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Quelle est ltendue de la rhtorique selon Hermogne ?
Dans les assembles, les tribunauxet partout *
Rui Miguel DuaRteCentro de Estudos Clssicos da FLUL
[email protected]
1. Introduction
Au prologue de son livre sur les divisions des questions
politiques (connu davantage comme ou dans le titre latin De
statibus), Hermogne crit (St. I 1.1-5) :
, , .
Nombreux et importants sont les lments qui composent la
rhtorique et qui en font un art, puisque ce sont des connaissances
quon a un jour acquises, puis progressivement organises et
puisquils ont dans la vie publique une utilit certaine tant dans
les assembles dlibrantes que dans les tribunaux et que partout
.1
Cette prsentation rflchit dabord, en paraphrase, la dfinition
com-mune de lart depuis Znon de Citium, passe la tradition
stocienne, selon laquelle un des traits qui constituent un art est
prcisment lutilit : un systme de conceptions acquises par lexercice
visant une fin utile dans la vie 2. Cette
* Recebido em 03-02-2013; aceite para publicao em 22-04-2013.
Nous sommes trs reconnaissants M. Michel Patillon, ex-Directeur de
Recherche
lI.R.H.T. (Institut de Recherche et dHistoire des Textes)
institut appartenant au C.N.R.S. (Centre National de la Recherche
Scientifique), de France, pour la rvision du texte franais, aussi
bien de ltude en lui-mme que des traductions des textes grecs.
1 Pour Hermogne, nous renvoyons ldition critique de M. Patillon,
Corpus rhetoricum II, Paris, Belles Lettres, 2009.
2 Cf. Von aRniM, SVF I 21 frg. 73, Sextus Emp. Adu. math. XI
182. cf. SVF II 30-31 frg. 93-97.
EVPHROSYNE, 41, 2013
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208 RUI MIGUEL DUARTE
utilit se voit dans plusieurs circonstances : dans les
assembles, les tribu-naux et partout.
On peut discerner l une allusion la trinit des genres
rhtoriques. Le systme trinitaire tait devenu canonique, peut-on
dire, et la tradition de lart set trouve pour toujours marque dune
telle empreinte. Cest Aristote (Rh. I 3 1358a-b) qui a tabli les
trois genres, classifi leurs buts, les diff-rentes situations
communicationnelles o chacun pouvait tre utilis, les types
dauditeurs et de spectateurs dont ils relevaient.
Les deux premiers genres ont une application bien prcise,
quHermo-gne na pas laiss de rappeler (St. I 1.4-5). La rfrence aux
assembles () renvoi au genre (dlibratif); celle aux tribunaux ()
renvoie au judiciaire (juridique). Hermogne dit que lart rhtorique
peut tre utile partout . Peut-il y avoir l une rf-rence, indfinie,
au troisime genre ? En effet, le troisime genre est un cas
diffrent, ses limites sont plus floues.
On peut bien le voir par les dsignations quon lui a donnes dans
les traditions rhtoriques grecques : appel chez Aristote, la
tradition rhtorique lui a attribu dautres appellations : ou . Les
tches du genre sont lloge, ou la louange, en grec 3 et , et le
contraire, , le blme4.
Dautre part, et voici le sens vident des mots hermogniens, le
genre pidictique est appropri pour plusieurs circonstances et
situations commu- nicationnelles. Chacune de ces situations entrane
la constitution dune espce distincte. Le rhteur Mnandre ( ) en
nomme quelques-unes. Il y a le , le discours dambassadeur
(423.6-424.2); le , couronnement, (422.5-423.5), le , lexhortation
nuptiale (405.14-412.2), et l (418.5-422.4), discours funbre5.
Mnandre traite aussi dune autre espce de discours de noces, l,
lpithalame (399.11-405.13), proche du et cependant une espce
diffrente : dans celui-l, on prenait le bien du mariage comme un
acquis en lui-mme, mais il fallait en dmontrer les bnfices, travers
une thse ; le se situait un moment postrieur des noces, tant
une
3 Sur l cf. Mnandre le rhteur D. A. Russell et N. G. Wilson
(d.), Menander Rhetor, Oxford, Clarendon Press, 1981, 368.4 Sp. ;
M. HeatH, Menander : a Rhetor in Context, Oxford, Oxford University
Press, 2004 ; Nikolaos de Myra, loc. cit., 37.8-9,11, Anonyme,
Com-mentaires au dHermogne R14 185.16-17, Introduction la rhtorique
dHermo-gne, ib., 293.21.
4 Le cycle scolaire des exercices prparatoire (), qui prcdait
dans leparcours scolaire lcole du rhteur, comprenait, entre autres
exercices, l et le (un seul exercice double versant chez Alius Thon
dAlexandrie, cf. Aelius Thon. Progymnasmata, d. et traduction par
M. Patillon et giancaRlo Bolognesi, Paris, Les Belles Lettres,
1997). Chez le Pseudo-Hermogne aussi, mais Aphthonios les sparait
en deux exercices (cf. Corpus rhetori-cum I, d. et traduction par
M. Patillon, Paris, Les Belles Lettres, respectivement pp. 194-198
; 131-140). Nikolaos de Myra (, d. par J. Felten, Leipzig, 1913,
47.4-58.18; voir la traduction par geoRge a. KenneDy,
Progymnasmata. Greek Textbooks os Prose Composition and Rhetoric,
Atlanta, Society of Biblical Literature, 2003, pp. 154-162) les
groupe aussi.
5 Un des discours funbres les plus clbres lgus par lAntiquit est
lpitaphe dePricls (cf. Thucydide 2.35-46).
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QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 209
( une exhortation engager les rapports sexuels )6. Sopatros,
commentateur dHermogne, parle en outre dun (W5 23.10-11), un
discours pour un dpart en voyage, qui se prononce prs dun
port7.
