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N 395
SNAT SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistr la Prsidence du Snat le 8 avril 2015
RAPPORT DINFORMATION FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de
lgislation, du suffrage universel, du Rglement et dadministration
gnrale (1) sur le droit des entreprises : enjeux dattractivit
internationale, enjeux de souverainet,
Par MM. Michel DELEBARRE et Christophe-Andr FRASSA,
Snateurs.
(1) Cette commission est compose de : M. Philippe Bas, prsident
; Mme Catherine Troendl, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-Ren Lecerf,
Alain Richard, Jean-Patrick Courtois, Alain Anziani, Yves Dtraigne,
Mme liane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa,
vice-prsidents ; MM. Franois-Nol Buffet, Michel Delebarre,
Christophe-Andr Frassa, Thani Mohamed Soilihi, secrtaires ; MM.
Christophe Bchu, Jacques Bigot, Franois Bonhomme, Luc Carvounas,
Grard Collomb, Mme Ccile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky
Deromedi, M. Flix Desplan, Mme Catherine di Folco, MM. Christian
Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, MM. Franois
Grosdidier, Jean-Jacques Hyest, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe
Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier
Marie, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mzard, Franois
Pillet, Hugues Portelli, Andr Reichardt, Bernard Saugey, Simon
Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. Ren Vandierendonck, Jean-Pierre
Vial, Franois Zocchetto.
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S O M M A I R E Pages
AVANT-PROPOS
....................................................................................................................
5
I. UN CONSTAT GLOBALEMENT POSITIF SUR LE DROIT FRANAIS DES
ENTREPRISES, EN DPIT DE DIFFICULTS PONCTUELLES
................................... 7
A. UNE SATISFACTION GNRALE LGARD DU DROIT FRANAIS DES
ENTREPRISES
......................................................................................................................
7
B. UNE APPROBATION DU PROCESSUS CONTINU DE SIMPLIFICATION
.................... 8
C. DES SUJETS DE PROCCUPATION RELS, MAIS PONCTUELS
................................... 8
D. UNE PRFRENCE MARQUE DES ENTREPRISES POUR DES MODES DE
RGULATION NGOCIS
.................................................................................................
9
II. DE NOUVELLES QUESTIONS POSES PAR LINFLUENCE SUR LES
ENTREPRISES FRANAISES DU DROIT TRANGER
............................................... 10
A. LES ENJEUX DUNE JUSTICE NGOCIE
........................................................................
10
B. UNE PROTECTION DES ENTREPRISES FRANAISES RENFORCER
........................ 11
III. LES ENJEUX DAVENIR DU DROIT FRANAIS DES ENTREPRISES
..................... 13
A. UN NOUVEL QUILIBRE TROUVER ENTRE STABILIT DU DROIT ET
POURSUITE DU PROCESSUS DE SIMPLIFICATION
...................................................... 13
B. LE RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES
.................... 14
C. LA CONFIDENTIALIT DES AVIS JURIDIQUES INTERNES
......................................... 15
EXAMEN EN COMMISSION
.................................................................................................
19
COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 11 MARS 2015
................................................... 27 M. ANTOINE
GARAPON, CO-AUTEUR DE DEALS DE JUSTICE. LE MARCH AMRICAIN DE
LOBISSANCE MONDIALISE ET MME ASTRID MIGNON COLOMBET, AVOCATE
ASSOCIE AU CABINET SOULEZ LARIVIRE & ASSOCIS
.....................................................................................
27
MME CLAUDE REVEL, DLGUE INTERMINISTRIELLE LINTELLIGENCE
CONOMIQUE, ET MME CAROLINE LEBOUCHER, DIRECTRICE GNRALE ADJOINTE DE
BUSINESS FRANCE .......... 35 REPRSENTANTS DU CONSEIL NATIONAL DES
BARREAUX, DE LASSOCIATION FRANAISE DES JURISTES DENTREPRISES ET DE
LA COMPAGNIE NATIONALE DES CONSEILS EN PROPRIT INDUSTRIELLE
..............................................................................................................................
43
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- 4 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 18 MARS 2015
................................................... 51
MME CAROLE CHAMPALAUNE, DIRECTRICE DES AFFAIRES CIVILES ET DU
SCEAU, MME PASCALE COMPAGNIE, SOUS-DIRECTRICE DU DROIT CONOMIQUE,
MME FLORENCE LIFCHITZ, CHEF DU BUREAU DE LA RGLEMENTATION DES
PROFESSIONS, ET M. GUILLAUME MEUNIER, CHEF DU BUREAU DU DROIT DES
OBLIGATIONS, REPRSENTANT LE MINISTRE DE LA JUSTICE
...................................................................................................................................
51
REPRSENTANTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE ET DINDUSTRIE DE PARIS
LE-DE-FRANCE, DU MOUVEMENT DES REPRSENTANTS ENTREPRISES DE FRANCE
(MEDEF), DE LASSOCIATION FRANAISE DES ENTREPRISES PRIVES (AFEP), DE
LA CHAMBRE DE COMMERCE AMRICAINE EN FRANCE ET DE LA COMPAGNIE
NATIONALE DES COMMISSAIRES AUX COMPTES
..............................................................................................................................
57 REPRSENTANTS DE LA COUR DAPPEL DE PARIS, DU TRIBUNAL DE COMMERCE
DE PARIS, DE LAUTORIT DE LA CONCURRENCE, DE LAUTORIT DES MARCHS
FINANCIERS ET DE LA CHAMBRE ARBITRALE INTERNATIONALE DE PARIS
........................................................ 69
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
...............................................................................
83
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AVANT-PROPOS - 5 -
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Toujours attentive la dimension juridique de la comptitivit des
entreprises, votre commission des lois a dcid, en novembre 2014, de
crer une mission dinformation sur les enjeux dattractivit
internationale et de souverainet du droit franais des
entreprises.
Attractivit et souverainet du droit des entreprises
apparaissent, en effet, comme deux problmatiques complmentaires
pour mesurer forces et faiblesses de notre systme juridique dans un
environnement conomique international trs comptitif.
Le droit franais des entreprises est-il suffisamment attractif
pour les entreprises trangres qui souhaitent se dvelopper hors de
leurs frontires ? Et favorise-t-il suffisamment la comptitivit des
entreprises franaises qui souhaitent se dvelopper linternational
?
Lapplication, loccasion de contentieux internationaux, dun
droit
tranger aux entreprises franaises les fragilise-t-elles ? Le
droit franais joue-t-il, de ce point de vue, armes gales avec les
droits trangers pour dfendre les entreprises franaises et soumettre
les entreprises trangres aux mmes contraintes ?
La mission dinformation se propose ainsi dapprcier, dune part,
si le droit franais est adapt au contexte de la comptition
conomique des systmes juridiques nationaux, notamment vis--vis du
droit anglo-saxon, dans les rgles quil a tablies comme dans leur
application par le juge et, dautre part, sil offre aux entreprises
franaises des armes appropries et aussi efficaces que celles issues
des autres systmes juridiques.
Vos rapporteurs se sont attachs aux diffrents aspects du droit
des entreprises en lien avec les comptences de votre commission des
lois : le droit des socits, le droit financier, le droit de la
concurrence, le droit de la consommation, le droit de la proprit
intellectuelle, ainsi que les procdures juridictionnelles ou quasi
juridictionnelles qui permettent den contrler le respect et den
sanctionner les ventuels manquements. Sans ignorer leur poids dans
la vie des entreprises, ils ont donc cart le droit fiscal, le
droit
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- 6 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
social et le droit du travail, manifestement hors de la
comptence de votre commission.
Plusieurs problmatiques complmentaires pouvaient entrer dans le
champ de la mission dinformation : limplantation des centres de
dcision trangers en Europe et la cration de filiales de droit
franais par des socits trangres, la protection du secret des
affaires, au-del de la protection des seuls droit de proprit
intellectuelle, les questions de forum shopping - permettant de
choisir son tribunal pour bnficier du droit national le plus
avantageux ainsi que darbitrage, ou encore limpact des lois
amricaines extraterritoriales et du droit amricain sur les
entreprises franaises, en cas notamment de procdures ouvertes aux
tats-Unis, par exemple dans le cadre dactions de groupe ou de
poursuites par des autorits de rgulation.
Or, lorsque votre commission a dcid de crer la prsente mission
dinformation, elle ignorait que le projet de loi pour la croissance
et lactivit, dpos lAssemble nationale en dcembre 2014, comporterait
plusieurs dispositions visant rpondre aux enjeux entrant dans son
champ dtude, par exemple le statut davocat en entreprise, la
protection civile et pnale du secret des affaires, la
confidentialit des comptes des socits ou encore la procdure de
transaction sur le montant des sanctions financires qui sont
prononces par lAutorit de la concurrence.
Ds lors, vos rapporteurs ont souhait prsenter leurs conclusions
devant votre commission avant lexamen par le Snat, en sance
publique, de ce projet de loi, sans que celui-ci puisse constituer,
au demeurant, un terme aux rflexions ouvertes par la prsente
mission dinformation, qui mriteront dtre prolonges, dautant que
certaines des dispositions prcites en ont t retires au bnfice de
dbats ultrieurs.
Pour clairer ce dbat sur le droit des entreprises, votre
commission a tenu deux cycles dauditions, le 11 mars et le 18 mars
2015, pour entendre bien sr les reprsentants des entreprises, mais
galement les reprsentants des professionnels (avocat, commissaires
aux comptes, conseils en proprit industrielle) et des organismes
publics qui les accompagnent, sans oublier
les pouvoirs publics ainsi que les reprsentants des autorits
administratives indpendantes et des juridictions intervenant dans
le champ conomique.
Votre commission a estim que les positions des intervenants
ainsi entendus et les changes suscits avec ses membres claireraient
utilement les termes du dbat. Elle a souhait, en consquence, en
rendre compte dans le prsent rapport de la manire la plus complte.
Les observations qui suivent en font la synthse et ouvrent quelques
pistes de rflexion.
Votre commission des lois apporte ainsi sa contribution au dbat
ncessaire sur lamlioration de la dimension juridique de la
comptitivit des entreprises franaises.
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AVANT-PROPOS - 7 -
I. UN CONSTAT GLOBALEMENT POSITIF SUR LE DROIT FRANAIS DES
ENTREPRISES, EN DPIT DE DIFFICULTS PONCTUELLES
Vos rapporteurs ont tir de leurs travaux dauditions
lenseignement selon lequel la situation des entreprises franaises
nest pas proccupante du point de vue du droit qui leur est
applicable, tant le droit franais dont elles relvent que le droit
tranger, notamment amricain, dont elles peuvent dpendre lorsquelles
agissent sur des marchs extrieurs. Ce constat positif ne doit
cependant pas conduire ignorer des difficults certes ponctuelles,
mais non ngligeables.
