-
Recueil de la parole des exilsSecours Catholique Caritas France
du Pas-de-Calais
Contribution la mission confie par le ministre de lIntrieur Jean
Aribaud et Jrme Vignon
JENESAVAISMMEPASOALLAITNOTREBARQUE
Paroles dexils Calais
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
03
LCOUTEDESPERSONNESEXILESBOUSCULEQUELQUESIDESREUES 05
INTRODUCTION 07
CONTEXTEETMTHODE 08
LESEXILSETCEQUILSVIVENT 10
A/Quisontlesexilsentendus? 11
A1/Lesgenres 11
A2/Lesnationalits 11
A3/Lesges 11
A4/Lessituationsfamiliales 11
A5/Lesressourcesprofessionnelles 11
A6/Lesniveauxscolaires 12
A7/Synthse 12
B/Lesmotifsdedpart 13
B1/Lesmotifsdedpartlisdesperscutions 13
B1a/ Les Soudanais exposs des perscutions 13
B1b/ Les rythrens exposs des perscutions 14
B1c/ Les Afghans exposs des perscutions 15
B1d/ Les Syriens exposs des perscutions 15
B1e/ Les Pakistanais exposs des perscutions 16
B1f/ Les exils dautres nationalits exposs des perscutions 16
B2/Lesmotifsdedpartnonlisdesperscutions 17
B3/Synthsedesmotifsdedpart 17
C/LeparcoursavantlEurope 18
C1/Lesduresdevoyage 18
C2/LevoyageavantlEurope 18
C3/ConditionsdevoyageetdtablissementavantledpartpourlEurope
19
C4/LepassageverslEurope 20
C5/Lechoix,initialounon,dunpaysdedestination 21
C6/Lecotduvoyage 21
C7/Lessourcesdinformationsurladestinationenvisage 22
C8/VisionsdelEuropeetdupaysdedestination 22
C8a/Ceux qui, au dpart, navaient pas choisi de pays de
destination 22
C8b/Ceux qui, au dpart, avaient choisi un pays de destination
23
C8c/ Synthse sur les parcours emprunts avant lEurope 23
D/LescontinuitsentrelepaysdedpartetlEurope 24
D1/Lestentativesdtablissement 24
D2/LesattachesenEurope 24
E/LeparcoursenEurope 26
E1/LepassageparlaMditerraneorientaleetlaGrce 26
E2/Lamodrationitalienneenmatiredeprisedempreintessurlapriodedurantlaquellenousavonsentendulesexils
26
E3/Lensembledesprisesdempreintes 27
E4/LerrancedesrfugisenItalieetausuddelEurope 27
E5/SynthsesurlesparcourssuivisavantlEurope 29
F/Calais 30
F1/LesduresdesjourCalais 30
F2/LasituationdesexilsCalais 30
F3/LasituationdesexilsCalaisrapportecequilsescomptaient 31
F4/Ltatdesantdesexils 32
F4a/Les Verbatim sur ltat de sant des exils 32
F4b/Regard gnral sur ltat de sant des exils 33
F5/Lesbesoinsetattentesdesexils 33
F6/LecentreJules-Ferry,unfuturlieudaccueildejour 34
F7/LespropositionsdesexilspouramliorerleursituationCalais 35
F8/SynthsedelasituationCalais 35
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS04
G/Lasileetlesautresprojets,courtetlongtermes,desexilsdeCalais
36
G1/Lesprojetsactuelsdesexilsrencontrs 36
G2/Quereprsentelasilepourlesexils? 37
G2a/Les observations des exils sur les demandeurs dasile en
France 37
G2b/Les reprsentations des exils sur les rglementations 38
G2c/Les verbatim sur lasile 38
G3/Lesdemandeursdasile 39
G4/Ceuxquinevontpasdemanderlasile 40
G5/AspirationsvivreetcontribuerlEurope 41
G6/Solutionsdesexils,alternativesleurprojetinitial(engnral,unedemandedasile)
41
G6a/Les autres projets 41
G6b/Les verbatim des autres projets 42
G7/SynthsesurlesprojetsdesexilsdeCalais 42
POURDESPROPOSITIONSCOLLECTIVESAUXEXILS,ADAPTESLEURSPROJETSETLEURSITUATION
43
A/Constitutionetvalorisationdesgroupes 44
A1/Recherchedegroupescohrents 44
A2/Valorisationdesgroupes 45
B/Lesgroupesdexils 46
B1/Descriptiondescinqgroupescaractriss 46
B1a/ Les proactifs 46
B1b/ Les ractifs: dix-neuf exils vont demander lasile en
Grande-Bretagne 46
B1c/ Les intermdiaires: neuf demandeurs dasile en France 48
B1d/ Cinq exils veulent passer en Grande-Bretagne sans y
demander lasile 49
B1e/ Les sept exils perdus, qui changent de projet 50
B2/Prsentationcomparedesgroupes 51
B2a/Les demandeurs dasile 51
B2b/Les non-demandeurs dasile 52
C/Quelquesenseignementsmajeursquiressortentdesentretiensapprofondis
53
C1/Pourlamajoritdesexils,laGrande-Bretagnentaitpasladestinationchoisie!
53
C2/LadcisiondeserendreenGrande-BretagneseprendenEuropeetenFrance
53
C2a/Trente personnes sans pays de destination au dpart 53
C2b/Parmi Les vingt exils qui avaient choisi un pays de
destination ds leur pays dorigine 54
C2c/Pour quatre exils, nous navons pas compris comment sest fix
le choix de leur pays de destination 54
C3/Lesexilsmconnaissentlesdispositifsdaccueildesdemandeursdasiledanslespayseuropens
54
D/Despropositionsadapteslasituationetauxprojetsdesexils 55
D1/AmliorerlasituationmatrielledesexilsCalais 55
D2/AmliorerlesconditionsdaccueildesdemandeursdasileenFrance
55
D3/AmliorerlinformationsurlasileenFranceetenGrande-Bretagne
55
D4/ApporteruneinformationclaireetobjectivesurlesconditionsdevieetdetravailenFranceetenGrande-Bretagne
55
D5/RformerenprofondeurlerglementDublin 56
POURCONCLURE:LEURCONFIANCENOUSOBLIGE 57
Annexe1lcoutedelaparoleetdelarflexiondesexilseux-mmes 58
Annexe2Analysedunventueleffetdelanationalitdesexils 60
Annexe3AnalyseetcroisementdesvariablesdesexilsduCalaisis 61
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
05
Depuis le milieu des annes 1990, la ville et les alentours de
Calais attirent un nombre important dexils qui tentent de traverser
la Manche pour se rendre en Grande-Bretagne. Ce pays tant rest
lcart des accords relatifs la libre circulation des personnes au
sein de lUnion europenne, ces derniers ne peuvent franchir la
frontire et se retrouvent bloqus dans le Calaisis.
Afghans, Irakiens, Iraniens, Soudanais, Syriens, Kurdes,
rythrens: des hommes, des femmes et des enfants transitent ainsi
par Calais depuis maintenant vingt ans. Limmense majorit dentre eux
fuient la guerre ou la rpression et relvent dun besoin de
protection internationale: ce sont des rfugis que la France, le
Royaume-Uni et lensemble des tats de lUnion europenne se sont
engags protger lorsquils ont sign, en 1951, la Convention de Genve
sur les rfugis1.
Mais entre la ratification des textes et leur mise en pratique,
il y a parfois souvent des carts. Et parfois des carts bants!...
Aprs la destruction du hangar de Sangatte en 2002 qui, sans tre une
rponse satisfaisante, offrait cependant un minimum de conditions
matrielles pour survivre, le seul objectif de la politique conduite
par les pouvoirs publics locaux comme nationaux a t de rendre
invisibles ces rfugis. Violences, absence de tout amnagement,
vacuations muscles, rpression policire, placements en rtention,
etc., toutes les formes de dissuasion ont t employes pour tenter de
convaincre les exils dutiliser dautres routes pour rejoindre la
Grande-Bretagne et dabandonner Calais. De fait, la faon dont,
depuis des annes, sont non accueillis ces exils constitue un
reniement des engagements internationaux de lUnion europenne, et un
vritable dni dhumanit.
Force est de constater quaprs tant dannes, cette politique est
non seulement un chec les exils viennent toujours aussi nombreux
Calais mais quelle napporte aucune rponse ni aux rfugis, ni aux
Calaisiens, ni aux collectivits locales ou rgionales.
Face cette impasse, et fort de son action importante mene sur le
terrain par ses quipes bnvoles auprs des exils, le Secours
Catholique - Caritas France a entrepris en 2013 de convaincre les
pouvoirs publics de lancer une mission de rflexion et de travail
pour que puissent tre labores des solutions alternatives ce
non-accueil. Dbut 2014, le ministre de lIntrieur a donn son accord
de principe une telle dmarche. Des discussions sen sont suivies, et
une mission construite entre le Secours Catholique - Caritas
France, Mdecins du monde et le ministre de lIntrieur a t confie, en
septembre 2014 par le ministre, Jrme Vignon2 et Jean Aribaud3.
Aprs avoir rencontr de nombreux interlocuteurs associatifs,
tatiques et lus locaux, ces deux personnalits rendront leur rapport
au ministre en mai 2015, et formuleront un certain nombre de
prconisations destines sortir de limpasse que reprsente labsence de
toute protection pour ces hommes et ces femmes.
Ds lautomne dernier, pour contribuer au travail de la mission
ministrielle, le Secours Catholique- Caritas France et sa dlgation
du Pas-de-Calais a souhait lancer une srie dentretiens approfondis
avec ces exils, afin de recueillir leurs paroles, de mieux
comprendre les raisons pour lesquelles ils en taient venus vouloir
passer en Grande-Bretagne,de mieux cerner les alas de leur
parcours, de leur errance,de leurs souffrances, mais aussi, et
surtout, leurs espoirs et leurs attentes.
Lcoutedespersonnesexilesbousculequelquesidesreues
1 Il est ainsi plus juste demployer le mot exil plutt que le
terme migrant2 Jrme Vignon, prsident de Observatoire national de la
pauvret et de lexclusion sociale (ONPES) et prsident des Semaines
sociales de France.3 Jean Aribaud, prfet honoraire, a t notam-ment
prfet de la rgion NordPas-de-Calais. Il prside galement le Centre
dorientation sociale (COS).
-
Comme chaque fois o lon se met lcoute attentive et chaleureuse
des hommes et des femmes en situation de prcarit, des ralits
mconnues sont apparues au grand jour. Cette dmarche dentretiens
approfondis le confirme: le rapport et lanalyse quil contient
viennent ainsi bousculer fortement certaines des ides reues qui
sont rptes lenvi par la presse et les responsables politiques sur
les migrants de Calais.
Bien quil serait prsomptueux de gnraliser trop rapidement les
enseignements qui en ressortent, on peut cependant dj tordre le cou
quelques reprsentations: la Grande-Bretagne? Ce nest pas leldorado
rv mais, pour la plupart, un choix par dfaut! Les filires? Elles
nont sans doute quun impact mineur sur le choix de la destination
pour une partie importante des exils. Les migrantsde Calais? Du
fait de la diversit des situations, des parcours, des attentes et
des projets, penser une rponse unique qui serait la solution savre
inoprant et inefficace. Les migrants de Calais? Ce sont dabord des
hommes, des femmes et des enfants qui ont fui parce quils navaient
pas dautres choix.
Nous avons entendu des rfugis qui ont cru et croient encore que
lEurope est une terre dasile, ou quau moins ils pourront y tre
accueillis et traits avec respect et humanit.
On en est encore loin aujourdhui.
