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R EPENSER L HISTOIRE DU FRANÇAIS Sous la direction de DOMINIQUE L AGORGETTE
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Qu'est-ce que c'est que le français? Les destins d'une catégorie linguistique, XVIe-XVIIIe siècle

Feb 27, 2023

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Alireza Nouri
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Page 1: Qu'est-ce que c'est que le français?  Les destins d'une catégorie linguistique, XVIe-XVIIIe siècle

RepenseR l’histoiRe du fRançais

Sous la direction de

Dominique Lagorgette

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Laboratoire Langages, Littératures, sociétés, étuDes transfrontaLières et internationaLes

coLLection Langages

N° 16

© Université de Savoie UFR Lettres, Langues, Sciences Humaines Laboratoire Langages, Littératures, Sociétés, Études Transfrontalières et Internationales BP 1104 F – 73011 CHAMBÉRY CEDEX Tél. 04 79 75 85 14 Fax 04 79 75 91 23 http ://www.lls.univ-savoie.fr

Réalisation : Catherine BrunCouverture: Médiathèque Jean-Jacques Rousseau de Chambéry, ms. 0027, f. 151. ISBN : 978-2-919732-27-2 ISSN : 1952-0891 Dépôt légal : décembre 2014

LLSETI

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Directeur Du Laboratoire

Frédéric Turpin

comité scientifique De L’ouvrage

Maria IliescuDominique Lagorgette

David Trotter

Cet ouvrage a été réalisé avec le concours de l’Assemblée des Pays de Savoie

et la Région Rhône-Alpes

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sommaire

IntroductionDominique Lagorgette .............................................................................7

Chapitre 1 Mythes, idéologie, historiographie du françaisAnthony Lodge ...................................................................................... 13

Chapitre 2 L’ histoire du français en perspective romane : esquisse méthodologiqueClaude Buridant ..................................................................................... 33

Chapitre 3 Encore sur l’apparition de l’article défini (et de son fonctionnement en ancien français)Maria Iliescu .......................................................................................... 63

Chapitre 4 Le français au Moyen Âge : une histoire sans histoireSerge Lusignan ....................................................................................... 73

Chapitre 5 Peut-on parler de variation interne dans l’anglo-normand ? David Trotter ......................................................................................... 89

Chapitre 6 Les « transcriptions phonétiques » du Femina (Trinity College Cambridge, ms. B.14.40, vers 1415) et le français parlé en Angleterre à la fin du Moyen Âge : une tentative de réhabilitationAndres Kristol ...................................................................................... 107

Chapitre 7 Qu’est-ce que c’est que le français ? Les destins d’une catégorie linguistique, XVIe-XVIIIe siècle Paul Cohen .......................................................................................... 139

Chapitre 8 Les ‘ fautes’ des peu-lettrés – idiosyncrasies ou autre ?Gerhard Ernst ...................................................................................... 165

Chapitre 9 Position et fonctions du français en Vallée d’Aoste : un aperçu historiqueRoland Bauer ....................................................................................... 195

Chapitre 10 Repenser la variation diatopique ?David Hornsby .....................................................................................215

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Chapitre 7Qu’est-Ce Que C’est Que le français ?

les destins d’une Catégorie linguistiQue, XVie-XViiie sièCle

paul Cohen

University of Toronto

1. Introduction

Qu’est-ce que le « français » ? Que représente cette dénomination de langue ? La rubrique « français » veut-elle dire la même chose à différentes époques ? Quel fut le contenu de cette catégorie linguistique à l’époque moderne ? Joseph Scaliger – dont l’immense érudition philologique incita un de ses contemporains à proclamer qu’il « entend toutes les langues de cestuy Univers parfaictement »1 – nous fournit un bon point de départ. Dans un texte intitulé « Des langues de la France actuelle », l’humaniste passe en revue toutes les langues parlées en France, les jaugeant par degré de parenté linguistique et historique, les classant en quatre groupes linguistiques majeurs : les langues romanes issues du latin comme le français et l’occitan ; le breton cousin des langues celtes des Îles Britanniques ; les langues germaniques parlées en Alsace et une partie des Flandres ; et une langue à part, le basque2.

En faisant le tri dans les langues de France selon trois grandes catégories (dialecte ou idiomata / langue ou lingua / famille de langues ou matrice), et en jetant les bases d’une linguistique historique et comparée, selon des similitudes linguistiques formelles et des filiations dans le temps, le schéma que propose Scaliger ici nous est aujourd’hui familier. Pourtant, si ses classifications linguistiques nous semblent d’une justesse et d’une rigueur rassurantes, c’est justement parce que la linguistique scientifique

1 Claude Duret (1613 : 966-967).2 Joseph Scaliger (1978 : 140-141). Sur Scaliger, voir surtout Anthony Grafton (1983-

1993), ainsi que la bibliographie compréhensive, Grafton and D. H. de Jonge (1993). Voir aussi Paul Cohen (2005a).

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dont nous sommes imprégnés a hérité des concepts et des taxonomies philologiques que Scaliger lui-même fut l’un des premiers à formuler3.

Mais que faire des éléments de son texte qui s’avèrent nettement moins en phase avec les méthodologies de la linguistique scientifique ? Prenons deux exemples. Dans le premier, Scaliger propose de classer les différentes langues romanes en fonction d’un critère de tri simple et net, le mot utilisé dans chaque langue pour désigner l’adverbe affirmatif : « Le roman de France se divise, en gros, en deux rameaux : la langue des Francs est appelée Langue d’Oui, et l’autre Langue d’Oc, d’après les moyens grâce auxquels elles expriment l’affirmation OUI, ou bien OC. »4 Dans le second, Scaliger renonce purement et simplement à des critères linguistiques formels, leur préférant une définition sociale, qui rend compte des milieux où le français est pratiqué : « Le français est la langue qu’emploient les gens instruits et les courtisans »5. Choix apparemment arbitraire d’un seul mot afin de classer des langues d’un côté, construction d’une catégorie linguistique sur des bases purement sociologiques de l’autre, le philologue le plus « moderne » de la Renaissance semble parfois prêt à faire l’impasse sur ses propres outils grammaticaux formels. Notons également que, dans ce court extrait, Scaliger emprunte pas moins de trois termes pour désigner le français : rameau du roman, langue des Francs, et langue d’oui.

Scaliger est loin d’être un cas isolé. Différencier le français de l’occitan sur la base des mots oui et oc représente un véritable lieu commun du discours sur les langues à l’époque moderne – comme Charles Estienne, le fils du grand helléniste Henri Estienne, qui déclare en 1553 que ces deux langues sont distinctes « pource qu’au lieu d’ouy, leur langue profere oc »6. Définir une langue sur la base des pratiques linguistiques d’une catégorie sociale précise était tout aussi fréquent – comme chez l’homme de lettres Abel Matthieu, qui remarque en 1559 :

quant au destroict de france à parler proprement, il est si court et si auguste qu’aujourd’huy on n’y scauroit asseoir le pied, ou le francoys nayf y soit parlé et entendu du commun : mais il est repandu deca et dela ou sont les hommes bien apris, dont la plus part s’est retirée en la court du Roy, aux

3 Sur la place qu’occupe Scaliger dans l’histoire de la constitution de la linguistique en tant que discipline scientifique, voir Daniel Droixhe (1978 : 60-76) et Raffael Simone (1998 : 163-165).

4 Scaliger, « Diatriba », p. 140-141 : “Francicus Idiotismus vulgo dicitur Langue d’Oui, aliter autem Langue-d’Oc, hoc est linguae quae pro NAE aut ITA, dicunt OUI aut OC.”

5 Scaliger, « Diatriba », p. 142 : “Franciscus Idiotismus est, quo aulici et literati utuntur”.6 Charles Estienne, La guide des chemins de France, reveue & augmentee pour la troisiesme

fois. Les Fleuves Du Royaume de France, aussi augmentez. Paris, Charles Estienne, 1553, réimpression, Genève, Slatkine, 1978, p. 180.

