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Prétorianisme et autoritarisme compétitif Les militaires et le pouvoir en Mauritanie. « Les sages ont dit : il en va du sultan avec ses soutiens comme de la vigne avec son tuteur : elle ne choisit pas l’arbre auquel elle s’enlace, c’est l’arbre qui la choisit. » Al-Murâdî al-HaDramî, Kitâb al-ishâra ilâ adab al-imâra L’Afrique et le monde arabe ont connu, on le sait, quantité de coups d’Etat, ou de tentative de coups d’Etat, des premières années des indépendances à la fin de la guerre froide 1 . La Mauritanie n’a pas fait exception. Le 10 juillet 1978, le régime civil de Mokhtar Ould Daddah, au pouvoir depuis l’indépendance (1960), est déposé par une coalition d’officiers. Le putsch du 10 juillet inaugure une période de relative instabilité, sous l’autorité des militaires rivaux, qui s’étendra jusqu’à la prise du pouvoir par le Cl. Maaouiya Ould Taya le 12 décembre 1984. Son « règne » se poursuivra sur près de 21 ans, avant qu’il ne soit à son tour écarté. Conduit par deux officiers étroitement liés par des relations familiales et tribales, la chute de Ould Taya (3 août 2005) fut accueillie, semble-t-il, avec soulagement et espoir par la majorité des mauritaniens. Les auteurs de ce coup d’Etat annoncèrent leur intention de rendre le pouvoir à des autorités élues au terme d’une période de transition de deux ans.. De l’avis d’une large majorité d’observateurs locaux et internationaux, ils tinrent à peu près leur promesse, même si l’élection du vainqueur civil des présidentielles de 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallah et des députés « indépendants » censés constituer « sa majorité » n’ont pas totalement échappé à l’influence des putschistes de 2005. On pensait désormais tournée la page de la tutelle de l’armée sur le pouvoir en Mauritanie, mais voilà qu’à nouveau les militaires s’emparent du pouvoir le 6 août 2008. Et tout paraît indiquer que le bénéficiaire de ce changement à la tête de l’Etat se prépare à y rester. L’évolution dont témoigne cette présence durable des hommes en uniforme dans le paysage politique mauritanien tient à une multitude de facteurs, internes et externes, culturels et sociaux, conjoncturels et plus durablement enracinés dans les structures mêmes de la société tout autant que dans les modes hégémoniques de légitimation du pouvoir qui y ont cours. Faute de pouvoir suivre dans toute leur étendue historique les rapports entre l’armée le pouvoir en Mauritanie, on se contentera ici de quelques éclairages autour des développements les plus récents qui ont conduit au putsch du mois d’août 2008. Si l’on admet, avec un hégélianisme un peu sommaire, que les peuples n’ont jamais que les gouvernements qu’ils méritent, on acceptera sans doute aussi que les prétoriens ne sont eux-mêmes que le reflet des sociétés qui les (sup)portent au pouvoir. I - Inusable primordialisme ? Il est de bon ton, chez les socio-anthropologues et politologues d’influence postmoderne (Appadurai, 2001 ; Bayart, 1996) d’insister sur la dimension performative des quêtes identitaires et de professer le doute le plus vigoureux sur le rôle des appartenances « primordiales » (« tribales », « ethniques », ...) que la globalisation serait en train de broyer au moulinet de tous les facteurs de déterritorialisation, réels ou imaginaires, qu’elle met en œuvre. Les limites de la pénétration du secteur capitaliste de l’économie dans un certain nombre de sociétés postcoloniales et son « enveloppement » par des rapports sociaux essentiellement non marchands, poussent pourtant à (ré)évaluer la nature de cet enveloppement et à tenter de peser ce qu’il doit à la prégnance des structures sociales 1 Pour une chronique et une analyse de ces coups en Afrique durant les années 60, on peut voir, par exemple, First, 1970.
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Prétorianisme et autoritarisme compétitif

Jan 16, 2023

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Julien Léonard
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Prétorianisme et autoritarisme compétitif Les militaires et le pouvoir en Mauritanie.

« Les sages ont dit : il en va du sultan avec ses soutiens comme de la vigne avec son tuteur :

elle ne choisit pas l’arbre auquel elle s’enlace, c’est l’arbre qui la choisit. » Al-Murâdî al-HaDramî, Kitâb al-ishâra ilâ adab al-imâra

L’Afrique et le monde arabe ont connu, on le sait, quantité de coups d’Etat, ou de tentative de coups d’Etat, des premières années des indépendances à la fin de la guerre froide1. La Mauritanie n’a pas fait exception. Le 10 juillet 1978, le régime civil de Mokhtar Ould Daddah, au pouvoir depuis l’indépendance (1960), est déposé par une coalition d’officiers. Le putsch du 10 juillet inaugure une période de relative instabilité, sous l’autorité des militaires rivaux, qui s’étendra jusqu’à la prise du pouvoir par le Cl. Maaouiya Ould Taya le 12 décembre 1984. Son « règne » se poursuivra sur près de 21 ans, avant qu’il ne soit à son tour écarté. Conduit par deux officiers étroitement liés par des relations familiales et tribales, la chute de Ould Taya (3 août 2005) fut accueillie, semble-t-il, avec soulagement et espoir par la majorité des mauritaniens. Les auteurs de ce coup d’Etat annoncèrent leur intention de rendre le pouvoir à des autorités élues au terme d’une période de transition de deux ans.. De l’avis d’une large majorité d’observateurs locaux et internationaux, ils tinrent à peu près leur promesse, même si l’élection du vainqueur civil des présidentielles de 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallah et des députés « indépendants » censés constituer « sa majorité » n’ont pas totalement échappé à l’influence des putschistes de 2005. On pensait désormais tournée la page de la tutelle de l’armée sur le pouvoir en Mauritanie, mais voilà qu’à nouveau les militaires s’emparent du pouvoir le 6 août 2008. Et tout paraît indiquer que le bénéficiaire de ce changement à la tête de l’Etat se prépare à y rester. L’évolution dont témoigne cette présence durable des hommes en uniforme dans le paysage politique mauritanien tient à une multitude de facteurs, internes et externes, culturels et sociaux, conjoncturels et plus durablement enracinés dans les structures mêmes de la société tout autant que dans les modes hégémoniques de légitimation du pouvoir qui y ont cours. Faute de pouvoir suivre dans toute leur étendue historique les rapports entre l’armée le pouvoir en Mauritanie, on se contentera ici de quelques éclairages autour des développements les plus récents qui ont conduit au putsch du mois d’août 2008. Si l’on admet, avec un hégélianisme un peu sommaire, que les peuples n’ont jamais que les gouvernements qu’ils méritent, on acceptera sans doute aussi que les prétoriens ne sont eux-mêmes que le reflet des sociétés qui les (sup)portent au pouvoir. I - Inusable primordialisme ? Il est de bon ton, chez les socio-anthropologues et politologues d’influence postmoderne (Appadurai, 2001 ; Bayart, 1996) d’insister sur la dimension performative des quêtes identitaires et de professer le doute le plus vigoureux sur le rôle des appartenances « primordiales » (« tribales », « ethniques », ...) que la globalisation serait en train de broyer au moulinet de tous les facteurs de déterritorialisation, réels ou imaginaires, qu’elle met en œuvre. Les limites de la pénétration du secteur capitaliste de l’économie dans un certain nombre de sociétés postcoloniales et son « enveloppement » par des rapports sociaux essentiellement non marchands, poussent pourtant à (ré)évaluer la nature de cet enveloppement et à tenter de peser ce qu’il doit à la prégnance des structures sociales

1 Pour une chronique et une analyse de ces coups en Afrique durant les années 60, on peut voir, par exemple, First, 1970.

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« traditionnelles », fussent-elles réinventées. Dans le cas de la Mauritanie, le caractère relativement tardif et superficiel de la présence coloniale2, le déploiement de ses effets essentiels (sédentarisation, urbanisation, transformation des modes de consommation, etc.) bien après l’accession formelle du pays à l’indépendance, laissent penser à quelque chose comme une colonisation, si l’on peut dire, extra-utérine . Le champ d’influence des structures sociales précoloniales et/ou des manipulations et instrumentalisation dont elles font l’objet est demeuré dans ce contexte particulièrement efficient. Cela se voit dans les usages de l’ethnicité, élargie à la question de l’esclavage, mais aussi dans les luttes de classement à base tribale aussi bien dans le champ de l’économie que dans celui du pouvoir politique. L’armée mauritanienne n’échappe évidemment pas à cette configuration et à ses effets. • Ethnicité(s) Le découpage colonial franco-espagnol dont résulte, pour l’essentiel, les frontières de l’actuel territoire mauritanien, a fait de la Mauritanie un pays multi-ethnique regroupant des éléments des communautés ethno-linguistiques suivantes : Maures, pulaarophones (Toucouleurs et Peuls), Soninkés et Wolofs. Nul ne connaît avec précision la proportion exacte de chacun de ces groupes au sein de la population mauritanienne, estimée par les derniers recensements disponibles à quelques trois millions d’habitants. Les flottements et les incertitudes ne résultent pas seulement de l’absence de données statistiques dignes de foi, elles procèdent également du flou qui entoure la définition même des groupes et des contours qu’ils veulent se donner. Le mode de vie, la langue et la culture, la couleur de la peau, voire le statut social, interviennent ensemble ou séparément dans les (auto)identifications ethniques et leurs usages compétitifs. Jusqu’au début des années 1960, alors que la population mauritanienne était à plus de 90% rurale, l’opposition majeure était celle qui séparait nomades et sédentaires, la mobilité pastorale définissant l’élément maure de la population, « les noirs », toutes ethnies confondues, étant considérés avant tout comme des agriculteurs sédentaires. Cette catégorisation négligeait cependant le fait que parmi « les noirs » il y avait des nomades (les Peuls) et que les « maures » comprenaient des agriculteurs sédentaires (anciens esclaves ou hrâtîn notamment). Les premières tensions autour de l’arabisation du système scolaire (à partir de 1966), perçue (et utilisée) comme source d’avantages pour les « maures » (arabophones) vont générer la catégorie de « communauté négro-africaine ». On tendra à désigner ainsi l’ensemble des pulaarophones, soninkés et wolofs, par opposition aux maures, ce clivage renvoyant en fait, pour l’essentiel à l’antagonisme entre partisans du français et ceux de la langue arabe comme langue officielle de la Mauritanie. Avec l’aggravation des compétitions ethniques — qui sera évoquée plus loin — et le retour sur le devant de la scène de la question de l’esclavage (maure) au tournant des années 1970, on vu apparaître l’expression « négro-mauritaniens » pour désigner, sur une base à la fois pigmentaire et statutaire, l’ensemble constitué par les « négro-africains » et les hrâtîn, opposés aux maures dits « blancs » (biZân en hassâniyya). Il convient d’ajouter que ces éléments de taxinomie ethnico-politique présentent une forte connotation idéologique et que le choix d’employer tel ou tel terme signe souvent l’orientation politique de celui qui s’en sert : les nationalistes radicaux noirs opposeront les « négro-mauritaniens » aux « arabo-berbères » ; les