On ne peut quapercevoir quelles pourraient tre les possibilits
et de quelle ampleur pourraient tre les occasions propices
prononcer un discours pidictique. Toutes ces situations ont en
commun le caractre solennel. Le de la formulation hermognienne
rend-il compte de cette versatilit du troisime genre ? Hermogne
lui-mme enseigne ailleurs quon peut recourir aux encomiastiques qui
conviennent, soit dans lexamen des types de personnes (St. I
7.1-3), lors de lexamen des points capi-taux () du vouloir et du
pouvoir dans ltat de cause de la conjecture(III 7.1-3; III 8.1
sqq.), et dans le point de la qualit, qui se tire aussi de lexamen
de la personne, dans ltat de cause de la dfinition (IV 12.4 sq.).
Donc, le troisime genre nest pas utile strictement pour la seule
production de discours dloge ou de blme.
Tout cela na pas laiss les commentateurs indiffrents. Et des
dbats critiques staient engags ce sujet, du fait de limprcision du
terme . La formulation du rhteur est triple : la rhtorique se
pratique et est utile pour la vie, dans les tribunaux, les
assembles et partout . Luni-versalit de la rhtorique serait-elle
accomplie par le troisime genre ? Il fautavouer quil serait tentant
de le penser. Cela parat vident, du fait de la rhtorique en tant
quune trinit, et forcment tout prolgomne la rhto-rique devait sy
reporter8. QuAristote ait t linaugurateur et lesprit tut-laire de
la division en trinit, voil qui tait, dirait-on, incontournable.
Toute-fois, cela nest pas sr. Dans cette tude on passera en revue
les hypothses avances ce sujet par les exgtes, sans oublier de les
confronter avec les
6 Voir ce sujet RutH WeBB, Praise and Persuasion : Argumentation
and Audience in Epideictic Oratory , in Elizabeth Jeffreys (ed.),
Rhetoric in Byzantium : Papers from the Thirty-Fifth Spring
Symposium of Byzantine Studies, Society for the Promotion of
Byzantine Studies Ashgate, 2003, pp. 127-136, spcialement pp.
129-130.
7 Le texte de Sopatros nous a t transmis travers deux traditions
: la directe, repr-sente par le Marcianus Graecus 433 (Mr), dont le
texte a t dit par C. Walz, Rhetores Graeci vol. V (W5), p. 211 ; et
iindirecte, transmise par le Parisinus Graecus 2923 (Py), texte dit
par C. Walz, Rhetores Graeci vol. IV (W4), pp. 39-846, o on
rencontre des commentaires quon peut attribuer Sopatros, amnags et
mlangs avec dautres de Syrianus et de Marcellinus, et avec encore
dautres de provenance incertaine. La collation entre les deux
traditions permet de voir que le commentateur qui a compos Py cite
abondamment, soit littralement soit en paraphrase, le Sopatros qui
se lit dans Mr (et W5). Il nous faudrait un nouveau texte critique
de ces importants commentaires, mais ce travail devra se fonder sur
la collation pas pas des deux traditions. W5, parfois, corrige le
texte partir de W4, ou de ldition aldine, mais son travail est
quand mme fautif sur plusieurs points. Par exemple, des textes
parallles dans les deux ditions (W4 et W5) ont des ponctuations
diffrentes.
8 Cf. par exemple, le prambule anonyme dit par M. Patillon, op.
cit., 15.6-8 p. 35. Cependant, comme Patillon rappelle (loc. cit.,
n. 79), un systme plus ancien ne distinguait que deux genres, le
dlibratif et judiciaire, et des espces, parmi lesquelles lloge et
le blme. Cf. le tmoignage de Quintilien 3.4.11 propos dIsocrate, le
dbut original de la Rhet. Al., tel quon peut la reconstituer (voir
Rhtorique Alexandre, dition et traduction par P. cHiRon, Paris, Les
Belles Lettres, 2002, pp. LXXXIX ss.). Platon, Soph. 222 galement
ne connat que deux divi-sions, lart du discours judiciaire et celui
de la harangue devant le peuple.
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210 RUI MIGUEL DUARTE
mots mmes dHermogne, qui peuvent fournit en quelque sorte les
cls interprtatives dont on a besoin. Quaurait donc Hermogne
vraiment voulu dire par l ?
2. Que signifie ?
Donnons la parole aux commentateurs. Nous le ferons par ordre
chro-nologique.
Certains anciens commentateurs ont jug quHermogne aurait voulu
parler du troisime genre. Sopatros fait tat de ces avis (W5
9.29-31) : voudrait dire le pangyrique, car, jugent-ils, il y a
plusieurs lieux et occasions pour le pangyrique. Plus bas Sopatros
prcise (W5 23.8-14) : ceux qui pensent ainsi allguent quil y a
beaucoup de lieux et de temps du pan-gyrique, qui est utile en
toutes occasions, par exemple, une oraison pour un dpart en voyage
prs dun port, un pithalame chez soi et une pitaphe prs dun
tombeau.
Sopatros, scoliaste dHermogne et sophiste de la 2e moiti du IVe
sicle9, se heurte ces exgtes. Ils auraient par l, dit le scoliaste,
rfut la dfense que Porphyre avait faite de la dfinition de
rhtorique selon Minucianus (W5 9.14-22). Celui-ci disait que
lorateur parlera de toute question politique 10. Or, Minucianus na
pas expliqu ce quest un orateur, ni ce quest lart oratoire, ni na
parl de la totalit de lart, mais uniquement dune partie, celle des
genres judiciaire et dlibratif. Ce que Porphyre dit de Minucianus,
entend Sopatros, convient aussi expli-quer le propos dHermogne.
Dans la suite (W5 9.23-14.18) Sopatros discute les arguments des
deux cts. Le scoliaste donne des exemples de passages de Dmosthne
et Eschine, et encore de lHistoire prtrite des Athniens o lon
rencontre lloge dans des discours relevant des autre genres (comme
le Sur la cou-ronne) ; en outre, il sengage parfois dans des
raisonnements de nature philo-sophique (par exemple, sur les
rapports entre le genre et les espces). Si longue que cette
discussion soit, on nen citera que quelques extrais pouvant rendre
le plus clairs possible les arguments qui sopposent. Dabord il
expose les objections vis--vis les arguments de Porphyre (W5
9.23-11.29)11.
, , . , , . ,
9 Cf. pour une notice G. A. KenneDy, Greek Rhetoric, pp.
104-109, et S. glcKneR, Sopa-tros (10) , RE, IIIA/1, 1927, col.
