Acte uniforme, et qui s’en est abstenue, ou
encore qui a effectué une formabilité par fraude, est
punie des peines prévues par la loi nationale ou le cas
échéant par la loi pénale spéciale prise par l’Etat
Partie en application du présent Acte uniforme ». 31
L’inscription renvoie à l’accomplissement dans le
RCCM. D’autre part, le texte OHADA évoque
l’abstention et l’accomplissement frauduleux
au RCCM. S’il est vrai qu’à travers
l’incrimination de l’inscription frauduleuse au
RCCM, on peut déduire l’infraction aux
formalités exigées auprès du RCCM, il
demeure qu’au fond, le fait incriminé est
totalement différent. Bien plus, tandis que le
législateur OHADA incrimine l’abstention,
celui du Cameroun pénalise plutôt l’inscription
inexacte de mauvaise foi. Cette situation de
coexistence des textes juridiques au niveau
d’incrimination d’un seul comportement ne
peut militer en faveur de la sécurité juridique.
C’est aussi le cas de l’infraction de publicité
du locataire-gérant.
Concernant l’infraction de publicité du
locataire-gérant, l’article 3 de ladite loi la
caractérise du fait qu’ « en application de
l’article 108 de l’Acte uniforme du 17 avril
1997 relatif au droit commercial général (…),
le locataire-gérant d’un fonds de commerce a
omis d’indiquer en tête de ses bons de
commande, facture et d’autres documents à
caractère financier ou commercial, son
numéro d’immatriculation au Registre du
Commerce et du Crédit Mobilier, ou sa qualité
de locataire-gérant ». Au regard de cette
disposition, deux faits sont incriminés :
l’omission d’indiquer son numéro
d’immatriculation et celle d’indiquer sa qualité
de locataire-gérant. Toutefois, avec la mention
« ou », il est clair que les deux faits ne peuvent
pas être cumulatifs. La commission de l’un ou
de l’autre suffit à faire qualifier l’infraction et
entraîner l’application des sanctions pénales
liées à cette infraction. Et pourtant, ce n’est
RCCM des formalités relatives aux sûretés et au crédit-
bail. Elle peut faire l’objet d’un RCCM séparé de celui
de l’immatriculation qui concerne les formalités
accomplies par toute personne pour bénéficier du statut
de commerçant ou d’entreprenant. Toutefois, le
législateur OHADA reconnait la possibilité pour un Etat
de rassembler toutes ces formalités dans un seul RCCM
(art. 70 et s. de l’AUDCG) : J. DIFFO TCHUNKAM,
« La distinction droit civil-droit commercial à l’épreuve
de l’OHADA : une prospective de droit matériel
uniforme », RASJ, 2009, n° 1, p. 107 ; Y. KALIEU
ELONGO, « Le rôle du registre du commerce et du
crédit mobilier dans l’amélioration de l’accès au
crédit », in Mutations dans les systèmes OHADA,
s/direct. A. AKAM AKAM, Harmattan, 2009.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
10
pas ce qui figure dans les textes OHADA. En
effet, l’article 140 de l’AUDCG32
que la loi
camerounaise prétend appliquer donne plutôt
un autre contenu à cette infraction33
. C’est
l’omission d’indiquer sa qualité de locataire-
gérant dans tous ces documents qui semble
être le seul fait, excluant ainsi l’omission
d’indiquer son immatriculation.
Secundo, lorsqu’on étudie les infractions
relatives au droit des sociétés commerciales et
du groupement d’intérêt économique reprises
par la loi camerounaise de 200334
, on
s’aperçoit que le contenu est différent de celui
prévu par les textes OHADA.C’est surtout au
niveau des infractions relatives à la
constitution et à la liquidation de la société que
cette différence apparaît.
Par rapport à l’infraction relative à la
constitution de la société, c’est l’article 5 de la
loi n° 2003/008 qui assure l’incorporation.
Aussi dispose-t-il : « en application de
l’article 887 de l’Acte uniforme du 17 avril
1997 relatif au droit des sociétés commerciales
et du groupement d’intérêt économique (…)
ceux qui : a) ont affirmé sciemment, sincères et
véritables, des souscriptions qu’ils savaient
fictives ou auront déclaré que les fonds n’ont
pas été mis entièrement à la disposition de la
société ont été effectivement versés ; b) ont
remis au notaire ou au dépositaire une liste
des actionnaires ou des bulletins de
souscription et de versement mentionnant des
souscriptions fictives, ou des versements de
fonds qui n’ont pas été mis définitivement à la 32
Il convient de relever que dans l’ancien Acte
uniforme, cette infraction était logée à l’article 108. Elle
se trouve à l’article 140 de l’AUDCG. C’est pourquoi,
on parle de l’article 140 AUDCG au lieu de l’article
108. 33
Art. 140 AUDCG dispose que : « le locataire-gérant
est tenu d’indiquer en tête de ses bons de commande,
facture et autres documents à caractère financier ou
commercial, avec son numéro d’immatriculation au
Registre du Commerce et du Crédit Mobilier, sa qualité
de locataire-gérant du fonds. Toute infraction à cette
disposition est punie par la loi pénale nationale ». 34
Il s’agit des infractions relatives à la constitution de la
société, à la gérance et à l’administration et à la
direction des sociétés, aux assemblées générales, aux
modifications du capital des sociétés anonymes, au
contrôle de la société, à la liquidation de la société, à
l’appel public à l’épargne : art. 4 et s. de la loi n°
2003/008 du 10 juillet 2003.
disposition de la société ; c)sciemment par
simulation de souscription ou de versement ou
par publication de versement qui n’existe pas
ou de tout autre faits faux , ont obtenu ou tenté
d’obtenir des souscriptions ou des
versements ; (…) ». Au travers de cette
disposition, il apparaît une incrimination des
mensonges tant sur l’effectivité de la
souscription que sur celle des actionnaires ou
encore concernant le versement des fonds de
souscription. En clair, c’est la négociation
irrégulière qui est incriminée. C’est ce qui
ressort aussi de l’Acte uniforme relatif au droit
des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique de l’OHADA35
. S’il
semble transparaître une parfaite cohérence en
matière d’incrimination de ce comportement,
l’on constate que ces deux textes diffèrent au
niveau de la formulation du troisième alinéa.
Alors que le législateur camerounais aborde
ceux qui « c)sciemment par simulation de
souscription ou de versement ou par
publication de versement qui n’existe pas ou
de tout autre faits faux , ont obtenu ou tenté
d’obtenir des souscriptions ou des
versements », celui de l’OHADA évoque
plutôt « 3°) ceux qui sciemment, par
simulation de souscription ou de versement ou
par publication de souscription ou de
versement qui n’existe pas ou de tous autres
faits faux, auront obtenu ou tenté d’obtenir des
souscriptions ou des versements ; (…) ». Cette
contradiction, bien que minime, dilue
l’infraction définie par le législateur OHADA.
De là, il devient difficile de continuer à
35
Art. 887 de l’AUDSCGIE : « encourent une sanction
pénale :1°) ceux qui, sciemment, par l’établissement de
la déclaration notarié de souscription et de versement
ou du certificat du dépositaire, auront affirmé sincères
et véritables des souscriptions qu’ils savaient fictives ou
auront déclaré que les fonds qui n’ont pas été mis
définitivement à la disposition de la société ont été
effectivement versés; 2°) ceux qui auront remis au
notaire ou au dépositaire, une liste des actionnaires ou
des bulletins de souscription et de versement
mentionnant des souscriptions fictives ou des
versements de fonds qui n’ont pas été mis définitivement
à la disposition de la société ; 3°) ceux qui sciemment,
par simulation de souscription ou de versement ou par
publication de souscription ou de versement qui n’existe
pas ou de tous autres faits faux, auront obtenu ou tenté
d’obtenir des souscriptions ou des versements ; (…) ».
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
11
affirmer que le législateur camerounais par la
loi 2003 vient mettre en œuvre la volonté de
son homologue de l’OHADA.
Par rapport à l’infraction liée à la liquidation
des sociétés, le contenu que donne le
législateur camerounais36
n’est pas celui de
l’Acte uniforme de l’OHADA37
. La différence
se situe tant au niveau de la structure auprès de
laquelle le compte doit être ouvert, qu’au
niveau du délai.
Au niveau de la structure auprès de laquelle le
compte doit être ouvert, le législateur
camerounais évoque le Trésor public tandis
que le législateur OHADA fait allusion à une
banque. Cette contradiction est regrettable.
Au niveau du délai, le législateur camerounais
prévoit « un (1) an à compter de la décision »
tandis que celui de l’OHADA a prévu « un
délai de quinze jours à compter de la
décision ». Il y a un écart de quarante cinq (45)
jours. Ce qui est surprenant quand on sait que
cette loi met en œuvre l’Acte uniforme.
Finalement, il y a deux délais distincts, on
pourra dire que c’est celui de l’Acte uniforme
qui doit être préféré, mais avec la relativité de
la primauté du droit OHADA, le délai de la loi
2003 peut s’appliquer.
Tertio, la définition de l’infraction relative aux
procédures collectives d’apurement du passif
est contradictoire avec ce qu’avait prévu
l’Acte uniforme. Il suffit de lire les articles 34
et 35 de cette loi.
L’article 34 de la loi camerounaise présente
une infraction différente. Cette différence se
36
Art. 21 de la loi de 2003 : « en application de l’article
887 de l’Acte uniforme du 17 avril 1997 relatif au droit
des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique (…) lorsque la liquidation sera intervenue
sur décision judiciaire, le liquidateur qui, sciemment,
n’a pas : (...) – déposé à un compte de consignation
ouvert dans les écritures du Trésor public, dans le délai
d’un (1) an à compter de la décision de répartition, les
sommes affectées aux répartitions entre les associés et
les créanciers (…) ». 37
Art. 903 de l’AUDSCGIE : « lorsque la liquidation
intervient sur décision judiciaire, encourt une sanction
pénale, le liquidateur qui, sciemment : (…) 5°) n’aura
pas déposé à un compte ouvert dans une banque au nom
de la société en liquidation, dans le délai de quinze
jours à compter de la décision de répartition, les
sommes affectés aux répartitions entre les associés et les
créanciers ».
situe au niveau des personnes concernées par
cette infraction et du temps employé. Une fois
de plus, ce qui a été prévu par le législateur
OHADA n’est pas ce qui a été transcrit par le
législateur camerounais. Alors que l’article
243 de l’Acte uniforme relatif aux procédures
collectives d’apurement du passif (AUPC)
mentionne les personnes au profit desquelles
l’infraction est commise38
, le texte
camerounais commence directement par
l’auteur de l’infraction39
. Ce qui le démarque
de son homologue et dès cet instant, il devient
difficile de dire qu’il met en application
l’article 243 de l’AUPC. Il vient de créer là sa
propre infraction qui n’a rien à voir avec celle
du droit OHADA. De même, il utilise le temps
passé et non le temps présent comme son
homologue de l’OHADA. Ce qui donne
l’impression d’une infraction nouvelle. Or, son
objectif est de mettre en application l’article
243 de l’AUPC. Ce qui exclut toute tentative
de reconfiguration de l’infraction.
Quant à la contrariété de l’article 3540
avec
l’article 244 de l’AUPC41
, elle est perceptible 38
Art. 244 de l’AUPC : « est punie des peines prévues
par le droit pénal en vigueur dans chaque Etat Partie
pour les infractions commises par une personne faisant
appel au public au préjudice d’un loueur, dépositaire,
mandataire, constituant de nantissement, prêteur à
usage ou maître d’ouvrage, tout syndic d’une procédure
collective qui :- exerce une activité personnelle sous
couvert de l’entreprise du débiteur masquant ses
agissements ; dispose du crédit ou des biens du débiteur
comme des siens propres ; dissipe les biens du
débiteur ; poursuit abusivement et de mauvaise foi, dans
son intérêt personnel, soit directement, soit
indirectement, une exploitation déficitaire de
l’entreprise du débiteur ; (..) ». 39
Art. 34 de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 :
« (…) est puni (…) tout syndic d’une procédure
collective qui a : exercé une activité personnelle (..) ». 40
Art. 35 de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 : « est
puni (…) le créancier qui a : stipulé avec le débiteur ou
avec toute personne des avantages particuliers à raison
de son vote dans les délibérations de la masse ; conclu
une convention particulière de laquelle, il résulterait en
sa faveur un avantage à la charge de l’actif du débiteur
à partir du jour de la décision d’ouverture de la
procédure collective ». 41
Art. 244 de l’AUPC : « est punie des peines prévues
par le droit pénal en vigueur dans chaque Etat Partie
pour les infractions commises au préjudice d’un
incapable, le créancier qui a : stipulé avec le débiteur
ou avec toute personne, des avantages particuliers à
raison de son vote dans les délibérations de la masse ;
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
12
à travers la victime de l’infraction. En effet, le
législateur camerounais ne fait pas mention de
la victime de l’infraction. Il considère cette
infraction comme une infraction générale
faisant fi de l’incapacité de la personne. Et
pourtant, le législateur OHADA en prévoyant
cette infraction la limite au profit du mineur.
Cette situation illustre à suffisance la
contradiction qui existe entre le texte
camerounais et celui de l’OHADA. Or, l’objet
de la loi camerounaise n’était pas d’incriminer
à nouveau les faits prévus par le législateur,
mais de fixer simplement les sanctions
appropriées. Par cette attitude, le législateur
camerounais viole l’esprit et la lettre de
l’article 5 du Traité OHADA et en
conséquence, instaure une insécurité juridique
en matière de droit pénal des affaires. Ce qui
met les justiciables camerounais dans
l’incertitude quant à la loi applicable en cas de
commission des infractions sus mentionnées.
1. Les dispositions de la loi n° 2015/018
contraires aux Actes uniformes
OHADA
Comme la loi de 2003, celle du 21 décembre
2015 régissant l’activité commerciale au
Cameroun contrevient à certains endroits au
droit OHADA. C’est surtout l’Acte uniforme
relatif au droit commercial général qui est le
plus concerné. Cela se situe au niveau des
seuils déterminant le statut d’entreprenant.
En effet, les articles 4 et 12 al. 1 de ladite loi42
édictent que pour obtenir le statut
d’entreprenant, une personne physique doit
réaliser un « chiffre d’affaires annuel généré
par ses activités de vente ou de prestation de fait un traité particulier duquel il résulterait en sa
faveur un avantage à la charge de l’actif du débiteur à
partir du jour de la décision d’ouverture de la
procédure collective ». 42
Art. 4 et 12 al. 1 de la loi n° 2015/018 du 21 décembre
2015 : « l’entreprenant est un entrepreneur individuel,
personne physique qui, sur simple déclaration au
Registre de Commerce et du Crédit Mobilier telle que
prévue dans l’Acte uniforme portant sur le droit
commercial général, exerce une activité professionnelle
civile, commerciale, artisanale ou agricole et dont le
chiffre d’affaires annuel généré par ses activités de
vente ou de prestation de services est inférieur à dix
(10) millions de francs ».
services inférieur à dix (10) millions de
francs ». C’est dire pour le législateur
camerounais, il n’y a aucune différence à faire
quant au secteur d’activité envisagé par la
personne qui sollicite le statut. Tous les
postulants sont soumis à la même condition de
seuil. Ce qui contraste avec ce que le
législateur OHADA43
a prévu, même s’il
hésite quant au critère de détermination de la
taille de l’entreprise individuelle éligible au
statut d’entreprenant44
. Il fixe les seuils du
statut de l’entreprenant en fonction de son
activité. L’article 13 al. 2 de l’ancien Acte
uniforme portant organisation et harmonisation
des comptabilités des entreprises (AUOHC) en
fait écho45
, modifié par l’actuel article 13 al. 2
de l’Acte uniforme relatif au droit comptable
et à l’information financière46
. Le législateur
43
Art. 30 de l’AUDCG dispose que : « l’entreprenant
est un entrepreneur individuel, personne physique qui,
sur simple déclaration prévue dans le présent Acte
uniforme, exerce une activité professionnelle civile,
commerciale, artisanale ou agricole. L’entreprenant
conserve son statut si le chiffre d’affaires annuel généré
par son activité pendant deux exercices successifs
n’excède pas les seuils fixés dans l’Acte uniforme
portant organisation et harmonisation des comptabilité
des entreprises au titre du système minimal de
trésorerie ». Il s’agit de « trente (30) million de francs F.
CFA pour les entreprises de négoce ; vingt (20) million
de francs F. CFA pour les entreprises artisanales et
assimilées ; dix (10) million de francs F. CFA pour les
entreprises de services ». 44
Art. 30 al. 4 et 5 de l’AUDCG dispose que
l’entreprenant, « doit en conséquence se conformer à la
règlementation applicable à ses activités. Chaque Etat
Partie fixe les mesures incitatives pour l’activité de
l’entreprenant notamment en matière d’imposition
fiscale et d’assujettissement aux charges sociales ». 45
Art. 13 al. 2 de l’AUOHC fixe les seuils à « trente
(30) million de francs F. CFA pour les entreprises de
négoce ; vingt (20) million de francs F. CFA pour les
entreprises artisanales et assimilées ; dix (10) million de
francs F. CFA pour les entreprises de services ». 46
Art. 13 al. 2 de l’AUDCIF dispose: « sont éligibles au
Système minimal de trésorerie, les entités dont le chiffre
d’affaires hors taxes annuel est inférieur aux seuils
suivants : soixante millions de FCFA ou l’équivalent
dans l’unité monétaire ayant cours légal dans l’Etat-
partie, pour les entités de négoce ; quarante millions de
FCFA ou l’équivalent dans l’unité monétaire ayant
cours légal dans l’Etat-partie, pour les entités
artisanales et assimilées, trente millions de FCFA ou
l’équivalent dans l’unité monétaire ayant cours légal
dans l’Etat-partie, pour les entités de services ».
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
13
camerounais aurait dû reprendre les trois
critères fixés par le législateur OHADA, dans
un souci de cohérence juridique. Certes, on
évoquera la primauté du droit OHADA, mais il
demeure que sa supériorité est sujette à
intervention judiciaire, comme nous allons le
voir plus tard.
L’étude des dispositions des lois n° 2003/008
et n° 2015/018 montre de nettes contradictions
avec ce qui est prévu par les Actes uniformes
OHADA. Elle révèle aussi qu’elles ont le
même domaine que les Actes uniformes de
l’OHADA.
B. L’identité de domaine entre les lois
camerounaises et les Actes uniformes de
l’OHADA
Selon le Vocabulaire technique et critique de
la philosophie47
, « est identique, ce qui,
paraissant plusieurs ou apparaissant sous
plusieurs aspects, est en réalité et dans son
fond, un ». C’est ce qui ne diffère en rien d’un
autre, qui présente avec quelqu’un ou avec
quelque chose une parfaite ressemblance48
.
Dès lors, aborder la question de l’identité des
dispositions des textes camerounais par
rapport aux textes de OHADA revient à
montrer que non seulement le champ
d’application est identique (1), mais que les
termes le sont aussi (2).