2 Entamée en 1902, l’occupation coloniale française du territoire de l’actuelle Mauritanie ne sera définitivement stabilisée qu’à partir de 1933. Elle devait officiellement prendre fin le 28 novembre 1960.

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nationalistes arabes parleront des « arabes » opposés aux zunûj (noirs non arabophones), les « progressistes » utiliseront plutôt les termes « négro-africains » et « arabes », etc. Quoi qu’il en soit de ces flottements terminologiques, la pratique issue de la colonisation et exprimée à la fois dans les données administratives disponibles (de Chassey 1972, pp. 68-76) au moment de l’indépendance et dans leur ratification politique que constitue la répartition « ethnique » des hauts postes de la fonction publique aux toutes premières années de l’indépendance évaluait à environ 85% la proportion des « maures » parmi la population mauritanienne, l’ensemble des « noirs » étant estimé autour de 15%. D’après les mêmes évaluations, la composante « noire » de la population arabophone (esclaves et hrâtîn) se serait, à la même époque, située entre 40 et 30% du total des arabophones. D’après les mêmes sources, les pulaarophones auraient constitué à eux seuls environ les 2/3 de l’ensemble des « négro-africains ». Ces évaluations avancées par de Chassey (idem, p. 74), étaient effectuées sur la base d’une enquête de 1958 qui suggérait, par ailleurs, un dynamisme démographique différentiel de nature à modifier substantiellement à terme les proportions ethniques qu’elle faisaient ressortir. Cette enquête établissait, en effet, qu’entre 1960 et 1980, la proportion des « négro-africains » parmi la population mauritanienne devrait doubler, passant de 20% à 40%, tandis que celle des « maures noirs » (hrâtîn) parmi les arabophones connaîtrait un accroissement significatif. Nous donnons ces évaluations, anciennes et très controversées, pour situer l’horizon et un des points de départ — le seul, à notre connaissance, de l’histoire démographique mauritanienne qui repose sur une enquête dont les résultats aient été publiés — du débat confus sur les questions ethniques en Mauritanie. Nous le disions plus haut, ce débat s’est aiguisé et tendu dès le milieu des années 1960, autour du contrôle de l’appareil d’Etat, par le biais notamment du système éducatif. Durant toute la période coloniale (1902-1960), le français avait été la langue exclusive de l’administration. Les populations sédentaires noires du sud mauritanien, constituées pour l’essentiel d’agriculteurs, plus fermement administrées que les sahariens maures parmi lesquels prédominait le mode de vie nomade, avaient été un peu mieux scolarisés en français que ces derniers, et étaient, par conséquent, avantageusement représentés dans les rouages de l’administration, forces armées comprises, au moins au niveau des (rares) gradés. La langue de l’occupant présentait, par ailleurs, un pôle de neutralité culturelle, un vecteur possible de changement « républicain » et « laïc » de statut, là où l’arabe, pourtant langue religieuse de la totalité des mauritaniens, pouvait apparaître comme un instrument d’hégémonie des arabophones, voire un outil « de classe » au service des seuls ressortissants de l’ordre traditionnel des zawaya (lettrés) de la société maure. Avec les débuts de la sédentarisation/urbanisation des populations nomades maures, particulièrement marqué surtout à partir de la grande vague de sécheresse de la fin des années 1960-début 1970, les compétitions pour l’accès à l’emploi et aux services (éducation, santé, etc.) vont progressivement s’aiguiser. Les rivalités autour des derniers espaces ruraux exploitables (pâturages, agriculture, …) vont suivre le même chemin, dans le contexte d’une rétraction notable des possibilités agricoles et pastorales engendrée par la péjoration du climat. L’évolution de la conjoncture diplomatique et politique locale et régionale contribuera, sur le fond de ce paysage écologique et économique dégradé, à l’exacerbation des compétitions identitaires à base ethnique. La revendication marocaine sur le territoire mauritanien,

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vigoureusement brandie par le royaume chérifien au moment de son indépendance, avait contribué à maintenir la Mauritanie à l’écart d’un monde arabe largement favorable aux thèses de son voisin septentrional. En 1969, cependant, le Maroc consent à reconnaître l’indépendance de la Mauritanie. Les tractations en vue de la « récupération » du Sahara occidental ne sont sans doute pas étrangères à cet arrangement que les accords de Madrid de 1975 viendront ratifier. Le partage du Sahara, suivi de la guerre (1975-1978) avec le Polisario marqueront un affermissement de l’ancrage maghrébin de la Mauritanie au détriment de la vocation de « trait d’union » entre Maghreb et Afrique subsaharienne que son premier président, Mokhtar Ould Daddah, aimait à mettre en avant. Le conflit saharien génèrera également un accroissement significatif des effectifs de l’armée, dont la couche des hrâtîn fournira sans doute le contingent le plus important. Ce sont là quelques-uns des éléments conjoncturels les plus marquants qui ont concouru à la genèse et au développement de la conflictualité à base ethnique observée en Mauritanie dès le milieu des années 60 et dont le sommet sera atteint avec les « évènements », comme on dit, de 1989. L’arabisation du système scolaire (Taine-Cheikh, 1994) , progressivement étendue au monde militaire, constituera un des facteurs de mécontentement des « négro-africains » de l’armée, hommes du rang autant qu’officiers, qui y verront un obstacle de plus en plus dirimant pour leur promotion. Elle alimentera plus largement le nationalisme noir, y compris, naturellement, parmi les militaires « négro-africains ». Les mouvements nationalistes noirs, au premier desquels les Forces de Libération Africaines en Mauritanie (FLAM, créés en 1983), trouveront de la sorte des sympathisant ou des recrues parmi les auxiliaires des forces armées mauritaniennes. C’est ainsi qu’en octobre 1987, un complot attribué à des officiers pularophones d’inspiration flamiste, et visant à renverser le régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya,, est découvert et vigoureusement réprimé. Trois des principaux accusés sont condamnés à mort et exécutés. Des peines de prison et de travaux forcés sont prononcées contre d’autres accusés, parmi lesquels trois trouveront la mort au cours de leur détention à la prison-mouroir de Oualata. Ces péripéties, préludes à l’instauration d’une exclusion rampante des ressortissants des communautés noires des principales positions d’influence dans la vie publique mauritanienne, connaissent une dramatique accélération avec les affrontements raciaux de 19893. On sait que ces évènements feront des dizaines de victimes dans les rangs des communautés noires et entraîneront la déportation vers le Sénégal de quelques de 70000 « négro-africains » de Mauritanie, en guise de réplique à l’expulsion par le Sénégal des maures qui y résidaient. Le cycle de violence engagé par les autorités taya’istes à l’endroit des « négro-africains » ne s’arrêtera pas là. Une épuration des rangs de l’armée lancée en 1990-91 se soldera par la mort ou la disparition de plusieurs dizaines d’officiers et sous-officiers noirs. Telles sont les étapes majeures de la sombre chronique de l’ethnicisation du paysage politique mauritanien depuis le milieu des années 60 et de leurs répercussions dans l’armée. La lecture « mélanisée » des compétitions pour et autour du pouvoir a trouvé aussi à s’alimenter à la question de l’esclavage, autre problème lancinant de l’actualité mauritanienne, et qui n’est pas sans rapport avec l’armée et ses transformations. Bien qu’il ait existé aussi bien parmi les maures que dans les communautés noires où ses traces subsistent encore, c’est surtout chez les hassanophones, où sa visibilité chromatique le rend

3 A titre d’illustration de cette exclusion, et plus largement de la situation de marginalité vécues par un groupe négro-africain marginal, voir la thèse de R. Ciavollela, 2008.

