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Jemprunterai la dfinition dun cologiste Aldo Leopold, ce
fores-tier amricain qui, la fin de sa vie, publia lAlmanach dun
com-t des sables, livre dont la publication posthume, en 1949,
devait rencontrer un prodigieux succs, et devenir la rfrence
inconteste des thiques environnementales. Dans la tradition des
rcits de nature inau-gure par Thoreau dans Walden, le livre de
Leopold se prsente comme une srie de vignettes ou dhistoriettes,
graines selon les mois de lan-ne. Il y prsente la vie quil mne dans
son domaine du Wisconsin (le comt des sables ) la rencontre de la
nature. On peut y trouver ceci: Jai lu de nombreuses dfinitions de
ce quest un cologiste, et jen ai moi-mme crit quelques-unes, mais
je souponne que la meilleure dentre elles ne scrit pas au stylo,
mais la cogne. La question est: quoi pense un homme au moment o il
coupe un arbre, ou au moment o il dcide de ce quil doit couper? Un
cologiste est quelquun qui a conscience, hum-blement, qu chaque
coup de cogne, il inscrit sa signature sur la face de sa terre. Les
signatures diffrent entre elles, quelles soient traces avec une
plume ou avec une cogne, et cest dans lordre des choses.
Lcologiste est prsent comme quelquun qui agit, et cette rf-rence
laction me parat remarquable pour trois raisons, au moins.1. Agir
dans la nature et avec elle
L o la traduction (gnralement trs bonne) parle d cologiste , le
terme qui figure en anglais est celui de conservationist, autrement
dit (si lon traduit mot mot) un protecteur de la nature. Or, lpoque
o vivait Leopold (et encore largement maintenant), protger la
na-ture, aux tats-Unis surtout, cest sabstenir, cest ne pas
intervenir. La nature que lon entend protger est dsigne comme
wilderness, un espace sauvage, intouch par lhomme. Le texte
juridique qui r-git la protection de la nature aux Etats-Unis, le
Wilderness act dsigne celle-ci comme un espace o la terre et sa
communaut de vie ne sont pas entraves par lhomme, o lhomme lui-mme
est un visiteur qui ne reste pas . Limportant, donc, est de laisser
de tels espaces eux-mmes, hors de toute emprise humaine. Les
thiques environnemen-tales sont, dans leur grande majorit, des
thiques du respect, ce qui sentend, le plus souvent, comme de la
non intervention, du non agir.
Quest-ce quun cologiste ?
Catherine Larrre
CATHERINE LARRRE Professeur mrite lUniversit de Paris
I-Panthon-Sorbonne. Spcia-liste de philosophie morale et
poli-tique, elle sintresse aux questions thiques et politiques lies
la crise environnementale et aux nouvelles technologies. Catherine
Larrre est Prsidente de la Fondation de lEcologie Politique.Dernier
ouvrage paru: Penser et agir avec la nature, avec Raphal Larrre (La
Dcouverte, 2015).
Les
Not
es
de L
a Fe
P
N1 - Fvrier 2014(rdition: mai 2015)#Nature
#HistoireDeLcologie
#Environnement
#Penseurscologistes
-
Ce nest pas le cas pour Leopold. Protger la nature, pour lui,
cest agir, intervenir, et peut-tre mme d-truire. Dans le passage
qui prcde immdiatement celui que je viens de citer, il se demande
comment savoir quels arbres il faut abattre pour le bien de la
terre . Il poursuit en sinterrogeant sur ses choix, lorsquil sagit
de planter : donne-t-il la prfrence aux pins ou aux bouleaux ? Sil
peut ainsi conjuguer ses prfrences personnelles et le bien de la
terre , cest quil ne se considre pas comme en dehors de la nature.
Il en fait partie et cette appartenance est source de devoirs
moraux. Cest la leon premire de son thique quil nonce dans la
prface de son livre : La terre en tant que communaut, voil lide de
base de lcologie, mais lide quil faut aussi lai-mer et la
respecter, cest une extension de lthique. Dans sa dfinition dun
cologiste, Leopold rfl-chit partir de sa pratique de forestier.
Quelquun qui agit de faon intentionnelle, de faon interve-nir dans
le cours de la nature, de faon linflchir dans le sens o il lentend,
mais sans pour autant la dominer. Il ne sagit pas dagir sur la
nature ou contre elle, mais avec elle, dans un rapport de
par-tenariat. Le problme nest donc pas de sabstenir dagir, mais
dagir en sachant ce que lon fait, en rflchissant aux consquences.