1. L’identité du champ
d’application entre la loi n°
2015/018 et les Actes uniformes
OHADA
Le champ d’application est perçu comme
l’ensemble des matières ou des personnes
auxquelles s’applique la règle49
. La question
de l’identité du champ d’application suppose
que ces deux textes législatifs visent les
mêmes matières ou les mêmes personnes.
S’agissant des personnes, le législateur
47
A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de
la philosophie, op., cit., p. 454, V° Identique. 48
Petit Larousse en couleurs, op., cit., p. 518, V°
Identique. 49
G. CORNU Vocabulaire juridique, op., cit., p. 73, V°
Application-(*champ d’).
camerounais souligne que son texte s’applique
à tout commerçant, personne physique ou
morale, camerounais ou étranger qui exerce
sur le territoire national50
. Par contre, le
législateur OHADA ne donne aucune
précision. L’article 2 du Traité qui traite du
domaine du droit des affaires de l’OHADA
s’est intéressé plus aux matières qu’aux
personnes. Mais, cela ne signifie pas que le
droit OHADA ne tient pas compte des
personnes auxquelles il s’applique. Car, si
l’ordre juridique OHADA est un ordre qui
s’applique au sein de tous les Etats Parties51
,
logiquement, les personnes vivant dans ces
Etats sont celles auxquelles ce droit
s’applique. En clair, les personnes soumises au
droit OHADA sont toute personne habitant
l’espace OHADA52
, c’est-à-dire l’ensemble
des personnes commerçantes, physiques ou
morales53
, étrangères ou nationales54
vivant
dans les territoires des Etats Parties. Ainsi, on
peut affirmer qu’il y a une identité de domaine
personnel entre le droit interne des Etats
Parties et le droit OHADA
Cela étant admis, il faut noter que le droit de
l’OHADA ne s’applique qu’aux
professionnels. Ce qui signifie que les
personnes non professionnelles sont exclues
du champ de l’OHADA55
. Les lois 50
Art. 2 de la loi n° 2015/018 du 21 décembre 2015. 51
P.-G. POUGOUÉ, art., préc., p. 17. 52
R. NEMEDEU, art., préc., p. 7 ; A.-M. FONE
MDONTSA, « Réflexion sur l’article 10 du traité
OHADA », art., préc., p. 54, n° 16. 53
Le commerçant est une personne physique ou
morale : v. art. 1er
de l’AUDCG. 54
Le droit OHADA à travers son application immédiate
acquiert automatiquement le statut de droit positif dans
l’ordre juridique des Etats parties et s’applique en droit
interne en tant que tel. En effet, la relation entre l’ordre
juridique OHADA et les ordres juridiques internes obéit
non pas au dualisme mais au monisme. Dès lors, le droit
OHADA est applicable à tous les habitants, nationaux
ou étrangers se trouvant sur les territoires des Etats
parties. Sur la question de la nature du droit OHADA,
voir P-G. « Doctrine OHADA et théorie juridique »,
art., préc., p. 6 ; H. MODDI KOKO BEBEY, art., préc.,
p. 12 et s., A.-M. FONE MDONTSA, « Réflexion sur
l’article 10 du Traité OHADA », art., préc., p. 51 et s., §
11 et s. 55
Art. 235 de l’AUDCG : « les dispositions du présent
Livre ne régissent pas : a) les ventes de marchandises
achetées pour un usage personnel, familial ou
domestique, à moins que le vendeur, à un moment
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
14
camerounaises concernent tant les non
professionnels que les professionnels56
. Ce
conflit de normes peut être résolu sur la base
de la primauté57
et de la spécialité du droit
OHADA. Mais, ces remèdes peuvent se
révéler inefficaces.
Le champ matériel renvoie aux matières qui
sont régies par la loi. Et à chaque loi,
correspond une matière, excluant la
règlementation d’une matière par deux lois.
Certes, rien ne l’interdit, mais pour des raisons
de cohérence juridique, deux lois ne doivent
régir la même matière. C’est hélas le constat
fait avec la loi n° 2015/018. En effet, cette loi
semble faire double emploi avec les Actes
uniformes relatif au droit commercial général
et relatif au contrat de transport de
marchandises par route.
Concernant la comparaison avec l’Acte
uniforme relatif au droit commercial général
(AUDCG), l’article 2 de la loi dispose que
« (2) elle s’applique en outre à toutes les
activités de production, de distribution et de
services. (3) sont exclus du champ
d’application de la présente loi : les ventes
aux enchères publiques pratiquées par les
officiers ministériels et les fonctionnaires ou
agents assermentés ; les vendeurs et les
prestataires de services occasionnels ». C’est
ce qui ressort aussi des articles 234 à 236 de
l’AUDCG58
. Or, une telle situation est interdite
quelconque avant la conclusion ou lors de la conclusion
du contrat, n’ait pas su et n’ait pas été censé savoir que
ces marchandises étaient achetées pour un tel usage ; b)
les contrats de fourniture de marchandises dans lesquels
la part prépondérante de l’obligation de la partie qui
fournit les marchandises consiste dans une fourniture de
mai d’œuvre ou d’autres services ». 56
La loi évoque les relations entre commerçants, tout
producteur, prestataire de services, grossistes ou
importateur, etc. (art. 41 de la loi n° 2015/018 du 21
décembre 2015). 57
A.-M. FONE NDONTSA, « Réflexions sur l’article
10 du traité OHADA », art., préc., p. 51 et s., § 10 et s. 58
Dans le Titre I du Livre VIII (Vente commerciale) de
l’Acte uniforme intitulé « Champ d’application et
conditions générales », il ressort que ces dispositions
s’appliquent aux contrats de vente de marchandises
entre commerçants, personnes physiques ou personnes
morales, y compris les contrats de fourniture de
marchandises destinés des activités de fabrication ou de
production. Sauf stipulations conventionnelles
contraires, le contrat de vente commerciale est soumis à
non seulement par le législateur de
l’OHADA59
, mais aussi par le juge de
l’OHADA60
.
Concernant la comparaison avec l’Acte
uniforme relatif au contrat de transport de
marchandises par route61
, l’article 13 de la loi
n° 2015/018 régit aussi le transport de
marchandises par route. Les contrats de
transport de marchandises par route sont dès
lors soumis à deux régimes juridiques, source
d’insécurité juridique.
2. Le caractère identique de certaines
dispositions de la loi n° 2015/018
avec celles des Actes uniformes
La loi n° 2015/018 du 21 décembre 2015
paraît reprendre l’Acte uniforme OHADA
relatif au droit commercial général, tant en ce
qui concerne les définitions de l’acte de
commerce par nature, du commerçant, de
l’entreprenant et des intermédiaires de
commerce62
, que de l’organisation et du
fonctionnement du Fichier National du
Registre de Commerce et de Crédit63
.
S’agissant des définitions de l’acte de
commerce par nature, du commerçant, de
l’entreprenant et des intermédiaires de
commerce, il s’agit comme de nouvelles
reformulations par rapport au droit OHADA64
.
Certes, le législateur camerounais ne définit
ces dispositions dès lors que les contractants ont le siège
de leur activité dans un des Etats Parties ou lorsque les
règles du droit international privé mènent à l’application
de la loi d’un Etat Partie. Ces dispositions ne régissent
pas les ventes soumises à un régime particulier,
notamment, les ventes aux enchères, la vente sur saisie
ou de quelque autre manière par autorité de justice, les
ventes de valeurs mobilières, d’effets de commerce ou
de monnaies, les mobilisations et autres opérations sur
créances ou instruments financiers, les ventes de
navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs, les ventes
d’électricité (art. 234 et s. de l’AUDCG). 59
Art. 10 du Traité OHADA 60
CCJA, 30 avril 2001, Ohadata, J-02-04, p. 4. 61
Art. 1 et s. de l’AUCTMR. 62
Art. 4 de la loi n° 2015/018 du 21 décembre 2015. 63
Art. 13 de la loi n° 2015/018 du 21 décembre 2015. 64
Cf. art. 2 de l’AUDCG pour le commerçant ; art. 3 de
l’AUDCG pour l’acte de commerce par nature ; art. 30
de l’AUDCG pour l’entreprenant ; art. 169 de
l’AUDCG pour les intermédiaires de commerce.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
15
que l’acte de commerce par nature65
et limite
le statut de l’entreprenant à celui de
l’entrepreneur de services66
. Mais, était-ce
nécessaire ?67
Quant à l’organisation et au fonctionnement du
Fichier National du Registre de Commerce et
de Crédit, l’article 13 de la loi camerounaise
souligne que l’organisation et le
fonctionnement de ce Fichier seront fixés par
voie règlementaire, alors que l’Acte uniforme
relatif au droit commercial général organise
déjà ce Fichier national68
. C’est une situation
de dualité juridique, certes, avec son effet
abrogatoire, l’Acte uniforme OHADA primera
sur la loi camerounaise, il demeure que son
effectivité dépend du contrôle de
conventionalité de cette loi69
. C’est ainsi qu’en
cas d’absence d’un tel contrôle, la loi interne
continuera à être appliquée et à produire ses
effets.
Enfin de compte, force est de constater que la
volonté du législateur camerounais est loin de
la réalisation de l’objectif de sécurité
juridique, valeur fondamentale du droit
OHADA. La contradiction, comme l’identité
de certaines dispositions des lois n° 2003/008
et n° 2015/018 avec les Actes uniformes ne se
justifient pas. Cette situation a pour
conséquence la remise en cause d’un autre
objectif de l’OHADA, qui est l’unification du
droit des affaires de l’OHADA.
II. La remise en cause de l’objectif
d’unification juridique
L’OHADA, dans son objectif d’unification du
droit des affaires, entend mettre en place une
règlementation unique, identique en tout point
65
Il y a aussi les actes de commerce par leur forme et
les actes de commerce accessoires (art. 4 de l’AUDCG). 66
En effet, le chiffre d’affaires exigé pour avoir le statut
d’entreprenant est celui des entreprises de services (voir
l’art. 13 AUOHC). 67
P.-G. POUGOUÉ, art., préc., p. 17 ; A.-M. FONE
MDONTSA, art., préc., p. 51, § 11. 68
Art 73 et s. de l’AUDCG. 69
C’est un moyen qui consiste à vérifier si la loi est
conforme aux conventions internationales. C’est le
moyen qui permet de garantir la primauté des normes
internationales sur les normes internes infra
constitutionnelles : D. J. ZAMBO ZAMBO, art., préc.,
p. 77 et s., § 22 et s.
pour les Etats Parties au Traité, dans laquelle il
n’y a pas de différence. Le législateur
camerounais fait preuve de « désunification »
juridique avec l’adoption de ces textes, on y
perçoit, d’une part, la volonté implicite de
soustraire l’Etat du Cameroun du champ
normatif de l’OHADA (A), et d’autre part, de
son champ judiciaire (B).
A. La soustraction de l’Etat du
Cameroun du champ normatif de
l’OHADA
Le champ, synonyme de domaine
d’application d’une règle de droit, a une
double conception70
. Dans la première
conception, il renvoie aux limites territoriales
à l’intérieur desquelles la règle est applicable.
Dans la seconde, le champ est perçu comme
l’ensemble des matières ou des personnes
auxquelles s’applique la règle. Quant à la
soustraction71
, c’est une action en général
subreptice et frauduleuse d’enlever une
personne à la garde d’une autre ou de retirer
d’un ensemble tel ou tel élément.
La question de la soustraction de l’Etat du
Cameroun du champ juridique de l’OHADA
renvoie, d’une part, à son retrait de son champ
spatial (1), et d’autre part, de son champ
substantiel (2).
1. Le retrait de l’Etat du Cameroun du
champ spatial de l’OHADA
L’OHADA a pour champ spatial l’ensemble
des territoires des Etats Parties. Par territoire,
il faut entendre non seulement l’aire
géographique à travers laquelle l’Etat
détermine le champ d’exercice de ses
compétences72
, mais également les eaux
territoriales et l’espace aérien au-dessus de ce
territoire et ses eaux ainsi que les navires et
aéronefs immatriculés dans le pays73
. Dès lors,
toute personne se trouvant dans ces espaces
appartenant à un Etat Partie est soumise aux
70
G. CORNU, op., cit., p. 73; V° Application (*champ
d’). 71
Ibid., p. 973, V° Soustraction. 72
G. CORNU, op., cit., p. 73, V° Territoire. 73
Art. 7 al. 2 du Code pénal camerounais.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
16
Actes uniformes quelle que soit sa
nationalité74
. L’Etat du Cameroun étant
signataire du Traité de l’OHADA, son
territoire fait partie de l’espace OHADA. C’est
pourquoi, un auteur75
affirme que « le droit
uniforme OHADA marque ainsi le recul du
principe de la territorialité ».
Avec l’adoption de ces deux lois
camerounaises, ce principe de recul de la
territorialité est remis en cause. Si l’entrée en
vigueur de ces lois n’a aucun effet abrogatoire
sur le droit OHADA, de par sa nature de traité
international76
et son « l’effet bloquant »77
sur
les normes internes, le contrôle de la
conventionalité des lois auquel on pense
spontanément pour écarter ces lois
camerounaises n’est d’aucune efficacité, ces
textes législatifs resteront en vigueur sur
l’ensemble du territoire camerounais.
74
On fait allusion au principe de la territorialité qui est
la vocation d’un droit à s’appliquer uniformément sur
l’ensemble d’un territoire, sans acceptation de
nationalité ni de confession. Voir G. CORNU,
Vocabulaire juridique, op., cit., p. 1012, V°
Territorialité. 75
H. D. MODI KOKO BEBEY, « L’harmonisation du
droit des affaires en Afrique : Regard sous l’angle de la
théorie générale du droit », art., préc., p. 4. 76
Un texte de loi n’abroge un autre que parce qu’ils sont
tant sur le plan de la forme que sur le plan du fond de la
même valeur. Ce qui veut dire que deux textes de
différentes valeurs ne peuvent pas s’abroger. Ainsi, une
loi fut-elle postérieure à un traité international ne peut
pas l’abroger. C’est le cas entre les lois camerounaises
et les Actes uniformes de l’OHADA. Il s’agit du
principe temporel qui veut qu’une norme postérieure
abroge une norme antérieure et du principe
hiérarchique, qui veut qu’une norme inférieure, même
postérieure, ne puisse pas abroger une norme
supérieure. Sur la question du principe temporel et du
principe hiérarchique, lire P. MEYER, « La sécurité
juridique et judiciaire dans l’espace OHADA », art.,
préc., p. 156. 77
Il convient de relever que l’article 10 Traité OHADA
a un double effet sur le droit interne des Etats Parties. Il
s’agit de l’effet abrogatoire pour les lois nationales
antérieures aux Actes uniformes, et de l’effet bloquant
pour les normes internes postérieures au droit OHADA.
Sur la question lire D. J. ZAMBO ZAMBO, « Le
législateur camerounais et la hiérarchie des normes »,
art., préc., 73, § 15.
2. Le retrait de l’Etat du Cameroun du
champ substantiel de l’OHADA
Le champ substantiel d’une norme renvoie à
l’ensemble des matières ou des personnes
auxquelles s’applique cette norme78
. L’Etat du
Cameroun semble se retirer subrepticement du
champ substantiel de l’OHADA avec
l’adoption de ses lois.
Concernant les matières, les textes
camerounais traitent du droit pénal des
affaires, du statut du commerçant, du droit de
la vente, du droit de transport. Or, ces matières
se trouvent dans les Actes uniformes de
l’OHADA79
, de manière détaillée80
. Malgré
cela, le législateur camerounais semble ne pas
avoir abandonné son pouvoir de légiférer sur
ces matières81
. Il devait se limiter à compléter
les textes de droit international82
ou de droit
spécial83
. Et comme les effets de primauté et
78
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op., cit., p. 73, V°
Application (Champ d’). 79
Art. 2 du Traité OHADA : « entrent dans le domaine
du droit des affaires, l’ensemble des règles relatives : au
droit des sociétés commerciales et au statut juridique
des commerçants ; au recouvrement des créances ; aux
sûretés et aux voies d’exécution ; au régime du
redressement des entreprises et de la liquidation des
biens ; au droit de l’arbitrage ; au droit du travail ; au
droit comptable ; au droit de la vente ; au droit des
transports (…) ». Cette énumération n’est pas limitative
parce que le législateur OHADA reconnait la possibilité
d’étendre le domaine de son droit. Ce qui veut dire que
d’autres matières peuvent encore entrer dans le champ
matériel de l’OHADA. On cite souvent le droit de la
concurrence, le droit bancaire, le droit de la propriété
intellectuelle, le droit des sociétés civiles, le droit des
contrats, le droit de la preuve, le droit patrimonial de la
famille, le droit des services financiers, etc.. (v. : H. D.
MODI KOKO BEBEY, art., préc., p. 10). 80
P. MEYER, « La sécurité juridique et judiciaire dans
l’espace OHADA », art., préc., p. 155, § 12. 81
Le droit OHADA revêt le caractère d’une législation
nationale. Toutefois, par rapport au droit interne, il est
comme un droit spécial alors que le droit interne est le
droit commun. Sur la question, P.-G. POUGOUE, art.,
préc., p. 15. 82
C’est dans les situations ayant un élément
d’extranéité. Sur la question, lire P. MEYER, « La
sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA »,
art., préc., p. 154, § 11. 83
C’est dans les situations ayant fait l’objet
d’encadrement du droit commun avant le droit spécial.
À titre d’exemple, le cas de l’article 1384 al. 1er et
l’article 1386 du Code civil qui traitent des dommages
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
17
d’abrogation du droit OHADA sont limités
dans le temps, les lois camerounaises risquent
d’être les seules lois qui régiront ces affaires.
Concernant les personnes, il y a une dualité de
textes juridiques régissant les rapports entre les
professionnels. Ce sont à la fin les lois
nationales qui régiront les rapports entre les
personnes commerçantes, professionnels ou
non, étrangères ou nationales. Ce qui risque de
conduire à la non saisine des juridictions de
l’OHADA.
B. Le retrait de l’Etat du Cameroun du
champ judiciaire de l’OHADA
Il faut relever que les Etats signataires du
Traité OHADA n’ont pas seulement
abandonné leur souveraineté normative, mais
aussi judiciaire84
, la CCJA faisant office de
Cour de cassation85
pour les dix-sept Etats
Parties au Traité OHADA86
, voire l’unique
Cour suprême de l’espace OHADA87
. Cela
veut dire que les parties ne doivent plus
exercer de voies de recours extraordinaire88
en
interne. Mais, avec l’adoption de ces textes
causés par les bâtiments ; le cas de l’article 1832 du
Code civil et l’article 4 de l’Acte uniforme portant droit
des sociétés commerciales et GIE ; etc. Sur la question
entre droit commun et droit spécial, lire F. GRUA et N.
CAYROL, Méthode des études de droit. Conseils pour
le cas pratique, le commentaire et la dissertation,
Dalloz, 2e éd., 2011, p. 23 et s.