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plus repérable — à la différence de ceux des négro-africains, les anciens esclaves des maures sont, en règle générale, de couleur nettement plus foncée que leurs anciens maîtres — qu’il fait encore débat. Circonstance qui justifie l’annexion (performative) des hrâtin par les nationalistes noirs, en tant que composante de l’ensemble « négro-mauritanien »4. Théoriquement aboli depuis l’intervention coloniale française, l’esclavage pouvait à nouveau être considéré comme mis hors la loi par l’adhésion de la Mauritanie indépendante (1960) à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies. Il faudra pourtant procéder à son abolition solennelle en 1980, et en criminaliser à nouveau la pratique pas plus tard qu’en 2007. A quoi tient donc cette formidable résistance de l’esclavage maure ? Et pourquoi le retour récent de cette question sur le devant de la scène politique nationale mauritanienne ? Si l’un des mobiles officiels des phases préparatoires de la pénétration coloniale en Mauritanie a été l’émancipation des esclaves (Denise Bouche, 1968), la période coloniale proprement dite a été marquée par une occultation du statut servile, une fois éliminé le commerce (public) des captifs. On n’entendit guère parler non plus d’esclavage tout au long des années de la Mauritanie indépendante qui ont précédé le coup d’Etat de 1978. J’ai suggéré plus haut que la guerre du Sahara, au cours de laquelle les effectifs de l’armée mauritanienne sont passés de moins de 3000 à quelques 15000 hommes5, a pu constituer un tournant à cet égard, étant donné l’importance du recrutement de soldats d’origine servile dans ses rangs. Un officier hartâni, le capitaine Brayka Ould Mbarik, un moment (1980-1983) principal responsable du parti créé par les militaires pour donner une assise de légitimité populaire à leur hégémonie, a pu apparaître comme le relais ou la traduction politique de cette présence significative des hrâtîn dans la base de l’armée. Et si les progrès de l’émancipation des esclaves maures enregistrés depuis la fin des années 19706 sont avant tout à mettre en relation avec la dégradation de la situation écologique et économique de l’arrière pays rural, responsable de leur installation massive en ville et de leur séparation d’avec leurs anciens maîtres, il n’est pas déraisonnable de suggérer un lien entre cet exode rural, l’émergence des hrâtîn comme force politique et la guerre du Sahara, qui leur a ouvert, si l’on peut dire, les voies d’un large recrutement dans l’armée. Le conflit saharien et ses conséquences constituent, du reste, l’une des causes majeures de l’irruption des militaires sur la scène politique mauritanienne en 1978. L’arrivée des militaires au pouvoir n’a pas seulement été le renversement de l’autorité civile issue des années de l’indépendance. Elle fut marquée, au moins à ses débuts, par une volonté de remise en cause globale de tout ce que « l’ancien régime » était supposé avoir représenté7. La forte censure officielle qui pesait jusque-là sur les affiliations tribales et ethniques, sorte

4 La lecture « colorée » de l’esclavage en Mauritanie trouvera un prolongement « global », en étant reprise et interprétée par des activistes américains à la lumière de l’histoire raciale des USA, vision qui tend à occulter la présence de l’esclavage au sein des communautés noires et parfois à assimiler les exactions et l’exclusion infligées à ces dernières à l’esclavage (Bullard, 2005) . 5 Il s’agit d’approximations fondées sur divers interviews, puisqu’on ne dispose, évidemment, d’aucune statistique officielle sur ce sujet. 6 Progrès ratifiés juridiquement par le décret n° … du 5 juillet 1980 et par la toute récente loi n° 2007-048 du 3 septembre 2007 7 Ce fut le thème d’une émission de la radio nationale des premiers temps du putsch, intitulée « Crimes et erreurs de l’ancien régime ».

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de lit de Procuste de la « construction nationale », symbolisée par l’affectation aux régions de numéros au lieu de leurs noms de l’époque coloniale à connotation ethnico-tribale, fut ainsi levée, et les régions, pour rester dans cet exemple, retrouvèrent leurs appellations d’antan8. Ce retour aux présumées « vraies valeurs du pays », aura en tout cas, entre autres effets, d’ouvrir le champ des compétitions politiques, plus ou moins figé par une vingtaine d’années de parti unique, aux compétitions à base ethniques et tribales, en quelque sorte relégitimées. • Tribalité Outre les identités ethniques, et sans doute même avant elles depuis que les communautés noires ont pratiquement cessé de peser de façon décisive sur le partage des prérogatives politiques en Mauritanie, le champ politique dans ce pays apparaît largement polarisé par les appartenances tribales. Dans la société maure, à laquelle se rattache la majorité des habitants de la Mauritanie, la structure verticale « traditionnelle » des groupes statutaires (« guerriers », « marabouts », « tributaires », « artisans », « griots », « anciens esclaves », « esclaves ») s’articulait à une subdivision horizontale de l’ensemble de la société en “ tribus ” (qabîla, pl qabâ’il). Soit, grossièrement, un groupe de personnes, plus ou moins étendu, dont les membres se considèrent comme liés entre eux par des liens de parenté, de solidarité ou de sujétion renvoyant, au moins pour le “ noyau ” (samîm) de la communauté, à un ancêtre réputé commun qui donne son nom à la qabîla. Fondée idéalement sur l’équivalence de ses membres issus de l’ancêtre éponyme, qui se qualifient tous entre eux de “ cousins ” (awlâd ‘amm = “ fils de l’oncle paternel ”), la tribu est aussi une structure hiérarchique dans laquelle des “ dépendants ” se trouvaient associés à leurs “ patrons ” tribaux, dont ils étaient, de plus ou moins bon gré, solidaires, au moins pour les relations extérieures, et en particulier pour la défense du patrimoine foncier commun de la qabîla. L’unité de la tribu s’exprimait dans un certain nombre de prérogatives communes : revendication d’appropriation ou de contrôle d’un même territoire ; apposition d’un même “ feu ” (nâr) sur le bétail ; participation des adultes mâles aux obligations collectives qui incombent à la qabîla (règlement du “ prix du sang ” — diya — pour un individu tué par un homme de la tribu, notamment) ainsi qu’à l’assemblée (jamâ’a) qui délibère sur les affaires engageant l’ensemble de la collectivité. Il est arrivé que des individus — dans l’ordre traditionnel des choses, exclusivement des hommes9 — s’imposent comme chefs de tribu, ou qu’une tradition plus ou moins stabilisée fasse de la chefferie une prérogative affectée à une famille particulière au sein de laquelle elle se transmettait. En règle générale, cependant, le système tribal semble se prêter assez mal à tout effort visant à instaurer un leadership stable. Il manifeste plutôt une propension notoire à la fission, à la composition d’unités autonomes qui expriment généralement leur volonté d’indépendance en mettant en avant des liens, une proximité généalogiques, spécifiques et plus ou moins articulés autour de la compétition entre “ cousins ». Ce mécanisme explique, en partie, l’apparente aisance, hâtivement assimilée parfois à de « l’opportunisme », que tout détenteur du pouvoir éprouve à nouer des « alliances

8 Trarza au lieu de « 6e Région », etc. 9 Certaines circonstances exceptionnelles, comme, par exemple, le massacre intertribal autour de la hamawiyya (bataille d’Um ash-Shgâg de juin de 1940 et ses conséquences) et sa répression par l’administration coloniale, entraînant la disparition (mort ou arrestation) de quelque chef tribal, ont pu momentanément engendrer la prise en charge des affaires de la qabîla par une femme énergique. Mais les chefferies féminines restent une exception.

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de revers » avec quelque segment d’une tribu qui pourrait, par ailleurs, lui être majoritairement hostile.

Même “ déterritorialisées ”, largement déconnectées de leurs bases régionales et du mode de vie nomade auquel elles devaient sans doute une bonne partie de leur vigueur, les identités tribales, plus ou moins réinventées (quête de généalogies “ ennoblissantes ” qui s’est “ emballée ” ces vingt dernières années, mais qui n’est pas vraiment nouvelle ; tentative de résurrection de tribus quasiment disparues, etc.), n’en continuent pas moins à tisser les mémoires collectives, à orienter les inimitiés et les solidarités , à structurer des allégeances et des alliances qui font des tribus des entités avant tout politiques. Ce serait ici le lieu d’évoquer la notion de ‘asabiyya, naguère mise en avant par Ibn Khladûn (1988), pour rendre compte de “ l’esprit de corps ” qui tout à la fois unit et divise les qabâ’il. L’auteur de la Muqaddima associait tout particulièrement, on le sait, cette forme de solidarité, étroitement liée à la revendication d’une commune appartenance généalogique (nasab), au mode de vie nomade, où l’absence d’autorité centrale, d’Etat, exige que les individus mobilisent leurs proches, leurs agnats, pour se défendre contre tout éventuel empiètement ou agression venant de l’extérieur, et aussi pour réparer collectivement les dommages imputés à un membre de leur qabîla (par exemple, règlement de la diya, déjà évoqué). Malgré “ l’étatisation ” de la société maure de Mauritanie, mais aussi en raison de ses limites, la ‘asabiyya tribale n’a pas fini de rendre des services, pour se substituer à l’Etat défaillant, jouant ici et là tout à la fois le rôle de police, d’assurance, de sécurité sociale, voire de banque. Mais elle est aussi largement mobilisée pour infléchir ou orienter l’action de l’Etat lui-même , la qabîla s’instituant alors lobby, agent de placement, courtier, d’une communauté s’affirmant en tant que telle. Même si le dispositif tribal a perdu une large partie de ce qui faisait jadis sa vigueur — le mode de vie nomade doublé de l’absence d’autorité centrale , donc d’une certaine dose d’insécurité — il continue à fournir la grille de lecture la plus aisément et la plus unanimement reçue du public mauritanien. Il y a sans doute une part d’illusion dans l’interprétation principalement tribale du champ politique mauritanien, mais les effets de cette illusion ne sont pas illusoires. La tribalité a beau, en effet, n’être pas le seul moteur d’agrégation et de compétition des groupes en lutte pour le pouvoir en Mauritanie — il y a le champ bureaucratique, surtout le champ bureaucratique « botté », celui des militaires ; il y a les groupes d’intérêt économique ; il y a le poids des interventions étrangères, …— elle n’en constitue pas moins un des ciments présumés les plus efficients de génération et de pérennisation des réseaux de solidarité et de clientèle. Les lobbies économiques tribaux10 se profilent derrière les mobilisations politiques que l’on observe à l’occasion des scrutins électoraux, des efforts de propagande (manifestations, défilés de voitures, etc.) en faveur d’un officier putschiste, etc. Les ‘asabiyyât tribales, malgré leur propension aux dissensions internes et aux rivalités, fournissent aussi le noyau des sensibilités (et des solidarités) régionalistes qui donnent leur assise géographique la plus large aux liens de connaissance et de proximité fondés sur la résidence, sur des éléments d’histoire commune, etc. L’efficience des classements tribaux réside surtout, nous semble-t-il, dans l’effet d’assignation qu’elle exerce sur les individualités de quelque importance dès qu’elles viennent à occuper une quelconque charge susceptible d’offrir prise à leur (re)tribalisation. Il suffit qu’un fonctionnaire soit nommé à un poste « de responsabilité » — processus qui

