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RENA\
Qu'est-ce
qu'une nation ?
ALE
cOrus
COPIAS:na
V ' P A S T A
C-
C
reA adr
A c
ti
clateir
Postface de
Nicolas Tenzer
Illustrations de
Karine Daisay
EDITIONS MILLE ET UNE NUIT4
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H E N A N
n°
17 8
Texte integral
Sommaire
Ernest Renan
Qu'est-ce qu une nation ?
page 5
Nicolas Tenzer
Double nation ou n ation impossible ?
page 37
V ie de Ernest Renan
page 43
Reperes bibliographiques
page
47
Notre adresse Internet: www.1001nuits.corn
© Editions Mille et une nuits, novembre 1997,
pour la presente edition.
ISBN : 2-84205-178-5
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0
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6
C AR T E
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D1 DETTI r t
toss
t
RENAN
Qu'est-ce qu'une nation ?
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Veleble dl: sca4es 1 petalt
de le data
d Inaistion
H4054
Qu'es e qu'une nation ?
Je me pro pose d'analyser avec vous un e idee, claire en
apparence, mais qui prete aux plus dangereux malenten-
dus. Les formes de la societe humaine sont des plus
variees. Les grandes agglomerations d'hommes it la facou
de la Chine, de l'Egypte, de la plus ancienne Bahvlonie :
— la tribu a la facon des Hebreux, des A rabes ; — la cite it
la fawn d'Athenes et de Sparte; — les reunions de pays
divers a la manire de l'Empire carlovingien ; — les com-
munautes sans patrie, mainienues par le lien religieux,
comme sont celles des Israelites, des Parsis; — les nations
comm e la France, l'A ngleterre et la plupart des modernes
autonomies europeennes ; — les confederations a la fawn
de la Su isse, de l 'Am erique; — des parentes comm e celles
que la race, ou plutOt la langue, etablit entre les diffe-
rentes branches de Germains, les differentes branches de
Slaves ; — voila des m odes de groupements qui tous exis-
tent, ou bien ont existe, et qu'on ne saurait confondre les
uns avec les a utres sans les plus serieux inconvenients. A
l'epoque de la Revolution francaise, on croyait que les
institutions de petites villes independantes, telles que
Sparte et Rome, pouvaient s'appliquer a nos grandes
nations de trente a quarante millions d'Ames. De nos
7
7..."'We-'"'*41:241SMIPag*
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RENAN
jours, on comma une erreur plus grave : on confond la
race avec la nation, et l 'on attribue
a
des groupes ethno-
graphiques ou plutOt linguistiques une souverainete ana-
logue a celle des peuples reellement existants. Tachons
d'arriver a quelque precision en ces questions difficiles,
oil la moindre confusion su r le sens des mo ts, a l'origine
du raisonneinent, peut produire a la fin les plus funestes
erreurs. C e que no us allons faire est delic,at ; c'est presque
de la vivisection; no us allons traiter les vivants com me
d'ordinaire on traite les morts. Nous y m ettrons la froi-
deur, l'impartialite la plus absolue.
I
Depu is la fin de l 'Empire romain, ou. mieux, depuis
la dislocation de l'Empire de Charlemagne, l'Europe
occidentale nous apparait divisee en nations, dont
quelques-unes, a certaines
Apoques,
ont cherche
a
exer-
cer une hegem onie sur les autres, sans jamais y reussir
d'une maniere durable. C e que n'ont pu C harles-Quint,
Louis XIV, Napoleon l
e r ,
personne probablement ne le
pourra dans l'avenir. L'etablissement d'un nouvel
Empire romain ou d'un nouvel Empire de C harlemagne
est devenu une impossibilite. La division de l'Europe est
trop grande pour qu'une tentative de domination uni-
verselle ne provoque pas tres vite une coa lition qui P asse
rentrer la nation ambitieuse dans ses bornes naturelles.
Une sorte d'equilibre est etabli pour longtemps. La
France, l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie seront
encore, dans des centaines d'armees, et malgre les aven-
tures qu'elles auront courues, des individualites histo-
riques, les pieces essentielles d'un damier, dont les ca ses
varient sans cesse d'importance et de grandeur, mais ne
se confondent jamais tout a fait.
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H•NAN
QU UNE NATION 7
Les nations, entendues de cette maniere, sont qu•hinc
chose d'assez nouveau clans 1'Histoire. L'A ntiquite ne les
comiut pas ; I'Lgypte, la Chine, l'atitique Chaldee
furent a aucun degre des nations. C'etaient des rim -
peaux
menes
par un fils du S oleil, ou un fils du C iel.
II
n'y eut pas de citoyens egyptiens, pas plus qu'il n'y a de
citoyens chinois. L'Antiquite classique eut des repu-
bliques et des royautes municipales, des confederations
de republiques locales, des em pires; elle n'eut g uere
nation au sens ou nous la comprenons. A thenes, Sparta.
Sidon, Tyr sont de petits centres d'admirable patrio-
tisme ; mais
ce
sont des cites avec un territoire
relative-
men t restraint. La Gaule, l 'Espagne, l 'Italie, avant leur
absorption clans l'Empire romain, etaient des ensembles
de peuplades, souvent liguees entre elles, mais sans insti-
tutions centrales, saris dynasties. L'Empire assyrien,
l'Empire persan, l'Empire d'Alexandre ne furent pas non
plus des patries. II n'y eut jamais de patriotes assyriens ;
l 'Empire persan fut une vaste feodalite. P as une nation
ne rattache ses origines a la colossale aventure
d'Alexandre, qui fut cependant si riche en consequences
pour l'histoire generale de la civilisation.
L'Empire rom ain fut Bien plus pros d'être une patrie.
En retour de l'immense bienfait de la cessation des
guerres, la domination romaine, d'abord si dure, fut Bien
vite aimee. Ce fut une grande association, synonvme
d'ordre, de paix et de civilisation. Dans les derniers
temps de l'Empire, it y eut, chez les Ames elevees, chez
les eveques eclaires, chez les lettres, un vrai sentimen t de
la paix romaine opposee au chaos menacant de la
10
barbaric. Mais un En ipire, douze fois grand coimne
France act tide, ne saurait former
un
Etat clans l'accep-
moderne. La scission de l 'Orient et de l 'Occident
etait inevitable. Les essais d'un Empire gaulois, au I V
siecle, ne reussirent pas. C 'est l'invasion germanique
introduisit dans le monde le principe qui, plus tard, a
servi de base a l'existence des na tionalites.
Que firent les peuples germaniques, en effet, depuis
leurs grandes invasions du V
e
siecle jusqu 'aux dernieres
conquetes normandes au
x
e
? Ils changerent peu le fond
des races; mais ils imposerent des dynasties et une aris-
tocratic militaire a des parties plus ou m oins conside-
rabies de l'ancien Empire d'Occident.. lesquelles pri rent
le nom de leurs envahisseurs. De la une France, tine
Burgondie, tine Lombardie; plus tard, une Normand ie.
La rapide prepon derance que prit l 'Empire franc refait
un moment ('unite de l'Occident; mais cet Empire se
wise irremediablement vers le milieu du ix
e
siecle ; le
traite de. V erdun trace des divisions immuables en prin-
cipe, et des lors la France, l'Allemagne, l'Angleterre,
Mahe, l'Espagne s'acheminent, par des voles souvent
detournees et a travers mille aventures, a leur pleine
existence nationale, telle que nous la voyons s'epanouir
aujourd'hui.
Qu'est-ce qui caracterise, en effet, ces differents
Etats ? C'est la fusion des populations qui les composent.
