Convention de subvention 12-MCGOT-GICC-4-CVS-043 2012 – n° 2100 897 989 Projet ADAPTATIO Livrable 2.2 Utilisation de l’analyse économique pour l’évaluation de l’adaptation et de la non-adaptation au changement climatique : une approche par les coûts appliquée au cas d’un quartier urbain d’aménagement
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Convention de subvention 12-MCGOT-GICC-4-CVS-043
2012 – n° 2100 897 989
Projet ADAPTATIO
Livrable 2.2
Utilisation de l’analyse économique pour l’évaluation de
l’adaptation et de la non-adaptation au changement
climatique : une approche par les coûts appliquée au cas
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Toute citation d’extraits ou reproduction doit obligatoirement faire apparaitre la référence de ce document sous la forme :
GARABETIAN, T. LESEUR, A. (2015) Projet ADAPTATIO : Utilisation de l’analyse économique pour l’évaluation de l’adaptation
et de la non-adaptation au changement climatique : une approche par les coûts appliquée au cas d’un quartier urbain
d’aménagement, mars 2015, X p.
1 Les auteurs remercient Olivier BRODIN, chargé de recherché à CDC Climat pour son travail préparatoire, ainsi
que Guillaume SIMONET, chargé du projet ABSTRACT-colurba à CDC Climat pour ses commentaires. Ils remercient également A Bernard, E Pfliegersdoerfer (Eau de paris), B Vinatier, M Dileseigres et M Baron (CPCU) et C Ladaurade (Climespace) pour leurs apports mais restent responsables de toutes erreurs et omissions.
L’adaptation au changement climatique est une notion complexe et vaste. A l’échelle internationale
elle est souvent placée au second rang par rapport aux enjeux de l’atténuation du changement
climatique. Il a ainsi fallut attendre la 16eme conférence des parties de la CCNUCC à Copenhague en
2009 pour que les problématiques liées à l’adaptation apparaissent dans un sommet international
majeur. Depuis, de nombreux progrès ont été fait quand à la définition, la compréhension et la mise
en place de l’adaptation au changement climatique. Le volume de travaux scientifiques sur les
problématiques de l’adaptation est tel que le second volume du 5eme Rapport du GIEC (2014), dédié
aux impacts du changement climatique et à l’adaptation, a dû être divisé en deux (un volume pour
les enjeux sectoriels, et un pour les aspects régionaux).
Le projet ADAPTATIO porte sur l’étude de solutions d’adaptation à l’échelle d’un quartier
d’aménagement urbain. Or, l’étude de l’adaptation est une problématique complexe : il s’agit d’un
sujet difficile à définir, et qui se rattache à un ensemble de concepts aux définitions parfois fuyantes.
Ainsi, pour pouvoir étudier les enjeux économiques liés à l’adaptation au changement climatique,
nous devons définir l’adaptation et de clarifier le contexte dans lequel elle s’inscrit. En particulier,
nous devons définir les aspects économiques de l’adaptation : quels sont les coûts de l’adaptation ?
Quels sont les bénéfices de l’adaptation ? En outre, l’étude d’une situation d’adaptation au
changement climatique implique de définir ce en quoi consiste une situation de non-adaptation au
changement climatique. La question des liens entre ces deux notions doit également être clarifiée.
En outre, l’adaptation d’un quartier d’aménagement urbain implique de considérer une échelle
temporelle de long terme. Ajoutée à l’incertitude qui caractérise l’évolution du climat dans un
contexte de changement climatique, elle implique de réaliser une analyse approfondie des
conséquences des actions entreprises pour adapter la zone, tant sur le plan économique que
matériel : quel effets vont être le résultat de la mesure ? Son implémentation fait-elle sens
économiquement ? Y-a-t-il un risque de produire des effets négatifs ?
2. Définition de l’adaptation, de la non-adaptation et des coûts associés :
synthèse de la littérature
La démarche retenue pour ADAPTATIO est de proposer une évaluation économique de différentes
solutions d’adaptation dans le contexte du changement climatique au niveau local, afin d’identifier
dans quelle mesure celle-ci peut avoir un rôle d’aide à la décision pour les acteurs locaux. Il s’agit plus
précisément d’évaluer les coûts d’une situation de non-adaptation et de les comparer avec les coûts
de différentes solutions d’adaptation afin d’éclairer le choix des acteurs et identifier les éléments clés
qui déterminent ou guident leurs décisions quant au choix et à la mise en œuvre de solutions
d’adaptation.
Evaluer les coûts de la non-adaptation et de l’adaptation au changement climatique à l’échelle d’un
quartier ou d’aménagement urbain implique de définir certains éléments. En premier lieu, il est
important de définir les notions d’adaptation et de non-adaptation (section 2.1), puis de définir les
coûts à considérer (section 2.2).
6
2.1 Difficulté de la définition de la non-adaptation et de
l’adaptation
L’adaptation
Contrairement à l’atténuation du changement climatique, qui vise la réduction des émissions de gaz
à effet de serre, quantifiable en termes de tCO2eq, l’adaptation au changement climatique est un
concept qui présente une définition plus difficile à appréhender. Plusieurs raisons expliquent cela
parmi lesquelles : l’adaptation est un terme polysémique comportant un historique sémantique
chargé qui est utilisé dans de nombreuses disciplines comme la biologie, la psychologie, la
géographie ou la sociologie (cf Moser 2012, Simonet 2009) ; l’adaptation recouvre à la fois un vaste
ensemble de stratégies continues (adaptation vu comme un processus) et d’actions
arrêtées (adaptation vu comme un état figé, comme une solution finale) dans le temps (Piaget
1967) ; l’adaptation est d’autant plus difficile à appréhender que l’incertitude reliée au futur est
grande. En outre, l’adaptation au changement climatique impliquant au minimum une entité et son
environnement aux multiples composantes avec lequel elle interagit de différentes façons directes et
indirectes, il est délicat d’identifier des mesures de n’ayant aucune relations avec d’autres sphères
(par exemple des actions d’adaptation au changement climatique peuvent entraîner d’autres effets,
sur le développement, la lutte contre la précarité ou l’efficacité énergétique ou encore, des actions
peuvent s’avérer avoir des effets d’adaptation malgré une motivation première déconnectée de la
problématique climatique).
Malgré cette complexité, le Groupe d’experts Intergouvernemental de l’Evolution du Climat (GIEC),
l’organisme scientifique de l’ONU en charge du suivi des éléments scientifiques liés au changement
climatique, définit l’adaptation dans son 5eme Rapport d’Evaluation (2014) comme « le processus
d’ajustement au climat actuel et anticipé, ainsi qu’à ses effets2. » Ainsi, l’adaptation concerne en
particulier les systèmes humains (villes, quartiers, économie, industrie, agriculture, pays, etc.) où elle
« cherche à modérer les impacts négatifs ou à exploiter des opportunités3. » tout en concernant les
systèmes naturels (par exemple les écosystèmes). Dans ce cas, l’adaptation peut être spontanée ou
le résultat d’interventions humaines qui « [peuvent] faciliter l’ajustement au climat anticipé. ».
La notion d’adaptation recouvre deux types d’actions de natures divergentes, mises en avant dans le
dernier rapport du GIEC. D’une part, l’adaptation incrémentale, définie comme « les actions
d’adaptation dont le but principal est de préserver la nature et l’intégrité d’un système ou d’un
processus à une échelle donnée4 ». Ici, l’adaptation recouvre le spectre d’ajustements qui ont pour
objectif de préserver un mode de vie ou un niveau de confort – par exemple – face aux impacts du
changement climatique ; il s’agit de la conception la plus répandue de l’adaptation. A l’inverse,
l’adaptation transformationnelle, soit « l’adaptation qui change les attributs fondamentaux d’un
système en réponse au changement climatique et à ses effets5 », correspond à des mesures qui
2 Glossaire du volume 2 du 5eme Rapport d’Evaluation du GIEC (2014): « the process of adjustment to actual or
expected climate and its effects. In human systems, adaptation seeks to moderate harm or exploit beneficial opportunities ». Traduction de l’anglais par CDC Climat. 3 Ibid
4 Ibid: « Adaptation actions where the central aim is to maintain the essence and integrity of a system or
process at a given scale. » 5 Ibid : « « adaptation that changes the fundamental attributes of a system in response to climate and its
effects. »
7
aboutissent à des évolutions sociétales, des systèmes, de modes de vie, afin notamment d’en réduire
la vulnérabilité aux effets du changement climatique. Dans ce cas-ci, l’adaptation revêt davantage
son caractère dynamique qui implique un ajustement constant à l’évolution de la nature et de
l’intensité des impacts climatiques (cf Figure 1).