10 Les quatre principaux sont ceux des Smâsîd, des Awlâd Busba’, des Idawa’li et des Idaybusât.

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requiert souvent, en sus du bon vouloir du « sultan » du moment, une somme non négligeable « d’interventions » à base parentale et tribale — ; il suffit qu’un officier accède au pouvoir ou à une fonction d’autorité, pour qu’ils soient perçus comme les représentants de leur monde tribal, sommés d’alimenter à leur tour la machine à générer de la ‘asabiyya, de nourrir le dispositif réticulaire qui permet à la qabila de s’établir au cœur du dispositif officiellement bureaucratique, étatique. A « l’ethnie » et à la « tribu », il convient, dans l’appréciation de l’évolution politique de la Mauritanie et des facteurs essentiels qui l’orientent, d’ajouter le poids de l’islam. • Islamité Au moment de son accession à l’indépendance, les dirigeants de cette république des sables quelque peu chimérique, avaient choisi de lui donner le nom pompeux de « République Islamique de Mauritanie ». C’était longtemps avant que l’adjectif « islamique » n’acquiert la réputation sulfureuse que les mollahs iraniens ont contribué à lui donner. Mokhtar Ould Daddah et ses proches conseillers voulaient tout juste mettre l’accent, par l’appellation ainsi retenue, sur ce qui leur apparaissait à l’époque comme l’élément fondamental — peut-être même le seul — d’unité des populations mauritaniennes. L’islam, en effet, constitue un trait civilisationnel majeur de l’espace mauritanien depuis au moins le 11e s. Mobilisé pour instaurer une orthodoxie sunnite malikite rigoureuse, le mouvement Almoravide, qui a vu le jour à cette lointaine époque, est considéré, malgré la brièveté de sa carrière saharienne11, comme le point de départ de l’histoire officielle de la Mauritanie « étatique ». Le jihâd que ces nomades du Sahara maure avaient lancé a sans doute puissamment contribué à bousculer les pratiques et croyances antérieures, y compris les influences « hétérodoxes » de l’islam, khârijite-ibâdite ou shi’ite, dont les missionnaires ont peut-être été parmi les premiers islamisateurs de la région. Mais c’est surtout autour des obédiences confrériques (shâdhiliyya, qâdiriyya, tijâniyya) et au travers de leur encadrement, que s’installe, à partir du 18e s, un islam populaire, dont les infrastructures (zâwiyya du shaykh12, activités commerciales et agricoles, etc. …), les manifestations collectives (rassemblements, visites, etc.) et les services « de proximité » (éducation, pratiques thérapeutiques et propitiatoires, amulettes, etc.) vont conférer à la religion de Muhammad une place centrale dans la vie quotidienne des futurs mauritaniens, toutes ethnies et tribus confondues. L’universelle diffusion de l’islam dans la société mauritanienne et son caractère populaire ne soustraient évidemment pas cette confession aux subdivisions et contradictions qui (de)structurent les collectivités mauritaniennes. Les mouvements confrériques dont il vient d’être question à l’instant ne sont pas sans présenter quelque lien spécifique avec les groupes

11 Né durant les années 1040 sur l’actuel territoire mauritanien, il perd, semble-t-il, toute consistance, dans sa composante saharienne, avec la mort du principal dirigeant de cette branche, Abû Bakr Ibn ‘Umar al-Lamtûnî en 1087. On sait que sa carrière septentrionale s’étendra, en revanche jusqu’au milieu du 12e s, englobant la moitié occidentale du Maghreb et une bonne partie de la péninsule ibérique. Pour un aperçu des principales sources sur la phase saharienne de l’activité des Almoravides, on peut voir notamment : P. F. de Moraes Farias, 1967 12 Zâwiyya du shaykh = le centre principal, le lieu où réside (et /ou où est enterré) le shaykh, le fondateur de la confrérie.

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ethniques ou tribaux où ils sont nés et/ou où ils ont pris racine. Pour donner un ou deux exemples, la tribu des Kunta était traditionnellement plutôt qâdiriyya et celle des Idawa’li plutôt tijâniyya ; la confrérie murîdiyya de Shaykh Amadu Bamba (m. 1927), centrée sur le Sénégal où elle est née, recrute principalement chez les Wolofs, y compris en Mauritanie, même si elle a des adeptes dans les autres communautés ; un des traits d’affinité entre une bonne partie des dirigeants du putsch du 10 juillet 1978 pourrait avoir été la tijâniyya hamawiyya de l’est mauritanien, et l’on prête à la tijâniyya ibrâhimiyya une certaine influence dans la cooptation de l’entourage de M. Sidi Ould Cheikh Abdallah, etc. Ajoutons que cet islam traditionnel était un islam rural, profondément ancré dans des environnements locaux où les liens de parenté et de résidence occupaient une place centrale. Rendu « paisible » par une habile politique coloniale, combinant une répression vigoureuse en cas de nécessité et des efforts « d’apprivoisement » fondés sur des incitations économiques indispensables au train de vie et au prestige des chefs confrériques, l’islam mauritanien était demeuré largement à l’écart des courants réformistes de toute nature qui ont balayé l’aire arabo-musulmane depuis la nahda égyptienne. Avec l’arabisation du système scolaire dont il a été question plus haut, avec son incorporation progressive au monde arabe, avec surtout la « petite globalisation arabe » née des pétro-dollars et des nouveaux médias (al-Jazeera, etc.), la Mauritanie a commencé à partager les mêmes frémissements idéologico-religieux qui ont parcouru, au fil des trente dernières années, l’aire culturelle de l’islam. L’afflux de ressources financières moyen-orientales, saoudiennes notamment, a d’abord et avant tout alimenté un entreprenariat religieux qui trouvait localement à se nourrir dans les circonstances de crise précédemment évoquées. Les progrès de « l’islamisation » d’un secteur non négligeable des finances globales a contribué à générer des revenus « sultaniens mutualisés » pour des clercs ainsi rendus autonomes vis-à-vis des subsides en provenance du « sultan » du cru13. La sédentarisation des nomades et l’urbanisation massive engendrées par la sécheresse des années 70 ont entraîné une formidable éclosion de la construction des mosquées, secteur-phare de « l’assistance » saoudienne. Avec souvent, dans leur sillage, le développement de centres de formation religieux (Ould El-Bara, 2004). La découverte du monde des « banques islamiques », le développement d’une frénésie consumériste à la mode golfie, ont accompagné l’émergence d’une « bourgeoisie pieuse » dont la prospérité ostentatoire (villas pharaoniques, véhicules tout terrain de la dernière sophistication, etc.) se nourrit d’abord et avant tout de la prédation entretenue par les réseaux de dépeçage de l’Etat. Une jeunesse déruralisée, victime de l’alphabétisation accélérée et sans perspective professionnelle, obtenue grâce à l’arabisation bâclée, allait bientôt venir offrir à cette bourgeoisie le pendant de radicalisme islamiste que son consumérisme, à la fois jalousé et détesté, et son discours conservateur, avaient fait naître. Le salafisme wahhabite est venu de la sorte progressivement occuper la place du gauchisme maoïsant des premières années 70 qui avait naguère entretenu une agitation sociale et politique aux conséquences significatives. Et c’est ainsi que l’islam « traditionnel », rural et confrérique, reflue de plus en plus aujourd’hui devant le néo-fondamentalisme d’inspiration principalement saoudienne qui

13 Ces ressources proviennent en particulier de la cooptation pour les « conseils d’orientation islamique » des institutions bancaires, de la « consultance islamique », de « l’habilitation » à servir d’intermédiaire pour la distribution de la zakat des pétro-fortunes, etc. Elles procurent la base d’une autonomie financière « délocalisée », profitant essentiellement à la mouvance Frères Musulman (le télé-prédicateur vedette d’al-Jazeera, Yûsuf al-Qardâwî en constitue un rouage essentiel) et à l’islam mondialisé et plus ou moins radical. Cf Mohamed Fall Ould Bah. 2007.