Dans les pays que nous venon s d'enumerer, rien d'ana-
logue a ce que vous trouverez en Turquie, oa le Turc, le
Slave, le Grec, l'A rmenien, l 'A rabe„ le S yrien, le Kurde
sont aussi distincts aujourd'hui qu'au
jour
de la
zoofr remv
.;•:-,: --.,,..-vmdliladr1111;
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RI
QUEST-CE WOW. NATION ?
conquete. Deux circonstances ,ciu idles
contribuerent
A
ce
resultat.
D'abord
le fait
que
les peuples germaniques
adopterent le christianisme des (
l'ils eurent des contacts
un peu suivis avec les peuples grecs et latins. Quand le
vainqueur et le vaincu sont de la m eme religion, ou plu-
tOt, quand le vainqueur adopte la religion du vaincu, le
systeme turc, la distinction absolue des hommes d'apres
la religion, ne peut plus se produire. La seconde circons-
tance fut, de la part des conquerants, l'oubli de leur
propre langue. Les petits-fils de C lovis, d'A laric, de Gon-
debaud, d'A lboin, de Rollon, parlaient deja roman . C e
fait etait
lui-meme
la
confequence
d'une autre
particula-
rite importante : c'est que les Francs, les Burgondes, les
Goths, les Lombards, les Normands avaient tres peu de
femm es de leur race avec eux. P endant plusieurs gene-
rations, les chefs ne se marient qu'avec des femmes ger-
maines ; m ais leurs concubines sont latines, les nourrices
des enfants sont latines ; toute la tribu epouse des
femm es latines ; ce qui fit que la
lingua francica,
la lin-
gua gothica
n'eurent, depuis l 'etablissement des Francs
et des Goths en terres romaines, que de tres courtes des-
tinies. Il n'en fut pas ainsi en Angleterre ; car l'invasion
anglo-saxonne avait sans doute des femmes avec elle; la
population b retonne s'en fuit, et, d'ailleurs, le latin n'etait
plus, ou meme, ne fut jamais dominant dans la Bretagne.
S i on efit generalernent parle gaulois dans la Gaule, au
v
siecle, C lovis et les siens n'eussent pas aband onne le
germanique pour le gaulois.
De lA ce resultat capital que,
malgre l 'extrem e
violence des
mceurs
des envahisseurs germains, le moule
12
qu'ils imposerent devint, avec les siecles, le moule m eme
de la nation.
France
devint tres legitimement le nom
d'un pays ou it n 'etait entre qu'une imperceptible mino-
rite de Francs. A u x
e
siecle, dans les premieres chansons
de geste, qui sont un miroir si parfait de l'esprit du
temps, tous les habitants de la France sont des Francais.
L'idee d'une difference de races dans la population de la
France, si evidente chez Gregoire de T ours, ne se pre-
sente
a
aucun degre chez les ecrivains et les poetes fran-
cais posterieurs a Hugues C apet. La difference du noble
et du vilain est aussi accentuee que possible; mais la dif-
ference de l'un a l'autre n'e st en rien une difference eth-
nique ; c 'est une difference de courage, d'habit:Ades et
d'education transmise hereditairement; l 'idee
'ori-
gine de tout cela soit une conquete ne vient
personne. Le faux systeme d'apres lequel la noblesse dut
son origine a un privilege confere par le roi pour de
grands services rendus a la nation, si bien que tout noble
est un anobli, ce systeme est etabli comme un dogme des
le mil
e
siecle. La meme chose se passa a la suite de
presque toutes les conquetes normandes. A u bout d'une
ou deux generations, les envahisseurs normands ne se
distinguaient plus du reste de la population ; leur
influence n'en avait pas moins ete profonde ; ils avaient
donne an pays conquis une noblesse, des habitudes mili-
taires, un patriotisme qu'il n 'avait pas auparavan t.
L'oubli, et je dirai mem e P erreur historique, sont un
facteur essentiel de la creation d'une n ation, et c'est ainsi
que le progres des etudes historiques est souvent pour la
nationalite un danger. L'investigation historique, en
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HENAN
nernet en lumiere les faits de violence qui se sont
passes a l'origine de routes les formations politiques,
de celles dons les consequences ont ete, les plus
hicri
isantes. L'unite se fait toujours brutalement ; la
nett tlicat de la France du Nord et de la France du Midi a
ete
le
resultat d'une extermination et d'une tet-reur conti-
wa
l
e pendant pros d'un siecle. Le roi de France, qui est,
- s i j
ose le dire, le type ideal d'un cristallisateur seculaire;
le roi de France, qui a fait la plus parfaite unite natio-
liale (
i tt
il y an; le roi de France, vu de trop pres, a perdu
sou prestige: la nation qu'il avait formee l'a maudit, et,
aujull
y
d llui. it
n'y a que les esprits cultives qui sachent
valait et ce qu'il a fait.
.
cst par
le contraste que ces grandes lois de I'histoire
th•
[Europe occidentale deviennent sensibles. Dans
Vent reprise que le roi de France, en partie par sa tyran-
(11
pantie par sa justice, a si admirablement menee
ht‘aucoup de pays ont echoue. Sous la couronne
lc
sa
11I
Etienne, les Magyars et les Slaves sont restes
aussi
(list
incts qu'ils l'etaient it y a bait cents ans. Loin
de lot idre les elements divers de ses do maines, la maison
de I lakshourg les a term s distincts et souvent oppo ses les
1111 .
air illlires.
En Boheme, ]'element tcheque et Pete-
mein allemand sont superposes comme l'huile et l'eau
(Luis
1111
verre. La politique turque de la separation des
natimialites d'apres la religion a en de bien plus graves
consequences : elle a cause la ruine de l'Orient. Prenez
‘
ille
comme Salonique ou Smyrne, vous y trouyerez
c'ii1(1 oti
six cornmunautes clout chaculle a ses souven irs et
1111 11
on 1
ent
re
elks presque rien en commun.
Or
QU'EST-CE QU'UNE NATION ?
l'essence d'une nation est que tons les individus aient
beaucoup de choses en commun, et aussi que tons agent
oublie bien des choses. A ucun citoyen francais ne sait s 'i l
est burgonde, alain, talfale, visigoth; tout citoyen fran-
gais doit avoir oublie la Saint-Barthelemy, les massacres
du Midi au xiii
e
siecle. II n'y a pas en France dix families
qui puissent fournir la preuve d'une origine franque, et
encore une telle preuve serait-elle essentiellement defec-
tueuse, par suite de mille croisements inconnus qui pen-
vent deranger tous les systemes des genea logistes.
La nation moderne est done un resultat historique
amene par une serie de faits convergeant dans le meme
sens. TantOt l'unite a etc realisee par uric dynastic,
comme c'est le cas pour la France; tantht elle Pa etc par
la volonte directe des provinces, comm e c'est le cas pour-
la Hollande, la Suisse, la Belgique; tant81 par un esprit
general, tardivement vainqueur des caprices de la feoda-
hte, comme c'est le cas pour l'Italie et l'Allemagne. Tou-
jours une profonde raison d'etre a preside a ces forma-
tions. Les principes, en pareils cas, se font jour par les
surprises les plus inattendues. Nous avons vu, de nos
jours, l'Italie unifiee par ses defaites, et la Turquie demb-
lie par ses victoires. Chaque defaite avancait les affaires
de l'Italie; chaque victoire perdait la Turquie; car l'Italie
est une nation, et la Turquie, hors de l'Asie Mineure, n'en
est pas une. C'est la gloire de la France d'avoir, par la
Revolution francaise, proclame qu'une nation existe par
elle-meme. Nous ne devons pas trouver mauvais qu'on
nous imite. Le principe des nations est le nOtre. Mais
qu'est-ce donc qu'une nation ? Pourquoi la Hollande est-
15
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HENAN
elk une nation, tandis que le Hanovre ou le grand-duche
de Parme n'en sont pas une ? Comment la France per-
siste-t-elle a titre une nation, quand le principe qui l'a
creee a disparu ? Comment la Suisse, qui a trois langues,
deux religions, trois ou quatre races, est-elle une nation,
quand la Toscane, par exemple, qui est si homogene,
n'en est pas une ? Pourquoi I'Autriche est-elle un Etat et
non pas une nation ? En quoi le principe des nationalites
differe-t-il du principe des races ? Voila des points sur
lesquels un esprit reflechi tient a titre fixe, pour se mettre
d'accord avec lui-meme. Les affaires du monde ne se
reglent guere par ces sortes de raisonnements ; mais les
hommes appliques veulent porter en ces matieres
quelque raison et demeler les confusions
s'embrouillent les esprits superficiels.