A. UNE SATISFACTION GNRALE LGARD DU DROIT FRANAIS DES
ENTREPRISES
Les auditions de votre commission ont mis en lumire une large
satisfaction lgard des mcanismes et dispositifs juridiques que le
droit franais offre aux entreprises (droit des socits, droit
financier, droit de la proprit industrielle) ainsi que du
fonctionnement des juridictions et des autorits de rgulation
franaises dans le champ conomique.
Le droit franais ne ferait pas peser sur les entreprises
intervenant ltranger un dsavantage comptitif ou un handicap
quelconque pour faire face la concurrence. Il permet donc aux
entreprises franaises d voluer de faon satisfaisante dans la
comptition conomique internationale.
Les personnes entendues mettent en avant certains succs, comme
la socit par actions simplifie (SAS), pour la grande souplesse qu
elle offre aux entreprises, ds lors quelles ne souhaitent pas
prtendre la cotation ou pour organiser leurs filiales. Sont aussi
vantes la qualit des procdures dexcution, la rapidit des formalits
dimmatriculation des entreprises et la fiabilit du systme
dinformation lgale ou encore la scurit financire qui rsulte du
systme de contrle lgal des comptes. La qualit des prestations
fournies par les professionnels chargs daccompagner les
entreprises, quil sagisse des professionnels du chiffre ou du
droit, a galement t souligne.
En cas de litige commercial, plusieurs solutions sont ouvertes
aux entreprises franaises comme trangres : le recours classique au
juge, mais aussi le recours la mdiation ou larbitrage. Sur le
dernier point, la place de Paris est largement reconnue pour sa
qualit et son efficacit. Lorsque les entreprises encourent une
sanction en cas dinfraction conomique, la qualit des procdures a t
souligne, en dpit parfois de leur complexit et de leur longueur.
Lefficacit globale des dispositifs procduraux a t souligne, quil
sagisse de la rgulation mise en uvre par les autorits
administratives indpendantes ou du contrle effectu par les
juridictions.
Reprsentes par la chambre de commerce amricaine en France, les
entreprises amricaines oprant en France ont exprim une apprciation
globalement positive lgard du droit franais des entreprises.
Celui-ci ne
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- 8 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
semble donc pas souffrir dun grave dfaut dattractivit
internationale. Plus globalement, le droit franais des affaires
nest pas un obstacle pour limplantation des entreprises trangres en
France.
Cependant, vos rapporteurs nignorent pas les critiques
rcurrentes entendues lgard du droit fiscal, du droit social et du
droit du travail, de la part principalement des reprsentants des
entreprises, qui constitueraient des handicaps lattractivit du
droit franais. cet gard, votre rapporteur Michel Delebarre rappelle
son engagement personnel en vue de simplifier les oprations de
ddouanement pour les entreprises par auto-liquidation de la taxe
sur la valeur ajoute.
B. UNE APPROBATION DU PROCESSUS CONTINU DE SIMPLIFICATION
Engag de faon continue par les gouvernements qui se sont succd
depuis plus dune dcennie, en particulier par ladoption de lois
successives de simplification, le processus de simplification a t
largement salu, dans son principe, dans ses effets et sa constance,
par les personnes entendues.
Les entreprises appellent la poursuite de ce processus, dont
elles ont lou le caractre sans doute plus systmatique dans la
priode rcente, tout en souhaitant paradoxalement une plus grande
stabilit des normes qui leur sont applicables. Ces deux injonctions
en apparence contradictoires, puisquune mesure de simplification
suppose lvidence une modification normative, sont toutes deux
assumes par les personnes entendues.
En ralit, ces injonctions sont complmentaires, ds lors que toute
mesure authentique de simplification sanalyse pour les entreprises
comme lallgement ou la suppression dune charge administrative ou
dun cot qui peut en rsulter, par exemple lenregistrement des
statuts des socits auprs de ladministration fiscale en plus de leur
dpt au registre du commerce et des socits1. Ainsi entendue, la
simplification nest pas incompatible avec la stabilit des normes de
fond applicables aux entreprises.
C. DES SUJETS DE PROCCUPATION RELS, MAIS PONCTUELS
Ce processus permanent damlioration et de simplification du
droit des entreprises serait toutefois perturb, selon les
organisations reprsentant les entreprises ou encore lAutorit des
marchs financiers, par certaines initiatives lgislatives dont
limpact concret parat relativement limit, mais dont la porte
symbolique est, elle, trs ngative, y compris lgard des entreprises
trangres.
Il en est ainsi, par exemple, de lobligation dinformer
pralablement les salaris en cas de cession de leur entreprise, en
vue de leur permettre de
1 linitiative de votre commission des lois, cette obligation a t
supprime dans le cadre de la loi n 2014-1545 du 20 dcembre 2014
relative la simplification de la vie des entreprises .
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AVANT-PROPOS - 9 -
prsenter une offre de reprise sils le souhaitent, sous peine
dannulation de la cession, issue de la loi n 2014-856 du 31 juillet
2014 relative lconomie sociale et solidaire, dite loi Hamon . Une
telle obligation serait un obstacle aux transmissions dentreprise,
en raison tant du risque contentieux que du manque de
confidentialit pour les ngociations de cession.
Il en est galement ainsi, par exemple, de lapplication
automatique du droit de vote double pour les actions de socits
cotes dtenues au nominatif depuis deux ans ainsi que de labandon du
principe de neutralit des organes de direction des socits faisant
lobjet dune offre publique dacquisition, dispositions issues de la
loi n 2014-384 du 29 mars 2014 visant reconqurir lconomie relle,
dite loi Florange , extrmement critiques sur la place financire de
Paris et trs peu apprcies par les investisseurs trangers.
Institue rcemment par la loi n 2014-344 du 17 mars 2014 relative
la consommation, la nouvelle procdure daction de groupe en matire
de consommation et de concurrence suscite galement les inquitudes
des entreprises, sans quil soit encore possible dapprcier leur
caractre fond ou non.
Sans remettre en cause la satisfaction gnrale des reprsentants
des entreprises lgard du droit qui leur est applicable, ces
dispositions rcentes suscitent des ractions fortes et porteraient
atteinte, selon ces reprsentants, lattractivit internationale du
droit franais.
D. UNE PRFRENCE MARQUE DES ENTREPRISES POUR DES MODES DE
RGULATION NGOCIS
Lors de leur audition, les reprsentants des entreprises ont
soulign lintrt que prsentent, leurs yeux, certains modes de
rgulation ou de rglement des litiges, plus souples que ceux qui
caractrisent lintervention tatique. Ils ont ainsi oppos la loi le
droit souple (soft law), labor par les acteurs conomiques eux-mmes,
partir des usages du commerce, et qui simpose eux sous la forme de
chartes de dontologie ou de guides de bonnes pratiques. De la mme
manire, ils ont distingu la justice qui tranche ou sanctionne de
larbitrage ou des modes de rglement amiable des diffrends que sont
la mdiation ou la transaction.
Vos rapporteurs constatent que, dans un cas, comme dans lautre,
il sagit de favoriser une approche ngocie de la rgulation, qui
prsenterait un double mrite : celui dune meilleure prvisibilit, les
entreprise acceptant de transiger en fonction dun bilan
cot-avantage ; celui dune plus grande implication de loprateur
conomique dans lapplication de la norme ou de laccord de
transaction, puisquil a particip llaboration de lun ou de lautre.
Il a galement t remarqu que la faveur dont jouit larbitrage est
notamment d au fait quil permet, plus quun procs, aux deux
personnes en litige de continuer leurs relations commerciales.
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- 10 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
Toutefois, vos rapporteurs observent que, pour quune ngociation
aboutisse, il faut que les deux parties aient plus perdre son chec
: bien souvent, la rgulation tatique, susceptible de simposer en
labsence dune solution ngocie, est ce qui donne cette dernire sa
force et sa pertinence.
II. DE NOUVELLES QUESTIONS POSES PAR LINFLUENCE SUR LES
ENTREPRISES FRANAISES DU DROIT TRANGER
La confrontation des entreprises franaises avec certains systmes
juridiques et les procdures contentieuses particulires quils
connaissent, en particulier le droit amricain, exige de rflchir,
selon vos rapporteurs, aux rpercussions comme aux volutions
possibles du droit franais pouvant en rsulter.
A. LES ENJEUX DUNE JUSTICE NGOCIE
Laudition conjointe de M. Antoine Garapon et de Mme Astrid
Mignon-Colombet1 a permis de mettre en lumire un phnomne nouveau,
qui prend de lampleur et qui affecte fortement la faon dont les
entreprises franaises peuvent se dfendre lorsquelles sont mises en
cause par une autorit trangre.
Au sein de notre ordre juridique la poursuite des infractions
conomiques est soit le fait de lautorit judiciaire, soit celui des
autorits de rgulation. Dans un cas comme dans lautre cependant,
linstruction et la procdure de dcision respectent les canons du
droit au procs quitable, mme sil sagit dune transaction : contrle
dun juge impartial, respect du contradictoire, distinction de
lautorit de poursuite et de lautorit de dcision.
Or, le systme amricain dissocie la transaction du contrle
judiciaire. Les autorits de poursuites, quil sagisse du ministre de
la justice (departement of justice) ou du rgulateur des marchs
financiers (securities and exchange commission SEC) peuvent
proposer aux entreprises suspectes de fraude un accord, dans lequel
elles reconnaissent les faits reprochs sans toutefois reconnatre
leur culpabilit et acceptent de se soumettre certaines obligations,
comme le paiement dune amende trs leve, la rforme de leurs
procdures internes ou encore la soumission au contrle dun tiers
charg de vrifier la conformit de leur comportement aux engagements
pris. Cet accord est conclu en labsence de tout contrle
judiciaire.
Les entreprises sy soumettent, entre autres motifs, par crainte
des consquences coteuses dune action en justice : dure de la
procdure,
1 Ces deux intervenants ont particip un ouvrage collectif
consacr cette question : Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber
(dir.), Deals de justice. Le march amricain de lobissance
mondialise, PUF, 2013.