84 R. NEMEDEU, art., préc., p. 8.
85 P. MEYER, « La sécurité juridique et judiciaire dans
l’espace OHADA », art., préc., p. 157, § 16 ; F. ONANA
ETOUNDI, « Les expériences d’harmonisation des lois
en Afrique », ERSUMA, n° 1, juin 2012, p. 20. 86
F. ONANA ETOUNDI, « Les expériences
d’harmonisation des lois en Afrique », ERSUMA, n° 1,
juin 2012, p. 20. 87
J. KAMGA, art., préc., p. 13, § 16. 88
Les voies de recours sont de véritables garanties
contre la possibilité d'une erreur judiciaire, les voies de
recours sont des procédures qui ont pour but d'attaquer
le jugement rendu, afin de leur permettre de faire
réformer des décisions de justice, qui porteraient atteinte
à leurs droits. Il faut distinguer: les voies de recours
ordinaires, qui donnent lieu à un nouvel examen de
l'affaire : ce sont l'opposition et l'appel et les voies de
recours extraordinaires, qui ne sont admises que dans
les cas limitativement énumérés par la loi et qui ont
pour but de faire juger la régularité de la décision
attaquée, ce sont le pourvoi en cassation et le pourvoi en
révision.
camerounais, les justiciables semblent
retrouver le recours extraordinaire en interne.
Ces textes semblent remettre en scène la Cour
suprême du Cameroun en matière de droit des
affaires (1) et sa jurisprudence en conséquence
(2).
1. Le retour de la Cour suprême
nationale dans les recours relatifs au
droit des affaires
Malgré l’existence de la Cour commune de
justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA), la
Cour suprême du Cameroun, comme toutes les
autres Hautes juridictions des Etats Parties au
Traité OHADA, a continué à exercer ses
fonctions de vérificateur, si la règle de droit a
été correctement appliquée ou bien
interprétée89
, de correcteur des lacunes ou
obscurités que renferme tout texte et
d’adaptateur du droit à l’évolution de la
société ou des mœurs90
. Elle continue à assurer
l’unité d’interprétation de la loi sur tout le
territoire camerounais.
Seulement, les décisions rendues en dernier
ressort par les cours et tribunaux en matière de
droit commercial, de sociétés commerciales de
groupements d’intérêt économique, de
coopératives, de sûretés, de voies d’exécution,
de procédures collectives d’apurement du
passif, de comptabilité des entreprises et de
transport de marchandises par route ne
devraient plus relever de sa compétence.
Celles-ci relèvent de la CCJA, sauf
dérogation91
. L’Etat du Cameroun, Haute
partie contractante au Traité de l’OHADA,
n’échappe pas à la règle, la CCJA exerce son
pouvoir de cassation sur les décisions rendues
par les tribunaux et cours du Cameroun.
Cependant, l’adoption des textes de 2003 et de
89
I. NDAM, « La nature juridique de la Cour Commune
de Justice et d’Arbitrage », art., préc., p. 186. 90
D.-A. DJOFANG, « Le nouveau visage de la Cour
suprême du Cameroun : vers une plus grande
efficacité ? (À propos de la loi n° 2006/016 du 29
décembre 2006 fixant l’organisation et fonctionnement
de la Cour suprême) », ERSUMA, n° 1, juin 2012, p.
372. 91
C’est le cas des décisions relatives aux sanctions
pénales, v. art. 14 al. 3 du Traité OHADA ; P. MEYER,
art., préc., p. 159, § 18 ; H. D. MODI KOKO BEBEY,
art., préc., p. 17 ; R. NEMEDEU, art., préc., p. 8.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
18
2015 est susceptible de remettre en cause
l’unicité de juridiction suprême dans l’espace
OHADA. Certaines matières étant également
régies par ces lois92
, les justiciables du
Cameroun peuvent être amenés à former des
recours en cassation aussi bien devant la
CCJA93
que devant la Cour suprême nationale,
qui pourrait redevenir le juge du droit94
pour
connaître des litiges d’affaires nés au
Cameroun. S’il est vrai que la dualité
juridictionnelle est une réalité en droit95
, elle
n’existe qu’au niveau des juridictions du fond
et non du droit.
De plus, compte tenu de son éloignement des
justiciables camerounais96
et de la résistance
des juridictions nationales97
, il est possible que
la CCJA perde de plus en plus sa compétence
dans ces matières, au profit de la Cour
suprême nationale, dont la jurisprudence est
davantage suivie par les juridictions
inférieures.
2. La prise en compte de la
jurisprudence de la Cour suprême
nationale en matière de résolution
des litiges d’affaires
La jurisprudence98
de la Cour suprême,
92
Il s’agit des matières telles que l’incrimination pénale,
le statut du commerçant, la vente et le transport des
marchandises par route. 93
R. MASSAMBA, art., préc., p. 5. 94
R. NEMEDEU, art., préc., p. 8. 95
On cite en exemple la dualité juridictionnelle en
matière de divorce en droit de la famille camerounais, v.
F. ANOUKAHA, note sous, CS, Arrêt n° 28 du 10
décembre 1981, Aff. ANGOA Parfait c/ BEYIDI Pauline,
Les grand arrêts de la jurisprudence civile
camerounaise, LERDA, 2008, p. 87. 96
Le siège de la CCJA est à Abidjan, en Côte-D’ivoire.
Certes, il est dit qu’elle peut se réunir dans un autre Etat
partie, mais elle ne le fait pas toujours (art. 19 du Traité
OHADA) ; I. NDAM, art., préc., p. 177 et s. ; R.
NEMEDEU, art., préc., p. 7 ; R. MASSAMBA, art.,
préc., p. 5 et s. ; J. KAMGA, art., préc., p. 13. 97
Il convient de relever que lorsqu’un pourvoi porte sur
une matière mixte relevant partiellement du droit
national et partiellement du droit OHADA, les
juridictions nationales se sont toujours déclarées
compétentes : v. R. MASSAMBA, art., préc., p. 6 et s. ;
P. MEYER, art., préc., p. 159 et s., § 19 et s. 98
La jurisprudence est un ensemble de décisions de
« haute juridiction de l’Etat »99
a toujours
servi de guide pour les décisions des juges du
fond. C’est le cas des recours en matières
civile, pénale, sociale et de droit
traditionnel100
. En cas de mauvaise application
de la loi, les décisions des juges du fond sont
cassées par la Cour suprême101
. Cela est
valable pour les matières qui ne relèvent pas
du droit OHADA. Ce qui veut dire que pour
les litiges relatifs à l’application des Actes
uniformes, les juges du fond suivent plutôt la
jurisprudence de la CCJA. Cela permet
d’assurer l’unité d’interprétation des règles du
droit OHADA, d’éviter des interprétations
différentes qui entraineraient une insécurité
judiciaire102
.
Cependant, avec l’adoption des deux textes
camerounais, les juges du fond risquent de ne
plus s’en tenir qu’à la jurisprudence de la
CCJA, en matière de litiges relatifs à
l’application du droit des affaires. C’est une
source d’insécurité pour les justiciables
camerounais qui pourraient se voir appliquer la
jurisprudence de la Cour suprême au lieu de
celle de la CCJA. La compétence de cette
Haute juridiction pourrait limitée à des
pourvois fondés exclusivement sur les
dispositions des Actes uniformes 103
. Si les
justice rendues pendant une certaine période soit dans
une matière, soit dans une branche du droit soit dans
l’ensemble du droit : v. F. TERRÉ, Introduction
générale au droit, Dalloz, 8e éd., 2006, p. 277, § 352.
99 Art. 38 al. de la loi constitutionnelle du 18 janvier
1996. 100
À travers la chambre judiciaire, la Cour suprême
connait des décisions rendues en dernier ressort par les
Cours et Tribunaux en matières civile, commerciale,
pénale, sociale et de droit traditionnel (art. 37 de la loi
n° 2006/016 du 29 décembre 2006). La Cour suprême
est constituée de trois chambres : la chambre judiciaire,
la chambre administrative et la chambre des comptes
(art. 7 et 12 loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006) : D.-
A. DJOFANG, « Le nouveau visage de la Cour suprême
du Cameroun : vers une plus grande efficacité ? (A
propos de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006
fixant l’organisation et fonctionnement de la Cour
suprême) », ERSUMA, n° 1, juin 2012, p. 372. 101
Art. 35 de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006
dispose que « (…) les cas d’ouverture à pourvoi sont :
(…) i) le non respect de la jurisprudence de la Cour
suprême ayant statué en Sections Réunies d’une
Chambre ou en Chambres réunies ». 102
I. NDAM, art., préc., p. 180. 103
CS Niger, 16 août 2001, RBD, 2002, p. 121 et s., obs.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
19
recours sont relatifs aux lois nationales, les
juges du fond appliqueront la jurisprudence
issue de la Cour suprême nationale, et non
celle de la CCJA. L’objectif d’un champ
judiciaire unique se trouve ainsi remis en
cause. En acceptant la création d’un espace
juridique intégré, les Etats ont mis leur
souveraineté de côté dans les matières régies
par l’OHADA104
. Toute violation des Actes
uniformes ou des obligations du Traité devrait
être sanctionnée105
.
CONCLUSION.
Le constat est véritablement que les objectifs
de l’OHADA, à savoir la sécurité juridique et
l’unification du droit des affaires, ont été remis
en cause par le législateur camerounais, par les
lois adoptées en 2003 et 2015, qui reprennent
les matières règlementées par l’OHADA au
point de faire double emploi, comme s’il
s’agissait de se détacher du champ normatif et
judiciaire de l’OHADA.
Le droit OHADA, se voulant un droit unique
et d’application immédiate pour la sécurisation
des relations économiques dans l’espace qu’il
D. ABARCHI, cité par P. MEYER, art., préc., 161, § 20. 104
On paraphrase là C. CHAVALLIER-GROVERS, De
la coopération à l’intégration policière dans l’Union
européenne, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 360, qui
souligne que « dans le cadre de la construction
communautaire, les Etats mettent leur souveraineté en
commun et les mélangent avec des compétences qui sont
celles de l’union ». 105
D’après le Professeur MODI KOKO BEBEY,
l’instauration d’une sanction à l’encontre des Etats
Parties qui ne respecteront pas les dispositions du droit
OHADA voire ses objectifs, est inutile dans la mesure
où la Cour suprême de l’OHADA casse toute décision
interne ayant écarté le droit OHADA pour le droit
national. Ce que nous ne partageons pas entièrement.
C’est vrai que le juge commun a un tel pouvoir, mais ce
pouvoir est un pouvoir lié. En plus sa décision a des
effets limités. C’est pourquoi, la solution de
l’instauration des sanctions comme en droit
communautaire européen est préférable. Certes, le droit
OHADA sur le plan formel n’est pas un droit
communautaire, mais au fond, on n’en est pas loin. On
pense qu’une telle mesure amènerait tous les Etats
Parties à prendre des mesures nécessaires pour se
mettre en conformité avec les objectifs de l’OHADA :
H. D. MODI KOKO BEBEY, « L’harmonisation du
droit des affaires en Afrique : Regard sous l’angle de la
théorie générale du droit », art., préc., p. 14 et s. ; J. L.
BERGEL, Théorie générale du droit, 4e éd., Dalloz,
Paris, 2003, p. 95, § 70-1.
réglemente, il est recommandé que le
législateur de l’OHADA mette en place des
règles plus contraignantes en vue de
décourager et de sanctionner toute violation du
Traité, des Actes uniformes et des Règlements.
Revue Congolaise de droit et des affaires, n°40
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La contribution des techniques juridiques dans la consolidation de l’intégration
économique dans les zones de la Communauté économique et monétaire de
l’Afrique centrale (CEMAC) et de l’Union économique et monétaire ouest-
africaine (UEMOA)
Par Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, Chargé de cours, Habilité à diriger des recherches (HDR) en droit public, Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Dschang, Cameroun.
Résumé. L’intégration économique, en tant que processus de développement, vise à fusionner les économies de deux ou plusieurs Etats pour lutter contre la pauvreté et stimuler dans la zone concernée la croissance économique. Pour que cet objectif de croissance soit atteint, le processus d’intégration économique doit reposer sur des bases juridiques solides issues de l’uniformisation ou de l’harmonisation normative. Ces deux techniques juridiques constituent le point d’ancrage et la clé de succès de tout processus d’intégration économique. C’est conscients de cette situation que les pères fondateurs de la CEMAC106 et de l’UEMOA107, dans le souci d’instaurer dans leur communauté ou union un développement équilibré et durable, ont fait de l’uniformisation et de l’harmonisation, deux techniques juridiques de consolidation de l’intégration économique.
106
CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale, créée par le Traité de N’Djamena, Tchad, du 16 mars 1994. Ce Traité fondateur ainsi que d’autres textes originaires (Conventions UEAC, UMAC, CJC et convention régissant le Parlement communautaire) sont entrés en vigueur le 25 juin 1999. Tous ces textes ont été révisés le 30 janvier 2009. Les pays qui composent la CEMAC sont : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la République Centrafricaine et le Tchad. 107
UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine, créée par le Traité de Dakar, Sénégal, du 10 janvier 1994, entré en vigueur le 1
er août 1994 et révisé
le 29 janvier 2003. Les pays qui composent l’UEMOA sont : le Benin, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Introduction. L’importance accordée aux techniques juridiques en matière d’intégration économique est devenue l’un des traits caractéristiques du système juridique communautaire. Cette notion de « technique juridique » est polysémique : dans le sens instrumental, la technique juridique renvoie à l’ensemble des moyens juridiques qui permet de réaliser certaines finalités108. Sous cet angle, la technique devient, selon IHERING, une réalisation formelle du droit109. R. DOMOGUO place la technique au service de la règle de droit plutôt que de son application aux faits. Pour lui, la technique juridique est « l’étude qui a pour objet de reconnaitre les voies par lesquelles une règle idéale de conduite obtient les caractères de la positivité et se transforme en une règle juridique obligatoire »
110. F. GENY, quant à lui, définit la technique juridique à travers son but. Pour lui, le but primordial et spécifique de la technique juridique est « l’adaptation des moyens à la fin, en vue d’assurer la pénétration efficace du droit dans la vie sociale »
111. Dans le sens constructif, la technique juridique est le produit d’une
108
Lire R.E. De MUNAGORRI, « Qu’est-ce que la technique juridique ? Observations sur l’apport des juristes au lien social », Recueil Dalloz, 2004, pp. 711 – 715. 109
IHERING, cité par R. E. De MUNAGORRI, « Qu’est-ce que la technique juridique ? … », op cit, p. 711. 110
R. DOMOGUO, Les notions fondamentales du droit civil. Essai critique, Paris, Mémoire du droit, 2001, p. 204. 111
F. GENY, Science et techniques en droit privé positif, Paris, Sirey, 1923, p. 12.
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réalité sociale. Ici, la technique ne se réduit plus à l’adéquation des moyens à une fin, elle est constructive dans le cas où elle produit et fabrique une réalité nouvelle. L’objet de la technique juridique perçu dans l’approche constructive consiste à faire en sorte que le « construit » (la technique) devienne du « donné » ou plus exactement du « fabriqué » (la réalité sociale produite par la technique)112. Au regard de ces deux conceptions, l’approche instrumentale parait plus pertinente et va de ce fait guider cette étude. Sur cette base, la technique juridique est l’ensemble des moyens juridiques mis en place pour atteindre un objectif déterminé. Dans le cadre de notre analyse, si le droit, à travers ses techniques, est le moyen, alors la finalité est l’intégration économique. C’est dans la perspective de cette finalité que les Etats membres considèrent leurs politiques macro-économiques comme une question d’intérêt commun et les convergent dans un contexte de grandes orientations définies par les organes des communautés d’intégration économique113. Par intégration économique, il faut entendre un processus par lequel deux ou plusieurs Etats décident par des accords appropriés de constituer un espace homogène en mettant en place des structures et mécanismes supranationaux destinés à éliminer les obstacles aux échanges et les disparités entre leurs économies. L’objectif principal d’une organisation d’intégration économique est d’établir les conditions d’un développement économique et social harmonieux des Etats membres dans le cadre d’un marché ouvert et d’un environnement juridique approprié. C’est à cet exercice que se sont livrées la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) et l’Union 112
Lire R.E. De MUNAGORRI, « Qu’est-ce que la technique juridique ? … », op cit, pp. 712 – 713. 113
Cf. titres 2 et 3 de la convention révisée de l’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC) du 30 janvier 2009 ; voir aussi titre IV, chapitre II (articles 62 et suivants) de la convention révisée de l’UEMOA du 29 janvier 2003.
Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)114. Ce résultat ne pourrait être atteint que grâce à un cadre juridique approprié. Ainsi, à l’analyse du corps de règles régissant la CEMAC et l’UEMOA, on se rend compte que la cohérence économique et monétaire s’opère à travers la convergence des politiques macro-économiques115 et l’unification des marchés intérieurs qui aboutit à la mise en place du marché commun. Ce marché commun, que le Professeur VALLEE définit comme « un espace économique dans lequel les producteurs des Etats membres peuvent atteindre les acheteurs et consommateurs desdits Etats (et inversement) dans les conditions de l’échange existant au sein d’un marché national »116, a besoin pour son émergence d’un minimum d’homogénéité normative. L’objet d’un marché commun doit être ainsi de créer une vaste zone de politique économique commune constituant une importante unité de production et permettant une expansion continue, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et le développement de relations harmonieuses entre les Etats qu’il réunit117. Cette entreprise
114
Dans cette perspective, il convient de rappeler que l’institution de la CEMAC et de l’UEMOA procède, pour l’essentiel, de la prise de conscience de la nécessité de développer ensemble toutes les ressources humaines et naturelles de leurs Etats membres et de mettre celles-ci au service du bien-être général de leurs peuples dans tous les domaines. Ce souci apparait clairement aussi bien dans le préambule du traité révisé de la CEMAC que dans celui de l’UEMOA. 115
La convergence des politiques macro-économiques repose, en zones CEMAC et UEMOA, sur la convergence des politiques budgétaires et fiscales, la coordination des politiques économiques, monétaires, financières et des politiques sectorielles : cf. articles 11 et suivants de la convention révisée de l’UEAC, 62 et suivants du traité révisé de l’UEMOA. 116
Cf. C. VALLEE, Le droit des Communautés européennes, Paris, PUF, Que sais-je ? 1983, p. 16.