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maison des Princes et granz seigneurs, ou es Justices souveraines et courtz de parlement [.]7

Le fait que ces deux façons de définir le français furent aussi répandues, et que les catégories scaligériennes de dialecte / langue / famille de langue le furent aussi peu, nous invitent à nous interroger sur la nature même des catégories et des dénominations linguistiques en général à l’époque moderne, et la catégorie de « langue française » en particulier. Lorsqu’il s’agit d’aborder la philologie renaissante dans le cadre de l’histoire de la pensée linguistique, la tentation est forte de privilégier les formes d’analyse qui semblent correspondre aux méthodes scientifiques, et de minimiser l’importance des discours apparemment non-scientifiques – ceux qui, dans la longue durée de la discipline linguistique, auront été condamnés à disparaître. Citons à ce dernier titre l’exemple de l’imprimeur et humaniste Henri Estienne, qui prétendait que le français était plus proche sur le plan linguistique du grec que du latin8. Les historiens de la linguistique consacrent une place importante à Scaliger dans la généalogie de la linguistique scientifique triomphante, par exemple, mais minimisent l’influence de figures comme Estienne, reléguées en tant que simples curiosités préscientifiques. Choix hasardeux pour ceux qui souhaitent comprendre la pensée linguistique des hommes de lettres à l’époque moderne. C’est pourquoi ma démarche ici sera, au contraire, de prendre au sérieux l’ensemble du discours savant sur les langues à l’époque moderne, et de prendre comme objet de réflexion historique leurs propres catégories et dénominations linguistiques, aussi instables, arbitraires ou floues puissent-elles nous paraître. Quoi qu’on pense de ses théories de filiation gréco-française, Henri Estienne fut le plus grand helléniste de sa génération en France, écouté et respecté par ses pairs. Je propose de démêler et d’analyser les logiques propres à ces dénominations et catégories, et de

7 Abel Matthieu, Devis De la langue françoyse, Paris, Richard Breton, 1559, fol. 22r.8 Voir Henri Estienne, Traicte De La Conformité du language François avec le Grec,

Divisé en trois livres, dont les deux premiers traictent des manieres de parler conformes : le troisieme contient plusieurs mots François, les uns pris du Grec entierement, les autres en partie : c’est à dire, en ayans retenu quelques lettres par lesquelles on peut remarquer leur etymologie. Avec Une Preface Remonstrant quelque partie du desordre & abus qui se commet aujourdhuy en l’usage de la langue Françoise. En ce Traicté sont descouverts quelques secrets tant de la langue Grecque que de la Françoise : duquel l’auteur & imprimeur est Henri Estienne, fils de feu Robert Estienne, [Genève], Henri Estienne, [1565], réimpression, Genève, Slatkine, 1972, et Hypomneses De gall. Lingua, Peregrinis Eam Discentibus necessariae : quaedam verò ipsis etiam Gallis multum profuturae, Genève, Henri Estienne, 1582, réimpression, Genève, Slatkine, 1968. Sur Henri Estienne, voir Louis Clément (1898 / 1967), Judith Kecskeméti, Bénédicte Boudou et Hélène Cazes (2003), et plus particulièrement sur le grec et le français, Monika Cattelaens (1988). Sur les théories de filiation linguistique à la Renaissance plus généralement, voir Paul Cohen (2005b) et Paul Cohen (2004).

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les situer dans leur contexte historique. Il s’agira de montrer que ces modes de classification permettent de comprendre la spécificité historique de la pensée linguistique à l’époque moderne, notamment l’importance qu’elle accorde à la place de la langue dans l’espace social et l’imaginaire politique. Cet article se fixe trois objectifs :

1. Esquisser les différentes façons de nommer et de classer les langues aux XVIe et XVIIe siècles. Comme nous le verrons, les hommes de lettres à l’époque moderne mobilisent des modes de dénomination et de classification linguistiques caractérisés par leur grande diversité et leur fluidité.

2. Interroger le pourquoi de ces catégories et dénominations, et de leur fluidité. Il s’agira de les analyser en tant que système de classification cohérent, d’y voir une véritable épistémologie de la pluralité linguistique, en phase avec les réalités linguistiques, les valeurs culturelles, les structures éducatives, les pratiques religieuses, et les relations sociales dans la France moderne.

3. Réfléchir sur les conséquences de ce foisonnement de classifications et de dénominations linguistiques pour la nature même des identités linguistiques, et plus généralement pour les identités culturelles dotées d’une dimension linguistique. À partir du moment où les catégories linguistiques sont fluides, comment les identités culturelles ou politiques auxquelles elles participent pourraient-elles ne pas l’être elles aussi ?

2. La Fluidité des catégories linguistiques à l’époque moderne

Sonder les catégories linguistiques des hommes de lettres à l’époque moderne, c’est constater l’énorme variabilité de leurs façons de classer et de nommer les langues. Si la grille de classification dialecte / langue / matrice de Scaliger trouvera un écho grandissant au XVIIe siècle, la plupart des observateurs préfèrent mobiliser des rubriques qui n’ont que peu à voir avec ces distinctions linguistiques formelles9.

Un certain nombre de classifications linguistiques sont fondées sur des oppositions tranchées entre deux classes de langues. L’ opposition entre

9 Sur le problème de la dénomination des langues en général, voir A. Tabouret-Keller (1997). Sur l’histoire du terme « occitan », Paul Meyer (1889) et Henri Barthès (1987). Aujourd’hui, les locuteurs d’occitan continuent d’utiliser une terminologie changeante et fluide pour nommer leur langue maternelle, cf. Etienne Hammel et Philippe Gardy (1991 : 178-179). Dès le début du XVIIIe siècle, l’influence de Scaliger sur les taxonomies linguistiques est perceptible dans l’article « Langue » dans Louis Moréri, Le Grand Dictionaire Historique…, 5 vols., Paris, Denys Mariette, 1712, t. 3, p. 695-697.

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langues grammaticales, codifiées par des règles fixes et systématiques d’une part, et les idiomes non-réglés – c’est-à-dire les vernaculaires – d’autre part, est fondée sur des critères linguistiques internes. On admire pour leur beauté formelle les systèmes linguistiques propres aux langues antiques, le latin et le grec. On admire aussi les règles normalisées pour leur capacité à préserver les langues contre les aléas du changement linguistique, car la stabilité d’une langue dans le temps est aux yeux des humanistes une vertu linguistique capitale. Charles de Bovelles est en admiration devant « la langue latine dans la bouche des savants, cette langue installée dans sa splendeur, […] exempte des accidents de lieu, de temps et d’influence astrale. »10 Bovelles se montre nettement plus pessimiste quand il s’agit des langues vulgaires :

chaque jour, les défauts d’articulation des humains amputent, diversifient, altèrent les idiomes sans règles qu’emploie le vulgaire à tel point qu’un éloignement peu considérable change aussitôt le caractère de n’importe quelle langue populaire et produit une modification dans les prononciations des hommes ignorants. […] Les langues vulgaires (qu’aucune bride de règles ni de préceptes ne maintient dans leur ligne et leur archétype) corrompent et font varier ces noms populaires, en fonction du lieu, de l’époque et de l’influence astrale.11

Pour le juriste Étienne Pasquier, les règles éphémères qui gouvernent l’usage vernaculaire sont comparables aux caprices des modes vestimentaires12. Plus qu’une différenciation entre langues sur des critères grammaticaux, cette distinction oppose les langues avec à celles sans grammaire. Dans ce contexte, la grammatica ne veut pas dire grammaire au sens de structure ou fonctionnement internes de toute langue. Selon cette conception, elle n’est

10 Charles de Bovelles, Caroli Bovilli Samarobrini liber De Differentia Vulgarium linguarum, & Gallici sermonis varietate. Quae voces apud Gallos sint factitiae & arbitrariae, vel barbariae quae item ab origine Latina manarint. De hallucinatione Gallicanorum nominum, Paris, Robert Estienne, 1533, ch. 48, p. 44 : « Latinam linguam in doctorum virorum ore, in suo splendore sedentem, […] utpote à locorum, temporum, & horoscoporum casibus immunem. » Traduction française dans Bovelles, Sur les langues vulgaires et la variété de la langue française, Colette Dumont-Demaizière (éd. et tr.), Dijon, C. Klincksieck, 1973, p. 121.

11 Bovelles, De Differentia Vulgarium Linguarum, 1533, dédicace à Martial Masurier, p. 3-4 : « quotidie humanorum labiorum vitia secant, variant, adulterant incompta vulgi idiomata : adeo ut permodica loci distantia protinus invertat cuiuslibet popularis linguae stilum, & versuram faciat in labiis imperitorum hominum. […] quae vulgares linguas (quas in sua amussi & idea nullae regularum & praeceptionum sistunt habenae) loco, tempore, & horoscopo vitient & varient. » Traduction française dans Bovelles, Sur les langues vulgaires, p. 75-76.