Nous esprons que le travail ralis par les associations, en lien
avec Jrme Vignon et Jean Aribaud, russira convaincre les dcideurs
ltat, les collectivits locales et rgionales, les autres tats de
lUnion europenne quune autre faon de rpondre aux attentes des exils
est possible, et que la voie dun accueil respectueux des personnes
est non seulement une exigence thique et morale, mais aussi la
seule solution raisonnable pour tous.
Ce travail, sa modeste mesure, a pour ambition dy
contribuer.
Mars 2015.
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS06
Vronique Fayet, prsidente nationale du Secours
Catholique Caritas France
Vronique Devise-Danjou, prsidente de la dlgation du Secours
Catholique Caritas France du Pas-de-Calais
-
IntroductionDesfluxdemigrantstransitentparCalaisdansleurtrajetverslAngleterreNon!Cet
nonc est rducteur.
Une relle recherche de solutions exige une comprhension plus
fine de la ralit.Cest pour dpasser cette reprsentation lapidaire
que le Secours Catholique du Pas-de-Calais a souhait recueillir la
parole de migrants prsents sur le Calaisis.
partir de ses propres questionnements sur ceux quil rencontre au
quotidien, le Secours Catholique a souhait clairer les points
suivants: Des personnes constituent lesdits flux. Mais que
disent-elles? Quels sont leur histoire,
leurs projets, leurs demandes? La considration due toute
personne exige dentendre celle-ci avant de poser un avis ou une
dcision la concernant.
Qui sont les migrants? Un discours qui globalise sous la
dsignation de migrants quelques milliers de personnes ne part-il
pas du principe que leurs situations sont sem-blables? Ne
prsage-t-il pas quune rponse globale pourrait leur tre applique, au
risque dentretenir les acteurs dans une relative inaction en
attendant la solution? De fait, pas le moindre commencement de
rponse na t apport de 2002 2014. Plutt que de parler de migrants
(en postulant une migration sans retour), nous prfrons parler
dexils (en nous bornant constater quils ont quitt leur pays).
Surtout, nous cherchons distinguer diffrents types ou groupes
dexils, avec des parcours et projets comparables, partir desquels
il sera possible dlaborer des propositions diversifies, et
adaptes.
Est-ce quils transitent par Calais, comme des marchandises? Cest
ce qui est enten-du dans les mdias, ce qui se comprend la premire
coute. Mais combien de temps restent-ils Calais? Sils y restent
plus de quelques jours, ne doit-on pas considrer quils y vivent et
donc examiner leurs conditions de vie?
Tous sont-ils en voyage vers le Royaume-Uni, ou vers dautres
destinations? Certains seraient-ils Calais pour dautres raisons?
Quadvient-il de ceux qui ne parviennent pas traverser la
Manche?
Au-del des quatre sries de questions qui prcdent, la dmarche du
Secours Catholique consiste aller vers les mots des exils: nous
avons choisi de nous exposer leur nouveaut, linattendu de leurs
regards sur lEurope, la France et le Calaisis, leur exi-gence de
respect dans la manire de sadresser eux.
Nous nous sommes mis en qute: Qui sont ces hommes, ces femmes et
ces enfants? Pourquoi et dans quels buts sont-ils ici? Nous avons
cr des conditions favorables pour les laisser nous raconter un peu
de leur vie, des raisons qui les ont jets sur les chemins de lexil.
Nousavonscherchentendre ce quils souhaitent: pourquoi et comment
ont-ils dcid de se rendre au Royaume-Uni? Nousavonscherchcomprendre
ce qui les pousse vouloir survivre dans les jungles calaisiennes et
sur quelles informations se fondent-ils.
CettetudenexprimepascequenoussavonsoucroyonssavoirsurlesexilsduCalaisis,maiscequeux-mmesdisentdeleurvie,deleurparcoursmigratoire,deleursdifficultscommedeleursespoirs.
En dfinitive, le prsent rapport cherche rendre compte de
cinquante-quatre rencontres singulires. Il tente de donner voir
lhumanit qui sexpose dans ces rencontres. Il se risque formuler des
propositions, en essayant de se positionner un niveau de respect
qui rponde la confiance des exils et qui considre leur dignit.
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
07
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS08
Contexteetmthode
Le calendrier de ltude est li celui de la mission confie par le
ministre de lIntrieur MM.Aribaud et Vignon lt 2014. Il tait
prvisible que la mission nait pas les moyens dcouter les premiers
intresss, les exils eux-mmes. Nous nous y sommes attachs, pour
contribuer concrtement la ralisation de cette mission.
Le cadre mthodologique que nous avons adopt est le suivant:
Entretiens individuels, conduits pendant les mois de novembre et
dcembre 20144. Notre
prsentation de lenqute auprs des personnes interroges insistait
sur son absence deffet individuel sur lexil lui-mme et sur notre
projet de rdiger des propositions concrtes effet collectif;
Accompagnement mthodologique de lenqute et de la rdaction, ainsi
quune analyse typologique, raliss par un consultant extrieur au
Secours Catholique du Pas-de-Calais;
Guide dentretien labor en interne, test sur cinq entretiens et
adapt en consquence (cf. Annexe1, pp. 58-59);
Recherche de la meilleure reprsentativit de lensemble de la
population des exils: ceux que nous avons rencontrs ont t en
priorit reprs sur les lieux de vie des exils, jungles et squats,
tout en veillant les abstraire de leur environnement communautaire.
Plusieurs entretiens se sont ainsi drouls dans des voitures ou dans
des bureaux de laccueil de jour du Secours Catholique;
Recueil de paroles par quatre enquteurs familiers des situations
des exils Calais (membres ou partenaires du Secours Catholique) et
le consultant;
Analyse de contenu selon des mthodes de sociologie:
enregistrement dune majorit dentretiens, transcription crite et/ou
numrique, codage de variables quantitatives et qualitatives,
recherche de typologie partir de constats statistiques;
Recherche et interprtation collective des rsultats, en deux
groupes de travail runis les 9 et 22janvier 2015.
Les conditions dans lesquelles les entretiens se sont tenus
(langue utilise, dure, imprvus rencontrs) nous ont permis de
recueillir des rponses quasi-exhaustives. Nous avons retenu
54entretiens suffisamment complets pour participer notre
analyse.
En rfrence aux principaux indicateurs sociodmographiques
disponibles, notre groupe de travail a considr que
les54entretiensanalyssoffrentunereprsentativittrssatisfaisantedessituationsdelensembledesexilsduCalaisis
sur la priode, avec les remarques suivantes: Surreprsentation des
anglophones: 42entretiens sur les 54raliss se sont tenus en
anglais, alors que les anglophones sont nettement moins de la
moiti de la population totale. Il est notamment possible que ce
biais constitutif de notre chantillon ait conduit majorer la part
dexils ayant suivi des tudes suprieures, ou appartenant des
catgories socio-professionnelles suprieures.
Lgre surreprsentation possible des demandeurs dasile en France:
ils sont 13 sur 54entretiens, soit 24%. Ceci peut tre li au fait
que le Secours Catholique reoit, dans les locaux de laccueil de
jour, une partie des personnes qui ont fait le choix de dposer une
demande dasile Calais. Celles-ci sont facilement disposes tmoigner.
Conscients de la possibilit de ce biais, nous avons veill limiter
notre recours aux demandeurs dasile (DA) en France.
Notre proportion de mineurs peut tre moindre que celle de la
population totale: deux jeunes de 15ans nous ont rpondu sur
54entretiens, soit 4%.
4Les exils entendus en novembre et dcembre 2014 Calais, prsents
en
moyenne depuis deux quatre mois, sont entrs en Europe vers la
fin de
lt 2014, une priode durant laquelle lItalie ne
prenait plus ou trs peu les empreintes des migrants
arrivant sur son sol, dans le cadre du dispositif Eurodac. Ces
exils sont donc moins concerns par le rglement
Dublin que les exils antrieurs cette priode ou que ceux du
printemps 2015.
Ce rglement europen du 26 juin 2013 dtermine
ltat de lUnion europenne (UE) qui est responsable
dexaminer une demande dasile dans lUE, en vertu
de la Convention de Genve (art. 51).
-
Nous ne nous sommes pas rendus sur les campements extrieurs
Calais, tandis que le primtre de la mission commandite par le
ministre de lIntrieur porte sur lensemble du Calaisis.
Quelques communauts se tenant distance des associations
humanitaires nont pas t prospectes: cest le cas, par exemple, des
gyptiens vivant en squat.
Pour la description des exils et leur regroupement par
typologies, nous navons pas jug opportun de ncessairement les
catgoriser selon leur nationalit dorigine. Les recou-pements de la
nationalit avec dautres indicateurs se sont dailleurs avrs assez
peu signifiants (cf. Annexe2, pp. 60). Ceci tant, la prsentation
des motifs de dpart selon la nationalit sest impose nous (cf. A/
Qui sont les exils entendus?, pp. 11-12), du fait du lien de ces
motifs avec les conditions de vie dans chaque pays dmigration.
Figurent galement en annexes certains travaux statistiques qui
ont conduit au regrou-pement typologique des personnes
interroges.
Nous prsentons en premirepartie ce qui nous a t dit par les
exils, en suivant le droulement de leurs parcours (le dpart, le
voyage vers lEurope, leur vie en Europe et Calais ensuite), ce
quils vivent et ce quils esprent. Notre objectif est ici de nous
mettre au service des paroles entendues pour en rendre compte au
mieux.
Dans une secondepartie, nous prsentons les groupes dexils que
nous avons constitus, avec leurs parcours et leurs projets, et nous
exposons la nature des rponses et le type de propositions qui
seraient susceptibles de trouver une solution la situation de ces
groupes. Le projet est bien didentifier la diversit de ces
diffrents groupes pour tre en mesure dlaborer des pistes de
propositions adaptes chacun dentre eux.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS10
PREMIREPARTIE
Les exils et ce quils vivent
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
11
A/Quisontlesexilsentendus?
LesquestionsduguidedentretienIdentit Qui tes-vous ? Votre
situation personnelle : nationalit, ge, sexe, situation
matrimoniale Formation initiale, emploi dans le pays dorigine.
Dans le premier temps de lentretien, nous avons cherch approcher
lidentit de la personne interviewe, hors de toute rfrence au cadre
administratif: nous nous contentions en particulier de son prnom,
sans demander ni mme noter son nom de famille (patronyme).
A1/LesgenresTrois femmes nous ont rpondu, soit seulement 6% des
personnes entendues.
A2/LesnationalitsIls sont soudanais pour vingt-deux dentre eux,
treize sont rythrens, septafghans, quatresyriens,
troispakistanais.
Cinq ont dautres nationalits : trois Africains (thiopien,
Marocain, Mauritanien) et deux du Moyen-Orient (gyptien, Kurde
dIrak).
Les trois femmes entendues sont rythrennes.
A3/LesgesLes 54exils de notre tude ont tous entre 15 et 52ans,
avec une moyenne dge de 26,9ans (aucun exil de 16 19 ans na t
entendu, ni aucun de 40 51 ans).
0
5
10
15
20
25
52 ans35-39 ans30-34 ans25-29 ans20-24 ans15 ans
Classes dge des exils
2
16
20
14
1 1
50des54exilsinterrogsontentre20et34ans: il sagit de jeunes
adultes, lge de la plus grande nergie et de la plus forte
adaptabilit.
A4/LessituationsfamilialesTous les exils sont isols Calais,
lexception dune femme qui voyage avec deux de ses enfants.
0
10
20
30
40
9543210
Familles la charge des exils
Nom
bre
dexi
ls c
once
rns
Nombre de personnes charge
35
9
41 1 1
3
Certains disent tre en charge de famille dans leur pays
dorigine: Les exils entendus ont en gnral peu de famille
charge (0,89personne par exil), situation qui a pu les inciter
partir et faciliter leur dpart.