A
entendre certains theoriciens politiques, une nation
est avant tout une d
y
nastic, representant une ancienne
conquete, conquete acceptee d'abord, puis oubliee par la
masse du peuple. Selon les politiques dont je parle, le
groupement de provinces effectue par une dynastic, par
ses guerres, par ses mariages, par ses traites, finit avec la
dvnastie qui l'a forme. II est tres vrai que la plupart des
nations modernes ont etc faites par une famille d'origine
feodale, qui a contracts m ariage avec le sol et qui a cite en
quelque sorte un noyau de centralisation. Les limites de la
France en 1 789 n 'avaient rien de n aturel ni de necessaire.
La large zone que la maison capetienne avail. ajoutee
l'etroite lisiere du traits de Verdun fut biers l'acquisitiori
personnelle de cette maison. A l'epoque ou furent faites les
annexions, on n'avait l ' idee ni des limites naturelles,
ni
du
droit des nations, ni de la volonte des provinces. La
reunion de l'Angleterre, de I'lrlande et de l'Ecosse fut de
mem e un fait dynastique. L'Italie n'a tarde si longtemp s a
titre une nation que parce que, parmi ses nornbreuses mai-
sons regnantes, aucune, avant notre siecle, ne se
fit
le
17
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RENAN
centre de runite. Chose strange, c'est a l'obscure ile de
Sardaigne, terre a peine italienne, qu'elle a psis un titre
royal. La Hollande, qui s 'est creee elle-meme, par u n acte
d'heroique resolution, a neanmoins contracts un mariage
intime avec la maison d'Orange, et elle courrait de vrais
dangers le jour ou cette union serait comprom ise.
tine telle loi, cependant, est-elle absolue ? Non, sans
doute. La Suisse et les Etats-Unis, qui se sont formes
comme des conglomerats d'additions successives, n'ont
tincture base dynastique. Je ne discuterai pas la question
en ce qu i concerne la France. II faudrait avoir le secret de
l 'aivenir. Disons seulement que cette grande royaute fran-
caise avait etc si hautement nationals, que, le lendemain
de sa chute. la nation a pu tenir sans elle. Et puis le
XVI11c
siecle avait change toute chose. L'homme etait revenu,
apres des siecles d'abaissement, a l'esprit antique, au res-
pect de lui-merne, a bides de ses droits. Les mots de
patrie et de citoyen avaient repris leur sens. Ainsi a pu
s'accomplir I
operation la plus hardie qui ait etc prati-
quee dans l'Histoire, operation que l'on peut comparer
cc que serait, en physiologic, la tentative de faire vivre
en son identite premiere un corps
a
qui l'on aurait enleve
le cerveau et le comr.
11 faut done admettre qu'une nation peut exister sans
principe dynastique, et
Mellle
que des nations
qui ont etc formees par des dynasties peuvent se
separer de cette dynastic sans pour cela censer d'exister.
Le vieux principe qui ne tient compte que du droit des
princes ne saurait plus titre maintenu outre le droit
dynastique, it y a le droit national. Ce droit national, sur
18
Qu EsT-cr vt
\P. NATIo
quel criterium le fonder ? a (pie] signs le commit re ? de
quel fait tangible le faire deriver ?
I. — Dc la race
;
disent plusieurs avec assurai ice.
Les divisions artificielles, resultant de la feo da I tie, des
mariages princiers, des con
res de diplomates, sont
caduques. Ce qui reste ferme et fixe, c'est is race des
populations. Voila ce qui constitue un droit. uric legiti-
mite. La famille germanique. par exem ple, scion In theo-
rie que j'expose, a le droit de reprendre les menthres
spars du germanisme, meme quand ces meinbres ne
demandent pas A se rejoindre. Le droit du germattistne
sur telle province est plus fort que le droit des habitants
de cette province sur eux-mem es. On cree ainsi t ine sorte
de droit primordial analogue
a
celui des rois de droit
divin ; all principe des nations on substitue celui de leth-
nographie. C'est la tine tres grande erreur, (
F
n.. si elle
devenait dominame, perdrait la civilisation europeenne.
A utant le principe des nations est juste et legitime, autant
celui du droit primordial des races est etroit et
plt
in
e
danger pour le veritable progres.
Dan s la tribu et la cite antiques, le fait de la race ava it,
nous le recormaissons, une importance de prem ier ordre.
La tribu et la cite antiques n'etaient qu'une e xtension de la
farnille. A Sparte, a Athenes. tous les citoyens etaient
parents
a
des degres plus ou moins rapproches. II en etait
de mem e chez les B eni-Israel; it en est encore ainsi clans les
tribus arabes. D'Athenes, de Sparte, de la tribu israelite,
transportons-nous dans l 'Empire romain. La sit Elation est
tout autre. Formee d'abord par la violence, puis mainte-
nue par l ' interet, cette grande a gglomeration de villes, de
19
=
nsm
• •
• • • •
:-•
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m m m ou m m
- CE
OE'liNE NATION ?
RENAN
provinces absolumen t differentes, porte a l ' idee de race le
coup le plus grave. Le
christianisme,
avec son caractere
universel et absolu, travaille plus efficacement encore dam
le merne sens. 11 contracte avec l'Empire romain une
alliance intime, et, par l'effet de ces deux incomparables
agents &unification, la raison ethnographique est ecartee
du gouvernemen
t
des choses humaines pour des siecles.
L'invasion des barbares fut, malgre Ies apparences, un
pas de plus dans cette voie. Les decoupures de royaumes
barbares n'ont rien d'ethnographique; elles sont reglees
par la force ou le caprice des envahisseurs. La race des
populations qu'ils subordonnaient etait pour eux la chose
le plus indifferente. Charlemagne refit a sa maniere ce
que Rome avait deja fait : un Empire unique compose
des races les plus diverses ; les auteurs du traits de Ver-
dun, en tracant imperturbableme
nt
leurs deux grandes
lignes du nord au sud, n'eurent pas le moindre souci de
la race des gees qui se trouvaient
a
droite ou
a
gauche.
Les mouvements de frontiere qui s'opererent dans la
suite du Moyen Age furent aussi en dehors de toute ten-
dance ethnographique. Si la politique suivie de la mai-
son capetienne est arrivee
a
grouper
a
peu pros, sous le
nom de France, les territoires de l'ancienne Gaule, ce
n'est pas la un effet de la tendance qu'auraient eue ces
pays a se rejoindre a leurs congeneres. Le Dauphine, la
Bresse, la Proven ce, la Franche-C omte ne se souvenaient
plus d'une origine commune. Toute conscience gauloise
avait peri des le
1 e
siecle de notre ere, et ce n'est que par
une vue d'erudition que, de nos jours, on a retrouve
retrospectivement l'individualite du caractere gaulois.
