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PROFESSIONS RÉGLEMENTÉES DU DROIT ET AIGUILLON CONCURRENTIEL: RÉFLEXIONS SUR LA LOI DU 6 AOÛT 2015 POUR LA CROISSANCE, L’ACTIVITÉ ET L’ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES Documents de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series Frédéric Marty GREDEG WP No. 2016-12 http://www.gredeg.cnrs.fr/working-papers.html Les opinions exprimées dans la série des Documents de travail GREDEG sont celles des auteurs et ne reflèlent pas nécessairement celles de l’institution. Les documents n’ont pas été soumis à un rapport formel et sont donc inclus dans cette série pour obtenir des commentaires et encourager la discussion. Les droits sur les documents appartiennent aux auteurs. The views expressed in the GREDEG Working Paper Series are those of the author(s) and do not necessarily reflect those of the institution. The Working Papers have not undergone formal review and approval. Such papers are included in this series to elicit feedback and to encourage debate. Copyright belongs to the author(s).
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Professions réglementées du droit et aiguillon …Supprimées sur la base de la liberté du commerce et de l’industrie par les décrets d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 et la

Jul 07, 2020

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Professions réglementées du droit et aiguillon concurrentiel: réflexions sur la loi du 6 août 2015 Pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiquesDocuments de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series

Frédéric Marty

GREDEG WP No. 2016-12http://www.gredeg.cnrs.fr/working-papers.html

Les opinions exprimées dans la série des Documents de travail GREDEG sont celles des auteurs et ne reflèlent pas nécessairement celles de l’institution. Les documents n’ont pas été soumis à un rapport formel et sont donc inclus dans cette série pour obtenir des commentaires et encourager la discussion. Les droits sur les documents appartiennent aux auteurs.

The views expressed in the GREDEG Working Paper Series are those of the author(s) and do not necessarily reflect those of the institution. The Working Papers have not undergone formal review and approval. Such papers are included in this series to elicit feedback and to encourage debate. Copyright belongs to the author(s).

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Professions réglementées du droit et aiguillon concurrentiel

Réflexions sur la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité

des chances économiques

Frédéric MARTY

CNRS – GREDEG

Université Nice Sophia Antipolis

GREDEG Working Paper No. 2016-12

Résumé

La réglementation appliquée à certaines professions est plus souvent analysée sous le prisme

d’une protection indue contre la concurrence que sous celui de la défense de l’intérêt général,

i.e. de la prévention d’une défaillance de marché. Dans le cadre de la réforme de la

réglementation applicable à certaines professions du droit inaugurée en France par la loi Macron

d’août 2015, nous interrogeons le cadre réglementaire initial avant de nous attacher aux impacts

possibles sur les prix et sur la qualité du service rendu de la réforme en cours.

Mots clés : professions réglementées, défaillances de marché, capture de la réglementation,

asymétrie d’information, biens de confiance

Codes JEL : K23, L43, L51

Abstract

The law and economics analysis of regulated professions leads to highly controversial

judgements. For some, the regulation provides an unduly protection against competition. For

others, the regulation contributes to the general interest, for instance by preventing market

failures. In the context of the French reform of regulated legal professions, initiated in August

2015 by the Macron Law, we analyse the former regulatory framework before investigating its

potential impacts in terms of prices and service quality.

Keywords: regulated professions, market failure, regulatory capture, information asymmetry,

credence goods

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La réglementation qui s’applique à certaines professions est parfois vue par l’analyse

économique comme ayant plus effet de leur offrir une protection contre la concurrence que de

répondre à une défaillance de marché ou encore à protéger les consommateurs. Notre objectif

est ici de montrer qu’une position plus équilibrée peut découler de la prise en compte de la

question de la qualité des services rendus par quelques-unes de ces professions réglementées,

celles du droit. Deux questions sont alors posées. La première porte sur les effets de la

réglementation actuelle, la seconde sur l’impact de l’évolution initiée par la loi Macron. Il s’agit

de savoir si celle-ci pourra effectivement permettre une baisse des prix et si celle-ci ne se paiera

pas le cas échéant par une dégradation du service rendu à l’usager.

Notre contribution se structure en deux parties. Une première tient à la question amont. Il s’agit

d’interroger les fondements de la réglementation. Plusieurs analyses économiques possibles de

la réglementation sont mises en regard. Est-elle simplement la résultante d’un phénomène de

capture par les acteurs régulés ou participe-t-elle d’une logique de correction d’une défaillance

de marché tenant à une information asymétrique et incomplète tant ex ante qu’ex post sur la

qualité du professionnel et sur le niveau d’effort qu’il a mis en œuvre ? Notre seconde partie

s’inscrit dans une problématique aval. Il s’agit d’interroger les dispositifs introduits dans le

cadre de la Loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances

économiques dite loi Macron à l’aune d’une conciliation entre garantie de la qualité du service

rendu à l’usager et recherche d’un renforcement de la concurrence.

I. Entre défaillance de la réglementation et défaillance de marché

Il convient successivement d’interroger la littérature académique quant à l’identification des

bénéficiaires de la réglementation (A) avant de montrer comment la réglementation de certaines

professions a servi de symbole à l’agenda de réformes structurelles de l’économie française

rendues nécessaires par son déficit croissant de compétitivité (B).

A. Une méfiance historique : la réglementation protège-t-elle l’intérêt général ou les

intérêts des règlementés ?

a) Une perspective historique sur les professions réglementées

Il est une constante, et ce particulièrement en France de dénoncer la réglementation publique

comme plus profitable plus aux opérateurs économiques qui lui sont soumis qu’au

consommateur ou à l’intérêt général. Le débat sur les professions réglementées n’a pas été sans

faire écho ou sans susciter des références, guère souvent justifiées néanmoins, à la situation de

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la France de l’Ancien Régime, et notamment aux corporations (Kaplan et Minard, 2004).

Supprimées sur la base de la liberté du commerce et de l’industrie par les décrets d’Allarde des

2 et 17 mars 1791 et la Loi Le Chapelier du 14 juin 1791, elles étaient vues comme autant de

frein à l’innovation et au développement de l’économie (Imbert, 1993). Elles incarnent depuis

dans l’imaginaire collectif l’entrave par excellence aux libertés économiques au profit non de

l’intérêt général mais d’intérêts particuliers.

A ce titre, certaines recommandations de rapports pourtant distants d’un demi-siècle, du rapport

Armand–Rueff (1960) aux rapports Attali (2008) et Gallois (2012), produisent un troublant

écho avec les tentatives toujours avortées de réformes du crépuscule de l’Ancien Régime.

Quelques-unes des lignes du rapport Armand-Rueff suffisent à établir une telle concordance

des temps : « L’existence de certains groupes de pression, dont l’action méconnaît les exigences

de l’intérêt général, n’est certes propre à notre seul pays. Cependant, l’esprit souvent

conservateur et malthusien de ces groupes a des racines profondes dans notre histoire

économique. On peut y observer une lutte incessante entre, d’une part, les corporations, les

corps intermédiaires et les coalitions d’intérêts, à la recherche de monopoles, de privilèges et

de protections, et, d’autre part, l’Etat et l’administration qui résistent, limitent, repoussent, mais

souvent finissent par succomber. Les figures d’Henri III, de Colbert, de Turgot, du député

d’Allarde, de Napoléon III, de Méline et d’autres plus récentes, illustrent les péripéties de cet

éternel conflit » (Armand et Rueff, 1960). Ainsi, la situation des professions réglementées est

– dans le discours – rapprochée de l’économie d’Ancien Régime. Les barrières réglementaires

à l’entrée et l’absence de concurrence tarifaire apparaissent comme autant d’outils de protection

d’une rente.