1002-1006.
10 Cf. ce sujet M. HeatH, Porphyrys rhetoric , F1a pp. 149 ss ;
et Porphyrys Rhetoric :Texts and Translation , pp. 4 et 2 = 415F
Smith) ; la dfense de Minucianus (cf. Marcellinus frg. F1b Heath =
415bF Smith = R14 293.14-26 Porphyre = W4 35.20-32 ; frg. F1c Heath
= 415aF Smith = Athanase R14 181.13-15. discute par la suite (W5
9.23-14.18).
11 Nous avons amnag la ponctuation du texte, et bien aussi
introduit des corrections au texte.
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QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 211
, 12 . 13 . , [] , ; , , . , , ; [] , . , . , , , , . , , .
Telle est cette dfense. Voyons si elle se tient bien, et
prsentons des argu-ments dans les deux sens, ceux qui soutiennent
cette dfense et ceux qui la rfutent. Les uns la rfutent par esprit
querelleur avec des arguments tels que ceux-ci : il traite de la
totalit de la rhtorique et que laffirmation de Porphyre nest pas
vraie. Premirement, en effet, lauteur lui-mme dit : tant dans les
assembles dlibrantes que dans les tribunaux et que partout. Or,
partout veut dire le pangyrique, car, disent-ils, il y a plusieurs
lieux et occasions pour le pangyrique. Plus loin, il revient sur ce
sujet et dit : il faut employer dans lordre les lieux de lloge qui
leur conviennent, de sorte que lAuteur lui-mme reconnat que le
pangyrique est inclus dans ces deux genres. On peut le dmontrer non
seulement partir de ces lieux, mais aussi de la nature mme des
choses [] Comment donc le pangyrique nest-il pas compris dans ces
parties, ds lors quune question toute entire contienne lloge ou le
blme ? Comment le pangyrique ny est-il pas compris, quand nous
connaissons une rgle gnrale : toute chose et tout art qui partagent
avec une autre chose le mme propos et la mme fin, appartiennent
cette chose dont ils partagent le but et le propos. Si donc le but
du pangyrique est de louer et blmer, et si blmer et louer font
partie du dlibratif et du judiciaire, comment le pan-gyrique nen
ferait-il pas partie ? [] Disons donc que le pangyrique a
desdiffrences par rapport au juridique et au dlibratif, pour autant
il na vrai-ment aucune diffrence par rapport la rhtorique. Ayant
donc intitul son uvre Art rhtorique, il a trait aussi de cette
matire. Car sil lavait intitul Art du discours judiciaire et du
dlibratif, il aurait trait bon droit des parties de la rhtorique.
Mais lannonce du propos nomme et englobe la tota-lit de lart. Et si
on lui accorde quil avait tout pouvoir de ne pas lenglober, cette
omission mme est une faute, ds lors que la fin promise tait dcrire
un trait sur le genre, et quil na crit, ce quils disent eux-mmes,
que sur les espces et non sur la totalit du genre. En effet, le
titre est Art rhtorique et la rhtorique comprend les trois espces,
de sorte quil tait oblig de parler de lensemble. [] Et voil ce qui
concerne la rfutation du raisonnement de Porphyre.
12 : cod. Quand la source des corrections nest pas signale, les
conjectures sont les ntres.
13 Herm. op. cit. I 7.2-3.
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212 RUI MIGUEL DUARTE
Puis (W5 11.30-14.18) Sopatros rfute ces objections et donne
raison Porphyre :
14 15 . 16 , , . 17 18 , . [] , . , , , , . [] . , , - ; . , , ,
. [] , , 19. [] , , ; , , . , , , 20 . 21 , 22 , [] .
Mais si on veut lui donner raison et contrer ces attaques,
rfutons-les et abor-dons chacune delles de la faon suivante. Quand
il dit, comme il le fait, tant dans les assembles dlibrantes que
dans les tribunaux et que partout cela a une autre interprtation,
dont nous parlerons dans notre commentaire23, et cela ne dsigne pas
le pangyrique. En revanche, dire il faut employer dans lordre les
lieux de lloge qui leur conviennent, cela montre que le pangy-rique
nest pas inclus dans son but. [] Quand il dit de les employer au
besoin, il nest pas ds lors en train de les enseigner. Quant
largument que la nature des actes tablit que le pangyrique est
inclus [] nous dirons ceci : toute chose incluse dans une autre
perd sa nature et devient cette chose quelle rejoint et qui
linclut. [] Mais on peut dire la mme chose du pangyrique. Quand
on
14 ego: cod.15 ego: cod.16 ego: cod.17 W5: cod.18 ego: cod.19
ego: cod.20 Mnandre rht. De epideiktiko 423.6-424.2 : cod.21 ego:
cod.22 om. cod.23 W5 23.6-24.5.
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QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 213
lemploie lappui du dlibratif et du judiciaire, il devient ce en
quoi il est inclus et cesse dtre pangyrique : comment serait-il
encore pangyrique sans garder le but du pangyrique ? Ce but inclut
lamplification des bienfaits recon-nus24. Si lon admet que les
procs et les dlibrations servent tablir des faits controverss, mme
si le pangyrique sy trouve examin des milliers de fois, aussi
longtemps quil nest pas examin selon son but, il nest plus du
pan-gyrique. [] Quant leur argument que les espces sont la mme
chose que le genre, et que celui qui traite le genre doit traiter
galement les espces, il nest pas correct : elles sont la mme chose
par le genre, non par la diffrence. Quand on traite une chose toute
seule on na absolument pas besoin de traiter la totalit des choses
; [] Cest cause de cela que la rhtorique est divise en trois
parties, parce que ses espces sont diffrentes entre elles : comment
donc le pangyrique pourrait-il tre la mme chose que le judiciaire
et le dlibratif, sil est une des espces de la rhtorique ? Ds lors
quil est une espce, il nest plus la mme chose, mais il a une
diffrence par rapport aux autres espces. Et il nest pas la mme
chose, parce que le pangyrique a pour espces non seulement lloge et
le blme, mais aussi plusieurs autres, les discours dambas-sadeur,
de couronnement , lexhortation nuptiale, lloge funbre, etc. La
troisime partie nest donc pas la plus dmunie et cela mme entre dans
les autres, selon sa propre nature, ne reprsente pas le pangyrique.