12 Pasquier, lettre à Jacques Cujas, dans Les Lettres D’Estienne Pasquier Conseiller Et Advocat General Du Roy en la chambre des Comptes de Paris, Paris, Abel l’Angelier, 1586, livre 2, lettre 6, fol. 42r.

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pas une caractéristique propre à toute langue. Le terme grammatica désigne non pas un phénomène linguistique généralisé, mais l’étude formelle du latin classique. De même, la catégorie linguae dénomme ordinairement non pas les langues en général, mais seulement les langues écrites, réglées, et dotées d’une grammatica. Quand des humanistes comme Érasme parlent de linguae sans autres précisions, ils savent que leurs auditoires comprendront qu’il s’agit du latin ou du grec13. De telles définitions sont, dans une certaine mesure, circulaires : le latin est une lingua à part entière parce qu’il est (nécessairement) doté d’une grammaire de type grammatica, qui est à son tour érigée en condition nécessaire pour qu’une langue soit classée parmi les linguae14. Une des originalités de l’œuvre de Scaliger, rappelons-le, c’est d’avoir appliqué les grilles d’analyse de la grammaire latine aux langues vernaculaires – c’est-à-dire, d’avoir avancé le principe que les vulgaires sont eux aussi dotés d’une grammatica, et sont du coup eux aussi des linguae.

La distinction entre langues savantes et langues maternelles (ou naturelles), comparable à celle entre langue régulée et langue vulgaire, est par contre fondée non pas sur des propriétés linguistiques intrinsèques, mais sur la façon dont leurs locuteurs les apprennent. Décrire un idiome comme une « langue maternelle », c’est désigner la langue acquise ‘naturellement’ pendant l’enfance15, et la distinguer des langues acquises plus tard dans le contexte d’apprentissages formels, comme le latin ou le grec16. Une « langue maternelle » ou « naturelle » n’était donc rien d’autre qu’une langue vulgaire. Le médecin du roi Laurent Joubert les définit ainsi : « l’enfant en quelque lieu qu’il soit nourri & eslevé, aprend & retient le langage vulgaire (que l’on dit Vernacule, ou maternel) quel qu’il soit Hebrieu, Grec, Latin, ou Barragouïn. »17 L’ historien provençal Jean de Nostredame caractérise le dialecte d’occitan de sa province comme sa « vulgaire maternelle

13 Voir Érasme sur l’enseignement du grec et du latin in “De Pueris Statim Ac Liberaliter Instituendis”, in Collected Works 26, Literary and Educational Writings, 4, trans. Beert C.  Verstraete, Toronto, University of Toronto Press, 1985, pp. 292-346, en particulier p.342, Latin in Opera omnia, 1. 2, eds. Jean-Claude Margolin et Pierre Mesnard (Amsterdam : North-Holland, 1971), pp. 1-78, citation LB 513, p. 74.

14 Voir Karin Margareta Fredborg (1980).15 Voir Einar Haugen (1991), Jean Batany (1982) et Jean-Didier Urbain (1982).16 Antoine de Malet décrit l’acquisition de la langue chez les enfants de la façon

suivante : « le vrays temps d’apprendre le langage naturel autrement langage de Mere, soit depuis trois jusques à cinq ans, » dans L’ Oeconomie Spirituelle Et Temporelle. De La Vie, Et Maison, Noblesse, & Religion des Nobles & des Grands du Monde, Paris, Eustache Foucault, 1619, p. 107.

17 Laurent Joubert, « Question Vulgaire. Quel langage parleroit un enfant qui n’auroit jamais oui parler », dans Erreurs Populaires Au Fait De La Medecine Et Regime De Santé. Corrigés Par M. Laur. Joubert Conselher & medecin ordinaire du Roy, Bordeaux, S. Millanges, 1578, p. 577-578.

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Provensalle »18. Un étudiant originaire du Dauphiné appelle l’occitan de Toulouse « leur propre, naturel, & maternel langage »19. Mais comme Laurent Joubert le laisse supposer, même le latin pouvait se retrouver dans la peau d’une langue vulgaire à cette époque. À en croire ses Essais, c’était en effet le cas pour Michel de Montaigne, qui grâce à son père n’entendait et ne parlait autre langue que le latin jusqu’à l’âge de six ans20.

D’autres oppositions encore circulent et se superposent aux antinomies entre langues savantes / réglées / grammaticales et langues vernaculaires / maternelles / non-réglées. Pour certains, la mise en écriture d’une langue représente un critère qualitatif fondamental. L’ existence d’une langue sous forme écrite la différencie des langues purement orales. Pour Jacques Peletier du Mans, posséder une forme écrite est une qualité nécessaire pour qu’un idiome jouisse du statut de langue complète à part entière : « la Langue Françoese à tousjours etè Langue, e par ce moien à tousjours ete capable d’étre ecrite : Combien qu’il i an è aujourdhui qui ne se peuvent ecrire, comme on dit du Basque e du Breton bretonnant »21 – comme si le breton ou le basque, du fait de leur absence de l’écrit, ne pouvaient prétendre être de véritables langues. Selon d’autres observateurs, la pureté d’une langue fournissait un critère d’évaluation pertinent. De telles logiques désignent certaines langues comme pures, d’autres comme décadentes, c’est-à-dire des corruptions de langues pures. Le rapport des langues romanes au latin, voire du latin médiéval au latin antique, est souvent analysé de cette manière. Pour Abel Matthieu, les idiomes locaux parlés en France, pris dans leur ensemble, ne sont que des corruptions du français (y compris l’occitan – nous y reviendrons) :

il est aysé a distinguer le nayf francoys d’avecques le corrompu, et sont quasi toutes les provinces subjects au Roy corrompues au langaige car en aucunes ilz tresnent leur parolle et leur voix et font quantité et accent comme en

18 Jean de Nostredame, Les Vies Des Plus Celebres Et Anciens Poetes Provensaux, Qui ont floury du temps des Comtes de Provence. Recueillies des Œuvres de divers Autheurs nommez en la page suyvante, qui les ont escrites, & redigees premierement en langue Provensale, & depuis mises en langue françoyse par Jehan de nostre Dame Procureur en la Cour de Parlement de Provence, Lyon : Alexandre Marsilii, 1575, p. 205 ; voir aussi l’édition critique, Camille Chabaneau et Joseph Anglade (éd.), Paris, Honoré Champion, 1913.

19 Claude Odde de Triors, Les Joyeuses Recherches De La Langue Tolosaine, Toulouse, [1578], sig. A6r.

20 Michel de Montaigne, « De l’institution des enfans », Les Essais, 3 vols., V.-L. Saulnier (éd.), Paris, Presses Universitaires de France, livre 1, ch. 26, p. 173-174.

21 Jacques Peletier du Mans, Dialogue De l’Ortografe e Prononciacion Françoe se, Paris, Jan de Tournes, 1555, réimpression dans une édition critique, Lambert C.  Porter (éd.), Genève, Droz, 1966, livre 2, p. 84.

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Anjou, au Mayne, Normandie, Gascoigne, Languedoc, et Prouvence, en aucunes ilz ont plusieurs Imperfections Incorrigibles [.]22

D’autres distinctions sont fondées sur l’étendue du territoire sur lequel une langue donnée est parlée. Des vernaculaires purement locaux, circonscrits à des aires limitées, sont ainsi opposés à des langues généralisées, pratiquées à travers des domaines beaucoup plus larges. Le poète Guillaume du Bartas évoque les inconvénients associés à ses yeux à l’utilisation de dialectes, lexiques ou accents trop locaux : « … Aujourd’huy le rivage, / Qui borne nostre bourg, borne nostre langage / Et sortant quatre pas hors de nostre maison, / Muets, las ! nous perdons l’outil de la raison »23. C’est justement un des arguments qu’invoquent grammaires et manuels de rhétorique publiés en France à l’époque pour convaincre leurs lecteurs d’éviter les dialectes locaux de français dans leurs propres propos. Dans la préface de sa grammaire française, publiée en 1557, l’imprimeur et humaniste Robert Estienne (qui fut aussi le père d’Henri Estienne) reproche à un traité de grammaire écrit par un autre homme de lettres une fréquence trop élevée de mots picards, qui selon lui rendent sa compréhension difficile24. Le rhétoricien Pierre Le Fèvre interdit l’utilisation de traits locaux dans l’expression orale justement parce qu’ils empêchent l’intercompréhension :

Barbarisme cest vice descripture : […] comme par incongrue application […] de langaige parcial en termes barbares gergon : et aultre parler non congneu que en lieu parcial. […] les motz et termes qui ne sont point entendus oultre les faulxbourgs des villes ou es villaiges parciaulx : ne sont a escripre en livre autentique : pour leur barbare son ou signification ou accent. […] il advient mainteffoys que len barbarise en pronuncant comme en faisant faulx accent ou aspiration comme communement tous noz vulgaires parciaulx comme trop picart : trop normant trop breton etc. barbarisent en leur accent.25

22 Matthieu, Devis De la langue francoyse, fol. 21v.23 Guillaume Du Bartas, La Seconde sepmaine (1584), 2 vols., Yvonne Bellenger (éd.),

Paris, STFM-Klincksieck, 1991-1992, « Journée seconde », livre 6 « Babilone », t. 2, p. 328, v. 237-240.