117 J. F. DENIAU, Le marché commun, Paris, PUF, Que
sais-je ? 1969, pp. 11 et ss ; G.S. TEPKA, « La mise en
œuvre du marché commun de la CEMAC », in Communauté Economique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale, Sensibilisation au droit
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nécessite, dans sa consolidation, l’élimination des droits de douane intérieurs ou toutes autres mesures d’effets équivalents susceptibles d’affecter le marché commun118. Elle requiert aussi l’institution de règles communes de concurrence applicables aux entreprises et aides d’Etats119, d’une part, et la consécration des principes de liberté de circulation au sein de la Communauté d’intégration120, d’autre part. Pour atteindre cet objectif communautaire, la CEMAC et l’UEMOA se sont dotées d’un corpus normatif sous-régional homogène destiné, d’un côté, à assurer la sécurité des investissements, de l’autre, à promouvoir la croissance économique dans ces sous-régions à travers une intégration réelle des économies et de la monnaie. Mieux que leurs devancières121, les organisations d’intégration actuelles se sont davantage données les moyens de leur réussite. Ces moyens sont pour l’essentiel juridiques. Ainsi, afin de relever le défi qui les interpelle aujourd’hui, les législateurs communautaires de la CEMAC et de l’UEMOA ont mis sur pied des techniques juridiques de l’intégration économique répondant aux exigences de la modernité. Ces techniques juridiques
communautaire et à l’intégration sous-régionale dans la zone CEMAC, Actes du séminaire sous-régional, Libreville-Gabon, 02-06 novembre 2004, Paris, GIRAF, mars 2005, pp. 29-35. 118
Cf. J. MOUANGUE KOBILA, L. DONFACK SOKENG, « La CEMAC : à la recherche d’une nouvelle dynamique de l’intégration en Afrique centrale », Annuaire Africain de Droit International, 1998, Vol. 6, p. 92. 119
Cf. R. NJEUFACK TEMGWA, La protection de la concurrence dans la CEMAC, Thèse de Doctorat/Ph. D en Droit, FSJP, Université de Dschang, 2005, pp. 35 et ss ; R. LOUMINGOU- SAMBOU, Le droit de la concurrence applicable aux entreprises publiques, Mémoire de DEA, FSJP, Université de Dschang, 1999, pp. 18 et ss. 120
Cf. E. GNIMPIEBA TONNANG : « La libre circulation des personnes et des services en Afrique centrale : entre consécrations textuelles, vides jurisprudentiels et hésitations politiques », Recueil Penant, octobre - décembre 2006, n° 857, pp. 3 - 31. 121
Il s’agit de l’UDEAC concernant la CEMAC et de l’UMOA concernant l’UEMOA.
permettent d’éviter un climat d’insécurité (juridique) et d’instaurer des conditions de paix ainsi que de confiance susceptibles de rapprocher les peuples, d’attirer les investisseurs et d’impulser le développement équilibré de la sous-région. Elles sont désormais considérées comme un levier indispensable de l’intégration économique. En effet, comme le rappelle un auteur, « quel qu’en soit le mode d’intégration mis en place, l’aménagement d’un cadre juridique favorable est une condition essentielle pour le succès de l’entreprise d’intégration économique »
122. Avec la naissance de la CEMAC et de l’UEMOA, l’une des grandes innovations est de faire des techniques juridiques des instruments susceptibles de porter l’intégration économique vers le succès123. Ces techniques visent à combattre au sein des Etats membres toute disparité et à favoriser toute cohésion normative susceptible d’impulser le processus d’intégration économique124. Ce processus est ainsi
122
S. BELAID, « Le rôle du droit dans l’intégration régionale », Revue tunisienne de droit, 1989, p.18. 123
Le traité de la CEMAC à ce sujet est révélateur car il insiste sur la mise en place de nouvelles stratégies de coopération et de développement dans la région par une impulsion nouvelle et décisive du processus d’intégration, grâce notamment à leur patrimoine juridique et socioculturel commun : cf. préambule du traité instituant la CEMAC. Toutefois, il importe de relever que l’idée d’une intégration au moyen du droit n’est pas une entreprise nouvelle dans l’expérience du régionalisme économique dans les pays africains francophones. On peut simplement noter qu’à l’instar de l’ensemble du mouvement intégrationniste, l’idée n’y a jamais reçu l’application qu’elle méritait, tant il était impossible, selon le Professeur J. ISSA-SAYEGH, de ‘‘réaliser un ensemble juridique unique et cohérent dans lequel les législations nationales s’insèrent où se fondent pour atteindre les objectifs économiques et sociaux que les Etats membres se sont assignés’’. In « L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc », Penant, 1997, n° 823, p. 12. 124
P-G. POUGOUE, « OHADA et intégration économique », in Dynamiques de développement, débats théoriques et enjeux politiques à l’aube du 21ème
siècle, Mélanges en l’honneur de Georges Walter NGANGO, Paris, Montchrestien, Collection Grands colloques, 2005, pp. 576 et ss.
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indissociable de la dynamique juridique. Le législateur communautaire, à travers les techniques juridiques, fixe dans ce processus les règles de conduite dont la violation entraine des sanctions. Il assure autant que possible de ce fait une certaine efficacité au processus d’intégration. Toute unification économique implique, si l’on veut garantir la fluidité du marché et l’application uniforme des politiques communes, une certaine homogénéité des normes juridiques. Le législateur communautaire de la CEMAC et de l’UEMOA a su mettre plus ou moins ces techniques juridiques au service de l’intégration économique car, comme le rappelait le Professeur Paul-Gérard POUGOUE, « l’intégration économique sans règles juridiques intégrées flotte en superficie »
125. Les techniques de l’intégration économique prennent dans ce cas généralement la forme d’un régionalisme normatif dont le but est d’arrêter ce que le Professeur Josette NGUEBOU TOUKAM appelait « la balkanisation juridique »
126. Il s’agit pour le législateur communautaire de la CEMAC et de l’UEMOA, à travers ces techniques juridiques que sont l’uniformisation et l’harmonisation, de consolider l’intégration économique en mettant fin aux obstacles nés de la diversité des droits nationaux. Ainsi, en créant les organisations d’intégration économique, à l’instar de la CEMAC et de l’UEMOA, les Etats membres ont entendu mettre sur pied une pensée juridique moderne. Cette pensée repose sur les techniques juridiques d’intégration économique. Certains auteurs127 ont exposé et analysé dans
125
P-G. POUGOUE, « OHADA et intégration économique », op cit, p. 576. 126
J. NGUEBOU TOUKAM, « Droit des sociétés au Cameroun », in Cameroon law et droit des sociétés commerciales d’Afrique et d’Haïti, Université de Moncton, Eté, 1997, p. 112. 127
Cf. P. LELEUX, « Le rapprochement des législations dans la Communauté économique européenne », Cahiers de droit européen, 1968, n° 2, p. 129 ; M. MBAYE, « Unification du droit en Afrique », Revue
leurs publications scientifiques l’intégration juridique surtout dans le cadre de l’OHADA, de l’UEMOA et de l’Union européenne. En la matière, l’examen de la contribution des techniques juridiques dans la consolidation de l’intégration économique en zones CEMAC et l’UEMOA est restée, pour l’essentiel, en friche. La présente étude met en exergue, au sein de ces deux institutions, la contribution de ces techniques juridiques dans la marche du processus d’intégration économique, dans un intérêt à la fois scientifique128 et pratique129. On s’interroge pour savoir quel est l’impact des techniques juridiques dans la consolidation de l’intégration économique en zones CEMAC et UEMOA. Il y a lieu de constater qu’en dépit des difficultés qui persistent, cet impact est réel en zones
sénégalaise de droit, 1971, p. 65 ; J. ISSA-SAYEGH, « L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc », op cit, p. 7 ; A. JEAMMEAUD, « Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s’agit-il ? », in Vers un Code européen de la consommation, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp.35 et ss ; P-G. POUGOUE, « OHADA, instrument d’intégration juridique », Revue Africaine des Sciences Juridiques, 2001, Vol 2, n° 2, pp.12 et ss ; E. CEREXHE, « L’intégration juridique comme facteur d’intégration régionale », Revue burkinabé de droit, 2001, numéro spécial 39-40, pp. 27 et s. ; P-G. POUGOUE, « OHADA et intégration économique », op cit, pp. 576 et s. ; S. DIOUF, L’intégration juridique en Afrique : L’exemple de l’UEMOA et de l’OHADA, Mémoire de troisième cycle, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, FSJP, Année académique 2005- 2006, pp. 5 et s. ; J. ISSA SAYEGH, L’intégration juridique des pays africains par l’OHADA, Conférence OHADAC, Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), 15 mai 2007; A. YAYA SARR, « L’intégration juridique dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et dans l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) », Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2008, pp. 21-35. 128
Sur le plan scientifique, les auteurs s’intéressent très peu à la contribution des techniques juridiques dans la consolidation du processus d’intégration économique en zones CEMAC et UEMOA. 129
Sur le plan pratique, il s’agit de voir comment une organisation d’intégration économique peut se servir de la règle de droit, qu’elle soit uniformisée ou harmonisée, pour atteindre les objectifs communautaires.
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CEMAC et UEMOA et varie en fonction de la technique juridique utilisée. Dans une approche juridique, nous étudierons la dogmatique130 et la casuistique131. Ces deux méthodes seront complétées par le droit comparé132. A la combinaison de ces méthodes, il faudra associer les techniques de recherche133 qui reposent sur deux axes à savoir la technique documentaire134 et celle par enquête135. S’il est constant que les
130
La dogmatique nous permet d’analyser, d’interpréter et de commenter les textes juridiques relatifs à la question traitée. 131
La casuistique, quant à elle, s’analyse en l’étude et commentaire des décisions de justice encore appelées jurisprudence dont l’appréciation critique donne une idée de l’application et du respect du droit en vigueur. 132
Le professeur Roland DRAGO attirait déjà l’attention du chercheur en droit sur l’importance du droit comparé : « tout juriste est un comparatiste car, il gagne une faculté d’approfondissement des notions fondamentales et une certaine modestie à l’égard de son droit national » (cf. R. DRAGO, « Droit comparé », in D. ALLAND, S. RIALS (S/DIR), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 456). Dans le cadre de cette étude, nous allons, à la faveur du droit comparé, relever les points de convergence et de divergence entre la CEMAC et l’UEMOA en matière de consolidation de l’intégration économique par le biais des techniques juridiques. 133
Selon Madeleine GRATWIZ, « toute recherche ou application de caractère scientifique en sciences sociales, comme dans les sciences en général, doit comporter l’utilisation des procédés opératoires rigoureux, bien définis, transmissibles, susceptibles d’être appliqués à nouveau dans les mêmes conditions, adaptés au genre de problème en cause. Ce sont là des techniques. Le choix de ces techniques dépend de l’objet poursuivi, lequel est lié lui-même à la méthode de travail » (M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, p. 333). Pour le professeur Roland DRAGO, « la technique de recherche consiste en une collecte de faits et informations, un outil mis à la disposition de la recherche, des moyens matériels prédestinés à la collecte et au traitement des données » (R. DRAGO, « Droit comparé », op cit, p. 456. 134
La technique documentaire « consiste en une fouille systématique de tout ce qui est écrit ayant une liaison avec le domaine de recherche » (M. GRAWITZ, op cit, p. 571). 135
S’agissant de la technique par enquête, elle permet de recueillir auprès des citoyens et des autorités habilitées à mettre le droit en application les éléments y relatifs. Cette technique se sert des interviews ou
techniques juridiques contribuent à la consolidation de l’intégration économique en zones CEMAC et UEMOA, il importe d’examiner le procédé opératoire qui repose sur l’uniformisation (I) et l’harmonisation (II) juridiques.
I. Une consolidation de l’intégration économique à travers l’uniformisation juridique
L’uniformisation est un processus qui aboutit, dans une matière juridique donnée, à une réglementation unique, identique en tous points pour les Etats concernés. Il n’y a pas de place en principe pour les différences136. Elle consiste à intégrer dans les droits nationaux des règles identiques, préalablement définies par des traités, conventions137 ou protocoles additionnels. L’uniformisation comporte une identité de normes qui deviennent communes aux divers systèmes juridiques envisagés. Elle constitue à la fois le socle de l’intégration économique et le facteur de son affermissement. Ainsi, la consolidation de l’intégration économique en zones CEMAC et UEMOA passe par un affermissement de l’édiction des règles théoriques d’uniformisation (A) et une solidification de la mise en œuvre desdites règles (B).
questionnaires et permet de voir les difficultés d’application de la règle de droit. C’est d’ailleurs au regard de ces difficultés qu’on peut envisager, avec justesse, de nouvelles perspectives sur le sujet examiné. 136
Cf. M. MBAYE, « Unification du droit en Afrique », Revue sénégalaise de droit, 1971, p. 65 ; P- G. POUGOUE, Présentation générale et procédure en OHADA, Yaoundé, PUA, Coll. Droit Uniforme, juin 1998, pp. 11 et s. ; M. DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, Paris, Seuil, 1998, pp.75 et s. ; A. JEAMMEAUD, « Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s’agit-il ? », op cit, pp.35 et s.; M. DELMAS-MARTY, La mondialisation du droit : chances et risques, Paris, chron, 1999, p. 43; P-G. POUGOUE, « OHADA, instrument d’intégration juridique », op cit, pp.12 et s. 137
Cf. M. DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, op cit, pp.117-118.
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A. Un affermissement assis sur l’édiction de règles théoriques d’uniformisation
L’intégration économique repose avant tout sur un socle principal à savoir l’uniformisation juridique issue du droit communautaire originaire. Le renforcement de l’intégration économique se fait par ces règles originaires d’uniformisation (1). Cette base juridique est généralement raffermie par un socle secondaire issu des éléments du droit dérivé. Ainsi, l’amélioration de l’intégration économique passe aussi par les règles dérivées d’uniformisation (2).
1) Le renforcement de l’intégration économique par les règles originaires d’uniformisation
L’uniformisation juridique originaire est celle qui découle du droit communautaire originaire, constitutif, primaire ou de base. Le droit communautaire originaire, par opposition au droit communautaire dérivé, trouve sa source dans des actes internationaux qui, pour certains, par leur autorité juridique pour tous, sont à l’origine de ce droit dont ils forment la structure et le contenu138. Il apparaît à ce titre, relève le Professeur Jean-Victor LOUIS139, renchéri par Monsieur Sean VAN RAEPENBUSCH140, comme la « constitution communautaire ». Le juge communautaire européen fait de cette expression, la « charte constitutionnelle de base » se situant au sommet de la hiérarchie de l’ordre juridique communautaire141.
138
Cf. L. BOULOUIS, Droit institutionnel des Communautés européennes, Paris, Montchrestien, 1984, p.127. 139
S. VAN RAEPENBUSCH, Droit institutionnel de l’Union et des Communautés européennes, De Boeck Université, Paris/ Bruxelles, 2
e édition, 1998, p. 277.
141 P. PESCATORE, « Les traités communautaires comme
droit constitutionnel », Mélanges Hans KUTSCHER, 1981, p. 27; cf. aussi affaire 294/83, les verts. C/PE, Rec. 1986, p. 1339.
L’uniformisation postule que, pour une matière précise, soit minutieusement élaboré un cadre normatif (unité de second degré) contenu dans un instrument unique auquel les parties prenantes adhèrent sans pouvoir y déroger, ni sur le fond, ni sur la forme. Concrètement, l’uniformisation suppose, par exemple, que les Etats impliqués dans une intégration se dotent d’un corps de normes uniformes et détaillées contenu dans un instrument unique. Le droit communautaire originaire comporte trois catégories de conventions internationales : les traités constitutifs142, les traités et accords portant révision ou adaptation des précédents143 et les différents protocoles, conventions, documents et tableaux annexés à ces divers traités et dont la Cour de justice des Communautés européennes a jugé qu’ils avaient « même force impérative » que ceux-ci et devaient être considérés simultanément144. Le point commun à ces trois catégories de conventions internationales est qu’elles ont des bases juridiques consensuelles et des modalités de participation volontaristes. Ces normes originaires au sein de la CEMAC et de l’UEMOA se produisent au principal par consensus145 et de manière exceptionnelle à
142
C’est le cas, par exemple, du traité de N’Djamena du 16 mars 1994 instituant la CEMAC, du traité de Dakar du 10 janvier 1994 instituant l’UEMOA, du traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la CEE, du traité de Maastricht du 07 février 1992 sur l’Union européenne. 143
C’est le cas du traité de Bruxelles du 08 avril 1965 instituant un Conseil unique et une commission unique des Communautés européennes, du traité de N’Djamena du 30 janvier 2009 portant révision du traité-cadre de la CEMAC, du traité de Dakar du 29 janvier 2003 portant révision du traité-cadre de l’UEMOA. 144
CJCE, 23 avril 1956, affaires jointes 7 et 9/54, Groupement des industries Siderie, Luxembourg, Rec. 1961, p. 53. 145
Ce consensualisme repose sur la volonté et la prise en compte des intérêts de ses membres. En effet, l’intégration économique requiert solidarité et communion des parties prenantes. De ce fait, elle ne peut se construire contre la volonté et les intérêts de l’une ou de l’autre partie. La norme communautaire de
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l’unanimité146 de tous les Etats membres. A ce stade, les normes produites sont uniformes et s’imposent de manière identique à tous les Etats membres. Le droit communautaire originaire, de par son caractère uniforme, est ainsi porteur des germes du développement de l’intégration économique. En effet, c’est dans les règles originaires d’uniformisation qu’on dégage la politique communautaire ainsi que les objectifs d’intégration économique. C’est donc elles qui portent la fondation du processus d’intégration économique et déterminent son avenir. Si elles sont bâties sur des bases fragiles, alors le processus d’intégration sera conséquemment faible. En effet, conscients du fait que la disparité des législations est un obstacle pour la réalisation d’un espace économique147, les pères fondateurs de la CEMAC et de l’UEMOA ont pris des précautions pour que les traités fondateurs ainsi que d’autres textes constitutifs d’intégration contiennent des instruments permettant l’établissement d’un cadre juridique pour l’intégration économique. Ces textes primaires ou originaires posent les bases de l’uniformisation juridique qui reste le socle principal du processus d’intégration économique. Cette tâche est facilitée par les fleurons actuels de cette uniformisation que
base, norme issue de l’uniformisation, doit prendre en compte ces éléments au moment de son élaboration. Le législateur communautaire a posé les bases de ce mode de production normative par consensus à l’article 16 du traité révisé de la CEMAC. Au sein de l’UEMOA, cela relève de la pratique au moment de la prise des décisions. 146
La production normative à l’unanimité des normes uniformes originaires touche la révision ou l’amendement du traité ou de la convention. Ainsi, aucune révision ne peut s’opérer sans l’approbation unanime de tous les Etats membres. La base juridique de la production normative par l’unanimité se trouve dans les articles 53, 55 et 57 du traité révisé de la CEMAC, 113 du traité révisé de l’UEMOA. 147
Cf. M. KAMTO, « Mondialisation et droit », Revue hellénique de droit international, 2002, n° 2, pp. 461 et s.