Dans le cadre d’ADAPTATIO, nous concentrerons notre attention sur des mesures relevant de
l’adaptation incrémentale, liée notamment à la mise en place de solutions techniques telles que
visualisées dans la toolbox, et non de l’adaptation transformationnelle, cette dernière impliquant de
prendre en compte davantage de facteurs liés à une modification très profonde de la société.
La notion de « besoins d’adaptation », que le GIEC définit comme « les circonstances qui requièrent
des actions [d’adaptation] visant à assurer la sécurité de populations et à protéger les actifs en
réponse aux impacts du changement climatique6 », permet d’identifier les vulnérabilités et de
déterminer sur quelles bases vont porter les actions d’adaptation à mettre en place. La notion de
« besoin d’adaptation » peut ainsi être interprétée comme les actions nécessaires à l’établissement
d’un niveau de sécurité acceptable, ce qui peut correspondre à la préservation du mode de vie
préexistant qui assure ce niveau de sécurité, pour un système confronté aux impacts du changement
climatique. Cette interprétation, illustrée dans la figure 1, correspond en outre aux éléments mis en
avant dans le Chapitre 17 du deuxième volume du 5eme Rapport d’Evaluation, où les besoins
d’adaptation sont définis comme « l’ensemble des actions d’adaptation qui seraient nécessaires pour
éviter tout effet négatif [du changement climatique.]7 »
Figure 1 : Description de la notion de besoins d’adaptation et du caractère dynamique de l’adaptation au changement
climatique (Source : CDC Climat à partir des définitions du glossaire et du chapitre 17 du volume 2 du 5eme Rapport
d’Evaluation du GIEC)
L’adaptation, dans son acception plus large de processus, suppose un caractère progressif,
dynamique, « d’ajustement permanent », déterminée notamment par les futures évolutions du
climat. Le GIEC souligne ainsi que les besoins d’adaptation sont déterminés par la nature des impacts
climatiques ou météorologiques auxquels un système donné peut être confronté dans le présent,
6 Ibid : « circumstances requiring action to ensure safety of populations and security of assets in response to
climate impacts. » 7 Chapitre 17 du Volume 2 du 5eme Rapport d’Evaluation : «the set of adaptation actions that would be
required to avoid any negative effect »
8
mais aussi par les impacts climatiques anticipés dans le futur. L’adaptation au changement climatique
s’inscrit alors dans une perspective temporelle à la fois de court et de long termes, ce qui suppose
qu’elle peut générer des bénéfices directs et immédiats de réduction des dommages climatiques,
sans attendre l‘évolution future du climat. Par ailleurs, à l’instar des impacts climatiques, les mesures
d’adaptation tendent à avoir des effets localisés dont les conséquences peuvent être amplifiées par
le jeu des interactions systémiques. Ainsi, bien que destinées à faire face à un impact défini, elles
peuvent couvrir une aire géographique ou une fraction déterminée du système choisi tout en
générant des bénéfices (ou des effets négatifs) pour d’autres éléments du système. C’est le résultat
des interactions et interdépendances qui caractérisent les différentes parties d’un même système (ce
qui met en avant l’intérêt d’une planification de l’adaptation coordonnée à l’échelle du système).
La non-adaptation et la maladaptation
La non-adaptation présente et future est également un concept difficile à définir. Dans le présent, on
peut la représenter par l’image d’un système présentant d’importantes vulnérabilités aux aléas
climatiques. Dans le futur, la non-adaptation s’apparente à la poursuite de la situation actuelle sans
action d’adaptation – qu’elle soit destinée à réduire les risques climatiques ou à bénéficier
d’éventuelles opportunités offertes par le changement climatique – dans un scénario de changement
climatique (ce qui correspond par exemple à des scénarios de type business as usual), (cf Banque
Mondiale 2006, Stern 2006). La non-adaptation pourrait alors être décrite comme étant l’opposé de
l’adaptation, et se traduirait par une répercussion directe, sans réduction, des impacts du
changement climatique sur le système, sous forme de dégâts (ou d’absence de bénéfices)
supplémentaires par rapport à une situation sans changement climatique8.
Toutefois, la mise en place de mesures d’adaptation au changement climatique ne garantit pas
d’effets positifs ou une réduction optimale des impacts climatiques, lesquels sont variés (notamment
d’une région à une autre) et difficiles à prévoir. L’incertitude des impacts, et donc des effets issus des
mesures mises en place, a d’ailleurs favorisé la référence aux « mesures sans regrets » et à divers
outils d’analyse (CF PROVIA 2013). Cependant, certaines actions peuvent entrainer une
augmentation des risques, à l’inverse de l’intention de départ : de ce fait, ces actions créent une
situation de maladaptation. Une action d’adaptation peut également être un facteur de
maladaptation si elle remplit son rôle de diminution des impacts du changement climatique pour une
partie d’un système tout en contribuant dans le même temps à augmenter les risques ou à entrainer
des impacts pour les populations ou les systèmes adjacents : c’est l’exemple classique des
climatiseurs, qui entrainent une augmentation des GES et donc des impacts potentiels du
changement climatique. Définie par le GIEC comme « des actions ou l’absence d’action conduisant à
une augmentation des risques liés à des évènements climatiques, à une plus grande vulnérabilité aux
impacts du changement climatique ou à une dégradation des conditions de vie, actuelles ou futures9
», la maladaptation peut provenir d’une absence d’actions pour réduire les effets du changement
8 A cet égard, à un instant T, l’écart entre une situation non-adaptée et une situation d’adaptation optimale est
le déficit d’adaptation défini comme « l’écart entre l’état actuel d’un système et l’état qui minimise les impacts négatifs des conditions et de la variabilité du climat existant » (« The gap between the current state of a system and a state that minimizes adverse impacts from existing climate conditions and variability. » Glossaire du volume 2 du 5eme Rapport d’Evaluation du GIEC (2014) 9 Glossaire du volume 2 du 5eme Rapport d’Evaluation du GIEC (2014) : Maladaptation (or Maladaptive actions)
: “Actions that may lead to increased risk of adverse climate-related outcomes, increased vulnerability to climate change, or diminished welfare, now or in the future”. Traduction CDC Climat
9
climatique ou d’une planification inadéquate d’actions d’adaptation. Ainsi, la gestion des impacts du
changement climatique implique une analyse constante et approfondie des actions à entreprendre,
de leurs conséquences et de leurs possibles interactions, pour prévenir l’éventualité d’une
maladaptation. Ce point sera abordé mais non approfondi dans ADAPTATIO, qui n’a pas l’ambition de
traiter de l’ensemble des interrelations des systèmes à l’échelle urbaine.
L’adaptation « optimale10
» ou contextualisée
Ainsi, une situation adaptée ne peut viser à réduire la totalité de l’ampleur des impacts du
changement climatique : bien que le changement climatique soit source d’une certaine quantité de
dommages supplémentaires sur un système donné en situation non-adaptée (Figure 1), et que
l’adoption de mesures d’adaptation permette de réduire ces dommages, il n’est pas toujours
possible de les ramener au niveau de la situation initiale. Une adaptation au sens d’optimale, permet
ainsi une « modération » des effets du changement climatique dans le sens d’une préservation de
l’état du système à priori, pas leur suppression. Ce décalage, mis en avant la Figure 1, s’explique en
partie par la notion de limites de l’adaptation. Celles-ci correspondent au « point auquel les objectifs
d’un acteur (ou les besoins d’un système) ne peuvent être préservés de risques intolérables par la
mise en place d’actions d’adaptation »11 (GIEC, 2014). Ces limites peuvent être de différentes
natures : techniques, économiques ou encore culturelles ou sociales. Ceci nous incite à développer la
notion de vulnérabilité économique : un système est économiquement vulnérable eu égard aux
conséquences économiques négatives liées aux impacts anticipés du changement climatique. La
recherche d’un optimum dans le degré d’adaptation nous conduit non pas à rechercher l’adaptation
totale qui supprimerait tout effet négatif mais au compromis à trouver entre le montant des
dommages, leur degré d’acceptabilité, et le coût accepté des mesures d’adaptation.