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AVANT-PROPOS - 11 -
prjudice de rputation tout le temps du procs, mme sil se conclut
par un acquittement, incertitude du rsultat judiciaire et, surtout,
risque quune mesure de drfrencement du march ou dinterdiction
dactivit, qui quivaut une mort conomique, soit prononce par le
rgulateur, titre conservatoire, pour toute la dure de la
procdure.
Pour les deux intervenants, le premier mrite de ce modle est son
efficacit, puisque laccord intervient plus rapidement, que les
amendes prononces atteignent des montants considrables1 et que la
rforme des procdures internes permet de prvenir des fraudes
futures. Constatant que les rgulateurs franais disposent
formellement dinstruments juridiques proches, ils ont regrett en
revanche que, faute de privilgier une autre approche que lapproche
rpressive, linstitution judiciaire ne parvienne pas contrler
efficacement les entreprises, comme elle pourrait le faire si elle
cherchait moins punir qu redresser et par des amendes
transactionnelles [ donner] une seconde chance aux entreprise .
Rejoignant les propos tenus en audition par Mme Claude Revel,
dlgue interministrielle lintelligence conomique, ils ont soulign
que linterprtation trs extensive donne par les autorits
gouvernementales amricaines ce qui relve de leur juridiction les
conduit traiter, par ce biais, du cas dentreprises franaises qui
devraient plutt choir aux juridictions franaises. Selon eux, si lon
veut viter que ce modle simpose nous sans y avoir trouv la rponse
adquate, il est donc ncessaire de prendre la mesure du changement
de paradigme engag, afin den tirer parti pour faire voluer notre
rgulation.
Vos rapporteurs observent toutefois que le modle propos nest pas
sans inconvnient : lefficacit se paie au prix dun affaiblissement
des garanties offertes aux entreprises concernes. Dailleurs, comme
le note les intervenants dans leur ouvrage2, le Royaume-Uni, qui a
adopt un dispositif similaire en avril 2013, la adapt pour prvoir
lintervention dun juge au dbut et la fin de la procdure.
B. UNE PROTECTION DES ENTREPRISES FRANAISES RENFORCER
Il a t soulign plusieurs reprises au cours des auditions que
labsence de confidentialit des avis juridiques rendus au sein de l
entreprise constituait aujourdhui un vritable dsavantage comptitif
pour le droit franais et les juristes dentreprise.
En effet, si les salaris dune socit sont tenus au respect du
secret professionnel, celui-ci nest pas opposable aux
investigations judiciaires. Seule la confidentialit des changes
entre une entreprise et son avocat est
1 Ainsi, rcemment, la socit BNP-Paribas a accept de payer une
amende de 9 milliards de dollars, et la socit Alsthom, une amende
de plus de 700 millions de dollars. 2 Op. cit. p. 136 et s.
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- 12 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
garantie. Les juristes dentreprise, dont la profession est
pourtant de conseiller leur employeur pour toute question dordre
juridique, nen bnficient pas et sont traits, de ce point de vue,
comme nimporte quel autre salari.
Or, dans dautres pays, leurs homologues se sont vus reconnatre
le bnfice dun privilge lgal (legal privilege), qui permet dassurer
la confidentialit de leurs changes avec leur employeur et de
lopposer aux investigations judiciaires ou certaines procdures
civiles d obtention de preuves, comme la procdure amricaine de
discovery1. Cette confidentialit trouve sa source soit, comme en
Belgique, dans le statut propre des juristes dentreprise, soit dans
leur qualit davocat (lawyer aux tats-Unis ou sollicitor au
Royaume-Uni), qui nest pas jug incompatible avec le fait quils
soient uniquement salaris de lentreprise.
La difficult nat de la confrontation des systmes juridiques,
lorsquun juge amricain autorise lengagement dune procdure de
discovery contre une entreprise franaise et que celle-ci ne peut
opposer la confidentialit, au regard du droit franais, des changes
quelle a eu avec ses juristes. Cette entreprise est donc dsavantage
du point de vue du droit tranger par rapport ses concurrentes.
Or, les grands groupes internationaux tirent les consquences de
ce dsavantage en dlocalisant leur service juridique dans un tat qui
confre aux intresss un privilge de confidentialit ou en nommant en
qualit de juristes dentreprise des professionnels trangers, avocats
dun autre droit que le droit franais, qui peuvent faire bnficier de
ce privilge.
Il existe certes dans notre droit une loi dite de blocage qui
rprime pnalement le fait de tenter dobtenir, en vue de constituer
des preuves dans le cadre dune procdure administrative ou
judiciaire, des documents ou des renseignements conomiques, par
dautres voies que celles reconnues par les traits internationaux ou
celles applicables en France2. Mais, outre quelle est peu applique
et parfois carte par les juridictions trangres, elle n apporte
aucune protection particulire aux documents et avis des juristes
dentreprise sollicits selon une procdure conforme ce quexige les
traits internationaux ou la rglementation franaise.
1 La procdure de discovery est une procdure dinvestigation ou
dinstruction pralable un procs civil ou commercial conduite la
demande dune des parties, le cas chant sous habilitation
judiciaire, pour constituer les preuves requises en vue de la tenue
du procs, en puisant si ncessaire dans les documents dtenus par
lautre partie. 2 Loi n 68-678 du 26 juillet 1968 relative la
communication de documents et renseignements d'ordre conomique,
commercial, industriel, financier ou technique des personnes
physiques ou morales trangres.
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AVANT-PROPOS - 13 -
III. LES ENJEUX DAVENIR DU DROIT FRANAIS DES ENTREPRISES
Au-del dun constat globalement satisfaisant lgard du droit des
entreprises comme des difficults ponctuelles quil recle, vos
rapporteurs souhaitent insister sur quelques enjeux majeurs
auxquels le droit franais des entreprises est dornavant confront et
auxquels il faudra rpondre dans un dlai rapide pour maintenir son
efficacit et sa contribution la comptitivit juridique des
entreprises franaises.
A. UN NOUVEL QUILIBRE TROUVER ENTRE STABILIT DU DROIT ET
POURSUITE DU PROCESSUS DE SIMPLIFICATION
Vos rapporteurs considrent que toute mesure de simplification ne
saurait tre par principe bonne en soi, en particulier si elle porte
une atteinte trop forte la scurit juridique des actes des
entreprises.
Le maintien dune rgle imparfaite mais bien connue des acteurs
est dans certains cas prfrable un changement dstabilisant au nom de
la simplification. Une mesure authentique de simplification est une
mesure qui supprime une charge administrative inutile ou une
procdure complexe qui napporte aucune protection substantielle aux
entreprises, sans perturber daucune manire les relations de
lentreprise avec les tiers dans le cadre de son activit
conomique.
Vos rapporteurs attirent lattention sur les effets pervers
potentiels de certaines mesures prsentes comme des mesures de
simplification, dans le cas o des procdures peu contraignantes ou
peu coteuses sont remises en cause, alors quelles garantissent aux
entreprises concernes un niveau lev de scurit juridique.
Dans ces conditions, vos rapporteurs appellent une mthode qui se
fonderait sur une thorie du bilan, cest--dire une comparaison entre
les avantages attendus dune mesure de simplification et les
inconvnients qui pourraient en rsulter, en termes de moindre scurit
juridique ou de risque datteinte aux droits des tiers ou des
diffrentes parties prenantes de lentreprise. Un meilleur quilibre
est ainsi trouver entre la stabilit des normes protectrices et la
simplification des normes inutilement complexes.
Par ailleurs, les reprsentants des entreprises entendues par
votre commission ont appel de leurs vux une meilleure association
des acteurs
conomiques dans la prparation et la programmation des travaux
lgislatifs et des rformes raliser concernant les entreprises, tant
de la part du Gouvernement que de la part des assembles
parlementaires.
Forts des mthodes de travail de votre commission, vos
rapporteurs estiment utile dassocier de faon plus permanente les
acteurs conomiques dans llaboration et la discussion des textes
lgislatifs les concernant, tout en rappelant larbitrage ncessaire
qui appartient au seul lgislateur entre les
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- 14 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
intrts des entreprises et la recherche de lintrt gnral, qui peut
conduire sen loigner.
B. LE RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES
Au nom notamment de la protection lgard de la concurrence et de
lgalit des armes dans la comptition internationale, on assiste
depuis longtemps une demande croissante de protection et de
confidentialit des informations concernant les entreprises ou leur
appartenant, ainsi qu une contestation des obligations de
transparence et de publicit, alors mme que ces obligations ont
tendance se renforcer, en particulier pour les socits cotes,
notamment linitiative du lgislateur1.
Cette demande manant des entreprises se manifeste, par exemple,
par la possibilit offerte aux entreprises de moins de 10 salaris,
depuis 2014, dopter pour la confidentialit des comptes quelles
dposent au registre du commerce et des socits2, conformment au
droit europen en la matire, mais rebours de la tradition franaise
de publicit lgale des informations relatives aux entreprises.
Cette demande rcurrente sillustre galement par le dbat actuel
sur la protection du secret des affaires, ouvert depuis plusieurs
annes.
Au niveau national, divers travaux ont t conduits lAssemble
nationale ces dernires annes, aboutissant au dpt dune proposition
de loi par notre collgue dput Jean-Jacques Urvoas, prsident de la
commission des lois, le 16 juillet 20143. Cette proposition a t
reprise par amendement au projet de loi pour la croissance et
lactivit, ces dispositions tant ensuite supprimes en sance publique
du fait dune controverse sur leur ventuel impact sur les activits
dinvestigation des journalistes et de la presse.
Le texte discut par lAssemble nationale tendait protger au titre
du secret des affaires toute information qui ne prsente pas un
caractre public, qui sanalyse comme un lment part entire du
potentiel scientifique et technique, des positions stratgiques, des
intrts commerciaux et financiers ou de la capacit concurrentielle
de son dtenteur et revt en consquence une valeur conomique et qui
fait lobjet de mesures de protection pour en prserver le caractre
confidentiel. Lobtention et lutilisation illicites dun tel secret
sont interdites. En saisissant le juge civil, lentreprise concerne
pouvait obtenir rparation et toute mesure pour faire cesser une
atteinte un secret. De plus, lobtention et lutilisation illicites
taient punies de trois ans de prison et
1 Par exemple publication dinformations au titre de la
responsabilit sociale et environnementale. 2 Ordonnance n 2014-86
du 30 janvier 2014 allgeant les obligations comptables des
micro-entreprises et petites entreprises. Le projet de loi pour la
croissance et lactivit propose dtendre loption de confidentialit au
compte de rsultat des entreprises de moins de 50 salaris, comme le
permet le droit europen. 3 Une proposition de loi de notre ancien
collgue dput Bernard Carayon avait t adopte par lAssemble nationale
en janvier 2012, sans suite.