Trente-cinqexils se prsentent entirement libres de toute charge
familiale, ce qui nest pas le cas des dix-neufautres: sixnotamment
sont en charge de trois personnes ou plus, ce qui a des
rpercussions sur leur situation (nous dvelopperons ci-aprs com-ment
ils la vivent).
Lesexilssontainsitrsmajoritairementdeshommesjeunesetclibataires,enpleinecapacitdtudier,detravailler,desintgrer.Leur
jeunesse et leur bonne condi-tion physique leur ont permis
dentreprendre un voyage qui savre long et trs souvent pnible.
A5/LesressourcesprofessionnellesLes exils se rpartissent, selon
leurs dires, en cinq classes socioprofessionnelles. Nous avons
ainsi considr que: Dix-neuf exils appartiennent des catgories
socioprofessionnelles (CSP) suprieures : cinq enseignants (dont
trois professeurs danglais), trois tudiants, deux ingnieurs (en
tlcommunications, informatique), deux entrepreneurs (commerant,
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS12
entreprise familiale de tlphonie mobile de dix salaris), deux
comptables, un banquier, un arboriculteur dans lexploitation de son
grand-pre (oranges, mangues), une femme sans profession (mari
ambassadeur, trader avec Duba), un oprateur dans une compagnie
tlphonique, un mcanicien (fils dofficier de police);
Sept sont des tudiants suivant des formations lon-gues (CSP
suprieures vises);
Dix appartiennent aux classes moyennes: sept arti-sans
(tailleurs, barbier-coiffeur, marin, maon-peinture, commerants) et
trois salaris;
Sept sont issus du milieu rural (agriculteurs, leveurs); Onze
nous sont apparus comme moins aiss (quatre
ouvriers du btiment, trois sans profession, un ven-deur de
cartes de tlphone, un vendeur dufs, un soldat, un soudeur).
Les dix-neuf exils de CSP suprieures constituent 35% des
personnes entendues. Avec les sept jeunes en cours dtudes longues,
ils sont vingt-six soit
48%denoslocuteursquiavaientunesituationsocialeleveouvisaientunetellesituation.
A6/LesniveauxscolairesLes exils ont atteint quatre niveaux
scolaires: Dix-neuf personnes nous ont dit avoir suivi des
tudes
suprieures5, et appartenir aux catgories sociopro-
fessionnelles suprieures. Certains ont arrt leurs tudes en
raison de perscutions ou de craintes de perscution. Quelques-uns,
malgr leurs tudes sup-rieures, dclarent avoir occup des mtiers du
secteur primaire comme ouvrier agricole ou marchand ambu-lant,
peut-tre en raison de discriminations quils ont subies ds leur pays
dorigine.
Seize personnes nous ont dit avoir fait des tudes secondaires.
Certaines ont arrt leur scolarit au col-lge et dautres ont termin
le secondaire. Parmi ces personnes, des exils avaient des mtiers
manuels (comme agriculteur ou carreleur), ou occupaient des mtiers
du secteur tertiaire (comme oprateur dune compagnie tlphonique ou
commerant). Quelques-uns taient lycens au moment o ils ont d
quitter leur pays.
Huit personnes ont suivi une scolarit primaire. Il sagit
majoritairement de personnes ayant des mtiers ma-nuels tels que
maon, soudeur ou lectricien.
Ceux qui nont jamais t scolariss, onze exils entendus, sont
majoritairement employs agricoles, mcaniciens ou peintres.
A7/SynthseLes niveaux dtude, les mtiers cits et les vocations de
classes sociales (familles de propritaires, reven-dication dune
bonne ducation, mention de bonne fortune plus ou moins rvolue)
laissent penser quune partie importante des exils est issue des
classes favo-rises des pays de dpart: ils ne sont pas globalement
les dshrits ou les damns de la terre, loin sen faut.Ces impressions
seront recoupes ci-aprs par de nombreuses observations sur le cot
de leur voyage, les attaches familiales dont ils disposent travers
le monde, et leurs pratiques dinternet ou dautres stan-dards de
communication occidentale.
Ilssontjeunesetcourageux.Ilssontgalementdunbonniveauculturel,avecunhautdegrderespon-sabilitparrapportlEuropequilsrejoignent,avecaussiunehautevisionthiquedeleurpositionnement,comme
nous allons le voir travers les attentes et demandes quils
expriment.
Ils disposent de ressources matrielles, personnelles et morales
importantes, quils engagent entirement dans leur projet
migratoire.5Il nest pas impossible que la langue anglaise dans
laquelle se sont tenues la plupart des interviews ait contribu
entendre des
exils de niveaux dtudes levs (cf. Contexte et m-thode, pp.8-9).
Toutefois,
cette observation ne doit pas masquer le fait quune bonne
partie des exils de Calais sont issus des lites de leurs
pays dorigine.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
13
B/Lesmotifsdedpart
UniquequestionduguidedentretienQuels sont les motifs de votre
dpart?
Ce chapitre voque les raisons qui ont pouss les exils quitter
leur pays.
La cause du dpart est essentielle, pour les exils comme pour les
autorits du pays daccueil, parce quelle conditionne directement la
possibilit dun asile ou dun sjour en France: Protection au titre de
lasile possible pour les vic-
times de perscutions ou de craintes de perscution (convention de
Genve ou protection subsidiaire);
Ou autres motifs dun ventuel droit au sjour (pour les exils
non-reconnus comme rfugis): vie prive et familiale, regroupement
familial, titre de sjour salari, tranger malade
Motif de dpart
Perscu-tions Craintes Attrait Autres
Non renseign Total
Nbr. 36 12 2 3 1 54
36personnes sur 54, soit 67%, ont fui leur pays en raison des
perscutions quelles ont subies.Douze autres (22%) craignaient de
telles perscutions.
Donc
48des54exils,soit89%despersonnesinterro-ges,fonttatdeperscutionsvcuesouconstatesautourdeux.Ces
89% de personnes ayant subi ou craignant de subir des perscutions
se retrouvent logiquement dans les 87% dentre elles qui nous ont
dclar vouloir demander lasile (voir ci-aprs).
Examinons les motifs de dpart qui peuvent donner lieu une
demande dasile, avant de regarder les autres situations.
B1/LesmotifsdedpartlisdesperscutionsLes causes de dpart sont
lies aux contextes gopo-litiques locaux. Sont indiques dabord les
nationalits des exils. Entendons-les ensuite voquer les motifs de
leur dpart.La proportion de demandeurs dasile potentiels est forte
pour toutes les nationalits.Les Syriens et les rythrens ont pu,
plus que les autres, anticiper des perscutions.
Motif de dpart par pays dorigine
Perscutions CraintesSans
perscutions ni craintes
Total
Afganistan 6 1 - 7
Pakistan 3 - - 3
Soudan 18 3 1 22
rythre 6 5 2 13
Autre Afrique 2 - 1 3
Syrie 1 3 - 4
Autre Moyen-Orient - - 2 2
Total 36 12 6 54
B1a/ Les Soudanais exposs des perscutionsAl Gahafale, 21ans,
tudiant. Jai des problmes avec le gouvernement. luniversit, jai
critiqu le gouvernement. Jai t arrt plusieurs reprises, puis jai
commenc avoir de mauvaises notes injustifies. Lors de ma dernire
arresta-tion, jai t averti que je devais, chaque jour, aller signer
ma prsence6 au commissariat de police. Si je ne le faisais pas, ils
mont dit quils me violeraient ou me tueraient. Ils dirent mon frre
que, sil ne me voyait plus, ils le rcompense-raient par de bonnes
notes et mme un travail. Mon pre me conseilla de quitter le pays.
Aprs mon dpart, la police est venue chez moi, a menac mon pre qui a
fini par dire que jtais hors du pays.
Fouad, 32ans, ouvrier agricole. Ma ville a t attaque, jai t
incarcr et tortur pendant un mois et dix jours.
Nasseredin, 29ans, agriculteur. Je quitte le Soudan cause de la
guerre du Darfour. Cest un problme religieux, de couleur de peau
(les Darfouris tant plus noirs) et un problme ethnique. Le
gouvernement soudanais utilise des milices quil a cres, les
janjawids7, pour nous tuer.
Ismal, 25ans, ingnieur en tlcommunication. Je suis originaire du
Darfour. Mon village a t attaqu par le gouvernement et les
janjawids. Nous nous sommes, avec ma famille, rfugis au camp de
Kelma, o jai travaill comme interprte volontaire pour lassociation
Oxfam. Jai t menac dans le camp et dtenu par le gouvernement qui me
reprochait de parler des trangers dans le camp de Kelma. Jai t
assign rsidence et, chaque jour, je devais aller signer au bureau
de police.
6Assign rsidence, Al Gahafale devait chaque jour parapher un
document au commissariat de police de sa ville pour signaler sa
prsence ce jour-l.
7Miliciens du Darfour, au Soudan (hordes, en arabe).
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS14
Salahadin, 23ans, vendeur de cartes tlphoniques. En avril 2013,
mon village a t attaqu soit par le gouvernement, soit par des
milices. Il y a eu beaucoup de morts, jai russi fuir avec ma
famille. Des gens sont morts sur la route car nous avons march
trois jours avant darriver dans un village
o nous nous sommes rfugis dans une cole. Aprs vingt jours (?),
je suis retourn au village et jai vu que mon frre et mon grand-pre
taient morts. Je suis retourn au village o nous tions rfugis avant
que je parte pour Khartoum. L, la police ma arrt et ma accus de
faire partie de la rbellion. Jai t tortur et emprisonn. Je devais
rester Khartoum et signer chaque jour au commissariat. Je suis
parti pour Port-Soudan avant de partir vers lgypte.
Abdelatif, 52ans, banquier. Membre dun syndicat, jai cri-tiqu la
corruption aprs le rachat de ma banque par ltat. Je suis en plus
membre dun parti dopposition. Jai t interpell et dtenu deux
reprises par ltat soudanais.
Sad, 26ans, agriculteur. Il y a de nombreuses raisons mon dpart,
ma fuite, et beaucoup de souffrances.
Je suis parti cause des janjawids et du gouvernement soudanais.
Aprs mon dpart, ma femme et mes deux surs ont t violes par les
janjawids.
Ainsi, la majorit des Soudanais ont fui leur pays afin dchapper
ce qui est dcrit par la Cour pnale interna-tionale (CPI) comme un
vritable gnocide des populations africaines du Darfour par le
gouvernement de Khartoum et ses affids, les miliciens janjawids
arms par Khartoum. La CPI a dailleurs mis, en mars 2009, un mandat
darrt inter-national lencontre du prsident Omar el-Bchir, sous les
chefs daccusation de crimes de guerre, de crimes contre lhumanit et
de gnocide. Dautres ont t contraints fuir car ils appartenaient des
partis politiques dopposition, qui sont parfois doubls de branches
armes, comme le Mouvement pour la justice et lgalit.
B1b/ Les rythrens exposs des perscutionsAbasou, 30ans,
enseignant. Je suis une premire fois contraint lexil alors que je
suis enfant, lors de la guerre entre mon pays et lthiopie. Puis
jentre en conflit avec ma hirarchie au sein de lcole o je travaille
et suis emprisonn. Jai dailleurs prcdemment t emprisonn trois fois
pour avoir os exprimer des dsaccords avec la politique du
gouvernement rythren.
Abdelrahman, 22ans, leveur. Je quitte lrythre pour chapper au
service militaire obligatoire, alors que javais reu plusieurs
convocations.