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correspond, semble-t-il, davantage à la demande d’un monde néo-urbain déboussolé, en quête de repères. Le rigorisme « rationalisé » du wahhabisme14 offrait comme une alternative « moderne », mais néanmoins perçue comme plus « traditionnelle » que les authentiques traditions locales, aux pratiques d’un islam rural désormais jugé « archaïque » et « dépassé ». L’oxymore de la « modernisation conservatrice » exprime assez bien le contenu de cette mutation qui a accompagné l’apparition d’un courant jihadiste en Mauritanie, même si le gros des adeptes du salafisme, variante Frères Musulmans, se rattacherait plutôt à un rigorisme qualifié de « modéré »15. L’émergence du jihadisme en Mauritanie est aussi, évidemment, à mettre en rapport avec les effets de la globalisation, les effets d’une situation internationale, marquée, pour bon nombre d’arabes et de musulmans, notamment mauritaniens, par ce qu’ils considèrent comme l’agressivité conquérante et l’insupportable arrogance des « Occidentaux » (en Palestine, en Iraq, en Afghanistan, en Tchétchénie, etc.) face au monde musulman, arrogance dont les actuels massacres de Gaza fournissent une brutale illustration. Dans l’évocation du terreau sur lequel ce radicalisme islamiste commence à se développer en Mauritanie, il convient de ne pas oublier le rôle de l’insécurité qui s’est étendue dans l’ensemble du Sahara central et occidental depuis plus de trente ans. La guerre du Sahara, commencée en 1975, les effets des diverses « rebellions » touarègues (Mali, Niger), ont fini par faire jonction, si l’on peut dire, avec les restes du brasier algérien dont on connaît le sinistre bilan du début des années 90. Une situation favorable aux trafics de toutes natures (armes, contrebande de cigarettes, drogue, etc.) s’est ainsi installée aux frontières, proches ou moins proches, du théâtre ouest saharien d’opération. Les jihadistes mauritaniens vont y trouver un cadre favorable à l’acquisition des moyens de leur combat. Diverses actions entreprises par ces jihadistes en divers endroits de la Mauritanie, entre février 2005 et avril 2008, témoignent de la radicalisation guerrière d’une frange de la mouvance islamiste mauritanienne16. Les progrès de l’islamisme, dont ces évènements témoignent, ne sont évidemment pas séparables de l’évolution du contexte mauritanien dans son ensemble et de celle du pouvoir politique qui en est comme une sorte de résumé. II - An-archie, sultanisme et autoritarisme compétitif L’ethnie, la tribu et l’enracinement culturel islamique fournissent donc certaines des clés de lecture les plus massivement repérables de l’évolution politique de la Mauritanie. Leur prégnance masque parfois cependant les impulsions et des déterminations venues d’autres sphères, d’autres modes de structuration, adossés à d’autres critères et à d’autres bases. Je veux ici faire allusion aux subdivisions de la société urbaine “ moderne ” et aux antagonismes qu’elles génèrent, parfois associés par certains analystes (de Chassey, 1972) au processus de

14 Son côté dépouillé, sa référence aux seuls textes canoniques (qur’ân et principaux recueils de hadîth), son refus de toutes les manifestations de piété populaire (culte des saints, etc.) ont conduit parfois à le rapprocher de la première réforme protestante, dans le champ de l’histoire du christianisme. 15 Le parti islamiste « TawâSul », et son principal inspirateur, Wuld ad-Dadaw, se rattachent à la mouvance idéologique des ikhwân al-muslimîn. Voir le site (en arabe) : www.dedew.com 16 On trouvera une chronologie de ces évènements sur le site : www.cridem.org

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formation de classes sociales embryonnaires, issues d’une division du travail et des revenus extérieure à la société “ traditionnelle ”. • Classes ? Les indications accessibles relatives à l’emploi en Mauritanie sont fragmentaires et pas toujours très cohérentes, ni très actuelles. Le chômage toucherait environ 20% de la population active, selon le recensement national de 2000 — le dernier disponible —, une estimation vraisemblablement minorée. Le gros de l’emploi “ moderne ” serait à mettre au compte de l’administration (quelques 90000 employés) et du secteur informel (incluant notamment une bonne partie du bâtiment et des transports), par nature difficilement quantifiable. Les mines, la pêche industrielle et la petite industrie occupaient une main d’œuvre que l’on pouvait estimer en 2000, aux environs de 25000 personnes. Par rapport au nombre des actifs “ occupés ” (626705, selon le recensement de 2000), et dont l’immense majorité vit de l’agriculture et de l’élevage, l’emploi “ moderne ”, surtout si l’on en soustrait l’administration (15% du total des emplois en 2000), ne constitue, on le voit, qu’une fraction très limitée : à peine 4%. Et puisque c’est le terreau supposé de formation de classes sociales dégagées des emprises directes des cadres “ ethniques ”, “ tribaux ” et “ statutaires ”, on ne peut s’attendre à voir ces classes peser d’un poids décisif sur l’ensemble de la société. La centralité économique de l’emploi “ moderne ”, la position hégémonique qu’il occupe autour du pouvoir politique et dans le monde des villes, lui confèrent cependant une place qui n’est pas mesurable à la seule aune de son poids démographique, comme elle confère aux antagonismes et aux positions qu’il génère dans tous les champs de la vie sociale une signification qui déborde largement les limites des couches qu’il concerne directement. Au début des années 1970, lorsque se développait en Mauritanie un mouvement d’inspiration marxiste ( kâdihîn ) qui ne fut pas sans influence sur l’évolution politique de ces années-là, une opposition polaire était mise en avant entre une “ bourgeoisie bureaucratique ” et/ou "compradore", fondamentalement liée à la sphère de l’Etat, et une classe ouvrière en formation, notamment dans les exploitations minières du nord, classe ouvrière autour de laquelle le monde des petits employés, des chômeurs des villes, voire des paysans pauvres , était supposé pouvoir se mobiliser en vue de secouer le joug de ce que l’on appelait alors le “ néo-colonialisme ”, servi et maintenu par les héritiers d’une domination coloniale qui venait tout juste de passer la main. Certains travaux17 ont, en effet, pu montrer qu’une “ mentalité ouvrière ” était en train de s’esquisser parmi les employés de la MIFERMA (ancêtre, à capitaux principalement français, de la Société Nationale Industrielle et Minière actuelle) où les catégories professionnelles (appelées gori en hassâniyya — déformation de “ catégorie ” —, et donc en quelque sorte « naturalisées ”) étaient en voie de concurrencer sérieusement les appartenances tribales et statutaires. On en venait à se situer davantage par rapport à sa « gori » qu’à sa tribu. Dans la petite bureaucratie héritière de la colonisation, et même si les niveaux de formation de ses membres étaient dans l’ensemble très modestes18, l’ethos bureaucratique (respect des normes et « valeurs » professionnelles et administratives, des voies hiérarchiques, des

17 Notamment une vaste enquête effectuée par P. Bonte en 1969-70 pour le compte de MIFERMA, restée inédite, mais dont j’ai eu communication des résultats par l’auteur. 18 On comptait sur les doigts d’une main les membres des premières équipes dirigeantes mauritaniennes dont le niveau scolaire dépassait le premier cycle de l’enseignement secondaire (cf de Chassey, 1972)

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procédures publiques de recrutement et de licenciement, relative probité financière, etc.) avait pu, durant la décennie qui a précédé le cataclysme de la première vague de sécheresse et la guerre du Sahara, se maintenir. Fort peu sollicitée par un arrière-pays rural qui n’en avait pour ainsi dire pas besoin19, l’administration, au volume très réduit, de l’époque, dirigée par des hommes encore fortement imprégnés des modes de consommation traditionnels et de leur frugalité, se jugeait investie d’une autorité et d’un prestige que la maniement de la langue française, alors langue quasi-exclusive du pouvoir, mais ignorée de plus de 90% de la population, venait symboliquement sanctionner. Héritière de la distance régalienne instaurée par les autorités coloniales avec les “ indigènes ”, elle pouvait traiter avec d’autant plus de condescendance, sinon d’arrogance, les couches dominantes de la société traditionnelle que ses principaux auxiliaires provenaient eux-mêmes d’une strate dominée (les “ marabouts ”) de ces couches dominantes, prompte à afficher une émancipation acquise, en partie, à l’ombre des maîtres coloniaux d’hier. Mais la crise climatique des années 70 et le conflit du Sahara vont venir bouleverser ce schéma. L’ensemble des secteurs “ modernes ” de l’économie et de la société, le monde des villes, vont se trouver littéralement engloutis par les vagues de naufragés de la sécheresse. Une formidable demande de ressources, d’équipements, d’emplois, d’éducation, de santé, de services administratifs et judiciaires va rapidement paralyser la minuscule administration léguée par la colonisation, et rattrapée en quelque sorte par son arrière-monde rural. L’arabisation très rapide du système scolaire, à partir de 1973, va quasiment restituer l’appareil public de formation à l’enseignement traditionnel, à son contenu essentiellement religieux, et à ses méthodes20. La baisse de prestige, le déficit de légitimité bureaucratique de la bourgeoisie bureaucratique qui s’en suit, en même temps que la chute de ses revenus, puissamment sollicités par des parentèles pléthoriques et démunies que l’arrière-pays ne pouvait plus nourrir, autant de circonstances qui font le lit des progrès rapides de la corruption, en même temps qu’ils générèrent une fusion rampante de la bourgeoisie d’Etat et du monde des commerçants, auparavant assignés au rôle modeste de fournisseurs empressés d’une administration toute-puissante. Il en résulte que la Mauritanie toute entière est devenue, pour ainsi dire, une sorte d’immense “ structure-boutique ”. La nouvelle bourgeoisie issue de cette fusion, néo-traditionnelle et “ pieuse ”, n’est pas tant opposée à la modernisation qu’à l’occidentalisation , pour reprendre la terminologie de feu S. Huntington. Une modernisation conservatrice donc, fortement inspirée des valeurs islamiques telles que le salafisme moyen oriental tend à les propager. Poussée par un nouveau consumérisme en rupture avec la ruralité bédouine dont elle est issue, le seul degré de rationalité dont elle s’accommode est celui qui va avec l’usage, et parfois le sur-usage, des objets techniques de la modernité (habitat, automobile, électronique, alimentation, vêtements, gadgets, etc.). Elle récuse fermement, en revanche, tout ce qui, dans le statut des personnes et de leur conduite sociale et religieuse, peut être perçu comme menaçant pour “ la tradition ” : autonomie individuelle de pensée et d’action, statut des groupes dominés, condition de la femme, etc. Les écarts grandissant de revenus entre cette couche et le reste de la population serviront, partiellement redistribués, à “ arroser ” de plus ou moins bon gré, des clientèles à base “ ethnique ”, “ tribale ”, ou statutaire (anciens “ dépendants ”, “ griots ”, etc.) et à donner

19 Durant les années cinquante, la Mauritanie a connu une excellente pluviométrie et le bétail des éleveurs a enregistré une croissance remarquable. 20 Lors d’une enquête effectuée en 1981 (Ould Cheikh, 1982), j’avais observé que près de 30% des nouveaux enseignants recrutés pour le niveau primaire, au lendemain de l’entrée en vigueur de la réforme de 1973, étaient directement issus de l’enseignement traditionnel.