-
AVANT-PROPOS - 15 -
de 375 000 euros damende, peines alourdies en cas datteinte la
souverainet, la scurit ou aux intrts conomiques essentiels de la
France.
Au-del de ce contexte politique vos rapporteurs considrant au
demeurant que ces dispositions ne menaait pas la libert de la
presse ou la mise au jour dinfractions commises par les entreprises
, la mise en place dun rgime efficace de protection du secret des
affaires est indispensable pour les entreprises franaises, quelles
que soient les modalits retenues. De telles mesures participent de
la protection des innovations et des savoir-faire des entreprises
franaises, au-del des seuls droits de proprit industrielle, et
contribuent la lutte contre lespionnage conomique.
cet gard, vos rapporteurs rappellent qua t prsente par la
Commission europenne, en novembre 2013, une proposition de
directive sur la protection des savoir-faire et des informations
commerciales non divulgus (secrets daffaires) contre lobtention,
lutilisation et la divulgation illicites. Ce texte a t approuv par
le Conseil de lUnion europenne en mai 2014 et se trouve
actuellement en cours dexamen au Parlement europen. terme, cette
directive devra tre transpose1.
Pour autant, la question de la mise en place dun rgime national
de protection avant cette chance demeure pertinente, au regard des
dispositifs institus dans certains droits trangers et de lurgence
de la situation.
C. LA CONFIDENTIALIT DES AVIS JURIDIQUES INTERNES
Comme on la vu prcdemment, le dfaut de toute confidentialit
accorde aux avis juridiques changs au sein de lentreprise
constitue, pour les entreprises franaises, un dsavantage comptitif,
qui peut peser sur la dcision dune socit dopter pour le droit
franais ou dimplanter en France sa direction des affaires
juridiques.
Surtout, cette absence de confidentialit est susceptible de
jouer contre la lgalit, en conduisant les juristes dentreprise
taire les objections juridiques quils pourraient formuler ou les
transmettre de manire dissimule afin dviter, si leur avis tait
saisi, quil soit utilis pour prouver que lentreprise a pris en
connaissance de cause le risque juridique quils lui avaient
signal.
Il apparat donc opportun dinstaurer une telle confidentialit,
pour peu quelle soit entoure de suffisamment de garanties pour
viter toute drive.
Deux modles sont envisageables.
1 Outre quelques diffrences ponctuelles caractre procdural entre
la proposition de directive et les dispositions temporairement
introduites dans le projet de loi pour la croissance et lactivit,
on peut relever dautres diffrences, en particulier linstauration
dans le projet de loi dun dlit de violation du secret des affaires,
alors que le texte europen sen tient des mesures civiles.
-
- 16 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
Le premier modle est celui dun privilge de confidentialit qui
serait la contrepartie du rle de conseil juridique jou par le
juriste dentreprise. Il saccompagnerait de la dfinition dun certain
nombre dexigences dontologiques applicables aux intresss, afin de
parer toute drive. Telle est la solution retenue notamment par le
droit belge.
Le second modle, inspir du droit anglo-saxon, est celui de
lavocat exerant en entreprise. Ce dispositif prsente le mrite de
sappuyer sur des corps de rgle dj connus, celui du secret
professionnel de lavocat et celui de la dontologie et de la
rgulation disciplinaire des ordres professionnels.
Lun et lautre de ces deux modles buttent toutefois sur la mme
difficult : lexercice salari en entreprise implique ncessairement
une relation de subordination entre lemployeur et le conseil
juridique. Or, le juge peut considrer que ce rapport de
subordination est incompatible avec la reconnaissance dun privilge
de confidentialit au profit du professionnel en cause.
Telle a t linterprtation retenue par la Cour de justice de
lUnion europenne1. Son raisonnement sarticule en deux points. Tout
dabord, la Cour rappelle que la protection apporte aux changes
entre un avocat et son client procde dune conception du rle de
lavocat, considr comme collaborateur de la justice et appel
fournir, en toute indpendance et dans lintrt suprieur de celle-ci,
lassistance lgale dont le client a besoin . Cette protection, qui a
pour contrepartie la discipline professionnelle, impose et contrle
dans lintrt gnral , nest donc justifie quautant que lavocat demeure
bien indpendant de son client. Or, cette exigence dindpendance
implique labsence de tout rapport demploi entre lavocat et son
client . La Cour en conclut que la protection au titre du principe
de la confidentialit ne stend pas aux changes au sein dune
entreprise ou dun groupe avec des avocats internes .
Larrt de la Cour se limite toutefois refuser lopposabilit de ce
principe de confidentialit invoqu par des avocats en entreprise
salaris aux investigations conduite par la Commission europenne ou
les services des institutions europennes. Il laisse toute latitude
aux tats membres pour retenir dautres principes dans leur droit
interne.
Le projet de loi prcit pour la croissance et lactivit contenait
initialement une demande dhabilitation prendre par ordonnance les
mesures ncessaires la cration dun statut davocat en entreprise,
devant permettre aux avis rendu par ces professionnels dtre
couverts par le secret professionnel li la qualit davocat.
Toutefois, les vives contestations que cette disposition a
souleves, en particulier sur lincompatibilit allgue entre
lindpendance dexercice propre lavocat et son recrutement en tant
que salari dune socit, ont
1 CJUE, 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros
Chemicals c. Commission, C-550/07 P.
-
AVANT-PROPOS - 17 -
conduit la suppression de cette demande dhabilitation par
lAssemble nationale.
Vos rapporteurs constatent toutefois que le problme reste entier
et quen dpit de trs nombreuses rflexions pralables, aucun des deux
modles ne fait lunanimit. Il semble plus que jamais ncessaire que
cette question soit tranche, soit en faveur dun privilge de
confidentialit, soit en faveur dun statut davocat en entreprise
adapt aux conditions de lexercice salari.
* *
*
En conclusion de leurs travaux, vos rapporteurs souhaitent que
les enjeux davenir et les questions pendantes quils ont esquisses
ne soient pas luds. Ainsi, les deux questions aujourdhui
fondamentales de la protection du secret des affaires et de la
confidentialit des avis juridiques internes devront tre traites,
quelles quen soient les modalits, brve chance.
Ils estiment galement que, dans lintrt de lconomie franaise et
de nos entreprises, il convient de procder rgulirement une
valuation du droit franais des entreprises linitiative de votre
commission des lois, qui ne peut se satisfaire de la simple
addition de mesures de simplification.
-
EXAMEN EN COMMISSION - 19 -
EXAMEN EN COMMISSION
Mercredi 8 avril 2015
M. Philippe Bas, prsident. Nous examinons le rapport
dinformation de MM. Michel Delebarre et Christophe-Andr Frassa sur
les enjeux dattractivit internationale et de souverainet du droit
des entreprises.
M. Michel Delebarre, co-rapporteur. Nous avons dcid, en novembre
2014, de crer une mission dinformation sur les enjeux dattractivit
internationale et de souverainet du droit franais des
entreprises.
Nous avons voulu vrifier, dune part, si le droit franais est
adapt
au contexte de la comptition conomique des systmes juridiques
nationaux dans les rgles tablies comme dans leur application par le
juge, notamment vis--vis du droit anglo-saxon, et, dautre part, sil
offre aux entreprises franaises des armes appropries et aussi
efficaces que celles des autres systmes juridiques.
Nous nous sommes attachs aux diffrents aspects du droit des
entreprises en lien avec les comptences de la commission : droit
des socits, droit financier, droit de la concurrence, droit de la
consommation, droit de la proprit intellectuelle, ainsi que les
procdures juridictionnelles ou quasi juridictionnelles qui
permettent den contrler le respect et den sanctionner les ventuels
manquements. Nous avons cart le droit fiscal, le droit social et le
droit du travail, manifestement hors de la comptence de notre
commission.
Lors de la cration de la mission dinformation, nous ignorions
que le projet de loi pour la croissance et lactivit, dpos lAssemble
nationale
en dcembre 2014, comporterait plusieurs dispositions entrant
dans son champ dtude, par exemple le statut davocat en entreprise,
la protection
civile et pnale du secret des affaires, la confidentialit des
comptes des socits ou encore la procdure de transaction sur le
montant des sanctions financires prononces par lAutorit de la
concurrence.
Compte tenu de lexamen de ce texte en sance ces jours-ci, il
paraissait opportun de conclure les travaux de la mission
dinformation,
aprs la tenue dauditions en commission au mois de mars. Pour
autant, ce
projet de loi ne saurait constituer un terme aux rflexions
ouvertes, qui mriteront dtre prolonges, dautant que certaines des
dispositions
prcites en ont t retires au bnfice de dbats ultrieurs, je pense
lavocat en entreprise et au secret des affaires.
-
- 20 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
Je prsenterai pour ma part les constats que lon peut tirer
des
auditions, puis Christophe-Andr Frassa dgagera quelques
perspectives de rflexion.
Le premier constat que je formule, cest que les auditions ont
mis en
lumire une large satisfaction lgard du droit franais des
entreprises et
du fonctionnement des juridictions et des autorits de rgulation
dans le champ conomique. Je tiens le souligner car nous navions pas
conscience
a priori dun tel constat.
Le droit franais ne fait donc pas peser sur les entreprises
intervenant ltranger un dsavantage comptitif ou un handicap
quelconque pour faire face la concurrence. Il permet donc aux
entreprises franaises dvoluer dans la comptition conomique
internationale comme
aux entreprises trangres de sinstaller en France.
Quelques succs ont mme t mis en avant : la socit par actions
simplifie, la qualit des procdures dexcution, la rapidit des
formalits
dimmatriculation des entreprises, la fiabilit du systme
dinformation
lgale et de contrle lgal des comptes ou encore la qualit des
prestations des professionnels du droit et du chiffre qui
accompagnent les entreprises.
Les critiques rcurrentes portent sur le droit fiscal, le droit
social et le droit du travail, de la part des entreprises franaises
comme de la part des entreprises trangres.
La poursuite du processus de simplification par les
gouvernements successifs a t largement salue par les intervenants,
mais associe un appel une plus grande stabilit des normes
applicables aux entreprises. Ces deux injonctions, en apparence
contradictoires, sont en ralit complmentaires, ds lors que lon
entend la simplification comme
lallgement ou la suppression dune charge administrative ou dun
cot qui
peut en rsulter, sans remettre en cause la stabilit des normes
de fond applicables aux entreprises.