2.2 Typologie des coûts de la non-adaptation et de l’adaptation
Du fait des conséquences importantes des probables impacts du changement climatique sur
l’ensemble des secteurs d’activité humains, notamment les secteurs d’activité économique, le
10
Le terme « d’optimale » employé ici provient notamment de la notion de « balance optimale » développée dans la figure 17-2 du 5eme Rapport d’évaluation du GIEC. 11
Définition du GIEC pour la notion de limite de l’adaptation en anglais : « The point at which an actor’s objectives (or system needs) cannot be secured from intolerable risks through adaptive actions. » (GIEC, Working Group 2, Glossary, 2014)
10
changement climatique est une source de coûts supplémentaires pour les systèmes qu’il affecte
négativement. Ainsi, on appelle coût du changement climatique l’expression économique des
impacts climatiques qui n’auraient pas eu lieu en son absence. Il est souvent exprimé en tant que
« coût social du carbone », c’est-à-dire le coût social marginal d’émettre une tonne de carbone12. Par
ailleurs on distingue les coûts de l’adaptation, qui sont ceux des actions humaines visant à réduire les
effets des impacts du changement climatique. L’adaptation s’inscrit ainsi dans la sphère de
raisonnement économique en ce qu’elle incite une réflexion sur les coûts engendrés par le
changement climatique et les coûts des solutions possibles. De même, la notion de non-adaptation,
qui peut se définir comme une répercussion directe des impacts du changement climatique sur les
systèmes qu’ils atteignent, s’appréhende aussi à travers les coûts engendrés.
Toutefois, du fait de la grande variété d’impacts (positifs et négatifs) du changement climatique et
des spécificités des systèmes qu’ils concernent, ces notions de coûts concernent une vaste gamme
de secteurs, d’impacts, d’actions, et de dommages. Les coûts du changement climatique, c’est-à-dire
les coûts de ne pas agir pour atténuer l’ampleur des impacts du changement climatique, peuvent
être de différentes natures : il peut s’agir de coûts économiques (liés à la perte économique due à la
non vente de produits), de coûts sociaux liés par exemple à l’invalidité ou à la mort des victimes, des
coûts environnementaux difficilement monétisables, comme le dommage réalisé sur un paysage, etc.
(cf la section suivante qui détaille ces aspects). Il en va de même pour les actions d’adaptation. Avec
la complexité complémentaire, il peut être pertinent d’étudier plusieurs solutions d’adaptation et
d’évaluer si des effets négatifs des solutions pressenties sont identifiables, voire chiffrables pour
chacune13.
Les coûts de l’adaptation peuvent ainsi être définis comme le coût de tout investissement
supplémentaire nécessaire à l’adaptation définie comme réduction des impacts négatifs ou
l’exploitation bénéfique de futurs impacts du changement climatique14 (GIEC, 2014 ; UNFCC, 2007).
Ils s’ajoutent notamment aux coûts résiduels du changement climatique qui sont la conséquence
d’éventuelles limites de l’adaptation ou d’une adaptation optimale (c’est-à-dire non totale, ce qui
correspond à la zone bleue de la figure 3). Le coût relatif de l’adaptation dépend ainsi très
directement du coût de l’ensemble des impacts du changement climatique qui conditionne le besoin
d’adaptation. Le coût de ces investissements destinés à l’adaptation est également déterminé par la
stratégie adoptée, c’est-à-dire l’arbitrage réalisé entre les différentes options d’adaptation et les
conséquences en termes d’impacts évités escomptés selon chaque solution. Celles-ci peuvent en
effet être réparties entre celles dont on a besoin pour réduire au maximum les effets du changement
climatique, celles que l’on peut faire techniquement et technologiquement, ce que l’on voudrait faire
pour avoir un niveau d’adaptation le plus efficace possible économiquement, et ce que l’on décide
effectivement de faire (GIEC, 2014). C’est le coût de cette dernière catégorie qui constitue
effectivement le coût de l’adaptation.
12
Toutefois cet aspect ne sera pas détaillé davantage dans le cadre du projet ADAPTATIO 13
GIEC, Volume II, chapitre 17, section 17.2.3 : « […] If a country has a fixed sum of money to allocate between two competing adaptation projects, and both strategies generate net positive ancillary effects, then the socially optimal allocation of adaptation investment will differ from the private optimum and will favor the activity with the larger direct plus ancillary effects. » 14
GIEC, Volume II, chapitre 17, section 17.2.6 : « […] the cost of adaptation is the cost of any additional investment needed to adapt to or exploit future climate change (UNFCCC,2007). But a full accounting needs to consider the resources spent to develop, implement and maintain the adaptation action along with accruing reduced damages or welfare increases involving monetary and non- monetary metrics. »
11
Figure 3 : coûts de l’adaptation et de la non-adaptation au changement climatique. Source : CDC Climat (d’après la figure
17-2 du GIEC)
1 – Coût des effets si non-adapté
2 – Coûts des effets si adaptés
Le coût de la non-adaptation correspond en revanche aux coûts du changement climatique qui
auraient pu être évités par l’adoption de mesures d’adaptation – c’est-à-dire les coûts totaux du
changement climatique hors dommages résiduels en situation d’adaptation optimisée. Tel qu’illustré
sur la figure 3, il s’agit de la différence (inscrite en rose) entre le coût total du changement climatique
et les coûts résiduels (symbolisés par la zone bleue sur la figure) qui ne peuvent être évités même en
situation d’adaptation optimale. Les coûts de la non-adaptation peuvent être assimilés aux coûts du
changement climatique si une adaptation optimale permet d’annuler complètement ces derniers -
c’est-à-dire si il n’y a pas plus d’impact résiduel du changement climatique après l’adoption de
mesures d’adaptations.
Dans le cas du projet ADAPTATIO, nous considèrerons le différentiel des coûts entre la situation
adaptée et la solution non-adaptée, donc sans tenir compte des coûts résiduels. Nous considérerons
ainsi les coûts supplémentaires de consommation d’eau ou d’énergie d’une situation non-adaptée
par rapport au niveau de ces même coûts en situation d’adaptation : ainsi on ne regardera que les
coûts liés à la consommation réelle de l’eau et de l’énergie et pas le coût lié à l’abonnement par
exemple, supposé forfaitaire et constant.
2.2.1 Difficulté de la définition des coûts directs, des coûts indirects de la
non-adaptation et de l’adaptation
Les coûts de la non-adaptation (et de l’adaptation) sont souvent difficiles à évaluer du fait de
plusieurs facteurs liés à la fois à la méthodologie et à la collecte de données. Parmi ces facteurs on
retrouve notamment :
- L’incertitude liée aux projections climatiques et ses implications au niveau local ;
- L’incertitude liée aux impacts physiques dus aux modifications climatiques ;
- La difficulté de chiffrer les impacts économiques liés aux impacts physiques, notamment pour les
biens et services non marchands (la partie suivante détaillera cet aspect);
- La possible existence d’effets externes souvent qualifiables mais difficilement quantifiables, qu’il
est bon au minima de mentionner, et au mieux de chiffrer ;
12
- Le choix du taux d’actualisation dans le chiffrage des coûts. Il n’en existe en effet pas de valeur
consensuelle, malgré l’existence en France, par exemple, d’un taux social d’actualisation de 4%
fixé par le Commissariat Général au Plan.
Coûts économiques et coûts non-économiques
Dans une situation de non-adaptation, les impacts du changement climatique sont directement
répercutés sur le système sous forme de dommages et se traduisent généralement sous forme de
coûts (en particulier dans un système comme une ville où les activités économiques sont concentrées
et en interaction les unes avec les autres). Si ces coûts peuvent concerner des activités économiques
et des biens marchands, ils peuvent aussi relever de la catégorie des coûts non-économiques, ce qui
rend leur comptabilisation plus difficile. De fait, lorsqu’il est difficile d’attribuer une valeur monétaire
à un impact, notamment climatique, cela peut tendre à réduire son importance, pourtant soulignée
par des institutions internationales comme la Banque Mondiale, le PNUE ou la CCNUCC, lors de
l’évaluation économique de ces impacts. Les coûts non-économiques sont généralement des coûts
sociaux, culturels ou qui concernent des secteurs dont la valeur économique est difficile à quantifier
tels que des écosystèmes. Ils peuvent aussi se rapporter à la mort d’individus, pour laquelle il est
difficile d’attribuer une valeur monétaire. Mais de nombreux travaux existent pour tenter de
monétariser ces coûts non économiques.
Pour évaluer les coûts dans une démarche de prise de décision dans l’adaptation au changement
climatique (dans une vision non purement décidée par un acteur privé qui ne va pas considérer tous
ces aspects) , il faudra donc s’intéresser aux coûts directs et indirects économiques, et si possible les
coûts directs et indirects non économiques. On notera d’ailleurs que cette évaluation économique de
l’adaptation fait l’objet pour la 1ere fois d’un chapitre entier du GIEC (volet 2) : le chapitre 17, qui
complète aussi le chapitre 2 sur la prise de décision.