Cette vision revient de fait à celle défendue par l’Ecole de Choix Publics : la réglementation ne

procède pas de la décision optimale d’un décideur public omniscient, omnipotent et bienveillant

mais peut voir ses motivations et ses effets altérés. En d’autres termes, la réglementation

publique faillirait à remplir son objectif légitime de correction des défaillances de marché. Elle

serait sujette à un certain nombre de risques. Le premier est un risque de capture

informationnelle émanant des firmes régulées. Il met en cause l’hypothèse d’omniscience du

régulateur. Cette capture peut provenir de la transmission d’informations tronquées ou biaisées

par les régulés ou plus simplement par l’assimilation progressive de l’intérêt général à celui du

secteur régulé. Le deuxième risque est que l’hypothèse d’omnipotence puisse être relâchée.

Cela revient à mettre en question l’efficacité voire l’effectivité de la réglementation publique.

Les règles dans ce cadre pourraient être détournées par les entités régulées à des fins de

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protection de leur situation de marché. Le troisième risque tient au relâchement de l’hypothèse

de bienveillance. Le régulateur pourrait porter d’autres objectifs que ceux qui prescriraient la

défense de l’intérêt général. Cela peut procéder de logiques de corruption ou plus

prosaïquement de dynamiques de carrières pouvant induire des passages de l’autorité de

régulation vers les industries régulées et réciproquement (phénomène de revolving doors).

La réglementation pourrait dans cette approche conduire à une protection d’un faible nombre

d’acteurs au détriment du plus grand nombre. Ce phénomène peut de fait s’expliquer par le

paradoxe de l’action collective mis en évidence par Mancur Olson (1965). Dans la mesure où

les gains sont concentrés sur un faible nombre et les coûts dispersés sur l’ensemble de la société,

un groupe bien structuré peut exercer une pression efficace sur le décideur public pour obtenir

une réglementation qui lui sera indûment profitable.

Il s’agit au final d’une approche de la réglementation comme résultante d’une stratégie de

capture au profit d’intérêts privés (private interest theory) au détriment de l’intérêt général. Il

est à noter que cette capture peut être considérée comme d’autant plus assurée que la profession

en question est protégée par une structuration par ordre professionnel, laquelle dans cette

perspective est vue comme un dispositif d’auto-régulation participant bien moins d’une logique

d’efficacité du contrôle sur les opérateurs régulée que d’une stratégie d’évitement de la

supervision publique (Ogus, 1995).

La réglementation de certaines professions était présentée comme malthusienne par le rapport

Armand-Rueff. Les barrières à l’entrée (sous forme de numerus clausus ou de conditions

restrictives d’installation) ont pour effet de rationner l’offre et donc d’offrir aux opérateurs

présents un pouvoir de marché leur permettant d’accroître leurs prix1. Au-delà de cet effet, une

réglementation protégeant certaines professions peut avoir les mêmes conséquences sur le

marché qu’un cartel. Ces derniers peuvent prendre des formes différentes qu’il s’agisse

d’ententes sur les prix, sur la production ou de dispositifs de répartition ou de protection du

marché contre les nouveaux entrants. Il peut s’agir dans ces deux derniers cas de partages

géographique de marchés ou de restrictions à l’entrée. Par certains égards, la réglementation

1 Le rapport Armand-Rueff mettait en exergue « les situations de sclérose, de malthusianisme ou d’inadaptation [...] dans l’organisation de certaines professions » ayant permis la constitution « au sein de notre système économique, des îlots de résistance aux nécessaires aménagements [...] qu’exigent le progrès technique, le renouveau démographique et l’évolution sociale ». De fait, les termes du débat sur les professions réglementées tels que les avaient posés Armand et Rueff étaient indissociables de la question de la compétitivité de l’économie française, thème central de la politique économique de la Cinquième République naissante et souci majeur de la période contemporaine post-crise de 2008 (Didry et Marty, 2015).

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qui s’applique aux professions réglementées, notamment du droit, peut reposer sur des

dispositifs pouvant avoir des effets comparables.

Toute restriction horizontale de concurrence se traduit par une triple inefficience au point de

vue économique. Le premier dommage porte sur l’efficacité allocative. Le pouvoir de marché

acquis collectivement par les cartellistes leur permet d’accaparer une partie du surplus du

consommateur. Un effet « redistributif » découle donc de la coordination entre les offreurs. Il

s’agit d’un transfert de bien-être des consommateurs vers les professionnels en question. Une

restriction horizontale induit également une perte sèche de bien-être pour l’ensemble de

l’économie. En effet, la hausse des prix conduit à exclure certains consommateurs du marché.

Un tel effet serait particulièrement dommageable dans les secteurs concernés par ces

réglementations dans la mesure où il s’agit de domaines liés à des services revêtant des

dimensions d’intérêt général. Le troisième et dernier dommage tient au « conservatisme »

également dénoncé par Armand et Rueff. Les entraves à la concurrence horizontale ont pour

effet de réduire les incitations pour les professionnels à innover ou à baisser leurs coûts. Il en

résulte donc une inefficience dynamique. Nous retrouvons ici l’argument de John Hicks (1935)

selon lequel le principal gain du monopole n’est pas tant la capacité de porter son prix au-delà

du niveau concurrentiel mais le fait de disposer d’une maîtrise de l’environnement

concurrentiel : the quiet life of monopoly. La réglementation protège contre de nouvelles

entrées, prévient l’émergence de mavericks venant troubler l’ordre de marché en proposant de

nouveaux modèles d’affaires. Dans le cas des professions réglementées du droit, la

réglementation peut être vue comme faisant obstacle à l’émergence de nouveaux modèles

d’organisation telles des structures multi-professionnelles pouvant prester des services

innovants et compétitifs pour les entreprises.

Une telle vision de la réglementation publique revient de fait à l’analyse développée par l’Ecole

de Chicago (Stigler, 1971). Les barrières à l’entrée sur le marché ne sont que rarement

techniques ou financières mais le plus souvent publiques. Le rôle de la politique publique est

alors de lever ces barrières, en d’autres termes de rendre les marchés contestables pour –

hypothétiquement – les rendre autorégulateurs, ou du moins permettre une gouvernance

purement concurrentielle. Le modèle le plus efficace économiquement ne serait plus alors celui

d’une réglementation ex ante (assurée par exemple dans le cas des professions réglementées du

droit par le ministère de la Justice), mais celui d’une sanction ex post des pratiques contraires

aux règles de marché assurée le juge de la concurrence.

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Si la protection dont jouiraient certaines professions était déjà dénoncée par le rapport Armand-

Rueff comme un obstacle à la modernisation de l’économie française dans une période de mise

en place du marché commun et donc de renforcement de la concurrence étrangère, la question

du coût de telles protections indues sur la compétitivité des firmes exportatrices françaises se

pose encore plus d’acuité aujourd’hui.

Sy (2014) illustre ces enjeux. Une déconnexion croissante s’observe en France entre les prix du

secteur protégé et du secteur exposé à la concurrence internationale. De fait, le solde des

échanges extérieurs qui était positif de 1,5% en moyenne entre 1999 et 2004 est négatif de 1,3%

en moyenne depuis cette date. Une des explications possibles de cette tendance structurelle tient

à la dégradation du taux de change interne, c’est-à-dire du différentiel entre les prix des biens

et services échangés internationalement et ceux qui ne le sont que sur le marché français. Quand

les premiers ont crû de 10% en 10 ans, les seconds de 25%. Or, les services représentent 60 à

80% de la valeur ajoutée de nos productions industrielles. Si les services juridiques ne

concernent qu’une très faible part de l’ensemble des services, il n’en demeure pas moins qu’ils

font partie des domaines sur lesquels doivent porter les réformes structurelles nécessaires à la

restauration de notre compétitivité2.

b) Les professions réglementées sur l’agenda des réformes structurelles

De fait, parmi les réformes structurelles préconisées pour restaurer notre compétitivité, les

professions réglementées occupent une place symbolique, par certains égards bien supérieure à

leur réel poids économique.