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ainsi l’impression que ces cadres sont autrement plus efficaces et agissants que les sources “ modernes ” d’enrichissement et de prestige. Cette redistribution constitue un des fondements de la retribalisation de la société maure observée au cours des deux dernières décennies. A l’autre bout de l’échelle sociale, la “ prolétarisation ” des milieux ouvriers dont il a été précédemment question, a subi, elle aussi, un freinage brutal du fait des mêmes facteurs qui ont transformé la bureaucratie en “ structure-boutique ” : pression considérable des sans emplois, affaiblissement du rôle des critères professionnels au profit du poids des “ réseaux ”, faiblesse de l’action syndicale, toujours restée sous la tutelle des autorités, à l’exception de la brève période d’agitation des kâdihîn, etc. Pour revenir à l’exemple des exploitations minières ci-haut citées, la nationalisation de MIFERMA (1974) et la mauritanisation progressive de son encadrement à partir de la fin 1976 (liée à l’insécurité croissante pour les étrangers devant la recrudescence des attaques du Polisario) , s’ils peuvent être légitimement revendiqués comme des acquis du peuple mauritanien, se sont aussi accompagnées de puissants biais “ ethniques ” et “ tribaux ” aux détriments des procédures de recrutement et d’avancement à la compétence professionnelle, comme une enquête effectuée sur place en 1999-2000 m’a permis de l’observer21. De tout ce qui précède, il se dégage que pour la plupart des mauritaniens d’aujourd’hui, les oppositions socialement pertinentes ne sont pas celles qui se rattachent aux antagonismes de classes, mais vraisemblablement celles qui distinguent “ riches ” et “ pauvres ”, lues et interprétées à travers la grille des appartenances “ ethniques ”, “ tribales ”, statutaires. Même si tous ces champs s’articulent et s’interpénètrent dans le carrefour central qu’est l’Etat, ce « résumé officiel de la société », comme disait Marx. • Fragile despotisme Comme dans bon nombre de pays africains, les institutions étatiques mauritaniennes procèdent de l’héritage colonial et leur évolution au cours des trente dernières années portent l’empreint du prétorianisme qui a balayé toute cette aire géographique dès les premières années de l’indépendance. La guerre du Sahara, qui a contribué à donner à l’institution militaire un poids décisif dans le (petit) dispositif étatique hérité de la colonisation, est sans doute largement responsable du coup d’Etat qui amena l’armée au pouvoir le 10 juillet 1978. Le pouvoir instauré par les militaires, en inaugurant la rotation précipitée d’officiers guère préparés au rôle de premier plan dans l’administration auquel ils accédaient, dans le contexte d’une fragilisation accélérée de l’ensemble des structures naissantes de l’Etat, a donné aussi une impulsion décisive à la corruption et à la fusion de plus en plus nette des secteurs “ boutiquiers ” et bureaucratiques de l’affairisme mauritanien. La brièveté, plus ou moins clairement perçue, de la durée de vie aux postes de quelque importance dans l’appareil politico-administratif, viendra, en effet, stimuler une absence de scrupule largement “ comprise ” par la vox populi qui tendait à y voir un comportement positif, “ viril ” (at-tfagrîsh), opposé à la faiblesse, à “ l’idiotie ” (vsayyid) même, consistant à croire qu’il existe précisément quelque chose comme un “ bien public ”.

21 Enquête effectuée en compagnie de Pierre Bonte, et dont une partie des résultats, a été présentée dans l’ouvrage qu’il a tiré de ce travail de terrain, Bonte, 2001.

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De 1978 à 1991, le système politique est resté verrouillé par les factions militaires dominantes, et les éléments de structures participatives mises en place (“ Structures d’Education des Masses ” ; élections municipales de 1986-89) ont tout juste conduit au renforcement d’un monolithisme à visage vaguement pluraliste, fermement tenu en main par “ la direction nationale, avec à sa tête le Président X, etc. ”, pour reprendre le syntagme figé alors en usage. Le coup d’Etat de 1978 et les divers remaniements du leadership des militaires au pouvoir qui l’ont suivi avaient pourtant semblé rendre le jeu politique plus ouvert, en mettant un terme au parti unique, et en restaurant de plus en plus ouvertement les concurrences “ tribales ” et “ ethniques ” que le régime civil antérieur disait vouloir brider Hélas ! ces compétitions, articulées autour de la proie que constituent les appareils d’Etat et les ressources auxquelles elles ouvrent accès, n’ont conduit qu’à des déchirements dont les plus significatifs ont été les massacres “ ethniques ” de 1989-90 précédemment évoqués. L’institutionnalisation du pluralisme politique et des élections, bien qu’elle n’ait guère affecté la forme autoritaire et très personnalisée d’exercice du pouvoir suprême, sur le mode de ce que l’on a parfois appelé ailleurs “ l’autoritarisme compétitif ”, n’interviendra qu’à partir de 1991. En l'espace de neuf mois, de juillet 1991 à avril 1992, la Mauritanie est ainsi passée d'un pouvoir militaire très peu porté à discuter et à partager ses prérogatives à un ensemble de dispositifs institutionnels inspirés des modèles démocratiques euro-américains. La rapidité avec laquelle ce changement s'est opéré, ses incidences très limitées sur le personnel politique dirigeant et son comportement, la conjoncture même qui lui a donné naissance (1ere défaite de Saddam, bénéficiant de fortes sympathies gouvernementales mauritaniennes, à l’époque ; discours de La Baule de Fr. Mitterand et thématique planétaire de "la bonne gouvernance", etc.), laissent penser qu'il correspondait davantage à des concessions de forme accordées à la nouvelle hégémonie libérale planétaire qu'à de fortes pressions locales en faveur du pluralisme. Les conditions de mise en oeuvre des divers processus électoraux22 comme les résultats auxquels ils ont (presque) invariablement aboutis montrent qu'ils n'ont pas essentiellement bouleversé le paysage politique qui leur préexistait. Ils ont seulement contribué à (r)amener au premier plan, et en quelque sorte à officialiser, l'intervention, dans le champ du pouvoir, des luttes de classement fondées sur l'ethnie et la tribu, qui, en sous-main, en ont toujours constitué un élément déterminant. Il n’existe pas de tradition partisane bien enracinée en Mauritanie. Le Parti du Peuple, qui est censé avoir “ tenu ” le pays pendant quinze ans (1963-1978) s’est effondré comme un château de cartes au lendemain du coup d’Etat de juillet 1978. Le PRDS, qui a rempli à peu près les mêmes fonctions au service du Cl Taya et des intérêts de son entourage, et qui a eu une hégémonie et une durée plus étendues, a subi le même sort à la faveur du putsch du 3 août 2005. Il existe bien, ou il a existé, des “ sensibilités ” politiques qui peuvent, ou pouvaient, apparaître comme des expressions locales de courants de pensée, de doctrines, qui structurent, sous d’autres latitudes , des regroupements militants. Le marxisme révolutionnaire a exercé, dans les années 70, une influence dont il subsiste encore quelques traces plus ou moins décelables chez certains partis et mouvements ; le salafisme, nous l’avons noté, a fait, au cours des quinze dernières années, une percée significative dans le paysage politique mauritanien, sur les décombres des obédiences confrériques et des diverses nuances du nationalisme arabe. Pour le reste, les partis politiques mauritaniens — il en existe actuellement une bonne cinquantaine — sont davantage identifiés par l’opinion (partisans et adversaires) aux personnes qui les dirigent qu’aux doctrines et “ programmes ” qu’ils mettent