La consideration
e
tlinographique n'a done CIO pour
rien dans la constitution des nations modernes. La
France est celtique, iberique, germanique. L'Allemagne
est germanique, celtique et slave. L'Italie est le pays
l'ethnographie est la plus embarrasses. Caulois,
Etrusques, Pelasges, Grecs, sans parlor de bien d'autres
elements, s'y croisent dans un indechiffrable melange.
Les lies Britanniques, dans leur ensemble, offrent un
melange de sang celtique et germa in dont les proportions
sont singulierement difficiles a definir.
La verite est
'y a pas de race pure et que faire
reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est
la faire porter sur une chimere. Les plus nobles pays,
l 'An gleterre, la France, l 'Italie, sont ceux
ou
le sang est le
plus mole. L'Allemagne fait-elle a cet egard une excep-
t ion ? Est-elle un pays germ anique pur ? Quelle illusion
Tout le Sud a ete gaulois. Tout l'Est, a partir de 1'Elbe,
est slave. Et les parties que l'on pretend reellement pures
le sont-elles en effet ? Nous touchons ici a un des pro-
blemes sur lesquels it importe le plus de se faire des idees
claires et de prevenir les malentendus.
Les discussions sur les races sont interminables, parce
que le mot race est pris par les historiens philologues et
par les anthropologistes physiologistes dans deux sens
tout a fait differents*. Pou r les anthropologistes, la race a
le meme sens qu'en zoologie ; elle indique une descen-
* C e point a ete developpe clans une conference dont on peut lire l'analyse
dans le bulletin de
l'Association scientifique de France,
10
mars 1878 :
Des services rendus aux sciences historiques par to philologie.
21
20
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IIENAN
QU'EST-CE QU'UNE NATION ?
dance recite. Mlle parente par le sang. Or I
s
etud, le,
langues et de 1
11istoire
ne
as aux mismte
sions que la physiologic. Les m ots de brachyeeph
le.,
de dolichocephales it 'ont pas
de
place en hisioire
lei
t
philologie. Dans le grou pe hum ain qui crea les langues
et la discipline aryennes, it v avail déjà des braeliv4-
phales et des dolichocephales. 11 en faut dire awn In du
groupe primitif qui crea les langues et ]'institution Mites
sentiliques. En d'autres termes, les origines zoologiques
d e 1
.
1iumanite sont enormement anterieures aux origines
de la culture, de la civilisation, du langage. Les groupes
aryen primitif, semitique primitif. touranien primitif
n'avaient aucune unite physiologique. C es groupements
sons
des fa
;
,s historiques qui ont eu lieu a une certaine
epoque, rnettons it v a quinze ou vingt mille ans, tandis
que l 'origine zoo logique de l 'humanite se perd dans des
tenebres incalculables. C e qu'on app elle philologique-
ment et historiquement la race germanique est sfirement
une fam ille been d istincte dans l 'espece hum aine. Mais
est-ce la une famille au sens anthropologique ? Non,
assurement. L'ap parition d e l 'individualite german ique
dans l'histoire ne se fait que tres pen de siecles avant
Jesus-Christ. Apparemment les Germains ne sont pas
sortis de terre a cette epoque. A vant cela, fondus avec
Les S laves dans la grande masse indistincte des S cythes,
ils n'avaient pas leur individualite a part. Un A nglais est
bien un type dans ] 'ensemble de l 'humanite. Or le type
de ce qu'on appelle tres improprement la race anglo-
saxonne n'est ni le Breton du temps de C esar, ni l'A nglo-
S axon de Hengist, ni le Danois de K nut, ni le Normand
de Guillaume le C onquerant; c 'est la resultante de lout
cela. Le Francais n'est ni un Gaulois, ni un Franc, ni un
13urgonde. II est cc qui est sorti de la grande chaudiere
oil, sous la presidence du roi de Fran ce, ont fermente
ensemble les elements les p lus divers. Un habitant de Jer-
sey on de G uernesey ne differe en rien, pour les origines,
de la population normande de la cote voisine. A u XIC
siecle,
e plus penetrant n'efit pas saisi des deux
elites du canal la plus Legere difference. D 'insignifiantes
circonstances font que Philippe-A uguste ne prend pas ces
Iles avec le reste de la Normandie. Separees les tines des
autres depuis pres de sept cents ans, les deux populations
sont devenues non settlement etrangeres les unes aux
autres, mais tout
a
fait disseroblables. La race, comme
nous l'entendons, nous autres, historiens, est done
quelque chose qui se fait et se defait. L'etude de la race
est capitale pour le savant qui s'occupe de l 'histoire de
l'humanite. Elle n'a pas d'application en politique. La
conscience instinctive qui a preside
a
la confection de la
carte d'Europe n'a term au cun comp te de la race, et les
premieres nations de ] 'Europe son t des nations de sang
essentiellernent melange.
Le fait de la race, capital a l'origine, va done toujours
perdant de son importance. L'histoire humaine differe
essentiellement de la zoologie. La race n'y est pas tout,
comm e chez les rongeurs on les felins, et on n'a pas le
droit d'aller par le monde titer le crane des gens, puis
les prendre a la gorge en leur disant : . Tu es notre sang;
to nous appartiens » En dehors des caracteres anthro-
pologiques, it y a la raison, la justice, le vrai, le beau, qui
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HENAN
sont les mettles pour toils. Tenez, cette politique ethno-
graphique n'est pas mire. Vous l 'exploitez aujourd'hui
contre les autres pins vous la voyez se tourner contre
vous-mem es. Est-il certain que les A llemands, qui ont
eleve si haut le drapeau de l'ethnographie, ne verront pas
les S laves venir analyser, a leur tour, les noins des vil-
lages de la Saxe et de la Lusace, rechercher les traces des
Wiltzes ou des O botrites, et demander compte des m as-
sacres et des ventes en masse que les Othons firent de
leurs a
ieux ? Pour taus it est bon de savoir oublier.
J'aime beaucoup l'ethnographie ; c'est une science
d'un rare interet ; Timis
;
comme je la veux libre, je la
veux sans application politique. En ethnographie,
comm e clans toutes les etudes, les systemes changen t ;
c'est la condition du progres. Les limites des Etats sui-
vraient les fluctuations de la science. Le patriotisme
dependrait d'une dissertation plus ou mains paradoxale.
On viendrait dire au patriote : Vous vous trompiez;
vous versiez votre sang pour telle cause; vous croyiez
etre celte ; non„ vous etes germain. » Puis, dix ans apres,
on viendra
vous
dire que vous etes slave. Pour ne pas
fausser la science, dispensons-la de donner un avis dans
ces problemes, ou sont engages tant d'interets. Soyez
sfirs que, si on la charge de fournir des elements a la
diplomatic
.
, on la surprendra bien des fois en flagrant
delis de complaisance. Elle a mieux a faire : deman C lons-
lui tout simplement la verite.
II. — C e que nous veno ns de dire de la race, it faut le
dire de la langue. La langue invite a se reunir ; elle n'y
force pas. Les Etats-Unis et l'Angleterre, l'Amerique
QLi'EST-CE 011'UNE NATION ?
espagnole et l'Espagne parlent la mettle langue et ne
formen t pas une seule nation. A u contraire, la Suisse,
si bien faite, puisqu'elle a etc faite par l'assentiment de
ses differentes parties, compte trois ou quatre langues.
y a dans l'homme quelque chose de superieur a la
langue : c'est la volonte. La volonte de la Su isse d'etre
unie, malgre la variete de ses idiomes, est un fait bien
plus important qu'une similitude souvent obtenue par
des vexations.
Un fait honorable pour la France, c'est qu'elle n'a
jamais cherche a obtenir l'unite de la langue par des
mesures de coercition. Ne peut-on pas avoir les memes
sentiments et les memes p ensees, antler les mem es choses
en des langages differents ? Nous parlioits tout a I'heure
de l'inconvenient qu'il y aurait a faire di.peildre la poli-
tique internationale de l'ethnographie. II n'y en aurait
pas moins a la faire dependre de la philologie comparee.