Un rapport d’octobre 2014 de l’OCDE fournit un premier exemple de cette logique (OCDE,

2014). Si la faiblesse de la croissance depuis la crise de 2008 est commune à la majeure partie

des états européens et tire notamment ses origines du décrochage de notre continent en termes

de gains de productivité vis-à-vis des Etats-Unis (Van Ark et al., 2008), cette tendance est

particulièrement marquée – et préjudiciable au vu de sa démographie – pour notre pays. Pour

l’OCDE, l’un des facteurs expliquant la sous-performance française tient au poids de la

réglementation affectant le coût des intrants (Bourlès et al., 2013). Il s’ensuit des propositions

de réformes structurelles qui se déclinent dans quatre domaines dont celui de la concurrence

sur le marché des biens et services. Aux côtés de la réforme des règles afférentes au marché du

2 Le même raisonnement pourrait être étendu aux particuliers. Le poids des frais de mutations immobilières réduit la mobilité des actifs et contribue donc à rigidifier le marché du travail. Cependant, la même réserve doit s’appliquer : un renforcement de la concurrence ne saurait jouer sur la part des frais liée à des prélèvements fiscaux.

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travail, de celle portant sur la politique fiscale et de l’organisation administrativo-territoriale de

la République, figure celle des marchés de biens et services. Les services à l’industrie

constituent indubitablement une part croissante des coûts des entreprises et une variable clé de

leur compétitivité. Les professions réglementées n’occupent certes qu’une faible place par

rapport à l’ensemble des services (Sterdinyiak, 2015). Pour autant, l’OCDE (2014) insiste sur

les services juridiques et comptables : « Certaines réglementations qui visent à protéger

l’exercice d’une profession, ou instaurent une dynamique monopolistique dans un secteur

peuvent ainsi être une entrave importante à l’amélioration de la compétitivité de toute la chaîne

industrielle ».

L’accent placé par l’OCDE sur les professions réglementées fait écho aux conclusions rendues

un an plus tôt par l’Inspection Générale des Finances (2013). L’IGF s’est livrée à une analyse

économique du fonctionnement de 37 professions réglementées3 représentant quelques 1,1

million de salariés et 6,4% du PIB français. Il s’agissait donc d’un périmètre plus large que

celui des professions réglementées du droit. Son constat rejoint le schéma « chicagoéen » que

nous avons décrit supra. La réglementation aurait pour effet de protéger indûment les firmes

réglementées. En effet, pour l’IGF, le niveau de rentabilité, compte tenu des investissements et

des niveaux de risques associés, « ne trouve dans certains cas pas d’autre explication que la

réglementation en vigueur ». Le bénéfice net avant impôt moyen de ces 37 professions serait

de 19,2% soit 2,4 fois plus que la moyenne de l’économie. Le rapport de la Commission d’étude

des effets de la loi pour la croissance et l’activité confortait cette relation de déconnexion entre

niveaux de risques et de rentabilité en mettant en évidence que la réglementation peut produire

des rentes indues dès lors que coexistent un tarif non lié aux coûts, des activités monopolistiques

dont les prix ne sont pas régulés et des barrières à l’entrée sur le marché induisant un

rationnement de l’offre (Commission d’étude des effets de la loi pour la croissance et pour

l’activité, 2015).

Ce constat est conforme aux principaux résultats dégagés par la littérature académique quant

aux effets de la réglementation des services sur la croissance et la productivité globale des

facteurs. La Commission d’étude s’appuie par exemple sur les conclusions de Bourlès et al.

(2015), lesquels mettent évidence un impact favorable d’un allègement de la réglementation sur

3 Cinq catégories de réglementations étaient analysées. Il s’agissait des tâches et activités réservées, des tarifs réglementés, des exigences minimales de qualification, des restrictions à la liberté de formation et d’installation et enfin des restrictions en matière d’accès au capital.

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la productivité globale des facteurs. Nous retrouvons encore le lien mis en avant dès le rapport

Armand-Rueff entre réglementation et productivité.

Il est néanmoins à noter que le rapport de l’IGF reconnaissait que la majeure partie des

restrictions analysées (tâches et activités réservées, réglementations tarifaires, exigences

minimales de qualification, limitations à la liberté de formation et d’installation et, enfin, en

matière d’accès au capital) correspondaient à la mise en œuvre d’objectifs d’intérêt général et

d’efficacité économique. En effet, trois facteurs pouvant expliquer la présence d’une

réglementation publique étaient mis en avant par l’IGF. Il s’agit tout d’abord du manque

d’expertise du public sur la qualité et l’adéquation du service proposé et sur l’étendue de son

besoin. Il s’agit ensuite d’un risque d’apparition de prix trop élevés par rapport aux coûts de

revient ou trop bas pour permettre un service d’une qualité suffisante. Il s’agit enfin d’un risque

de conflits d’intérêts chez les professionnels.

B - La réglementation n’est pas qu’une affaire de prix mais aussi de contrôle de la qualité

du service

De fait, l’expérience historique montre que la réglementation publique n’est que rarement

initiée sur la base d’une recherche de rente ou de la constitution de droits de monopoles au

profit d’une profession donnée mais souvent pour répondre à un problème de défaillance de

marché, notamment lié à des questions de qualité des produits et des services. Par exemple, si

les corporations d’Ancien Régime étaient effectivement devenues, pour reprendre les termes de

Jacques Le Goff, « des instruments d’immobilisme social, de résistance à l’innovation

technique, des bastions du conservatisme visant à éliminer la concurrence sur le marché urbain

et d’organiser un système de monopole4», le développement de ces dernières et leur pérennité

ne sauraient être séparés de la question de la qualité des produits (voir également Stanziani,

2003) .

En effet, si la réglementation publique peut induire des coûts collectifs en cas de défauts de

conception ou de mise en œuvre (notion de défaillance de la réglementation), elle répond

néanmoins souvent à une défaillance de marché. Celle-ci tient principalement, dans le cas des

professions réglementées du droit, au déficit informationnel des usagers. En effet, ces derniers

doivent composer avec une information asymétrique et incomplète tant ex ante qu’ex post. Ce

faisant, les deux problèmes classiques, l’anti-sélection et l’aléa moral, sont en jeu.

4 Le Goff J., « Corporations », Encyclopédie Universalis, version en ligne, http://www.universalis.fr/encyclopedie/corporations/

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L’anti-sélection tient à l’absence de vérifiabilité de la qualité des biens et des services sur un

marché. Comme l’a montré Akerlof (1970) avec son market for lemons, un tel phénomène peut

conduire à une défaillance pure et simple de marché. Pour le cas des professions réglementées

du droit, il est possible de considérer que la mauvaise qualité du système juridique, tant en

matière de définition des droits de propriété que de garanties juridictionnelles de l’effectivité

des obligations contractuelles, est de nature à porter préjudice à l’efficacité économique et donc

au potentiel de croissance de l’économie.

