Mar 19, 2016
Pourquoi ce sujet ?
Inspiré de mon cours « Pathologie des structures » Maîtrise Complémentaire en Restauration Conservation du Patrimoine Culturel Immobilier.
Il est plus « dynamique » de remonter des pathologies aux causes que d’étudier les causes de pathologies possibles.
Entrons ensemble, par quelques fissures,dans le monde des structures.Cela nous permettra de mettre en évidence quelques points importants.
Comme nous le verrons, comprendre les fissures c’est comprendre les structures
Quelques considérations relatives aux fissuresLe côté psyLa fissure est perçue très différemment en fonction de la relation à l’ouvrage :
c’est différent si on est propriétaire, gestionnaire, concepteur,... Est-ce que c’est grave docteur ? Cela fait « désordre » !
Le côté objectifLa fissure est un symptôme, une manifestation visible du fonctionnement interneElle peut être le signe avant coureur de désordres plus graves
Il faut comprendre l’origine des fissures pour :• Écarter le risque éventuel ou simplement se rassurer • Orienter la réparation éventuelle• Résoudre un litige
Faut-il toujours réparer les fissures ?Une fissure est généralement une « libération ».Les fissures sont « vivantes », les réparer c’est prendre le risque qu’elles réapparaissent au même endroit ou ailleursAttention aux effets secondaires : étanchéité, dégradation progressive,..
En conclusionTrès souvent il faut se limiter à « les assainir » et à « les tenir à l’œil »
Encore un mot avant de démarrerOn peut répartir les fissures en plusieurs catégories
notamment en fonction de leur localisation et de leur origine.
1. Dans les parachèvements dues aux parachèvementsVariations dimensionnelles d’origine thermique et/ou
hygrométrique
2. Dans les parachèvements dues à la structureDéformation élastique, déformation différée, retrait
3. Dans la structures liées à la structure
Celles dont nous parlerons aujourd'hui sont de la troisième catégorie
Commençons par un petit dialogue imaginaire avec un étudiant de Maîtrise complémentaire ....
Pourquoi une structure se fissure et ne s’écroule pas ?
Parce qu’elle est hyperstatique
Gloups !
Petit cours sur l’hyperstatique
Donc une poutre en pierre sur deux appuis, fissurée cela n’existe pas tandis qu’une poutre en pierre sur 3 appuis fissurée c’est possible !
Exact !
Si l’étudiant est plutôt futé !
Mais une poutre en béton armé isostatique fissurée cela existe !
Oui, mais elle est isostatique externe mais hyperstatique interne
Re-gloups !
Je m’explique ....
Hypostatiqueinterne
Isostatique interne Hyperstatique interne
Prenons une poutre en treillis hyperstatique interne avec des diagonales en verre et des diagonales en câble et mettons la en charge
Il y a fissuration mais il n’y a pas ruine.Il y avait deux « chemins » possibles pour les efforts. L’un raide et l’autre souple.Le chemin le plus raide était le moins résistant
Le problème:
Les vitres des châssis en façades « explosent ».
La situation : local de classe au rez de chaussée d’une nouvelle école
Exemple
Le châssis et le vitrage sont mis en charge par appui « parasite » de la poutre rive, d’où flambement et ruine ! Cause : raideur insuffisante des poutres de rive, déformation par fluage
Remède : permettre le déplacement vertical de la poutre de rive sans contact avec le châssis.
Attention aux déformation différées et aux modifications des cheminements des efforts qu’elles induisent
Poutre isostatique 1 seul « chemin » possible
Poutre hyperstatique avec appui central déformable
2 « chemins » possibles
Si le « chemin » le plus raide n’est pas suffisamment résistant, il va se fissurer (s’assouplir) pour pouvoir suivre la déformation imposée par le « chemin » utilisé. Ce chemin est plus résistant mais plus déformable.
La répartition entre les « chemins » se fait en fonction de leurs raideurs
Appui central « infiniment » raide
Appui central « infiniment mou »
Un autre exemple simple ....
En conclusion
La fissuration est liée à un changement de « cheminement » des efforts avec des incompatibilités de déformations entre les différents « chemins »
Elle apparaît quand les « chemins » les plus raides sont les moins résistants
Un fonctionnement hyperstatique ne conduit pas nécessairement à fissuration. Dans ce cas les différents « chemins » ont une résistance suffisante pour reprendre les efforts qui les sollicitent, ces efforts étant répartis en fonction des raideurs des « chemins ».