24 R.  Estienne écrit : « plusieurs desirans avoir ample cognoissance de nostre langue Francoise, se sont plains a nous de ce qu’ils ne povoyent aiseement saider […] de l’Introduction a la langue Francoise composee par M.  Jaques Sylvius medecin (pourtant que souvent il a meslé des mots de Picardie dont il estoit) », dans Robert Estienne, Traicte de la grammaire Francoise, Paris, Robert Estienne, [1557], p. 3. R.  Estienne évoque ici la grammaire de Jacques Dubois (Sylvius), Jacobi Sylvii Ambiani In linguam gallicam isagoge una cum ejusdem Grammatica, latino-gallica, Paris, Robert Estienne, 1531 ; réimpression, Genève, Slatkine, 1971.

25 Pierre Le Fèvre [Fabri], Le Grant Et Vray Art De Pleine Rethorique Utille : Proffitable Et Necessaire a Toutes Gens Qui Desirent a Bien Elegantement Parler Et Escripre, Compile Et Compose Par Tresexpert Scientifique Et Vray Orateur Maistre Pierre Fabri : En Son

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Dans le vocabulaire de Le Fèvre, ces langues sont caractérisées comme des idiomes particuliers ou partiaux. À la différence d’idiomes particuliers, irrémédiablement ancrés dans les lieux où ils sont parlés, les langues générales comme le latin (ou dans une certaine mesure le français et l’italien littéraires) ont été en quelque sorte déracinées de leur terre sociolinguistique, grâce à leur prestige et leur utilité communicative, pour être ensuite largement répandues. Ces langues générales sont ainsi destinées à être pratiquées à côté des parlers particuliers, c’est-à-dire les idiomes spécifique à chaque localité. C’est précisément le sens que donnent les Espagnols aux termes « lengua générale » – utilisé au Pérou pour décrire la langue quechua que les Incas avaient imposée sur leur empire afin de faciliter la communication – et « lengua particulier » – utilisé pour décrire la multitude de langues locales pratiquées à travers la vice-royauté26.

Ainsi, les langues vernaculaires, ces idiomes ‘particuliers’ qui sont sujets à une forte variabilité dialectale dans l’espace, sont souvent dénommées en les rapportant aux lieux où elles sont parlées. Les auteurs d’un recueil de poésies multilingues, publié en 1554 pour honorer la naissance du futur Henri IV, précisent que leurs poèmes sont composés « al lengaige de Tolosa », « en Bernes », « en Gascon », en « Poictevin », et « En Basque. »27 C’est avec fierté que les habitants de Toulouse appellent leur dialecte d’occitan le moundi, un diminutif pour Raymond, en référence aux comtes médiévaux de Toulouse28. Et beaucoup empruntent des termes génériques qui ne font que souligner la nature inéluctablement locale de ces parlers, tels « langage vulgaire », « le langage du pays », ou « ce nostre propre usage […] ce vray vulgaire normant »29.

Vivant Cure De Meray Et Natif De Rouen, Par Lequel Ung Chuscun [sic] En Le Lysant Pourra Facillement Et Aornement Composer Et Faire Toutes Descriptions En Prose Comme Oraisons Lettres Missives Epistres Sermons Recitz Collations Et Requestes, Paris, Pierre Sergent, 1534, fol. xlii r, xliii v.

26 Inca Garcilosa de la Vega, Comentarios reales de los Incas, 2 vols., Aurelio Miro Quesada (éd.), Venezuela, Ayacucho, 1976, livre 7, ch. 1 et 3, t. 2, p. 87, 90.

27 Bernard de Poey, Poesie En diverses langues. Sur La Naissance De Henry De Bourbon Prince Tresheureus, Ne Au Chasteau De Pau Au Mois De Decembre, 1553, Toulouse, Jacques Colomiés, 1554, p. [77]-[81].

28 Par exemple, [Jean Doujat], Le Dicciounari Moundi, De La Oun Soun Enginats principalomen les mouts les pus [sic] escarriés, an l’esplicaciu Francezo. Dictionaire De La Langue Toulousaine, Contenant principalement les Mots les plus éloignez du François, avec leur explication, Toulouse, Jean Boudo, 1638. Pour l’étymologie de moundi, voir Frédéric Mistral (1932 : II, 361 et 694-695).

29 « Livre destimes du Capitoulat de la daurade », 1478, rédigé « en langage vulgaire », Archives Municipales de Toulouse, CC 16, fol. 166v ; « La discipline Ecclesiastique du pais de Bearn », [1569], qui exhorte les ministres huguenots qui le connaissent à prêcher dans « le langage du pays », Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques, G 4, fol. 2r ; et Gille Tasserie, « Le triomphe des normans », Bibliothèque

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Bien que des désignations plus générales soient également employées pour dénommer des langues vernaculaires, ceci n’a rien de systématique ni de rigoureux, et on passe facilement des termes locaux aux référents plus généraux. Un géographe royal au XVIIe siècle qualifie l’occitan de « Gascon »30, tandis qu’au XVIIIe siècle un historien nomme la langue toulousaine « le Languedocien, ou Gascon »31, alternant ainsi entre deux désignations dans la même phrase – un bel exemple de la fluidité des dénominations linguistiques sous l’Ancien Régime. Scaliger dit « Savoyard » en parlant du franco-provençal ; Sebastien Münster appelle la langue locale parlée dans le Valais en Suisse « le langage de Savoye », bien que le Valais n’ait jamais fait partie du Duché de Savoie ; et l’auteur d’une pièce de théâtre composée dans le franco-provençal de Forez parle du « Langage Foresien »32. Rabelais décrit le français comme « nostre langue

Nationale (désormais BN), Ms Fr 24315, fol. 114r-142r, citation132v. Dans « L’ Isle Sonante », 1562, faussement attribué à Rabelais, il est question du « langage du pays » et de la « langue du pays ». Dans Rabelais, Œuvres complètes, Mireille Huchon (éd.), Paris, La Pléiade, 1994), p. 843-873, citations ch. 16, p. 871-872.

30 Pierre Du Val, Description De La France, Et De Ses Provinces, Où Il Est Traitté De Leurs Noms Anciens & Nouveaux, Degrés, Estenduë, Figure, Voisinage, Division &c. Avecque Les Observations, De Toutes Les Places, Qui Ont Quelque Prerogative Ou Quelque Particularité, Comme, Villes Capitales, Eveschez, Parlemens, Generalitez & Eslections Forteresses, & Belles Maisons ; Principautez, Duchez, Marquisats, Comtez & Seigneuries Considerables ; Champs De Bataille &c. Par P. Duval D’Abbeville Geographe Ordinaire Du Roy, Paris, Jean du Puis, 1663, p. 42-43.

31 Jean Raynal, Histoire De La Ville De Toulouse, Avec Une Notice Des Hommes Illustres, Une Suite Chronologique Et Historique Des Evèques Et Archevêques De Cete Ville Et Une Table Générale Des Capitouls, Depuis la Réunion du Comte de Toulouse à la Couronne jusqu’ à present ; Par Me. J. Raynal Avocat au Parlement, de l’Académie Royale des Sciences, Inscriptions & Belles-Lettres de Toulouse, Toulouse, Jean-François Forest, 1759, p. 23. Raynal au moins est systématique dans son ambiguïté, louant un écrivain local pour « ses Poésies en langage languedocien, ou Gascon. » P. 364.