Laissons a ces interessan tes etudes l 'entiere liberte de
leurs discussions; ne les melons pas a ce qui en altere-
rait la serenite. L'importance politique qu'on attache aux
langues vient de ce qu'on les regarde comme des signes
de race. Rien de plus faux. La Prusse, ou l 'on ne parle
plus qu'allemand, p arlait slave it y a quelques siecles; le
pays de Galles parle anglais ; la Gaule et l'Espagne par-
lent l'idiome primitif d'Albe la Lon gue; 1'Egypte parle
arabe ; les exemples sont innombrables. Mettle
aux origines, la similitude de langue n'entrainait
pas la similitude de race. Prenons la tribu proto-aryenne
ou proto-semite; it s'y trouvait des esclaves, qui parlaient
la meme langue que leurs maitres ; or l'esclave etait alors
25
24
• • = t
; : . .
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U E N A N
ien souvent d'une race differente de celle de son maitre.
Repetons-le : ces divisions de langues indo-europeennes,
sernitiques et autres, ereees avec une si admirable saga-
cite par la philo-logie comparee, ne coincident pas avec
les divisions de l'anthropologie. Les langues sont des for-
mations historiques, qui indiquent peu d e chosen sur le
sang de ceux qui les parlent, et
qui,
en tout cas, ne sau-
raient enchainer la
l iber te
humaine quand it s'agit
de determiner la famille avec laquelle on s'unit pour
la vie et pour la mort.
C ette consideration exclusive de la langue a, comm e
('attention trop forte donnee a la race, ses dangers,
ses
ineonvenients. Quand on y m et de l 'exageration, on se
renferme dans une culture de'ierminee, tenue pour
nationale ; on se limite, on se claquemure. O n quitte le
grand air qu'on respire dans le vaste champ de l 'huma-
nite pour s'enfermer dans des con venticules de
compa-
I notes. Rien de plus
mauvais
pour l 'esprit; rien de plus
fileheux pour la civilisation. N'abandonnons pas ce
P
rincipe fondamental, que l 'homme est un etre raison-
liable et moral, avant d'être parque dans telle ou telle
langue, avant d'être un membre de telle ou telle race,
un adherent de telle ou telle culture. Avant la culture
francaise, la culture allemande, la culture italienne,
y a la culture humaine. V oyez les Brands hommes de la
Renaissance; ils n'etaient n i francais, ni italiens, ni alle-
mands. Its avaient
retrouve,
par leur commerce avee
l 'A ntiquite, le secret de l 'education ve ritable de l 'esprit
humain, et ils s'y devouaient corps et ame. C omm e ils
firent hien
26
Ql.'EST-CF QUTNE NATION
Ill. — La religion ne saurait non plus offrir tine base
suffisante a l'etablissement d'une nationalite moderne. A
l'origine, la religion tenait a l'existenee mem e di groupe
social. Le groupe social etait une extension de la famine.
La religion, les rites etaient des rites de fa mine. La reli-
gion d'A thenes, c 'etait le culte d'A thenes mettle, de ses
fondateurs mythiques, de ses lois, de ses usages. Elk
n'impliquait aucune theologie dogmatique. C ette religion
etait, dans toute la force du terme, une religion d'Etat.
On n'etait pas athenien si on refusait de la pratiquer.
C 'etait au fond le culte de l'A cropole personnifiee. hirer
sur l 'autel d'A glaure, c 'etait preter le sennent de m ourir
pour la patrie. C ette religion etait l'equivalent de ce qu'est
chez nous l'acte de tirer au sort, ou le culte du
draneau.
Refuser de
part iciper
a
u n
tel culte etait com me serait
dans nos societes modernes refuser le service militaire.
C'etait declarer qu'on n'etait pas athenien. D'un autre
cote, it
est clair qu'un tel culte n'avait pas de sen s pour
celui qui n'etait pas d'Athenes; aussi n'exercait-on aucun
proselytisme pour fo rcer des strangers a l 'accepter; les
esclaves d'A thenes ne le pratiquaient pas. 11
en
fut de
meme
dans
quelques petites republiques du 11 4oyen A ge.
On n'etait pas bon Venitien si l on ne jurait point par
saint Marc; on n'etait pas bon Amalfitain si l'on ne met-
jtait pas saint Andre au-dessus de tous les autres saints du
iparadis.
Dans ces petites societes, ce qui a ete plus tard
persecution, tyrannie, etait legitime et tirait aussi peu A
iconsequence que le fait chez nous d e souhaiter la fete an
pore de famille et de lui adresser des veeux all premier
jour de l'an.
27
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RENAN
Ce qui etait vrai a Sparte, a Athenes, ne l'etait deja
plus dans les royaumes sortis de la conquete
d'Alexandre, ne l'etait surtout plus dans l'Empire
romain. Les persecutions d'Antiochus Epiphane pour
amener l'Orient au culte de Jupiter Olympien, celles de
l'Empire romain pour maintenir une pretendue religion
d'Etat furent une faute, un crime, une veritable
absur-
dite. De nos
jours ,
la situation est parfaitement claire. 11
n'y a plus de masses croyant d'une maniere uniforme.
Chacun croit et pratique a sa guise, ce qu'il peut,
comme it veut. Il n'y a plus de religion d'Etat ; on petit
titre francais, anglais, allemand, en etant catholique,
protestant, israelite, en ne pratiquant aucun culte. La
religion est devenue chose individuelle; elle regarde la
conscience de chacun. La division des nations en catho-
liques, protestantes, n'existe plus. La religion, qui, it y a
cinquante-deux ans, etait un element si considerable
dans la formation de la Belgique, garde toute son
importance dans le for interieur de chacun ; mais elk
est sortie presque entierement des raisons qui tracent
les limites des peuples.
— La communaute des interets est assurement un
lien puissant entre les hommes. Les interets, cependant,
suffisent-ils a faire une nation ? Je ne le crois pas. La
comm unaute des interets fait les traites de com merce. II y
a dans la n ationalite un cote d e sentiment; elle est acne et
corps a la fois; un
Zollverein
n'est pas une patrie.
— La geographic, ce qu'on appelle les frontieres
naturelles, a certainement une part considerable dans la
division des nations. La geographie est un des factcurs
28
Qti'UNE NATION ?
essentiels de i 'histoire. Les rivieres ont cond uit 1es races;
les montagnes les ont arretees. Les premieres ont favo-
rise, les secondes ont limite les mouvements historiques.
Petit-on dire cependant, comme le croient certains par-
tis, que les limites d'une nation sont ecrites stir la carte
et que cette nation a le droit de s'adjuger ce qui est
necessaire pour arrondir certains contours, pour
atteindre telle montagne, telle riviere, a laquelle on prete
une sorte de faculte limitante a
priori?
Je ne connais pas
de doctrine plus arbitraire ni plus funeste. Avec cela, on
justifie toutes les violences. Et, d'abord, sont-ce les mon-
tagnes ou bien sont-ce les rivieres qui forment ces pre-
tendues frontieres naturelles ? II est incontestable que
les montagn es separent; m ais les fleuves reu it issent ph,--
tot. Et puis toutes les montagnes ne sauraient decouper
des Etats. Quelles sont celles qui separent et relies qui
ne separent pas ? De Biarritz a Tornea, it n'y a pas une
embouchure de fleuve qui ait plus qu'une attire un
caractere bornal. Si l'Histoire l'avait voulu, la Loire, la
Seine, la Meuse, I'Elbe, l'Oder auraient, autant que le
Rhin, ce caractere de frontiere naturelle qui a fait corn,
mettre tant d'infractions au droit fondamental, qui est la
volonte des hommes. On parle de raisons strategiques.