Des difficults ponctuelles ont cependant t soulignes, issues
dinitiatives lgislatives juges malheureuses et trs critiques, en
particulier
lobligation dinformer pralablement les salaris en cas de cession
de leur
entreprise ( loi Hamon ) mme si vous me permettrez, titre
personnel, dtre plus rserv , lapplication automatique du droit de
vote double pour les actions de socits cotes dtenues au nominatif
depuis deux ans ou encore labandon du principe de neutralit des
organes de direction des socits faisant lobjet dune offre publique
dacquisition ( loi Florange ). Ces dispositions suscitent des
ractions fortes, mais ne remettent pas en cause le constat
gnral.
cet gard, nous entrons dans la priode des assembles gnrales
annuelles et de nombreuses rsolutions ont t prsentes pour carter
les droits de vote doubles.
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EXAMEN EN COMMISSION - 21 -
Au titre du constat, nous devons galement avoir conscience de la
prfrence des entreprises pour lautorgulation, la soft law et des
modes plus souples et discrets de rgulation ou de rglement des
litiges. Leurs reprsentants ont distingu la justice qui tranche ou
sanctionne de larbitrage
ou des modes de rglement amiable des diffrends que sont la
mdiation ou la transaction. La qualit de la place de Paris en
matire darbitrage a dailleurs t salue.
Une approche ngocie de la rgulation prsente un double mrite :
celui dune meilleure prvisibilit, les entreprises acceptant de
transiger en
fonction dun bilan cot-avantage, et celui dune plus grande
implication de loprateur conomique dans lapplication de la norme ou
de laccord de
transaction.
Le dernier lment du constat que je souhaite dresser est la
question de la confrontation de notre droit avec le droit amricain,
la confrontation de nos entreprises avec le systme de rgulation
conomique amricain.
La premire de nos auditions en commission, sur la justice ngocie
aux tats-Unis, a suscit de vives ractions de la part de nombreux
collgues. Il faut cependant que nous ayons conscience de la ralit
que vivent nos entreprises sur le sol amricain, pour en tirer les
consquences qui simposent.
En France, la poursuite des infractions conomiques est soit le
fait de lautorit judiciaire, soit celui des autorits de rgulation,
dans le respect des principes de notre droit, sous le contrle du
juge.
Le systme amricain, quant lui, dissocie la transaction du
contrle judiciaire. Les autorits de poursuite peuvent proposer aux
entreprises un accord, en labsence de tout contrle judiciaire, avec
notamment le paiement damendes trs leves et trs mdiatiques. Les
entreprises sy soumettent
par crainte des consquences coteuses dune action en justice
comme des
risques dexpulsion du march amricain. En raison de lefficacit de
ce
systme, la question a t pose de lutilisation en France de tels
mcanismes, en faisant voluer notre systme de rgulation, pour
assurer le respect du droit franais lgard des entreprises trangres
et pour protger
nos entreprises.
Pour conclure, je dirais que nous devrions nous astreindre
rgulirement, dans lintrt de lconomie franaise et de nos
entreprises,
procder une valuation du droit franais des entreprises comme
nous venons de le faire, pour voir si le constat globalement
positif que jai dcrit se dgrade ou samliore.
M. Christophe-Andr Frassa, co-rapporteur. la suite de Michel
Delebarre, il mappartient de vous prsenter les enjeux davenir qu i
se posent notre droit des entreprises.
-
- 22 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
En matire de simplification, je ninsisterai pas, mme sil y
aurait
beaucoup dire, sur le nouvel quilibre trouver entre la stabilit
des normes protectrices et la simplification des normes inutilement
complexes, en associant mieux les acteurs conomiques.
Je dirais simplement que le maintien dune rgle imparfaite
mais
bien connue des acteurs est dans certains cas prfrable un
changement dstabilisant au nom de la simplification. Une vraie
mesure de simplification est une mesure qui supprime une charge
administrative inutile ou une procdure complexe qui napporte aucune
protection substantielle aux
entreprises, sans perturber les relations de lentreprise avec
les tiers ni porter
atteinte la scurit juridique de ses actes. Il faut donc
simplifier avec mthode pour viter les effets pervers potentiels de
certaines mesures prtendues de simplification.
Deux sujets majeurs sont apparus lors des auditions : dune part,
la
protection du secret des affaires et, dautre part, la
confidentialit des avis juridiques internes aux entreprises. Ces
deux sujets ont t abords dans le projet de loi pour la croissance
et lactivit, avant den tre retirs.
Sagissant du secret des affaires, divers travaux ont t conduits
lAssemble nationale ces dernires annes, aboutissant au dpt dune
proposition de loi par Jean-Jacques Urvoas, en juillet 2014.
Cette proposition a t reprise par amendement au projet de loi pour
la croissance et lactivit,
ces dispositions tant ensuite supprimes en sance publique du
fait dune controverse sur leur ventuel impact sur les activits
dinvestigation des
journalistes.
Le texte discut par lAssemble nationale tendait protger au
titre
du secret des affaires toute information qui ne prsente pas un
caractre public, qui sanalyse comme un lment part entire du
potentiel scientifique et technique, des positions stratgiques, des
intrts commerciaux et financiers ou de la capacit concurrentielle
de son dtenteur et revt en consquence une valeur conomique et qui
fait lobjet de mesures de protection pour en prserver le caractre
confidentiel. Lobtention et lutilisation illicites dun tel
secret
taient interdites. En saisissant le juge civil, lentreprise
concerne pouvait obtenir rparation et toute mesure pour faire
cesser une atteinte un secret. De plus, lobtention et lutilisation
illicites taient punies de trois ans de
prison et de 375 000 euros damende, peines alourdies en cas
datteinte la
souverainet, la scurit ou aux intrts conomiques essentiels de la
France.
Je ne crois pas, pour ma part, que ces dispositions menaaient la
libert de la presse ou la mise au jour dinfractions commises par
les
entreprises.
Au-del de ce contexte politique, la mise en place dun rgime
efficace de protection du secret des affaires est indispensable
pour les entreprises franaises, quelles que soient les modalits
retenues. De telles
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EXAMEN EN COMMISSION - 23 -
mesures participent de la protection des innovations et des
savoir-faire des entreprises franaises, au-del des seuls droits de
proprit industrielle, et contribuent la lutte contre lespionnage
conomique.
cet gard, je rappelle que la Commission europenne a prsent, en
novembre 2013, une proposition de directive sur la protection des
savoir-faire et des informations commerciales non divulgus (secrets
daffaires)
contre lobtention, lutilisation et la divulgation illicites. Ce
texte a t
approuv par le Conseil de lUnion europenne en mai 2014 et se
trouve
actuellement en cours dexamen au Parlement europen. terme, cette
directive devra tre transpose.
Pour autant, la question de la mise en place dun rgime national
de
protection avant cette chance demeure pertinente, au regard des
dispositifs institus dans certains droits trangers et de lurgence
de la situation.
Sagissant de la confidentialit des avis juridiques internes
lentreprise, les auditions ont montr que labsence de
confidentialit de ces
avis constituait aujourdhui un vritable dsavantage comptitif. En
effet, si les salaris dune socit sont tenus au respect du secret
professionnel, celui-ci nest pas opposable aux investigations
judiciaires. Seule la confidentialit des changes entre une
entreprise et son avocat est garantie. Les juristes dentreprise nen
bnficient pas et sont traits comme nimporte quel autre salari.
Dans dautres pays, les juristes dentreprise bnficient dun
privilge lgal qui permet dassurer la confidentialit de leurs
changes avec
leur employeur et de lopposer aux investigations judiciaires ou
certaines procdures civiles dobtention de preuves, comme la
procdure amricaine
de discovery.
La difficult dans ce domaine nat de la confrontation des systmes
juridiques, lorsquun juge amricain autorise, par exemple,
lengagement
dune procdure de discovery contre une entreprise franaise et que
celle-ci ne peut opposer la confidentialit, au regard du droit
franais, des changes quelle a eu avec ses juristes. Cette
entreprise est donc dsavantage du point
de vue du droit tranger par rapport ses concurrentes
anglo-saxonnes.
Or, les grands groupes internationaux tirent les consquences de
ce dsavantage en dlocalisant leur service juridique dans un tat qui
confre aux intresss un privilge de confidentialit ou en nommant en
qualit de juristes dentreprise des professionnels trangers, avocats
dun autre droit
que le droit franais, qui peuvent faire bnficier de ce
privilge.
Il existe certes dans notre droit une loi de 1968 dite de
blocage qui rprime le fait de tenter dobtenir, en vue de constituer
des preuves dans le cadre dune procdure administrative ou
judiciaire, des documents ou des
renseignements conomiques, mais elle est peu applique et ne
rpond pas la question de la confidentialit des avis juridiques
internes.
-
- 24 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
Il existe donc deux modles dont nous pouvons nous inspirer.
Le premier modle, correspondant au droit belge, est celui
dun
privilge de confidentialit qui serait la contrepartie du rle de
conseil juridique jou par le juriste dentreprise.
Le second modle, inspir du droit anglo-saxon, est celui de
lavocat exerant en entreprise. Il prsente le mrite de sappuyer sur
des corps de
rgle dj connus, en particulier le secret professionnel de
lavocat.
Lun et lautre de ces deux modles buttent toutefois sur la mme
difficult : lexercice salari en entreprise implique ncessairement
une
relation de subordination entre lemployeur et le conseil
juridique. Or, le
juge peut considrer que ce rapport de subordination est
incompatible avec la reconnaissance dun privilge de confidentialit
au profit du professionnel
en cause. Telle a t linterprtation retenue par la Cour de
justice de lUnion
europenne, pour ce qui concerne les investigations conduites au
niveau europen. Il laisse toute latitude nanmoins aux tats membres
pour retenir dautres principes dans leur droit interne.
Le projet de loi pour la croissance et lactivit contenait
initialement
une demande dhabilitation prendre par ordonnance les mesures
ncessaires la cration dun statut davocat en entreprise. Trs
conteste par la profession, cette habilitation a t supprime par
lAssemble
nationale.
Ainsi, pour le secret des affaires comme pour la confidentialit
des avis juridiques internes aux entreprises, il va falloir
trancher la question, quelles quen soient les modalits, et ce brve
chance, sauf
dsavantager gravement nos entreprises et accrotre les facteurs
de dlocalisation dtats-majors de grandes socits, voire de siges
sociaux. Le droit social et le droit discal jouent dj en faveur de
la dlocalisation. Je rappelle que quatre socits du CAC 40 ont dj
leur sige ltranger.