Coûts directs et indirects pour l’évaluation des coûts économiques
Au niveau des coûts qui touchent aux activités économiques et aux biens marchands, c’est-à-dire
ceux qui sont le plus facilement intégrés dans une analyse économique pour – par exemple –
planifier une action d’adaptation, une distinction entre coûts directs et coûts indirects des impacts du
changement climatique est utile (Hallegatte, 2010). En effet, les coûts des dommages causés par le
changement climatique, ou ceux de la mise en place de mesures d’adaptation portent à la fois sur les
secteurs directement concernés par l’aléa climatique considéré, mais aussi sur les secteurs en
interaction directe avec ces derniers.
De fait, les coûts économiques de la non-adaptation peuvent concerner les activités économiques
(coûts indirects) et le capital physique (coûts directs). La définition des pertes directes d’une
catastrophe climatique de Hallegate les décrits comme « la valeur de ce qui a été endommagé ou
détruit par la catastrophe » et, les pertes indirectes sont définies comme incluant « tous les
dommages qui n’ont pas été provoqués par la catastrophe elle-même mais par ses conséquences »,
et correspondent généralement aux diminutions de la production et ont des conséquences sur la
reprise du système (Hallegate, 2010). A cet égard, fonction de production et dépenses de
remplacement peuvent constituer des indicateurs fiables pour estimer la valeur de ces pertes, et
donc les coûts d’un impact du changement climatique, la première étant davantage adaptée à la
13
mesure des coûts indirects, alors que la seconde permet d’estimer les coûts directs du changement
climatique.
- Fonction de production : Les coûts indirects des changements climatique peuvent se mesurer par l’évaluation des pertes associées à la baisse de la production, dans la mesure où ces impacts n’engendrent pas de variation dans le prix des produits sur le marché,
- Dépenses de remplacement : Les impacts directs du changement climatique peuvent également se traduire par des pertes sur le bâti et l’outil de production qui peuvent être mesurées par l’évaluation foncière, la valeur marchande courante ou la valeur de remplacement. En revanche, cette approche intègre mal les actifs ayant une valeur patrimoniale particulière et ne reflète pas nécessairement toutes les pertes d’usages pouvant être occasionnées.
Coûts directs et indirects
A l’inverse, les coûts de l’adaptation sont assimilables à ceux des mesures d’adaptations mises en
œuvre pour faire face aux impacts du changement climatique plutôt qu’au coût de ces impacts. En
appliquant la même approche en coûts directs et indirects, on peut définir :
- Les coûts directs de l’adaptation comme pouvant être assimilés aux coûts de mise en place des
actions d’adaptation elles-mêmes. C’est par exemple le cas pour des mesures d’amélioration des
systèmes de drainage des eaux de précipitations, de rénovation de logements ou encore
d’installation d’espaces verts pour lutter contre les îlots de chaleur urbains. Le rapport PROVIA
du PNUE met ainsi en avant l’importance de l’évaluation des besoins d’adaptation et
l’identification des options d’adaptation disponibles, qu’il présentant comme étant cruciales pour
sélectionner les solutions d’adaptation qui permettent à la fois de minimiser les coûts de
l’adaptation ceux du changement climatique – coûts qui sont amplifiés en situation de non-
adaptation.
- Les coûts indirects de l’adaptation correspondent quant à eux à des externalités. Lorsqu’elles
sont positives, les externalités liées à des actions d’adaptation constituent un coût négatif : ce
sont des co-bénéfices qui peuvent porter sur d’autres secteurs que celui directement concerné
par l’action de l’adaptation au changement climatique ou d’autres acteurs. Lorsqu’elles sont
négatives, les externalités peuvent notamment être le résultat de décisions imparfaites sur le
plan économique qui, en ne considérant pas suffisamment les conséquences de l’action
d’adaptation sur d’autres secteurs ou acteurs, sont à l’origines d’effets négatifs et se traduisent
sous la forme de coûts positifs. Ces coûts indirects peuvent être monétisables, comme dans le
cas où la construction de digues pour protéger une zone donnée augmente le risque
d’inondation ailleurs. Les coûts sont alors ceux du risque supplémentaire que ce changement
représente pour la communauté/le système concerné. Cependant les coûts indirects de
l’adaptation au changement climatique peuvent également recouvrer des coûts non-
économiques, et donc difficiles à comptabiliser. Les externalités liées à des solutions
d’adaptation au changement climatique doivent être prises en compte lors de la planification
d’un projet d’adaptation. En revanche, l’impact économique indirect de l’adaptation au
changement climatique, plutôt que des coûts, correspond le plus souvent à des cobénéfices dans
des secteurs différents de l’adaptation au changement climatique. Le GIEC met à cet égard une
emphase considérable sur les cobénéfices de l’adaptation en matière de développement.
Diverses études internationales estiment les coûts liés à l’adaptation, en considérant les solutions d’adaptation envisagées. Selon les estimations et les diverses méthodologies employées (cf.
14
notamment OCDE 2008, Parry et al 2009 et Drouet 2008, pour une revue critique des méthodologies employées15), les besoins annuels liés à l’adaptation varient entre 4 et 150 milliards USD annuellement (cf. tableau 2).
Tableau 1– estimation des coûts de l’adaptation au changement climatique. Source : CDC Climat d’après les études
citées :
Evaluation par : Coûts annuels
en milliards d’USD Périmètres des estimations
Stern (2006)
4-37
15-150
Pays en développement, période 2010-2015
Pays de l’OCDE, période 2010-
2015
PNUD (2007) 86-109 Pays en développement, période
2010-2015
CCNUCC (2007)
60-182
28-67
Globalement, d’ici 2030
Pays en développement, d’ici 2030
Banque mondiale - EACC (2010) 70-100 Pays en développement, période 2010-2050
Frankhauser et Schmidt-Traub (2010) 70-100 Pays en développement, période
2010-2020
Toutefois, aucune de ces estimations à l’échelle globale des besoins en adaptation n’est entièrement
fiable. Le GIEC souligne ainsi les imprécisions et les difficultés méthodologiques de ces approches
dans son 5eme Rapport d’Evaluation (2014), tout en rappelant leur utilité. A cet égard, selon le
groupe d’experts du climat, l’enjeu principal de l’évaluation des besoins globaux en adaptation au
changement climatique n’est d’ailleurs pas tellement le risque d’une surestimation de ces besoins,
que celui d’une sous-estimation.
ADAPTATIO n’a pas l’ambition de dresser l’ensemble des coûts directs, indirects et externes, parfois
non monétaires, des solutions d’adaptation étudiées, du fait de la quantité et qualités des données
requises pour ce type de travaux. Nous chercherons donc ici uniquement à évaluer les coûts directs
liés à la mise en place et l’utilisation de différentes solutions d’adaptation étudiées (et restreints à
leur aspect lié à l’investissement, à la maintenance, et à la consommation énergétique et hydrique),
sans en évaluer les coûts indirects et externes, mais pourrons mentionner, de façon qualitative,
certaines remarques à ces sujets.
2.2.2 La répartition des coûts entre acteurs et dans le temps
Le changement climatique touche l’ensemble des secteurs des systèmes socioéconomiques et est un
phénomène qui se construit sur une échelle de temps très longue. Ces caractéristiques, auxquelles
s’ajoutent la diversité des impacts et leur caractère très localisé, posent les enjeux de la répartition
15
Drouet (2008) montre notamment que l’estimation des besoins de financement dans ces études a été faite selon différentes méthodologies dont la principale consistait à évaluer la sensibilité des flux financiers existants aux impacts du changement climatique, puis d’estimer forfaitairement les coûts d’amélioration de la résistance aux changements climatiques de ces investissements sensibles. Par exemple pour les infrastructures le coût d’adaptation (donc d’amélioration de la résistance) a été estimé à entre 5 et 20% du coût de l’infrastructure selon le type.
15
des coûts de l’adaptation et de la non-adaptation au changement climatique, entre les acteurs et
dans le temps. Ces aspects sont intéressants car ils permettent d’apprécier la faisabilité des solutions
et l’équité de la répartition de l’effort (et des solutions d’adaptation) qui concoure à sa bonne
acceptabilité.
Entre acteurs
L’identité et la nature de celui qui supporte le coût de l’adaptation ou de la non-adaptation
dépendent de plusieurs facteurs parmi lesquels figurent le type d’impact étudié ou de solution
d’adaptation mise en œuvre. A cet égard, les coûts de l’adaptation et de la non-adaptation qui
recouvrent une grande quantité d’actions et de dommages, se répartissent entre différents types
d’acteurs, qu’il convient d’étudier au cas par cas.