Car ce nest pas la partie qui comprend le tout, mais le tout qui
comprend la partie. [] On est donc daccord que largument de
Porphyre est fort.
Le scoliaste est ferme : linterprtation de Porphyre tient ; nest
pas le pangyrique ; et mme quand on fait usage des ressources de ce
genre dans des discours relevant des deux autres, elles cessent
dtre pangyriques et deviennent une autre chose.
Plus bas Sopatros revient sur la question (W5 23.8-32) ; dabord,
sur lavis de ceux qui disent que le pangyrique est impliqu dans ,
parce que celui-ci a plusieurs lieux et temps (W5 23.8-10 lemme I
1.3-5 ). Pour lui, en revanche, le terme a une plus largetendue. Et
il explicite (W5 23.27-29) : ainsi que pour et (I 1.1), le terme na
dautre propos que de faire la louange de larhtorique, et de
souligner, par rapport la dernire partie de la dfinition
traditionnelle de lart ( cf. St. I 1.4 ), que son champs
dapplication est universel et ne se restreint nullement ces deux
seuls lieux et occasions, cest--dire, aux assembles et aux
tribu-naux. Il ny a donc pas aucun rapport avec le pangyrique.
Le Sopatros de la tradition indirecte (W4 52.25-30 lemme I 1.1-7
) reporte aussi que certains pre-naient comme une rfrence au
dlibratif et au judiciaire ( , ).
24 Voir W5 16.22-23. Dorigine inconnue, cette dfinition est
traditionnelle : sur le cf. Nicolas de Myra, Progymnasmata
37.8-9,11 Prolgomnes anonymes Hermo-gne, W6 14-16, Prolgomnes au
dHermogne (du cod. Par. 3032) R14 230.3-4, Prolgomnes anonymes au
dHermogne, ib., 246.13-15, Commentaires la rhto-rique dHermogne ib.
293.11-13, Jean Doxapatre, Prolgomnes au dHermogne, ib., 312.22-24
; sur l cf. Mnandre le rhteur ed. D. a. Russell et n. g. Wilson
368.4, Nikolaos de Myra, loc. cit., 37.8-9,11, Anonyme,
Commentaires au dHermogne R14 185.16-17, Introduction la rhtorique
dHermogne, ib., 293.21.
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214 RUI MIGUEL DUARTE
En effet, , on peut faire des dmonstrations non seulement dans
les assembles ou dans seuls tribunaux, mais aussi partout .
galement Syrianus (R2 9.24-10.8 lemme I 1.3-5 = W4 45.7-46.2),
au sicle suivant25, lui aussi commentateur dHermogne, voit plus
au-del. On peut concevoir le pangyrique en deux sens. Dabord, on
dit pangyrique au lieu dune autre chose, par exemple, dhymnes aux
dieux, de louanges dhommes vivants ou dcds, dexhortations, de
chants funbres, de rpr-hensions pour immoralits et dloges de la
vertu. Dautre part, il peut tre combin avec les autres genres, le
judiciaire ou le dlibratif26.
Dans la suite (R2 10.8-15 = W4 46.2-10), le commentateur soccupe
pro-prement de . A son avis, le terme concerne les trois genres
rhto-riques, aussi bien dans les occasions publiques dans les
assembles et les tribunaux, et aussi au thtre , que dans les prives
, dans le priv, des pres aux fils, des matres aux disciples, des
amis ses compagnons, on met en lumire la conduite suivre, on loue
la bonne conduite et on dcide pour le mieux de ce qui est juste .
Cela dit, le ne renvoie srement pas strictement au troisime genre,
dont il ne parle pas, mais le dpasse. Cela signifie que la
rhtorique peut tre utile dans tous les domaines et pour toutes les
affaires de la vie sociale. Il faut conclure : les genres dlibratif
et judiciaire dpassent les troites frontires des assembles et des
tribunaux pour simpliquer au sein des rapports humains les plus
intimes. En effet, que cest que conseiller une telle ou telle
conduite, sinon le but du dlibratif ; ou que cest que louer les
bonnes actions, sinon pratiquer le pangyrique ;
25 Cf. G. A. KenneDy, op. cit, p. 109-112. Ldition des
commentaires de Syrianus Hermo-gne, , est celle de H. RaBe,
Rhetores Graeci vol. II, Leipzig, Teubner, 1893 (R2).
26 Les exemples donns sont Sur la couronne de Dmosthne (de lan
337 av. J.-C.), pour le discours dlibratif, et le Pangyrique
dIsocrate (380 av. J.-C.), de discours judiciaire. MaisSyrianus a
srement tort. Le texte parallle, dit le contraire, avec raison : le
premier est judi-ciaire, ce dernier dlibratif. Le premier a t plaid
comme dfense contre un procs juri-dique ouvert que lui avait t
ouvert par Eschine. Il vaut nanmoins la peine rapporter ce que dit
lAnonyme P des combinaisons de diffrents genres rhtoriques dans le
mme et seuldiscours, notamment le Sur la couronne (1.23.1-5 daprs
les texte critique de R. M. O. DuaRte, Comentrios au tratado sobre
os estados de causa por autor annimo, Aveiro, Universidade de
Aveiro, 2006 = W7 116.5-10, lemme St. I 3.5) : , , . , , , , , .
Quand le discours est complexe, on peut tout y ren-contrer, comme
dans Sur la couronne. En effet, dans ce discours on rencontre les
trois espcesrhtoriques. Le but envisag par lui est la justice, qui
est du judicaire propre, mais il est confirm grce au pangyrique,
son tat de cause est le pragmatique, qui appartient proprement au
lieu de lopportun, celui-ci tant le but que le dlibratif vise. Le
commentaire de lAnonyme ne veut pourtant pas dire que le Sur la
couronne puisse tre pris pour un discours dlibratif, tant donn les
circonstances o il a t prononc ; il doit tre compris comme un loge
ce discours, si parfait qui comprend en lui-mme des caractristiques
des trois genres. Le Pangy-rique dIsocrate, son tour, en dpit de
son nom, est surtout et sans aucun doute une harangue, prononc
devant les pangyries (assembles solennelles) dAthnes ; son but tait
de conseiller (le but propre du dlibratif) les Athniens et les
Grecs mettre fin leurs dissensions et se rassembler contre le
danger perse.