Pour conclure, je joins ma voix celle de Michel Delebarre pour
suggrer une valuation rgulire de notre droit des entreprises, par
des auditions appropries, pour voir si le constat reste positif.
Sur les deux dernires questions cependant, nous ne pourrons pas
attendre plusieurs annes, car cest la comptitivit juridique de nos
entreprises qui est en jeu.
M. Philippe Bas, prsident. Il me semble que ce rapport valide
lintuition de dpart qui nous avait conduits crer cette mission
dinformation. Il y a en effet des enjeux de comptitivit trs
forts dans le droit des entreprises. Une partie de ces questions
est aborde dans le projet de loi pour la croissance et lactivit, en
cours de discussion, mais le sujet
nest pas puis pour autant, loin de l. Il pourrait tre intressant
de prolonger votre rflexion pour la traduire par des propositions,
en lien avec le rapporteur de la commission spciale sur ce projet
de loi, membre de la commission des lois, Franois Pillet.
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EXAMEN EN COMMISSION - 25 -
M. Jean-Jacques Hyest. Je veux dabord remercier les deux
rapporteurs davoir rappel la qualit du droit franais en la
matire.
Contrairement ce que lon peut parfois entendre, il nest pas
impossible de
crer rapidement une entreprise en France. Le systme dinformation
lgale
fonctionne trs bien et les procdures pour les entreprises ont t
largement simplifies.
Par ailleurs, la cration de la socit par actions simplifie a t
un progrs considrable, tel point que lon peut se demander sil
restera
beaucoup de socits anonymes classiques dans quelque temps...
Certains souhaitent mme la cration dune socit anonyme
unipersonnelle, ce qui
me parat contradictoire dans les termes, mais la rflexion est
permise. Soulignons encore la cration de la socit europenne, dans
laquelle la commission des lois du Snat est intervenue. Nous avons
longtemps tard sur cette question, mais elle a t finalement cre.
Elle permet aux entreprises de sinstaller plus facilement en
France.
Sauf erreur de ma part, la question importante de la
confidentialit des comptes des entreprises, traite dans le projet
de loi pour la croissance et lactivit, na pas t voque, mais
peut-tre lest-elle dans le rapport crit. Je rappelle que fournir
les comptes dune socit permet aussi de faire de la
prvention des difficults des entreprises. Lorsque le tribunal de
commerce demande de les fournir, cela peut rvler des difficults et
donner lieu la mise en uvre de procdures de soutien des
entreprises. Il sagit certes dun
autre type de socit que celles du CAC 40.
Sagissant ensuite de la confidentialit des avis juridiques,
je
rappelle que la conception que nous avons du rle de lavocat en
France nest
pas du tout celle de lavocat anglo-saxon. Il est possible de
faire appel des cabinets davocats pour des avis juridiques, et il
nest pas ncessaire
dintgrer toute la fonction juridique au sein de lentreprise. On
pourrait
trouver une solution sans confrer le statut davocat aux juristes
en entreprise, car on ne peut tre avocat si lon dpend dune
entreprise. Il
serait intressant dassurer la confidentialit des avis juridiques
pour ne pas
risquer daboutir des procdures contentieuses avec, notamment, le
droit amricain. Ce point a t retir du projet de loi pour la
croissance et lactivit
car le sujet nest pas mr.
M. Philippe Bas, prsident. Je suis frapp par le fait que dautres
professions que celle davocat peuvent sexercer dans le cadre dun
contrat
de travail, avec un lien de subordination qui trouve ses limites
dans la rglementation propre ces professions. Je pense aux mdecins,
mais aussi aux pharmaciens dans les laboratoires, pour lesquels la
lgislation impose la prsence dun rfrent personnellement responsable
de lapplication des
normes, dont les dcisions simposent lemployeur dune certaine
faon.
On pourrait concevoir, sur ce modle, quun avocat soit salari
dune entreprise tout en conservant son indpendance.
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- 26 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
M. Pierre-Yves Collombat. Je suis intress par ce sujet, qui est
exotique pour moi. Ctait une trs bonne ide dorganiser ces
auditions. Mais jai limpression que lon fait les choses lenvers. Je
croyais que le
droit simposait et devait permettre aux individus de vivre
ensemble. Or
cest le contraire, le droit se doit dtre attractif. Je me
demande si, dans cette logique, on ne dsarme pas face aux grandes
entreprises qui, habilement, imposent leurs rgles, lesquelles en
gnral ne leur sont pas dfavorables. Je suis donc gn par la faon de
poser le problme. Nous sommes censs vivre dans la transparence,
notamment nous les lus, mais les entreprises, elles, ne veulent pas
ltre. Jai beaucoup appris de ce rapport mais je suis encore
plus
inquiet depuis
M. Christophe-Andr Frassa, co-rapporteur. Pour rpondre vos
questions, le souci de transparence et celui de la protection du
secret sont des proccupations distinctes. La transparence des
comptes est ncessaire, compte tenu de lactualit. La protection des
secrets daffaires est elle aussi
indispensable, car nos entreprises voluent dans une comptition
mondiale. Cest le droit qui les protge et les rend comptitives.
Pour rpondre Jean-Jacques Hyest sur les avocats en entreprise,
dans le projet de loi pour la croissance et lactivit, cest
lhabilitation demande par le Gouvernement pour travailler sur la
question qui a mis le feu aux poudres, par son caractre gnral et
imprcis. Les auditions ont montr que les avocats, dune part, et les
juristes dentreprise, dautre part,
restent camps sur leurs positions. Il faudra trancher entre les
deux pistes que nous voquons dans notre rapport ou bien trouver un
autre systme, la franaise
Par ailleurs, la cration de socits par actions simplifies ne
fera pas disparatre les socits anonymes, car les socits par action
simplifies ne peuvent pas, pour leur part, tre cotes en bourse.
Enfin, je rappelle que la confidentialit des comptes,
lorsquune
socit demande en bnficier, nest pas opposable lautorit
judiciaire, et donc ne fait pas obstacle aux dispositifs de
prvention des difficults des entreprises.
M. Michel Delebarre, co-rapporteur. Je partage les propos de mon
co-rapporteur. Je voudrais conclure en soulignant la qualit et la
richesse des auditions, qui ont permis une ouverture
intressante.
M. Hugues Portelli. Le rapport dinformation est intressant, mais
ne traite quune toute petite partie du problme. Si les
entreprises
dlocalisent, ce nest pas uniquement cause du statut des avocats
et des
juristes dentreprise.
M. Philippe Bas, prsident. Le rapport dinformation de nos
collgues ne traite pas uniquement de cette question.
La commission autorise la publication du rapport
dinformation.
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COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 11 MARS 2015 - 27 -
COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 11 MARS 2015
M. ANTOINE GARAPON, CO-AUTEUR DE DEALS DE JUSTICE. LE MARCH
AMRICAIN
DE LOBISSANCE MONDIALISE ET MME ASTRID MIGNON COLOMBET,
AVOCATE ASSOCIE AU CABINET SOULEZ LARIVIRE & ASSOCIS
M. Philippe Bas, prsident. Nous accueillons Antoine Garapon et
Astrid Mignon Colombet, auteurs avec Pierre Servan-Schreiber dun
ouvrage intitul Deals de justice. Le march amricain de lobissance
mondialise. Cet ouvrage explore la manire dont les autorits de
rgulation amricaines obligent les entreprises se conformer leurs
prescriptions en renonant se dfendre judiciairement, et diffusent
ainsi leurs propres normes dans les entreprises trangres.
Mme Astrid Mignon Colombet, avocate associe au cabinet Soulez
Larivire & associs. Cest du point de vue de lavocate pnaliste
que je vous prsenterai une pratique, qui connat depuis dix ans un
essor considrable : des entreprises franaises ont conclu avec le
parquet amricain des accords de justice ngocis. Pour avoir t parmi
les premiers dfendre une entreprise franaise dans une telle
procdure, mon cabinet en est un expert. Cette pratique tait peu
connue en France, jusqu ce quen 2014 lopinion publique de notre
pays soit frappe par lnormit de lamende inflige BNP Paribas, la
suite
dun accord de guilty plea : 9 milliards de dollars, pour avoir
enfreint les rgles amricaines sur lembargo. Six mois plus tard, des
allgations de corruption
contraignaient Alstom sacquitter de 772 millions de dollars.
Plusieurs entreprises franaises avaient dj d signer des accords
appels deferred prosecution agreements (DPA), transactions pnales
sans quivalent en France, pour des montants de plusieurs millions
de dollars.
Il en est rsult un sentiment de grande vulnrabilit des
entreprises franaises, dsormais rgies par un systme juridique qui
leur est entirement tranger et dans lequel il est davantage
question du montant des amendes que de la vrit des faits. Il sagit
de comprendre ce modle global en construction, dans lequel voluent
dores et dj nos entreprises, soumises aux rgles
amricaines par lextra-territorialit des normes, afin de
dvelopper une rponse adapte notre culture judiciaire et aux
pratiques de nos entreprises.
Depuis ladoption de la loi amricaine sur les sanctions
conomiques
(Foreign Corrupt Practices Act), toute opration en dollars
effectue par une entreprise franaise et transitant par un compte
bancaire aux tats-Unis relve de la comptence des tribunaux
amricains. Le procs amricain tant long, onreux et radical dans ses
consquences il peut conduire la disparition de la socit mise en
cause , les entreprises cherchent y chapper, quitte
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- 28 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
conclure des deals de justice dont les montants nous semblent
normes. Ces procdures nont pas dquivalent en France. Lentreprise
qui opte pour un guilty plea reconnat formellement sa culpabilit ;
elle renonce du mme coup aux marchs publics et la possibilit de
soumissionner aux appels doffres.
Plus trangers encore nos habitudes, les deferred prosecution
agreements ne matrialisent pas une condamnation : afin dobtenir
labandon des poursuites, lentreprise reconnat les faits par un
statement of fact, non sa culpabilit, et se soumet pour une dure
variant de un trois ans des mesures de prvention sous le contrle
dun moniteur. Troisime type daccord, le non prosecution agreement :
avant mme louverture des poursuites, lentreprise reconnat des
lments de fait et sacquitte dune amende. Le procureur conserve bien
sr la possibilit dinitier des poursuites pendant toute la dure de
laccord, comme
dans un classement avec condition en droit franais.