1
2
3
1. Si contrainte de rupture pas dépassée, « fonctionnement » en poutre bi encastrée sans fissuration
2. Si contrainte de rupture dépassée, « fonctionnement » en arc : blocage indispensable
Mais si blocage insuffisant, on ira vers un mécanisme ..
Il y a eu passage du « chemin poutre » au « chemin arc »
Exemple : Portique en matériaux ne résistant pas à la traction : maçonnerie, béton non armé,
verre,...
L’exemple des « arcs de décharge »
2 « chemins »l’arc et le linteau
Sans arc de décharge – linteau souple
Formation d’un arc de décharge qui se déformera beaucoup (compression pas perpendiculaire au joints)
Réponse 1 : Linteau très raide, pas économique
Réponse 2 : Arc de décharge = arc raide Faible déformation de l’arc Faible charge sur le linteau
ColonneAppui isostatique
interne
Voile (mur) en maçonnerieAppui hyperstatique interne
Plusieurs « chemins » possiblesIl est possible de percer une baie
Les appuis
Diffusion des contraintes dans le voileaprès percement de la baie
Mais en cas de démolition de l’allège .... ?
Augmentation de la charge au sol ... ... tassement ... et ...
Attention aux démolitions apparemment anodines qui pourraient perturber les équilibres internes
• Stade 1: béton non fissuré
• Stade 2 :
• Stade 3:
Acc
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Le béton armé : un exemple type d’hyperstaticité interne
Cette poutre en BA est fissurée, est-ce grave docteur ?
La reprise de l’effort tranchant
Une poutre en BA normalement fissurée est un treillis dans lequel les barres tirées sont les armatures et les barres comprimées les bielles de béton.
On a le choix du treillis, il est lié au positionnement des armatures. Plus le treillis est proche du fonctionnement élastique plus la fissuration sera réduite.
Parking sociologie
C’est la méthode des bielles.Elle permet de comprendre le cheminement des efforts et de positionner les armatures dans les cas complexes
Mais elle permet aussi de comprendre ce qu’on fait dans des cas courants .......
Exemple - Escalier à paillasse « plissée »
Fibre inférieure tendue
Il est indispensable de connaître le cheminement des efforts. Il faut les surveiller tout le temps ! On ne peut les perdre de vue que lorsqu’ils sont arrivés à destination, aux fondations.
Angles de portique : même problème - même solution
La méthode des bielles dans les ouvrages en maçonnerie
poutre
mur porteur
Ces fissures sont-elles dangereuses ?
La méthode des bielles permet d’évaluer la capacité résiduelle d’une structure en maçonnerie.
Fissures
Une autre utilisation de la méthode des biellesPasserelle au bureau Greisch
À ELU le tablier seul
À ELU et ELS le tablier + les plaques de verre du garde corpsDéveloppement de bielles dans les plaques de verreRenforcement passif
Analogie avec la poutre sous-tendueLa mise en sous-tension soulage la poutre, compense le poids propre.Élément actif
Un autre exempleLe signal d’Hensie
Sculpteur Moeschal
Le problème : fissuration des voiles verticaux, alors qu’ils sont en compression ???
Je voudrais un indice ....
Les caractéristiques géométriques, des matériaux et des charges étant connus, est-il possible de déterminer l’effort dans l’étançons central ?
C’est hyperstatique, je maîtrise mais ... ça sent le piège !
Retrouvons notre étudiant ...
Les éléments géométriques et les charges étant connues, pouvez-vous déterminer l’effort dans l’étançon ?
Oui !
Quels éléments complémentaires vous faudrait-il ? Vous devez connaître l’histoire !
L’histoire de la mise en charge ....
une histoire une autre histoire
Influence du mode de construction, du phasage
Remède : armatures
Le problème est au niveau de la durabilité pas de la stabilité
Exemple : les parois moulées des tunnels du métro bruxellois
Pour déterminer les efforts au sein d’une structure,..... ...... il faut en connaître l’histoireSinon on risque de gaspiller, ......
2
2
1
1
La situation : immeuble à appartements bien conçu réalisé il a y environ 15 ans
Situation projetée à l’époque
La dalle est suffisamment raide, épaisseur 25 cm, pour ne pas perturber la cloison
Exemple
Modification souhaitée par l’acquéreur du rez lors de la construction
Situation réalisée : on ajoute une cloison au rez
15 ans après la construction de l’immeuble, on démoli la cloison du rez après s’être assurée qu’elle l’était pas portante
Problème : Fissures significatives entre cloisons et plafond de l’appartement à l’étage
Quel est l’origine du problème et la cause du litige?