De nombreux exemples dans l’histoire économique permettent d’établir un lien entre qualité du

système juridique et performance économique de long terme. Le cas argentin est topique d’un

tel phénomène, bien qu’il ne constitue pas loin s’en faut un cas isolé en Amérique Latine (Fleitas

et al., 2013). En matière de sécurité juridique tout d’abord, la mauvaise définition des droits de

propriété a posé de redoutables problèmes, notamment dans le domaine des concessions de

service public (Post, 2014). Dans le domaine de l’exécution des contrats ensuite, l’une des

explications de la faible performance économique de long terme de l’Argentine depuis les

années cinquante tiendrait au faible accent mis par le juge du contrat sur le respect des

engagements contractuels dans le cadre des contentieux qui lui étaient présentés (Prados de la

Escosura et Sanz-Villaroya, 2006). Une telle analyse est conforme aux prédictions de Douglas

North et d’Oliver Williamson pour lesquels la qualité du cadre institutionnel joue sur l’efficacité

économique (North, 1990). Pour Williamson (1990), une économie de « haute performance »

suppose que des contrats de long terme puissent être conclus. Ceux-ci présentent des

caractéristiques (investissements lourds et spécifiques, transactions de faible fréquence) qui les

exposent au risque d’aléa moral et donc de hold-up contractuel. Un cadre juridique de qualité

est donc nécessaire pour que des investissements de long terme puissent être réalisés.

Face à cette situation d’information asymétrique et incomplète, des « counteracting

institutions » au sens d’Akerlof sont nécessaires. Pour lui, les garanties en termes de qualité des

services pouvaient venir des logiques réputationnelles induites par les stratégies de marques ou

des procédures de de certification ou de licence. Le passage du marché des biens et services à

celui des professions réglementées du droit apparaît dès l’article de 1970 : « licensing practices

also reduce quality uncertainty. For instance, there is the licensing of doctors, lawyers and

barbers ». Cette logique d’une réglementation publique visant à corriger des défaillances de

marché qui est propre à la Première Economie du Bien-Etre qui précéda les analyses de l’Ecole

de Chicago, trouve une présentation détaillée, type de réglementation par type de

réglementation, dans le rapport de l’IGF (2013) comme le montre le tableau infra.

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Caractéristiques de la transaction

pouvant induire des défaillances de

marchés

Solutions réglementaires envisageables

Manque d’expertise du consommateur sur

l’étendue du besoin et sur l’adéquation

des services proposés

Exigence de qualification

Institution d’activités exclusives et réservées ou de monopoles

professionnels

Autorisation explicite de la puissance publique pour entrer sur le

marché (nomination des notaires par le garde des sceaux)

Délégation de service public (huissiers)

Risque d’apparition de prix trop élevés

par rapport aux coûts de production ou de

prix trop bas par rapport à ce qui serait

nécessaire pour assurer un service d’une

qualité adéquate

Institution d’un tarif réglementé

Subvention publique pour les consommateurs dont les ressources

ne permettraient pas d’accéder au service (aide juridictionnelle)

Risque d’un nombre de professionnel

excessif au vu des besoins sociaux

Instauration d’un numerus clausus

Interdiction de s’installer dans des zones déjà excédentaires

Il s’agit donc de trouver une voie d’équilibre entre d’une part une nécessaire correction des

défaillances de marché et la protection des intérêts des agents économiques en situation

d’information imparfaite et d’autre part la prévention de défaillances de la réglementation se

traduisant par des protections indues accordées aux acteurs réglementées au détriment de

l’intérêt général. Il convient en d’autres termes de ne pas exclusivement considérer les effets

d’une dérégulation sur les prix mais également prendre en compte ses effets éventuels sur la

qualité du service rendu à l’usager.

Il convient en effet, suivant Chaserant et Harnay (2015a), de traiter le marché des services

juridiques non pas comme un marché de commodités dans lequel des biens et services standards

et non différenciés seraient échangés par des acteurs homogènes mais de penser l’hétérogénéité

des produits et des acteurs et ses conséquences possibles en termes de régulation.

II. La Loi Macron et les professions réglementées du droit : une voie d’équilibre ?

Nous proposons dans notre seconde partie de traiter plus spécifiquement du cas des

professionnels du droit dans le cadre de la Loi Macron en abordant successivement la question

spécifique des caractéristiques des services qu’ils prestent et celle des solutions dégagées par le

législateur.

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A – D’une analyse critique de la réglementation actuelle à un nouveau modèle de

régulation

Raisonner sur les défaillances de la réglementation sur la base d’un modèle concurrentiel

standard présente un double écueil. La premier, que nous avons présenté dans notre précédente

section, est d’omettre que la réglementation vise souvent à pallier une défaillance de marché

dont il s’agit de ne pas susciter la résurgence. Le second est de raisonner sur la base de biens et

services homogènes.

Il est en effet nécessaire d’affiner les catégories de biens et services visés (Karpik, 2000 ;

Chaserant et Harnay, 2013). Il convient de distinguer trois types de biens et services. Les

premiers sont les biens de recherche. Leur qualité ne dépend que marginalement du

professionnel qui les preste. Il s’agit des biens et services que l’on pourrait qualifier de standards

et dont ce faisant les marchés correspondants se prêtent donc à une analyse économique

traditionnelle. Un deuxième type de bien échappe déjà à une telle analyse. Il s’agit des biens

d’expérience. Il n’est pas possible d’évaluer leur qualité ex ante. Un problème d’anti-sélection

est en jeu. Cependant, il est possible d’évaluer (et de transférer aux tiers) leur qualité ex post.

Cette caractéristique n’est plus de mise pour les biens de confiance. Dans leur cas, l’asymétrie

d’information quant à leur qualité persiste même après leur consommation.

De telles caractéristiques peuvent jouer dans la conception de la réglementation. Les différents

types de biens n’appellent pas en effet un niveau de protection du consommateur équivalent.

Elles questionnent également les possibles mécanismes d’autorégulation du marché par des

mécanismes réputationnels ou le transfert d’expériences de consommateurs expérimentés vers

des consommateurs novices. En effet, si le service rendu par le professionnel du droit est conçu

comme un bien de confiance, le client n’a souvent qu’un faible niveau d’expérience et peut ne

pas être capable d’apprécier même ex post la qualité du service rendu par le professionnel. En

outre, comme le soulignent Chaserant et Harnay (2015a), le service juridique rendu par le

professionnel est de fait personnalisé (nous pourrions dire dédicacé au sens de Salais et Stoper

(2013)). Sa qualité dépend en grande partie des interactions entre le professionnel et son client.

Il s’agit donc d’une logique de co-conception du service. De tels services ne peuvent être

ramenés au cadre qui peut s’appliquer à des commodités au sens anglo-saxon du terme. Ils

appellent donc un mode de régulation spécifique. Face à de telles caractéristiques, une

régulation purement concurrentielle ne saurait être en mesure de produire ses effets en termes

de prix sans avoir des effets non désirés en termes de qualité (Dulleck et Kerschbamer, 2006).

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Cependant, l’ensemble des services prestés par les professionnels du droit ne peuvent être

considérés comme appartenant à cette catégorie. De nombreux services revêtent les

caractéristiques des biens d’expérience si ce n’est des biens de recherche. Dès lors, leur mode

de régulation peut plus se rapprocher d’une régulation concurrentielle – si l’accès au marché

est libre – ou d’une régulation au travers d’une réglementation tarifaire – si des situations de

monopoles perdurent.

L’un des enjeux est de veiller à ce que la réglementation ait un périmètre ajusté à ses objectifs

légitimes. En d’autres termes, il s’agit de laisser jouer les règles générales de la concurrence

autant que possible et intervenir au travers d’une réglementation publique dans la limite du

nécessaire. Or, selon l’IGF, le périmètre de certaines des réglementations afférentes aux

professions du droit peut être considéré comme trop large. Par exemple celui de certaines tâches

réservées serait excessif et irait donc au-delà de ce qui est nécessaire pour corriger la défaillance

de marché. Il en serait ainsi du monopole des notaires sur la rédaction des actes soumis à

publicité foncière. Pour l’IGF, l’authentification de l’acte par le notaire est un acte différent de

sa rédaction.