Aussi la dfinition de Leopold, qui se demande quels arbres couper
et quels arbres planter, ne se limite-t-elle pas la pro-tection de
la nature, elle vaut comme mtaphore de notre agir, un agir
conscient de la faon dont il sins-crit dans son environnement, un
agir cologique.
2. Agir et plus seulement avertir
Un cologiste cest quelquun qui agit, pas un in-tellectuel : la
bonne dfinition scrit avec la co-gne et pas avec un stylo . La
critique des livres et dun savoir purement livresque est fr-quente
chez les amoureux de la nature, com-mencer par Rousseau. Ce qui ne
lempche pas dcrire et dcrire fort bien. Ce qui est le cas de
Leopold : lAlmanach dun comt des sables est un superbe livre. Les
cologistes savent crire.Si les livres nous dtournent souvent de la
ralit, un bon livre peut nous y ramener. Les cologistes ont souvent
t des lanceurs dalerte. Ils ont attir
lattention sur les consquences - extrmement no-cives - de nos
actions techniques dans la nature. Ce fut le cas, notamment, dans
les annes 1960, quand un certain nombre de scientifiques sont
sortis de leur rserve habituelle pour prendre publiquement la
parole. En 1962, Rachel Carson, une spcialiste de biologie marine,
a mis en vidence, dans Silent Spring (Printemps silencieux) les
effets cumuls des pesticides, comme le DDT, quand ils se diffusent
dans la chane alimentaire. Le livre eut un grand succs auprs du
public et joua un rle important dans lveil de la conscience
cologique, il provo-qua galement des ractions violentes de la part
des firmes de lindustrie chimique qui accusrent Ra-chel Carson dtre
une bonne femme hystrique diffusant des mensonges. En 1972, le
rapport Meadows, du club de Rome, a montr limpossibili-t dune
croissance illimite sur une terre limite. la fin des annes 1980,
Edward O. Wilson, un biolo-giste qui tait rest jusque l dans une
attitude de neutralit, a dnonc la disparition acclre des espces en
popularisant le terme de biodiversit. Il a contribu faire de la
biologie de la conserva-tion une science militante , une science
daction.Cest quil ne suffit pas de rvler, dalerter. Il faut
galement agir. Le film dAl Gore, Une vrit qui drange (An
Inconvenient Truth) est une prsenta-tion claire, pdagogique,
frappante du changement climatique : ses mcanismes, ses effets.
Tout est fait pour capter lattention : le film alterne la
pr-sentation didactique et les moments personnels, linformation
scientifique et les images mou-vantes. Nous ne pouvons qutre
convaincus de la gravit de la situation. Mais que faire ? Le
contraste est frappant entre la svrit du tableau prsent (on
pourrait mme reprocher au film dtre net-tement catastrophiste), et
la pauvret des solu-tions proposes. Avec le gnrique de fin, dfilent
quelques conseils : teindre la lumire en sor-tant, prendre des
douches plutt que des bains....Cest drisoire, parce que cela reste
individuel. Il y a un dcalage choquant entre lampleur - globale -
du problme et la modestie des actions proposes. Si, en reprenant
une dfinition de Leopold, un co-logiste est quelquun qui agit en
rflchissant aux consquences de ses actes, et si ces actes sont
indi-viduels, Al Gore nest pas un cologiste. Tout au long du film,
on le voit traverser des aroports en tirant sa valise. Et encore le
film ne prcise pas que cest - 2 -
Note n1 - Fvrier 2014 Quest-ce quun cologiste ?