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QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 215
ou do vient quon juge, quon prononce un avis sur ce qui est ou
non juste, sinon de ce que les juges font dans les tribunaux ?
Un autre commentateur que notre rhteur, vivant au mme sicle de
Syrianus, Marcellinus (W4 57.9-58.27 lemme I 1.4-5)27, pense le
contraire.Il fait dabord tat de lavis dautres, qui jugent
quHermogne ne parle pas du pangyrique. Cest un avis quil contre,
affirmant (W4 58.3-5) quil ny a rien dabsurde ce que se rapporte au
pangyrique. Le techno-graphe, pense-t-il (W4 58.9-12), na pas
utilis le mot pangyrique, car sil lavait fait, il aurait montr le
nom seul. Que signifie le pangyri-que se voit du fait que celui-ci
se combine avec dautres genres cela en opposition ce que jugeait
Sopatros, quune espce, quand elle se combine avec dautres, y est
absorbe. Hermogne dit pangyrique pour montrer sa qualit (W4 58.
11-12). Et il explique (W4 58.12-27)
, , , . [], , , , . , . , .
En effet, avec partout cest le pangyrique qui est appel, non
seulement parce quil est nomm en son propre nom dans de plusieurs
lieux, mais parce que le judiciaire mme et le dlibratif se forment
du pangyrique. En effet, il y faut que les accusateurs dnigrent et
pareillement que les conseillers louent ou blment. Si quelquun dit
quon rencontre un dlibratif dans le pangyrique aussi [], alors si,
dit-il, la raison pour laquelle partout dsigne le pangy-rique, cest
quil se combine aux autres espces, il aurait d, tant donn que le
dlibratif se mle aussi au pangyrique, employer pour le dsigner le
mot partout. Nous dirons donc que si on spare le dlibratif du
pangyrique, il reste encore le pangyrique. En revanche, si on spare
le pangyrique du judi-ciaire et du dlibratif, on nest plus en
conditions de se servir de ces deux espces.
Luniversalit de la rhtorique saccomplit donc au moyen du
pangy-rique, celui-ci est le genre de base de ldifice du discours
rhtorique. Sans son concours rien ne subsiste, mais il peut
subsister tout seul.
Les scolies anonymes P28 interprtent aussi comme rfrence au
pangyrique 1.11.1-23 = W7 108.20-109.24 (lemme I 1.4-5). Le
commen-
27 Pour une notice cf. G. A. KenneDy, op. cit, pp. 112-115.28 La
dsignation P, valant pour une famille de scolies, compos de Pa
(Parisinus Graecus
1983) et Pc (Parisinus Graecus 2977), est due H. RaBe, Rhetoren
Corpora , RhM, 67, 1912, p. 323. De Pa nous avons plusieurs
descendants ; en revanche, de Pc on nen connat aucun. Pour une
dition critique partielle de ces scolies, correspondant W7 (cH.
Walz, Rhetores Graeci,vol. VII, pp. 104-245) cf. la thse R. M.
DuaRte, op. cit. Pour une mise jour de la connais-sance des
rapports entre les manuscrits et la proposition dun stemma codicum,
cf. idem, The transmission of the text of the P scholia to
Hermogenes , RHT, n. s. vol. V, 2010,
-
216 RUI MIGUEL DUARTE
taire traverse, comme celui de Sopatros, les voies de la
philosophie. Par exemple, son avis les mots dHermogne concernent
forcment les trois genres, et le scoliaste voit comme raison quils
relvent des trois parties de lme, selon le modle de la psychologie
platonicienne, exprim dans de Phaedrus (le mythe du cocher) et dans
Rep. 439d-e et 440e-441b. En effet, on doit aussi Platon la
formulation dun art oratoire reposant sur la psycho- logie,
notamment cause de ladquation des moyens de persuasion chaque type
psychologique particulier (Phaedrus 271a-272b), ce qui a influenc
toute la thorie rhtorique des affectus depuis Aristote (Rh. livre
2). LAnonyme crit :
, . , , . , . . , , , , , . . . [] , . . , , , [] , , . , .
Par ces termes le technographe montre que les espces de
rhtorique sont trois, limitation des trois facults de lme. Je dis
la rationnelle, lirascible et la concupiscente. De cette manire,
lespce dlibrative relve de la ration-nelle, la judiciaire de
lirascible et la pangyrique de la concupiscente. Si en effet toutes
les espces se font prsentes dans toutes ces facults, chaque espce
convient mieux, au moins, la partie de lme laquelle elle est
particu-lirement attache. Quand il dit tant dans les assembles, il
prsente lespce dlibrative ; et quand il dit que dans les tribunaux,
il prsente la judiciaire ; enfin, par lexpression et que partout ,
il fait rfrence la pangyrique, car cette espce de discours se rpand
partout. Cela est vident par les buts mmes. En effet, le but de la
pangyrique est ce qui est noble, qui apparat en mme temps que les
buts des autres espces, savoir: lopportun, qui est le but de la
dlibrative, et le juste, le but de la judiciaire. On dit que
lopportun et le juste sont nobles. Mais on ne peut pas dire que le
noble soit du tout opportun, ni mme juste. [] Certains disent que
lespce pangyrique ne se montre pas au moyen de lexpression et que
partout, parce que le propos du rhteur est les tats de cause et que
dans le discours pangyrique aucune cause nest en
pp. 25-42. P au IXe sicle (cf. le stemma M. Patillon, Corpus
rhetoricum II, p. LXXXVI) continueet enrichit le travail de
compilation et amalgame de sources, qui, pour lessentiel, avait t
fait avant la fin du VIe (cf. idem, Corpus rhetoricum I, p. LXVI,
et Anonyme de Sguier : Art dudiscours politique, Paris, Les Belles
Lettres, 2005, p. XVII ss ; et R14, p. XXII). Patillon dsigne ce
travail, par un compilateur anonyme, comme .