32 Scaliger note que, « A Lyon & Valence loquuntur adhuc Sabaudicè. » Dans Joseph Scaliger, Scaligerana Ou Bons Mots, Rencontres Agreables, Et Remarques Judicieuses & Sçavantes De J.  Scaliger. Avec Des Notes De Mr. Le Fevre, & De Mr. De Colomies. Le Tout Disposé Par Ordre Alphabetique En Cette Nouvelle Edition, Cologne, 1695, p. 346 ; Sebastien Münster, La Cosmographie Universelle, Contenant la situation de toutes les parties du monde, avec leurs proprietez & appartenances. La description des pays & regions diceluy. La grande varieté & diverse nature de la terre. Le vray pourtraict d’aucuns animaulx estranges, avec le naturel d’ iceulx. Les figures & pourtraictz des villes & citez plus notables. Les coustumes, loix, & religions, de toutes nations, avec l’origine, accroissement & transport des Royaumes & Seigneuries, & les genealogies & faictz des Roys, Ducz & autres Princes de toute la terre, continuant jusques à nostre temps, Henry Pierre, 1565, livre 3, p. 366 ; et Ballet En Langage Foresien, De Trois Bergers, & trois bergeres, se gaussant des amoureux qui nomment leur maistresses, leur doux souvenir, leur belle pensee, leur Lis, leur Rose, leur oeiller, &c. (n.d.), in BN, Ms Fr 20578, fol. 32r-43v.

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Gallique » et « nostre langue vulgaire » indifféremment33. Faisant preuve d’œcuménisme linguistique à propos du breton, un médecin royal parle de « Langue Bretonne ou Armorique » et de l’occitan comme « Languedocien & Provençal » dans le même ouvrage34.

Qu’en est-il du français ? La langue française en tant que catégorie n’échappe point à cette fluidité marquée et marquante. Comme nous l’avons vu, certains privilégient le caractère localisé des pratiques linguistiques – en parlant par exemple du « Picard ». D’autres cantonnent le champ d’expression pris en compte à la langue littéraire écrite – c’est le choix de Claude Fauchet, auteur de la première histoire de la littérature et de la langue françaises, le Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans35. Pour d’autres encore, le français se limite aux formes linguistiques en vigueur dans la langue parlée au sein de milieux sociaux bien circonscrits. Pensons à la célèbre formule de Vaugelas, qui, en conjuguant usages écrits et oraux, « definit le bon Usage » comme « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’escrire de la plus saine partie des Autheurs du temps. »36 Mais d’autres significations des termes « français » et « langue française », plus étonnantes encore, circulent. Dans sa Cosmographie Universelle publiée en 1544, l’humaniste allemand Sebastien Münster résume la géographie linguistique de la France ainsi : « Toutes ces regions parlent langage François, combien qu’il soit different en plusieurs lieux, excepte la basse Bretagne, laquelle a un langage à part. »37 Selon Münster, les langues romanes du royaume, le français, le franco-provençal, et l’occitan, font toutes partie intégrante de « la langue française ». De même, le géographe royal Pierre du Val pense que « La Langue Françoise » regroupe de multiples langues, car « Ses principaux Idiomes sont le François & le Gascon »38.

33 Rabelais, Cinquiesme Livre, Prologue, in Œuvres complètes, p. 726-727.34 Pierre Borel, Tresor De Recherches Et Antiquitez Gauloises Et Françoises. Reduites En

Ordre Alphabetique, Et enrichie de beaucoup d’Origines, Epitaphes, & autres choses rares & curieuses, comme aussi de beaucoup de mots de la Langue Thyoise ou Theuthfranque, Paris, Augustin Courbé, 1655, Préface, sig. i iii v, kii v.

35 Claude Fauchet, Recueil De L’ Origine De La Langue Et Poesie Françoise, Ryme Et Romans. Plus Les Noms Et Sommaire Des Œuvres De CXXVII Poetes François, Vivans Avant L’ an MCCC, Paris, Mamert Patisson, 1581.

36 Claude Favre de Vaugelas, Remarques Sur La Langue Françoise Utiles A ceux Qui Veulent Bien Parler Et Bien Escrire, Paris, Veuve Jean Camusat and Pierre le Petit, 1647, réimpression, Genève, Slatkine, 1970, préface, sig. ã[i]v.

37 Münster, La Cosmographie Universelle, livre 2, ch. « Des regions & rivieres de la Gaule comment elles sont appellées de nostre temps », p. 103.

38 Du Val, Description De La France, p. 42.

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3. Catégories linguistiques et distinctions sociales

Cette multiplication de dénominations et de catégorisations linguistiques apparemment sans règle et sans fin, et la fluidité même de ces termes et ces modes de classification, témoigneraient-elles d’un manque de rigueur de la part des auteurs du discours sur les langues à l’époque moderne ? À force de regrouper divers registres, formes, genres d’expression, pratiques sociales, dialectes, et langues, les mots désignant les langues finiraient-ils par perdre tout sens, par devenir des signifiants vides ?

Mais ce foisonnement et cette fluidité ont leurs raisons, ce chaos catégoriel n’en est pas un, de ce désordre dénominatif émerge un ordre. Les contemporains ont façonné leurs systèmes d’appellation et de classification à partir d’une géométrie variable de critères linguistiques, culturels, géographiques et sociaux nés de leur expérience vécue des langues. Ces signifiants, non pas vides mais flexibles, prêts à être investi d’un contenu ad hoc selon les besoins du moment, offrent des outils souples pour décrire des formes de langue précises dans le cadre de contextes précis. Plutôt que de fluidité, peut-être devrions-nous parler de plasticité pour qualifier ces catégories linguistiques. Nous sommes en effet loin d’une classification linguistique claire et rigoureuse, telle que la linguistique la conçoit aujourd’hui. Il s’agit ici non pas d’une culture qui cherche à comprendre et à classer les langues en tant que systèmes autonomes et abstraits, mais d’un univers marqué par une forte variabilité dialectale des langues vulgaires, saturé par un plurilinguisme omniprésent, et structuré par des hiérarchies sociales. Cette classification à géométrie variable permet de donner sens à la diversité linguistique en France. Cette instabilité dans les dénominations et les classifications ne devrait pas être comprise comme une insuffisance. Au contraire, nous nous retrouvons face à une plasticité en quelque sorte voulue, une fluidité choisie – c’est-à-dire, une épistémologie sophistiquée, parfaitement en phase avec les réalités linguistiques, sociales et culturelles de l’époque.

Que les langues anciennes, le grec et surtout le latin, aient occupé une place à part dans l’organisation conceptuelle des savoirs linguistiques – à tel point que non seulement elles remplissent les catégories linguistiques, mais aussi elles les définissent (pensons à la grammatica ou la lingua) – ne devrait pas nous surprendre. Toutes les structures éducatives formelles sont tournées vers l’enseignement du latin ; son acquisition constitue le prix d’entrée à des pans entiers de l’élite (l’Église, l’université, la médecine, la justice, la chancellerie, la diplomatie dans une moindre mesure) ; pour les humanistes, le grec et le latin classiques fournissent l’étendard d’excellence

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philologique contre lequel toute langue doit se mesurer39. Depuis le Moyen Âge des classifications sociales entières sont fondées sur la maîtrise (ou l’ignorance) du latin : ceux qui maîtrisent la langue de la Vulgate sont des clerici ou des litterati, et ceux qui ne le connaissent point sont laici, illitterati, idiotae et vulgi40.

Que des élites qui sont à la fois les produits et les défenseurs d’une hiérarchie sociale fortement stratifiée soient soucieuses des distinctions sociales, y compris celles basées sur des pratiques linguistiques, n’a rien d’étonnant non plus. C’est ainsi que les participants et les faiseurs de règles qui animent les nouvelles formes de sociabilité aristocratique, courtisane, lettrée, et académicienne, en passe de s’imposer au XVIIe siècle, adhèrent à des définitions restrictives de la langue française. Comme l’érudit qu’il est, Claude Fauchet suit une logique claire en définissant la langue française sur la base de sa forme littéraire écrite. Circulant au sein des salons et des cercles de pouvoir, le courtisan-grammairien Vaugelas suit une autre logique en s’attelant au contenu des conversations de la plus saine partie du grand monde.

Enfin, ces pratiques dénominatives fournissent un moyen robuste, flexible et pratique d’appréhender la diversité linguistique du royaume. L’ opposition entre linguae et vulgaires, tout comme celle entre langues générales et particulières, décrivent bien la situation de diglossie en vigueur à travers la France, où le latin et le français sont présents partout (au sein de l’Église, l’école, et la justice), et les idiomes et dialectes locaux limités à des territoires précis. Ces pratiques dénominatives témoignent aussi d’une extrême sensibilité à la variation dialectale locale. Comme nous l’avons vu, des noms qui désignent ce que la linguistique scientifique moderne appellerait des dialectes sont souvent préférés à ceux désignant les langues auxquelles ils appartiennent (selon la taxonomie de la linguistique moderne), car des catégories à granularité fine correspondent mieux à l’expérience vécue des parlers locaux.