-
vers son avion personnel quil se dirige. Du point de vue du
bilan carbone, ce nest pas excellent. Mais les actions ne peuvent
pas tre seulement in-dividuelles. A problme global, il faut des
solutions, sinon globales, du moins collectives. Ce qui pose la
question de la dimension politique de lcologie.3. Agir : le naturel
et le social
Le bcheron et sa cogne sont, pour Leopold, une mtaphore de nos
rapports la nature : agir en sa-chant ce que lon fait, agir en
cohsion, en collabora-tion avec la nature. Mais il y voit aussi une
mtaphore de nos rapports sociaux. Dans la prface de lAlma-nach, il
nous invite rvaluer ce qui est artificiel, domestique et confin
laune de ce qui est naturel, sauvage et libre . Il nous propose
ainsi dinstiller un peu de sauvage dans notre vie sociale et
politique. Il sinscrit dans la continuit de Thoreau. Si celui-ci
considrait que in wildness is the preservation of the world (le
salut du monde se trouve dans la vie sauvage), cest que sauvage et
libre allaient pour lui de pair. Dans le rapport la nature Thoreau
et Leo-pold trouvent ainsi une leon politique de libert. Thoreau
est celui qui a su lier lattention la nature et la dsobissance
civile. Protection de la nature et dmocratie vont de pair. Lcologie
est politique.Mais la globalisation des problmes environnemen-taux
a transform la situation. lpoque de Thoreau et de Leopold, on
pouvait penser quen sinspirant de la nature, il tait possible de
rformer notre vie so-ciale. Avec la globalisation, la situation
sinverse: si nous ne transformons pas notre vie sociale, nos
rap-ports la nature vont se dtriorer jusqu rendre notre propre vie
sociale impossible. La question nest plus seulement de voir la
nature autrement (sauvage et pas domestique, naturelle et pas
artificielle) mais de voir autrement notre vie sociale, de
lintrieur.Cest ce quAndr Gorz prsentait, sous le nom dco-logie
politique : instaurer de nouveaux rapports des hommes la
collectivit, leur environnement, la nature . De Leopold Gorz, le
rapport entre le naturel et le social sinverse. Pour Leopold, la
nature vient en premier : en transformant nos rap-ports la nature,
nous pouvons esprer amliorer nos rapports sociaux. Pour Gorz, la
socit est nom-me dabord, la nature relve des consquences : - 3
-
en transformant nos rapports sociaux, nous pou-vons esprer tre
mieux en accord avec la nature. Cela ne va pas de soi, ni dans un
sens, ni dans un autre. Cela va dautant moins de soi que lon
conti-nue disjoindre les deux soucis, celui de la nature et celui
de la socit. Cest ce que lon fait lorsque lon distingue entre
environnementalisme (les rapports la nature) et cologie (un autre
modle social) et que lon y voit non seulement des tches distinctes,
mais deux formes de pense indpendantes. Pour-tant que ce serait un
environnementalisme qui ne se rendrait pas compte que nos rapports
la nature ne sont pas purement individuels mais engagent notre
vision sociale ? Que serait un cologisme qui entreprendrait de
transformer le modle social sans y inclure nos rapports la nature
et comprendre que la premire transformation cest de mettre en
question la sparation du naturel et du social ?
Un cologiste, cest quelquun qui est capable de pen-ser la fois
la nature et la socit. Et ce nest pas facile.----------------------
On peut, en lisant la dfinition que donne Leopold dun cologiste, se
dire quil a t entendu. Quest-ce en effet que lempreinte cologique,
sinon la si-
gnature humaine sur terre ? ce titre, si chacun de nous mesure
son empreinte cologique et sef-force de la diminuer, ne serons-nous
pas tous des cologistes ? Il resterait beaucoup faire, cepen-dant.
Car sen tenir une approche individuelle, cest laisser de ct la
dimension collective du problme. Et, surtout, la dtermination
purement quantitative de cette empreinte laisse entendre quil
suffirait de la rduire. Alors quil ne sagit pas seulement de faire
moins. Il faut faire autrement.
Note n1 - Fvrier 2014Quest-ce quun cologiste ?
-
de transformation sociale capable dinstaurer un nou-veau rapport
des hommes la collectivit, de transfor-mer leur monde vcu et de
modifier leur relation la nature. Cest cette cologie politique
dmocratique quil op-pose lcologie scientifique par laquelle le
capita-lisme tente de tenir compte des limites de la crois-sance,
mais qui lexpose lautoritarisme. Andr Gorz, cologie et Politique,
Galile, 1975, d. augmente Le Seuil Points , 1978, qui ajoute le
texte cologie et Libert paru en 1977. Andr Gorz, cologie et Libert,
Galile, 1977. Andr Gorz, Mtamorphoses du travail, Galile, 1988 et
Folio Essais, 2004. Andr Gorz, Capitalisme Socialisme cologie,
Gali-le, 1991. Andr Gorz, Ecologica, Galile, 2008.