-
QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 217
dbat. Pourtant, en premier lieu, lexpression et que partout
serait apparem-ment superflue. Deuximement, les tats de cause ne
sont pas toujours absents de lespce pangyrique, mais il arrive
quelle discute aussi une cause, comme dans le discours pangyrique
politique [] De cette manire, pour mettre en relief lespce
pangyrique, il crit et que partout, parce que nous dlibrons dans
les assembles, que nous jugeons dans les tribunaux et que nous
dcla-mons des pangyriques partout.
Les deux premiers genres sont contenus dans le troisime
loppor-tun et le juste sont nobles ; mais celui-ci nest pas contenu
dans les autres tout noble nest pas forcment opportun ou juste, il
est plus que ceux-ci. Et de nouveau aux deux premiers genres
rhtoriques sont attribues des circonstances prcises, tandis que le
troisime gagne la prminence, cest lui le genre rhtorique vraiment
universel.
Le dernier commentateur, notre connaissance, avoir abord cette
question tait Maxime Planude (W5 235.6-13 lemme I 1.5 ), au XIIIe
sicle. Ce commentateur est du mme avis de Marcellinus : est le
pangyrique. Mais cela permet deux interprtations : lune, parce quon
peut prononcer un loge soit dans les deux autres types de discours,
soit partout ; lautre, que le rhteur emploie ce terme la place de
tous autres types darts verbaux, tels que le potique ou le
dialectique. Comme chez Syrianus, cet emploi est admis par
synecdoque. Quoi quil en soit, on ne plaide ni on ne dlibre
partout, mais ou peut louer partout. Luniversalit de la rhtorique
est atteinte grce au pangyrique.
3. Le troisieme genre : un genre a part
Lintelligence des intentions dHermogne est, comme on a vu,
varie. Nanmoins, elle ne peut pas se passer dun retour au dbut, dun
examen du propos et du programme du rhteur.
Voyons donc (I 2) :
, .
Je ne parle pas de la division des genres en espces ni de celle
des touts en parties ; sans doute cela nest pas une petite partie
de la rhtorique ; toutefois notre propos pour linstant ne sera pas
celui-l, mais la division des questions politique en ce quon
appelle les points.
A lpoque dHermogne on connaissait trois genres (dlibratif,
judi-ciaire et pidictique ou pangyrique). Chacun de ces genres se
divisait en deux espces, respectivement, lexhortation et la
dissuasion, laccusation et la dfense, lloge et le blme. Les
discours produits partir de chaque espce taient leur tour des
touts, chacun deux pouvant avoir des parties, en plus ou en moins
grand nombre en fonction de chaque cole et thoricien29.
29 Cf. ib., p. 84 n. 2.
-
218 RUI MIGUEL DUARTE
Il parat invitable de rappeler la dfense par Porphyre de la
dfinition de la rhtorique de Minucianus, laquelle Sopatros juge
pouvoir sappliquer aussi bien au propos de notre rhteur : il ne
parle pas de la totalit du systmerhtorique, mais dune partie prcise
de lart30.
Quest quun question politique ? Le savoir est essen-tiel pour
saisir quelle est lampleur du propos du technographe. Hermogne le
dfinit ainsi (I 3.1-5) :
, ,
Et dabord il faut dire ce quest une question politique : cest
une contesta-tion en paroles et particulire fonde sur les lois
tablies dans chaque pays et portant sur ce qui est tenu pour le
juste, sur le beau ou lopportun, soit sur tous la fois, soit sur
les tels ou tels.
LAnonyme P lexplique ainsi (An. P 1.17.6-7 = W7 112.23-113.1
lemme I 2.4-5) : Il appelle question politique ltat de cause :
politique, parce que le point en dispute a en vue la situation de
la vie poli-tique . Donc, les affaires politiques sont celles de la
, de la vie de la cit31.
La formulation hermognienne permet au pralable deux
constatations. Dabord, cette liaison intime entre une certaine
conception de la rhtorique et les questions politiques pourrait tre
rapproche bien videmment dela dfinition quen donnait lcole
dHermagoras le Jeune (rapporte par Sopatros W5 15.16-18 : les
disciples dHermagoras disent quelle est la comptence de bien parler
propos des questions politiques 32. Ceci montre quHermogne aurait
pu peut-tre se laisser influencer par Hermagoras, ou au moins par
une tradition commune aux deux. La deuxime hypothse, qui serait
plutt la vraie, aurait pu remonter Hermagoras lAncien, puisque des
tmoins de ce Hermagoras reportent la formulation (cf. Sextus
Empiricus, Adu. math. II 62 [p. 96.9-11 MutscHMann-Mau, Hermag. Mai
T 1233]), qui dclare que la tche de lorateur est de traiter dune
manire aussi persuasive que possible la question politique pose
.
En outre, la formulation hermognienne touche la rhtorique mme et
son rle, notamment parce que dans la suite (I 3.5-7) Hermogne
oppose la recherche du juste, du beau ou de lopportun relatifs et
partiels celle des
30 Cf. le commentaire de Jean Doxapatre (d. F. WoeRtHeR,
Hermagoras. Fragments et Tmoignages, Paris, Les Belles Lettres,
2012, Hermag. Min. T 5 [= III 4b MattHes], qui cite des exgtes qui
disaient que par ces mots Hermogne visait ses rivaux dans lart
Hermagoras (le Jeune) et Minucianus. Celui-ci est un contemporain,
quoique plus g, dHermogne.
31 Cf. linterprtation de VolKMann, Die Rhetorik der Griecher und
Rmer, 1885, p. 13.32 Cf. le commentaire de F. WoeRtHeR, op. cit.,
Hermag. Min. T 3 et pp. 174 ss.33 Cf. le commentaire ibid., pp. 71
ss.
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QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 219
vrais ( )34 : cette distinction est au cur de lopposition
tradition-nelle entre la rhtorique et la philosophie, vieille de
plusieurs sicles35.