En effet, certains doutent de l’existence même de frontières formelles et lisibles séparant différentes langues, s’imaginant au contraire que les langues sont disposées à travers un continuum sans couture, au lieu de constituer un ensemble d’unités linguistiques discrètes. S’agissant de

39 Voir Françoise Waquet (1998) et Emmanuel Bury (2005).40 Sur les catégories de clericus et de litteratus, voir Michael T.  Clanchy (1979). Sur

le rôle social du latin à l’époque médiévale, voir Michael Richter (1975) et sur les communautés textuelles latinisantes, Martin Irvine (1994). Dante, par exemple, oppose « volgari » a « litterati poete », c’est-à-dire, « poètes vernaculaires » avec « poètes lettrés », dans Vita Nova, Guglielmo Gorni (éd.), Turin, Giulio Einaudi, 1996, ch. 16 [ch. 25 dans la numérotation traditionnelle], p. 148.

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la variation linguistique dans les langues romanes, un observateur ayant beaucoup voyagé écrit que

le voyager, trop curieux, pourroit croire qu’il y a bien peu de langues diverses au monde, et que la pluspart d’icelles ne sont que meslanges, ne rencontrant jamais un subit changement d’icelles ; de sorte que, s’il considère la françoise, il descouvre qu’ès provinces Wallonnes, et mesme plus hault en France elle perd sa naïfveté, s’altère glissée en Bourgongne, barbarise en Savoye, et hume avec l’air froid la rudesse des rochers, aprochant les Alpes tire aucuns traicts des Lombards et Piedmontois, en Lombardie et Piedmont est changée en Italienne, retenant quelques traicts françois qui s’oublient en Toscane, où la pure Italienne a lieu, qui passée oultre, dégénérant petit à petit, ressent quelque chose de la Grecque et Barbare, laquelle admet premièrement quelques propriétés italiennes, puis devient la mesme barbarie. Mais, s’il prend la France du costé qu’elle avoisine l’Espagne, trouve semblables changemens, comme d’Orléans elle perd sa beauté en Berry, s’altère de plus en Limoges, Auvergne et Querci, tirée du voisinage d’Espagne en Languedoc, se trouve meslée, au Comté de Roussillon, et ès Pyrénées changée en Espagnole, avant qu’elle en soit descendue, laissant beaucoup de ses marques en Cathéloigne, qui diminuent fort en Arragon, pour devenir pure Espagnole en Castille la vieille, qui perd un peu de sa gloire en la neuve, changeant de sorte en Portugal, que là venue, le Portugais ne veult entendre le Castillan, soit pour l’ancienne inimitié des provinces, soit qu’il se plaise mieux en ce qu’il tire de l’Africain et du Barbare.41

Les frontières séparant l’occitan du français, le catalan de l’espagnol, ou le franco-provençal de l’italien sont ici conçues non pas comme des barrières linguistiques à travers lesquelles on éprouve des difficultés pour se faire comprendre, mais plutôt comme des points précis situés le long d’un continuum linguistique. Cet auteur décrit un monde où les locuteurs de différents idiomes peuvent, tant bien que mal, se comprendre et se faire comprendre – à condition que leurs langues ne soient pas trop éloignées l’une de l’autre sur le continuum. Étant donné que cela semble en effet avoir été l’état des choses linguistiques à l’époque moderne42, et que la perception même de la pluralité linguistique prenait la forme d’un continuum, il était tout à fait logique d’imaginer et de mobiliser une pléthore de termes géographiquement localisés comme « Foresien » ou « Poictevin » afin de désigner des vernaculaires locaux.

Comprendre la variation linguistique comme un continuum sans heurts pouvait aussi façonner les attitudes à l’égard de la possibilité même de

41 Philippe de Caverel (éd.), Ambassade en Espagne et en Portugal (en 1582) de R. P. en Dieu Dom Jean Sarrazin, abbé de St.-Vaast, Arras, A. Courtin, 1858, p. 193-194.

42 Voir Anthony Lodge (2009) et (2005).

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l’intercompréhension, c’est-à-dire créer des attentes au regard de l’efficacité de la communication à travers des barrières linguistiques. L’ auteur du passage cité ci-dessus va jusqu’à proposer que le fait que les lusophones ne comprennent pas les hispanophones repose moins sur des différences linguistiques réelles, que sur l’animosité mutuelle entre Portugais et Espagnols. La remarque laisse supposer que les Castiliens et les Portugais sont, avec un peu de bonne volonté, parfaitement capables de s’entendre. Selon cette vision, la possibilité pour un individu de comprendre une langue étrangère dépend autant de la distance linguistique réelle que de sa volonté de comprendre. La façon dont la différence linguistique est perçue est elle-même malléable, voire arbitraire, fondée non seulement sur des réalités linguistiques, mais aussi sur des préjugés et des attitudes culturelles.

La fluidité des catégories linguistiques, donc, reflète non seulement une vision de la variation en tant que continuum, mais l’expérience vécue de l’intercompréhension entre locuteurs de dialectes d’une même langue, ou de deux langues apparentées. Prenons à titre d’exemple le témoignage de Montaigne, pour qui des locuteurs de deux langues romanes différentes pouvaient toujours se comprendre avec des procédés simples :

Je conseillois, en Italie, à quelqu’un qui estoit en peine de parler Italien, que, pourveu qu’il ne cerchast qu’à se faire entendre, sans y vouloir autrement exceller, qu’il employast seulement les premiers mots qui luy viendroyent à la bouche, Latins, François, Espaignols ou Gascons, et qu’en y adjoustant la terminaison Italienne, il ne faudroit jamais à rencontrer quelque idiome du pays, ou Thoscan, ou Romain, ou Venitien, ou Piemontois, ou Napolitain, et de se joindre à quelqu’une de tant de formes.43

Des barrières linguistiques difficilement franchissables existent, bien entendu. Pour les non-locuteurs, le basque et le breton constituent un tout autre niveau de différence et de difficulté. Comme l’affirme un géographe royal au milieu du XVIIe siècle, « La Langue des Bas Bretons […] & celle des Basques n’ont rien de commun avec les autres Langues. »44 Les énormes différences grammaticales et lexicales séparant ces deux langues des autres parlers en vigueur en France leur donnent un statut à part. Selon le juge toulousain Jean de Coras, le basque est « fort obscure, & tellement difficile »45. Au milieu du XVe siècle, un observateur déclare qu’« en Bretaigne

43 Montaigne, « Apologie de Raimond Sebond », Les Essais, livre 2, ch. 12, p. 546.44 Du Val, Description De La France, p. 43.45 Jean de Coras, Arrest Memorable, Du Parlement De Tolose, Contenant Une Histoire

Prodigieuse, De Nostre Temps, Avec Cent Belles, & Doctes Annotations, De Monsieur Maistre Jean De Coras, Conseiller En Ladite Cour, & Rapporteur Du Proces. Prononcé Es Arrestz Generaulx Le Xii Septembre MDLX, Lyon, Antoine Vincent, 1561, annotation 35, p. 48. Pierre de Lancre décrit le basque comme « mal-aysé », dans son Tableau De L’ Inconstance Des Mauvais Anges Et Demons, Ou Il Est Amplement Traicté

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Bretonnant parlent un langaige que nul que eulx n’entant s’il ne l’aprant »46 – une phrase qui laisse supposer que la plupart des autres langues de France pouvaient être déchiffrées avec plus ou moins de bonheur sans les avoir étudiées formellement.

Une fois la diversité, la malléabilité, et la variabilité dans le temps admises comme des caractéristiques naturelles et universelles des langues, les termes utilisés pour désigner les langues se révèlent n’être que des constructions culturelles, de simples conventions dénominatives des termes de convenance. Cette façon d’appréhender la diversité linguistique remet en question la légitimité même de la notion de langues unitaires distinctes les unes des autres, et de leur utilité en tant que catégorie d’analyse linguistique. Tout se passe ici comme si les noms des langues n’étaient que des classifications arbitraires, peu à même de décrire une réalité linguistique faite d’échanges, de mélanges et d’évolutions constants. Reconnaissant explicitement le caractère aléatoire des dénominations linguistiques, des historiens-moînes bénédictins écrivant au XVIIIe siècle expliquent par exemple que « Provençal » remplaça « Romance » pour désigner toutes les formes d’occitan parce que les comtes de Provence ont pu asseoir leur pouvoir à travers le sud de la France au début du Moyen Âge, la langue d’expression des troubadours se trouvant en quelque sorte parée de leur titre comtal47.