Les coûts de la non-adaptation peuvent être assimilés aux coûts des aléas climatiques eux-mêmes
hors coûts résiduels (cf fig. 2). Les coûts directs de la non-adaptation se répartissent donc de la
même manière que ceux d’un évènement climatique extrême entre les acteurs du système qui sont
touchés. Il en est de même pour les coûts indirects, qui affectent les acteurs indirectement soumis16.
Dans le cas d’ADAPTATIO, les coûts liés à l’aléa étudié (hausse des températures moyennes et
extrêmes) pourront principalement être supportés :
• par les occupants des logements :
- En termes de coûts directs, via par exemple l’augmentation de leur facture énergétique,
correspondant à l’augmentation de leur besoin de refroidissement ;
- En termes de coûts indirects, via par exemple une diminution de leur productivité via l’inconfort
subi ;
- En termes d’externalités négatives : inconfort, voire atteinte à leur santé.
• par les bailleurs (ou promoteurs), qui peuvent voir une diminution du prix de revente de
leurs biens si ceux-ci sont très vulnérables à l’aléa
• Et aussi par les pouvoirs publics en termes d’hospitalisations engendrées, de coordination
des secours et de diffusion de l’information, etc.
De même que les coûts de l’adaptation d’un système sont répartis entre les différents acteurs qui le
constituent, tous les secteurs d’activité devront s’adapter. Les coûts de l’adaptation correspondant à
ceux des mesures et actions qui permettent de réduire les dommages liés aux impacts du
changement climatique, leur répartition entre les différents acteurs d’un système dépend donc de la
nature de l’action d’adaptation considérée, et de l’implication des acteurs.
Dans le cas d’ADAPTATIO, les coûts directs liés à la mise en place de solutions d’adaptation seront
généralement portés :
- par le bailleur/promoteur qui mettra en place cette solution (mais qui pourra la répercuter dans
le montant du loyer) ;
- par les utilisateurs finaux du bâtiment considéré, qui paient l’usage (l’électricité par exemple) de
la solution. A fortiori pour les logements, ce sont les ménages qui assument l’essentiel des coûts
des mesures d’adaptation incrémentales.
16
Ceci donne donc une place importante au secteur assurantiel, qui est par ailleurs largement mise en avant dans la littérature, dont le GIEC (2014).
16
Aux coûts des mesures d’adaptation elles-mêmes peuvent toutefois s’ajouter certains effets pervers.
Dans le cas de l’étude des consommations en énergie et en eau, qui nous intéresse pour ADAPTATIO,
c’est par exemple l’effet rebond qui pourrait influer sur les résultats de l’évaluation des différentes
solutions d’adaptation considérées. Cette notion, si elle se rattache en général à des problématiques
du domaine de l’atténuation du changement climatique plutôt que l’adaptation à ses effets,
correspond à « un phénomène par lequel une réduction de la consommation d’énergie (par rapport à
une situation de référence) […] dans un secteur est compensée à un certain degré par des
changements induits dans la consommation, la production ou les prix dans ce même secteur » (GIEC,
2014). Par exemple cela correspond à une situation dans laquelle l’investissement dans un
climatiseur plus efficace incite à utiliser davantage la climatisation (notamment pour rentabiliser
l’investissement), ce qui aboutit à une réduction de la consommation moins grande que celle qui
aurait résulté d’une absence de changement dans l’utilisation du climatiseur, malgré
l’investissement. L’effet rebond souligne le rôle du comportement des individus dans l’efficacité des
mesures de lutte contre le changement climatique.
Dans le cas d’ADAPTATIO, vu la complexité du processus même de l’aménagement urbain (Cf. tâche
1 et rapports associés), nous ne détaillerons pas l’affectation et la répartition des coûts identifiés, ni
l’effet rebond et autre aspect comportemental.
Dans le temps
Le changement climatique est un phénomène dont les conséquences majeures s’inscrivent
principalement sur le long terme. Lors de la planification de stratégies d’adaptation au changement
climatique, cet aspect revêt un caractère crucial, particulièrement lorsque des actifs (c’est-à-dire
notamment le patrimoine) à longue durée de vie sont considérés, comme le bâtiment qui dure
plusieurs décennies. Au niveau de la répartition de ses coûts entres des horizons temporels
différents, le changement climatique impose un arbitrage qui touche à la préférence des acteurs
entre faire face à des coûts dans le présent ou le futur, rendu encore plus difficile du fait des
incertitudes liés aux impacts du changement climatique. Ainsi, le fait d’accorder une trop grande
importance aux intérêts de court terme réduit les incitations à diriger les investissements vers des
enjeux aux horizons temporels plus éloignés comme l’adaptation au changement climatique (GIEC,
2014 : Chapitre 16, section 5.2).
Ainsi que l’illustre la Figure 4, si une solution adaptée peut être plus coûteuse dans une perspective
de court terme du fait de l’investissement nécessaire, à un horizon plus lointain les impacts du
changement climatique peuvent entrainer des coûts supplémentaires qui surpassent les coûts
incrémentaux de l’adaptation à l’origine17. Ceci est notamment mis en avant par Stern (2006) qui
justifie ainsi la nécessité d’une action d’adaptation sans attendre.
17
Or ces aspects renvoient à la question du taux d’actualisation, très largement débattue dans la littérature (cf. partie suivante).
17
Figure 4 : Répartition temporelle des coûts sur la durée de vie d’actifs adaptés et non-adaptés en situation de
changement climatique. Source : CDC Climat
Les coûts de l’adaptation et de la non-adaptation se situent donc respectivement sur des échelles de
temps très différentes. Alors que les coûts de l’adaptation sont concentrés sur le court terme
(modulo les coûts de maintenance de la solution retenue), les coûts de la non-adaptation sont plus
importants dans le long terme, car c’est à long terme que les coûts du changement climatique sont
les plus importants.
Dans le cas d’ADAPTATIO, nous avons choisi de mettre en avant l’échelle temporelle mais de ne pas
recourir à un taux d’actualisation, d’une part du fait des difficultés à son sujet, d’autre part pour
refléter l’ensemble des informations utiles pour les acteurs (cf ateliers) et ne pas les agréger sous
forme d’une unique valeur nette actualisée. Ainsi, et en accord avec le résultat d’entretien mené
avec des acteurs privés du territoire, nous avons choisi de retenir :
- Le coût d’investissement (au début de l’opération), y compris les coûts liés aux études amont de
faisabilité, etc.
- Le coût de maintenance annuel, (y compris le suivi, le reporting)
- La durée de vie de l’installation
- Les coûts annuels liés aux factures d’eau et d’énergie
3. Revue des méthodes d’analyse économique
Lorsqu’un système est exposé aux impacts du changement climatique, il doit donc notamment faire
face aux conséquences économiques de ces impacts. Du fait de la nature transversale, et parfois
indirecte, des coûts de l’adaptation et de la non-adaptation, l’ensemble des secteurs économiques
peut ainsi être touché. Du fait de ressources limitées, de l’intérêt de la minimisation du coût
économique du changement climatique et de la pluralité des éléments à prendre en compte, des
méthodes d’analyse économique peuvent être utilisées pour éclairer la décision (cf par ex GIEC chap.
2 - 17, rapport PROVIA de l’UNEP). Mis en avant par les institutions qui étudient les conséquences
économiques du changement climatique et mettent en œuvre des projets d’adaptation comme la
Banque Mondiale ou les Nations Unies, ces outils d’aide à la décision peuvent être d’une grande aide
dans le contexte du changement climatique, à condition d’en corriger certains biais.
18
Le 5eme Rapport d’Evaluation (2014) du GIEC voit ainsi le groupe d’experts affirmer – avec une
emphase inédite – l’importance de ces outils dans le choix et la mise en place de stratégies
d’adaptation, en soulignant le passage d’approche en analyse coût-bénéfices vers des analyses
multicritères, tenant compte d’effets non monétaires, d’iniquité, des biais comportementaux, etc. En
effet, le raisonnement économique permet l’identification des coûts d’opportunité entre différentes
stratégies d’adaptation ainsi que la réflexion en situation d’incertitude – qui est inhérente au
changement climatique. En outre, les experts du climat notent que le recours à ce type d’outils d’aide
à la décision dans la mise en place de stratégies d’adaptation au changement climatique est un
vecteur qui favorise l’intervention d’acteurs privés. Or, ceux-ci sont par ailleurs présentés par les
chercheurs comme des acteurs indispensables à l’adaptation au changement climatique car ils ont les
capacités d’apporter le volume d’investissements nécessaire aux besoins de l’adaptation. Enfin, le
GIEC insiste sur ces approches multicritères car elles permettent, dans certaines conditions,
d’intégrer des facteurs non-économiques dans le processus de décision et donc d’intégrer des enjeux
liés aux externalités. Ce dernier aspect est d’une importance cruciale dans la construction d’une
stratégie d’adaptation globale à l’échelle d’un système, car il permet de tendre à la capture du
maximum de cobénéfices et d’éviter autant que possible les effets indésirables, et ainsi de minimiser
les risques d’impacts du changement climatique.