Je quitte lrythre pour chapper au service militaire obligatoire,
alors que javais reu plusieurs convocations.
Abdelrahman, 22ans, leveur.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
15
Mohamed, 27ans, arboriculteur. Lrythre est comman-de par les
militaires, il ny a pas de Constitution, seul le Prsident dcide de
tout. Pas de libert. Jai planifi ma fuite avant le service
militaire de dure indtermine.
Ahmid, 32ans, professeur danglais. Absence de libert et pas de
politique planifie de la part du Prsident, seul le Prsident dcide.
Cest une dictature.
Ramadan, 24ans, tudiant. Jai t accus de soutenir un mouvement
rebelle n en gypte aprs le Printemps arabe. Ce mouvement ntait pas
oppos au Prsident mais rclamait des amliorations dmocratiques. Je
nai fait que mettre un commentaire positif sur leur page Facebook.
Jai t dnonc par quelquun de luniversit, mais je ne sais pas qui.
Jai t emprisonn et battu pour ceci. Je ntais mme pas un membre de
ce mouvement, jai juste mis une mention like sur une page Facebook.
Il ny a pas doccasion de faire des tudes, le gouvernement ne les
favorise pas pour que nous restions sous sa domination.
Meheret, 32ans, sans profession. Nous vivions avec mes parents
en thiopie puis, lors de lindpendance de lrythre, nous avons t
renvoys. Je suis de religion pentectiste et, en 2002, le
gouvernement a interdit la pratique de ce culte. En juin 2002, jai
t dnonce et jai chapp de peu larrestation. Je suis donc partie vers
le Soudan.
Robel, 27ans, militaire (conscrit). Jtais militaire et ma vie
tait trs difficile. Je ne pouvais pas aider ma famille. On mavait
positionn la frontire et, mme si la guerre tait finie, je devais
surveiller cette frontire. Jai demand une permission pour aller
rendre visite ma famille, qui ma t refuse. Je lai prise quand mme
et jai t arrt et emprisonn pendant trois ans. En sortant, je
dtestais lrythre et jai dcid de quitter ce pays.
Les exils rythrens que nous avons rencontrs nous indi- quent
deux raisons principales leur dpart de leur pays: La premire est
labsence de libert de parole, de
pense, de culte dans ce pays qui est dcrit par de nombreux
observateurs internationaux comme lune des dictatures les plus
brutales et les plus fermes au monde. Il y aurait, dans ce petit
pays dun peu plus de 6millions dhabitants, plus de 10000prisonniers
dopinion. Le nombre drythrens vivant lextrieur de leur pays est
denviron 800000. Issayas Afewerki, qui dirige ce pays depuis
lindpendance en 1993, a impos un Parti unique et aboli la libert de
la presse. Il ny a pas non plus de libert religieuse, seuls quatre
cultes tant autoriss.
La deuxime raison de la fuite des rythrens est la dsertion. Mme
si le conflit avec lthiopie voisine a pris officiellement fin en
2000, le gouvernement rythren maintient une mobilisation
permanente.
Et mme si le service militaire obligatoire pour les hommes et
les femmes dure lgalement un an et demi, les rythrens ne sont
jamais rellement dmo- biliss: de nombreux observateurs considrent
que ce service peut durer jusqu lge de 50ans, les conscrits tant
utiliss comme main-duvre par le gouvernement dAsmara.
B1c/ Les Afghans exposs des perscutionsJamshid, 15ans, collgien.
L o je vis, il y a des talibans, pas dcole et pas de scurit. Cest
ma famille qui a dcid de me faire partir dAfghanistan.
Ehsan, 24ans, oprateur dune compagnie tlphonique. Je travaillais
dans un call center et je prtendais que je travaillais dans une
boutique Kaboul, mais les talibans lont su et mont arrt; ils ont
dit que je travaillais avec des infidles. Ils voulaient que
jempoisonne des gardes de lendroit o je travaillais et que je pose
une bombe.
Ali, 31ans, mcanicien. Mon pre a travaill comme officier de
police sous le rgime de Nadjibullah. Avec la chute des
com-munistes, nous avons d fuir vers le Pakistan. Nous sommes
rentrs avec le retour de Hamid Karza. Jai t arrt par les
autorits afghanes car mon cousin, avec qui je travaillais, a vol de
largent un dignitaire du rgime actuel. Jai t arrt, tortur, jen
porte encore les traces. Jai t prsent un juge deux reprises, mais
jai t blanchi. Cependant, lhomme qui mon cousin a vol de largent
peut me retrouver partout, jai donc d fuir.
La principale raison qui pousse les exils afghans sur la route
est le climat dinscurit qui pse sur lAfghanistan depuis des
dcennies.
Linscurit concerne particulirement les gens qui taient en exil
lpoque o les talibans dirigeaient le pays, et qui sont rentrs aprs
leur dpart du pouvoir Kaboul. Mais les talibans sont toujours trs
prsents dans le pays: ils considrent les anciens exils comme des
collaborateurs de lancien rgime communiste et les ciblent ce
titre.
B1d/ Les Syriens exposs des perscutionsYoussef, kurde de Koban,
27ans, tailleur. Je voulais chapper au gouvernement syrien, et au
parti dopposition: tous les deux cherchent des hommes pour le
combat.
L o je vis, il y a des talibans, pas dcole et pas de scurit.
Cest ma famille qui a dcid de me faire partir dAfghanistan.Jamshid,
15ans, collgien.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS16
Mohamad, 32ans, professeur danglais. La guerre en Syrie, la
guerre a tout dtruit. Je suis menac par les extrmistes et le
gouvernement syrien, car jai refus de prendre les armes pour lun
des camps.
Sam, 21ans, tudiant. Il y a une guerre en Syrie entre Bashar
el-Assad et ceux que je qualifie de criminels. Ils ont dtruit le
pays, je ne pouvais plus y vivre.
Les quatre Syriens de nos travaux ont fui ce qui tait dabord un
mouvement de contestation du rgime auto-ritaire de Bashar el-Assad,
dbut en mars 2011, et qui sest transform en guerre civile se
poursuivant jusqu aujourdhui. Ce conflit a fait plus de 200000morts
et a mis sur les routes de lexil prs de quatre millions de
rfugis.
B1e/ Les Pakistanais exposs des perscutionsIdriss, 32ans,
commerant. Je suis membre dun parti, le Jammu Kashmir Liberation
Front (JKLF), parti indpendan-tiste cachemiri. Jaccuse les
gouvernements pakistanais et indien de massacrer mon peuple et
davoir pris le contrle dun territoire qui devrait tre indpendant.
Ils envoient des bombes sur les civils, les massacrent. Les
militaires des deux camps ne se tuent pas, ils tuent des
Cachemiris. Javais chez moi un bon niveau de vie, je ne suis pas
venu pour largent. On ne tenseigne pas notre histoire mais
lhistoire du Pakistan. Tentends chaque nuit les bombes.
Zulquarnain, 32ans, activiste politique. Je lutte pour
lindpendance du Cachemire dont lactuel gouvernement
est pro-pakistanais, pro-religieux. Menaces de la part des
djihadistes.
Khan, 32ans, ingnieur lectricien. Sauver ma vie menace Karachi,
comme dans ma rgion dorigine, le Kpik, en raison des guerres et de
mes responsabilits politiques.
Deux des trois pakistanais interrogs, membres dun mouvement
indpendantiste du Cachemire, ont t per-scuts cause de leur lutte.
Le troisime est membre dun parti indpendantiste dune province du
nord-ouest du Pakistan et a d fuir, car il a t galement
perscut.
B1f/ Les exils dautres nationalits exposs des perscutionsAhmad,
25ans, thiopien, infirmier. Je suis de lethnie oromo, je suis
membre du Front de libration oromo. Jai t perscut par le
gouvernement. Jai t dtenu pen-dant un mois.
Abdallah, 27ans, mauritanien, soudeur. Jai quitt la Mauritanie o
je vivais mal dans une famille adoptive. Puis, jai vcu la rue et
jai trouv une famille malienne qui ma emmen vivre au Mali pendant
un an, puis jai quitt le Mali avec cette famille pour minstaller en
Lybie. Contraint de quit-ter la Lybie, car jtais souponn par les
rebelles de soutenir Kadhafi. Jai t emprisonn pendant un an, dans
un camp militaire, contraint aux travaux forcs. Jai failli tre
excut et ai chapp la fosse commune grce un officier rebelle plus
humain, qui a suspendu ces excutions.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
17
B2/LesmotifsdedpartnonlisdesperscutionsDeux personnes, parmi les
exils interviews, nous ont dit tre venues en Europe pour y trouver
une vie meilleure: Un maon gyptien est parti en 2013 pour une bonne
vie; Un Marocain, peintre en btiment, est parti car il a
charge de famille mais pas de travail.
Karim, 30ans, peintre en btiment, marocain. Jai quitt le Maroc
car je navais pas de travail. Jai une femme et deux enfants. Je
suis fils unique, je dois faire vivre mes parents qui sont gs. Mon
pre est malade.
Les trois exils regroups sous la dnomination autres motifs de
dpart sont partis pour diverses raisons: Un Kurde irakien coiffeur
est parti pour voir, pas pour
largent; beaucoup de gens au Kurdistan irakien sont revenus
dEurope, jai voulu dcouvrir.
Un rythren a fui son pays 15ans, aprs six mois dans la police
militaire. Aprs quelques mois passs dans un camp de lOnu en
thiopie, il part en Ouganda pour tudier durant six ans: I have a
good mind, I always have prices (Jai un bon esprit, jai toujours
des prix).
Et un ouvrier soudanais fuit la misre.
Ainsi, au maximum, trois cas (lgyptien, le Marocain et le
Soudanais ) sur 54 (soit 6%) voquent une migration motivation
conomique. Globalement,nousnavonspasconstatdefluxmixteCalais ( la
fois rfugis et migrants conomiques).
B3/SynthsedesmotifsdedpartNous constatons, parmi les exils de
Calais, une majo- rit crasante de rfugis potentiels. Do quils
arrivent, la plupart fuient: Soit des situations de guerre, comme
pour les Syriens
et les Soudanais, dans des pays o se droule depuis une dcennie
des massacres desquels la commu- naut internationale dtourne le
regard;
Soit des situations dinscurit aigu comme celles que vivent les
Afghans, lAfghanistan subissant un tat de guerre latent depuis prs
de quarante ans;
Ou encore des rgimes autoritaires caractriss par labsence
dopposition, de liberts individuelles et sur-tout dexpression:
ainsi, lrythre est une prison ciel ouvert o les liberts sont
confisques par une dictature brutale.
Nous avons examin, selon les nationalits des exils, les raisons
de leur dpart qui pouvaient tre lies au contexte particulier de
chaque pays. Mais les histoires se recoupent: les uns et les autres
ont quitt leur pays dorigine car ils y craignaient lemprisonnement,
la tor-ture, la mort.
Ces jeunes gens ont entendu parler des valeurs de liber-t et
dgalit, et de meilleure rpartition des richesses que les dmocraties
occidentales affichent, tandis que les premires sont nies et les
secondes confisques par les dirigeants des rgimes autoritaires.
Certains ont rejoint dans leurs pays des mouvements de rsistance
afin de tenter de changer les choses; dautres, au contraire, somms
de choisir entre la peste et le cholra (entre Bashar el-Assad et
les mou-vements islamistes syriens, par exemple), ont refus de
porter les armes.
Tous ont t contraints lexil pour sauver leur vie. Comme nous le
verrons, ils recherchent un lieu o rali-ser ce quils nont pas pu
faire chez eux: vivre en paix.