Une fluidité des catégories et des dénominations linguistiques, donc, pour décrire une expérience réelle de fluidité dans la variation linguistique.

Des Sorciers & De La Sorcelerie. Livre Tres-Utile Et Necessaire, Non Seulement Aux Juges, Mais à Tous Ceux Qui Vivent Soubs Les Loix Chrestiennes. Avec Un Discours Contenant La Procedure Faicte Par Les Inquisiteurs D’Espagne & De Navarre, à 53 Magiciens, Apostats, Juifs, & Sorciers, En La Ville De Logrogne En Castille, Le 9 Novembre 1610. En Laquelle on Voit, Combien L’ Exercice De La Justice En France, Est Plus Juridiquement Traicté, & Avec De Plus Belles Formes Qu’En Tous Autres Empires, Royaumes, Republiques, & Estats. Par Pierre De Lancre Conseiller Du Roy Au Parlement De Bordeaux, Paris, Jean Berjon, 1612, p. 30 ; voir aussi l’édition critique d’une version raccourcie de cette œuvre, Tableau de l’ inconstance des mauvais anges, Nicole Jacques-Chaquin (éd.), Paris, Éditions 00h00, 2000, p. 77.

46 Gilles Le Bouvier, Le Livre de la description des pays, E. T. Hamy (éd.), Paris, Ernest Leroux, 1908, p. 48-49. Guillaume Boucher écrit que « le Breton n’estant entendu des François, ne de pas un de leurs voisins, ny n’en approche aucunement, » dans son [Troisième Sérée], dialogue 35, p. 265. Pour une étude des récits de voyage français au sujet de la Bretagne, qui tient compte de la dimension linguistique, voir Gwennolé Le Menn (1984).

47 Claude Devic et Joseph Vaissete, Histoire générale de Languedoc, 15 vols., Toulouse, Privat, 1872-1892, t. 3, livre 14, ch. 101, p. 410-412, livre 18, ch. 80, p. 867-868, t. 6, livre 26, ch. 92, p. 935-936, et t. 9, livre 34, ch. 95, p. 1154.

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4. Fluidité épistémologique et identités culturelles

Si la catégorisation et la dénomination des langues sont sujettes à autant d’instabilité, aussi structurée soit-elle, qu’en est-il des formes d’identité auxquelles la langue est associée ? La langue est bien entendu un composant important de diverses formes d’identités collectives. Le principe exprimé dans le livre de la Genèse selon lequel gentem lingua facit – « la langue fait le peuple »48 – retrouve un large écho à travers l’Antiquité tardive et les époques médiévale et moderne. Dans la France moderne, on identifie un peuple à partir du vernaculaire parlé par une communauté de locuteurs. Dans la partie occidentale de la Bretagne, affirme un géographe, « les habitans sont dits Bas Bretons, & Bretons Bretonnants »49. C’est ainsi qu’on définit une nation, une catégorie ethnolinguistique le plus souvent vide de toute connotation politique50. Un écrivain déclare au début du XVIIe siècle : « toutes nations ont leur langage propre et particulier, par lequel l’une est distinguée de l’autre. »51.

Mais les contemporains ne reconnaissent pas dans nation une identité de groupe fixe ou objectivement définie. À l’image des catégories linguistiques, on y voit une catégorie flexible, un outil avec lequel retracer les frontières d’un groupe, ou en inventer de nouvelles, afin de s’adapter à des circonstances nouvelles52. Qualifier une communauté de ‘nation’, c’est emprunter une rubrique malléable, un cadre plastique que l’on peut façonner ou remodeler en s’appuyant, à des degrés divers, sur des critères non seulement linguistiques, mais aussi géographiques, historiques, confessionnels, juridiques, ou (plus rarement) politiques. Il arrive que des Européens à la fin de l’époque médiévale et à l’époque moderne mobilisent

48 Claudius Marius Victor, « Alethias », in Carl Schenkl (éd.), Poetae Christiani Minores. Pars I, Prague, Vindobonae, 1888, p. 364-436, livre 3, vers 274, p. 416.

49 Honoré Bouche, La Chorographie Ou Description De Provence Et L’ Histoire Chronologique Du Mesme Pays, 2 vols., Aix, Charles David, 1664, t. 1, livre 2, ch. 6, p. 91.

50 Sur l’histoire du concept de « nation », voir Guido Zernatto (1944), Alain Guéry (1989), Colette Beaune (1985 : ch. 10) et Claude-Gilbert Dubois (1996).

51 Marc Lescarbot (1866 : 623). Le dictionnaire d’Antoine Furetière, sous l’article sur le « Langage », donne une définition similaire : « Langue, se dit aussi en faisant distinction des nations. » Dans Dictionnaire Universel, 3 vols., La Haye-Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, t. 2, sig. [VV]v. l’Anglais catholique Richard Verstegan s’appuyait sur cette logique pour déclarer que, avant Babel, « il n’y avait […] qu’une seule langue, et par conséquent, une seule nation dans le monde entier » ; voir aussi dans son A Restitution of Decayed Intelligence : In antiquities. Concerning the most noble and renowmed [sic] English nation. By the studie and travaile of R. V., Anvers, Robert Bruney, 1605, ch. 1, p. 2 : « there was […] but one language, and consequently but one nation in the whole world ».

52 Voir l’important article de Patrick J. Geary (1983). Voir aussi Gustave Dupont-Ferrier (1929) et Dupont-Ferrier (1940).

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le concept afin de décrire des groupes imaginés comme enracinés dans l’espace et linguistiquement homogènes – c’est dans ce sens que les Gascons constituent une « nation »53. Mais ils le mobilisent dans bien d’autres contextes aussi, où il s’agit de concevoir une identité ou un statut pour un groupe nouvellement constitué, ou pour une communauté faisant face à une situation nouvelle. Des groupes sociaux implantés à l’étranger s’organisent souvent en communautés corporatives (ou sont obligés de le faire par les autorités locales), appelées « nations ». Les étudiants d’université s’organisent au sein de « nations » qui n’ont qu’un rapport ténu avec les catégories ethnolinguistiques auxquelles elles font allusion. La nation « française » des corporations de maîtres de l’Université de Paris, par exemple, regroupe les maîtres originaires de Paris, du Midi, d’Italie, du Portugal, d’Espagne, de Grèce, d’Europe de l’Est, et de l’empire Ottoman54. Comme les marchands florentins installés à Lyon, les marchands vénitiens à Istanbul sont les membres d’une nation établie en droit, conçue en référence à une identité florentine ou vénitienne telles qu’elles sont pensées en Italie, néanmoins définie comme une communauté distincte, ancrée dans son contexte local55. De même, les membres de l’ordre de Jérusalem, les chevaliers de Malte, sont organisés en huit nations, appelées « langues », mais dont les principes d’organisation interne font fi des frontières linguistiques :

On appelle Langue, les huit Nations dont l’Ordre des Chevaliers de Malte est composée. Il y en a trois pour le Royaume de France, la Langue de Provence, la Langue d’Auvergne, & la Langue de France, deux pour l’Espagne, la Langue d’Arragon, & la Langue de Castille. Les trois autres Langues sont pour l’Italie, pour l’Allemagne & pour l’Angleterre.56

Cette fluidité manifestée par les catégories ethnolinguistiques, qui va de pair avec celle affichée par les catégories proprement linguistiques, nous permet de comprendre pourquoi la langue ne peut tout simplement pas fournir une véritable base pour les fidélités politiques à l’époque moderne. Prenons à titre d’exemple le témoignage d’un écrivain qui, ayant voyagé au Pays Basque, ne voit aucune contradiction entre pratiques linguistiques locales et identités politiques à l’échelle du royaume : les « Basques […] sont quasi de la nation des Bisquayns [sic], et sont agilles de leurs corps, gaillardes gens,

53 Pierre Louvet, Traité en Forme d’Abregé de l’Histoire d’Aquitaine, Guyenne et Gascogne, Bordeaux, G. de la Court, 1659, p. 11.