sont la CIMA148, l’OAPI149, l’OHADA150. Le droit communautaire de base sécrète ainsi un droit uniformisé qui contribue à mettre en place un ordre juridique communautaire151. Cet ordre juridique se situe d’emblée dans une sphère qui, tout en n’étant pas étrangère à celle des ordres juridiques des Etats membres, est assurée d’une primauté sans laquelle aucun processus d’intégration économique ne serait viable152. Pour le Professeur POUGOUE, l’avènement d’un ordre juridique communautaire permet de réaliser l’intégration économique recherchée153. Les bases de cet ordre juridique découlent des textes communautaires originaires ou constitutifs. On comprend subséquemment que tout processus d’intégration économique nait toujours d’un traité fondateur soutenu par d’autres textes qui le complètent154. Tous ces textes originaires s’insèrent dans l’ordre juridique des Etats membres, soit par la ratification ou par l’approbation, soit par l’adhésion de l’Etat155. Ce droit
148
Conférence interafricaine des marchés d’assurance. 149
Organisation africaine de la propriété intellectuelle. 150
Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. 151
On appelle ordre juridique communautaire, « un ensemble organisé et structuré de normes juridiques, possédant ses propres sources, doté d’organes et de procédures, aptes à les émettre, à les interpréter ainsi qu’à en faire constater et sanctionner, le cas échéant, les violations » (Cf. G. ISAAC, Droit communautaire général, Paris, Masson,5ème
édition, 1997, p. 115). 152
Cf. E. CEREXHE, « L’intégration juridique comme facteur d’intégration régionale », op cit. p. 27. 153
P-G. POUGOUE, « OHADA et intégration économique », op cit, p. 577. 154
Il s’agit, du côté de la CEMAC, des conventions régissant l’UEAC, l’UMAC, le parlement communautaire et la Cour de Justice Communautaire, du côté de l’UEMOA, des protocoles additionnels n° I relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA, n° II relatif aux politiques sectorielles de l’UEMOA et n° III instituant les règles d’origine des produits de l’UEMOA. 155
Sur l’insertion du droit communautaire originaire dans l’ordre juridique interne, lire J. BIPELE KEMFOUEDIO, Essai sur une théorie juridique de l’intégration économique au sein de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale
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communautaire originaire de la Communauté ou de l’Union est la traduction éloquente du droit communautaire uniformisé car, il ne donne pas la possibilité aux Etats membres de le modifier à leur guise pour l’adapter aux exigences de leur droit national. Ce droit communautaire originaire aboutit, dans une matière juridique, à une règlementation unique, identique en tout point pour tous les Etats concernés. Il n’y a plus place en principe pour des différences156. Le droit conventionnel fait ainsi naître dès la création de la Communauté une certaine uniformisation des règles imposées à tous les Etats membres. C’est donc par le droit conventionnel que l’uniformisation juridique se réalise facilement. Elle repose alors sur des conventions qui substituent à des règles nationales différentes un ensemble unique de règles désormais communes. L’objectif est de traiter de façon identique des opérations communautaires. Les techniques de l’uniformisation sont variées. Elles vont de la convention portant loi uniforme ou établissant un corps minimum de règles communes à un ensemble de principes157 diffusés par UNIDROIT158par exemple, et destinés, soit à s’appliquer quand les parties en ont décidé ainsi, soit à servir de guide pour interpréter ou compléter d’autres instruments de droit uniforme. Les instruments internationaux uniformisateurs dans le domaine de l’intégration économique postulent que, pour une matière précise, soit minutieusement élaboré un cadre normatif contenu dans un instrument unique auquel les parties
(CEMAC), Thèse de Doctorat/ Ph. D en Droit public, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP), Université de Dschang, 2008, pp. 200 - 204 ; F. HERVOUET, « Réception du droit communautaire par le droit interne », RDP, 1992, pp. 1251-1292. 156
Cf. P-G. POUGOUE, « OHADA et intégration économique », op cit, p. 583. 157
C’est le cas par exemple des principes relatifs aux contrats du commerce international.
158 Institut international pour l’unification du droit
privé.
prenantes adhèrent sans pouvoir y déroger, ni sur le fond, ni sur la forme. Concrètement, l’uniformisation suppose, par exemple, que les Etats impliqués dans une intégration se dotent d’un corps de normes uniformes et détaillées contenu dans un instrument unique. Cet instrument contient des engagements communautaires en faveur de l’intégration économique. Ces engagements, traduits en normes juridiques uniformes, s’imposent aux Etats membres dans leur intégralité. C’est sur cette base et bien d’autres déjà évoquées que les règles originaires d’uniformisation contribuent à la consolidation de l’intégration économique. Ces règles originaires d’uniformisation, porteuses du développement de l’intégration économique, sont soutenues par l’uniformisation juridique issue du droit communautaire dérivé. Ainsi, les règles dérivées d’uniformisation améliorent aussi l’intégration économique.
2) L’amélioration de l’intégration économique par les règles dérivées d’uniformisation
Le droit communautaire dérivé est l’ensemble des actes juridiques adoptés par les institutions et organes communautaires en exécution des traités ou conventions. Les modes de production des normes dérivées sont variés au sein de la CEMAC et de l’UEMOA. Ces normes peuvent se produire par consensus, à l’unanimité159 ou à la majorité, selon les cas160. A l’analyse du droit communautaire de la CEMAC et de l’UEMOA, l’uniformisation peut 159
Cf. à titre illustratif l’article 26 de la convention révisée UEAC du 30 janvier 2009. 160
Tant au sein de la CEMAC qu’au sein de l’UEMOA, les normes dérivées sont adoptées à la majorité. Ce mode de vote permet de faire avancer les débats. Au sein de la CEMAC, la base juridique est identifiée dans les textes originaires (voir, par exemple, articles 49 du traité révisé de la CEMAC, 15, 22, 23, 34 de la convention révisée de l’UEAC). Au sein de l’UEMOA, l’adoption à la majorité est le mode privilégié de prise des actes dérivés (voir, à titre illustratif, articles 47, 56, 61, 64, 66, 68, 72, 74, 82, 84, 89 du traité révisé ; 4, 7, 12, 16, etc. du protocole additionnel UEMOA n° II).
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aussi s’obtenir à travers certains aspects du droit dérivé. Il s’agit ici des normes dérivées de portée générale qui s’appliquent directement et intégralement dans les Etats membres. C’est le cas, par exemple, des actes additionnels des Chefs d’Etat, des règlements édictés par les instances ministérielles et autres organes compétents de la Communauté, des règlements- cadres et des décisions (sauf cas de l’exécution des décisions de justice formant titre exécutoire qui se fait conformément au droit de chaque pays membre161). Dispositions obligatoires dans tous leurs éléments, les normes dérivées précitées s’appliquent obligatoirement, directement et de manière identique dans tout Etat membre. Elles n’ont donc pas à être reprises au titre d’une « réception » dans l’ordre interne des différents Etats. Ces différents actes, qui constituent la source d’un droit commun, bénéficient de l’immédiateté d’application. Ils entrainent par conséquent une limitation définitive des droits souverains des Etats membres contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral incompatible avec la notion de communauté ou d’union. Les bases de l’uniformisation juridique existent ainsi bien au sein de la CEMAC que de l’UEMOA. En adoptant, à titre d’exemple, les règles uniformes en matière de concurrence162, le législateur communautaire 161
Cf. articles 45 du traité révisé de la CEMAC du 30 janvier 2009 et 46 du traité révisé de l’UEMOA du 29 janvier 2003. 162
Sur le droit de la concurrence dans l’espace CEMAC, voir règlement n° 1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles ; règlement n° 4/99/UEAC-CM-639 du 18 août 1999 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre Etats membres ; voir aussi R.S. KEUGONG NGUEKEN épouse WATCHO, La répartition des compétences entre les autorités communautaires et les autorités nationales en droit de la concurrence de la CEMAC, Mémoire du DEA, FSJP, Université de Dschang, année académique 1999-2000 ; Y. R. KALIEU ELONGO, « La Cour de justice de la CEMAC et le contrôle des pratiques anticoncurrentielles », Contribution au séminaire sous-régional de sensibilisation au droit communautaire de la CEMAC, Libreville, 2-6 novembre 2005 ; R. NJEUFACK TEMGWA,
a répondu à un besoin devenu pressant au sein de la sous-région à savoir rendre les entreprises de la zone Afrique centrale ou de l’ouest plus compétitives et plus concurrentielles, afin de leur permettre de mieux faire face au défi de la mondialisation. L’adoption d’un droit uniforme de la concurrence, d’une législation bancaire et financière commune au sein de la CEMAC et de l’UEMOA163 témoigne de la volonté de redynamiser par voie d’uniformisation le processus d’intégration économique en cours dans la sous-région. En tout état de cause, le projet communautaire initié au sein des organisations d’intégration économique en Afrique noire francophone est aussi un projet d’uniformisation juridique au service d’une unification économique164. On comprend dès lors que les normes uniformes sont porteuses d’ambitions d’intégration économique et s’appliquent identiquement dans tous les Etats membres. Dans un certain nombre de domaines, l’intégration au sein de la CEMAC et de l’UEMOA implique la réalisation d’actions communes165. Dans l’uniformisation, il ne
La protection de la concurrence dans la CEMAC, op cit ; Sur le droit de la concurrence au sein de l’UEMOA, lire règlement n° 02/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux pratiques commerciales anticoncurrentielles ; règlement n° 3/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de positions dominantes à l’intérieur de l’UEMOA ; règlement n° 4/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux aides d’Etat à l’intérieur de l’UEMOA ; voir aussi sur la question A. S. COULIBALY, « Le droit de la concurrence de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine », Revue burkinabè de droit, n° 43 – 44, 1
er et 2ème
trimestres 2003, pp. 05 – 27. 163
Cf. Z. ZANKIA, Contrôle institutionnel et intégration sous-régionale : les cas de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale et de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, Thèse de Doctorat/Ph.D, FSJP, Université de Dschang, 2014, pp. 79 – 139. 164
Sur l’uniformisation juridique au service d’une unification économique, lire L. CARTOU, Organisation européenne, Paris, Dalloz, 3
e édition, 1971, p. 25.
165 Cf. articles 11 à 28 de la convention révisée UEAC, 62
à 75 du traité révisé de l’UEMOA.
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s’agit pas seulement de coordonner les politiques qui restent de la compétence des Etats membres, mais de substituer à des politiques nationales, des politiques communautaires. En le faisant, on facilite l’atteinte des objectifs communautaires en zones CEMAC et UEMOA. Si certaines politiques et actions communautaires sont inscrites dans les textes régissant les organisations d’intégration économique, la plupart est édictée par les institutions communautaires à l’occasion de la mise en œuvre des différentes politiques. Ce qui vient confirmer davantage le véritable pouvoir normatif reconnu aux organes communautaires166. C’est dans ces normes dérivées, à savoir actes additionnels, règlements, règlements-cadres et décisions, que l’on relève certains éléments de l’uniformisation juridique, devenue indispensable pour l’affermissement du processus d’intégration économique. Comme on peut le constater, les règles dérivées d’uniformisation contribuent au progrès de l’intégration économique en ce qu’elles complètent dans les détails le droit communautaire originaire et favorisent sa mise en œuvre. Cette mise en œuvre des règles d’uniformisation est un élément de solidification de l’intégration économique.
B. Une solidification renforcée par la mise en œuvre des règles d’uniformisation
Les relations économiques entre deux ou plusieurs Etats peuvent être facilitées dans la mesure où, partiellement ou totalement, une certaine homogénéité juridique est faite167.
166
Cf. J. BIPELE KEMFOUEDIO, Le pouvoir de décision politique au sein de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), Mémoire en vue de l’obtention du DEA, FSJP, Université de Dschang, 1999, pp. 6 et s. 167
L’un des objectifs principaux des traités de la CEMAC et de l’UEMOA ainsi que des institutions qui y sont issues est, d’une part, de promouvoir un droit moderne susceptible de mettre un terme à l’insécurité juridique résultant de la disparité des législations nationales en
L’uniformisation juridique participe de cette homogénéité. Les règles issues de cette technique juridique d’intégration économique, une fois adoptées, doivent être mises en œuvre dans les Etats membres. C’est sur cette mise en œuvre que repose la solidification de l’intégration économique. A cet effet, ces règles doivent être respectées par les institutions et organes communautaires ainsi que par les Etats membres (1). Ce qui facilite la réalisation des objectifs communautaires (2).
1) Le respect des règles d’uniformisation Les règles d’uniformisation concernées ici sont les règles originaires et dérivées, à l’exclusion des directives et des recommandations qui entrent plutôt dans la rubrique des normes issues de l’harmonisation. Ces règles d’uniformisation, entrées une fois en vigueur, s’imposent, d’une part, aux institutions et organes communautaires, d’autre part, aux Etats membres. Le droit communautaire, qu’il soit issu des règles d’uniformisation ou des règles d’harmonisation, qu’il soit originaire ou dérivé, s’impose aux institutions et organes communautaires de la CEMAC et de l’UEMOA. Cette obligation de respecter le droit communautaire peut se faire dans le cadre d’une procédure contentieuse ou non. La violation d’une norme communautaire par une institution ou un organe communautaire entraine la sanction du juge qui en est le gardien. Ces sanctions, en cas d’excès de pouvoir, vont du sursis à exécution de l’acte en cause à son annulation. Si le comportement de l’institution, de l’organe communautaire ou de l’agent a causé un préjudice à autrui, cette victime peut saisir le juge communautaire aux fins de réparation. De même, il est évident que le droit
matière d’intégration économique, d’autre part, de créer conséquemment un environnement favorable au développement des échanges commerciaux et des investissements.
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communautaire de la CEMAC et de l’UEMOA a vocation à recevoir application dans les Etats membres. Mais, avant cette application, on peut légitimement et judicieusement s’interroger sur le principe de son insertion dans les Etats membres. Cette insertion concerne les règles originaires et dérivées d’uniformisation. D’après le système traditionnel généralement adopté par les Etats membres de la CEMAC et de l’UEMOA, l’introduction des règles uniformes issues du droit conventionnel dans l’ordre interne est subordonnée à l’accomplissement par l’autorité étatique d’un acte juridique spécial. La forme et la nature de cet acte varient selon les systèmes juridiques nationaux. A la faveur de l’actualité relative à la pratique internationale, il est de coutume que l’application d’une norme d’origine communautaire et globalement conventionnelle soit subordonnée à sa réception par les organes étatiques compétents. Cette pratique, qui se veut respectueuse de la souveraineté des Etats, est fondée sur l’idée d’une reconnaissance de la règle d’origine internationale par le droit interne. Cette reconnaissance par le droit interne est relativement simple et bien connue. A la lecture attentive des dispositions constitutionnelles des Etats membres de la CEMAC et de l’UEMOA, on note que, s’appuyant profondément sur les dispositions de l’article 55 de la Constitution française de 1958168, la quasi-totalité des Etats membres a dégagé le caractère obligatoire des actes conventionnels dans les ordres juridiques nationaux169. Ce caractère obligatoire du traité et actes subséquents dans l’ordre juridique interne des Etats reste subordonné à trois
168
Selon cet article, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». 169
Cf. N. MOUELLE KOMBI, « Les dispositions relatives aux conventions internationales dans les nouvelles constitutions des Etats d’Afrique francophone », AADI, 2001, pp. 228 et s.
étapes : la première est relative à la conclusion du traité ou de la convention. Cette conclusion comprend la négociation et la signature, à moins qu’il ne s’agisse d’adhérer à une convention existante. La deuxième est relative à l’approbation et/ou ratification. La dernière concerne la publication. Comme on le voit, les règles d’uniformisation primaire issues des textes de base de la CEMAC et de l’UEMOA n’échappent pas à l’applicabilité immédiate ou décalée qui est d’usage pour le droit international conventionnel. Cette mise en œuvre des règles originaires d’uniformisation a un impact positif dans la consolidation de l’intégration économique, car elle permet à l’organisation d’intégration de réaliser les objectifs que lui assignent le traité constitutif et d’autres textes. Ainsi, le droit uniforme originaire obéit aux règles du droit international conventionnel classique : il est négocié, soumis à l’autorisation de ratification (approbation), puis à la ratification effective et enfin à la publication au journal officiel de l’Etat ou des Etats concerné(s). Ces étapes ne concernent pas les actes du droit dérivé. Il importe de rappeler que les règles dérivées d’uniformisation issues des textes de base de la CEMAC et de l’UEMOA comprennent principalement les actes additionnels, les règlements, les règlements-cadres et les décisions. Ces actes sont intégrés directement, immédiatement et obligatoirement dans les droits nationaux des Etats membres. Ceux-ci n’ont donc pas la faculté de choisir entre le dualisme et le monisme. Ce dernier s’impose. Ce qui démontre que le droit communautaire n’est pas un droit extérieur aux Etats170. Il est le propre de chacun d’eux autant que le droit national. Si le juge de la Cour de justice de la CEMAC ou de l’UEMOA n’a pas encore eu l’occasion de l’affirmer clairement, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) l’a déjà fait en rappelant à toutes fins utiles
170
Voir P. MANIN, Les Communautés européennes : l’Union européenne, Paris, Etudes internationales, 3ème
édition, n° 6, 1997, p. 308.
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que le droit communautaire fait « partie intégrante…de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des Etats membres »
171. En conséquence, il est directement, immédiatement et obligatoirement applicable dans l’ordre interne des Etats. Il ne nécessite pas, à cet effet, de formule spéciale d’introduction172. L’entrée en vigueur du traité, du fait de sa ratification et de sa publication, suffit pour introduire directement et immédiatement le droit communautaire dérivé dans l’ordre juridique interne. Quoi qu’il en soit, l’applicabilité directe, question bien connue en droit communautaire173, voudrait que le droit découlant de l’uniformisation, une fois édicté, fasse partie intégrante du droit national. A cet effet, son respect s’impose aux pouvoirs publics ainsi qu’à toutes les personnes physiques ou morales, tant de droit public que de droit privé. Suivant ce raisonnement, on peut considérer que la ratification d’un traité est une forme de réception globale qui fait pénétrer dans l’ordre juridique interne, sans aucune forme de procès, l’ensemble du traité ainsi que l’ensemble du droit pris conformément à celui-ci. Dans cette logique, l’intégration du droit communautaire dérivé dans les ordres juridiques nationaux s’effectue selon un modèle d’immédiateté qui se traduit par une pénétration directe et obligatoire, sans passer par le filtre imposé par les droits nationaux. Le droit communautaire dérivé au sein de la CEMAC et de l’UEMOA, en principe, s’insère immédiatement dans l’ordre juridique des Etats membres, indépendamment de toute procédure de réception et de toute condition de réciprocité, à la différence des traités constitutifs qui ont dû être reçus dans le droit
171
CJCE, 9 novembre 1978, SIMMENTHAL, aff. 106/77, Rec.1978, p. 609.
172 Voir F. HERVOUET, « Réception du droit
communautaire par le droit interne », RDP, 1992, pp. 1257 et s.