La loi Macron reprend cette logique de levée des restrictions excessives à la concurrence tout

en ne substituant pas à la réglementation précédente une pure gouvernance de marché (Marty,

2015). De fait, comme ont montré les précédentes communications lors de cette journée

d’études, la loi Macron est pour les professions réglementées bien plus une évolution de la

réglementation qu’une dérèglementation. Les degrés additionnels de liberté introduits par la loi

(liberté d’accès au marché, liberté tarifaire ou encore liberté en matière de structures d’exercice)

dessinent de fait un paysage de concurrence régulée.

Deux lectures pourraient en être faites. La première serait celle d’une préférence française pour

la concurrence administrée. Il s’agirait d’une tendance ingénierique à la construction d’un

marché parfait pour reprendre les termes de Salais (2015) ou l’analyse de Fréget (2015). Une

seconde lecture possible est celle de la gestion d’une transition, d’une prise en compte des

difficultés propres au changement de réglementation et des nécessités de maintenir un cadre

réglementaire susceptible de prévenir les défaillances de marchés liées aux limites

informationnelles citées supra. De façon plus générale encore il serait possible de considérer

que le cas des professions réglementées du droit ne serait pas alors différent de celui des

industries de réseaux en cours de libéralisation. Les débats se structurent en effet autour de

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problématiques comparables, qu’il s’agisse de la gestion de coûts échoués en regard de l’accès

au marché de nouveaux compétiteurs5 ou encore de la régulation tarifaire.

Il convient à ce stade de revenir sur la question de l’impact de la libéralisation sur la qualité du

service. L’analyse développée par la Commission d’étude des effets de la loi pour la croissance

et l’activité a montré que nulle expérience étrangère a conduit à un effet négatif sur la qualité

du service. Au contraire une des évaluations menée a conclu à une amélioration de ce dernier

(Domberger et Sherr, 1989). Le souci porte plus, pour la Commission, sur la question du niveau

du tarif pour les activités en monopole et sur celle de la possibilité d’éroder ce dernier en

favorisant de nouvelles entrées. Tant les résultats de la littérature académique que l’analyse des

expériences néerlandaises et britanniques mettent en évidence que la réforme de la

réglementation ne pourra produire ses fruits – au moins en matière de baisse des prix – que si

deux conditions sont réunies. La première porte sur les conditions réelles d’ouverture de l’accès

au marché des jeunes professionnels. Les effets sont biens différents selon qu’il s’agisse d’une

intégration dans des offices existants ou de la création de nouveaux offices. La seconde est la

présence d’une régulation externe des tarifs.

La loi Macron met effectivement l’accent sur une telle régulation. On observe dans le cas des

professions du droit concernées non seulement une évolution de la réglementation mais

également un changement de tutelle. En effet, le secteur passe d’une régulation assurée par la

Chancellerie à une « co-régulation » entre le ministère de l’Economie et l’Autorité de la

Concurrence. Il convient en effet de souligner la place croissante de celle-ci dans la régulation

sectorielle et son influence au travers de ses avis sur les problématiques centrales que sont la

liberté d’installation et les tarifs.

Avant même la présentation du projet de loi au Parlement, l’Autorité avait développé, au travers

de son avis n°15-A-02 du 9 janvier 2015 relatif aux questions de concurrence concernant

certaines professions réglementées, son analyse sur quatre dimensions clés du nouveau cadre

réglementaire, à savoir, le périmètre du monopole ; les conditions d’installations, les modalités

d’exercice et les tarifs., Les trois premières seront vues dans un premier temps, et la quatrième

dans une seconde section dévolue à la question de la régulation.

B – Les principes de base d’un nouveau cadre réglementaires

a) La question de la liberté d’entrée et d’exercice

5 Pour un parallèle avec le secteur énergétique voir par exemple Joskow (1996)

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Trois dimensions peuvent être considérées : le périmètre des monopoles, les restrictions

quantitatives à l’accès au marché et enfin les questions reliées à l’ouverture du capital et aux

structures interprofessionnelles.

Sur le périmètre des monopoles, les analyses de l’IGF ont été reprises dans leur esprit par

l’Autorité de concurrence. En effet, l’Autorité proposait dans son avis de janvier 2015 de réviser

la liste des actes nécessitant une obligation d’authentification et de supprimer les restrictions

existantes quant à une mise en concurrence de la rédaction d’actes soumis à authentification. Il

en est également ainsi des propositions de correction du périmètre : réduction du nombre d’actes

devant obligatoirement être signifiés par huissier et extension de leur compétence à l’ensemble

du ressort de la Cour d’Appel dont ils dépendent. Il en est enfin de même pour une proposition

tenant à l’ouverture dans certains cas des fonctions de liquidateurs aux huissiers de justice et

aux commissaires-priseurs

Sur le point des restrictions à l’entrée, les barrières géographiques ont fait l’objet d’un même

souci dans la mesure où elles ont pour effet de cloisonner le marché et donc de réduire la

contestabilité de chaque segment. Pour les avocats l’obligation d’être rattaché à un barreau et

les monopoles de nature géographiques (pour l’assistance, la plaidoirie, la postulation) peuvent

avoir de tels effets. Une réglementation qui a pour effet de rationner l’offre et d’ériger des

barrières à l’entrée de chaque micromarché peut contribuer à susciter et à pérenniser des rentes

anticoncurrentielles indues. Les conséquences en sont comme nous l’avons vu en première

partie un coût collectif en termes de compétitivité mais également des possibilités d’insertions

professionnelles dégradées pour les jeunes diplômés. Il en est par exemple ainsi de la stabilité

du nombre d’offices notariaux malgré un nombre croissant de diplômés. En effet, le flux entrant

dans la profession est cinq fois plus important que le sortant depuis 15 ans. Il en résulterait une

hausse du nombre de notaires salariés (une multiplication par quatre en dix ans) et une

déqualification de jeunes notaires diplômés souvent intégrés comme notaires assistants.

Cependant, lever les barrières à l’accès au marché pose une première question en termes de

coûts échoués pour les professionnels qui ont déjà investi. Il s’agit en d’autres termes des

conditions d’indemnisation. Il convient tout d’abord de considérer que dans le cadre de la

réglementation actuelle, les restrictions quant au nombre d’offices ou d’études créent d’autant

plus une rente pour les opérateurs en place (notaires, huissiers de justice, commissaires-

priseurs,…) que chaque nouvel entrant est obligé de s’associer à une structure existante ; cela

revient à imposer un droit d’entrée aux nouveaux concurrents.

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Cependant les professionnels qui ont investi dans le cadre de l’ancienne réglementation peuvent

de ce fait perdre toute perspective de recouvrer les investissements qui leur avait été nécessaires

pour accéder au marché. La compensation de ces coûts échoués ne va pas d’elle-même. Elle

peut être réalisée par l’Etat mais en période de restrictions budgétaires cela peut avoir pour

conséquence de freiner le dispositif d’ouverture. Une indemnisation par les nouveaux entrants

peut également poser des problèmes d’efficacité et de légitimité. Un tel mécanisme pourrait

conduire à pérenniser les barrières à l’entrée ou au pire à susciter un équilibre collusif entre les

nouveaux entrants et les professionnels installés. En effet, les premiers cités ne seraient que

difficilement en état de s’engager dans une concurrence soutenue après paiement d’un tel droit

d’entrée au profit de leurs concurrents.