Si tout semble sparer les systmes franais et amricain, lcart
tend
actuellement se rduire sous limpulsion du droit global. La loi
franaise du 6 dcembre 2013 contre la fraude fiscale et la grande
dlinquance conomique et financire a amen une augmentation
considrable des amendes dont sont passibles les personnes morales
elles peuvent dsormais tre gales au double du produit de
linfraction. La banque UBS a ainsi vers une caution de 1,1 milliard
deuros. En outre, une rflexion est paralllement en cours aux
tats-Unis afin de mieux rglementer les deals de justice, dpourvus
de base lgislative prcise, en renforant le contrle du juge
judiciaire sur ces accords.
Dans ce rapprochement progressif, il ne reste la France quun
pas
accomplir si elle souhaite intgrer ce modle en construction. Si
linstauration
dune justice pnale ngocie suppose pour nous, selon lexpression
du
prsident du tribunal de grande instance de Paris, une rvolution
culturelle , ses propres dclarations du 19 janvier dernier laissent
penser quelle est dj en
marche : il prne le dveloppement dune procdure de plaider
coupable dans les affaires de dlinquance conomique et financire, en
recourant la comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit
(CRPC). Sa cration rpondrait aux rapports svres de lOCDE sur les
dlais de traitement des dossiers par les juridictions franaises. La
clrit ne peut cependant tre lunique motif pour recourir des
procdures de justice ngocie, car la
reconnaissance de culpabilit postule par la CRPC entrane de
lourdes consquences pour laccs aux marchs. Or le DPA, tel quil est
pratiqu aux tats-Unis et en Grande-Bretagne, ne prsente pas cet
inconvnient : il noblige lentreprise qu reconnatre des faits. Les
outils dune justice ngocie doivent
autoriser une discussion relle avec le procureur. Selon le
rapport de lOCDE de 2014, 69 % des affaires de corruption
transnationales sont rsolues par la voie de la justice ngocie.
Celle-ci doit absolument tre dveloppe en France, si nous voulons
entrer dans la logique globale laquelle sont dores et dj confrontes
les entreprises franaises.
La naissance dans notre pays dune culture judiciaire positive de
la
prvention des dlits conomiques et financiers dpend de la
possibilit de
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COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 11 MARS 2015 - 29 -
discuter avec le procureur, alors que notre approche actuelle
est uniquement rpressive. La prvention est la grande absente des
politiques franaises de lutte contre la corruption, quoique les
grandes entreprises franaises aient dj dvelopp des politiques de
mise en conformit (compliance) aux normes anti-corruption, mais
hors de tout cadre juridique franais. Aux tats-Unis ou en
Grande-Bretagne, en revanche, les programmes de compliance mis en
place par les entreprises peuvent avoir un effet bnfique et tre
pris en compte en cas de poursuites.
Le dveloppement dune justice de coopration peut, dans le
cadre
des conventions internationales existantes, suivre deux pistes.
Mieux appliquer, tout dabord, dans le contexte international la
rgle non bis in idem, qui interdit de poursuivre une personne deux
fois pour les mmes faits. Elle est inscrite dans la convention de
lOCDE sur la lutte contre la corruption et figure dans le
pacte international de 1966 sur les droits civils et politiques.
Alors que la corruption est rprime par une convention
internationale, elle donne lieu des poursuites diffrentes dans
diffrents pays. Comment adapter la rgle non bis in idem la
spcificit de ces infractions ? La convention de lOCDE comporte
pourtant dj un mcanisme par lequel les tats peuvent se concerter en
amont des poursuites afin de dterminer lequel est le mieux mme de
les exercer. Un exemple rcent montre que labandon des poursuites
est bien plus facilement
dcid par un tat lorsquun procureur local dun autre tat a dj
pris
linitiative de sanctionner lentreprise en cause : la socit SBM
Offshore a annonc le 12 novembre 2014 quelle acceptait de payer 240
millions deuros au ministre public nerlandais pour des faits de
corruption dagent public tranger et que le dpartement de la justice
amricain, satisfait de cette sanction, renonait la poursuivre.
La revalorisation de notre loi de blocage du 26 juillet 1968
constitue une seconde piste. Alors que les enqutes amricaines
auxquelles sont exposes les entreprises franaises sont bien plus
intrusives que les ntres, notre loi de blocage est mconnue par les
juges amricains et anglais. Depuis larrt de la
Cour suprme concernant Arospatiale en 1987, son application est
rgulirement rejete aux tats-Unis au motif quelle nest pas
suffisamment effective et na donn lieu en France qu une seule
condamnation pnale en
trente ans. Lexpression loi de blocage est dailleurs impropre :
elle laisse croire une interdiction de communiquer des documents
aux autorits trangres, alors quelle vise aiguiller leurs enqutes
vers les procdures
prvues par les traits internationaux, comme la convention de La
Haye sur lobtention des preuves. Cette approche constructive doit
tre encourage et la loi de 1968 comprise comme gardienne des
conventions internationales.
M. Antoine Garapon. Les affaires BNP Paribas et Alstom nous
obligent un revirement stratgique. La France avait implicitement
choisi une justice faible, nintervenant pas sur les questions de
corruption, de sorte que les poursuites auxquelles nous avons
renonc sont dsormais conduites par la justice amricaine, et que les
amendes infliges par elle alimentent le Trsor des
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- 30 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
tats-Unis. Nos institutions sont, juste titre hlas, dcries
ltranger : notre justice fait aussi peu contre la corruption. Or
cest essentiellement par le
dpartement de la justice amricain, les autorits anglaises,
allemandes et italiennes que nous serons jugs. Est crdible une
justice qui intervient dans des dlais pertinents et se donne les
moyens dobtenir les informations ncessaires.
La ntre en est empche par la complexit accrue des affaires Thals
travaille par exemple avec 70 rgulateurs dans le monde et par le
fait que la preuve ne se trouve plus dsormais dans lespace public,
mais est dtenue par le priv. Do lapparition aux tats-Unis dune
profession spcialise dans lobtention, titre onreux, des preuves :
les forensics. Leur cot de plus en plus lev rend les enqutes
insoutenables conomiquement.
Si notre justice nest pas crdible, cest parce quelle nest pas
en
mesure de traiter des contentieux vivants et parce que la
rpartition des magistrats entre juridictions administratives,
comptables et judiciaires fait que les juges judiciaires sont tenus
loigns de la vie des entreprises, quils ne connaissent pas. La
force de leurs collgues amricains ou allemands tient au contraire
la trs grande porosit entre professions du droit et la circulation
des lites entre les postes de juges, de rgulateurs et dacteurs
conomiques.
Alors que les Pays-Bas ont inflig une amende de 450 millions,
quAlstom a d sacquitter de 850 millions de dollars et BNP Paribas
de 9 milliards de dollars, Safran a t condamne en France 500 000
euros, sanction qui a dailleurs t casse en appel. Le manque de
moyens de la justice
saggrave de la faiblesse de ses condamnations.
Les entreprises franaises prennent dsormais conscience que nous
avons besoin dune justice capable dinterventions et de rpressions
crdibles, pour viter que dautres fassent le mnage chez nous. Si
nous disposons de
lquipement lgislatif ncessaire, il nest pas mis en uvre par le
travail de la
justice. Il est indispensable de crer un nouveau statut de
procureur financier, qui ne soit plus soumis au verrou de Bercy et
bnficie de la plnitude de juridiction. Ce pourrait tre un ancien
directeur juridique ou un acteur conomique connaissant bien le
milieu des affaires, comme cela se fait dans de nombreux pays et
ainsi que cela se pratique un peu lAutorit de la concurrence ou
lAutorit des marchs financiers.
La perspective de la rpression en sera transforme : notre
justice cherchera moins punir qu redresser et les amendes
transactionnelles
donneront une seconde chance aux entreprises, pourvu quelles
prennent des engagements fermes et dfinitifs.
Il importe que nous nous dotions dun statut davocat dentreprise
une occasion de le crer a t manque avec la loi Macron . Les
directeursjuridiques des grandes entreprises franaises sont de
moins en moins des Franais, parce que notre culture manque dun
juste respect pour la loi : la moindre condamnation soulve contre
le gouvernement des juges un toll dont nos partenaires trangers
stonnent. Lors dune runion des directeurs
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COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 11 MARS 2015 - 31 -
juridiques du CAC 40 organise par un grand cabinet amricain, il
y avait deux Franais sur douze. Or la fonction de directeur
juridique dentreprise revt une
importance dcisive pour la question qui nous proccupe.
Dans la guerre conomique que nous livrons, il importe de ne pas
nous tromper de bataille : les standards internationaux du droit
sont l, nous ne les changerons pas. Lenjeu nest plus de dfendre le
droit franais, mais de
nous mettre en ordre de bataille pour que la place de Paris,
pour que la France soient en mesure de jouer pleinement leur rle
dans cet univers de grande concurrence conomique. La fonction
juridique, le droit et la justice judiciaire sont appels pour cela
jouer un rle majeur.
M. Philippe Bas, prsident. Votre riche propos prsente pour nous
certains paradoxes : la formation dominante en France nous fait
apparatre les tats-Unis comme un coupe-gorge pour nos entreprises,
plutt quelle ne nous fait percevoir un retard franais et la ncessit
dassainir les comportements des
entreprises. Vous nous invitez porter un autre regard sur le
systme amricain, que nous soyons lgislateurs, magistrats ou chefs
dentreprises.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Le Kriegspiel que vous nous
dcrivez donne une impression curieuse. Vous nous avez dcrit les
tats-Unis comme un pays o tout nest pas jug davance. Je me demande
cependant
pourquoi nous serions vous nous ranger derrire la pratique
amricaine. Est-ce le destin des entreprises franaises qui
travaillent linternational, parce quelles utilisent le dollar ?
Plus redoutable encore est linjonction adresse la justice franaise
de sadapter aux rgles imposes par les tats-Unis.
M. Christophe-Andr Frassa, rapporteur. La procdure amricaine du
deal fait supporter le cot de lenqute lentreprise. Quen est-il ds
lors de lindpendance et de limpartialit des investigations ?
Comment les victimes sont-elles indemnises ? Enfin, quel intrt y
a-t-il pour la France transposer ce modle ?
M. Pierre-Yves Collombat. Ces volutions nous chappent, feignons
de les guider Le revirement est plus conceptuel que stratgique. Une
justice ngocie ? Il y a une contradiction dans les termes. Le
systme revient crer une rgulation entre les entreprises, de manire
ce quelles soient toutes
soumises aux mmes obligations, mais cela conduit placer
lactivit
conomique hors justice. Il en rsulte une justice entre soi dont
les magistrats, sils sont indpendants des lecteurs, ne le seront
pas des milieux daffaires.