173 Cf. J. BOULOUIS, Droit institutionnel des
Communautés européennes, Paris, Montchrestien, Précis Domat, 1984, p. 171.
interne des Etats par la procédure de ratification. Ainsi, dans son arrêt du 19 décembre 1968, la CJCE a, de manière limpide, rappelé que le droit dérivé directement applicable pénètre « dans l’ordre juridique interne sans le secours d’aucune mesure nationale »
174 sous réserve de son caractère self executing, c'est-à-dire à la condition que la disposition en cause soit « suffisamment claire, précise et non conditionnée par l’adoption d’un acte ultérieur »175. Le droit communautaire inséré dans l’ordre juridique des Etats membres bénéficie du principe de la primauté. Selon le Professeur Guy ISAAC, « le droit issu des sources communautaires … est le droit propre de chacun des Etats membres, applicable sur son territoire tout autant que son droit national, avec cette qualité supplémentaire qu’il couronne la hiérarchie des textes normatifs de chacun d’eux »
176. Cette primauté est acquise sur les lois nationales ordinaires177. Elle
174
Cf. aff. 28/67, Firma Molkeri, Rec. 1968, p.228. 175
Cf. CJCE, arrêt du 16 juin 1998, Hermès international, affaire C.53/96, Rec. 1998, I.77. Il faut, par ailleurs, relever qu’une disposition « self executing » est, en effet non seulement une disposition suffisamment claire, précise et non conditionnée par la prise d’un acte ultérieur mais aussi une disposition de nature à conférer des droits à des personnes juridiques autres que les Etats parties au traité et, notamment, et avant tout aux simples citoyens de ceux-ci, droits qu’ils pourront exercer par tous les moyens légaux à leur disposition et notamment l’action en justice. La traduction par l’expression « dispositions directement applicables » n’est pas assez précise car elle peut tendre à indiquer qu’il s’agit de dispositions qui n’ont pas besoin d’être complétées ou mises en œuvre par des dispositions du droit des Etats parties. Il faudrait donc traduire « self executing » par dispositions claires, précises et non conditionnées par l’adoption d’un acte ultérieur et de nature à conférer des droits aux personnes autres que les Etats parties : cf. BUERGENTHAL (T), « Self executing and non-self executing treaties in national and international law», RCADI, 1992, pp IV et M. 176
G. ISAAC, « Primauté du droit communautaire », in Encyclopédie Dalloz, Répertoire de droit communautaire, Paris, 8ème
édition, Tome 3, octobre 1997, p. 1. 177
Aux termes de l’article 6 du traité révisé de l’UEMOA,
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favorise de ce fait la florescence de l’intégration économique, car elle empêche toute norme législative contraire, antérieure ou postérieure, d’entrer en contradiction avec les normes communautaires et d’entraver l’atteinte des objectifs intégrateurs. Cette primauté reste tout de même limitée par rapport à la constitution des Etats membres178. Dans tous les cas, le droit communautaire issu de l’uniformisation doit être respecté par les Etats et dans les Etats en tant que droit positif. Ce respect scrupuleux des règles d’uniformisation est un élément d’affermissement de l’intégration économique. Le non-respect entraine à l’encontre des contrevenants des sanctions qui peuvent être politico-administratives179 ou
« les actes arrêtés par les organes de l’Union pour la réalisation des objectifs du présent traité, et conformément aux règles et procédures instituées par celle-ci, sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ». Ces dispositions sont reprises mutatis mutandis par l’article 44 du traité révisé de la CEMAC : « … les actes adoptés par les institutions, organes et institutions spécialisées de la Communauté pour la réalisation des objectifs du présent traité sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ». Cette primauté du droit communautaire est aussi consacrée par la quasi-totalité des constitutions des Etats membres de la CEMAC et de l’UEMOA qui, s’inspirant des dispositions de l’article 55 de la Constitutions française, ont consacré que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » (cf. articles 147 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990 ; 45 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 modifiée le 14 avril 2008 ; 94 de la constitution centrafricaine du 13 mars 2016 ; 79 de la constitution sénégalaise du 05 avril 2016 ; 123 de la constitution ivoirienne du 08 novembre 2016 ; 225 de la constitution tchadienne du 04 mai 2018). 178
Lire sur la question, J. BIPELE KEMFOUEDIO, « Droit communautaire d’Afrique centrale et constitutions des Etats membres : La querelle de la primauté », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang, 2009, Tome 13, pp. 109-134. 179
Il s’agit de la publication par le Conseil des ministres
juridictionnelles180. Toutefois, dans le souci d’encourager les Etats à appliquer efficacement les normes communautaires, le législateur de la CEMAC a prévu à leur profit des sanctions « positives ». En effet, la mise en œuvre effective d’un programme reconnu conforme donne à l’Etat membre concerné le bénéfice des mesures positives. Ces sanctions se déclinent, d’une part, par la publication d’un communiqué du président de la Commission, d’autre part, par le soutien de la Communauté dans la mobilisation des ressources nécessaires au financement des mesures rectificatives préconisées181. Ainsi, l’application des règles issues de l’uniformisation participe à la solidification de l’intégration économique, car elle permet de quitter l’intégration théorique pour l’intégration pratique c’est-à-dire l’étape de conception pour l’étape de réalisation.
2) La réalisation des objectifs communautaires
Lorsque deux ou plusieurs Etats s’engagent dans un processus de simple coopération économique (qu’il soit bilatéral ou multilatéral), l’uniformisation juridique apparaît rarement comme un impératif. Le problème se pose autrement lorsqu’on dépasse la coopération et qu’on s’engage dans un processus d’intégration économique. L’intégration économique, écrit le Professeur CEREXHE, « implique en effet qu’on aille au-delà de la simple suppression des barrières douanières et contingentaires pour … unifier les politiques nationales
182 ». Selon l’auteur,
aucune intégration ne peut se réaliser à travers des politiques économiques,
d’un communiqué et du retrait annoncé publiquement du soutien dont bénéficiait éventuellement l’Etat membre (article 63 de la convention révisée de l’UEAC). 180
Ces sanctions peuvent se réduire en l’annulation d’un acte communautaire entaché d’excès de pouvoir, l’octroi du sursis à exécution d’un acte ou l’octroi des dommages-intérêts en cas de préjudice causé. 181
Cf. article 62 de la convention révisée UEAC. 182
E. CEREXHE, Le droit européen : les institutions, Bruylant, Nauwelaerts, 1979, p. 331.
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monétaires, sociales et industrielles divergentes183. L’uniformisation juridique permet d’atteindre cet objectif car elle constitue une technique d’anticipation du développement des échanges commerciaux. La mise en œuvre des normes issues de l’uniformisation permet d’atteindre les buts poursuivis par le traité et autres textes communautaires. En mettant en application ces normes, l’uniformisation juridique favorise le progrès économique des Etats membres à travers le renforcement de la productivité et de la compétitivité de leur économie. En effet, au début de la décennie quatre-vingt-dix, la nouvelle volonté de vaincre la crise économique, au moyen de la mise en place de mécanismes visant à renforcer la sécurité des activités et des acteurs économiques, allait finalement pousser les pays de la CEMAC et de l’UEMOA à inscrire prioritairement l’uniformisation comme l’une des techniques juridiques devant faciliter l’intégration économique réelle184. Au-delà du souci de juguler cette crise économique, le désir d’adaptation aux exigences du 21ème siècle a aussi amplement motivé l’adoption au sein de ces deux organisations d’intégration des normes uniformisées. L’uniformisation juridique est un préalable obligé à l’intégration économique véritable. Ainsi, afin de garantir un succès certain au processus d’intégration économique, il est nécessaire de réglementer, de légiférer dans le sens d’une substitution aux différents droits nationaux des règles supranationales obtenues sur la base de l’uniformisation. L’uniformisation juridique a dès lors pour conséquence la réalisation d’un environnement favorable à l’intégration économique parce qu’elle élimine les distorsions entre les législations nationales des pays membres, lesquelles sont souvent
183
Ibid, pp. 331 et s. 184
Cf. E. GNIMPIEBA TONNANG, Droit matériel et intégration sous-régionale en Afrique centrale: contribution à l’étude des mutations du droit communautaire CEMAC, Thèse droit, Université de Nice-Sophia Antipolis, mars 2004, pp. 23-31.
sources de déséquilibres économiques et sociaux importants d’un pays à un autre. L’uniformisation juridique peut suivre une voie douce. A cet effet, elle consiste à proposer aux parlements nationaux un texte unique préparé par une instance internationale. Une telle procédure ménage les souverainetés nationales, mais présente l’inconvénient d’être hasardeuse car, certains parlements peuvent le rejeter, le modifier (avant ou après l’adoption) ou l’abroger ultérieurement. Dans cette situation, les promoteurs du texte uniforme ou uniformisé risquent de ne pas atteindre le but visé. C’est cette voie qu’a empruntée l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) jusqu’à sa transformation le 10 janvier 1994 en Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)185. A côté de cette procédure douce, certaines organisations internationales d’intégration ont préféré recourir à une autre forme d’uniformisation, en adoptant le principe de la supranationalité qui leur permet d’introduire directement des normes dans l’ordre juridique interne des Etats membres. L’illustration d’une telle méthode est offerte dans la zone franc par l’UEMOA et la CEMAC186. Si l’uniformisation juridique s’est étendue de manière étonnante à tous les secteurs du droit des affaires dans cette zone, au sein de la CEMAC et de l’UEMOA, cette technique n’a été utilisée que pour encadrer quelques secteurs économiques, tels la concurrence, les banques, la monnaie. Elle présente pourtant un grand mérite puisqu’elle aboutit en principe tout simplement à la disparition des conflits de lois et de législations autrefois divergentes.
185
Cf. J. ISSA-SAYEGH, « L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc », op.cit., pp. 69 et s.
186 Le principe de la supranationalité a été adopté dans
ces espaces d’intégration. L’OHADA agit à travers ses actes uniformes qu’elle impose aux Etats parties, l’UEMOA et la CEMAC, quant à elles, dans la nouvelle rédaction de leur traité, édictent que les règlements adoptés par le Conseil des Ministres s’imposent directement aux Etats membres.
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L’uniformisation juridique contribue ainsi à l’émergence du processus d’intégration économique en ce qu’elle permet de combattre la diversité des législations, source d’insécurité juridique, préjudiciable à l’atteinte des objectifs communautaires. Dans tous les cas, réaliser un ensemble économique unique et cohérent dans lequel les règlementations nationales se fondent ou s’inscrivent pour atteindre les objectifs économiques et sociaux de l’intégration, suppose que la règle de droit soit la même dans tous les Etats membres. L’uniformisation est la technique juridique qui permet d’atteindre cet objectif. Les bienfaits de l’uniformisation juridique en matière d’intégration économique ne doivent pas faire oublier quelques critiques et limites relevées à son encontre. En effet, pour les adversaires du droit uniforme, cette technique juridique porte atteinte à la souveraineté des Etats. Elle viole l’autonomie des Etats en matière juridique et remet en discussion la question de leur existence car, la présence du droit uniforme chasserait l’application du droit national. Si le droit uniforme ne s’applique en effet qu’aux situations internationales, il prive néanmoins les Etats membres d’une partie de leurs compétences, tandis que, s’il s’impose même dans les relations internes, il les dessaisit complètement de leur pouvoir législatif187. Pour les opposants de l’uniformisation, l’élaboration d’un droit uniforme ne vise pas à pallier la diversité des lois et des cultures dans les opérations transfrontières mais à l’anéantir. En dépit de ces critiques, l’uniformisation juridique reste et demeure, à côté de l’harmonisation juridique, un élément d’impulsion du processus d’intégration économique en cours dans la CEMAC et l’UEMOA.
187
Cf. F. VIANGALLI, La théorie des conflits de lois et le droit communautaire, Paris, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004, pp. 442 et s.
II. Une consolidation de l’intégration économique à travers l’harmonisation juridique
L’harmonisation juridique désigne « l’opération consistant à rapprocher les systèmes juridiques d’origine et d’inspiration différentes (voire divergentes), pour les mettre en cohérence entre eux en réduisant ou en supprimant leurs différences et leurs contradictions de façon à atteindre des résultats compatibles entre eux et avec les objectifs communautaires recherchés »
188. Il s’agit, selon le Professeur POUGOUE189, de réduire les différences pour atteindre les objectifs communautaires. Cette technique, considérée comme levier du processus d’intégration économique au sein de la CEMAC et de l’UEMOA, passe par l’harmonisation des législations nationales (A) et de la jurisprudence (B).
A. L’harmonisation des législations nationales
L’harmonisation des législations nationales est une opération qui, tout en respectant plus ou moins les particularismes des textes nationaux, consiste à réduire les différences ou divergences entre elles en comblant les lacunes des unes et en gommant les aspérités des autres190. En tant que technique d’intégration, l’harmonisation des législations nationales implique certains changements de normes et systèmes pour créer entre eux des similitudes nécessaires aux résultats
188
Cf. M. MBAYE, « Unification du droit en Afrique », op cit, p. 65 ; P-G. POUGOUE, Présentation générale et procédure en OHADA, op cit, pp.11 et s. ; M. DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, op cit, pp. 75 et s. ; M. DELMAS-MARTY, La mondialisation du droit : chances et risques, op cit, p. 43; P-G. POUGOUE, « OHADA, instrument d’intégration juridique », op cit, pp.12 et s. ; A. JEAMMEAUD, « Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi s’agit-il ? », op cit, pp. 35 et s. 189
P-G. POUGOUE, Présentation générale et procédure en OHADA, op cit, p. 11.
190 Cf. J. ISSA-SAYEGH, « L’intégration juridique des
Etats africains de la zone franc », op cit, p.13.
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communautaires que l’on s’est fixé191. De ce
fait, l’harmonisation des législations nationales favorise le rapprochement des peuples (1) et renforce le processus d’intégration (2).
1) Le rapprochement des peuples de la zone d’intégration concernée
Il est constant aujourd’hui que l’harmonisation des législations ne veut pas dire l’unification, car elle admet les différences et les ordonne192. Elle favorise la mise en place d’un cadre normatif destiné à diminuer les différences dans les législations des Etats et à coordonner divers secteurs de leurs relations, dans le but d’atteindre les objectifs communautaires recherchés. L’un des secteurs visés par l’harmonisation est celui de la libre circulation des personnes193. Cette technique d’intégration juridique est plus consensuelle puisqu’elle intègre les aspirations juridiques de tous les peuples engagés dans le processus d’intégration économique. Sous cet angle, l’harmonisation juridique devient un facteur de rapprochement des peuples à travers la libre circulation qu’elle promeut et encourage en dépit des difficultés formelles et matérielles qui continuent d’affecter la liberté de circulation au sein de la CEMAC194. En effet, en harmonisant les législations nationales, on
191
Cf. R. VANDERELST, « Les instruments du rapprochement des législations dans la Communauté Economique Européenne », cité par E. CEREXHE, Le droit européen : les institutions, op cit, p. 339. 192
M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, Paris, Seuil, avril 1994, p. 240.
193 Cf. articles 4 de la convention UEAC du 30 janvier
2009, 91 et suivants du traité révisé de l’UEMOA du 29 janvier 2003. 194
B. D. NOMVETE, « Intégration régionale en Afrique : une route pleine d’obstacles », in Le courrier ACP/CE novembre-décembre 1993, n° 142, pp. 49-55 ; A. D. NTUMBA LUABA LUMU, « La faiblesse du cadre institutionnel décisionnel comme frein à l’intégration régionale », in Etat, société et pouvoir à l’aube du XXI
e
siècle, Mélanges en l’honneur de François BORELLA, Paris, Presses Universitaires de Nancy, 1998, pp. 335-364.
crée les conditions pour l’établissement d’une appartenance commune, d’une citoyenneté commune. Or, tout processus d’intégration suppose la connaissance réciproque et la compréhension mutuelle des hommes à travers leur culture juridique. L’harmonisation des législations nationales, qui est par excellence une technique juridique d’intégration, permet d’atteindre cet objectif. Elle opère le syncrétisme entre diverses cultures juridiques et une conciliation visant à fédérer les peuples de multiples pays autour des normes juridiques consensuelles où chaque Etat se retrouve et s’identifie. En effet, dans la construction normative, l’harmonisation des législations prend en compte les aspirations de chaque peuple. A travers l’harmonisation juridique, chaque peuple se reconnait dans les normes édictées. Cet écho favorable des peuples facilite l’application des normes communautaires ainsi que la réalisation des objectifs assignés à la Communauté ou à l’Union. L’harmonisation juridique est une technique d’intégration plus démocratique puisqu’elle prend en considération les intérêts de tous les peuples concernés. C’est donc une condition essentielle pour la réussite du processus d’intégration économique. Cette tâche d’harmonisation des législations nationales incombe en grande partie aux autorités étatiques. Il s’agit d’harmoniser, pour les rendre compatibles et conformes aux exigences communautaires, les constitutions195, les lois196 et les actes
195
Au regard de l’harmonisation des constitutions des Etats membres, il est question, avant la ratification ou l’approbation d’un instrument international (traité, convention, charte, accord) ou encore avant l’adhésion à cet instrument, de s’assurer de sa conformité avec la constitution. A l’effet d’éviter d’éventuels conflits entre les textes communautaires originaires et les constitutions des Etats membres, la quasi-totalité des pays de la CEMAC et de l’UEMOA ont consacré dans leur loi fondamentale, la possibilité d’une révision incidente de la constitution en cas d’incompatibilité de son contenu avec une convention internationale. En effet, s’appuyant sur l’article 54 de la constitution française de la V
e République, certaines constitutions
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réglementaires197 des Etats membres. des Etats africains disposent que ‘‘si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’un engagement comporte une clause contraire à la constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la constitution’’ ( Cf. articles 44 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 révisée le 14 avril 2008, 68 de la constitution centrafricaine du 14 décembre 2015, 175 de la constitution congolaise du 25 octobre 2015, entrée en vigueur le 06 novembre de la même année, 221 de la constitution tchadienne du 04 mai 2018, 122 de la constitution de Côte d’Ivoire du 08 novembre 2016, 78 de la constitution sénégalaise révisée le 05 avril 2016). Par contre, au lieu de réviser leur loi fondamentale, certains Etats ont préféré, en cas d’incompatibilité entre la constitution et les textes constitutifs de l’Union ou de la Communauté, s’abstenir de toute ratification ou adhésion. Pour le constituant gabonais, par exemple, les engagements internationaux comportant une clause contraire à la constitution ne peuvent être ratifiés (article 87 de la constitution gabonaise révisée le 12 janvier 2018). 196
S’agissant de l’harmonisation des lois, elle ne pose aucun problème d’ordre théorique et pratique, en vertu du principe indiscutable de la primauté des normes conventionnelles classiques ou spécifiques sur les lois ordinaires fussent-elles antérieures ou postérieures (Cette primauté est reconnue à la fois par les textes communautaires (articles 6 du traité révisé UEMOA et 44 du traité révisé CEMAC) et par les textes nationaux (Cf. J. BIPELE KEMFOUEDIO, Essai sur une théorie juridique de l’intégration économique au sein de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale, op cit, pp. 141-155). Il s’agit d’harmoniser, au sein de la CEMAC et de l’UEMOA, toutes les législations relatives aux activités économiques, financières, sociales ainsi que la fiscalité y afférente. L’objectif recherché est de les rendre compatibles avec les exigences des normes communautaires. Ainsi, dès l’entrée en vigueur d’un acte communautaire originaire ou dérivé, toutes les lois existantes et incompatibles doivent être révisées pour entrer en conformité avec la norme communautaire. 197
Quant à l’harmonisation des actes réglementaires, il importe de relever qu’une obligation pèse sur les membres de l’Exécutif dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que sur les autres autorités ayant un pouvoir de décision : il s’agit de l’obligation de conformité de leurs agissements par rapport à la norme communautaire. Ainsi, décret, arrêté, décision, circulaire des membres de l’Exécutif et de toutes les autres autorités doivent être, sous peine d’être sanctionnés de nullité, pris conformément au droit communautaire. Cette harmonisation des actes réglementaires permet d’instaurer la cohésion dans le
S’il est établi que la justification philosophique de l’harmonisation est l’élimination des difficultés que présente pour les relations juridiques internationales la disparité des systèmes de droit 198, on note que ce résultat s’obtient aux moyens de techniques juridiques douces, telles que les directives199 ou les recommandations200, qu’une organisation d’intégration adopte et adresse aux Etats qui en sont membres201. On peut, à titre d’exemples, évoquer en zones CEMAC et UEMOA, la directive communautaire portant adoption du système Licence Master Doctorat (LMD) dans les universités et établissements d’enseignement supérieur202 ou encore la recommandation relative à la mise en place du système LMD dans l’espace CEMAC203. Ces deux normes, à travers l’harmonisation qu’elles opèrent dans le domaine de l’enseignement supérieur, facilitent la mobilité des étudiants d’un pays à un autre. D’autres système juridique afin d’éviter l’incompatibilité entre le droit communautaire et les actes réglementaires nationaux. 198
P. LELEUX, « Le rapprochement des législations dans la Communauté économique européenne », op cit, p. 129. 199
La directive est un acte pris par les organes communautaires et qui lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales leur compétence en ce qui concerne la forme et les moyens. 200
La recommandation est un acte, en principe non contraignant, adopté par une organisation internationale. Elle a essentiellement une valeur politique en ce qu’elle permet aux institutions communautaires de faire connaitre leur point de vue et de suggérer une ligne de conduite. Dans le domaine de l’harmonisation, la recommandation peut être considérée comme un instrument d’action indirecte permettant de préparer une législation dans les Etats membres. 201
Cf. J. ISSA-SAYEGH, « L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc », op.cit., p. 25.