22 J'ai donné ailleurs (Ould Cheikh, 1994) une brève analyse de ces processus électoraux.

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en avant, apparaissant ainsi comme des coalitions plus ou moins étendues et éphémères d'intérêts et d'ambitions personnelles, des convergences de refus ou de protestation largement déterminés par les facteurs les plus significatifs du champ politique mauritanien vécu et/ou imaginé : “ la région ”, “ l'ethnie ”, “ la tribu ”. Tout ce qui précède ne veut pas dire que les processus électoraux mis en œuvre depuis 1991 ont été sans portée, ou sans signification. Ce n’est pas parce qu’il n’ont pas permis de modifier de façon significative le rapport des forces entre le pouvoir et ceux qui s’opposent à lui, qu’il faut les compter pour une simple mise en scène. Il y a certes de la mise en scène dans ces évènements — c'est la fonction "impresario" de l'Etat naguère soulignée par Cl. Geertz —, mais il y a encore autre chose. Les conjonctures électorales comme les déplacements régionaux du président déposé en 2005, qui étaient devenus des moyens “ d’autocratie directe ” (actes régaliens d’allégeance, effets de “ cour ” en déplacement, etc.) , manifestaient quelque chose d’essentiel par rapport à la nature de l’Etat mauritanien. Ils réalisaient une sorte de conjonction entre ce que j'appellerais volontiers sa dimension sultanienne et sa recherche d’une légitimité de caractère “ légal-rationnel ” , si l’on veut bien autoriser cette référence à la typologie bien connue de Max Weber. Toujours est-il que du 12 décembre 1984 au 5 août 2005 le pouvoir est resté entre les mains du même chef de l’institution militaire, du même « sultan », malgré les aménagements de forme qu’il a connus tout au long de cette période, en s’efforçant notamment de donner des gages de « pluralisme » à la « communauté internationale ». L’exclusion d’abord rampante, puis brutale, des communautés noires du jeu politique national ; la concentration de plus en plus asphyxiante pour leurs concurrents des bénéfices économiques de la prédation orchestrée autour et par l’appareil d’Etat au profit exclusif du petit monde tribal du Colonel Taya ; le retour sur le devant de la scène de la question de l’esclavage ci-haut évoqué ; autant de facteurs qui ont contribué au renversement de Ould Taya, dont le régime a été ébranlé par deux tentatives rapprochées de coup d’Etat (juin 2003 et septembre 2004) menées par d’anciens officiers se faisant appeler « Les Cavaliers du Changement », tout comme il venait de subir la première attaque d’envergure (juin 2005) des groupes jihadistes précédemment mentionnés. Le coup d’Etat de 2005 semblait annoncer une véritable rupture avec les pratiques politiques des traditions putschistes antérieures. Il a ouvert la voie à une pluralité d’expression sans précédent, qui s’est manifestée notamment dans la multiplication des organes de presse indépendants et dans la mise sur pied de « journées nationales de concertation » où tous les grands thèmes de la vie politique nationale — le « passif humanitaire » des années Taya, le retour des déportés de 1989, la question de l’esclavage, … — furent librement débattus. Le Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD), l’instance dirigeante du putsch, fixa une période de transition de deux ans au terme de laquelle il s’engageait à rendre le pouvoir à des autorités démocratiquement élues, sous la supervision d’une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), et avec l’assistance d’observateurs internationaux (UE notamment). Il annonça également qu’aucun de ses membres ou des membres du gouvernement de transition qu’il mit sur pied ne pourra faire acte de candidature aux fonctions d’éligibilité définies par la future constitution (députés, sénateurs, président de la République). Une nouvelle constitution, fortement inspirée de celle de la 5e République française, avec une inflexion encore plus présidentialiste, allait effectivement être adoptée par référendum. Les élections législatives, marquées par un soutien plus ou moins discret des militaires aux

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candidats dits « indépendants » — c’est-à-dire ne relevant d’aucun des partis politiques reconnus, mais prolongeant de fait le poids du notabilisme de l’époque taya’iste —, se sont déroulées dans des conditions jugées globalement recevables par tous les groupes en compétition, malgré certaines accusations portées par les partis de l’ancienne opposition contre les « encouragements » prodigués par les membres du CMJD aux « indépendants ». Ces derniers sont en tout cas arrivés en tête avec 41 élus sur les 95 que compte l’assemblée. Ils constitueront, avec leurs alliés (PRDR, nouveau nom de l’ancien parti taya’iste — PRDS —, avec 7 députés ; UDP, 3 élus ; RDU, 3 élus, etc.) la majorité au sein de la nouvelle assemblée. « L’opposition démocratique », regroupement de plusieurs partis (RFD, 16 élus ; UFP, 9 élus ; HATEM, 3 élus ; …) disposant, quant à elle, d’une trentaine d’élus. Pour les élections présidentielles, une coalition d’intérêts disparates, manoeuvrée par certains membres du CMJD, a suscité la candidature d’un ancien ministre des gouvernements Daddah et Taya — Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah — qui vivait depuis une vingtaine d’années à l’étranger, et qui n’avait aucun antécédent politique connu, hormis sa qualité d’ancien ministre. Le choix de ce personnage effacé et sans base partisane, proposé au public avec le slogan « Le Président qui rassure », était, semble-t-il, principalement destiné à faire barrage à la candidature de la figure majeure de l’opposition, Ahmed Ould Daddah23, que l’officier le plus influent du CMJD — Mohamed Ould Abdel Aziz — ne voulait, dit-on, à aucun pris voir à la tête du pays. A l’issue du premier tour des élections présidentielles, qui ont vu s’affronter une bonne dizaine de candidats, Sidi Ould Cheikh Abdallah arriva en tête avec quelques 25% des voix, suivi, dans l’ordre, d’Ahmed Ould Daddah (21%), de Zeine Ould Zeidane24 (15%) et Messoud Ould Boulkheir25 (10%). Des tractations s’engagent en vue du second tour, au-dessus desquelles planent l’ombre des militaires du CMJD. Zeine et Messoud — pourtant signataire d’un pacte avec Ahmed Ould Daddah — décident de s’allier avec Sidi, en échange, pour le premier, de la fonction de premier ministre, de celle de président de l’assemblée nationale pour le second (bien que son parti n’ait remporté que 5 sièges …). Du moins pour les aspects visibles de la transaction. Elu président, Sidi Ould Cheikh Abdellahi met en oeuvre l’accord conclu, pense-t-on, à l’instigation du colonel — qu’il s’empresse, aussitôt élu, de nommer général — Mohamed Ould Abdel Aziz. Ould Zeidane est désigné premier ministre et Ould Boulkheir devient président de l’Assemblée Nationale, avec les voix des députés « indépendants », devenus « majorité présidentielle ». Mais Sidi entreprend aussi, progressivement, de se mettre politiquement « à son compte », poussé, dit la rumeur, par sa très influente épouse et — affirment aujourd’hui leurs adversaires — par les anciens kâdihîn de l’UFP26 séduits, entre autre, par les efforts qu’il initie en direction des victimes des exactions des années 1989-91. Il charge un homme à lui, Yayha Ould Ahmed El Waghf, Ministre Secrétaire Général à la Présidence, auquel il avait confié le brûlant dossier du retour des réfugiés mauritaniens

23 Frère du premier président de la Mauritanie indépendante, et chef du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) 24 Un ancien gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie sous Ould Taya, et qu’on disait, lui aussi, proche des militaires. 25 Figure historique du mouvement des hrâtin et président de l’Alliance Populaire Progressiste 26 Malgré une certaine mixité « ethnique » de sa base, et la présence dans son encadrement d’anciens « gauchistes », — devenus très « réalistes » mais portant toujours les stigmates de leur présumé ancien communisme —, des années 1970, le fait que le président de ce parti soit un ressortissant de la tribu des Idawa’li du Tagant où il a recruté le gros de son électorat aux législatives en fait, pour une partie de ses adversaires, un parti « des Idawa’li ».

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expulsés en 1989, de mettre sur pied « un parti du Président » autour des élus dits « indépendants ». Ce parti — PNDD/ADIL est son nom —, qui apparaît, dans une large mesure, comme une résurrection du PRDS de Ould Taya, réunit les 300 membres de son « conseil provisoire » en février 2008 à Nouakchott, en prélude à un remaniement gouvernemental qui portera son président, — Ould El Waghf —, à la tête du gouvernement en remplacement de Ould Zeidane (6 mai 2008). Les velléités d’indépendance de Ould Cheikh Abdallah à l’égard de ses mentors en uniforme ne s’arrêteront pas à la création du « parti du Président », et à la rupture du contrat électoral élaboré entre les deux tours de la présidentielle. En nommant Ould El Waghf à la tête du gouvernement, il concocta avec lui la formation d’une équipe gouvernementale — la plus étendue de l’histoire de la Mauritanie, avec 32 membres ! — qui ambitionnait d’intégrer en son sein toutes les forces politiques de quelque poids dans le pays. Même si le RFD d’Ahmed Ould Daddah déclina l’offre de participation qui lui était faite, on retrouvera dans ce gouvernement, aux côtés des grandes figures du système Taya, — surnommées par la vox populi « les symboles de la corruption » (rumûz al-fasâd, en arabe) —, des membres de l’APP de Messoud Ould Boulkheir, le vice-président et des militants de l’UFP, ainsi que deux représentants du parti islamiste « modéré » (dénommé TAWASUL, de son acronyme arabe, signifiant « continuité »). La proclamation de ce gouvernement, le 11 mai 2008, marqua, semble-t-il, aux yeux du tout nouveau général Mohamed Ould Abdel Aziz et de ses affidés dans l’armée, une volonté « d’insoumission » caractérisée de la part de Sidi Ould Cheikh Abdallah. Le « rééquilibrage » au profit de la clientèle tribale du général (Awlâd Bussba’, et autres) et de ses alliés d’une balance qui avait trop longtemps penché en faveur de leurs concurrents économiques de l’ère Taya (notamment en faveur de la tribu de l’ancien président lui-même, les Smâsîd27) semblait compromis par le retour des figures les plus en vue du paysage politique d’avant le putsch d’août 2005. La présence de partis « idéologiques » (UFP, TAWASUL) extérieurs à sa sphère d’influence directe, et opérant comme une alliance de revers contre « ses » « indépendants », a sans doute paru d’autant plus déplaisante à l’officier supérieur que la question du retour des réfugiés de 89, fortement soutenu par l’UFP, s’accompagnait, notamment dans les rangs de ce parti, de tout un discours autour du « passif humanitaire » que les militaires compromis dans les exécutions extra-judiciaires des années 1990 n’avaient aucune envie de voir remuer. Voilà quelques éléments du paysage qu’il faut avoir en vue pour essayer de comprendre l’engrenage qui a conduit au putsch du 6 août dernier. A partir du moment où le président que les militaires avaient sorti de leur chapeau pour le faire élire s’est mis à croire qu’il pouvait se soustraire, ne fût-ce que partiellement , à leur tutelle, son sort paraissait scellé. Son renversement a commencé par une agitation orchestrée par les députés « indépendants » autour d’un projet de motion de censure destiné à faire chuter un gouvernement dont la composition déplaisait à leurs protecteurs « de l’ombre ». Il ne faisait en fait de doute pour personne que c’est Ould Abdel Aziz qui était derrière cette agitation. Et l’on pouvait même se demander, compte tenu des hésitations que les militaires avaient manifestées à se retirer de la scène politique au moment des élections présidentielles,