Cependant, la logique même de la compensation des coûts échoués peut être discutée. En effet,

une évolution d’une réglementation donnée ne peut être évaluée sur la base du critère de Pareto.

Elle produit en effet certes des gagnants mais également des perdants. Les opérateurs qui

perdraient la protection dont ils jouissaient initialement verraient leur bien-être négativement

impacté. Il est donc nécessaire d’utiliser un autre type de critère permettant de jauger les effets

nets du changement de réglementation sur le bien-être collectif. Il peut s’agir du critère de

Kaldor-Hicks qui met en balance en valeurs absolues les gains et les pertes des différents agents

économiques concernés. Un changement peut dans ce cadre être profitable si le gain des

bénéficiaires permet de compenser ceux qui verraient leur bien-être affecté. Cependant, cette

compensation n’est qu’hypothétique. La question de la nécessité d’une compensation effective

demeure ouverte. Le démantèlement d’un cartel n’a pas à donner lieu à une indemnisation des

cartellistes. La situation est néanmoins ici différente en ce que les acteurs déjà présents sur le

marché ont investi sur la base de règles du jeu qui ont été bouleversées ex post.

Il est à noter que la décision du Conseil Constitutionnel n°2015-715 DC du 5 août 2015 a

conduit à modifier l’article 52 de la loi Macron qui prévoyait que « lorsque la création d’un

office porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé, le titulaire de ce

dernier, s’il le demande dans un délai de six ans après la création du nouvel office, est indemnisé

par le titulaire de ce nouvel office » sur la base de la valeur patrimoniale de son office avant

l’installation de son nouveau concurrent ». Le recours portait sur l’absence de mécanisme

spécifique d’indemnisation par l’Etat. Le Conseil Constitutionnel relève que certains des

privilèges, tels le droit de présentation (acquis lors de la Restauration par l’article 91 de la loi

du 28 avril 1816) ne sont pas remis en cause et que le ministère de la Justice peut décider

d’augmenter le nombre d’offices afin de garantir une meilleure couverture territoriale. Il

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convient cependant à l’Etat d’indemniser un titulaire d’office existant si cette création était de

nature à bouleverser les conditions d’activité des offices existants. Le coût pour les finances

publiques de telles indemnisations est de nature à obérer les incitations à favoriser la création

de nouveaux offices…

La problématique de la liberté d’accès au marché doit également être appréhendée à partir de

l’encadrement des nouvelles installations. Le principe sous-jacent est celui d’une liberté

d’installation et donc une réduction des barrières à l’entrée. Cependant cette libéralisation est

progressive pour tenir compte, comme nous l’avons vu, de l’impact sur les professionnels déjà

en place. Elle ménage des possibilités de refus de refus d’installation si une surdensité est

constatée par le ministère de la Justice.

Les zones dans lesquelles les installations peuvent se faire doivent être déterminées par Autorité

de la Concurrence. Celle-ci, dans son avis de janvier 2015, plaidait pour une liberté

d’installation régulée – « il conviendrait que le zonage soit réalisé selon une gouvernance plus

autonome vis-à-vis des professionnels et l’Autorité de la Concurrence, si elle n’était pas

demanderesse d’une telle tâche, considère néanmoins, sous réserve de disposer des moyens

supplémentaires nécessaires, être en mesure de proposer aux ministres compétents cette

cartographie, étant familière, à travers notamment le contrôle des concentrations, avec l’analyse

de ‘zones de chalandises’ ». Cette logique prévaut également pour la postulation territoriale des

avocats. La loi Macron ouvre la possibilité d’agir devant tous les TGI relevant d’une même

Cour d’Appel. Dans son avis de janvier 2015, l’Autorité, reprenant le ton du rapport Armand-

Rueff, préconisait de mettre fin à « des conditions malthusiennes qui conduisent à un

renouvellement insuffisant des professions concernées et constituent des barrières à l’entrée

importantes pour les jeunes diplômés ».

Les restrictions de nature géographiques peuvent cependant également être interprétées au

regard de la question de la qualité des services rendus. Par exemple, pour les avocats, les

restrictions géographiques peuvent s’expliquer par la reconnaissance que la qualité du service

rendu par l’avocat dépend de connaissances spécifiques à chaque ressort. Cela permet à des

justiciables, en situation de déficit informationnel, de renoncer à des poursuites vouées à

l’échec, coûteuses en termes collectifs. De la même façon, le fait qu’un périmètre restreint

garantissant l’effectivité du mécanisme réputationnel nécessaire au contrôle mutuel exercé par

les professionnels.

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Nous n’avons ici traité que le cas de la liberté d’installation et de la suppression des monopoles

géographiques, un même raisonnement pourrait être mené pour la transformation des structures

d’exercice et l’existence de sociétés multi-offices. A nouveau l’enrichissement du service rendu

à l’usager pourrait être mis en balance avec des coûts et des risques induits, tenant par exemple

à de possibles conflits d’intérêts.

La question de la liberté d’installation des professionnels peut également être mise en

perspective avec la logique d’autorégulation – au moins partielle- qui prévaut pour certaines

professions réglementées du droit. Des ordres professionnels sont toujours nécessaires car une

régulation ex post par la sanction du marché peut être difficile dans la mesure où il s’agit de

biens de confiance. Dans le même temps, une régulation extérieure et exercée en surplomb par

les pouvoirs publics peut se heurter aux mêmes limites informationnelles et être excessivement

coûteuse. Ainsi, une régulation interne par un ordre professionnel peut être vue comme efficace

si elle est conçue comme un schéma de délégation optimale de la surveillance d’un principal de

rang 1 sur un agent à un principal de rang 2. En effet, l’asymétrie est moins forte entre l’ordre

professionnel et le praticien qu’entre le régulateur public et le praticien6. De la même façon,

l’ordre professionnel est d’autant plus incité à mettre en œuvre les contrôles et à appliquer les

sanctions que le coût réputationnel rejaillirait sur lui (Chaserant et Harnay, 2015b). En d’autres

termes, l’autorégulation apparaît comme un mécanisme qui peut s’avérer efficace en ce que la

discipline assurée par le contrôle de la profession permet de faire bénéficier la collectivité d’une

externalité positive. Toute dégradation dans la qualité de l’offre en situation d’information

asymétrique et incomplète peut nuire à l’ensemble des professionnels et au pire susciter une

défaillance de marché, de type de celle des markets for lemons d’Arkerlof.

Cependant, les modèles d’autorégulation font l’objet de vives critiques, notamment quant à

l’inévitable argument du malthusianisme de certaines professions réglementées du droit. Le cas

est particulièrement caractéristique pour ce qui est des nouveaux offices notariaux. Deux voies

d’entrées dans la profession sont possibles. Il s’agit de la création de nouveaux offices ou de la

reprise d’un office existant. Ces deux voies sont particulièrement déséquilibrées. En effet, il n’y

a qu’une création pour quinze cessions. Dans le cadre d’une cession, le professionnel en place

jouit d’un droit de présentation de son successeur. En cas de création, c’est la Commission de

6 Cette logique est également à l’œuvre dans les modèles de régulation procédurale tels que décrits notamment dans le secteur bancaire. Le régulateur peut préférer faire porter son action sur la sanction des manquements des opérateurs à leurs obligations de contrôle interne. L’idée est déléguer la surveillance à un « principal subordonné » qui sera tenu pour responsable des manquements de ses « agents ». Non seulement le régulateur public allège la charge informationnelle qui lui incombe mais il fournit à l’opérateur régulé les incitations suffisantes pour mettre en œuvre les dispositifs internes de nature à prévenir la survenance du dommage (voir Kirat et Marty, 2015).