202Voir directive communautaire de la CEMAC n° 2/06-
UEAC – 019 -CM -14 du 10 mars 2006 et directive communautaire de l’UEMOA n° 03/2007/CM/UEMOA du 04 juillet 2007. 203
Cette recommandation a été adoptée par la conférence des Recteurs des Universités d’Afrique centrale en sa deuxième session ordinaire tenue du 13 au 15 février 2006 à Malabo, en Guinée équatoriale.
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normes concernent l’ensemble des citoyens communautaires, comme la directive portant code de transparence dans la gestion des finances publiques204, celle portant lois de finances205 ainsi que celle relative à la mise en œuvre d’un programme d’actions communautaires dans le domaine des infrastructures et des transports routiers au sein de l’UEMOA206. Ces directives et recommandations, favorables au rapprochement des citoyens communautaires au sein de la CEMAC et de l’UEMOA, se contentent d’indiquer les résultats à atteindre sans imposer la forme et les moyens pour y parvenir207. Cette forme et ces moyens sont pris sur le plan national. C’est en cela que les directives et les recommandations constituent non seulement les moyens d’harmonisation des législations nationales, mais aussi des éléments de rapprochement des populations des Etats membres. Il est évident sur ce point, hormis le fait qu’un résultat soit imposé, que cette technique juridique d’intégration respecte la souveraineté constitutionnelle, législative et réglementaire nationale. A la faveur de son caractère consensuel et démocratique, elle unit davantage les peuples engagés dans le processus d’intégration économique puisqu’ils se reconnaissent désormais dans ce droit communautaire harmonisé. En le faisant, l’harmonisation des législations devient un facteur de renforcement du processus d’intégration économique dans les zones CEMAC et UEMOA.
204
Voir directive communautaire de la CEMAC n° 06/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 et directive communautaire de l’UEMOA n° 01/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009. 205
Voir directive communautaire de la CEMAC n° 01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 et directive communautaire de l’UEMOA n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009. 206
Voir recommandation n° 04/97/CM/UEMOA du 27 juin 1997. 207
Cf. articles 41 du traité révisé de la CEMAC et 43 du traité révisé de l’UEMOA.
2) L’atteinte facilitée des objectifs communautaires
A l’analyse des textes régissant la CEMAC et l’UEMOA, on note que l’un des objectifs essentiels fixés consiste au rapprochement des législations nationales dans la mesure nécessaire à l’établissement ou au fonctionnement du marché commun208. Le Professeur Etienne CEREXHE indique en la matière que : « même lorsque l’intégration juridique se réalise par une harmonisation des règles de droit matériel, elle n’aboutit pas à l’élaboration d’une législation communautaire. Tout au contraire, elle laisse subsister même dans l’hypothèse d’une unification, des droits semblables peut-être, mais à l’égard desquels les Etats ne sont pas démunis de toute possibilité d’intervention »
209. Sous réserve de recours à la convention internationale, l’harmonisation des législations se réalise, à titre principal, par voie de directives et, de manière exceptionnelle, par les recommandations. Il s’agit donc d’instruments normaux, puisqu’il n’est pas question de créer une norme commune, mais simplement d’exiger des Etats membres l’élimination de certaines divergences entre leurs législations. Dès lors, pouvoir est donné au Conseil des ministres et aux autres organes communautaires de prendre des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun. On comprend dès lors que pour réaliser le rapprochement des législations aussi bien dans la CEMAC que dans l’UEMOA, la directive communautaire constitue le type d’acte privilégié. Elle impose aux Etats une
208
Notons que le rapprochement des législations nationales est une condition sine qua non du bon fonctionnement du marché commun. Lire à cet effet, J.F. DENIAU, Le marché commun, Paris, PUF, Que sais-je ? 1969, pp. 33 et s. ; G. DRUESNE, Droit et politique de la Communauté et de l’Union européennes, Paris, PUF, 4
e édition, novembre 1997, pp.281 et s.
209 E. CEREXHE, Le droit européen …, op. cit., p. 334.
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obligation de résultat. Ces Etats restent en principe libres de déterminer les modalités d’exécution. La directive est donc un instrument juridique qui permet d’établir un équilibre entre les compétences des institutions supranationales et le respect de la souveraineté nationale210. Inscrite dès le préambule des textes communautaires originaires des organisations d’intégration, l’harmonisation des législations nationales apparaît comme l’une des voies aptes à favoriser le développement économique des pays membres de la CEMAC et de l’UEMOA211. Il s’agit aussi d’un moyen efficace pour favoriser la dynamique d’intégration économique au sein de la sous-région. Comme le révèle M. Paul LELEUX, « à la différence des efforts d’unification du droit qui sont poursuivis dans certaines enceintes internationales dont la préoccupation essentielle, sinon unique, est une rationalisation du droit destinée à éliminer les difficultés que rencontrent les relations juridiques internationales entre Etats souverains, le rapprochement des législations dans la Communauté est conçu en fonction des objectifs généraux de la construction économique de celle-ci »212. Ainsi, autant que faire se peut, l’Union ou la Communauté économique doit harmoniser dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun les règles qui régissent les activités économiques et financières et élaborer à cet effet les réglementations communes213.
210
Cf. E. CEREXHE, « L’intégration juridique comme facteur d’intégration régionale », op cit, p. 26. 211
Le préambule de la convention révisée régissant l’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC) en fait d’ailleurs mention. Le législateur communautaire y affirme « la nécessité de favoriser le développement économique des Etats membres grâce à l’harmonisation de leurs législations ». 212
P. LELEUX, « L’intégration européenne et rapprochement des législations », Contribution au colloque organisé par le CEDE les 14 et 15 mars 1968 à Montréal, in Dix ans d’intégration européenne, CEDE, 1968, pp. 31 et 32. 213
Cf. article 4 alinéa (a) de la convention révisée de l’UEAC.
L’harmonisation des législations, à travers la sécurité juridique qu’elle développe214, rationalise et améliore l’environnement des entreprises ainsi que des échanges. En améliorant le paysage des entreprises et des échanges, l’harmonisation des législations devient une technique d’impulsion et de consolidation du processus d’intégration économique. Si l’uniformisation, comme l’unification, repose sur un principe d’identité215, l’harmonisation en revanche se contente d’un rapprochement des systèmes entre eux sans supprimer toutes les différences. Dans cette perspective, elle favorise, dans l’intérêt de la consolidation de l’intégration économique, une conception tolérante et pluraliste du droit216. Mais ce pluralisme est ordonné, dans le souci d’atteindre les objectifs communautaires, par l’exigence, à défaut d’une impossible identité, d’une certaine proximité d’un système à l’autre, excluant les différences trop fortes jugées incompatibles217. En l’état actuel du droit positif de la CEMAC et de l’UEMOA, le domaine de l’harmonisation est déterminé par le législateur communautaire. Ce dernier l’a expressément exprimé dans le chapitre I du titre IV du traité révisé de l’UEMOA. L’article 60 y afférent souligne que « dans le cadre des orientations prévues à l’article 8, la Conférence des Chefs
214
L’harmonisation des législations est une priorité pour créer les conditions favorables à l’instauration d’un espace de sécurité juridique indispensable pour drainer les flux importants d’investissements, car investir est déjà en soi un risque, même s’il est calculé. Si à ce risque vient s’ajouter un système juridique fluctuant, insaisissable et ondoyant, alors l’attrait des investissements est freiné et incertain. 215
Sur la base de ce principe, les pratiques nationales doivent être identiques à la règle commune. 216
Sur le pluralisme très présent dans les travaux d’anthropologie juridique, voir les exemples cités par N. ROLLAND, in Aux confins du droit, Paris, Odile Jacob, 1991, pp. 33 et s.; Droit des minorités et des peuples autochtones, Paris, PUF, 1996, p.31. 217
Voir M. DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, op.cit., pp. 122-123.
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d’Etat et de gouvernement établit des principes directeurs pour l’harmonisation des législations des Etats membres ». La CEMAC s’inscrit dans la même logique218 même si les résultats sont moins flatteurs par rapport à ceux de l’UEMOA. Trois domaines, à titre illustratif, permettent d’asseoir la conviction de cette avancée réelle de l’UEMOA par rapport à la CEMAC : l’harmonisation dans le domaine de l’enseignement supérieur219, en matière de libre circulation des personnes220 et des autres facteurs de production, ainsi que dans le domaine du tarif extérieur commun221. A l’examen de ces politiques d’intégration, on
218
Voir article 27 de la convention UEAC (institution d’intégration économique de la CEMAC). 219
Dans le domaine de l’enseignement supérieur, les textes communautaires au sein de la CEMAC sont très peu respectés. Dans l’UEMOA, on note un volontarisme poussé en matière d’harmonisation et de respect des textes communautaires. Sur la question, lire UEMOA, Livre blanc sur l’enseignement supérieur et la recherche dans la zone UEMOA, Document de réflexion, 2014, 39 pages ; Etude sur l’enseignement supérieur dans les pays de l’UEMOA, pour une nouvelle vision de l’enseignement supérieur : intégration, pertinence et qualité, Phase I, Rapport final, 2004, 48 pages, Phase II, rapport final, 2005, 75 pages. 220
Au sein de la CEMAC, les citoyens communautaires titulaires d’un passeport CEMAC ou d’une carte d’identité communautaire éprouvent toujours des difficultés pour circuler librement dans la zone. Par contre, dans la zone UEMOA, cette liberté de circulation est une réalité. Un citoyen communautaire dans cette zone a la liberté de circuler moyennant la simple présentation d’un passeport ou d’une carte d’identité communautaire en cours de validité. 221
Dans la zone CEMAC, le tarif extérieur commun en vigueur est celui adopté par règlement n° 02/12- UEAC-213-CM- 23 du 22 juillet 2012. Bien qu’adopté, il a de la peine à être respecté dans les Etats membres. Au sein de l’UEMOA, le tarif extérieur commun en vigueur est celui issu du règlement n° 06/2014/CM/UEMOA du 25 septembre 2O14. Ce tarif extérieur, contrairement à ce qui se passe au sein de la CEMAC, est effectif dans cette zone. On y trouve un tarif extérieur de 0% pour les biens essentiels relevant d’une liste limitative, 5% pour les biens de première nécessité, matière première de base, biens d’équipement, 10% pour les intrants et produits intermédiaires, 20% pour les biens de consommation finale et 35% pour les biens spécifiques pour le développement économique.
note que le « volontarisme intégrateur »222 est plus présent au sein de la l’UEMOA qu’au sein de la CEMAC. Dans cette dernière sous-région, quand bien même les textes sont adoptés, ils ont de la peine à se traduire en acte concret à cause des difficultés à la fois formelles et matérielles. En somme, le succès de tout processus d’intégration économique repose, entre autres, sur l’harmonisation des législations nationales. Le rapprochement des droits constitue un moyen ou un instrument auquel on doit recourir dans certains cas pour assurer de manière effective et efficace la mise en place des libertés communautaires ou la coordination des politiques sectorielles nationales des Etats membres223 à savoir l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’industrie, le commerce, le tourisme, les transports, l’enseignement supérieur, etc. Ce rapprochement peut porter, soit sur les règles matérielles et institutionnelles, soit sur les règles de conflit de lois. C’est ce dernier aspect qui explique les efforts de mise en place d’une harmonisation de la jurisprudence au sein des organisations d’intégration économique comme la CEMAC et l’UEMOA. Cette harmonisation de la jurisprudence contribue au perfectionnement de l’intégration économique.
B. L’harmonisation de la jurisprudence Sur le plan communautaire, l’harmonisation de la jurisprudence, par définition, est un processus qui consiste à rapprocher ou à orienter les arrêts ou jugements, les décisions d’origine différente rendues ou à rendre par les juridictions communautaires, pour les mettre en cohérence entre elles, en réduisant ou supprimant leurs différences et
222
Cette expression est du professeur M. KAMTO, « La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), une communauté de plus ?», Annuaire Français de Droit International, 1987, XXXIII, p. 852. 223
Voir E. CEREXHE, Le droit européen …, op.cit., p. 340.
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contradictions, de manière à atteindre les résultats compatibles entre eux et avec les objectifs communautaires recherchés. Elle permet de construire une jurisprudence fiable en tant que source du droit. Sous cet angle, l’harmonisation de la jurisprudence est une technique qui garantit la sécurité juridique dans le processus d’intégration économique224 (1). De ce fait, elle favorise le développement du marché commun à travers l’attraction des investisseurs (2).
1) Le développement de la sécurité juridique
La sécurité juridique en tant que droit-garantie est devenue un principe général du droit communautaire225. Cette notion en droit européen fait l’objet d’une jurisprudence abondante qui a acquis une ampleur impressionnante au fil des années226. La Conseillère à la Cour Administrative d’Appel de Paris, Mireille HEERS, la définit comme « la possibilité reconnue à l’opérateur économique, fiscal, à tout administré, d’évoluer dans un environnement juridique sûr parce qu’à l’abri
224
Cf. A.L. NGUENA DJOUFACK, Sécurité juridique et droit communautaire de la CEMAC : Recherches sur la sécurité juridique dans la construction du marché commun, Thèse pour l’obtention du Doctorat/Ph. D en droit public, FSJP, Université de Dschang, 2015, pp. 43 et s. 225
Sur la question, lire R. E. PAPADOPOULOU, Principes généraux du droit et droit communautaire : Origines et concrétisation, Bruxelles, Sakkoulas Athènes, Bruylant, 1996, pp. 197 et s. 226
Depuis les années 70, les particuliers invoquent de plus en plus le principe de sécurité juridique et la Cour de justice des Communautés européennes ne refuse pas d’examiner si les exigences qui en découlent ont été méconnues. Il ne s’agit pas pourtant d’un phénomène « de mode » puisque la sécurité juridique est apparue très tôt dans la jurisprudence communautaire européenne. Dans l’arrêt BOSCH de 1962, il a été affirmé expressément que le principe général de sécurité juridique est une « règle de droit à respecter dans l’application du traité ». Cette affirmation est le point de départ ayant permis à la Cour de se pencher sur la portée et le contenu qu’il convient d’attribuer à ce principe, ainsi que sur les expressions spécifiques qu’il revêt dans les différents domaines d’action de la Communauté.
des aléas et de revirements impromptus affectant les normes de droit »227. Il s’agit de l’idéal de fiabilité d’un droit accessoire et compréhensible, qui permet aux sujets de droit de prévoir raisonnablement les conséquences juridiques de leurs actes ou comportements et qui respectent les prévisions légitimes déjà bâties par les sujets de droit dont ils favorisent la réalisation. Le droit offre ainsi à l’intégration économique un cadre privilégié de sécurité. Il est d’ailleurs évident que l’harmonisation jurisprudentielle, lorsqu’elle émane d’une juridiction communautaire, élimine les conflits de lois dans les relations commerciales ainsi que leurs fâcheuses conséquences en matière d’intégration économique. Le droit communautaire appliqué par le juge doit l’être dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique dont le principe permet de réaliser les objectifs communautaires. La sécurité juridique est, avant tout, garantie par la qualité de la loi. Cette dernière doit être normative, c’est-à-dire prescrire, interdire et sanctionner. La norme communautaire ne doit donc pas être de nature à créer un doute sur l’effet réel de ses dispositions. En outre, la norme doit être intelligente. L’intelligence implique la lisibilité autant que la clarté et la précision des énoncés ainsi que leur cohérence. Le principe de sécurité juridique suppose que la jurisprudence harmonisée soit prévisible et que les situations juridiques qui y sont issues restent relativement stables. La sécurité juridique implique ainsi une correcte application de la norme communautaire par le juge. Elle renvoie, dans le domaine de l’harmonisation de la jurisprudence, à la stabilité, à la clarté et à la prévisibilité de la jurisprudence. De même, le droit, en tant qu’instrument de sécurité228, doit participer
227
M. HEERS, « La sécurité juridique en droit administratif français : vers une consécration du principe de confiance légitime ? », RFDA, septembre-octobre 1995, 11 (5), p. 963. 228
Cf. N. ALIPRANTIS, « La sécurité juridique sous
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au respect du principe de la non-rétroactivité et de la notion des droits acquis. On constate aujourd’hui que la sécurité juridique étant érigée en règle ou en principe de droit, le citoyen en devrait être le premier bénéficiaire dans le processus d’intégration économique et l’autorité communautaire, le destinataire. Ainsi, le contenu juridique d’un tel principe serait faible s’il ne fait à l’autorité aucune obligation, ne serait-ce que celle de se limiter. Placé dans le cadre de l’intégration économique, ce constat signifie que l’exigence de clarté, de prévisibilité et de protection des règles de droit et des situations qui en découlent est un principe qui bénéficie, d’abord, aux destinataires des décisions prises par les institutions. Il conditionne, ensuite, l’action des autorités nationales quand elles transposent et appliquent le droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux. Enfin, lorsque les exigences de la sécurité juridique sont respectées, ce sont la crédibilité et la solidité du processus d’intégration économique dans son ensemble qui s’en trouvent renforcées. En effet, conscients qu’il est essentiel que le droit communautaire découlant du traité et textes subséquents soit appliqué dans les conditions propres à garantir la mise en place d’une jurisprudence harmonisée229, les pères fondateurs des organisations d’intégration en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, en créant la Cour de Justice Communautaire, ont manifesté leur volonté de donner un souffle nouveau au processus d’intégration dans la sous-région. Ainsi, les Cours de justice des organisations d’intégration économique, institutions supranationales, sont chargées de réaliser, par leurs décisions, l’harmonisation des jurisprudences dans les matières relevant du domaine des traités. Il s’agit d’harmoniser,
l’angle de la théorie générale du droit », Conférence sur « La sécurité juridique », Programme de la Session d’École Doctorale Thématique sur la Sécurité, Yaoundé, 16-20 février 2004. 229
Cf. Préambule de la convention régissant la Cour de justice de la CEMAC révisée le 30 janvier 2009.