Impressions des recueilleurs de paroles
Les paroles pudiques des exils nempchent pas de percevoir que
leurs vcus sont particulirement lourds: la prison se compte en mois
voire en an-nes, la torture mutile, les craintes sont
dramati-quement fondes (disparitions, meurtres ou viols dans la
proche famille des exils).Lvocation des motifs du dpart devait
dbuter nos entretiens en raison de leurs rpercussions sur le
devenir possible des exils. Et les premiers instants passs
ensemble, au lieu dtre consacrs une ren-contre sereine, en ont t
marqus. Souvent un voile a recouvert les voix, des fragilits se
sont dvoiles.En cela, notre enqute na pas t aussi diffrente que
nous laurions souhait des modalits peu civili-ses de laccueil que
les exils reoivent en Europe.Quil est difficile de faire autrement
qu lordinaire!
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS18
C/LeparcoursavantlEurope
Lorsque nous aurons examin les dures de voyage des exils, nous
caractriserons leur parcours migratoire entre le moment de leur
dpart et leur arrive en Europe: Les routes suivies, les conditions
de vie en chemin; Les projets initiaux qui ont mis ces personnes
sur le
chemin de lexil.
C1/Lesduresdevoyage
0123456789
10111213141516
5 ans et plus
4 5 ans
3 4 ans
2 3 ans
1 2 ans
6 12 mois
< 6 mois
Dures totales de voyage
14 14
11
3
1
10
0
La dure de voyage dun des exils rencontrs est inconnue.
LesexilsduCalaisissontpartisdepuis952,32joursenmoyenne,soitenvirondeuxansetdemi.On
peut dj considrer lusure quun aussi long voyage a produite: usure
des ressources, des espoirs, de ltat de sant.
Le voyage le plus court a une dure de 56jours (moins de deux
mois), et le plus long une dure de 6898jours (plus de dix-huit
annes).
Entre ces deux bornes, examinons comment se rpar-tissent les
dures de voyage.
La moiti des exils (28personnes sur 53 exprimes sur cette
question, soit 53%) ont un temps de voyage inf-
rieur un an; onze sont partis depuis plus dun an mais moins de
deux ans. Ensuite, les voyages plus longs diminuent, jusqu une
personne ayant pass entre trois et quatre ans sur la route. Enfin,
dix personnes nous ont dit avoir voyag plus de cinq ans jusqu
Calais.
Si nous regardons la physionomie de cette courbe qui parat
classiquement en cloche (distribution statistique normale), les dix
voyages de cinq ans et plus sont lcart des autres: ils apparaissent
atypiques. Nous y reviendrons dans la seconde partie de ce rapport
(regroupement typologique des exils).
Gardons lesprit ces diffrences de dure de voyage, pour examiner
si elles peuvent sexpliquer par dven-tuelles tentatives
dinstallation dans les pays de transit, par les moyens la
disposition de lexil ou par ses freins (sant, argent, famille
charge).
C2/LevoyageavantlEuropeDeux grandes voies conduisent vers
lEurope: La voie maritime entre la Lybie et lItalie: trente
exils,
majoritairement rythrens et soudanais, arrivent de la Corne de
lAfrique; aprs que la majorit des rythrens ont gagn le Soudan, ils
passent en Lybie par la route, do ils embarquent dans un bateau
pour lItalie;
La voie longeant la Mditerrane orientale, plus suivie par les
Irakiens, les Afghans et les Pakistanais: Huit exils arrivent aussi
par voie maritime, en sui-
vant la cte Est de la Mditerrane (gypte , Turquie et Grce);
Six personnes arrivent pied travers lIran puis la Turquie, avant
de passer en Europe centrale (Balkans).
Les dix autres situations: Certains sont arrivs en Europe en
mlant les deux
parcours ci-dessus (pour trois dentre eux);
Lesquestionsduguidedentretien La date de dpart du pays dorigine
(servant de base au calcul de la dure
de voyage, en jours) Les pays traverss avant lEurope? Conditions
de vie dans ces pays de transit? Quels moyens de passage et quel
cot de voyage? Quelle tait votre vision de lEurope au moment de
votre dpart? Quelle en tait la source dinformation? Saviez-vous, en
partant, dans quel pays dEurope vous vouliez vous installer? Si
oui, quel est ce pays?
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
19
Dautres sont arrivs en avion (deux exils); Enfin cinq exils ne
nous ont pas prcisment dcrit
leur parcours migratoire avant lEurope.
Tentatives dtablissement26exils sur 54 (quasiment la moiti) ont
dabord es-say de sinstaller dans un pays voisin du leur pour y
habiter, y subsister et finalement y vivre: notion bien rendue par
le terme anglais de settlement (installa-tion, implantation ou
tablissement).
C3/ConditionsdevoyageetdtablissementavantledpartpourlEurope
Ehsan, 24ans, afghan, oprateur dune compagnie tlpho-nique. Les
Iraniens ne sont pas bons avec nous, les civils et les gens des
autorits. Je ne suis rest que deux mois. En traversant la frontire
pied entre lIran et la Turquie, nous avons t attraps par la police
turque. Javais trs peur. Jai t emprisonn dans de mauvaises
conditions. Sur le conseil du passeur, jai dit que jtais birman,
comme a je ne pourrais pas tre renvoy. Les Afghans sont renvoys et
pas les Birmans; et, comme je suis typ asiatique, cest pass.
Robel, 27ans, rythren, militaire (conscrit). Jai pass trois mois
en thiopie, puis je suis parti vers le Soudan. deux reprises, la
police thiopienne ma arrt et, ensuite, grce un passeur, je suis
pass au Soudan o je suis rest trois mois Khartoum. Jy ai travaill
dans la construction, la situation
tait mauvaise et mon oncle ma envoy largent [ncessaire] pour
aller en Lybie. Jai pass un mois traverser le dsert. Puis, Tripoli,
jai t kidnapp par des passeurs. Ils mont battu et mon oncle a donn
3000dollars pour me librer. Jtais enchan comme un animal. Puis, je
suis parti vers lItalie sur un bateau, avec 350personnes. Ils
faisaient monter toujours plus de personnes en nous frappant. Nous
avons pass dix heures en mer, nous priions tous. Puis, les
gardes-ctes italiens nous ont emmens sur un norme bateau o il y
avait mille migrants. Nous avons navigu deux jours avant darriver
en Italie.
Ramadan, 24ans, rythren, tudiant. Je suis pass trs rapidement au
Soudan, craignant dtre renvoy par les Soudanais en rythre. Puis je
suis pass en gypte, au Caire, o jai rencontr le UNHCR [agence des
Nations unies pour les rfugis], qui ma donn un rendez-vous pour
[demander] lasile un an et sept mois plus tard. Jtais prt attendre,
mais la situation scuritaire sest dgrade en gypte et jai d partir
pour la Lybie. Le UNHCR accordait lasile puis procdait la
rinstallation de la personne, soit aux tats-Unis, soit au Canada,
soit en Australie. En gypte, les noirs taient accuss de soutenir
les Frres musul-mans, et donc suspects. La traverse entre lgypte et
la Lybie fut trs dangereuse: le passeur nous a fait traverser un
champ de mines, nous tions 80 en file indienne derrire le passeur,
en marchant dans ses traces. Jai travaill en Lybie mais, la fin de
ta journe, tu ne savais pas si tu allais tre pay et, si tu
demandais ton patron ton argent, il te disait que tu es un esclave
et que tu nas aucun droit.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS20
Puis la situation scuritaire sest dgrade en Lybie et je suis
parti pour lItalie.
Youssef, 25ans, soudanais, commerant. En Lybie, tu peux tre tu
tout moment, pour rien. Des enfants de 12ans ont des armes, des
personnes te mettent en prison et on appelle ta famille pour
demander 1000dinars pour ta libration. Je suis rest neuf mois en
Lybie avant de partir pour lItalie.
Bakan, 29ans, soudanais, ouvrier agricole. cette poque-l, ctait
la paix et la scurit en Lybie. En Lybie, je suis rest onze ans, jai
travaill dans des fermes, souvent pour garder des btes. Je
travaillais, non, je ntais pas pay. Parfois, ils donnaient [de
largent], parfois ils nen donnaient pas. Je dormais par terre. Au
dbut, ctait bien, ctait calme, jtais en scurit. Mais, aprs, ctait
la guerre. Je suis all en prison sept mois. Jai t battu. Des amis
sont morts ct de moi.
Michael, 23ans, rythren, agriculteur. Nous sommes partis avec ma
mre et ma sur vers le Soudan, mais nous avons t surpris en
traversant la frontire rythrenne, nous avons t victimes de tirs de
la part des gardes-fron-tire. Mon oncle ma fait traverser la
frontire sur son dos alors que javais pris une balle dans la jambe.
Je nai plus jamais revu ma mre et ma sur. Je suis all vivre environ
un an Kassala au Soudan mais ctait dangereux dy vivre, mon oncle
avait peur dtre renvoy. Javais 10ans lpoque. Jai vcu brivement Juba
avant de partir vers Khartoum. Jy ai vcu jusquen 2011. Jy ai
travaill dans un atelier demballage plastique. La vie tait dure,
les policiers te contrlaient sans cesse et te rackettaient pour te
laisser partir, sinon ctait la prison ou, pire, le renvoi en
rythre. Jai alors dcid de partir pour la Lybie o, daprs mes
compatriotes, je pourrais gagner ma vie dignement.Le voyage vers la
Lybie tait difficile, trente-cinq personnes sur la plateforme dune
voiture, une semaine dans le d-sert. Les passeurs soudanais taient
corrects mais les Libyens sont terribles: ils te battent, ils
tinsultent, tu ne vaux rien pour eux. Pour nous racketter, un
passeur a fait semblant dexcuter lun de nous pour signifier aux
autres que nous devions payer ce quils demandaient. Certains taient
pris en otage et leurs familles devaient payer une ranon pour les
librer.Je suis rest prs de trois ans en Lybie. Je ne savais pas
quils taient si brutaux. Jai t emprisonn prs de deux ans dans
diffrentes prisons, par diffrents groupes, juste pour te racketter.
Ils te confisquent mme ta carte Sim pour viter que tu prviennes la
Croix-Rouge de ta dtention.
Synthse des conditions de voyage et dtablissement avant
lEuropeLes exils ont souvent t maltraits par les populations
locales, dans les pays par lesquels ils ont transit avant
de partir vers lEurope. Ils ont ainsi t dcourags de sinstaller,
ou bien ont d repartir, pour des raisons de scurit en gnral,
renonant leurs dbuts dinstal-lation, la suite de limpossibilit
dobtenir des papiers ou de leur situation de main-duvre servile ou
trs bon march qui leur tait assigne.
Ces rcits dinstallation avorte recoupent le constat majeur et
rcurrent du UNHCR, tablissant que plus de 90% des migrations
internationales suivent des itinraires SudSud. Seule une partie de
ces courants SudSud prend une direction alternative en partant vers
le nord. Nous entendons que cette partie qui tente la route du Nord
sy engage aprs lchec ou limpos-sibilit de ses tentatives de stablir
de manire plus proche du lieu de dpart.
C4/LepassageverslEuropeLes exils nous ont parl de leurs
tentatives de passer vers lEurope et des dangers de tels priples,
en raison du passage lui-mme ou de violence des passeurs.