Et chez les commentateurs elle a suscit bien de divergences
dopinion, qui renvoient au sujet de notre tude. Apparemment
Hermogne parle de la rhtorique et de la trinit des genres de
discours, car il en cite les fins coutumires : le juste, du
judiciaire ; le beau, de lpidictique ; lopportun, du dlibratif. Et
quelques-uns ont estim quil parlait videmment de la tri-nit des
genres, comme le rapporte Sopatros W5 31.18-21 (lemme I 3.3-5). Le
scoliaste rfutera plus bas (W5 32.3-20) cette interprtation. A son
avis le but dHermogne nest pas de dfinir la rhtorique en gnrale, ni
ses divi-sions en espces, mais dexposer ce quest la question
politique :
, , , . , . , , . , . | . o . ; 36
Ceux qui disent quil traite des trois espces oratoires, ne se
rendent pas compte quils oublient le principal, savoir que son but
nest pas de dfinir la rhtorique, dont ces termes reprsentent les
espces, mais la question poli-tique. Et le principal est que lloge
nest pas une question, mais plutt un bien reconnu. Et sils parlent
de conflit sur le beau, en disant, par ignorance de la nature du
pangyrique, quil dsigne par ces mots le pangyrique, ils en
igno-rent en outre la dfinition. En effet sa nature ne connat pas
un conflit, mais un loge et une amplification des mrites reconnus
quelquun, raliss dans le pangyrique. Et la dfinition de lloge est :
amplification de mrites reconnus.On est donc daccord quil ne traite
pas des trois espces de la rhtorique. Comment en effet aurait-il pu
vouloir en traiter, lui qui a dit plus haut : je ne parle de la
division du genre en espce ni de celle du tout en parties ? 37
34 Et aussi les universels, cf. a propos de cette affirmation
dHermogne lAnonyme P 1.21 = 114.3-115.9.
35 Cet antagonisme entre la rhtorique et la philosophie, dfinie
en de tels termes, remonte la systmatisation faite par Hermagoras
lAncien. Cf. F. WoeRtHeR, op. cit., Hermag. Mai., T 17 et le
commentaire p. 91 sq. Cf. M. HeatH, Hermogenes On Issues.
Strategies of Argument in Later Greek Rhetoric, Oxford, Clarendon
Press, 1995, p. 62 dpouille comme suit la dfinition hermo-gnienne
de la question politique, en fonction de contenus et perspectives,
qui peuvent tre particuliers : les hypothses sont opposes aux
thses, qui sont gnrales ; pratiques : le juste, le beau et
lopportun concernent des actions humaines et sopposent aux question
thoriques ; relatifs : cette question concerne une action donne en
fonction des rgles et normes dune com-munaut donne, en opposition
aux questions philosophiques, qui sont universelles et
absolues.
36 La ponctuation a t amnage.37 Au XIe sicle, Jean Doxapatre
jugeait correcte une autre interprtation, selon laquelle
chacun des trois concernait un genre de question : le juste, les
qualifications judiciaires ; le beau, les lgales ; lopportun, les
pragmatiques. Cest une interprtation qui ne tient plus la
grande
-
220 RUI MIGUEL DUARTE
Dans le pangyrique on ne soulve pas normalement des questions ou
des conflits, il en est par consquent exclu du but du
technographe.
Avanant dans le dpouillement de son propos, Hermogne divise ltat
de cause de la (qualification rationnelle) en deux (II 4-5) : si
elle a affaire un acte futur, on aura un tat de cause pragmatique ;
si elle porte sur un acte pass, on aura une qualification
judiciaire. On reconnat bien l lune des distinctions entre le
discours dlibratif et le judiciaire, celle en fonction du temps
futur ou pass. Le temps prsent, qui appartient lpi-dictique, en est
absent38. En plus, toute la division des tats de cause, et aussi
les exemples de cas traits pour des dclamations dcole, ne
concernent que des causes de droit ou des actions politiques
engager. On na donc pas que les deux premiers genres de discours,
le pangyrique y est hors toute consi-dration.
4. Conclusion
Certains ont compris que se rapportait au genre pangyrique.
Dautres ont jug quil ny avait pas de raisons pour y voir le moindre
signal dune telle exgse. Selon ceux-ci la proposition mme du sujet
du trait par son auteur le rend clair. Son intention nenglobe pas
toute la rhtorique, mas la seule question politique ; celle-ci
concerne les situations de la vie com-munautaire, les dbats qui
portent sur des valeurs sur lesquelles la socit est btie, et qui
rglent les rapports sociaux. Cest--dire, la rhtorique des assembles
et des tribunaux. Le troisime genre ne comprend en principe pas de
contestation, il est donc exclu du jeu.
Cela, nanmoins, ne veut pas dire que le pangyrique soit du tout
man-quant ; au contraire, le praticien des discours avait les lieux
de lloge disposition pour ses plaidoyers ou ses harangues. Si le
pangyrique, pour quelques-uns (cf. Sopatros W5 32.17-18), est
lamplification de mrites recon-nus, il est facile de voir quelle
est son utilit, par exemple, pour lexamen des personnes dfinies
(dans ltat de cause de la dfinition St. IV 12.4 sq. ;cf. aussi I
5.3-5). Les genres peuvent se mlanger dans un mme et seul
discours39, comme dans la rhtorique sophistique dcole de la Seconde
Sophistique, qui tait cense imiter et prparer les discours de la
vie relle (St. I 1.4 ), et da laquelle Hermogne est un bon exemple.
C'est une
division trinitaire de la rhtorique, mais au systme des tats de
cause. Il cite cette interprta-tion propos dHermagoras lAncien, qui
affirmait que la rhtorique avait pour objet la dlib-ration et le
procs lgal (T 33 = III 5 MattHes). Sur le commentaire de Doxapatre
aux dHermogne, cf. S. glcKneR, ber den Kommentar des Johannes
Doxapatres zu den Staseis des Hermogenes, Kirchhain N.-L.,
Schmersow, 1909.
38 La distinction a t tablie par Aristote, Rh. I 3 1358b, o
nonobstant il est aussi ques-tion du troisime genre.