27 Une des personnalités les plus en vue des Smasid, héritier de leur chefferie traditionnelle, Ahmad Ould Sidi Baba, président du défunt RDU (il venait de se faire harakiri pour se fondre dans le PNDD/ADIL) et ami de longue date de Sidi Ould Cheikh Abdallah qui venait tout juste de le nommer président du Conseil Economique et Social, a été une des rares personnalités arrêtées en même temps que lui par les putschistes du 6 août 2008.

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s’il n’y avait pas là un scénario mûrement mis au point dès cette période électorale … Quoi qu’il en soit, le projet de motion de censure semblait pouvoir compter sur le soutien des députés du RFD, pas mécontent d’accentuer la discorde dans le camp présidentiel du moment qu’il n’avait pas bénéficié du partage des porte-feuilles ministériels auquel avait été convié ses anciens compagnons de « l’opposition démocratique », UFP et TAWASUL, passés, après l’APP, dans le camp de Ould Cheikh Abdallah. La motion était ainsi assurée d’obtenir la majorité des voix du parlement. Parallèlement, les adversaires du président élu se sont mis à agiter le spectre d’une commission d’enquête sur les agissements financiers de son épouse au travers de la fondation qu’elle avait créée, sur sa propre gestion à lui et sur celle du président du Sénat — deuxième personnalité de l’Etat, et substitut éventuel du Président en cas de défaillance de celui-ci — qui traînait les pieds à se laisser enrôler dans la cabbale anti-présidentielle. Les choses ont mûri très rapidement. Entre deux voyages — le Président voyageait beaucoup … — Sidi Ould Cheikh Abdallah prononça, le 2 juillet 2008, un discours solennel, radiotélévisé, dans lequel il admonesta les députés frondeurs et menaça — prérogative que lui octroie la constitution — de dissoudre l’assemblée si les « indépendants » dissidents s’obstinaient à ne pas vouloir du gouvernement dont il a confié à Ould El Waghf la direction. Menace très peu crédible : Sidi n’avait vraisemblablement aucune chance de remporter une majorité « à lui » en cas de nouvelles élections législatives, compte tenu du poids plus que modeste dont il dispose dans l’opinion et du soutien que les militaires allaient continuer à prodiguer à leurs « indépendants », son seul véritable appui parlementaire. Il s’en est sans doute tout de suite rendu compte, puisque ce même 2 juillet, il fait démettre le gouvernement contesté par les militaires et leurs députés — il aura duré à peine deux mois —, tout en reconduisant dans ses fonctions de premier ministre Ould El Waghf. Comptant sans doute sur les vacances parlementaires de trois mois, qui devaient s’ouvrir le 11 juillet, pour gagner un peu de temps, le président ne fait annoncer la formation du second gouvernement de Ould El Waghf que le 15 juillet. Un cabinet passablement incolore où l’on ne retrouve plus ni les grands caciques du taya’isme, ni les représentants des anciens partis d’opposition que Ould Cheikh Abdallah et son premier ministre avaient débauchés, UFP et TAWASUL. Cette volte-face, cette manifestation publique de la faiblesse de la marge de manœuvre dont il disposait face au général Ould Abdel Aziz et à l’agitation qu’il avait orchestrée, ne procura guère de répit à Sidi Ould Cheikh Abdallah. Les députés qui lui sont hostiles, et dont le nombre n’avait cessé de croître au fur et à mesure que se durcissait le bras de fer entre lui et Ould Abdel Aziz, réclamaient à présent l’ouverture d’une cession parlementaire extraordinaire, notamment pour mettre sur pied des commissions dont le président n’avait rien de très positif à attendre (il s’agissait d’éplucher ses comptes, ceux de son épouse, etc.). Sidi Ould Cheikh Abdallah n’avait évidemment, de son côté, aucun avantage particulier à concéder l’ouverture de cette cession dont la convocation était de sa seule prérogative constitutionnelle. La situation apparaissait bloquée. Et il y avait, cela va de soi, belle lurette que le gouvernement n’avait pratiquement plus eu la moindre activité significative. Le dénouement allait arriver au matin du 6 août 2008 lorsque fut annoncé, de bon matin, le limogeage par le président des principaux chefs des institutions militaires, et en particulier celui du général Mohamed Ould Abdel Aziz, commandant du Bataillon de Sécurité Présidentiel (BASEP). Cette décision donna le signal du renversement du président élu en mars 2007 par le commandant du BASEP. Telles sont, en résumé, les principales péripéties qui ont conduit au dernier coup d’Etat que la Mauritanie a connu le 6 août 2008.

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Nous nous serions contentés ici d’une chronique assez sèche de ces évènements, en ne faisant que des allusions cursives aux fondamentaux du champ politique mauritanien — ethnie, tribu, islam — plus haut évoqués, dont il eut sans doute fallu développer bien davantage les connexions avec les affiliations partisanes, les retournements d’alliance, les promotions et les disgrâces qui ont accompagné les péripéties rapportées. On voit néanmoins ces fondamentaux se profiler derrière les développements les plus récents de l’actualité politique mauritanienne que nous venons de résumer. Que le pouvoir soit civil ou qu’il soit militaire. L’histoire souvent bégaie, et parfois se répète. Pas toujours pour la plus grande gloire des « revenants »28. Il semble que le prétorianisme, après la brève parenthèse du président civil (mal ?) élu, soit de retour, si l’on en juge par le début de campagne d’auto-promotion populaire engagée par le général actuellement au pouvoir pour se faire prochainement « élire » comme président de la République. Comme l’exergue placée en tête de ce texte le suggérait, il réaliserait peut-être autant, ce faisant, une ambition personnelle, que les desseins despotiques obscurs des multitudes courtisanes qui commencent à l’acclamer, et qui, réellement, demain, feront son pouvoir. Y aurait-il du reste place, dans l’espace culturel et idéologique où il déploie son autorité, pour autre chose en matière de pouvoir, que pour l’obscure dialectique du sultan et des mameluks, du berger (râ’i) et du troupeau (ra’iyya), chère aux « miroirs des princes » de la tradition arabo-musulmane ? Références Appadurai A., 2001, Après le colonialisme, Paris, Payot Bayart J. – F., 1996, L’illusion identitaire, Paris, Fayard. Bonte P., 2001, La Montagne de fer, Paris, Karthala Bouche D., Les villages de liberté en Afrique Noire Française, Paris-La Haye, Mouton, 1968 Bullard A., 2005, « From colonization to Globalization. The vicissitudes of slavery in Mauritania », Cahiers d’Etudes Africaines, XLV (3-4), pp. 751-796 Chassey Fr. de, 1972, Contribution à une sociologie du sous-développement. L’exemple de la Mauritanie, Paris, Thèse, Université Paris V. Ciavollela R., Le pouvoir aux marges. Les Fulaabé et l’Etat mauritanien, Thèse, Paris et Milan, EHESS et Université de Milan, 2008 Farias P. F. de Moraes, 1967, « The Almoravids. … », Bull. IFAN, n° 29, 3-4, pp.794-878 Ibn Khaldûn A., al-Muqaddima, Beyrouth, Dar al-Fikr, 1981 Ould Bah M. F., L’argent de Dieu. Contribution à une anthropologie économiques des systèmes financiers musulmans, Metz, Thèse, Université de Metz, 2007 Ould el-Bara, « Mutations et formes de religiosité : sources et débats », in Ould Ahmed Salim Z., (dir.), Les trajectoires d’un Etat-frontière, Dakar, Codesria, 2004, pp.207-239 Ould Cheikh A. W., 1982, Contribution de l’éducation de base à l’autosuffisance alimentaire en Mauritanie, Unesco, Dakar, ronéoté. First R , The Barrel of a Gun. Political Power in Africa and the Coup d’Etat, London, Allen Lane The Penguin Press, 1970 Ould Cheikh A. W., 1994, « Des voix dans le désert. Sur les élections de “l'ère pluraliste”", Politique Africaine, n° 55, Octobre, pp. 31-39 Taine-Cheikh C., 1989, « La Mauritanie en noir et blanc. Petite promenade linguistique en hassâniyya », Rev. du Monde Musulman et de la Méditerranée, n° 54, pp. 90-105

28 Marx, comparant naguère Napoléon III, empereur d’une bourgeoisie de spéculateurs et de parvenus au panache du jeune général Bonaparte, disait qu’elle se produit la première fois comme tragédie, la seconde fois comme comédie.

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