Mohamed, 27ans, soudanais, carreleur. On nous a fait attendre
pendant huit jours sur une plage prs du port. Nous navions quun
repas et un seul verre deau par jour alors que jai des problmes de
reins et que jai besoin de boire beaucoup. Nous tions 230 sur une
barque de six mtres. Aprs trois jours, le bateau sest perdu, le
moteur est tomb en panne et nous devions coper car il y avait de
leau qui entrait dans le bateau. Des gens sont devenus fous et se
sont jets leau, ils sont morts noys. Les marins du bateau qui nous
a secourus ont jet un filet et ont demand ceux qui savaient nager
de se jeter dessus et ils nous ont hisss; les autres ont reu des
gilets de sauvetage et ont t hisss sur lchelle, portant les enfants
sur le dos.
Abdelrahman, 22ans, rythren, leveur. En voiture, pour aller au
Soudan puis en Lybie; puis bateau pour lItalie. Nous tions
94personnes sur un petit bateau. Nous sommes rests neuf heures en
mer avant dtre secourus. Il tait crit que nous arriverions en
Europe car nous devions coper leau qui entrait dans le bateau.
Avant dembarquer, un des passeurs libyens a tu un migrant, sans
raison.
Nasseredin, 29ans, soudanais, agriculteur. Nous tions 130 sur un
petit bateau qui pouvait contenir 60personnes au maximum. Aprs une
journe en mer, la barque a com-menc se dgonfler et nous drivions
vers la Tunisie. L, des passeurs nous ont mis sur un autre bateau o
il y avait dj des migrants. Nous nous sommes retrouvs 150 sur le
bateau. Jai navigu une journe avant dtre secouru par des Italiens.
Jai eu peur [il pleure].
Meheret, 32ans, rythrenne, sans profession. Nous tions 30 40 sur
un bateau; les passeurs nous ont dit
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
21
quaprs vingt-quatre heures, on serait en Europe. Tu as peur mais
tu nas pas dautre choix que de faire confiance au passeur! On a
pass cinquante heures sur ce bateau, avant darriver en Italie.
Salahadin, 23 ans, soudanais, vendeur de cartes tlpho-niques.
Jai voyag en bateau du Soudan vers lgypte puis, pour partir dgypte,
par un autre bateau: nous tions 320 sur un petit bateau, on tait en
mer pendant onze jours. Tu ne peux pas dormir, il y a du vent, des
vagues. Tu ne manges quun peu de riz et un verre deau par jour. Je
ne savais mme pas o allait notre barque. Tout le monde priait, on
voyait la mort. On a t secourus par un grand bateau.
Synthse du passage vers lEuropeLes exils ont pris des risques
normes pour rejoindre lEurope, notamment depuis la Lybie. Pour eux,
il a fallu passer des heures, voire des jours, sur des navires de
fortune, la merci de passeurs souvent violents pour faire supporter
aux exils des conditions trs difficiles: bateaux surchargs, absence
de nourriture ou deau, mauvais traitements
C5/Lechoix,initialounon,dunpaysdedestination34personnes parmi
les 54 navaient pas de pays de destination fix lorsquelles ont
quitt leur pays dori-gine (63%). En grande partie, ces personnes
ont tent dabord de sinstaller dans un pays voisin avant de se
remettre en route, cause des conditions de non-accueil dans ces
pays de transit. Vingt exils dclarent quils
avaient un pays de destination au dpart (37%); un quart dentre
eux stait fix un pays de destination autre que la
Grande-Bretagne.Lamajoritdespersonnesentenduesnavaientpaschoisidepaysdedestination,maisstaientjustemisesenrouteparuneurgentencessitdefuir.Ceciestlapremiregrandesurprisedenotretude,bat-tantenbrchelidereueselonlaquellelesexilsquittentleurpaysenayantentteunpaysdedesti-nation.RaressontceuxquiontchoisidepartirpourleRoyaume-Uniaumomentdeleurdpart.
C6/LecotduvoyageNous avons interrog les exils sur le cot de leur
voyage: 27 dentre eux (la moiti) nous ont indiqu les cots de leur
voyage (en dollars, euros, dinars) que nous avons cumuls (plusieurs
phases de voyage) et convertis en euros. Le cot moyen du voyage de
ces 27exils stablit en moyenne 3062 (de 345 9732).
Les sommes dpenses par les exils pour venir se rfugier en Europe
sont trs importantes au regard des niveaux de vie au Soudan (le
salaire moyen annuel par habitant est de 1 450$, daprs la Banque
mondiale) ou en Afghanistan (570$): le cot moyen dun voyage est
ainsi de lordre de deux ans de salaire moyen soudanais ou de cinq
ans de salaire afghan.
Lanalyse des parcours migratoires par nationalit donne voir que
deux nationalits (les trois Pakistanais
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS22
et les quatre Syriens) ont eu des voyages particuli-rement brefs
(moins de trois cents jours, au total) et particulirement chers
(plus de 5000, en moyenne).Cette tendance semble vidente: avec de
largent, on part plus facilement et on va plus vite. Elle est
vrifie pour lensemble des exils:
lesvoyagescherssontpluttmoinslongsquelesvoyagesmoinscoteux8.
C7/Lessourcesdinformationsurladestinationenvisage partir des
informations recueillies sur les sources dinformation des exils
nourrissant leur vision de lEu-rope, comme sur les rfrences partir
desquelles se fondait leur choix prcoce dun pays de destination,
nous avons tabli un systme de codage que nous avons appel
codedechoixdelaGrande-Bretagne. Les exils organisent leurs parcours
migratoires
partir des conseils de leurs compatriotes. Sur les 54personnes
avec qui nous avons dialogu, 25 (soit 46% de leffectif total) nous
disent fixer, de manire prioritaire, leurs choix migratoires sur la
base de conseils de membres de leur communaut.
Douze personnes font tat de ce que nous avons ap-pel des fuites
successives. Ils ont tent de sinstaller dans les divers pays quils
ont traverss ou, voyant les mauvaises conditions daccueil, ils ont
prfr franchir une nouvelle frontire en qute dun pays o ils
se-raient accueillis dignement. Ils sont pousss la fuite, sans
aucune information sur leur pays de destination.
Treize exils ont fait un choix raisonn de leur futur pays de
destination.
Deux exils nous ont dit avoir rv leur pays de destination.
Deux ne nous ont donn aucune rponse quant leur choix
initial.
Nous reviendrons ci-aprs sur ce code de choix de la
Grande-Bretagne, et sur lanalyse qui peut en tre faite pour
comprendre comment se construit la dcision daller au
Royaume-Uni.
C8/VisionsdelEuropeetdupaysdedestination
C8a/Ceux qui, au dpart, navaient pas choisi de pays de
destination
Abasou, 30ans, rythren, enseignant.Je cherchais la paix. Je ne
retrouverai jamais en Europe ce que jai perdu en rythre (une
condition sociale, une femme, une maison, des parents) et, si la
paix y avait rgn, je ne serais jamais parti. Je navais aucune ide,
en quittant lrythre, du pays o jallais minstaller. Jai t surpris
davoir russi quitter lrythre. Au dpart, je me suis rfugi au Soudan,
mais les autorits ry-thrennes ont tent de my kidnapper. Jai alors
pris la dcision de quitter le Soudan pour lEurope, mais sans savoir
o jirais. Jai eu un faux passeport et suis parti pour la
Turquie.
8Coefficient de corrlation ngatif de -0,215.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
23
Khan, 32ans, pakistanais, ingnieur lectricien. Je suis parti
pour sauver ma peau, je navais pas pens lEurope, je ne savais pas
ce qui mattendait. Je pensais pouvoir vivre comme Karachi: une
existence normale, gagner ma vie, envoyer de largent et faire venir
ma famille.
Mohamed, 27ans, soudanais, carreleur.Aucun pays en particulier,
mais lEurope en gnral, pour trouver de la scurit. Jaurais pu tenter
de me rfugier dans un pays arabe mais ils sont racistes. Mais,
comme je parle un peu anglais, je pensais plutt lAngleterre.
Fouad, 32ans, soudanais, ouvrier agricole.La vie est belle
l-bas, en Europe: paix, bonheur, pas de problme.
Abdelrahman, 22ans, rythren, leveur.Je ne cherchais quun pays o
jaurais la scurit, pas de pays dEurope pro-jet. Jai pass deux mois
au Soudan, mais la scurit y est inexistante. Puis, je passe quatre
mois en Lybie entre les mains dun groupe arm. Mon oncle paye et je
pars vers lItalie.
Karim, 30ans, marocain, peintre en btiment.Un endroit o
travailler, o gagner de largent pour ma famille.
Hamin, 24ans, soudanais, agriculteur.Je voulais trouver un pays
o vivre en paix, tre trait comme un tre humain. Ctait un rve. Un
endroit o bien vivre, o tu peux tre soign quand tu es malade, comme
un tre humain normal. En Europe, mme les chiens ont une position;
moi, en Afrique, je nen avais pas.
C8b/Ceux qui, au dpart, avaient choisi un pays de
destination
Mohamad, 32 ans, syrien, professeur danglais.Tout le monde en
Lybie pense que lEurope, cest la libert, le para-dis, nous rvons de
la libert. Nous nous sommes rvolts pour cette libert. Je connais
beaucoup dAnglais, connus au temps o jtais traducteur.
Zulquarnain, 32 ans, pakistanais, activiste poli-tique.[Rpondant
la question: O voulait-il sinstaller?]Allemagne, Angleterre ou
Norvge, avec une prfrence pour la Grande-Bretagne o il est plus
facile de travailler.
Aboubakar, 24 ans, soudanais, tudiant.Pays de rve o je vais
tudier, pays o je ne serais pas discrimin cause de ma couleur [il
est albinos]. LAngleterre pour terminer mon ducation, mon pre et
mon oncle parlaient anglais, mon oncle a tudi langlais Oxford, et
cest mon rve.
C8C/ Synthse sur les parcours emprunts avant lEuropeLes exils
que nous avons rencontrs ont d quitter leur pays. part quelques-uns
dtermins se rendre en Grande-Bretagne, la grande majorit suivent un
parcours migratoire
travers le monde par petits bonds, de proche en proche.Si
quelques-uns rvent dEurope, cest essentiellement pour trouver la
paix quils nont pas dans leur pays dori-gine. Ils arrivent trs
souvent en Europe faute de navoir pu sinstaller prs de chez eux.
Dans les pays quils ont traverss, ils ont trs souvent t victimes de
patrons, particuliers ou agriculteurs, qui les ont fait travailler
sans les payer ou en les payant peu.
Les voyages sont plus ou moins longs, selon les res-sources et
les charges de famille des exils.Ceux-ci ont remis leur destin
entre les mains des pas-seurs pour accder lEurope, prisonniers en
victimes consentantes des logiques de ces derniers.
Ainsi, en plus des perscutions subies ou craintes dans leur
pays, les exils rencontrs ont d subir dans les pays quils ont
traverss la violence des populations locales, puis celle des
passeurs.
LeurscheminsverslEuropeparaissenttoutaussilongsetpniblesquelessituationsquilsontquittes.
Impressions des recueilleurs de parolesLes mthodes employes par
les passeurs appa-raissent barbares, nhsitant pas utiliser la
violence. Ils maltraitent les exils en les faisant voyager dans des
conditions inhumaines: manque deau et de nourriture, bateaux en trs
mauvais tat et surchar-gs. Plusieurs des exils rencontrs ont besoin
de raconter les assassinats de certains compagnons dexil, commis
sous leurs yeux par des passeurs.Au-del de la maltraitance, cest
nous semble- t-il de traite dont il est ici question, notamment
avant lentre en Europe.Notre tude navait pas pour but de
questionner les exils sur les passeurs mais ils en ont sponta-nment
parl lorsque nous voquions la traverse de la Mditerrane, ou le
passage entre lIran et la Turquie. Il est cependant notable que
cest le seul moment o ils en ont parl. Les passeurs ne sont pas
voqus lors du sjour des exils Calais, mme par ceux qui souhaitent
se rendre en Grande-Bretagne. Ils ne le sont pas non plus lors
dautres passages de frontire en Europe.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS24
D/LescontinuitsentrelepaysdedpartetlEurope
D1/LestentativesdtablissementNous constatons que des exils ont
tent de stablir en de-hors de lEurope (Soudan, Lybie post-Kadhafi,
Iran, gypte, Turquie) ou dans des pays dEurope (Italie, Espagne,
Grce). Il nous est apparu que leurs logiques dtablissement sont les
mmes, hors dEurope ou en Europe: sarrter, subsister, habiter et
travailler, simplement vivre.