La FEP a consacr une publication Andr Gorz:
Fondation de lEcologie Politique, Lcologie poli-tique dAndr
Gorz, fvrier 2014, 93pp., disponible gratuitement sur
www.fondationecolo.orgAldo Leopold (1887 - 1948)
Aldo Leopold, auteur amricain, forestier (form lcole de
foresterie de lUniversit de Yale), il a t en charge de la gestion
de la faune sauvage dans diffrents Etats amricains, puis professeur
lUniversit de Wis-consin. Dfenseur de la protection de la nature,
actif dans la So-cit pour la wilderness, il est connu pour son
livre, Al-manach dun comt des sables, termin juste avant sa mort
(dune crise cardiaque alors quil aidait un voisin combattre un feu
de fort), et publi en 1949. Dans la ligne des crits de nature
inaugure par Thoreau, il y prsente sa vie et ses rencontres avec la
faune et la flore dans son domaine du Wisconsin. Il y introduit la
premire thique environnementale (Land Ethic) expli-citement
formule, qui joint lexprience personnelle de la nature aux
enseignements de lcologie scienti-fique. Il y dfend une vision
holiste de notre place dans la nature : Une chose est juste
lorsquelle tend prser-ver lintgrit, la stabilit et la beaut de la
communau-t biotique. Elle est injuste lorsquelle tend linverse . Il
est licne inconteste du mouvement amricain de protection de la
nature.- 4 -
Biographies de penseurs de lcologie
Rachel Carson (1907-1964)
Zoologiste et biologiste, ayant travaill au US Bureau of
Fisheries, Rachel Carson stait fait connaitre du grand public par
une trilogie consacre la vie marine. La parution en 1962, de Silent
Spring (Printemps si-lencieux), o elle dnonce les dangers causs par
le DDT et son introduction dans les chanes trophiques a provoqu de
violentes ractions de la part de lindus-trie chimique qui a mis en
cause sa crdibilit scienti-fique et la accuse de vouloir revenir au
Moyen-Age. Elle a t soutenue par la plus grande partie de la
com-munaut scientifique et par un comit scientifique for-m sur la
demande du Congrs.On considre gnralement, que, uvre dune
scien-tifique srieuse et reconnue, Silent Spring est un ouvrage
engag visant alerter le grand public des dangers que les socits
industrielles font courir lenvironnement, en particulier lindustrie
chimique. Le livre, et ses rpercussions, ont dclench le mou-vement
cologiste aux Etats-Unis dans les annes 60. Il a conduit la cration
de lEnvironmental Protection Agency (EPA). Rachel Carson, Silent
Spring, 1962 ; trad. fr.: Prin-temps silencieux, Plon 1963;
Wildproject 2009.Andr Gorz (1923 - 2007)
Parti dune rflexion sur lui-mme qui trouve dans la philosophie
de Sartre le guide dune reconstruc-tion personnelle (il est n en
1923 dans une famille juive autrichienne qui a d fuir le nazisme en
Suisse), Gorz prolonge assez vite la critique ontologique en une
rflexion danthropologie sociale, ce qui le conduit une critique de
la socit moderne, du capitalisme et de la rationalit conomique qui
ne se satisfait pas de la rponse marxiste, trop conomiste. Il
dveloppe un projet social, centr sur la question de lautonomie
individuelle, qui doit beaucoup Ivan Illich, mais qui accorde une
place particulirement importante la question du travail. Ds le dbut
des annes 70, notamment travers la lecture du rapport Meadows, il
dcouvre la crise co-logique et la question des limites de la
croissance. Cela le conduit nommer cologie politique son projet
Note n1 - Fvrier 2014 Quest-ce quun cologiste ?
-
Aldo Leopold, A Sand County Almanac, With Essays on Conservation
from Round River, Ballantine books, 1966 ; trad. fr.: Almanach dun
comt des sables, Aubier, 1995. Aldo Leopold, La Conscience
cologique, (anthologie de textes indits en franais), Wildproject,
2013.Henry David Thoreau (1817-1862)
Confrencier et essayiste, enseignant, philosophe, na-turaliste
amateur, et pote amricain. Auteur dun Journal quil a tenu toute sa
vie, il est sur-tout connu pour deux uvres. Walden ou la vie dans
les bois (1854), dcrit sa vie solitaire et simple, dans le cadre
naturel de ltang de Walden, quelques kilo-mtres de son village de
Concord (Massachussetts). La Dsobissance civile (1849) texte dune
confrence o il dfend lide dune rsistance individuelle un
gou-vernement injuste, qui pratique lesclavage, extermine les
Indiens et dclare la guerre au Mexique, est consid-r comme tant
lorigine du concept de non violence. Cest la conjonction de ces
deux textes, lun qui fait lloge du sauvage et du rapport une nature
libre, lautre qui dfend une conception active de la dmocra-tie, qui
fait de Thoreau un des auteurs fondateurs de lcologie politique.