Le rapport PROVIA, consacré à la prise de décision pour des actions d’adaptation au changement
climatique propose notamment un arbre de décision18 pour guider les parties prenantes vers des
méthodes d’analyse adaptées à leurs besoins. Cet arbre de décision décrit schématiquement les
étapes du choix d’une méthode d’analyse en fonction de la situation d’adaptation considéré. Les
différentes alternatives considérées incluent l’absence d’action pour attendre l’apparition de
nouveaux éléments d’information, le recours à des méthodes de décision « robustes », le recours à
un processus de gestion adaptive (adaptive management) ou encore le recours à une méthode
d’analyse économique. Parmi les critères mis en avant par PROVIA pour évaluer quelle méthode de
prise de décision convient le mieux à un projet d’action d’adaptation particulier figurent
notamment :
- L’existence de risques liés à une forte variabilité du climat présent ;
- L’horizon temporel de l’implémentation des options considérées ;
- La capacité à prévoir les impacts résiduels du changement climatique ;
- L’importance des coûts des différentes options.
Ainsi le rapport met en avant le recours à des méthodes d’analyse économique (Analyse Coûts-
Bénéfices, Analyse Coût-Efficacité, Analyse Multicritères) dans le cas notamment où la variabilité du
climat présent suppose un niveau de risque élevé et que les différentes options considérées sont à
mettre en place dans le court terme. PROVIA ajoute que ces méthodes sont à préférer s’il n’est pas
possible de prévoir les impacts résiduels du changement climatique et si les coûts des différentes
alternatives sont élevés. Ainsi, ces critères correspondant à ceux du projet ADAPTATIO, nous
apportons une attention particulière aux différentes méthodes d’analyse économique.
3.1 Outils « classiques » d’aide à la décision
Eu égard aux différences entre acteurs privés et publics abordées plus tôt, l’évaluation d’options
d’adaptation est axée sur des critères de décision différents selon qu’il s’agit de décideurs privés ou
18
Rapport PROVIA, PNUE, Figure 2.3.3
19
publics. Une analyse économique réalisée par un acteur privé se focalise ainsi sur l’évaluation des
coûts et des avantages qui le touchent directement, et vise à déterminer si la stratégie envisagée est
rentable (ou laquelle des différentes alternatives envisagées est la plus rentable). Le gestionnaire
public peut lui aussi se questionner sur la rentabilité d’une stratégie d’adaptation (il peut alors avoir
recours à une analyse financière), toutefois celui-ci sera le plus souvent amené à intégrer les effets
sur le bien-être de l’ensemble de la population de sa stratégie d’adaptation sur un territoire donné
dans l’analyse. Pour ce faire, il doit tenir compte de l’ensemble des avantages et des coûts sociaux
des stratégies d’adaptation pour toutes les personnes de ce territoire et donc recourir à des outils
d’aide à la décision plus complexe.
Les quatre principaux outils d’aide à la décision répertoriés dans la littérature que sont les analyses
financières, coûts-bénéfices, coûts-efficacité et multicritères s’articulent notamment autour de
certaines étapes clés qu’ils ont en commun (cf Figure 5). Dans le contexte du changement climatique,
un outil d’aide à la décision doit ainsi, quelle que soit la méthode choisie, identifier les impacts du
changement climatique qui portent à conséquence pour le projet. Ensuite, il est nécessaire de
déterminer les objectifs du projet d’investissement ou de la politique d’adaptation au changement
climatique considérée. Il s’agit ensuite de déterminer quelles solutions seront prises en compte et
d’évaluer leurs impacts.
Figure 5 : Les principales étapes récurrentes du processus commun d’analyse économique. Source : CDC Climat
Une fois le contexte de l’analyse établi, c’est-à-dire une fois définis les impacts du changement
climatique qui concernent le projet d’adaptation, les objectifs à remplir et les différentes options
considérées, intervient l’étape d’évaluation à proprement parler, suivie par l’étude des résultats et le
choix de la meilleure option par rapport aux critères choisis. Le détail des processus d’évaluation
économique varie d’une méthode à l’autre, ce qui permet de prendre en compte différents enjeux
d’une option d’adaptation en fonction des priorités et des contraintes du projet. Ainsi la phase de
définition du contexte de l’analyse est primordiale car elle permet de déterminer quelle méthode
d’analyse économique correspond le mieux aux besoins du projet considéré, et donc de choisir quelle
méthode employer.
Ces quatre outils ont également en commun certaines étapes intermédiaires de la phase
d’évaluation comme l’évaluation des coûts totaux de chaque option, qui comprennent les coûts
d’investissement ainsi que les coûts d’opération. Le choix du taux d’actualisation, qui permet
20
d’actualiser les flux financiers pour, par exemple, calculer la valeur actuelle nette, est également une
étape récurrente pour chacune de ces différentes méthodes. Le choix de la valeur du taux
d’actualisation est un exercice délicat, particulièrement dans le contexte de projets avec de longues
durées de vie sur lesquels le changement climatique peut avoir des impacts. Il est important de
choisir un taux d’actualisation qui ne sous-estime pas les coûts (ni d’ailleurs les bénéfices) dans le
long-terme et ne reflète ainsi pas une préférence trop élevée pour le présent (cf section 3.2).
3.1.1 Analyse financière
L’objet de l’analyse financière, utilisée principalement par les acteurs privés, est d’utiliser les
prévisions du cash-flow (flux de trésorerie) du projet pour calculer des taux de rendements
appropriés, pour les décideurs, grâce à l’utilisation d’indicateurs de performance financière tels que
le taux (interne) de rendement financier (TIRF), le temps de retour sur investissement ou la valeur
actuelle nette (VAN).
- Le taux de rentabilité interne financier : c’est le taux d’actualisation pour lequel la VAN est égale
à zéro. La valeur actualisée des avantages égalise donc la valeur actualisée des coûts. Le TRI n’est
pas défini à priori, mais résulte du calcul des revenus et des dépenses dans le temps. Le projet
avec le TRI le plus élevé sera préféré, puisqu’il reflétera une plus grande rentabilité.
- La valeur actuelle nette financière du projet : la valeur des bénéfices découlant d’un projet
d’adaptation à laquelle est soustraite celle des dépenses requises pour réaliser ce projet. Ces
valeurs doivent être actualisées par l’utilisation d’un taux d’actualisation qui reflète
généralement le coût d’opportunité du capital nécessaire au financement du projet. Un projet
est considéré comme rentable si la VAN est positive. Le projet avec la VAN la plus élevée sera
préféré.
- Le temps de retour sur l’investissement : un projet dont les profits annuels permettent de
rembourser l’investissement consenti en 10 ans a un temps de retour sur investissement de 10
ans. Ce calcul simple et rapide ne donne qu’une idée approximative de la rentabilité. Il contribue
notamment à écarter des projets dont les avantages sont plus importants sur l’ensemble de la
durée de vie du projet (par rapport au court terme), ce qui risque d’être souvent le cas pour les
projets d’adaptation au changement climatique.
Figure 6 : Etapes de la démarche d’analyse financière qui pourraient être retenues dans le cadre d’un projet d’adaptation
au changement climatique, complémentaires aux étapes du processus commun d’analyse (cf fig.5). Source CDC Climat
21
L’intégration du risque posé par l’incertitude liée à l’évolution future du climat, qui permet d’assurer
d’un certain niveau de fiabilité, est un élément important de l’analyse financière dans le cadre du
changement climatique. Elle peut notamment être réalisée via des analyses de sensibilité de la VAN
ou du TRIF.
Si elle peut permettre la prise en compte de l’incertitude et de l’horizon de long terme dans lequel
doivent d’inscrire des projets d’adaptation, l’analyse financière n’est toutefois pas la méthode la plus
pertinente dans le cadre du changement climatique. En effet, étant dédiée à la modélisation des flux
financiers d’un projet, et donc des coûts et des bénéfices du projet uniquement pour le porteur de
projet, l’analyse financière ne permet pas d’intégrer les répercussions de la mise en place d’une
action d’adaptation sur l’ensemble des acteurs du système. Elle présente donc un risque élevé de
créer une situation de maladaptation, particulièrement lorsqu’elle est utilisée pour un projet
d’envergure destiné à la modération d’impacts complexes. En outre, les analyses financières ont
généralement tendance à préférer des taux d’actualisation aussi élevés que possibles (TRIF), ou à
reposer sur des critères de rentabilités de court terme (TRI), ce qui correspond à une logique
contraire à celle de l’adaptation au changement climatique où les bénéfices d’un projet tendent à se
matérialiser davantage dans le long terme. Ainsi, elle n’est par exemple pas retenue par le
Programme des Nations Unies pour le Développement dans son rapport PROVIA, qui constitue un
manuel des méthodes de prise de décision pour l’adaptation au changement climatique. De ce fait,
nous l’écartons des outils d’aide à la décision considérés dans le cadre du projet ADAPTATIO.