Rien n'est absolu ; it est Clair que bien des concessions
doivent titre faites a la necessite. Mais it ne faut pas que
ces concessions aillent trop loin. Autrement, tout le
monde reclamera ses convenances militaires, et cc sera
la guerre sans fin. Non, ce n'est pas la terre plus que la
race qui fait une nation. La terre fournit le substratum,
le champ de la lutte et du travail; l'hoirune fournit l'ame.
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HENAN
L'homm e est tout clans la formation de cette chose sacree
qu'on appelle un peuple. Men de materiel n'y suffit. tine
nation est un principe spirituel, resultant des complica-
tions profondes de l'histoire, une famine spirituelle. non
un groupe determine par la configuration du sol.
Nous venons de voir ce qui ne suffit pas a creer un tel
principe spirituel : la race, la langue, les interets, l'affi-
nite religieuse, la geographic; les n•cessites militaires.
Que faut-il done en plus ? Par suite de ce qui a etc dit
anterieurement, je n'aurai pas desormais a retenir bien
longtemps votre attention.
QtrliST-CE
\.\
if •
III
Une nation est une arne„ un principe spirituel. Deux
choses qui, a vrai dire, n'en font qu'une, constituent
cette Arne, ce principe spirituel. L'une est dans le passe,
l'autre dans le present. L'une est la possession en corn-
mun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consen-
tement actuel, le desir de vivre ensemble, la volonte de
continuer a faire valoir ]'heritage qu'on a recu
indivis.
L'homme, messieurs, ne s'improvise pas. La nation,
comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passe
d'efforts, de sacrifices et de devouements. Le culte des
ancetres est de tous le plus legitime ; les ancetres nou
n
ont faits ce que nous sommes. Un passe herolque,
des grands hommes, de la gloire (j'entends de la veri-
table), voila le capital social sur lequel on assied une
idee nationale. Avoir des gloires communes dans le
passe, une volonte commune dans le present ; avoir fait
de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore,
voila les conditions essentielles pour titre un peuple.
On aime en proportion des sacrifices qu'on a consen-
31
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QU'EST-CE QU'UNE NATION ?
tis,
des maux qu'on a sonlTerts. On aime la mais(al
qu'on a biltie et qu'on transmet. Le chant spartiate :
Nous sommes ce que vous kites ; nous serous
ce
qu e
vous 'cites » est dans sa simplicite l'hymne abr6ge de
toute patrie.
Dans le passé, un hk-itage de gloire et de regrets a
partager, dans l 'avenir un m eme program me
a realiser;
avoir souffert, joui, espere ensemble, voilh ce qui vaut
mieux que des douanes communes et des frontieres
conformes aux idees strategiques; voilh ce que fort corn-
prend malgre les diversites de race et de langue. Je disais
tout a l'heure : . avoir souffert ensemble » ; oui, la souf-
france en commun unit plus que la joie. En fait de sou-
venirs nationaux, les deuils valent mieux que les
triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent
('effort en commun.
Une nation est done une grande solidarite, consti-
tuee par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de
crux qu'on est dispose a faire encore. Elle suppose un
passe; elle se resume pourtant dans le present par un
fait tangible : le consentement, le desir clairement
exprime de continuer la vie commune. L'existence
dune nation est (pardonnez-moi cette metaphore) un
plebiscite de tons les jours, comme l'existence de l'indi-
vidu est une affirmation perpetuelle de vie. Oh je le
sais, cela est moins metaphysique que le droit divin,
moins brutal que le droit pretendu historique. Dans
l'ordre d'idees que je vous soumets, tine nation n'a pas
plus
qu'un roi le droit de dire a une province : < Tu
tn'appartiens, je to prends. » Une province, pour nous,
32
cc,
soul ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a
droit d'etre consulte, c'est l'habitant. Une nation n'a
jarnais un veritable interet a s'annexer ou h retenir un
pays
malgre
lui. Le vceu des nations est, en definitive,
le settl criterium legitime, celui auquel it faut toujours
en revenir.
Nous avons Chasse de la politique les abstractions
metaphysiques et theologiques. Que reste-t-il, apres
cela ? II reste l'homme, ses desirs, ses besoins. La seces-
sion, me direz-vous, et, a la longue, l'emiettement des
nations sont la consequence d'un systeme qui met ces
vieux organismes a la merci de volontes souvent peu
eclairees. 11 est Clair qu'en pareille matiere aucun Prin-
cipe ne dolt titre pousse a
l'exces.
Les
verites
de cet
ordre ne sont applicables que dans leur ensemble et
dune fawn tres generale. Les volontes humaines chan-
gent ; mais qu'est-ce qui ne change pas ici-bas ? Les
nations ne sont pas quelque chose d'eternel. Elles ont
commence, elks finiront. La confederation europeenne,
probablement, les remplacera. Mais telle n'est pas la loi
du siecle ou nous vivons. A l'heure presente, l'existende
des nations est bonne, necessaire meme. Leur existence
est la garantie de la liberte, qui serait perdue si le
monde n'avait qu'une loi et qu'un maitre.
Par leurs facult6s diverses, souvent opposees, les
nations servent a l'ceuvre commune de la civilisation;
toutes apportent une note a ce grand concert de
l'humanite, qui, en somme, est la plus haute realite
ideale que nous atteignions. Isolees, elles ont leurs par-
ties faibles. Je me dis souvent qu'un individu qui aurait
33
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QU'EST-C1.:QU•I•NE NATION ?
les defauts tenus chcz les nations pour de,- f
l
ualites, qui
se nourrirait de vaine gloire ; qui serail A ce point
jaloux, egoiste, querelleur ; qui ne pou
• rait rien sup-
porter sans degainer, serail. le plus insupportable des
hommes. Mais toutes ces dissonances de detail dispa-
raissent dans l'ensemble. Pauvre humanize., que to as
souffert que d'epretives t'attendent encore Puisse
l'esprit de sagesse te guider pour te preserver des
innombrables dangers dont to route est setnee
.le me resume, messieurs. L'homme West esclave ni
de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du
cours des fleuves, ni de la direction des chaines de
montagnes. Une grande agregation d'hommes, same
d'esprit et chaude de cceur, cree une conscience morale
i
lli s'appelle une nation. Tant que cette conscience
morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige
l'abdication de l'individu au profit d'une communaute,
elle est legitime, elle a le droit d'exister. Si des doutes
s'elevent sur ses frontieres, consultez les populations
disputees. Elles ont bien le droit d'avoir un avis dans la
question. Voila qui fera sourire les transcendants de la
politique, ces infaillibles qui passent leur vie a se
tromper et qui, du haut de leurs principes superieurs,
prennent en pitie notre terre a terre. « Consulter les
populations, fi done quelle naivete Voila bien ces
chetives idees francaises qui pretendent remplacer la
diplomatie et la guerre par des moyens d'une simpli-
cite
enfantine. >
— Attendons, messieurs; laissons passer le regne des
transcendants; sachons subir le dedain des forts. Peut-
34
titre, apres bien des titonnements infructueux, revien-
dra-t-on A nos modestes solutions empiriques. Le moyen
d'avoir raison dans l'avenir est, a certaines heures, de
savoir se resigner A titre demode.