Cela me rappelle le prsident Roosevelt, qui lon demandait
comment il avait
pu nommer un ancien gangster la tte de la CIA, et qui avait
rpondu que seul un gangster tait qualifi pour ce mtier.
Rgis Debray, dans Ldit de Caracalla, nous voyait en passe de
devenir Amricains. Cest apparemment ce qui nous attend. Requiem
pour
lEurope ! Voil toute la protection quelle nous aura procure : si
nous voulons continuer dexister et de payer en dollars, il nous
faut faire comme les
Amricains
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- 32 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
M. Jean-Yves Leconte. Les PME doivent aussi faire face aux
difficults du droit de la concurrence. Or elles nont souvent pas
les moyens de faire valoir leurs droits.
La France a pris position, dans les ngociations du partenariat
transatlantique, contre larbitrage. Cela vous semble-t-il cohrent
avec vos proccupations, ou tes-vous favorables au dveloppement de
larbitrage ?
Si les tats-Unis aiment le droit, lconomie chinoise a dpass en
2014 lconomie amricaine. Les volutions que vous nous proposez ne
se
fondent-elles pas sur lobservation du monde dhier ?
M. Philippe Bas, prsident. Autrement dit, le modle chinois
serait plus pertinent pour dvelopper nos affaires que le modle
amricain ?
M. Jean-Yves Leconte. Ctait bien sr une caricature, mais quels
sont au juste les rapports de force prendre en compte aujourdhui
?
M. Jean-Pierre Sueur. Nous nous heurtons en effet un problme
culturel : vous constatez la domination effective dun systme
tranger et nous dites que nous sommes hors jeu si nous ne nous y
adaptons pas. Considrez les consquences de ce raisonnement.
Les juges amricains sont lus, parfois avec le soutien financier
dentreprises. Bien quils reoivent ensuite une formation et prtent
serment
dimpartialit, il reste difficile dy croire tout fait.
Je reste perplexe lide que la preuve sachte : comment nest-elle
pas, ds lors, pervertie dans son principe mme ? Le rapport de
forces actuel justifie-t-il que nous jetions par-dessus bord nos
conceptions de la justice ?
Que pensez-vous, enfin, du fonctionnement de nos tribunaux de
commerce ?
M. Ren Vandierendonck. Nos intervenants ont le mrite de poser de
vraies questions : le systme franais ne donne pas pleinement
satisfaction pour les contentieux commerciaux. Il demeure quil y a
lieu de sinterroger sur
la formation des avocats dentreprise : les titulaires du CAPA
passs par des coles de commerce sont happs ds la sortie par les
grands cabinets.
La formation des magistrats mconnat largement le droit
commercial international. Il en va de mme des coles de commerce, o
il nest enseign qu titre optionnel. Jai t lev, comme tout le monde,
au Long, Weil et Braibant et, bien que je naie aucune envie de
rvolutionner le systme juridique franais, vos exposs nous invitent
nous poser de vraies questions.
M. Jean-Ren Lecerf. Je partage les ractions de mes collgues :
sagit-il encore de justice ou de rapports de force ? Reste que les
entreprises font tout pour viter, par exemple, les contentieux du
travail, parce quelles savent
quils se retourneront entirement contre elles et prfrent souvent
organiser un
deal pour y chapper. Ds lors, la proccupation de la survie des
entreprises et
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COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 11 MARS 2015 - 33 -
des emplois qui en dpendent est-elle bien prsente dans cette
nouvelle conception de la rgle de droit et de la justice ?
M. Jean-Jacques Hyest. Face la mondialisation que connat le
droit des affaires et lapptence des Amricains pour les activits
juridiques, nous ne sommes que des enfants de chur Les tats-Unis
comptent dix fois plus de juristes par habitant que la France.
Je garde un doute sur lide que les juristes dentreprises
fassent
office davocats. Les entreprises amricaines, qui en emploient,
soffrent
galement le concours de cabinets trs puissants. Il existe dj en
France une justice pnale ngocie : celle des procdures conduites par
lAutorit de la concurrence et par lAutorit des marchs financiers,
qui peuvent sanctionner
conventionnellement les pratiques rprhensibles. Lon a trop
pnalis le droit
des affaires : les amendes civiles sont tout aussi efficaces,
comme on le constate dans le droit des socits.
Si nous sommes sensibiliss au sort des grandes socits franaises
condamnes aux tats-Unis, les socits amricaines ne sont pas mieux
loties. Je ne pose plus de questions sur lefficacit de la justice
dans ce domaine, ni sur la qualification des magistrats, je
risquerais de devenir critique.
M. Christophe-Andr Frassa, rapporteur. Comment les juristes qui
rempliraient les fonctions davocat en entreprise les
concilieraient-ils avec le secret professionnel ?
Mme Astrid Mignon Colombet. Votre surprise me surprend et me
rappelle ltat desprit qui tait le mien lorsque nous avons
commenc
travailler ce livre. Nous avons considrablement volu, la
particularit de ce droit global tant justement dtre en perptuelle
mutation. Ds lors que les
entreprises y prennent une part centrale, il ne sagit plus de
vouloir se
soumettre, mais davoir une approche pragmatique.
Le directeur juridique, ou general counsel, joue dsormais un rle
essentiel dans lentreprise et sige son comit excutif. Les avocats
des
grandes firmes amricaines sont les nouveaux auteurs de la
doctrine.
M. Pierre-Yves Collombat. Peut-on encore parler dindpendance
?
M. Jean-Pierre Sueur. Que reprsente ce pragmatisme ?
Mme Astrid Mignon Colombet. La clef pour comprendre ce systme,
et non sy soumettre, est le pragmatisme : considrons-le tel quil
est et dterminons nos possibilits daction. Gardons-nous du
dogmatisme qui applique mcaniquement une rgle prtablie. La justice
pnale ngocie nexiste pas seulement aux tats-Unis, mais aux
Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne Elle est restreinte en
France aux procdures conduites par les
autorits de rgulation, non par les procureurs.
Nous avons le projet de crer, lhorizon 2017, un procureur
europen dot dun pouvoir de transaction pnale : cette volution est
bien
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- 34 - DROIT DES ENTREPRISES : ENJEUX DATTRACTIVIT
INTERNATIONALE, ENJEUX DE SOUVERAINET
engage en Europe. Pourquoi sy soumettre ? Parce que Transparency
International le propose par exemple : cet organisme a publi le 25
fvrier 2015 un plaidoyer loquent en faveur dune justice
transactionnelle. Si le procs tait lalpha et lomga de la rponse
pnale aux infractions internationalement
poursuivies, nous le saurions. Il y a dj des modes alternatifs
de rglement des conflits dans le domaine du commerce, du social,
des prudhommes. Pourquoi la matire pnale devrait-elle tre exclue de
la rflexion sur la justice ngocie ?
M. Antoine Garapon. Je partage votre moi. Je souhaite que notre
pays chappe la ringardisation qui le menace : face la tendance
commune en faveur dun droit global, nous sommes trs en retard,
voire exclus. Voil
pourquoi lenjeu est quasi patriotique.
M. Frassa soulevait juste titre la question de lindemnisation
des
victimes : les amendes colossales infliges aux entreprises
fautives vont au Trsor amricain. Des pourparlers sont en cours
entre le dpartement de la justice et la Banque mondiale en vue du
transfert dune partie de ces fonds.
Loin de feindre de guider des volutions qui nous chappent,
monsieur Collombat, il sagit dy prendre part. Or la France est
dpourvue dinstitutions juridiques aptes contrler les entreprises.
Les mesures de justice
qui nont pas t prises aux tats-Unis lors de la crise conomique
de 2008 le sont actuellement grce aux deals de justice. Pas chez
nous : ce dbut de justice nous manque encore.
LInstitut des hautes tudes sur la justice, dont je suis
secrtaire
gnral, se penche sur le problme des PME : comment pallier leur
difficult accder aux conseils juridiques adquats ? Cela implique de
les porter au niveau des standards mondiaux.
Je ne suis pas favorable larbitrage, parce que la justice ne
doit pas
tre rendue dans lentre-soi. Une cour mixte, comptant trois juges
de la Cour suprme des tats-Unis et trois juges de la Cour de
justice de lUnion europenne, me semble prfrable.
Nos observations ne portent pas sur le monde dhier, cest
malheureusement la France qui a du mal embrayer sur la
mondialisation. Nous critiquons la circulation des lites amricaines
entre les grands cabinets davocats et les services de ltat, mais
nous navons pas de leon dimpartialit
donner : nos partenaires ne voient pas dun meilleur il la
circulation de nos propres lites entre linspection des finances et
la direction des grandes entreprises nationalises.
Les tribunaux de commerce reprsentent une bonne solution,
condition bien sr de les rformer. Des rflexions sont en cours,
notamment au cercle Montesquieu
M. Jean-Pierre Sueur. En quel sens ?
M. Antoine Garapon. En mettant en fin aux conflits dintrt, qui
svissent particulirement dans des tribunaux de commerce de
province. La
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COMPTE RENDU DES AUDITIONS DU 11 MARS 2015 - 35 -
justice ne doit plus tre rendue entre commerants, mais prendre
en compte lenvironnement social et lemploi. Une justice
professionnelle est une bonne
chose, condition quelle inclue toutes les parties prenantes.
Nos conceptions divergentes de la justice reprsentent un problme
de fond de la mondialisation. Au modle franais, punitif et tourn
vers le pass, soppose une conception dynamique, tourne vers le
futur, dont le but
est dapurer le march mondial de ceux de ses acteurs qui ne
respectent pas la
rgle du jeu.
Quant la survie des entreprises, Siemens sen est bien sortie en
respectant les rgles du jeu, alors quAlstom a t dmembre. Notre
objectif est
de protger les entreprises franaises du dmembrement.
M. Philippe Bas, prsident. Nous vous remercions davoir ouvert
des pistes intressantes pour renforcer la lutte contre la
corruption et construire un quilibre entre prvention et rpression.
Les ralits que vous avez voques ont pu nous choquer. Nous ne
manquerons pas de revenir vers vous si ncessaire au fur et mesure
que nous approfondirons notre rflexion sur lensemble de ces
sujets.
MME CLAUDE REVEL, DLGUE INTERMINISTRIELLE LINTELLIGENCE
CONOMIQUE,
ET MME CAROLINE LEBOUCHER, DIRECTRICE GNRALE ADJOINTE DE
BUSINESS FRANCE