3.1.2 L’Analyse Coûts-Bénéfices (ACB)
L’analyse coûts-bénéfices permet de comparer les coûts et bénéfices induits par le projet du point de
vue de l’ensemble de la société. Elle permet en outre d’y intégrer, si possible, les coûts et bénéfices
qui n’ont pas de valeur marchande (par exemple, les avantages environnementaux). Elle vise donc à
exprimer, en une unité de mesure uniforme (généralement monétaire), toutes les conséquences
d’un projet donné. A l’instar de l’analyse financière, l’ACB peut se fonder sur des indicateurs tels que
la VAN ou le TRI, avec les limites qu’ils supposent. Un autre indicateur éligible pour l’ACB est le ratio
coûts-bénéfices. Ce dernier correspond aux bénéfices actualisés divisés par les coûts actualisés (où
les coûts et bénéfices sont ceux associés au projet et supportés par l’ensemble des agents). De façon
générale, un projet est jugé rentable pour la société si son ratio avantages monétaires nets sur coûts
monétaires nets est supérieur à 1 et l’option dont le ratio est le plus élevé sera jugée la plus rentable.
22
Figure 7 : Etapes de la démarche d’analyse coûts-avantages qui pourraient être retenues dans le cadre d’un projet
d’adaptation au changement climatique. Source CDC Climat
L’analyse coûts-bénéfices a ainsi l’avantage, dans le contexte de l’évaluation de mesures
d’adaptation au changement climatique, de permettre l’intégration des externalités dans le
processus de l’évaluation. Contrairement à l’analyse financière, l’analyse coûts-bénéfices ne prend
pas seulement en compte les coûts et bénéfices privés (au sens où ils sont rattachés au porteur de
projet) qui résultent de l’investissement dans une option d’adaptation, mais l’ensemble des
conséquences (négatives ou positives) qui en découlent, pour tous les acteurs concernés. Cependant,
pour que le résultat soit effectivement représentatif de l’ensemble des coûts et avantages liés au
projet d’adaptation au changement climatique, la méthode de l’ACB doit être adaptée pour faire face
plusieurs difficultés, que l’on peut également retrouver pour d’autres méthodes d’analyse, et parmi
lesquelles figurent notamment :
- La difficulté d’évaluer l’ensemble des impacts pour tous les différents intervenants ;
- L’évaluation monétaire des impacts non marchands ;
- La détermination du taux d’actualisation ;
- La détermination de l’incertitude ;
- La prise en compte des aspects redistributifs.
3.1.3 L’analyse coût-efficacité (ACE)
L’analyse coût-efficacité est utilisée pour déterminer la façon la moins coûteuse, et donc la plus
efficace, d’arriver à remplir un objectif d’adaptation donné. Il s’agit d’apporter une mesure de
l’efficacité des différentes solutions à remplir cet objectif en utilisant un ratio coût-efficacité qui
divise leurs coûts total par des « unités d’efficacité » qui correspondent aux objectifs quantifiables
que le programme vise à atteindre. Par exemple, une mesure qui vise à réduire l’impact des vagues
de chaleurs dans le logement pourrait utiliser le nombre d’heures où la température dépasse un
certain seuil dans l’habitation comme objectif à atteindre et l’évaluation se ferait sur les différentes
solutions possibles arrivant à cet objectif.
23
Figure 8 : Etapes de la démarche d’analyse coûts-efficacité qui pourraient être retnues dans le le cadre d’un projet
d’adaptation au changement climatique. Source : CDC Climat
Par rapport à l’analyse coût-avantages, l’ACE offre l’avantage de ne pas exiger l’évaluation monétaire
des impacts évités. En effet, si les différentes options d’adaptation fournissent les mêmes avantages,
seuls les coûts des stratégies d’adaptation doivent être évalués monétairement. Cette simplicité
constitue également le principal inconvénient de l’analyse coût-efficacité puisqu’en ne comparant
pas l’ensemble des coûts et l’ensemble des avantages, il est impossible de déterminer si la stratégie
d’adaptation analysée des coûts est intrinsèquement bénéfique. Ce biais implique d’avoir des
éléments externes à l’analyse qui indiquent que l’objectif poursuivi par l’analyse est effectivement
désirable (et n’a pas de conséquences négatives sur les autres acteurs du système) et n’a pas besoin
d’être évalué en tant que tel. En outre, les différents projets examinés au cours d’une analyse coût-
efficacité ne le sont que selon le spectre de cet objectif, ce qui ne prend donc pas en compte les
autres bénéfices (ou effets indésirables) potentiels de ces projets.
3.1.4 L’analyse multicritères (AMC)
Dans les cas où les coûts et les avantages ne se prêtent pas aisément aux techniques de valorisation
monétaire, des outils alternatifs d’aide à la décision peuvent être retenus. C’est notamment le cas de
l’analyse multicritères. Celle-ci se fonde sur l’intégration, dans un cadre analytique structuré, de
différents types d’informations, à la fois monétaires et non monétaires (par exemple, la justice
sociale, la protection de l’environnement ou l’égalité des chances), afin de déterminer quel projet ou
quelle politique est plus intéressant par rapport aux différents critères choisis. Ces critères non-
monétaires peuvent s’assimiler, dans le cadre des problématiques de l’adaptation au changement
climatique, à la protection de l’environnement, aux valeurs culturelles ou encore aux considérations
de nature sociopolitique. Ils permettent notamment de réduire le biais de l’analyse économique vers
les bénéfices financiers, et de donner une plus grande place à d’autres objectifs (notamment vis-à-vis
du changement climatique).
L’analyse multicritère, bien qu’elle se fonde sur un ensemble de critères plus vastes que d’autres
formes d’analyse économique (notamment en ce qu’elle n’agrège pas toutes les données de coûts ou
de bénéfices sous une forme monétaire), suit un processus semblable à ceux des analyses
économiques classiques. Cependant, certaines étapes sont spécifiques à l’AMC, en particulier le choix
des critères pris en compte dans l’analyse, ainsi que le poids relatif accordé à chacun d’entre eux. Ces
étapes sont cruciales, car faire le choix de critères d’évaluation inadaptés ou non-pertinents, ou
24
attribuer des coefficients qui ne représentent pas efficacement l’importance relative de chaque
critère dans le score final (pris en compte dans la décision), pose le risque de biaiser l’analyse et de
ne pas permettre de faire le choix de la meilleure option. Le caractère délicat des étapes spécifiques
à l’analyse multicritère implique qu’une grande quantité d’information et de moyens soient
nécessaire à son élaboration.
Figure 9 : Les étapes de la démarche d’analyse multicritère dans le cadre d’un projet d’adaptation au changement
climatique. Source : CDC Climat
3.1.5 Tableau récapitulatif des méthodes d’analyse classiques et
méthodes alternatives
Ainsi, les traits caractéristiques des différentes méthodes de prise de décision économique (résumés
dans le Tableau 1) rendent leur emploi respectif adapté dans certaines situations, différents projets
n’ayant pas besoin (ou intérêt) de recourir à la même méthode d’analyse. Par exemple, un projet se
concentrant exclusivement sur le retour financier de l’action pour les investisseurs se bâtira
probablement autour d’une analyse financière car celle-ci se focalise sur la répartition des coûts et
des bénéfices pour ces acteurs. Or, dans un contexte de changement climatique, une simple analyse
financière – même si elle peut intégrer l’incertitude et le risque lié aux évolutions des impacts
climatiques – n’est pas la solution la plus pertinente pour évaluer des projets d’adaptation au
changement climatique. En effet, elle n’intègre pas les externalités, économiques ou non, du projet.
En revanche, des méthodes telles que l’analyse coûts-bénéfices, l’analyse coûts-efficacité ou
l’analyse multicritères permettent de tenir compte des conséquences de l’action envisagée sur
l’ensemble du système, ce qui peut avoir une influence considérable sur la viabilité du projet. PROVIA
porte ainsi une attention sur ces méthodes qui permettent d’envisager les conséquences d’un projet
d’adaptation sur toutes les composantes d’un système. Mais il souligne certaines difficultés,
notamment l’importance de la modélisation du scénario de « référence » en comparaison duquel les
actions d’adaptation sont évaluées.