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Double nation
ou nation impossible
C ertains grands textes ont des destins singuliers. Its ne
sont quasiment pas lus, mais cela n'empeche pas de les
citer, partiellement, et d'en retirer quelques formules,
periodiquement anonnees, sans saisir les elements de
contexte qui les ont motivees. Des lors, on se prive des
moyens de les comprend re dans ce qui est souvent leur
ambiguite originelle. Le plus celebre texte de Renan —
avec la
Vie de Jesus —,
prononce en S orbonne en 1882,
n'echappe pas a cette regle. Qui ne connait le 4( plebiscite
permanent m, a la source de la theorie dite elective . de
la nation, ou le « principe spirituel ui lui est pour-
tant virtuellement antinomique ? Et les am ateurs de pro-
pheties se plairont a citer la fameuse sentence : Les
nations ne sont pas quelque chose d'eternel. Elles ont
commence, elles finiront. La confederation europeerme,
probablemen t, les remplacera Or, le texte de Renan ne
se laisse pas circonscrire par quelques formules, du reste
apparemment contradictoires. II s'inscrit dans un
contexte epistemologique — Renan est historien et philo-
logue — qui sert de soubassement a un projet phiso-
phique. Son propos est revolutionnaire, meme s'il reste
etonnamm ent silencieux sur ce qui donne corps a cette
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realite vague d e nation, a savoir
e texte concis
est le fruit d'un long milrissement, exprime publique-
ment
pour
la premiere fois avec les deux lettres a David-
Frederic Strauss de septembre 1870 et 1871 et dans son
article « La guerre entre la France et l'Allemagne
(Revue des deux rnondes,
15 septembre 1870). Renan
tenait sa conference pour son texte politique le plus
abouti, lui qui ecrivait dans sa p reface aux
Discours et
conferences
(1887) qu'il en avait « pese chaque mot avec
le plus grand soin » et que c'etait sa profession de foi
en ce qui touche les choses humaines
D.
La definition positive que Ren an donn e de la nation
ne peut titre comprise sans P elimination premiere de ses
autres acceplions possibles — la race, la langue, la reli-
gion, les inter
s et la geographie — avant Penonce de la
sienne. Quatre des cinq elements exclus — si Pon excepte
les interets — sont d'ordre
«
naturel » ou, plus exacte-
ment, representes comme naturels ou lies a un destin cul-
turel contre lequel les hommes sont censes ne rien pou-
voir (religion, langue). Ils sont independants d'une
volonte des hommes, soit presente, soit passee (sous
forme dune action notamment ayant servi
a
une prise
de conscience remarquable). La nation ne pourra jamais
titre du put
déP-lh
independamment d'une inter-
vention humaine. Les choses physiques (geographie,
races apparentes
l
) ou sociales (religions, langues) ne
pourront jamais dessiner les contours d'une apparte-
lance a cette entite singuliere qu'on nom ine nation. II
faut donc reintroduire l 'action des hom mes de s siecles
passes darts la m anifestation de la volonte des citoyens
38
du present. Pour autant, une nation n'est
as le simple
produit de volontes sans
profondeur Instorique; elk ne
resulte pas d'interets commons.
Reste donc a etablir la definition de la nation. Le texte
de Renan en fait le composite de deux elemen ts : 1) la
memoire d'un passe commun, memoire qui est d'abord
celle
d'actions,
et en particulier de faits et d'oeuvres
memorables, 2) la reaffirmation reguliere d'une volume
de vivre ensemble. Sans la memoire, it n'v a pas de
reunion possible des hommes en une nation, puisque la
volonte ne peu t surgir en l'absence de passe. Mais si cette
volonte n'existe pas aussi dans le present, rien ne pourra
faire tenir la nation. Bien plus, on ne d oit pas la mainte-
nir contre la volonte des homm es, et sans elle. Que le
'souvenir s'efface en tant que souvenir commun, et la
nation disparaitra. En meme temps, curieusement,
semble admettre — n ous y reviendrons — un necessaire
oubli des pages noires de l'histoire afin de ne conserver
que ce qui est susceptible d'alimenter la communaute des
souvenirs glorieux.
La nation est mortelle, car elle est tout entiere histo-
rique et politique, et non une substance qu
i
s'imposerait.
Chez Renan, dont la posterite retient qu'il definit la
conception dite . francaise de la nation, figure la plus
eclatante reconnaissance du principe de nationalite (y
compris de l'Allemagne, contre une vision qui, pour
Renan, n'est pas n ationale, mais raciale). C e relativisme
aboutit logiquement
a
un principe p olitique : c'est, en
derniere instance, au peuple de decider A quelle nation
it appartient. D'oit le traitement du brillant probleme de
39
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l 'Alsace-Lorraine : elle n'est ni francaise ni allemande
par nature, mais francaise parce que les Alsaciens veu-
4
lent titre francais. C ette reconnaissance du fait national
s'accompagne du refus de l'universalisme qui a servi par-
fois la demesure des pretentions francaises — ainsi sous
l 'Empire. Toute nation a don c une existence relative et
contingente, dependante a la fois du passe, du souvenir
qu'on en garde ou qu'on recree, et d'une volonte de le
perpetuer comme unite valant dans le present.
C ette definition double de la nation s'apparente a celle
qu'on peut donner de la politique et du droit. La poli-
tique, selon Hannah A rendt, nait d'un « agir ensemble ».
elk
surgit darts l 'action. De mem e, chez Renan, la nation
est composee de part en part d'action, tant passee que
presente ; elle est ainsi doublement politique : c'est la
politique du passe qui la po rte et son actualisation dan s
le present qui la maintient. Rien n'est infra-politique en
elle, meme les elements de legs que Renan rattache a
ame et a
l o
esprit (ce qui la distingue de la
conception allemande). La nation selon R enan se rap-
proche de la definition qu'on peut donner du droit qui
est, lui aussi, decision politique transformee en regles
solennelles, que la politique au present doit approu ver
implicitement et peut toujours transformer et abolir.
Peut-on toutefois se satisfaire d'une telle definition, et
le concept de nation est-il, tel quel, d'un usage perti-
nent ? I1 est ainsi un mot que R enan n'utilise quasiment
pas : celui d'Etat
. C ertes, celui-ci aussi requiert le senti-
ment d'une communaute d'appartenance, a 1'origine
d'un corps de citoyens procedant a la designation d'un
40
pouvoir qui pew agir et contraindre. M ais en deltors
d
un
Etat, it n'est pas de nation. C elle-ci, en effet, n'est
ni lo
peuple, ni un conglomerat de citoyens, mais une repr-
sentation d'une com munaute par un mot de, langage qt,
i
n'a aucune portee juridique, ni en droit interne, ni ell
droit
international. Lorsqu'il
est dit, en 1789, que la
souverainete reside essentiellement dans la nation ». on
utilise ce terme non pas positivement, mais
nO,:atire-
ment,
par refus des autres
,
(le roi, bien sir, mais aussi le
peuple, et logiquement l 'Etat, qui en est le depositaire,
et qu'il s 'agissait de dedou bler afin de m aintenir la fic-
tion d'une en tite legitime
3
). Quanta l'integrite territo-
riale, c'est d'abord celle de l'Etat que garantit le droit
international, qui ne connait pas de nation, car pas de
nationalite en dehors d'une forme juridique precise.