54 Pearl Kibre (1948 : ch. 1), en particulier pp. 9-11 et 15-21.55 Eric R. Dursteler (2006) en particulier l’Introduction et ch. 1. Voir aussi R. Clément

(1960) et Jean-François Labourdette (1988).56 Thomas Corneille, Dictionnaire Des Arts Et Des Sciences, 2 vols., Paris, Veuve de

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et parlent quasi une mesme langue et sont bons françoys. »57 La catégorie de personne ‘française’ affiche une polysémie comparable. Un « Français » pourrait signifier un sujet du monarque, un habitant du nord de la France, ou une personne dont la langue maternelle est le français. Le géographe royal Du Val souligne que la catégorie de « Gascon » est tout aussi ambiguë que celle de « Français » : « les Parisiens appellent indifferemment Gascons ceux qui sont au dela de la Riviere de Loyre, de mesme que sous le Nom General de François, on connoist en Gascogne ceux qui sont en deça de la mesme Riviere. »58 D’où le refus catégorique de faire de la langue un signe de fidélité ou d’identité politique. Devant les États Généraux, rassemblés en 1560, le chancelier de France Michel de l’Hospital puise dans les lieux communs de la théorie politique française afin de déclarer que les langues ne pouvaient nullement participer à la définition du caractère fondamental d’un État : « La division des langues ne fait la separation des royaumes, mais celle de la religion et des loix, qui d’un royaume en fait deux. De la sort le vieil proverbe Une foy, une loy, un roy. »59.

5. Conclusion

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce survol des catégories linguistiques à l’époque moderne ? En premier lieu, les catégories de différenciation et de dénomination linguistiques sont caractérisées par une extrême fluidité. On mobilise des catégories et des labels souples et changeants. En second lieu, cette fluidité devrait être analysée comme une forme de plasticité choisie. C’est-à-dire que la panoplie complexe de catégories et de noms offre une boîte à outils polyvalents et parfaitement adaptés à la description des réalités linguistiques, culturelles, sociales et politiques de ce monde. En troisième et dernier lieu, cette fluidité des catégories linguistiques se manifestent dans les formes d’identité qui s’appuient sur la langue, et qui font preuve, elles aussi, de fluidité.

Une telle perspective nous permet non seulement de mieux historiciser la place de la langue à l’époque moderne, mais de regarder vers

57 Jean Fonteneau, La Cosmographie avec l’espère et régime du soleil et du nord, Georges Musset (éd.), Paris, Ernest Leroux, 1904, p. 148.

58 Du Val, Description De La France, p. 42-43. Un des musiciens de chambre d’Henri IV, Charles Tessier, utilisa le gascon d’une façon similaire dans son Le Premier Livre de Chansons & Airs de court tant En françois qu’en Italien & en Gascon a 4 & 5 parties : mis en Musique par le sieur Carles Tessier, Musitien de la Chambre du Roy, London, Thomas Este, 1597. Le texte de l’unique chanson étiquetée en « gascon » du recueil est en fait rédigé dans un français occitanisé.

59 L’ Hôpital, discours devant les États Généraux, Orléans, 13 décembre 1560, in Michel de l’Hôpital, Discours pour la majorité de Charles IX et trois autres discours, Robert Descimon (éd.), Paris, Imprimerie Nationale, 1993, p. 84.

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l’avant – et vers la conception contemporaine de « langue nationale ». Il est évident que le concept de langue nationale dans son sens contemporain ne peut prendre forme qu’à partir d’une définition de la langue stabilisée et circonscrite. Quel sens aurait une langue nationale si celle-ci englobait tous les parlers présents sur un territoire ? Un double processus s’enclenche aux XVIIe et XVIIIe siècles. D’une part, la codification de la langue par les Malherbe, Furetière, et autres Vaugelas limitent de façon radicale ce qui entre dans la définition de la langue française, et repoussent tout ce qui doit à leur sens rester en dehors60. La constitution d’un inventaire détaillé du « bon usage », la traque au mauvais usage et aux provincialismes, substituent des cloisons linguistiques étanches à la place de frontières poreuses, voire de gradients diffus. Le gascon, l’argot, le picard, le patois ne font plus – ne peuvent plus faire – partie du français. D’autre part, le souci des élites de suivre le bon usage, d’utiliser le français poli, motivées, en partie, par leur désir de se différencier du menu peuple, les amène à modifier leur attitude vis-à-vis de l’autre linguistique, à réorienter leurs attentes à l’égard de la possibilité de communiquer à travers des barrières langagières, à oublier leur bonne volonté linguistique, à ne plus tendre l’oreille pour chercher à entendre leurs interlocuteurs, et à ne plus faire l’effort pour comprendre des langues proches de la leur. Citons une lettre adressée à Jean de La Fontaine par Jean Racine lors d’un voyage dans le Midi, dans laquelle Racine se plaint de se retrouver en terrain linguistique inconnu :

J’avois commencé dès Lyon à ne plus guère entendre le langage du pays, et à n’être plus intelligible moi-même. Ce malheur s’accrut à Valence, et Dieu voulut qu’ayant demandé à une servante un pot de chambre, elle mit un réchaud sous mont lit. […] Mais c’est encore bien pis dans ce pays. Je vous jure que j’ai autant besoin d’interprète qu’un Moscovite en auroit besoin dans Paris. Néanmoins je commence à m’apercevoir que c’est un langage mêlé d’espagnol et d’italien ; et comme j’entends assez bien ces deux langues, j’y ai quelquefois recours pour entendre les autres et pour me faire entendre. Mais il arrive souvent que j’y perds toutes mes mesures, comme il arriva hier, qu’ayant besoin de petits clous à broquette pour ajuster ma chambre, j’envoyai le valet de mon oncle en ville et lui dis de m’acheter deux ou trois cents de broquettes ; il m’apporta incontinent trois bottes d’allumettes […]61

Ce texte n’est pas sans rappeler d’autres témoignages, comme celui de Montaigne sur sa stratégie pour se faire comprendre par des locuteurs d’italien et d’occitan. Racine, tout comme Montaigne, souligne les affinités

60 Voir Danielle Trudeau (1992), Wendy Ayres-Bennett (2004), et R. Anthony Lodge (2004).

61 Racine, lettres à La Fontaine, 3 novembre 1661, cité dans Fernand Braudel (1986 : I, 73).

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linguistiques qui unissent toutes les langues romaines les unes aux autres. Mais là où Montaigne insiste sur la possibilité de compréhension et la proximité réelle et ressentie des langues en jeu, Racine déclare impossible l’intercompréhension occitan-français, constate le caractère infranchissable de la frontière entre ces deux langues, et avoue se sentir aussi perdu que s’il se retrouvait en Russie (bien que son anecdote prouve que le valet de son oncle installé à Uzès, et que l’on peut supposer occitanophone, comprend une grande partie de ce que Racine lui dit). D’une volonté de comprendre l’autre linguistique au XVIe siècle, nous sommes passés à un refus de comprendre au XVIIe siècle, à une volonté de ne déchiffrer que ce qui est exprimé en bon français.

Ainsi, les érudits, académiciens, hommes de lettres, salonniers et courtisans qui codifient méthodiquement ce que c’est que le bon français, et qui refusent progressivement de comprendre les parlers locaux, désormais relégués au statut de patois, façonnent une nouvelle conceptualisation de ce qu’est la langue française. Nous en sommes aujourd’hui les héritiers. Les catégories linguistiques maniées à l’époque moderne accueillent la pluralité des langues présentes en France, acceptent le dynamisme de ces systèmes linguistiques, et reconnaissent la porosité des frontières entre les langues. Le français classique, cultivé, purifié, et stabilisé, qui sort du creuset de la sociabilité et de la réflexion des élites françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles, est désormais imaginé comme une entité linguistique cohérente et statique, aux contours bien définis, et distincte des autres langues vulgaires de France. Cette opposition naissante entre français et patois a créé les conditions conceptuelles pour l’articulation de politiques linguistiques radicalement nouvelles. L’une des conséquences inattendues de ce processus, c’est d’avoir balisé une nouvelle géographie linguistique, dont la carte sera désormais annotée par une légende décomposée à partir de ces nouvelles catégories, sur laquelle les Conventionnels tels l’Abbé Grégoire et Bertrand Barère pourront, en pleine Terreur, proposer l’anéantissement des patois par la République promouvoir une conception du français unitaire, hermétique et triomphante, et imaginer une France linguistiquement pure, une et indivisible62.

62 Voir Michel de Certeau, Dominique Julia, et Jacques Revel (2002), Une Politique de la langue. La Révolution française et les patois : L’ enquête de Grégoire, Paris, Gallimard.

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