Ainsi, dcrivons-nous en un mme ensemble les ten-tatives des
exils pour stablir dans les pays o ils ont transit:
Ils ont essay de sinstaller dans les pays suivants (par ordre
dimportance): Lybie 11Italie 6Soudan 5Iran 3Espagne, Grce, Turquie,
Tadjikistan 2Royaume-Uni, Belgique, gypte, Suisse, Syrie 1
26personnes ont tent de stablir dans 38pays: dix-sept exils ont
ainsi tent de stablir une seule fois, six exils deux fois et trois
exils trois fois, et ont ainsi vcu deux ou trois nouveaux dparts
aprs leur dpart initial.
Les exils ont parfois sjourn plusieurs annes dans des pays
voisins du leur, avant de se remettre en route en raison de la
dgradation de leurs conditions de vie et surtout de la hausse de
leur sentiment dinscurit. Si les pays par lesquels ils ont transit
les avaient accueil-lis dignement, ou mme simplement laisss
subsister, ils ne se seraient pas remis en route.
Les frquentes tentatives dtablissement des exils, avant darriver
en Europe ou sur ce continent, donnent voir, de la mme faon:
Que lEurope nest pas en elle-mme le but dune grande partie
dentre eux;
Quils ne repartent plus loin que parce quils ne peuvent vivre l
o ils sont.
Ces diverses tentatives sont indicatrices de leur projet de
vivre quelque part.
Elles orientent vigoureusement vers une mme solu-tion: leur
permettre de vivre l o leurs pas les ont por-ts. La stabilisation
des flux migratoires a un horizon, tellement simple quil est trop
souvent oubli: que la vie soit ( nouveau) possible l o les
personnes se trouvent.
D2/LesattachesenEuropeLe second point susceptible de faire pont
entre pays de dpart et darrive est constitu par les attaches en
Europe, en Grande-Bretagne en loccurrence.
Nous avons dpouill les entretiens en constituant un
codedesattachesenGrande-Bretagne, renseign selon les trois modalits
dattaches familiales, commu-nautaires ou professionnelles.
Parmi les 54exils entendus: Dix indiquent avoir des attaches
familiales, trs sou-
vent un cousin plus ou moins loign; Cinq dclarent avoir des
attaches communautaires
(dont un ayant la fois des liens communautaires et
familiaux);
Un a des attaches professionnelles; Et un a dj vcu au
Royaume-Uni (selon un autre
type dattaches).
Ainsi 16exils sur 54 (soit 30%) font tat dattaches diverses au
Royaume-Uni, principalement familiales.
Dans le plan de notre document, entre le parcours avant lEurope
(point C, pp. 18-23) et le parcours en Europe (point E, pp. 26-29),
prennent place ici deux points concernant ce qui relie les pays de
dpart et darrive: Dune part, les tentatives dtablissement en route,
dont nous allons voir quelles
ont lieu selon la mme logique tout au long du voyage; Dautre
part, les attaches en Europe, dont on peut supposer quelles
fournissent
la raison de changer de continent, au risque de la traverse dune
mer, du franchissement dun mur ou du passage par un champ de
mines.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
25
Nous constatons donc que: Trente-huit exils (soit 70%) nont
aucune attache en
Grande-Bretagne; Un ou deux au plus cumulent des attaches de
plu-
sieurs ordres dans ce pays.
CequiapparaticiestlafaiblessedesressourcessurlesquelleslesexilspeuventcompterunefoisquilsauronttraverslaManche.
Ahmed Shah, 31ans, afghan, comptable. Jai des cou-sins au Canada
et en Russie. Il y a des Afghans dans tous les pays du monde.
Tighirt, 22ans, rythrenne, sans profession. Jai une mre et une
sur au Soudan, une amie Bobigny, un cousin au Royaume-Uni.
Mohamed, 27ans, rythren, arboriculteur. Jai des cousins germains
Londres.
Taghi, 29 ans, afghan, maracher. Je connais des amis, l-bas
depuis dix ans, lui pizza-shop. Il a besoin de quelquun qui
travaille.
Youssef, 27ans, kurde de Koban, syrien, tailleur. Jai un oncle
en Angleterre. [attaches familiales]
Achraf, 32 ans, soudanais, ingnieur informatique. Je suis
activiste politique, membre dun parti dopposition. Je
connais dautres Soudanais qui vivent en Grande-Bretagne, il y a
des liens culturels entre le Soudan et le pays qui nous avait
coloniss. [attaches communautaires no-tamment].
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS26
E/LeparcoursenEurope
Pour dcrire leur parcours en Europe, nous avons inter-rog les
exils sur ce qui globalement les avait conduits jusqu Calais, o
nous les entendons.
Sur les 54personnes interroges: Trente-cinq nont travers en
Europe que lItalie avant
la France: cest la route migratoire majoritaire chez les
Africains. Seulement trois dentre eux (soit 9%) ont eu leurs
empreintes releves en Italie.
Les dix-neuf autres sont passs par la Grce avant lItalie, ou
bien sont entrs en Europe par lEurope centrale (Bulgarie, Hongrie,
Balkans). Nous avons vu que cette route migratoire est plutt celle
des personnes arrivant dAsie ou de Syrie, cest aussi la plus longue
pour arriver en France. Les personnes qui ont pris cette route ont
trs majoritairement eu leurs empreintes prises (quinze dentre
elles, soit 79%).
coutons, par les propres mots des exils, les alas de cette route
suivant la Mditerrane orientale, avant de considrer la trajectoire
italienne: modration des prises dempreintes et valeur relative des
protections en Italie, comme ailleurs au sud de lEurope.
E1/LepassageparlaMditerraneorientaleetlaGrce
Ehsan, 24ans, afghan, oprateur dune compagnie tl-phonique.La
premire personne que jai vu Athnes, en Grce, tait un Afghan et il
avait le visage en sang, il avait t attaqu par des fascistes. Je
navais jamais entendu ce mot. La Grce, cest lEurope et je me suis
dit que jallais y rester. Javais t arrt par la police qui mavait
donn lobligation de quitter le pays. Puis je suis all au bureau de
lasile et jai attendu dehors quatre jours avant que la police ne
vienne et nous demande de dgager, en nous insultant. Un soir, alors
que je sortais chercher du jus dorange la boutique, jai vu un
groupe de jeunes avec des chanes et des battes, ils ont commenc
minsulter et courir vers moi, jai couru, jai mme perdu une
chaussure, un Pakistanais plus lent que moi a t attrap par ces gens
et battu. Je ne me sentais pas en scurit et, aprs trois mois, je
suis parti pour lItalie. Je suis mont dans un camion pour lItalie.
Je ny suis rest
que deux jours car des Afghans mont dit quil y avait trop de
problmes en Italie, pas de travail, pas de maison... Le premier
jour, je suis all la police qui ma dit de revenir plus tard. Javais
limpression dtre encore en Grce. En Italie, jai entendu parler de
la Belgique, la capitale de lEurope [].
Wata, 26ans, soudanais, tudiant.Ds mon arrive en Grce par
bateau, jai t arrt par la police qui a pris mes empreintes. Puis
jai t envoy dans un centre daccueil pour dix jours. On ma dit que
je devais quitter le territoire grec sous un mois et, qu dfaut, je
serais emprisonn dix-huit mois. Il y avait tellement de migrants la
rue en Grce que, parfois, jtais contrl trois fois par jour par la
police, sans raison. Jai alors dcid de partir vers lItalie. Je
navais plus dargent, je me suis donc dbrouill seul pour passer. Jai
pass vingt-deux heures accroch sous un camion pour aller de Grce en
Italie. Je ne suis rest que cinq jours en Italie car mon but tait
de me rendre rapidement en Angleterre. Les conditions de vie des
demandeurs dasile y sont trs mauvaises. LItalie, cest un peu mieux
que la Grce mais que cest loin des ides que lon peut se faire de
laccueil en Europe! Je quitte lItalie et passe vingt-deux jours
Paris dans un squat prs de la station de mtro La-Chapelle.
Ali, 31ans, afghan, mcanicien.Je suis pass par la Bulgarie. Nous
nous sommes perdus dans la fort, le passeur nous a aban-donns. Aprs
quatre jours dans la jungle, jai trouv la police pour avoir de
laide. Ils mont arrt et mis en prison pour quatre mois et quinze
jours, jai t libr en donnant un bakchich de 350 un policier. Puis
je suis parti pour la Serbie, mais les conditions de vie y taient
trs mauvaises. Je suis pass par la Hongrie, je suis all la police
pour y demander lasile, un policier ma dit quil y avait une loi
Dublin et quils me renverraient en Bulgarie. Je me suis chapp et
suis pass en Autriche. Jai demand lasile en allant la police et, l
encore, ils voulaient me renvoyer en Bulgarie. Je suis alors parti
vers lItalie [].
E2/LamodrationitalienneenmatiredeprisedempreintessurlapriodedurantlaquellenousavonsentendulesexilsQuelle
que soit la route utilise, seules huit personnes ont laiss leurs
empreintes en Italie (trois ayant suivi
Lesquestionsduguidedelentretien De votre lieu dentre en Europe
jusquau littoral du Calaisis, quel itinraire
avez-vous suivi?De quelles informations avez-vous dispos sur les
pays de transit et daccueil?Quelles ont t vos conditions de vie et
de travail dans les pays europens traverss?Avez-vous fait une (des)
demande(s) dasile en Europe?
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
27
la route allant de Lybie en Italie, et cinq tant passes par la
Mditerrane orientale [voir au dbut de cette partie D]). En effet,
il semble quau cours de lopration Mare Nostrum mene par lItalie9,
de nombreux exils ont chapp une prise dempreintes dans ce pays.
Les autorits italiennes les secouraient en mer (gardes-ctes),
puis les faisaient dbarquer (douanes, carabiniers) sans prendre
systmatiquement leurs empreintes.
Il y a l un phnomne contextuel troitement li la p-riode o nous
avons procd aux entretiens: entretiens en novembre et dcembre 2014,
exils prsents en moyenne depuis un trois mois (voir la partie F/
Calais, pp.30-35) : ils ont accost en Italie entre dbut aot et fin
novembre 2014, en pleine priode de Mare Nostrum. Cette donne est
garder lesprit en lisant nos rsultats.
Nasseredin, 29ans, soudanais, agriculteur.Lors de mon arrive,
des docteurs ont soign les malades. Les policiers italiens ne mont
pas pris mes empreintes, mais nous ont dit de partir. Je suis alors
parti sans poser de questions puisquils ne voulaient pas que je
reste. Je ne suis rest que vingt-quatre heures en Italie. Je pars
pour Paris o je vis dans un squat prs de la station de mtro
Porte-de-la-Chapelle. Jai song demander lasile, mais les conditions
de vie ici mont pouss tenter de partir vers lAngleterre. Dans le
camp de rfugi au Darfour, javais trois repas par jour, mais pas
ici. [il pleure encore] Je suis Calais depuis un mois.