C 'est ainsi Ia ruse du texte de Renan que d'operer le
detour fecond par une notion inutile, de la politiser et
de
la dualiser, pour preparer l'avenement de Ia notion
moderne d'Etat, seule a meme d'incarner, Lmitairement
dans le present, la realite de la citoyennete. C'est
aujourd'hui a cet Etat que chacun doit construire son,
appurtenance, non a une n ation, phase
necessaire, mais'
peut-titre transitoire, vers la forme politique moderne de
l'Etat. Cette adhesion — nous nous eloignons ici de
Renan — doit titre aussi critique, critique de l'histoire pas-
see, en meme temps que reconnaissance de ce qu'elle
nous a apporte. C 'est pourquoi la volonte propre a Renan
d'eliminer de notre conscience historique les pages noires
de notre histoire — ce debat se maintient dans notre pre-
sent, notammen t a l 'egard de V ichy — parait peu corn-
41
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prehensible. Elle peut ineine con
rarier un
mo(I(•
&apprehension
politique,
c'est-A -dire conscient, (le cc
qui, mane negativement, constituc ill] groupe hurnain en
une societe de citovens. Notre attachement
politique
I'Etat sera toujours clans la distance de la reflexion ; voilA
pourquoi le concept de
volonte actuelle
rend le texte
Renan indepassable. Allons jusqu'au bout de la vision
politique qu'il avait de noire passe historique; celui-ci
nous constituera toujours, mais pourvu qu'on ap prenne
aussi
a
en operer la reprise toujours critique. Ce n'est que
dans l 'absence de veneration que le passe peut subsister
dans une democratie.
N ICOLAS
T
ENZER
Si Renan est ambigu quanta la definition qu'il donne du ierna•
race n, la force de son propos est remarquable : it n'est jamais de race
pure, encore moins originelle. Chaque population, et done chaqur
nation, sont faitcs de constants mélanges. L'identification mane d'une
race est quasi impossible.
Sauf pour souligner que l'Autriche est
un
Etat et non
tiny
naion.
Mais l'Autriche etait alors un reste d'empirc.
3. Ce langage exprime aussi une mefiance du « conservateur Renan
l'egard du concept de souverainete populaire. Il oppose ainsi a In
chimere democratique du regne de la volonte populaire avec tons ses
caprices, [...] le regne de la volonte nationale, resultat des bons ins-
tincts du peuple savarnment interpretes par des pensees reWellies
(. La guerre entre la France et I'Allernagne n, loc. cit.). Voila qui
n'eclaire pas de qui, concretement, emane cette volonte dite naii()-
nale
IN
otice bio-bibliographique
1823. Naissance a Treguier. Ain& : A lain, ne en 1809,
et Henriette, nee en 1811.
1828. M ort de son pore, capitaine de barque au sabo-
tage. Di flicultes financieres graves de sa famine qui part
pour 1,annion.
1832-1838. Ecole ecclesiastique de Treguier on
Renan termine premier clans toutes les disciplines.
1838-1841. Etudes au petit seminairc de Saint-Nico-
las-du-Ghardonnet A P aris, grace a
une bour se ob t enue
par sa sour H enriet te.
1841-1843. Grand seminaire d'Issy-les-Moulineaux.
1843-1845. Seminaire de Saint-Sulpice
a
Paris.
1845. Perd In fo i et rom pt av ec la carriere ecclesias-
t ique. Etud es de let tres. Ecri t
l Essai psychologique sur
Jesus Christ
1846. Licencie es lettres.
1847. Prix de l 'Inst i tut pou r son mem oire
Essai his
torique et theorique sur les langues senzitiques.
Membre
de la Societe asiatique.
1848. Rev' premier a ragregation de philosophic.
Frequente la jeunesse liberale de
La liberte de penser,
revue philosopliique.
43
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1849. Poste a la Bibliotheque nationale (departement
des m anuscrits). Mission en Italie. T ravaille
a L'avenir
de la science.
1851 . Debut de la collaboration a la
Revue des deux
Illondes.
1852.
These de doctorat :
Averroes et l'averroisme
et
these latine
De philosophia peripatetica apud Syros.
1853. Debut de la collaboration an Journal des
Debats.
1855.
Histoire des langues sêmitiques.
1856.
Elu membre de l'Academie des inscriptions.
Epouse Com elie Scheffer
1857.
Etudes d'histoire religieuse.
Naissance de A i,/
Renan.
1858. T raduction du
Liv re de Job.
1859.
Essais de morale et de critique.
1860 . Traduction du Cantique des cantiques.
Mission
archeologique en Phenicie qui dure un an et lui permet de
visiter l'Orient (Beyrouth, Saida, Tyr, Palestine, Galilee).
1861. M ort a A mschit d'Henriette, qui l 'accompagnait
en mission au P roche-Orient.
1862. Ma sceur Henriette
(sa sceur ainee fut la per-
sonne qui compta le plus dans sa. vie).
1862 . Nomme professeur au C ollege de France. S us-
pendu qu atre jours apres sa lecon d'ouverture sur
De la
part des peuples semitiques dans l'histoire de la civilisa-
tion,
sous pretexte d'avoir expose des doctrines inju-
rieuses pour la foi chretienne, puis destitue en 1864.
Avait etê applaudi par le camp liberal. Naissance de
Noemi Renan.
44
1863. V ie de Jesus.
1864-1865. Second voyage en Orient (Egypte,
Damas, Antioche, Grece, Asie mineure).
1866.
Les Apiitres,
tome 2 des
Origines
hristia-
nisme.
1868.
Questions contemporaines.
1869. Saint Paul.
Se presente sous l'etiquette d'inde-
pendant a la deputation. Echec.
1870 . Voyage en mer du Nord avec le prince JerOme
Napoleon. Y apprend en Norvege la declaration de
guerre de la France a la P russe. Reintegre
au C ollege de
France par Jules Simon.
1871.
La R eform e intel lec tuel le et morale.
1873.
L'Antechrist.
C ommence a ecrire les
S ouven i rs
d enja rice.
1876.
Dialogues philosophiques
(inspires par la
defaite de
1 8 7 0
et la Commune, qu'il a commence a
ecrire en 187 1)
1877. Les Ev angiles.
1878. Election a l 'A cademie francaise.
1879.
L'Eglise chretienne.
Ecrit
L Eau d e jouvenc e .
1881. Marc A urele,
dernier volume des
Origines
christianisme.
1 11 mars 1882 .E Ernest Renan prononce en Sorbonne
la conf
r
ere
rice
« Qu'est-ce qu'une nation ? .
1883. A dministrateur du C ollege de France.
S o u v e -
nirs d'enfance et de jeunesse.
1884.
N ouv elles etudes d histoire religieuse.
President
de la Societe asiatique.
1885. P arution du Pretre de N em i.
45
y
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47
1887. Premier volume de
l'Histoire du people Israel
(deuxieme en 1889, troisieme en 1891 et. les deux der-
niers, posthumes, en 1893).
1888.
Frames philosophiques.
1890.
L'avenir de la science
(ecrit en 1848-1849 et
inspir6 par les evenements de 1848).
1892. Feuilles detaches. Meurt le 2 octobre 1892.
Obseques organisees par I'Etat.
Reperes bibliographiques
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V ie de Jesus, A rica, 1997.
Le L ivre de Job, Arica. 1996.
L A v enir de is science,
Flainmarion. 1995.
Pensees pour m oi-m iime (sur Marc A urae), Arlen, 1995.
Un tem ps pour tou t , A rl6a. 1995.
La R eform e intellectuelle et m orale de la France, C omplexe, 1990.
Ilistoire des origines du Christianisme : M arc Au rele et la f in du M onde
Ant ique,
LGF, 1984.
(Euvres diverses,
Laffont. coil I3ouguins. 1984.
Souv enirs d enfatice et de jeunesse,
Gallintard, 1983.
Qu est-ce qu un e nation e t att ires ecrits polit iques
(presentation Raoul
Girardet). Imprimerie n ationale, 1996.
A verroes et Faverroisme,
Nlaisonneuve, 1997.
Dialogues ph ilosophiques,
ed. du CNRS, 1992.
Ouvrages sur Ernest RENAN
Go
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it (I kiwi), Renan,
ramatique, Vrin, 1972.
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Le systilne historique de Renan,
Slatkine., 1971.
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Klincksieck, 1977.
Ernest Renan : docum ents sur sa vie et son ceuv re, catalogue
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Bibiothêque nationale de France, 1962 .