Henry David Thoreau, Walden, ou la vie dans les bois [ Walden or
Life in the Woods ], Gallimard, coll. LImaginaire (n 239), 1990
(1re d. 1854). Henry David Thoreau, La Dsobissance civile (Civil
Disobedience), Mille et une nuits, 1997 (1re d. 1849).Jean Dorst
(1924 - 2001)
Biologiste et naturaliste, Jean Dorst est entr au Mu-seum
national dhistoire naturelle en 1947. Ornitho-logue passionn, grand
voyageur, il constate les dgra-dations des milieux naturels et
sengage : il contribue la protection des iles Galapagos o il
participe la cration de la Fondation Charles Darwin. lu lAcad-mie
des sciences en 1973, puis directeur du Museum national dhistoire
naturelle, de 1975 1985, il impul-se la rnovation de la galerie de
zoologie.Son ouvrage Avant que nature meure (1965), ana-lyse
vivante et prmonitoire de la crise drosion de la biodiversit, et
qui appelle une rconciliation de lhomme et de la nature, eut une
grande influence sur les naturalistes de diverses disciplines,
au-del - 5 -
du monde francophone, qui prirent de plus en plus la mesure des
problmes rencontrs par la faune et la flore. Dans les annes qui
suivirent sa parution, de nombreuses associations consacres ltude
et la protection de la nature virent le jour, notamment en France.
Jean Dorst, Avant que nature meure, Delachaux et Niestl, 1965 (red.
2012).Ren Dumont (1904-2001)
Ingnieur agronome, dabord tent par le producti-visme, il va sen
dprendre alors quil occupe la chaire dagriculture compare de
lInstitut national agrono-mique et dveloppe des tudes sur la
dynamique des systmes agraires. Cest ainsi quil se fera connatre
comme spcialiste du Tiers Monde, critique du colo-nialisme, puis du
nocolonialisme, attentif aux diffi-cults du dveloppement, analyste
sans complaisance des responsabilits qui incombent aux
gouvernements post-coloniaux. Sensibilis lcologie par le rapport du
Club de Rome (1972), il est, en 1974, candidat llection
prsidentielle, et fait entrer officiellement lcologie dans la
politique franaise. Il dveloppe ses propositions dans LUtopie ou la
mort (1974). Plus quun essai exposant les grands problmes
colo-giques sous un angle conomique et politique (inga-lits entre
le Nord et le Sud, explosion dmographique, course au profit...),
LUtopie ou la mort en appelle linstauration dune nouvelle
politique, esquissant un programme dcologie politique. Ren Dumont,
LAfrique noire est mal partie, Le Seuil, 1962, red. 2012. Ren
Dumont, Nous allons la famine, avec Ber-nard Rosier, Le Seuil,
1966. Ren Dumont, lUtopie ou la mort, Le Seuil, 1974. Ren Dumont,
Seule une cologie socialiste, Robert Laffont, 1977. Jacques Ellul
(1912-1994)
Jacques Ellul, dascendance anglo-maltaise par son pre et
hollandaise par sa mre, fut professeur dhis-toire du droit, la
Facult de Bordeaux, sociologue et thologien protestant franais.Il
est surtout connu comme un penseur de la technique et de lalination
au XXe sicle et il est lauteur dune
Note n1 - Fvrier 2014Quest-ce quun cologiste ?