E3/Lensembledesprisesdempreintes
Sans empreintes prises au cours du priple 33
Une prise dempreintes 17
Plusieurs prises dempreintes 3
Cumul empreintes prises 20
Non renseign 1
Total 54
Seuls 20exils sur 54 (37%) se sont vus relever leurs empreintes
digitales au cours de leur priple, compte tenu de la priode
particulire voque ci-dessus (op-ration Mare Nostrum).
E4/LerrancedesrfugisenItalieetausuddelEuropeQuel que soit le
pays par lequel ils sont passs, les exils pouvaient y demander
asile. Pourtant, la plupart dcident de poursuivre leur chemin
migratoire afin de gagner un pays o leurs conditions daccueil et de
vie seront meilleures. Ils font trs majoritairement ce choix en se
basant sur des informations communautaires, ou sur ce quils ont pu
voir de la situation trs prcaire des demandeurs dasile comme des
rfugis statutaires, dans les pays quils ont traverss. L encore, il
ne sagit pas de jugement de valeur mais de la perception des
personnes interroges elles-mmes.
Ainsi, les trois personnes qui ont obtenu des documents en
Italie, plutt originaires dAsie, nont pas pu ni voulu sy maintenir
car ils narrivaient pas y trouver du travail ou sy intgrer.
9Opration militaire et humanitaire pour secourir en mer les
exils clandestins, mene par la marine militaire italienne entre la
mi-octobre 2013 et la fin octobre 2014, aprs le drame du 3octobre
2013 qui fit 366morts au large de lle de Lampedusa.
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS28
Les situations sont comparables pour certains rfugis en Espagne
ou en Grce, voire en Belgique.
Voici quelques verbatim sur les parcours erratiques dexils en
Europe, avant leur arrive Calais.
Ehsan, 24 ans, afghan, oprateur dune compagnie tlpho-nique.[] En
Italie, jai entendu parler de la Belgique, la capitale de lEurope.
Je suis all Bruxelles par train en transitant par Paris. En
Belgique, jai demand lasile. Aprs six mois, jai eu un rejet. Jtais
dans un camp, mais le camp tait dans la jungle. Jai fait appel
mais, comme tous les Afghans en Belgique lpoque, jai eu un rejet de
mon appel, me disant que je pouvais minstaller ailleurs en
Afghanistan et que je pourrais y trouver la scurit. Jai essay
dexpliquer que mme notre Prsident ntait pas en scurit, alors
comment jy serais? Puis on ma dit que je devais partir et que je
pouvais aller dans un autre camp pour un mois. Mes amis mont dit de
ne pas aller dans ce camp, que ctait un camp ferm et que jallais
tre renvoy en Afghanistan. Mes amis mont dit daller en Allemagne et
que je pourrais y demander lasile. Je suis all la police pour
deman-der lasile. Ils mont pris les empreintes et mont emprisonn.
Aprs quinze jours sans voir personne, une dame est venue et jai dit
que je ntais pas un criminel et ai demand pourquoi jtais en prison.
Aprs quarante-deux jours, jai t renvoy en Belgique. Jtais la rue,
il y avait des manifs de sans-papiers cette poque. Un groupe damis
ma dit quils partaient pour lItalie. Je les ai accompagns. L, jtais
trois mois la rue. Puis, je suis all dans un camp avec des rgles
trs strictes. Je me sentais hors de la socit italienne, dans ce
camp. Je nai mme pas eu une permission de minuit pour Nol. Jai
t
en retard deux fois et on ma mis dehors un mois. Puis jai eu un
accord ma demande dasile pour cinq ans. Ils mont dit que je devais
quitter le camp. Jai tent de trouver du travail mais je nai pas
russi. Je suis alors all Paris pour trouver du travail mais je nai
pas russi. Des Afghans mont dit quen Grande-Bretagne, je pourrais
trouver un avocat qui pourrait empcher mon renvoi vers lItalie et
que je pourrais y vivre.
Michael, 23 ans, rythren, agriculteur.Je suis rest en Italie un
peu moins dun mois. Jai vu des compatriotes qui taient l depuis
longtemps, cinq ans et plus, qui disaient ne rien avoir et tre la
rue, ils mont conseill daller vers la Grande-Bretagne. Jai mang en
Italie grce aux associa-tions. Jai pris un train et suis arriv
Paris. Je me sentais isol. Je suis rest Paris une vingtaine de
jours, je dor-mais sous un pont. L encore, des compatriotes mont
dit: Va en Grande-Bretagne, dautres de demander lasile.
Kahn, 32ans, pakistanais, ingnieur lectricien.Je suis arriv en
Italie, jai obtenu des papiers, je suis rest deux ans en Italie,
jai cherch du travail tout le temps. Il ny a pas de travail en
Italie. Jaurais accept du travail mme 300! Alors que je gagnais
sans effort 1500 dans mon pays. Et, en Italie, ils ne mont pas donn
de quoi vivre, et pas de quoi envoyer de largent ma famille, et la
faire venir (cela maurait cot 10000$). Je suis all en Allemagne
pour trouver du travail, mais je nen ai pas eu. Alors, je suis venu
ici pour passer en Angleterre.
Youssef, 25ans, soudanais, commerant.Je nai pass que six jours
en Italie. En arrivant en Italie, jai t plac dans un camp. On ma
dit que, si je voulais demander lasile,
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS CALAIS
29
je pouvais rester et que sinon je pouvais partir. Mais il ny
avait pas de place pour vivre, pas de travail, tu manges dans les
poubelles. Puis jai pass cinq jours Paris Porte-de-la-Chapelle.
Puis je suis parti vers Calais, pour aller en Grande-Bretagne, vu
qu Paris aussi je mangeais dans les poubelles et que je dormais la
rue.
Meheret, 32ans, rythrenne, sans profession Je ne suis reste que
trois jours en Italie car des rythrens qui y vivaient mont dit que
ce ntait pas un bon pays pour nous et que, pour faire de bonnes
tudes, il fallait aller en Suisse ou en France, ou en Angleterre.
Je navais pas dargent pour aller en Grande-Bretagne donc je suis
partie pour Paris o nous sommes arrivs le 16dcembre. L, je voulais
demander lasile mais des compatriotes mont dit que je devrais plutt
aller Calais, que je serais hberge rapidement et que je pourrais
demander lasile rapidement aussi.
Abdelatif, 52ans, soudanais, banquier.Jarrive en Espagne o je
prends le bus le mme jour pour me rendre en Norvge. Oslo, je dpose
une demande dasile mais, comme je suis entr en Europe avec un visa
espagnol, je suis plac en rad-mission Dublin. Je suis hberg cinq
mois dans un centre daccueil, jy suis trs bien trait, et bnficie
dun bon suivi mdical. Je devais my faire oprer dun il pour un
problme nerveux mais je suis renvoy en Espagne avant lopration.
Avant mon dpart en Espagne, javais, via internet, pris des
renseignements sur lEspagne, et savais que ma vie y serait plus
difficile. Six millions de chmeurs en Espagne, quelles seront les
chances pour que je my insre, moi un Soudanais de 52ans ? Je suis
finalement renvoy en Espagne. Je dors la rue et dans une mosque
pendant une semaine. Puis je suis pris en charge par un dispositif
daccueil. Je me dispute avec lavocat charg de prendre en charge ma
demande dasile, car ce dernier a trs mal traduit les motifs du
dpart du Soudan. Suite ceci, je perds mon logement et, sur le
conseil dautres Soudanais, je dcide de me rendre au Royaume-Uni
aprs avoir pass trois mois en Espagne. Jarrive donc Calais. Voil un
an que je suis en Europe et personne na pris le temps dcouter
pourquoi jai quitt le Soudan.
Ali, 31ans, afghan, mcanicien.[] Je suis alors parti vers
lItalie. L, la police ma dit que javais des empreintes dans
plusieurs pays: Bulgarie, Serbie, Autriche, Hongrie. Mais que je
pouvais prendre un avocat et ne pas tre ren-voy. Jai finalement
obtenu un titre de sjour de cinq ans. Aprs six mois, jai t vir du
foyer o je vivais. Je ne pouvais plus vivre en Italie, sans maison,
sans travail. Je suis venu chercher du travail en France.
E5/SynthsesurlesparcourssuivisavantlEuropeAinsi, se rencontrent
Calais des personnes ayant dcid de se rendre en Grande-Bretagne sur
la base dinforma-tions manant de leurs compatriotes et/ou de ce
quils
ont vu et/ou vcu des conditions daccueil et de vie des exils:
tout au long de leur parcours europen, ils ont rencontr des
demandeurs dasile non accueillis et des rfugis narrivant pas
trouver une place dans le pays qui leur a attribu un titre de
sjour.Ils ont souvent tent de sinstaller soit dans des pays voisins
de leur pays dorigine, soit dans dautres pays traverss lors de leur
parcours migratoire. Faute dac-cueil ou plus simplement de
possibilit de subsister, ils ont t contraints de reprendre la route
qui les a mens Calais.Certains, ayant par exemple un titre de sjour
en Italie, niront pas au Royaume-Uni pour y demander lasile mais
pour y trouver du travail.
Impressions des recueilleurs de parolesNous gardons en mmoire
que les exils sont Calais car ils fuient des perscutions. Nous
voyons quils sont jeunes et volontaires, nous les entendons nous
dire leur besoin de travailler pour vivre et pour sintgrer. Cest ce
quexprime Ramadan, tudiant rythren de 24ans: Je ne me satisferai
pas des documents, je dois continuer mon ducation. Je veux tre
comme toi.Les exils prsents Calais relvent massivement de la
Convention de Genve en raison de leur pass et des motifs de leur
dpart (demandeurs dasile ayant vocation obtenir la protection
accorde aux rfugis), mais ils sont des travailleurs par leur
pro-jet de vie: cest en tant quactifs, travailleurs ou tu-diants,
quils dterminent leur pays de destination.Lcart est abyssal entre
leur vision dune Europe ida-lise comme une terre daccueil et la
dure ralit dune absence de politique dasile, commune aux pays
europens. Ils sont trs conscients dtre de fait pour les tats
europens des patates chaudes que ces tats essaient de renvoyer do
ils viennent. Les alas de lapplication du rglement Dublin quils
subissent contribuent leur tat de fragilit psychologique.Ces
considrations poussent les exils toujours viser des pays o est
effective la protection des rfugis, mais surtout o les conditions
dinsertion sont les meilleures (conditions apprcies daprs le march
du travail local).Nous avons ainsi cherch comprendre pourquoi les
exils poursuivent leur route pour arriver Calais, ce Finistre de
lespace Schengen. L, ils tentent de survivre dans les jungles. Que
disent-ils de ce quils vivent dans le Calaisis?
-
JE NE SAVAIS MME PAS O ALLAIT NOTRE BARQUE PAROLES DEXILS
CALAIS30
F/Calais
Les jungles o nous avons rencontr les exils sont des camps de
fortune faits de bches, de tentes deux sous et de bouts de bois,
dignes des bidonvilles du Tiers-Monde.
Aprs leur long et pnible voyage, les exils arrivent Calais. Nous
les avons interrogs sur leurs conditions de vie Calais, sur la dure
de leur sjour calaisien mais aussi sur ce quils imaginaient de
laccueil qui leur serait rserv dans cet endroit. Puis, nous les
avons entendus sur leurs besoins, leurs attentes et dventuelles
propositions pour le centre de Calais.
F1/LesduresdesjourCalais
0
5
10
15
20
4 mois et plus
92 122 jours
62 91 jours
31 61 jours
16 30 jours
< 16 jours
Dures de sjour Calais
3
6
17
5
15
7
Les exils que nous avons rencontrs sont en moyenne depuis
75jours Calais (sur 53rponses