Causes : 1. Il est probable que la cloison inférieure a été réalisée avant la cloison supérieure, dans ce cas elle a servi d’appui et empêché la déformation élastique de la dalle sous le poids de cette cloison. Donc flèche élastique en cas de démolition de la cloison inférieure
2. Le fluage de la dalle en béton conduit à son appui progressif sur la cloison « non portante »
La démolition de la cloison inférieure à supprimer cet appui. Cette cloison n’était pas porteuse mais néanmoins chargée ......Ces fissures vont évoluer dans le temps, fluage sous la nouvelle charge. Ne pas réparer trop vite.Éviter l’effet « cacher donc rapidement cette fissure que je ne saurais voir ! »
Remèdes:• Il aurait fallu laisser un joint au niveau supérieur de la cloison du rez• Ne pas s’en faire et réparer en ayant un peu attendu ...
Attaquons du plus costaud !
Église Notre-Dame du Sablon - XVème siècle
Eglise du Sablon 2004
Eglise du Sablon 1891 (IRPA)
On constate principalement deux types de désordres
Nef centrale - SablonArcs-boutants - Sablon 2004
Triforium
Arc double
Désordres au triforium
Constat : « torsion » du triforiumCause possible : écartement des pieds de l’arc
Effort dans le tirant : 7,42T << 14T(réalité)
Modèle élastique non fissurant – sol rigide
Fissuration du triforium
Approche par calcul Élément de validation : effort dans les tirants
Modèle avec sections réduites dans les zones de traction (fissuration) Sol rigide
Modèle coupe transversale – arc seul (rotule, rouleau)=fissuration maximale Effort dans le tirant : 11,1T
Sables bruxelliens
Sables bruxelliens
Conclusion : le calcul est un chose mais n’oublions pas • le sol• la réalité technologique
Donc ...L’effort dans le tirant est dû à :- poussée d’arc- basculement du bas-côté nord
Barre métallique, corrosion, gonflement, déplacement, fissures
On croyais avoir tout compris mais en cours chantier ....
Attention les mouvements ne sont peut-être pas totalement terminés. Réparation « libre »
Désordres à l’arc double et au mur du fond du triforium Y a-t-il un risque de ruine ?Que s’est-il passé ?
Simulation MOSART
EGLISE DU SABLON BRUXELLESEGLISE DU SABLON BRUXELLES
Deux « chemins »:• L’arc• La poutre en treillis formée par le triforium
Analyse de la répartition des charges entre « poutre triforium » et arcSoutien provisoire de la clé de l’arc pendant le démontage du triforium
Constat : la quasi-totalité des charges passe par l’arc.Si cela n’avait pas été le cas, comment s’assurer de sa stabilité sous la charge totale?
Le retour de la méthode des bielles !
Conclusion :• Ne pas prendre de risques inutiles• Plutôt prendre les moyens et le temps
de comprendre Cause: déplacement en A
AA
Église à Vertrijk
Ce plan contient déjà un indice ....
Fissuration en façade latérale
Fissurations multiples en façade principale
Quel est l’origine de ces fissures ??
l’indice
Comparons trois cheminements possibles ....
Remède : On aurait pu ajouter un tirant transversal pour améliorer la reprise des poussées au vide ? Ces fissures ne sont pas dangereuses mais « à surveiller »
Façade avantCause : percement « récent » de la baie en façade
Charge au sol avant percement
de la baie
Charge au sol après percement
de la baie
Façade latérale
Remède: on aurait pu renforcer les fondations au moment du percement de la baie. Pas évident.Pas dangereux mais à surveillerLes archéologues et les historiens
peuvent beaucoup nous apporter
Fissures à la jonction tour - nef
Ma première belle fissure !Toiture en paraboloïde hyperbolique en béton ep 8 cm
Les PH ont été bétonnés en juin Fissure importante apparaît pendant l’été
Dilatation différentielle des rives et du PH
Ne pas prendre de risques inutilesÊtre audacieux mais pas téméraireNe pas faire « ce qui nous fait peur », « ce qu’on ne sent pas » !
Merci de votre attention pour ce voyage de fissures en fissures au cœur des structures
Si vous en rencontrez, informez-moi, je suis toujours intéressé parl’exploration de nouveaux territoires !
Merci à Philippe de Kemmeter pour ses croquis extraits de « Comment tout ça tient ? »