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Localisation des Offices de Notaires (CLON) qui statue sur les besoins de nouveaux offices7.

Il s’agit d’une structure mixte entre l’administration et la profession. En outre, ce même CLON

statue sur le préjudice lié à une création d’un office concurrent. En effet, depuis le décret du 26

novembre 1971, le nouvel entrant doit verser une indemnité préjudicielle à ses concurrents. Le

poids de la profession dans le contrôle de l’accès des nouveaux entrants au marché peut donc

apparaître comme un frein à la contestabilité de ce dernier.

Le nouveau cadre réglementaire dans son volet liberté d’accès au marché est en cours de mise

en place comme nous le verrons infra pour les tarifs. En effet, l’article 52 de la loi Macron

confie à l’Autorité la mission de formuler au ministère de la Justice des recommandations quant

à la régulation de l’installation de certains professionnels du droit, en l’occurrence les notaires,

les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires. Il s’agit de proposer au travers

d’un avis les zones dans lesquelles l’implantation d’office peut se faire librement. A l’inverse

dans les zones pour lesquelles de nouvelles implantations seraient de nature à compromettre la

continuité de l’exploitation des offices existants, le ministère de la Justice pourra refuser celles-

ci après avis de l’Autorité8. Il appartient donc à cette dernière d’établir une cartographie9

laquelle a donné lieu à la publication le 29 février 2016 à un appel à observations pour les

parties intéressées.

b) La question de la réglementation des tarifs

L’enjeu ne se limite pas aux questions d’accès au marché mais également aux dimensions

tarifaires.

Comme le souligne l’Autorité dans son avis 16-A-03 du 29 janvier 2016, la réglementation des

tarifs de certaines professions réglementées du droit répondait à des logiques qui contribuaient

à les déconnecter des coûts effectivement supportés par les professionnels. Pour l’Autorité, le

mode de détermination de ces tarifs semble incarner l’ensemble des critiques que nous avons

présenté dans notre première partie. Les tarifs résultaient « en grande partie de considérations

historiques », « poursuivaient comme objectif le maintien de la viabilité des offices les moins

rentables, de façon à assurer un maillage suffisant du territoire » (point 1 de l’avis n°16-A-03

7 Autorité de la concurrence, avis n°15-A-02, pt.379. 8 Ces estimations se font en fonction de l’évolution anticipée de l’offre (nombre d’offices installés, chiffre d’affaires sur les cinq dernières années, âge des professionnels,…) et de celle de la demande. 9 Les recommandations doivent à la fois revêtir un aspect quantitatif dans la mesure où il s’agit d’augmenter progressivement le nombre d’offices (ce dernier est resté stable entre 2005 et 2014 alors que la population française croissait de 4%) mais également un aspect qualitatif en ce où il s’agit de rendre compte de l’accès aux offices en fonction de l’âge et du sexe.

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du 29 janvier 2016). Le nouveau cadre réglementaire vise donc tout d’abord à réviser des règles

de fixation des tarifs trop anciennes10. Il repose sur l’ambition de reconnecter les tarifs aux

coûts réels des services rendus. Une révision tous les cinq ans après avis de l’Autorité sera

réalisée.

Pour l’Autorité la réglementation, qu’il s’agisse de celle de l’installation ou de celle des tarifs,

doit préserver les incitations à réduire les coûts, à dissiper des rentes excessives et à innover.

Ainsi, qu’il s’agisse des conditions d’installation ou de la supervision des tarifs, l’Autorité voit

ses missions évoluer vers celles d’un quasi-régulateur sectoriel. L’auto-régulation n’est pas en

effet souhaitable en la matière au vu de la position du professionnel vis-à-vis du particulier.

Comme le souligne l’Autorité, « le payeur n’est pas nécessairement l’ordonnateur de la

prestation », la prestation s’exerce dans un mandat ou une mission confiée par l’autorité

judiciaire, les prestations sont obligatoires et les clients sont dans une situation d’information

asymétrique (point 6 de l’avis n°16-A-03). Cependant, l’Autorité ne saurait être vue comme un

régulateur de plein exercice. Il convient en effet de souligner que les tarifs sont fixés par décrets

ministériels et que l’Autorité n’est consultée que pour avis, comme en témoignent les deux avis

suscités de janvier et février 2016 mettant en exergue quelques recommandations non reprises

dans le décret.

Au-delà de cette dimension, la logique de la régulation tarifaire peut être discutée tant quant à

ses fondements qu’à ses modalités de mises en œuvre. Si une orientation des tarifs vers les coûts

correspond au modèle de la régulation des segments en monopole naturel des industries de

réseaux, sa mise en œuvre dans le domaine des professions réglementées peut s’avérer

complexe. L’avis de janvier 2015 de l’Autorité de la concurrence fournissait quelques pistes

permettant de définir les contours d’une telle régulation tarifaire. Celle-ci devait rester incitative

et devait dans le même temps offrir un niveau de rémunération minimal pour les professionnels

dont la ‘zone de chalandise’ est défavorable. Il s’agissait donc d’introduire une certaine

péréquation entre les coûts des différentes prestations. L’Autorité proposait de réviser les bases

de la tarification de certains actes. Il avait également proposé de remplacer des émoluments ad

valorem par des droits fixes. Cela permettrait par exemple de limiter les rentes liées à

l’augmentation des valeurs des biens immobiliers et à celle de la fréquence des transactions.

Elle avait à ce moment proposé – en vain - de combiner une régulation par prix plafonds (visant

10 Celles des notaires remontent à 1966, celles des administrateurs et mandataires judiciaires à 1985 et enfin celles des huissiers ont été établies en 1996.

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à éviter les abus et permettre une différenciation tarifaire) et par prix planchers (pour prévenir

les effets adverses sur la qualité des prestations).

De tels dispositifs sont coûteux en termes informationnels. A ce titre, le cas de l’intervention

de l’Autorité dans le cadre de la préparation du décret n°2016-230 du 26 février 2016 relatif

aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l’accès au droit

et à la justice est évocateur de la complexité du processus. L’Autorité a successivement rendu

deux avis, le n°16-A-03 du 29 janvier 2016 et le n°16-A-06 du 22 février 2016 sur le projet de

décret et sa version rectificative. Au-delà des tarifs eux-mêmes, le point le plus intéressant pour

notre propos concerne leur mode de calcul et les difficultés qui s’y rattachent.

Conformément aux préconisations de l’Autorité, dans son avis n°15-A-02 du 9 janvier 2015, la

Loi Macron conduit à orienter la tarification vers les coûts des prestations en garantissant une

rémunération raisonnable des professionnels. Le problème est qu’une méthode « acte par acte »

est difficile à mettre en œuvre et qu’elle peut s’avérer insuffisamment incitative.

Sur la question de l’opportunité d’une tarification acte par acte, l’Autorité préconise une

approche globale (pt.7 de l’avis 16-A-03 du 29 janvier 2016). Celle-ci n’est prévue pour l’heure

qu’à titre de dérogation, à des fins de péréquation. L’Autorité considère que cette péréquation

est inhérente à de nombreuses activités. S’écarter d’une tarification acte par acte est également

opportun – au moins à titre transitoire – au vu de l’incertitude sur les coûts des professionnels.

L’Autorité recommande qu’une obligation de tenue d’une comptabilité analytique soit prévue

de façon à pallier le manque de fiabilité et de représentativité des informations transmises (pt.19

de l’avis 16-A-06 du 22 févier 2016).

Sur la dimension incitative, une méthode globale se base sur les coûts moyens de la profession.

Elle permet donc de générer les incitations individuelles à dégager des gains de productivité.