-
soixantaine de livres (la plupart traduits ltranger, notamment
aux tats-Unis et en Core du Sud). Grand lecteur de Marx, il
transfre la critique sociale du travail et des rapports conomiques
la technique. Selon lui, la technique a chang de statut, densemble
de moyens au service dune fin, elle sest mue en mi-lieu environnant
part entire , elle est dsormais un phnomne autonome, qui chappe au
contrle de lhomme et fait peser sur lui un grand nombre de
dterminations, parce quelle sest imperceptiblement sacralise.Sa
conception de lautonomie de la technique a t souvent juge exagrment
fataliste et rductionniste. Sa critique de la socit technicienne,
mene avec Bernard Charbonneau, a jou un rle dans la pense cologiste
en attirant lattention sur des questions qui allaient tre au centre
de la rflexion et de la mobili-sation : importance croissante des
risques technolo-giques, choix technologiques imposs sans tre
dbat-tus, atteintes renforces lenvironnement. Jacques Ellul, La
Technique ou lenjeu du sicle, Ar-mand Colin, 1954 ; Economica,
2008. Jacques Ellul, Le Systme technicien, Armand Colin, 1977 ; Le
Cherche Midi, 2012. Jeacques Ellul, Le Bluff Technologique,
Hachette, 1988, 3e dition 2012.Flix Guatarri (1939 - 1992)
Flix Guattari fut tout la fois agitateur politique,
psy-chanalyste et philosophe. Son trajet a t marqu par deux
expriences majeures : la volont de changer la nature des rapports
humains dans le milieu psychia-trique et le militantisme politique
dans lextrme gauche non stalinienne.Dans les annes 1980, il sengage
dans le mouvement cologiste, auquel il propose une rflexion
thorique tout en cherchant unifier ses principales compo-santes.
Dans Les trois cologies (1989), il dveloppe la notion dcosophie,
travers laquelle doivent tre penses en commun trois cologies :*
lcologie environnementale pour les rapports la nature* lcologie
sociale pour les rapports au socius, aux ralits conomiques et
sociales* lcologie mentale pour les rapports la psych, la question
de la production de la subjectivit humaine. Flix Guatarri, Les
trois cologies, Galile, 1989.
Ivan Illich (1926 - 2002)
Dorigine italienne et allemande, Ivan Illich fait des tudes de
thologie et de philosophie. Dabord prtre, il exerce en Amrique
latine, il a t vice-recteur de lUniversit catholique de Porto-Rico.
Il quitte Por-to-Rico en 1960, la suite dun diffrend avec la
hi-rarchie de lglise,sur la question des prservatifs et, en 1961,
il fonde le Centre pour la formation in-terculturelle Cuernavaca
qui deviendra le fameux Centro Intercultural de Documentacin
(CIDOC). Ce centre fonctionnera de 1966 1976. Il reviendra en-suite
vivre en Europe, et enseignera en Allemagne.Illich a men une
critique de la socit industrielle, dont il a montr la
contreproductivit. partir dun certain niveau, la rationalit
instrumentale produit le contraire de ce quelle vise : la mdecine
rend malade, lcole abtit, le dveloppement conomique trans-forme la
pauvret en misre. A une socit productiviste qui entretient
lhtrono-mie, il a oppos lautonomie dune socit conviviale et sobre.
Ivan Illich, uvres compltes Tome 1, (Librer lave-nir - Une socit
sans cole - La Convivialit - Nmsis mdicale - nergie et quit),
Fayard, 2004. Ivan Illich, uvres compltes Tome 2, (Le Chmage
crateur - Le Travail fantme - Le Genre vernaculaire - H2O, les eaux
de loubli - Du lisible au visible - Dans le miroir du pass),
Fayard, 2005. Hans Jonas (1903 - 1993)
Hans Jonas, philosophe allemand, form Fribourg, o il suit les
cours de Heidegger, en compagnie de Gn-ther Anders et dHannah
Arendt. Il sintresse dabord la gnose, sur laquelle il crit sa thse.
Juif, il rus-sit quitter lAllemagne nazie et partir en Palestine.
Pendant la guerre il sengage dans la brigade de volon-taires juifs
qui combat dans le rang des Allis. Revenu en Palestine, il migre
aux Etats-Unis o il sintresse la philosophie de la vie : il est lun
des premiers phi-losophes sinquiter des consquences possibles des
biotechnologies. En 1979, il crit le Principe responsabilit, o il
d-veloppe une thique de la technique. Le livre a eu un grand succs
particulirement en Allemagne, et on le considre comme une des
sources du principe de prcaution et de lthique de responsabilit du
dve-loppement durable. Hans Jonas attire lattention sur - 6 -
Note n1 - Fvrier 2014 Quest-ce quun cologiste ?
-
les consquences potentiellement catastrophiques de notre
puissance technique et met laccent sur nos de-voirs vis--vis des
gnrations futures et de la nature : Agis de faon ce que les effets
de ton action soient compatibles avec une vie authentiquement
humaine sur terre . Hans Jonas, Le phnomne de la vie, vers une
biolo-gie philosophique (1966), De Boeck, 2001. Hans Jonas, Le
principe responsabilit (1979), di-tions du Cerf, 1990.Edgar Morin
(1921 --)
Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, ancien rsistant, est un
sociologue et philosophe franais.Il dfinit sa faon de penser comme
coconstructi-viste en prcisant : cest--dire que je parle de la
collaboration du monde extrieur et de notre esprit pour construire
la ralit .Cest comme penseur de la complexit quil a le plus
contribu la pense cologique. Ce nest pas tant la multiplicit des
composants, ni mme la diversit de leurs interrelations, qui
caractrisent la complexit dun systme, la complexit, cest
limprvisibilit po-tentielle (non calculable a priori) des
comportements de ce systme, lie en particulier la rcursivit qui
affecte le fonctionnement de ses composants ( en fonctionnant ils
se transforment ), suscitant des ph-nomnes dmergence certes
intelligibles, mais non toujours prvisibles. Les comportements
observs des systmes vivants et des systmes sociaux fournissent
dinnombrables exemples de cette complexit. Ignore par la science
positive, la complexit a fini par tre prise en consi-dration. En
introduisant le concept de complexit organise en 1948, W. Weaver
allait rouvrir de nou-velles voies lintelligence de la complexit
que P. Valry avait dj dfinie comme une intelligible im-prvisibilit
essentielle . Edgar Morin, partir de 1977 (La Mthode, T. I)
ta-blira le Paradigme de la complexit qui assure d-sormais le cadre
conceptuel dans lequel peuvent se dvelopper nos exercices de
modlisation des ph-nomnes que nous percevons complexes ( point de
vue ) : une complexit la fois organise et, rcursi-vement,
organisante.Edgar Morin est galement partie prenante du mou-vement
cologique. Avec Terre-Patrie, crit en 1993, (avec Anne-Brigitte
Kern), Edgar Morin en appelle - 7 -
une prise de conscience de la communaut du destin terrestre ,
vritable conscience plantaire : Cest en Californie, en 1969-1970,
que des amis scientifiques de lUniversit de Berkeley mont veill la
conscience cologique rapporte-t-il, avant de salarmer : Trois
dcennies plus tard, aprs lasschement de la mer dAral, la pollution
du lac Bakal, les pluies acides, la ca-tastrophe de Tchernobyl, la
contamination des nappes phratiques, le trou dozone dans
lAntarctique, loura-gan Katrina La Nouvelle-Orlans, lurgence est
plus grande que jamais . Il a soutenu des luttes cologiques
internationales et particip, avec de nombreux intellectuels,
juristes et politiques au lancement dun Tribunal moral pour les
crimes contre la nature et le futur de lhumanit lors de la
Confrence Rio+20 . Edgar Morin, Le Paradigme perdu : la nature
hu-maine, Paris, Le Seuil, 1973. Edgar Morin, La Mthode (6
volumes):- La Nature de la nature (t. 1, 1977), Le Seuil, Nou-velle
dition, coll. Points, 1981.- La Vie de la vie (t. 2, 1980), Le
Seuil, Nouvelle di-tion, coll. Points, 1985.- La Connaissance de la
connaissance (t. 3, 1986), Le Seuil, Nouvelle dition, coll. Points,
1992.- Les Ides (t. 4, 1991), Le Seuil, Nouvelle dition, coll.
Points, 1995.- LHumanit de lhumanit - Lidentit humaine (t. 5,
2001), Le Seuil, Nouvelle dition, coll. Points, 2003.- thique (t.
6, 2004), Le Seuil, Nouvelle dition, coll. Points, 2006. Edgar
Morin, La Voie, Fayard, 2011.Serge Moscovici (1925 - 2014)
Psychologue, historien des sciences, philosophe, Serge Moscovici
est un thoricien de lcologie politique et a contribu au mouvement
cologique en France, par sa participation aux Amis de la
Terre.Serge Moscovici a trs tt remis en cause la coupure entre
nature et culture, en montrant que la nature nous faisait autant
que nous la faisons. Il sintresse la faon dont la nature devient un
objet politique et insiste pour dire que lcologie ne sinscrit
nullement dans une vision passiste du monde, elle reprsente une
tape davenir de notre rapport la nature. Il invite un largissement
de la conscience cologique et politique avec lide forte que
lcologie, en oprant une rvolution de la science et des consciences,
ne
Note n1 - Fvrier 2014Quest-ce quun cologiste ?