En outre, la méthode utilisée pour décider de la mise en place d’un projet ou d’une politique
d’adaptation au changement climatique dépend également de facteurs tels que les moyens
financiers de l’opération, le temps disponible pour réaliser l’analyse, ainsi que l’information sur
25
laquelle elle peut se fonder. Cependant, la nature et l’objectif du projet ou de la politique considérée
reste particulièrement important. Ce dernier aspect est notamment vrai pour l’Analyse Coût-
Efficacité pour laquelle PROVIA souligne qu’elle ne fournit en aucun cas « une mesure absolue des
coûts et bénéfices qui garantissent qu’une action [d’adaptation] « vaut le coup », comme le ferait
une analyse coûts-bénéfices19. »
Eu égard aux qualités respectives de ces différentes méthodes d’analyse économique dans le cadre
de l’adaptation au changement climatique, le 5eme Rapport d’évaluation du GIEC met en avant les
méthodes d’analyse coûts-bénéfices et multicritères. Le groupement d’experts cite notamment
l’AMC comme étant la méthode préférée par la CCNUCC pour l’évaluation des solutions d’adaptation
car elle permet une meilleure intégration des facteurs non-économiques dans le résultat de l’analyse.
En comparaison, l’analyse coûts-bénéfices est plus limitée, notamment du fait de la difficulté que
représente l’expression sous forme monétaire de certains facteurs intangibles lors de l’évaluation (le
rapport cite notamment l’exemple de la vie humaine). Toutefois, l’ACB peut aussi permettre une
prise de décisions éclairée en matière d’adaptation au changement climatique, à condition qu’elle se
fonde sur des informations extensives et fiables, et que l’estimation des coûts (y compris non-
Objectif Identifier la viabilité ou la rentabilité financière d’un projet
Comparer différents projets alternatifs en fonction de leurs coûts et bénéfices sur une base souvent monétaire
Permet de comparer différentes options alternatives pour l’atteinte d’un objectif afin d’identifier celle qui répond le mieux à celui-ci et au moindre coût
Comparer les coûts et bénéfices de différentes solutions à l’aune de différents critères afin d’intégrer les externalités positives et négatives liées aux différents projets
Méthode Repose sur le calcul d’une valeur actuelle nette à partir des coûts totaux et des flux financiers actualisés attendus
Evaluation de l’ensemble des coûts et des bénéfices sous forme de ratio coût-bénéfices actualisés liés à un projet, en incluant l’ensemble des coûts et bénéfices pour tous les acteurs (c’est-à-dire les externalités)
A partir d’un critère d’efficacité choisi par rapport à l’objectif du projet, comparer différentes solutions alternatives à partir d’un ratio coûts-efficacité, et exprimer les résultats en unités d’efficacité
Evaluation des coûts et bénéfices des différentes options pour chaque critère (impacts sociaux, climatique…), suivi de l’agrégation les résultats en un score dans lequel chaque critère est pondéré par rapport aux autres
Critère de
décision
La décision se fait sur l’option ayant la rentabilité financière (VAN) la plus élevée
Les bénéfices nets les plus élevés ou le meilleur ratio coûts/bénéfices
Le meilleur ratio coût-efficacité
Le « score » le plus élevé, c’est-à-dire la solution qui répond le mieux aux différents critères pondérés
Avantages Permet de comparer des projets alternatifs : le projet le plus rentable sera choisi
Donne une vision simple et globale des coûts et des bénéfices, avec une unité commune (monétaire)
Permet de comparer facilement différentes alternatives par rapport à un objectif donné, en identifiant la moins coûteuse
Donne une vision globale des coûts et bénéfices de différentes solutions par rapport aux impacts du changement climatique
Limites Ne prend en compte que les coûts et avantages qui touchent directement l’investisseur privé
Difficulté d’intégrer ou de valoriser les coûts et bénéfices relatifs des éléments non-économiques ainsi que les externalités. D’importantes ressources peuvent être requises pour quantifier correctement l’ensemble des coûts et bénéfices, chronophage
L’objectif choisi dépend souvent de critères subjectifs et/ou de choix politiques, et ne prévient donc pas toujours la maladaptation
Le choix des critères est difficile et n’est pas forcément consensuel. Requière des ressources importantes (financières, temporelles…) pour rassembler les données requises à l’analyse
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PROVIA, PNUE, section 3.7.2 : “it does not provide an absolute measure of costs and benefits to ensure that an option is “worth doing”, as a cost-benefit analysis would.”
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Méthodes alternatives
Outre les méthodes d’analyse économique classique que nous avons listées plus haut, des auteurs,
comme Hallegatte (2012), ou des institutions comme la Banque Mondiale, citent des méthodes
d’analyse alternatives, qu’ils décrivent comme étant particulièrement pertinentes dans le cadre de
l’adaptation au changement climatique. Ces méthodes, sont qualifiées par le GIEC de « non-
probabilistic », c’est-à-dire qu’elles ne fondent pas la décision sur la probabilité de la réalisation d’un
risque (contrairement aux méthodes d’analyse économique classique qui attribuent un prémium lié
au niveau de risque et des conséquences d’un impact estimé). Des méthodes « sans regret », dont les
co-bénéfices dépassent les coûts, ou « de décision robuste », permettant de choisir des solutions
cohérentes avec un vaste panel de scénarios d’évolution du climat, sont pertinentes pour évaluer des
stratégies d’adaptation au changement climatique. Ces méthodes « non-probabilistic », sans regret,
etc., sont au cœur de l’analyse du rapport PROVIA car elles sont particulièrement adaptées à certains
projets d’actions d’adaptation au changement climatique. Elles comprennent notamment :
- L’utilisation des « options réelles » : méthode de prise de décision qui se base sur la réduction de
l’incertitude avec le temps et vise donc à préserver la plus grande gamme possible de possibilités
d’options d’adaptation. La méthode des options réelles s’articule autour des notions
d’intemporalité et de flexibilité. La première se rapporte à l’objectif d’éviter les effets négatifs
irréversibles d’éventuelles actions d’adaptation qui se révèleraient « inadaptées » à terme (par
exemple le sous-dimensionnement rétrospectif d’un réseau d’évacuation d’eaux usées), ou
d’impacts du changement climatique. La notion de flexibilité correspond à la capacité
d’ajustement des stratégies d’adaptations mises en œuvre dans ce cadre à l’évolution des
impacts du changement climatique (ou à l’incertitude les concernant).
- La « climate informed decision analysis » (cida, ou decision scaling): méthode d'incorporation de
données climatiques. Elle allie une approche bottom-up (l’information provient de la base, des
acteurs du terrain) avec de l'analyse de vulnérabilité, par exemple via des discussions avec les
parties prenantes, une approche top-down (l’information provient des centres de décision tels
que les institutions) avec de l’information climatique, notamment sous la forme de modèles
d’évolution climatique. Les résultats de ces approches sont considérés en termes de plausibilité
(et non de probabilités) par les décideurs, ce qui introduit une certaine part de subjectivité dans
la prise de décision. La confrontation entre ces deux approches permet ensuite une analyse plus
fine de la vulnérabilité au changement climatique.
- Le « robust decision making » (RDM) : méthode de prise de décision itérative, réalisée en
collaboration avec les parties prenantes, qui permet d’identifier les vulnérabilités et les solutions
pour se prémunir des situations inacceptables selon la sensibilité du projet au climat à travers
une large gamme de futurs climatiques. Cette méthode s’articule autour du concept de
robustesse, ce qui signifie que l’option d’adaptation qu’elle identifie comme la meilleure pour
une situation donnée sera celle qui sera efficace « pour une large gamme de plausibles futurs
climatiques, de tendances socio-économiques » (GIEC, 2014). Il s’agit notamment de confronter
une potentielle solution à différents scénarios climatiques.
- La gestion adaptative : proche du principe de l’utilisation des options réelles, cette méthode
d’évaluation des actions d’adaptation repose notamment sur une évaluation ex-post des actions
mises en place et un apprentissage constant en fonction de l’expérience acquise et de
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l’information (climatique, technique,…) nouvellement disponible. Le rapport PROVIA met
notamment son utilisation en avant comme une alternative de méthodes d’analyses
économiques habituelles, dans le cas où les arbitrages liés aux coûts de la mise en place de
différentes solutions d’adaptations sont moins contraignants.
3.2 Spécificité pour la prise en compte du Changement
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