entre autres, les règles de conflit de lois. En le faisant, les instances juridictionnelles assurent la sécurité juridique dans le processus d’intégration économique230. L’harmonisation jurisprudentielle au sein de la CEMAC et de l’UEMOA s’opère tant au niveau des décisions prises par les juridictions nationales231, statuant comme juridictions communautaires, qu’au niveau des arrêts rendus par la Cour de Justice Communautaire232. Elle permet de
230
Cf. A.L. NGUENA DJOUFACK, Sécurité juridique et droit communautaire, op cit, pp. 337 et s. 231
S’agissant de l’harmonisation opérée au niveau des décisions prises par les juridictions nationales, il y a lieu de relever que les juges nationaux en leur qualité de juges communautaires vont rendre des décisions qui, par leur homogénéité, formeront désormais la jurisprudence. 232
S’agissant de l’harmonisation opérée au niveau des arrêts de la Cour de Justice Communautaire, elle s’obtient par le biais de la sécrétion autonome d’une jurisprudence sous-régionale. La construction de cette jurisprudence harmonisée au plan sous-régional est le fruit des décisions que la Cour de justice rend dans les litiges relevant de sa compétence. C’est le cas, par exemple, des différends nés entre l’UEMOA et les agents des institutions et organes de l’Union, à l’exception de ceux régis par des contrats de droit local. Au sein de la CEMAC, par exemple, la matière jurisprudentielle à harmoniser concerne les litiges opposant la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) aux établissements de crédit installés dans les Etats membres, le contentieux de l’interprétation des traités et autres actes juridiques de la CEMAC et le contentieux de leur violation (Cf. article 4 de la Convention régissant la C.J.C). La Cour de justice de l’UEMOA s’inscrit dans la même logique. Elle veille à l’interprétation uniforme du droit communautaire ainsi qu’à son application (Cf. article 1
er du protocole
additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA). A cet effet, elle arbitre les conflits entre les Etats membres ou entre l’Union et ses agents. Elle connait du recours en manquement et en appréciation de légalité, du recours du personnel de l’Union, du recours en responsabilité et du recours préjudiciel. Elle est aussi compétente pour émettre des avis et recommandations ainsi que pour rendre des sentences arbitrales (voir article 15 du règlement de procédure n° 01/96/CM/UEMOA du 05 juillet 1996 de la Cour de justice de l’UEMOA). Les décisions rendues par la Cour de justice sont dotées de l’autorité de la chose jugée et de la force exécutoire (Cf. articles 5 de la Convention régissant la CJ C de la CEMAC, 20 de du protocole additionnel UEMOA n°1, 57 du règlement de
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lutter contre l’insécurité juridique résultant de la dégradation incontestable des systèmes judiciaires et plus particulièrement de la manière dont le droit est rendu dans certains Etats membres engagés dans le processus d’intégration économique. Pour consolider l’harmonisation jurisprudentielle, le juge communautaire (au sens large) utilise généralement deux méthodes : la première est l’interprétation systématique. Elle signifie que « chaque disposition de droit communautaire doit être placée dans son contexte et interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités et de l’état de son évolution »
233. Elle trouve son complément dans la seconde méthode qualifiée d’interprétation téléologique. Cette dernière s’établit en fonction des buts poursuivis par le traité. Naturellement, elle s’avère extrêmement orientée vers des perspectives d’intégration, étant donné les objectifs vastes assignés à la Communauté ou à l’Union. Les aspects techniques de cette procédure d’interprétation permettent à la Cour, en coopération avec les juges communautaires nationaux, de remplir cette mission dont les modalités sont fixées par la convention, les statuts et les règles de procédure de la CJC234. Cette démarche tient sa justification de la nécessité d’imposer aux différentes règles de procédures de la Cour de Justice de l’UEMOA). 233
CJCE, 06 octobre 1982, CILFIT, (283/81). Rec. 1985, p.3415.
234 Du côté de la CEMAC, cf. articles 17 et suivants de la
convention régissant la CJC; 48 (b-1) de l’acte additionnel n° 6/00/CEMAC-041-CCE-C.J.- 02 du 14 décembre 2000 portant statuts de la chambre judiciaire de la CEMAC; 9 et suivants de l’acte additionnel n° 5/00/CEMAC-041-CCE-CI-02 du 14 décembre 2000 portant règles de procédure devant la chambre des comptes ; 7 et suivants de l’acte additionnel n°4/00/CEMAC-041-CCE-C.J-02 du 14 décembre 2000 portant règles de procédure devant la chambre judiciaire de la CEMAC. Du côté de l’UEMOA, voir le protocole additionnel n° 1 du 19 décembre 2001 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA (Cour de justice et Cour des comptes) ; voir aussi le règlement de procédure devant la Cour de justice de l’UEMOA signé le 05 juillet 1996.
droit communautaire, une interprétation uniforme, seule compatible avec le maintien de la cohérence et de l’homogénéité du système. C’est pour répondre à cette nécessité que le législateur communautaire a doté la Cour de cette fonction d’interprétation sur renvoi des juges nationaux saisis de litiges mettant en cause le droit communautaire. A cette occasion, elle est chargée, non pas de trancher elle-même ces litiges, mais de délivrer l’interprétation des dispositions concernées du droit communautaire. Cette interprétation objective, qui s’impose erga omnes, s’incorpore à la norme interprétée qui devra désormais être lue, comprise et appliquée dans le sens que lui a donné le juge interprète235. Ladite interprétation opérée par la Cour permet aux juridictions nationales de rendre des décisions harmonisées, gage de sécurité juridique et de consolidation du processus d’intégration économique. Les juridictions communautaires au sein de la CEMAC et de l’UEMOA sont ainsi tenues de poser clairement les jalons et d’assurer l’édification d’une jurisprudence claire, prévisible et accessible. Elles doivent exposer des positions jurisprudentielles conférant une meilleure certitude juridique et une prévisibilité judiciaire, condition d’une sécurité accrue. Cette jurisprudence harmonisée doit mettre au pas ou redresser certains juges auparavant laxistes et moins performants. Quoi qu’il en soit, la sécurité juridique est un élément indispensable pour l’affermissement de l’intégration économique. Emanant, entre autres, de l’harmonisation de la jurisprudence communautaire, cette sécurité juridique contribue de manière significative à l’attraction des investisseurs.
2) L’attraction des investisseurs L’harmonisation de la jurisprudence est un élément favorable à la sécurité juridique des
235
Cf. J. BOULOUIS, Droit institutionnel des Communautés européennes, Paris, Montchrestien, 1984, p.151.
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investissements. Elle vise, entre autres, à répondre aux exigences de l’intégration économique à travers l’union d’un ensemble de pays qui espère de la sorte attirer de plus en plus les investisseurs. Ces investisseurs, qui peuvent être nationaux ou internationaux, ne doivent réaliser leurs affaires que dans un climat de sécurité juridique. L’harmonisation de la jurisprudence contribue ainsi à la solidification de cette sécurité juridique qui reste un facteur d’attraction des investissements et, conséquemment, un instrument de développement de l’intégration économique. Le droit communautaire appliqué par le juge doit l’être dans des conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques afin de garantir l’essor de celles-ci et d’encourager l’investissement. Le principe de sécurité juridique issu de l’harmonisation juridique permet de réaliser les objectifs principaux des Etats et des entreprises. Il suscite le développement des investissements. L’un des objectifs visés par les textes communautaires UEMOA et CEMAC est d’atteindre une sécurité juridique favorable à un accroissement des investissements dans leur espace. L’harmonisation de la jurisprudence au sein de ces deux espaces doit donc être de nature à garantir une sécurité juridique des activités économiques. Cette sécurité juridique en matière d’investissement relève d’un impératif absolu236. Elle est, au regard de ses vertus, une première valeur à atteindre en matière d’investissement237. L’insécurité juridique se manifeste par des variations de décisions de justice qui sont fonction du juge, de ses affinités ou objectifs, des contingences auxquelles il est soumis. Ce qui explique qu’un doute entoure les
236
B. TEYSSIE, « L’impératif de sécurité juridique », Le monde du droit, Rédigé en l’honneur de Jacques FOYER, Paris, Economica, 2008, p. 986. 237
P. ROUBIER, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 1946, p. 269 ; A. CRISTAU, « Qui parle de « l’exigence de sécurité juridique » ? », Dalloz, 2002, p. 2815.
procédures quant à l’issue des cas soumis au juge. L’insécurité juridique découle, entre autres, de la qualité de la loi à laquelle s’associe une jurisprudence instable, éparse et aléatoire, une difficile ou mauvaise exécution des décisions judiciaires et des sentences arbitrales, de même qu’une mauvaise formation des magistrats et autres auxiliaires de justice. C’est dans le souci d’éviter cette situation non favorable aux investissements que les législateurs communautaires CEMAC et UEMOA se sont engagés à améliorer la sécurité juridique au profit des investissements en organisant une application uniforme ou du moins harmonisée du droit et une harmonisation de la jurisprudence à travers la fonction juridictionnelle ainsi que la fonction consultative conférées par le traité originaire et autres textes communautaires au juge. On comprend dès lors que la Cour constitue en principe l’un des principaux moteurs de l’intégration juridique communautaire et que la construction d’une jurisprudence harmonisée au sein de l’organisation d’intégration est l’œuvre du juge qu’il soit national ou purement communautaire. Juridiction de la Communauté ou de l’Union dotée de la qualité d’institution chargée de contribuer à la réalisation des buts communautaires à travers la garantie du respect du droit dans l’interprétation et l’application des textes, la Cour dispose ainsi d’une autorité d’autant plus considérable qu’elle n’est tempérée par aucun contrepoids structurel. A travers divers recours qui pourraient la conduire à trancher au fond les différentes catégories de litiges et qui la placeraient ainsi au centre de gravité du système contentieux, la Cour de Justice Communautaire ou la Cour de Justice de l’Union, parce qu’investie par les textes communautaires d’une fonction fondamentale, celle de donner au droit communautaire la seule interprétation authentique, contribuera sans nul doute à la mise en place d’une jurisprudence
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harmonisée. Cette jurisprudence communautaire harmonisée permet de construire une source de droit fiable. Elle entraine la stabilité des situations juridiques. Cette stabilité est propice au développement des investissements. C’est pourquoi, l’harmonisation de la jurisprudence occupe une place fondamentale dans l’édification de l’intégration économique car, à côté de la sécurité juridique qu’elle contribue à instaurer et à solidifier, elle favorise les investissements. Ainsi, l’harmonisation, qu’elle soit des législations nationales ou de la jurisprudence, permet de réaliser les objectifs communautaires. A l’épreuve des faits, l’UEMOA dans le domaine réalise un réel progrès238. La CEMAC, quant à elle, reste encore fortement handicapée en la matière par de nombreuses lacunes à la fois formelles et matérielles239. On comprend dès lors que l’harmonisation juridique n’est pas un long fleuve tranquille en matière d’intégration économique. Elle comporte des limites. Pour ceux qui s’opposent à cette technique juridique, le choix de l’harmonisation a pour conséquence de fragmenter le droit communautaire. Il nuit à l’unité de sa compréhension et à la constance de son efficacité. Dans cette perspective, les concepts intermédiaires que la législation communautaire emploie pour définir ses prescriptions peuvent recevoir des acceptions différentes selon les pays240. L’harmonisation peut donc être source d’aléas juridiques. Cette situation est de nature à
238
Cf. D. BGETNKOM, D. AVOM, « Intégration par le marché : le cas de l’UEMOA », in Région et Développement, 2005, n° 22, pp. 85 et s.; Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique, Bureau sous régional de l’Ouest, L’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, ECA-WA/PUBREC, 2013, pp. 19 et s. 239
Lire G. JIOFACK KITIO, Les difficultés de l’intégration sous-régionale en Afrique centrale : le cas de l’UDEAC/CEMAC, Mémoire DEA, Droit communautaire et comparé en UDEAC/CEMAC, FSJP, Université de Dschang, 1999, pp. 17 et s.; 240
Cf. F. VIANGALLI, La théorie des conflits de lois et le droit communautaire, Paris, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004, p. 411.
modifier la portée exacte des normes d’intégration économique et du but voulu par le législateur communautaire. Malgré tout, les critiques formulées à l’encontre de cette technique juridique ne doivent pas faire perdre de vue ses qualités en matière d’intégration économique telles qu’évoquées ci-dessus. Conclusion. L’uniformisation et l’harmonisation juridiques au sein de la CEMAC et de l’UEMOA sont des formes d’orientation du droit communautaire sous-régional et des techniques susceptibles de favoriser l’affermissement du processus d’intégration économique. Avec ces techniques juridiques, on met en place une homogénéité normative de nature à mieux coordonner les économies, restaurer la confiance, attirer les investisseurs qui se sentiront en sécurité, faciliter les échanges entre les pays, développer un secteur privé performant et rapprocher les peuples qui partageront la même culture juridique. Sous cet angle, les techniques juridiques d’intégration instaurent une certaine cohérence dans le fonctionnement des institutions communautaires ainsi que dans l’ordre juridique national et communautaire. Les vertus reconnues aux techniques juridiques d’intégration en Afrique noire francophone en général et dans les zones CEMAC et UEMOA en particulier n’occultent cependant pas de nombreuses difficultés qui continuent d’affecter le processus de regroupement économique. Aux difficultés formelles, tenant au micro-nationalisme exacerbé ou au faible engagement politique des Etats, surtout au sein de la CEMAC, se sont ajoutées les difficultés matérielles relatives au sous-développement et aux inégalités de développement. Il y a lieu de susciter un sursaut d’engagement des Etats membres dans le processus d’intégration économique. A cet effet, il faut redéfinir clairement ce que chaque Etat apporte dans le processus et ce qu’il gagne en
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retour car, pas d’intérêt, pas d’action. La nouvelle impulsion en matière d’intégration dans les zones CEMAC et UEMOA nécessite la mobilisation de nouvelles ressources à la fois juridiques, économiques et politiques. Sur le plan juridique, le succès de tout processus d’intégration économique reste tributaire de la force du droit qui l’encadre. Or, la force du droit dépendra de l’engagement politique des dirigeants au niveau de son élaboration et de sa mise en œuvre. Sur le plan économique, la sous-région a besoin de moyens financiers pour traduire en actes concrets certaines normes communautaires241. A tout cela, il faut associer la volonté politique des Etats membres engagés dans le processus d’intégration. La force de cette volonté politique reste tributaire des enjeux en présence. Le législateur communautaire doit ainsi traduire en termes juridiques ce nouvel engagement en évitant autant que possible le prêt-à-porter juridique en cette matière et en prenant en compte les réalités économiques, politiques, sociales et culturelles de la sous-région242. 241
C’est le cas, par exemple, des normes relatives à la construction des infrastructures de communication ou de transport et des équipements y relatifs, afin de faciliter au sein de l’organisation d’intégration la libre circulation des facteurs de production. 242
Le droit de l’intégration en Afrique a été pour l’essentiel considéré comme un droit d’importation. Les organisations sous-régionales africaines ont, en grande partie, refusé d’inventer et se sont cantonnées à reproduire parfois intégralement le droit européen de l’intégration. Pour le professeur Louis BALMOND, en Afrique, la quasi-totalité des regroupements
économiques « naissent dans la ferveur des salles de
réunion avec des vœux pour la réussite de projets ambitieux, lesquels sommeillent ensuite faute d’avoir suffisamment pris en compte toutes les données objectives influençant le projet » (L. BALMOND, Intégration économique et droit des organisations internationales, Thèse Droit, Nice, 1981, p.158). Dans cette perspective, ajoute le Professeur Maurice KAMTO, « le traité est conçu pour lui-même, en faisant abstraction de la réalité qui dresse autant d’obstacles au projet d’intégration » (M. KAMTO, « La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) : une Communauté de plus ? », op cit, p. 852).
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La violation du droit à un environnement sain dans la mise en œuvre des
contrats miniers : responsabilité des Etats africains et réparation du préjudice
subi.
Par Nature de Destin Andosmoui, Doctorant en droit à l’Université de Montréal, LL. D., Associate
Fellow au Centre de Droit International de Développement Durable (CDIDD/CISDL), Membre
Etudiant Associé du Centre Interdisciplinaire de Recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient
(CIRAM)
Introduction.
La révolution industrielle et ses corolaires, les
progrès scientifiques et techniques, ont
engendré de nombreuses conséquences sur
l’environnement. De nos jours, cette tendance
s’est encore amplifiée car l’homme est de plus
en plus victime des défaillances de méthodes
et techniques d’exploitation des matières
premières.
Les dommages causés sont relayés par de
nouveaux concepts tels que les préjudices
« sériels » ou de « masse ». Le droit se trouve
ainsi confronté aux difficultés nées des besoins
d’indemnisation de ces préjudices d’un
nouveau genre. Avec la valorisation de la
personne humaine, les citoyens sont amenés à
exiger, par le biais de la procédure de
responsabilité civile, toujours un peu plus à
l’Etat243
.
En « procédure de responsabilité civile, le
responsable d’un dommage entretient
nécessairement avec celui-ci une relation plus
ou moins étroite » même s’il n’en est pas
l’auteur244
. L’un des principaux objectifs de
cette procédure réside à cet effet dans
l’établissement de la responsabilité civile de
l’auteur d’un dommage ou préjudice subi par
autrui.
Il sied de rappeler à titre indicatif que cette
responsabilité est soit délictuelle soit
contractuelle. Elle est contractuelle si le
dommage résulte d’une inexécution des
clauses contractuelles, par contre elle est
délictuelle ou extracontractuelle à différents
243
Patrice Jourdain, Les principes de la responsabilité
Se rendre à la Librairie Primo 255, Avenue des 1ers jeux africains Bacongo, Brazzaville Face au Stade Marchand, à côté de la DEC Générale Tél : +242 22 613 37 72
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