-
simposera que si elle devient un vritable phnomne culturel.
Serge Moscovici, Essai sur lhistoire humaine de la nature,
Flammarion, 1968/1977. Serge Moscovici, La Socit contre nature,
Union g-nrale dditions, 1972 / Seuil, 1994. Serge Moscovici, De la
nature : pour penser lcolo-gie (entretiens avec Pascal Dibie),
Mtaili, 2002. Serge Moscovici, Renchanter la nature : entretiens
avec Pascal Dibie, Aube, 2002.Arne Naess (1912-2009)
Arne Naess est un philosophe norvgien. Aprs un pas-sage en
France, il participe Vienne aux travaux de Mo-ritz Schlick et du
cercle de Vienne avant de faire une thse de psychologie et de
philosophie des sciences lUniversit de Berkeley en Californie.
Revenu en Nor-vge, il y est professeur de philosophie lUniversit.
Pendant la guerre, il sengage dans la rsistance, sur des bases non
violentes, et continuera militer dans des mouvements pacifistes. En
1972, il publie larticle The Shallow and the Deep Long Range
Ecology Movements qui va lancer lexpression de deepecologyet la
distinc-tion entre deep and shallowecology (cologie profonde et
superficielle). Il en dveloppe la philosophie dans Ecologie,
communaut et style de vie, livre dabord publi en norvgien, puis
rcrit en anglais (avec laide de David Rothenberg), en 1989. Le
mouvement de la deepecology est surtout connu dans sa branche
am-ricaine, o il sagit essentiellement dun mouvement de dfense de
la nature sauvage (wilderness) souvent
considr comme fondamentaliste en Europe. Mais, si le rapport la
nature sauvage et lpanouissement de soi que lon peut trouver y
vivre jouent un rle important dans la philosophie de Naess (ce quil
ap-pelle une cosophie), celle-ci ne sy rduit pas. Il sagit bien
dune cologie politique qui dveloppe une vision positive de la
technique, une rflexion globale sur la socit, et une conception non
violente de la politique. Arne Naess, Ecologie, communaut et style
de vie, ditions MF, coll. Dehors , 2009. Arne Naess, Vers lcologie
profonde (avec David Rothenberg), Wildproject, coll. Domaine
Sauvage 2009.Pierre Samuel (1921 - 2009)
Mathmaticien franais connu pour son travail sur les algbres
commutatives et leurs applications la go-mtrie algbrique.Il
sintresse lhistoire du fminisme et publie Ama-zones, guerrires et
gaillardes (1975).Politiquement trs engag gauche (notamment en mai
1968), et la suite dune prise de conscience Harvard en 1969-1970,
il fonde le groupe cologiste Survivre et vivre en 1970, avec
Alexandre Grothen-dieck et Claude Chevalley, avant de le quitter
pour le groupe plus modr Les Amis de la Terre en 1973. Pierre
Samuel, Ecologie: dtente ou cycle infernal, UGE, Collection 10-18,
1973.
Note n1 - Fvrier 2014 Quest-ce quun cologiste ?
lauteur
Catherine LARRRE est Professeur mrite lUniversit de Paris I.
Spcialiste de philosophie morale et politique, elle sintresse aux
questions thiques et politiques lies la crise environnementale et
aux nouvelles technologies. Cathe-rine Larrre est Prsidente de la
FEP. Elle est lauteur, notamment, de Les philosophies de
lenvironnement (PUF, 1997), et de Penser et agir avec la nature,
avec Raphael Larrre, (La Dcouverte, 2015).La Fondation de lEcologie
Politique - FEP31/33 rue de la Colonie 75013 ParisTl. +33 (0)1 45
80 26 07 - [email protected] FEP est reconnue dutilit
publique. Elle a pour but de favoriser le rassemblement des ides
autour du projet de transformation cologique de la socit, de
contribuer llaboration du corpus thorique et pratique correspondant
ce nouveau modle de socit et aux valeurs de lcologie politique. Les
travaux publis par la Fondation de lEcologie Politique prsentent
les opinions des leurs auteurs et ne refltent pas ncessairement la
position de la Fondation en tant quinstitution.
www.fondationecolo.org
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Creative Commons 3.0, Attribution Pas dutilisation commerciale Pas
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