39 On peut rencontrer des causes pangyriques, cf. lanonyme P
1.23.10-13 = W7 116.18-22. Voir le commentaire de M. Patillon, op.
cit., p. 86 n. 6. En outre, il ny a pas de discours relevant de
genres purs, les genres se mlangent. Par exemple, le Sur la
couronne de Dmos-thne est dlibratif par ltat de cause, judiciaire
par la fin, mais utilise le pangyrique pour la confirmation. Le
Contre Leptine est pragmatique par ltat de cause dlibratif,
envisageant lopportun, mais sa fin est judiciaire (voir ibid.
1.23.1-8 = W7 116.5-15).
-
QUELLE EST LTENDUE DE LA RHTORIQUE SELON HERMOGNE ? 221
rhtorique, parfois spcieuse, qui samusait avec un monde fictif
que D. A. Russell a dnomm comme sophistopolis, le monde artificiel
des Sophistes, habit de ses personnages-type, ses lois, ses
histoires, ses cas juridiques et dlibratifs pour exercices
artificiels dcole et pour le plaisir des dbats et des
controverses40, les ou declamationes publiques. L, les sujets
taient restreints des pices dloquence dlibrative ou juridique. Le
troi-sime genre en est cart. Mnandre-le-Rhteur 331.16 ss. Sp.)41 le
dit dans lintroduction de son livre sur le genre pidicti-que, dont
lobjet exclut les dmonstrations () dloquence poli-tique : qui sont
les locutions profres par les Sophistes ; cest la (des exercices
pratiques de dbats), un discours pidictique (). La sparation entre
les deux genres politiques, dun ct, et le troisime de lautre,
devient claire42.
40 Cf. ce sujet le livre classique de D. A. Russell, Greek
Declamation, Cambridge,Cambridge University Press, 1983, les deux
premiers chapitres (pp. 1-38). Le double rle des est soulign (pp.
12-15) : en tant quexercice pratique; et en tant que littrature
imagina-tive. Il est impossible de crer en cole les tensions des
tribunaux, les motions relles, lodeur de la culpabilit et du dol.
Un grand nombre dauteurs anciens ont effectivement dnonc ces
exercices comme des fraudes. Un autre aspect de la littraturisation
de la pratique est que les dclamateurs ne parlaient pas en leur
propre nom, mais comme sils taient des personnages historiques du
pass ou de personnages-types, au sujet de cas qui navaient que peu
dutilit pour la vie concrte et pour la majorit des lves de
dclamation de lcole hellnistique et romaine. Voir en particulier le
tmoignage de Synsios De insomniis 20 (403-404 aprs J.-C.), o il
raconte quil avait assist une chaleureuse altercation entre un
vieillard de quatre-vingt-dix ans et un autre orateur dans un thtre
public, sur un sujet fictif. Ce vieillard tait Libanios, lun des
plus renomms reprsentants de la Seconde Sophistique.
41 Russell, op. cit., p. 10.42 A la dernire partie du trait
380-413 (d. H. RaBe, Hermogenis opera,
Leipzig, Teubner, Rhetores Graeci vol. VI, Leipzig, Teubner,
1913), qui accompagne le comme les deux seuls traits authentiques
du corpus hermognien (cf. M. Patillon,La thorie du discours chez
Hermogne le rhteur. Essai sur la structure de la rhtorique
ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1988, p. 13, e Corpus
rhetoricum I, p. 166), le rhteur, lorsquil disserte propos de la
catgorie stylistique de la (lhabilet), caractrise les genres
rhtoriques.Il en distingue trois types : lloquence politique ( ),
lloquence politique pure ( ) et lloquence pangyrique pure ( ).
Cette distinction com-plique apparemment les choses, dautant plus
parce quHermogne, lorsquil oppose (388.15 sq.) le discours
pangyrique et le politique, parle dun style mixte, le politique
pangyrique ( ). Ce discours est lintersection de deux ensembles (M.
Patillon, Hermogne, lart rhtorique, Paris, LAge dHomme, 1997, p.
486, n. 2). En effet, dit Hermogne quil existe des questions la
fois politiques et pangyriques. Politique, ici, il faut comprendre
le dlibratif. Les limites des discours ne sont pas toujours
claires. Nanmoins, Hermogne tranche : il y ena aussi dautres
discours purs, quil traite aprs. Deux choses sont retenir ici :
dabord, ladsignation peut se confondre avec le tout court ; dautre
part, lopposition, / . Telle opposition est renforce par le
dpouillement du plus beau discours pangyrique (387.5-395.2), dont
le meilleur reprsentatif en prose est Platon, comme Dmosthne est le
modle du discours politique (380.20 sq.). La posie, dit-il, est
gale-ment un type de pangyrique, et le plus pangyrique de tous les
discours (389.7-9). Les types de discours sont dcrits en fonction
de leur style (cf. St. I 25.5-9). Le traitement que en donne
Her-mogne montre bien le fait quon se trouve en pleine route vers
une rhtorique qui est de plus en plus laffaire de littrature (cf.
C. Ruiz MonteRo, Hermgenes, Sobre las formas de estilo, trad.
espagnole, Madrid, Gredos, 1993, p. 68). Et cela, en effet, rend
plus nette lopposition fondamen-tale entre ces deux rhtoriques :
lune qui est pratique (le ), lautre qui est au un sens large le ,
au caractre festif qui est propre de toute littrature de type
ludique (Patillon op. cit., p. 484, n. 1).
-
222 RUI MIGUEL DUARTE
Et juste titre, dirai-t-on, car seuls les deux premiers genres
sont un terrain par nature fertile engager des polmiques.
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introduction, texte, traduction et commentaires, Paris, Les Belles
Lettres, 2012.
aBStract: In the preface of his treatise , Hermogenes explicitly
mentions the usefulness of the art (i.e. rhetoric) to deliberative
and forensic issues (the first two species of rhetoric speech), and
also (in every occasion). In Hermogenes view what does exactly
means? That is the problem. Hermogenes scholiasts were not
indifferent to it and they discussed it. Would it refer to the
third species (the panegyric or epidictic), as one would logi-cally
presume? If that is so, the panegyric has a larger spectrum of
speech situations. This inter-pretation has been put under fire:
this could be interpreted otherwise, Hermogenes was not addressing
the panegyric at all. The various interpretations on the matter
shall then be brought to light, confronting them one with the
others and with Hermogenes own words.
Key WordS: Hermogenes ; panegyric; in every occasion .