L’Autorité considère également qu’une telle approche est de nature à inciter ces mêmes

professionnels à développer de nouveaux services (à honoraires libres). Le nouveau régime

réglementaire serait donc de nature à favoriser l’innovation, l’une des dimensions que l’ancien

cadre ne pouvait favoriser. Une autre dimension soulevée par l’Autorité (pt.20 de l’avis 16-A-

06) porte sur la nécessité de ne pas faire reposer les tarifs sur « la rentabilité moyenne des offices

existants ». Cette option aurait pour l’Autorité la conséquence de pérenniser une situation dans

la laquelle prévaut « une tarification sans justification économique suffisante qui peut produire

des rentes anormales et ne prend pas en compte les gains de productivité ».

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Un dernier point à relever dans l’avis 16-A-06 de l’Autorité tient à ses recommandations

additionnelles. Celles-ci visent essentiellement aux questions de flexibilité tarifaire (limiter les

possibilités de majoration et accroître celles de remises), à limiter le périmètre des prestations

éligibles aux tarifs d’urgence ou encore à dé-tarifier certains actes facultativement authentiques

réalisés par les notaires pour étendre le domaine des honoraires négociables.

Conclusion

Si l’évolution de la réglementation vise effectivement à renforcer la compétitivité de notre

économie, le risque est de privilégier une compétitivité conçue sur la base des coûts et non sur

celle de la qualité des services ou de la sécurité juridique qui leur est associée. En effet, une

réforme résidant essentiellement dans un objectif de « développer à des services moins chers »

(Chaserant et Harnay, 2015c) poserait plusieurs questions.

Tout d’abord une ouverture à la concurrence ne permet- automatiquement de bénéficier d’une

baisse des prix. En effet, les exemples des Pays-Bas et du Royaume-Uni montrent que les gains

pour les consommateurs ne sont significatifs que si l’ouverture du marché est importante.

Ensuite, demeure la question de la qualité du service rendu. Il s’agit d’éviter qu’une éventuelle

baisse des prix ne se traduise pas par une réduction de la qualité des services prestés. Si tel était

le cas, la libéralisation porterait non seulement préjudice aux anciens bénéficiaires de rentes

réglementaires mais aussi et peut-être surtout aux consommateurs (qui demeurent ne l’oublions

pas dans une situation de déficit informationnel) et à la compétitivité de notre économie (en

dégradant la qualité des services juridiques). De la même façon, il serait possible de craindre

que la réglementation des tarifs des actes les plus simples pénalise plus les petits offices de

zones peu attractives économiquement que les offices les mieux localisés qui traitent des

affaires plus complexes et donc plus rémunératrices.

Les perspectives peuvent dès lors apparaître comme contrastées. La voie d’une ouverture à la

concurrence raisonnée est une ligne de crête entre des défaillances de la réglementation dont il

s’agit de s’écarter et des défaillances de marché dont il s’agir de prévenir l’apparition. La

question de la qualité des services prestés par les professions réglementées du droit est la pierre

d’achoppement de la réforme – au vu de risques d’effets adverses sur celle-ci. Un deuxième

point d’intérêt tient à la montée en puissance de l’Autorité de la concurrence. Il s’agit somme

toute d’un phénomène logique dans une perspective de réforme structurelle portant sur la

réduction des barrières à l’entrée sur le marché des services. Cependant, les professions en

question « basculent » dans le code de commerce alors que leur traitement ressortait jusqu’à

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présent de problématiques de service public gérées par la Chancellerie. Au-delà de cette

« révolution culturelle », deux questions peuvent être posées. Une première tient à la capacité

de l’Autorité, en termes de ressources administratives, à prendre en charge ces tâches en plus

de celles des pratiques anticoncurrentielles et du contrôle des concentrations. La seconde tient

à l’absence d’une régulation spécialisée. Le juge de la concurrence peut faire face à un déficit

informationnel par rapport à un éventuel régulateur sectoriel quant aux effets de la concurrence

sur la qualité des services.

Une telle crainte n’est pas sans lien avec l’approche différenciée préconisée par Chaserant et

Harnay (2015c). En effet pour celles-ci, la situation des biens de confiance (certaines prestations

complexes, dédicacées à un besoin particulier, non reproductibles en dehors de la situation qui

les a suscités) suppose une forme de réglementation différente de celles applicables aux actes

les plus standards et de ceux dont les paramètres peuvent être évalués ex post (biens de

recherche et biens d’expérience).

Pour les biens de confiance un modèle mixte entre autorégulation et surveillance publique de

l’instance d’autorégulation professionnelle est nécessaire. Dans le second cas une gouvernance

de marché est possible et peut s’avérer profitable en termes d’efficacité collective. Un

encadrement par le juge de la concurrence au travers notamment de ses avis est pleinement

envisageable. A des mondes de production très différents entre biens standardisés et des biens

dédicacés peuvent correspondre des schémas de régulation différenciés (Salais et Storper,

1993).

Il serait possible d’ouvrir le débat sur les effets de l’autorégulation. Celle-ci peut de fait

présenter un certain nombre d’avantages. La première que nous avons déjà noté est des gains

d’efficience liés à la délégation de la supervision à une entité disposant d’un avantage

informationnel vis-à-vis du régulateur et dont les intérêts (spontanés en termes réputationnels

ou construits via la possibilité de faire l’objet de sanctions) font qu’elle prend en charge plus

efficacement et à moindre coût les objectifs de ce régulateur extérieur (Kirat et Marty, 2015).

Deux questions peuvent également être esquissées. La première tient aux possibles limites d’un

modèle de concurrence régulée face aux exigences de réformes structurelles auxquelles la

France doit répondre. Le risque est de rester dans un entre-deux coûteux et dont les gains pour

les consommateurs et les firmes pourraient n’être que limités au vu du coût administratif de la

réforme. La seconde question pourrait également tenir au décalage entre le temps de cette

réforme et les dynamiques économiques de l’heure notamment en relation avec l’impact des

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nouvelles technologies et les risques d’uberisation de certaines tâches, notamment pour les

services les plus standardisés.

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Documents De travail GreDeG parus en 2016GREDEG Working Papers Released in 2016

2016-01 Christian Longhi, Marcello M. Mariani & Sylvie Rochhia Sharing and Tourism: The Rise of New Markets in Transport2016-02 Nobuyuki Hanaki, Eizo Akiyama & Ryuichiro Ishikawa A Methodological Note on Eliciting Price Forecasts in Asset Market Experiments2016-03 Frédéric Marty Les droits et libertés fondamentaux à l’épreuve de l’efficacité économique : une application à la politique de la concurrence2016-04 Alessandra Colombelli, Jackie Krafft & Marco Vivarelli Entrepreneurship and Innovation: New Entries, Survival, Growth2016-05 Nobuyuki Hanaki, Angela Sutan & Marc Willinger The Strategic Environment Effect in Beauty Contest Games2016-06 Michael Assous, Muriel Dal Pont Legrand & Harald Hagemann Business Cycles and Growth2016-07 Nobuyuki Hanaki, Emily Tanimura & Nicolaas Vriend The Principle of Minimum Differentiation Revisited: Return of the Median Voter2016-08 Charles Ayoubi, Michele Pezzoni & Fabiana Visentin At the Origins of Learning: Absorbing Knowledge Flows from Within or Outside the Team?2016-09 Dino Borie Error in Measurement Theory2016-10 Dino Borie Expected Multi-Utility Representations by “Simplex” with Applications2016-11 Dino Borie Additively Separable Preferences Without the Completeness Axiom: An Algebraic Approach 2016-12 Frédéric Marty Professions réglementées du droit et aiguillon concurrentiel: réflexions sur la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques