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Pour un traitement unitaire de l’assignation du datif en français Fayssal Tayalati et Marleen Van Peteghem CNRS, UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » — Lille3 Introduction De nombreuses études ont été consacrées aux compléments prépositionnels fran- çais du type à SN pronominalisables par les clitiques lui/leur (1), que nous appelle- rons à la suite de Kayne (1975) et de beaucoup d’autres auteurs des « compléments datifs », par opposition aux compléments en à non cliticisables (2) (entre autres C. Leclère 1976, 1978 ; B. Barnes 1980 ; M. Herslund 1988 ; J. Rooryck 1988a, 1988b, 1988c ; J.-M. Authier et L. Reed 1991, etc.). Les travaux de recherche dans ce do- maine se concentrent toutefois surtout sur les verbes, alors que de nombreux ad- jectifs présentent la même opposition entre compléments en à datifs, également cliticisables par lui/leur (3), et compléments en à non datifs, qui requièrent une pronominalisation par un pronom fort avec maintien de la préposition (4) : (1) a. Paul donne le livre à Marie. / Paul lui donne le livre. b. Paul plaît à Marie. / Paul lui plaît. (2) Paul pense à Marie. / * Paul lui pense. / Paul pense à elle. (3) a. Paul est reconnaissant à Marie. / Paul lui est reconnaissant. b. Paul est sympathique à Marie. / Paul lui est sympathique. (4) Paul est sensible à Marie. / * Paul lui est sensible. / Paul est sensible à elle. Le but de cet article est de proposer une hypothèse unitaire pour l’assignation du datif par les verbes et par les adjectifs en français. Cette hypothèse se base sur celle proposée pour les verbes dans M. Van Peteghem (2006), selon laquelle le cas datif est assigné au second complément interne du prédicat verbal, à condition que celui-ci soit pourvu d’un rôle thématique hiérarchiquement plus élevé que le premier argument interne. Dans la suite de cet article, nous appellerons cette hypothèse celle du « datif comme cas structural », terme utilisé par M. Van Pete- ghem (2006), et nous montrerons ici que cette hypothèse rend compte d’un grand Lingvisticæ Investigationes 32 :1 (2009), 99–123. doi 10.1075/li.32.1.05tay issn 0378–4169 / e-issn 1569–9927 © John Benjamins Publishing Company
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Pour un traitement unitaire de l’assignation du datif en français

Mar 27, 2023

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Pour un traitement unitaire de l’assignation du datif en français

Fayssal Tayalati et Marleen Van PeteghemCNRS, UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » — Lille3

Introduction

De nombreuses études ont été consacrées aux compléments prépositionnels fran-çais du type à SN pronominalisables par les clitiques lui/leur (1), que nous appelle-rons à la suite de Kayne (1975) et de beaucoup d’autres auteurs des « compléments datifs », par opposition aux compléments en à non cliticisables (2) (entre autres C. Leclère 1976, 1978 ; B. Barnes 1980 ; M. Herslund 1988 ; J. Rooryck 1988a, 1988b, 1988c ; J.-M. Authier et L. Reed 1991, etc.). Les travaux de recherche dans ce do-maine se concentrent toutefois surtout sur les verbes, alors que de nombreux ad-jectifs présentent la même opposition entre compléments en à datifs, également cliticisables par lui/leur (3), et compléments en à non datifs, qui requièrent une pronominalisation par un pronom fort avec maintien de la préposition (4) :

(1) a. Paul donne le livre à Marie. / Paul lui donne le livre. b. Paul plaît à Marie. / Paul lui plaît.

(2) Paul pense à Marie. / * Paul lui pense. / Paul pense à elle.

(3) a. Paul est reconnaissant à Marie. / Paul lui est reconnaissant. b. Paul est sympathique à Marie. / Paul lui est sympathique.

(4) Paul est sensible à Marie. / * Paul lui est sensible. / Paul est sensible à elle.

Le but de cet article est de proposer une hypothèse unitaire pour l’assignation du datif par les verbes et par les adjectifs en français. Cette hypothèse se base sur celle proposée pour les verbes dans M. Van Peteghem (2006), selon laquelle le cas datif est assigné au second complément interne du prédicat verbal, à condition que celui-ci soit pourvu d’un rôle thématique hiérarchiquement plus élevé que le premier argument interne. Dans la suite de cet article, nous appellerons cette hypothèse celle du « datif comme cas structural », terme utilisé par M. Van Pete-ghem (2006), et nous montrerons ici que cette hypothèse rend compte d’un grand

Lingvisticæ Investigationes 32 :1 (2009), 99–123. doi 10.1075/li.32.1.05tayissn 0378–4169 / e-issn 1569–9927 © John Benjamins Publishing Company

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nombre de faits ayant trait non seulement aux structures datives verbales, mais également aux structures datives adjectivales en français.

La première partie de cet article sera consacrée aux structures datives ver-bales et rappellera l’hypothèse de M. Van Peteghem (2006). Nous nous concen-trerons surtout sur les structures verbales susceptibles de poser des problèmes à cette hypothèse, notamment celles des verbes bivalents. Dans la deuxième partie l’hypothèse du datif comme cas structural sera vérifiée pour les adjectifs datifs. Il ressortira de cette analyse que les adjectifs assignent le datif aux compléments en à portant un rôle thématique hiérarchiquement plus élevé que l’argument sujet. Le datif assigné par les verbes et les adjectifs recevra au terme de ce travail une ex-plication unitaire, qui confirme l’hypothèse de M. Van Peteghem, selon laquelle il s’agit d’un cas structural assigné à un argument dans une configuration syntaxique et thématique définie, dans la mesure où il est assigné au second argument interne pourvu d’un rôle sémantique plus élevé que le premier.

1. Le datif assigné par le verbe

Dans cette section nous testerons l’hypothèse du datif comme cas structural sur les SV comportant à la fois un OD et un OI ou clitique datif, c’est-à-dire deux arguments internes (1.1.), et ensuite sur ceux qui ne comportent pas d’autres compléments que le complément datif, et qui vont à première vue à l’encontre de l’hypothèse défen-due ici dans la mesure où ils semblent régir un seul argument interne (1.2.).

1.1 Le datif dans les SV comportant un OD

1.1.1 Il est bien connu que les compléments datifs apparaissent surtout dans les structures verbales comportant trois arguments. C’est le cas pour un grand nom-bre de verbes exprimant un échange d’un objet (verbes de donation) ou d’un mes-sage (verbes de communication), tels que donner, envoyer, dire, demander, etc. :

(5) a. Paul envoie le livre à Marie. / Paul lui envoie le livre. b. Paul a dit une bêtise à Marie. / Paul lui a dit une bêtise.

Ces verbes ont en effet un argument externe, qui est un véritable agent, et deux arguments internes, dont l’un, l’OD, porte le rôle de thème et l’autre, l’OI, porte le rôle de destinataire de l’échange, rôle qui implique une participation plus active au processus que celui de thème. Par contre, lorsque l’OI en à n’a pas un rôle supé-rieur à celui de l’OD, comme c’est le cas dans (6a), où l’OD est un thème et l’OI un lieu, ou dans (6b), où l’OD est un expérienceur et l’OI une cible, il ne permet pas la cliticisation de l’OI en à et il ne reçoit alors pas le marquage datif :

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(6) a. Paul envoie le livre à Paris. #Paul lui envoie le livre. Paul y envoie le livre. b. Paul habitue les enfants à Marie. *Paul lui habitue les enfants. Paul habitue les enfants à elle.

Le marquage du complément en à dépend donc de la position qu’occupent les rôles sémantiques de l’OD et de l’OI dans la hiérarchie thématique, le datif étant assigné au OI uniquement lorsque son rôle sémantique occupe une position plus élevée que celle de l’OD.

Cette hypothèse est confirmée aussi par le fait suivant. Certains verbes à trois arguments ont en plus une structure argumentale dans laquelle l’argument OD thème est absent. Dans ce cas, l’argument portant le rôle de destinataire de la structure à trois arguments, devient le premier argument interne et reçoit le cas accusatif :

(7) a. Pierre a servi une bière à Paul. Pierre lui a servi une bière. b. Pierre a servi Paul. Pierre l’a servi.

(8) a. Pierre a payé une grande somme à Paul. Pierre lui a payé une grande somme. b. Pierre a payé Paul. Pierre l’a payé.

(9) a. Pierre a volé un livre à Paul. Pierre lui a volé un livre. b. Pierre a volé Paul. Pierre l’a volé.

1.1.2 L’hypothèse du datif comme cas structural rend compte également de l’assi-gnation du datif à des compléments qui ne correspondent pas à un argument du verbe. Ainsi dans la structure factitive le datif peut être assigné au sujet de l’infini-tif enchâssé dans une structure factitive avec le verbe faire :1

(10) a. J’ai fait lire la lettre à Pierre. Je lui ai fait lire la lettre. b. Pierre a fait dire la vérité à Marie. Pierre lui a fait dire la vérité.

Rappelons qu’en français standard, l’enchâssement d’une proposition par faire fac-titif donne lieu à une union entre faire et l’infinitif enchâssé, si bien que les argu-ments de l’infinitif deviennent les arguments du complexe verbal [faire + infinitif]. Ceci entraîne un certain réagencement de ces arguments, dont le sort diffère selon qu’il s’agit d’arguments externes ou internes. Les arguments internes gardent la même fonction, c’est-à-dire qu’un OD reste OD et qu’un PP reste un PP, alors que l’argument externe peut recevoir trois encodages différents selon le cas :

1. D’autres verbes qui partagent certaines caractéristiques de faire factitif sont laisser, entendre et voir, mais ces verbes connaissent également une structure sans union. Pour plus de détails sur ces verbes, voir entre autres R. Kayne (1977).

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– lorsque la proposition enchâssée ne contient pas d’objet direct, donc pas d’ac-cusatif, l’argument externe est encodé comme objet direct et reçoit le cas ac-cusatif :

(11) Pierre travaille. Je fais travailler Pierre. Je le fais travailler.

– lorsqu’elle contient un objet direct, mais pas de OI datif, l’argument externe devient un complément datif ou éventuellement un adjoint en par :

(12) Pierre lit la lettre. Je fais lire la lettre à Pierre / par Pierre. Je lui fais lire la lettre.

– lorsque tant la position OD que la position du complément datif sont occu-pées, l’argument externe devient nécessairement un complément adjoint en par :

(13) Pierre écrit une lettre à ses parents. Je fais écrire une lettre à ses parents par Pierre.

Ces faits montrent donc que l’assignation du cas à l’argument externe dépend en premier lieu de facteurs configurationnels, ce qui nous fournit un autre argument en faveur de l’assignation structurale du cas datif.

Un contre-argument est toutefois fourni par L. Reed (1992) et par A. Abeillé, D. Godard, P. Miller (1997), qui montrent que les règles mentionnées ci-dessus ne sont pas toujours appliquées. Certaines variétés du français permettent en effet des structures contenant deux accusatifs (14a) ou deux datifs (14b) et le datif peut apparaître sans qu’il y ait un accusatif (14c) :

(14) a. Le hasard le fit rencontrer deux jeunes sourdes-muettes. (Grand Larousse encyclopédique, dans Huffman, 1997 : 170)

b. Je lui ai fait écrire une lettre à ses parents. c. La montre en or de sa mère … lui fait penser au calendrier. (Simenon,

dans Huffman, 1997 : 170)

Comme le montrent L. Reed (1992) et A. Huffman (1997), l’accusatif tend à appa-raître lorsque le référent est vraiment forcé et contrôle peu le processus, alors que le datif apparaîtrait lorsque le référent a un certain contrôle sur le processus. En d’autres mots, le choix du cas se fait alors en fonction de facteurs sémantiques. On constate donc que pour les structures factitives il y a concurrence entre une assi-gnation purement structurale du cas et une assignation sémantique, l’assignation structurale étant la plus courante dans la langue standard. Le français contempo-rain « hésite » ici en quelque sorte entre les deux types d’assignation.

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Les contraintes syntaxiques sur les structures factitives nous fournissent tou-tefois un autre argument en faveur de notre hypothèse. Comme il est bien connu, dans cette structure des contraintes particulières pèsent sur le complément datif lorsqu’il correspond à un OI de l’infinitif enchâssé. Dans ce cas, l’infinitif ne peut être accompagné par son sujet qu’à condition que le verbe soit ergatif, c’est-à-dire que son sujet soit un argument interne (15a). Avec des verbes inergatifs, dont le sujet est un véritable argument externe (15b), le clitique lui ne peut pas correspon-dre à un OI de l’infinitif (A. Hulk 1984, L. Tasmowski-De Ryck 1984), alors que les pronoms en et y, qui correspondent également à des PP, ne subissent pas cette contrainte (cf. (16)) :

(15) a. Je lui ai fait parvenir une lettre. b. * Je lui ai fait parler Jean. (Hulk 1984 : 267)

(16) a. Jean en parle. a′. J’en fais parler Jean. b. Ces magasins me font penser à mon pays. b′. Ces magasins m’y font penser.

Or, notre hypothèse rend très bien compte de cette contrainte : l’assignation du datif à l’argument interne est impossible dans (15b), parce que le SV comporte un argument externe, ayant nécessairement un rôle thématique plus élevé que celui du complément datif.

1.1.3 Une autre structure qui s’explique bien par l’hypothèse du datif comme cas structural est celle à datif épistémique, bien décrite par N. Ruwet (1982) et par H. Olsson (1984), qui l’appelle « datif de la localisation ». Ce type de complément datif se retrouve essentiellement avec des verbes non-causatifs qui expriment une opinion ou une hypothèse portant sur le complément datif, qui n’appartient pas à leur structure argumentale.2 Avec la majorité de ces verbes cette structure peut être paraphrasée par une proposition complétive :

(17) a. Je lui croyais plus de talent. a′. Je croyais qu’il avait plus de talent. b. Je lui trouve mauvaise mine. (Olsson 1984) b′. Je trouve qu’il a mauvaise mine.

La construction à datif épistémique (17a–b) semble donc être une sorte de ré-duction de la structure complétive en une phrase réduite (cf. « small clause »)

2. Cf. N. Ruwet (1982), H. Olsson (1984), M. Kliffer (1984), M. Herslund (1988).

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averbale,3 qui a pour conséquence que les deux arguments de la complétive sont encodés comme des arguments du verbe épistémique et reçoivent un cas de ce verbe. Or, on constate que le datif est assigné à l’argument correspondant au sujet de la complétive et l’accusatif à l’argument correspondant à l’OD de la complétive, qui, comme l’a clairement montré N. Ruwet, véhicule toujours une valeur prédi-cative sur l’OI. C’est donc encore l’argument avec le rôle sémantique le plus élevé qui reçoit le cas datif.

Le caractère configurationnel de l’assignation du datif dans ce type d’exemples ressort plus clairement encore de l’analogie de cette structure avec celle à attribut de l’objet. Cette dernière se distingue de la structure à datif épistémique par le fait que le prédicat de la phrase réduite est adjectival et ne doit donc pas recevoir de cas. L’accusatif n’étant pas assigné au prédicat de la phrase réduite, il peut l’être au sujet, et le datif est exclu dans ce cas (18b) :

(18) a. Je lui trouve du charme. vs *Je le trouve du charme. b. Je le trouve charmant. vs *Je lui trouve charmant.

1.1.4 L’assignation structurale du datif permet également de rendre compte des contraintes qui pèsent sur un autre type de complément datif, qui n’est ni un argu-ment du verbe, ni d’un autre élément de la phrase et porte généralement le rôle de bénéficiaire, comme dans les exemples suivants :

(19) a. Je lui ai réparé sa voiture. b. Je lui ai fabriqué une table. c. Je lui ai cassé son vase.

Comme l’a montré C. Leclère (1976), ce troisième argument rajouté, qui « étend » la structure argumentale du verbe,4 ne peut apparaître que lorsque le SV comporte un OD, contrainte qui montre que la possibilité d’un argument datif rajouté dé-pend crucialement de la présence d’un OD, donc d’un premier argument interne, ce qui va entièrement dans le sens de notre hypothèse :

(20) a. * Je lui ai réparé. b. * Je lui ai fabriqué. c. * Je lui ai cassé.

1.1.5 Finalement on peut trouver des compléments datifs dans un autre type de structures à trois arguments, exprimant la possession inaliénable :

3. Comme l’a montré N. Ruwet (1982), il n’y a pas de lien nécessaire entre les deux structures : dans beaucoup de cas elles présentent des différences de sens et, en outre, l’une peut être possi-ble sans que l’autre le soit.

4. C. Leclère (1976) appelle d’ailleurs ce type de complément « datif étendu ».

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(21) a. Il lui ferma les yeux. b. Il lui prenait la main.

Le complément datif n’est une fois de plus pas un argument du verbe. Il dénote le possesseur de la partie du corps dénoté par le nom contenu dans l’OD et est donc un argument du nom plutôt que du verbe. Généralement ce type de complément datif apparaît dans des structures comportant un OD, dénotant soit la partie du corps (22a), soit autre chose, la partie du corps étant encodée dans ce dernier cas comme PP (22b). Le complément datif renvoie dans tous les cas à la personne af-fectée par le processus touchant une partie de son corps. Si par contre ce processus ne l’affecte pas du tout, le datif ne peut pas apparaître, ce qui montre qu’il ne peut être assigné que lorsque le possesseur a un rôle thématique supérieur à celui de l’OD (23) :

(22) a. Il lui a caressé les cheveux. b. Il lui a glissé une cerise dans la bouche.

(23) a. * Il lui photographie les oreilles. b. * Il lui regarde les jambes.

On constate en outre que dans les exemples cités le complément datif ne peut pas apparaître en l’absence de l’OD :

(24) a. * Il lui a caressé. b. * Il lui a glissé dans la bouche.

Notons en plus que, dans certains cas, la structure à datif possessif peut être en concurrence avec une autre structure relevant de la syntaxe de la possession ina-liénable, qui ne comporte pas d’OD et où la partie du corps est encodée comme un PP.5 C’est le cas notamment avec certains verbes qui possèdent deux réalisations lexico-syntaxiques différentes en fonction de la hiérarchie thématique établie entre les compléments. Dans l’une (25), le nom qui dénote la partie du corps est encodé comme un PP et porte le rôle de lieu. Dans ce cas, le possesseur est encodé comme OD et reçoit le cas accusatif en l’absence d’autre complément à l’accusatif :

(25) a. Paul prend (*à) Marie par le bras. Paul la/*lui prend par le bras. b. Paul embrasse (*à) Marie sur le front. Paul l’/*lui embrasse sur le front.

5. La concurrence entre datif possessif et accusatif est longuement discutée dans B. Lamiroy (2003).

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Dans l’autre (26), le SN dénotant la partie du corps est interprété comme un thème affecté et reçoit le cas accusatif. L’argument qui dénote le possesseur est alors obli-gatoirement marqué par le cas datif, ce qui confirme le caractère structural de l’assignation tant du datif que de l’accusatif avec ces verbes :

(26) a. Il lui prenait le bras. *Il la prenait le bras. b. Il lui embrassa le front. *Il l’embrassa le front.

Néanmoins, dans certains cas, le datif possessif peut apparaître également dans des structures ne comportant pas d’OD (27), faits qui seront expliqués dans la section suivante, consacrée aux structures datives ne comportant pas d’OD :

(27) a. La tête lui tournait. b. Sa pauvre robe usée, déchirée, lui collait à la peau.

1.2 Le datif dans les SV ne comportant pas d’objet direct

Dans tous les cas passés en revue jusqu’à présent, on constate que le complément datif apparaît en cooccurrence avec un OD qui a un rôle thématique moins élevé que le complément datif. Néanmoins le datif peut être assigné également par cer-tains verbes qui ne régissent pas d’OD, ce qui pose à première vue problème à notre hypothèse selon laquelle le datif serait assigné au second argument interne. Dans cette section nous allons examiner ces cas pour voir s’ils vont réellement à l’encontre de notre hypothèse. La seule façon de confirmer notre hypothèse est de montrer que dans tous ces cas le sujet est en fait un argument interne du verbe. C’est que nous allons vérifier dans ce qui suit.

1.2.1 Le premier cas de figure à examiner est celui des verbes à deux arguments assignant le datif à un de leurs deux arguments, l’autre étant nécessairement sujet. C’est le cas des verbes suivants :

(28) a. Advenir, apparaître, arriver, parvenir, revenir, survenir, échapper, manquer ;

b. Correspondre, ressembler, succéder, préexister, survivre ; c. Agréer, aller, appartenir, convenir, plaire, profiter, servir, suffire, déplaire,

nuire, peser, répugner ; d. Falloir, importer, incomber ; e. Parler, causer, mentir, sourire, téléphoner.

En regardant de plus près ces différents groupes de verbes, on constate que pour la majorité (sauf le groupe (28e)) leur sens est peu agentif et que l’argument sujet n’est pas un véritable agent et donc pas un véritable argument externe. Certains de ces verbes, ceux figurant sous (28a), sont des verbes inaccusatifs ou ergatifs (B.

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Levin et M. Rappaport 1995 ; D. Perlmutter 1978), dont le sujet de surface se com-porte comme un objet interne. A part échapper et manquer, ils prennent en effet tous l’auxiliaire être aux temps composés et ils répondent tous à d’autres critères de l’inaccusativité, tels que la possibilité de figurer dans une structure impersonnelle (29), la cliticisation par en associé à une quantification sur leur sujet lorsqu’il est en position postverbale (30), et la possibilité de figurer dans des constructions participiales (31) :

(29) a. Il est arrivé plusieurs étudiants. b. Il est apparu plusieurs signes. c. Il lui agrée / appartient / convient / incombe de décider du sort de ses

administrés.

(30) a. Il est arrivé / revenu trois étudiants. b. Il en est arrivé / revenu trois, d’étudiants.

(31) a. Arrivés / parvenus aux quarts de finales, les équipes ont livré des matchs de folie.

b. Revenu depuis plusieurs jours, il n’a pas encore répondu aux messages.

Ces propriétés syntaxiques apparentent le sujet de ces verbes à un objet profond, qui n’est donc pas un argument externe, mais un premier argument interne du verbe. On peut donc affirmer que le datif est assigné ici au second complément interne au SV, portant un rôle thématique variable mais toujours situé plus haut dans la hiérarchie thématique que celui de thème attribué au sujet.

(28b) contient des verbes qu’on pourrait appeler « symétriques », dont les non-orientés permettent de coordonner les deux arguments à l’intérieur du sujet. Il s’agit une fois de plus de verbes non agentifs, dont le sujet n’est pas un véritable argument externe :

(32) a. Pierre ressemble à Paul. b. Pierre et Paul se ressemblent.

Ensuite, (28c) regroupe un certain nombre de verbes psychologiques, pour lesquels A. Belletti et L. Rizzi (1988) ont montré que leur sujet est en fait un thème, donc pas un argument externe. Sous (28d) finalement on trouve des verbes modaux, qui s’utilisent facilement dans des structures impersonnelles et qui n’ont clairement pas d’argument externe, mais uniquement un argument interne. Aucun de ces verbes ne constitue donc une exception à l’hypothèse défendue ici.

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Les seuls qui posent des problèmes sont ceux figurant sous (28e) : parler, cau-ser, mentir,6 sourire et téléphoner,7 dont le sujet est forcément pleinement agentif et doit donc être analysé comme un argument externe. La structure ne contient pas d’autre argument interne que le SN datif et l’assignation du datif ne peut s’expli-quer que par des raisons sémantiques : il s’agit d’un argument à référent humain, dont le rôle thématique est celui de destinataire ou, en anglais, « recipient », rôle thématique le plus typique du datif. Ici on a donc affaire à une assignation non configurationnelle du datif.

Ces cas pourraient être récupérés pour notre hypothèse si on admettait avec L. Melis (1996) et avec B. Lamiroy (2006) qu’un argument objet serait implicitement présent dans la structure argumentale de ces verbes. Reste à voir toutefois si on peut trouver des arguments permettant de postuler un argument absent. En l’absence de tels arguments, il faudra conclure que dans le cas des verbes de communication les facteurs sémantiques ont la priorité par rapport aux facteurs structuraux.

De l’étude de G. Lüdi (1981), il ressort d’ailleurs que pour certains verbes, tels que aider, le français a hésité et hésite toujours en Suisse Romande entre l’accusatif et le datif, l’accusatif l’ayant remporté.8 Au cours de l’évolution du français il y

6. Pour mentir les langues adoptent des solutions différentes : en roumain le verbe a minţi assi-gne l’accusatif à son complément, ce qui montre que le roumain opte ici pour une assignation structurale du cas, tandis que le néerlandais dispose de deux équivalents : liegen, qui régit la pré-position tegen (‘contre’), et beliegen (contenant le préfixe transitivant be-), qui régit l’accusatif :

i. L-a minţit. ‘Il lui a menti.’ [il] l’a mentiii. Ik heb gelogen tegen hem. ‘Je lui ai menti.’ je ai menti contre luiiii. Ik heb hem belogen. ‘Je lui ai menti.’ je ai le-ACC menti

7. En néerlandais glimlachen (‘sourire’), spreken (‘parler’), praten (‘causer’) et telefoneren (‘té-léphoner ‘) régissent une préposition, structures d’ailleurs également disponibles en français pour parler et causer, alors qu’en néerlandais le datif n’est admis que très exceptionnellement et encore seulement avec spreken ‘parler’ :

i. glimlachen naar iemand : ‘sourire à/vers quelqu’un’ii. spreken met iemand : ‘parler avec quelqu’un’iii. praten met iemand : ‘causer avec quelqu’un’iv. telefoneren naar / met iemand : ‘téléphoner vers / avec quelqu’un’

8. Un des relecteurs, que nous remercions par cette voie pour ces remarques judicieuses et pour ses suggestions, nous signale que la même hésitation se retrouve en québécois. Notons aussi qu’en allemand le verbe helfen assigne le datif à son argument interne, alors qu’en néerlandais le verbe helpen lui assigne l’accusatif, cette langue ne disposant d’ailleurs pas de datif morpho-logique.

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aurait donc eu une hésitation pour certains verbes entre assignation structurale et purement sémantique du cas, l’assignation structurale l’ayant remporté en français moderne dans la plupart des cas, mais pas dans le cas des verbes sous (28e).

1.2.2 Le second cas de figure qui pose des problèmes est celui du datif possessif, qui peut apparaître dans deux types de structures sans OD : des structures intran-sitives (33) et des structures comportant un PP (34) :

(33) a. La tête me tourne. b. La langue lui démange. c. La barbe lui pousse.

(34) a. Son manteau beaucoup trop petit lui arrive à la taille. b. Sa pauvre robe usée, déchirée, lui collait à la peau. c. Je ne souffre pas, mais j’arrive plus à tenir les baguettes du tambour. Elles

me glissent des fois entre les doigts.

Dans des exemples du type de (33), où le verbe est intransitif, la partie du corps figure nécessairement dans le sujet. Or, comme il ressort des travaux de J. Guéron (1983, 1985) et de J.-R. Vergnaud et M.-L. Zubizaretta (1992), l’article défini dans les constructions de la possession inaliénable entretient une relation anaphori-que avec un antécédent obligatoirement présent dans la phrase qui le lie9 (ou le c-commande), et qui est dans les constructions possessives de (33) le possesseur qui dénote le tout, réalisé sous la forme d’un complément datif. Cela veut dire que le possesseur figurant comme complément datif c-commande le SN dénotant la partie du corps dans les énoncés de (33), et que ce sujet ne peut donc pas être un argument externe, puisqu’un argument externe ne peut pas être c-commandé par un autre élément de la phrase. Comme l’a montré J. Guéron, il faut donc postuler que dans les exemples du type de (33), le SN dénotant la partie du corps occupe en structure profonde la position d’argument interne, et que les verbes en question

9. Rappelons que dans le modèle du gouvernement et du liage, la relation « être l’antécédent de » reçoit un statut formel précis sous la forme du concept du « liage ». Ce concept est lui-même dérivé de la notion de c-commande :

c-commandeUn nœud α c-commande un noeud β si aucun de ces nœuds ne domine l’autre et si le premier nœud branchant qui domine α domine également β.

LiageUne catégorie α est liée par une catégorie β si, et seulement si :

(i) α et β sont coindicés,

β c-commande α.

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110 Fayssal Tayalati et Marleen Van Peteghem

n’ont pas d’argument externe. En outre, du point de vue sémantique le complé-ment datif est ici un expérienceur, et le sujet est un thème ou même un lieu, ce qui va tout à fait dans le sens de notre hypothèse.

Pour ce qui est des exemples du type de (34), où le SV ne comporte pas d’OD, mais un autre PP, certains contiennent des verbes intransitifs ergatifs comme arri-ver, entrer, monter, passer, etc. et ne contredisent donc pas l’hypothèse de départ dans la mesure où le sujet de ces verbes est un argument interne portant le rôle de thème, inférieur à celui d’expérienceur du complément datif :

(35) a. Cette promotion lui est passée sous le nez plusieurs fois. b. Son succès lui est monté à la tête. c. Il y a deux mois, un éclat lui est entré dans l’œil.

Néanmoins, le datif possessif s’adjoint également à des verbes intransitifs qui ont un véritable argument externe :

(36) a. Il lui a ri au nez. / * Il lui a ri. b. Il lui a craché au visage. / * Il lui a craché.

Notons ici que le datif ne peut être assigné par ces verbes que lorsqu’ils régissent un PP dénotant une partie du corps, dont le rôle thématique est difficile à identifier étant donné qu’il s’agit d’expressions idiomatiques. Le recours au datif s’explique ici sans doute d’une part par le fait que le PP est ressenti comme un argument interne et d’autre part par l’impossibilité pour ces verbes d’assigner l’accusatif, contrairement à ceux figurant sous (25).

Un cas qui peut être rapproché du précédent est celui du verbe taper. Etant un verbe transitif, ce verbe devrait encoder le possesseur comme un OD lorsque la partie du corps est encodée comme un PP, ce qui est effectivement le cas lorsque taper a son sens premier de ‘frapper’, comme dans les exemples suivants :

(37) a. Il l’a tapé sur la tête avec une planche de bois. b. Un autre policier a ôté ses chaussures en cuir et l’a tapé sur le cou et les

épaules.

Par contre, lorsque ce verbe entre dans une tournure idiomatique, c’est le datif qui apparaît :10

(38) a. Pierre lui a tapé sur l’épaule. (‘il l’a encouragé’) b. Pierre lui a tapé sur les doigts. (‘il l’a réprimandé’)

10. La même chose a été observée pour d’autres langues, notamment le néerlandais : Hij tikte op haar vingers (‘il a tapé sur ses doigts’) vs Hij tikte haar op de vingers (il lui a tapé sur les doigts’). Pour une discussion, voir B. Lamiroy (2003).

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1.2.3 Un autre cas qui est étroitement lié au précédent est celui des structures dati-ves à préposition orpheline, bien décrites par R. Porquier (2001) :

(39) a. Jean lui court après. Jean court après Marie. b. Jean lui est tombé dessus. Jean est tombé sur Marie. c. Jean lui est rentré dedans. *Jean est rentré dans Marie.

Ces structures contiennent des verbes intransitifs, souvent ergatifs mais pas tou-jours (cf. il lui a tiré dessus) employés avec la forme adverbialisée d’une préposi-tion spatiale. Le complément datif est à la fois celui du verbe et de la préposition adverbialisée, qui forment ensemble une locution ayant un sens particulier. Or, on constate qu’ici aussi l’ensemble [V + adverbe] peut assigner le datif au com-plément, même lorsque le sujet est un argument externe, comme c’est le cas dans (39a). Le datif est donc assigné au complément du SV en l’absence d’un argument interne, probablement parce que ces tournures verbales ne peuvent pas assigner l’accusatif et par analogie avec les structures à datif possessif du type de (38).

1.2.4 Enfin, un cas qui échappe complètement à notre hypothèse est celui du datif éthique :

(40) a. Au Mont Saint-Michel la mer te monte à une de ces vitesses ! (Leclère 1976 : 87)

b. Il te lui a donné une de ces claques !

Ce type de datif ne nécessite en effet pas la présence d’un premier argument in-terne, car comme il est bien connu, il peut apparaître avec n’importe quel type de verbe, transitif ou intransitif, et il peut même côtoyer un datif d’un autre type. Ces faits montrent que le datif éthique « n’entre […] pas dans le jeu des relations grammaticales » (L. Melis 2004 : 175), mais est incident plutôt à l’énonciation qu’à la phrase. Il s’agit donc d’un tout autre phénomène que les autres types de datif, qui mériterait une étude à part.

Pour ce qui est de l’assignation du datif par les verbes, on peut donc conclure que dans presque tous les cas le datif est assigné au second argument interne du SV, à condition que celui-ci ait un rôle thématique plus élevé que celui du premier argument interne, peu importe si ce premier argument est encodé comme OD ou comme sujet. Les seules exceptions que nous ayons trouvées sont :

– les verbes de communication à deux arguments (mentir, sourire, etc.), qui as-signent le datif à leur argument destinataire sans qu’ils régissent un argument ayant un rôle inférieur à celui du datif ;

– la structure factitive en français non standard, où le datif peut être assigné au sujet de l’infinitif en l’absence d’un autre argument interne, uniquement en fonction de son rôle sémantique ;

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112 Fayssal Tayalati et Marleen Van Peteghem

– les structures possessives à verbe intransitif avec PP de lieu ou celles avec pré-position adverbialisée, où le PP de lieu peut faire figure de complément in-terne et où le verbe ne peut pas assigner l’accusatif ;

– le datif éthique, qui échappe au jeu des relations grammaticales.

Ces exceptions montrent que l’assignation du datif n’est pas toujours conforme à notre hypothèse, ce qui s’explique sans doute par le fait que la solution configu-rationnelle elle-même prédestine le datif à certains rôles sémantiques, telles que celles de destinataire ou d’expérienceur.

2. Le datif assigné au complément de l’adjectif

Dans la seconde partie de cet article nous allons montrer que l’hypothèse du datif comme cas structural explique également l’assignation du datif par les adjectifs. Les adjectifs à trois arguments exemplifiés dans (41) présentent une configuration syntaxique et thématique qui confirme le caractère structural du marquage datif de leur OI en à : celui-ci est le second argument interne au SV à prédicat adjectival, portant le rôle thématique « destinataire », plus élevé que celui du premier com-plément interprété comme « thème » :

(41) a. Paul est reconnaissant de son aide à Marie. a′. Paul lui est reconnaissant de son aide. b. Nous sommes redevables au parti socialiste de l’existence de ce ministère et

de ses actes. b′. Nous lui sommes redevables de l’existence de ce ministère et de ses actes.

La configuration thématique requise pour le marquage casuel datif des complé-ments est également disponible pour les adjectifs à deux arguments rassemblés dans (42), qui ont tous un sujet portant le rôle de « thème » et dont l’OI en à porte un rôle variable, toujours plus élevé que celui de thème, ce qui explique pourquoi ces adjectifs peuvent lui assigner le cas datif :

(42) a. Sympathique, antipathique, (dés)agréable, hostile, odieux, (dé)plaisant, pénible, cher, etc. (Thème < Expérienceur)11

b. (In)compréhensible, évident, clair, obscur. (Thème < Expérienceur) c. (Im)possible, loisible, permis, interdit, facile, difficile, aisé, commode,

pénible, etc. (Thème < Expérienceur)

11. La liste figurant sous (42) n’est pas exhaustive. Voir F. Tayalati (2005) pour une idée plus complète sur les adjectifs à complément datif et leurs propriétés sémantico-syntaxiques.

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d. Profitable, salutaire, préjudiciable, néfaste, nuisible, fatale, bon, mauvais, (dés)avantageux, (dé)favorable, dommageable, etc. (Thème < Bénéficiaire)

e. Indispensable, nécessaire, (in)utile, important, capital, indispensable, vital, essentiel, etc. (Thème < Bénéficiaire)

f. Coutumier, familier, (in)habituel, inhérent, intrinsèque, inné, naturel, particulier, propre, spécifique, etc. (Thème < Possesseur)

g. Semblable, égal, pareil, inférieur, supérieur, antérieur, postérieur. (Thème < Cible).12

De plus, l’application de certains tests syntaxiques aux adjectifs rassemblés dans (42) — tests empruntés à G. Cinque (1987, 1990) et initialement proposés pour les adjectifs italiens — montre que leur sujet syntaxique est un objet profond, interne au SV à prédicat adjectival, si bien que l’OI est donc chaque fois un second com-plément interne.

2.1 Cinque (1987, 1990) : les adjectifs italiens et la distinction ergatif/inergatif

En effet, G. Cinque (1987, 1990) soutient l’hypothèse selon laquelle les adjectifs italiens sont de deux types, les inergatifs d’un côté et les ergatifs de l’autre, distinc-tion pour laquelle il se base sur les faits formels suivants :

– La cliticisation par ne (‘en’) quantitatif en italien n’est pas possible à partir des sujets postposés de tous les adjectifs. Elle est impossible à partir des sujets postposés des adjectifs de (43), qui se comportent comme ceux des verbes inergatifs (44) considérés comme des arguments externes (G. Cinque 1990 : 5–7) :

(43) a. * Ne sono buoni pochi (dei suoi articoli). en sont bons peu (de ses articles)13

b. * Ne sono buone le intenzioni. en sont bonnes les intentions

12. Avec les adjectifs comparatifs symétriques (ex. semblable) et les adjectifs non symétriques (ex. inférieur), le complément datif est interprété comme une cible par rapport à laquelle est comparé le sujet interprété comme thème. Ce traitement est basé sur le contraste suivant relevé par L. Melis (1996 : 52) pour les verbes comparatifs :

i. Marie te ressemble ; elle a tes yeux.ii. *Marie te ressemble ; tu as ses yeux.

Ce contraste permet de déduire que le complément datif dénote l’élément servant de base à la comparaison ou à la localisation, qui a donc un rôle thématique supérieur à l’autre élément.

13. Les gloses et les traductions françaises sont faites par nous.

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c. * Ne sono ingiuste molte (di condanne). en sont injustes plusieurs (des condamnations) d. * Ne è stata ingiusta la condanna. en a été injuste la condamnation

(44) * Ne hanno avuto successo due. en a réussi deux

Par contre, elle est possible à partir des sujets postposés des adjectifs de (45),14 qui se comportent vis-à-vis de ce test comme d’autres objets internes, tels que l’OD des verbes transitifs directs (46a), le sujet postposé des verbes passifs (46b) et celui des verbes ergatifs (46c) :

(45) a. Ne sono note solo alcune (delle sue poesie). en sont connus seulement certains (de ses poèmes) ‘De ses poèmes, seuls certains sont bien connus.’ b. Ne sono note le tendenze. en sont connues les tendances ‘Les tendances en sont bien connues.’ c. Ne sono probabili ben poche (di dimissioni). en sont probables bien peu (de démissions) ‘De leurs démissions, peu en sont réellement probables.’ d. Ne sono ormai probabili le dimissioni. en sont désormais probables les démissions ‘Leurs démissions sont déjà probables.’

(46) a. Ne ha affondate due. en a coulé deux ‘Il / elle en a coulé deux.’ b. Ne sono state affondate due. en sont été coulées deux ‘Deux en ont été coulées.’ c. Ne sono affondate due. en sont coulées deux ‘Deux en ont coulé.’

L’impossibilité de cliticiser à partir des sujets postposés des adjectifs dans (43) permet à G. Cinque de conclure que les adjectifs en question sont inergatifs et que

14. La cliticisation à partir des sujets postposés des adjectifs de (45) répond donc à la contrainte générale sur la cliticisation par ne (‘en’) formulée par L. Burzio (1986 : 23, note 251) que nous rappelons au passage :

« Ne-cliticization (to V) is possible only from the structural object position. »

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leurs sujets sont des arguments externes qui, postposés aux adjectifs, figurent dans une position non gouvernée, à l’extérieur du SV à prédicat adjectival, au même titre que les sujets postposés des verbes inergatifs (44). Par contre, la possibilité de cliticiser à partir des sujets des adjectifs des énoncés de (45) est due au fait que leurs sujets sont des objets internes, qui, postposés, figurent dans une position structurale gouvernée par les adjectifs, à l’intérieur du SV à prédicat adjectival, au même titre que les OD des verbes transitifs (46a), les sujets dérivés des verbes au passif (46b) et ceux des verbes ergatifs (46c).

Au test syntaxique de la cliticisation par ne (‘en’) s’ajoute celui de l’extraction d’un élément interne aux sujets postposés des adjectifs.15 G. Cinque fait remarquer que cette extraction est impossible en italien à partir des sujets postposés des ad-jectifs de (47), qui excluent également la cliticisation par ne (‘en’) et dont le sujet se comporte comme celui des verbes inergatifs (48), réfractaires également à ces deux opérations syntaxiques (G. Cinque 1990 : 10) :

(47) a. * In che modo / Per quale ragione sarebbe stato pericoloso [t’ che se ne fosso andato t] ?

de quelle façon / pour quelle raison serait il dangereux que il parte ‘De quelle façon / Pour quelle raison serait-il dangereux qu’il parte ?’ b. * In che modo / Per quale ragione sarebbe controproducente [t’ che avesse

reagito t] ? de quelle façon / pour quelle raison serait il contreproductif que il a réagi ‘De quelle façon / Pour quelle raison serait-il contreproductif qu’il ait

réagi ?’

(48) * In che modo / Per quale ragione li rovinerà [t’ che lui se ne sia andato t ] ? de quelle façon / pour quelle raison les il ruinera que il parte ‘De quelle façon / Pour quelle raison les ruinera-t-il qu’il parte ?’

Par contre, l’extraction est possible à partir des sujets postposés des adjectifs de (49), qui acceptent également la cliticisation par ne (‘en’), et dont le sujet se com-porte comme l’OD des verbes transitifs (50a), le sujet dérivé des verbes passifs (50b) et celui des verbes ergatifs (50c) (G. Cinque 1990 : 9–10) :

(49) a. In che modo / Per quale ragione era prevedibile[t’ che se ne andasse t] ? de quelle façon / pour quelle raison est il prévisible que il partirait ‘De quelle façon / Pour quelle raison est-il prévisible qu’il partirait ?’ b. In che modo / Per quale ragione è probabile[t’ che reagisca t] ? de quelle façon / pour quelle raison est il probable que il réagira ‘De quelle façon / Pour quelle raison est-il probable qu’il réagira ?’

15. Pour d’autres tests syntaxiques, voir G. Cinque (1987, 1990).

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(50) a. In che modo / Per quale ragione vi ha detto [t’ che se ne andrà t] ? de quelle manière / pour quelle raison a dit il que il partira ‘De quelle manière / Pour quelle raison a t-il dit qu’il partira ?’ b. In che modo / Per quale ragione vi è stato detto [t’ che se n’era andato t] ? de quelle manière / pour quelle raison a été il dit que il est parti De quelle manière / Pour quelle raison il a été dit qu’il est parti ?’ c. In che modo / Per quale ragione portrà succedere [ t’ che se ne vada t] ? de quelle manière / pour quelle raison peut il arriver que il part ‘De quelle manière / Pour quelle raison peut-il arriver qu’il parte ?’

Le comportement des sujets des adjectifs en italien par rapport à la cliticisation par ne (‘en’) et à l’extraction montre donc que l’opposition inergatif/ergatif concerne aussi bien les adjectifs que les verbes, et qu’il est pertinent de distinguer dans la classe des adjectifs italiens ceux qui sont inergatifs de ceux qui sont ergatifs. Nous montrerons que la même conclusion vaut pour les adjectifs en français et qu’en outre les tests mènent à la conclusion que les adjectifs bivalents qui assignent le da-tif à leur complément sont tous ergatifs, ce qui implique que le cas datif est assigné à leur second argument interne.

2.2 Les adjectifs français bivalents datifs sont ergatifs

Tout comme en italien, les adjectifs français n’admettent pas tous l’extraction à partir de leur sujet propositionnel postposé, ce qui suggère qu’ils sont également concernés par l’opposition inergatif / ergatif. En effet, le fait que les adjectifs de (51) bloquent l’extraction à partir de leur sujet postposé, comme le font les verbes inergatifs (52), apparente ce sujet aux arguments externes :

(51) a. Il est faux / erroné que Marie ira à Rome chercher du travail. b. * Où est-il faux / erroné que Marie ira chercher du travail ? c. * Dans quel but seulement est-il faux / erroné que Marie ira à Rome ?

(52) a. Que Marie aille à Rome chercher du travail angoisse Paul. b. * Où angoisse-t-il Paul que Marie aille chercher du travail ? c. * Dans quel but seulement angoisse-t-il Paul que Marie aille à Rome ?

Par contre, la possibilité d’extraire un élément interne aux sujetx postposéx des adjectifs de (53–54) rapproche ceux-ci des OD des verbes transitifs (55) et des su-jets postposés des verbes ergatifs (56), qui sont considérés comme des arguments internes :

(53) a. Il leur serait agréable que Marie aille à Rome chercher du travail. b. Où leur serait-il agréable que Marie aille chercher du travail ? c. Dans quel but seulement leur serait-il agréable que Marie aille à Rome ?

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117Pour un traitement unitaire de l’assignation du datif en français

(54) a. Il lui serait profitable / préjudiciable que Marie aille à Rome chercher du travail.

b. Où lui serait-il profitable / préjudiciable que Marie aille chercher du travail ?

c. Dans quel but seulement lui serait-il profitable / préjudiciable que Marie aille à Rome ?

(55) a. Paul comprendrait que Marie aille à Rome chercher du travail. b. Où Paul comprendrait-il que Marie aille chercher du travail ? c. Dans quel but seulement Paul comprendrait-il que Marie aille à Rome ?

(56) a. Il lui déplairait que Marie aille à Rome chercher du travail. b. Où lui déplairait-il que Marie aille chercher du travail ? c. Dans quel but seulement lui déplairait-il que Marie aille à Rome ?

Le test de la cliticisation par en à partir des sujets des adjectifs français va dans le même sens même si cette opération est très contrainte en français. En effet, comme l’a montré L. Kupferman (1991 : 119), seuls peuvent être repris par en les syntagmes du type de SN internes au sujet qui sont des arguments du nom (57) et non des adjoints (58) :16

(57) a. La porte du réfrigérateur est abîmée. / Le réfrigérateuri, la porte eni est abîmée.

b. Les abus de ce gouvernement sont odieux. / Ce gouvernementi, les abus eni sont odieux.

(58) a. La soupe du réfrigérateur est abîmée. / *Le réfrigérateuri, la soupe eni est abîméei.

b. L’abus de notre bonne foi est odieux. / *Notre bonne foii, l’abus eni est odieux.

Malgré ces contraintes, il est intéressant de noter que la reprise par en d’un PP interne au syntagme sujet est bloquée pour les adjectifs de (59), réfractaires éga-lement au test précédent, ce qui les rapproche davantage des verbes inergatifs de (60) :

(59) a. Le calcul de la masse de chaque étoile est erroné / faux. b. * La masse de chaque étoilei, le calcul eni est erroné / faux.

16. et qui sont des syntagmes non prépositionnels au niveau de la sélection lexicale. En effet, quand ceux-ci sont les compléments indirects du nom, leur reprise par le clitique en est bloquée comme le montre l’exemple de (i) contrasté à celui de (ii) :

i. L’abus de notre bonne foi est odieux. / *Notre bonne foii, l’abus eni est odieux.ii. Les abus de ce gouvernement sont odieux. / Ce gouvernementi, les abus eni sont odieux.

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(60) a. Le démantèlement de ces colonies tourmente Marie. b. * Ces coloniesi, le démantèlement eni tourmente Marie.

Par contre, la cliticisation par en d’un PP interne au syntagme sujet est autorisée par les adjectifs de (61–62) :

(61) a. Nous ne saurions donc trop exhorter ceux qui sont chargés de l’éducation des jeunes gens, à les munir au moins des principes généraux de la physiquei. L’étude eni est facile et agréable. (Google).

b. Ces coloniesi, le démantèlement lui eni serait profitable / préjudiciable.

(62) a. L’acheteur de cette maison m’est sympathique / désagréable. b. Cette maisoni, l’acheteur m’eni est sympathique / désagréable.

Par rapport à ce test, les sujets des adjectifs de (61–62) se comportent comme les OD des verbes transitifs (63) et comme les sujets des verbes ergatifs (64), ce qui suggère que ces adjectifs sont ergatifs et que leurs sujets sont des arguments internes :

(63) a. Le gouvernement a programmé le démantèlement de ces colonies fin juin. b. Ces coloniesi, le gouvernement eni a programmé le démantèlement fin juin.

(64) a. L’acheteur de cette maison déplaît à Marie. b. Cette maisoni, l’acheteur eni déplaît à Marie.

Les remarques qui précèdent permettent donc de conclure que les adjectifs français ne sont pas tous ergatifs et que parmi eux on peut distinguer d’une part les inerga-tifs, qui bloquent l’extraction et la cliticisation à partir de leur sujet (postposé), et d’autre part des ergatifs qui, tout comme les verbes ergatifs (65–68), autorisent ces deux opérations syntaxiques :

(65) a. Il lui convient d’aller à Rome chercher du travail. b. Où lui convient-il d’aller chercher du travail ? c. Dans quel but seulement lui convient-il d’aller à Rome ?

(66) a. Il lui déplairait que Marie aille à Rome chercher du travail. b. Où lui déplairait-il que Marie aille chercher du travail ? c. Dans quel but seulement lui déplairait-il que Marie aille à Rome ?

(67) L’acquisition de ces biens lui convenait. / Ces biensi, l’acquisition lui eni convenait.

(68) Le démantèlement de ces colonies déplaît à Marie. / Ces coloniesi, le démantèlement eni déplaît à Marie.

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Or, lorsqu’on applique ces tests d’ergativité aux adjectifs assignant le datif à leur OI (cf. (42)), on constate que pratiquement tous ces adjectifs appartiennent au type ergatif et que leur sujet est donc un argument interne et, par conséquent, leur OI datif un second argument interne. Ceci ressort d’ailleurs aussi d’un autre critère, proposé par F. Tayalati (à paraître), basé sur le comportement des clitiques datifs dans la structure factitive avec le verbe rendre. En effet, dans cette structure, les ad-jectifs datifs autorisent tous le placement du clitique datif sur le verbe enchâssant rendre (sauf trois adjectifs qui seront commentés infra) :

(69) a. Tout nouveau mensonge lui est impossible. b. La situation actuelle lui est profitable.

(70) a. La situation actuelle lui rend impossible tout nouveau mensonge. b. Les conjonctures économiques lui rendent profitable la situation actuelle.

Or, comme noté supra (cf. 1.1.2.), une contrainte analogue s’observe avec les ver-bes bivalents datifs dont seuls les ergatifs autorisent le placement du clitique datif sur le verbe enchâssant (71), alors que les inergatifs bloquent ce procédé (72) (A. Hulk 1984 ; L. Tasmowski- De Ryck 1984 ; J. Rooryck 1988b, 1988c) :

(71) a. Le colis lui est parvenu. a′. Paul lui a fait parvenir le colis. b. Un ange lui est apparu. b′. On lui a fait apparaître un ange.

(72) a. Marie lui a parlé. a′. * On lui a fait parler Marie b. Les enfants lui ont téléphoné. b′. * On lui a fait téléphoner les enfants.

Autrement dit, la possibilité de placer le clitique sur le verbe rendre, confirme éga-lement que le sujet des adjectifs datifs n’est pas un argument externe, mais interne, et que ces adjectifs sont donc tous ergatifs. Les seuls adjectifs datifs qui ne répon-dent pas à ce critère, ni d’ailleurs à celui de la cliticisation par en,17 sont fidèle, infi-dèle et loyal (73), dont le sujet semble donc correspondre à un argument externe :

(73) a. L’acheteur de cette maison lui est fidèle / infidèle / loyal. b. * Cette maisoni, l’acheteur lui eni est fidèle / infidèle / loyal.

(74) a. Sa femme lui est (in)fidèle. a′. * On / Cela lui rend fidèle sa femme.

17. Ces adjectifs ne s’accommodent pas de sujets propositionnels si bien qu’on ne peut pas leur appliquer le test de l’extraction.

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b. Jean lui est loyal. b. * On / Cela lui rend loyal Jean.

Pour des adjectifs tels que fidèle, loyal, etc., il faudra sans doute admettre, comme pour les verbes de communication de (72) (cf. supra 1.2.1.), qu’ils assignent le datif à leur complément pour des raisons sémantiques, qui tiennent probablement au rôle thématique de celui-ci : le référent de leur complément datif est en effet interprété, non pas comme un thème mais comme un destinataire, l’un des rôles prototypiques des compléments datifs.

Conclusion

En conclusion, les données examinées montrent qu’en français la très grande ma-jorité des verbes et des adjectifs assignent le datif à leur OI en fonction de la confi-guration syntaxique et thématique plutôt qu’en fonction du seul rôle sémantique de l’argument, ce qui confirme que le cas datif requiert une configuration compor-tant un autre argument interne thématiquement moins élevé. Ceci n’implique tou-tefois pas qu’aucun rôle thématique particulier ne soit associé au datif : par le fait qu’il doit s’agir d’un rôle intermédiaire entre celui de l’argument externe et celui du premier argument interne, il s’agit toujours d’un rôle placé relativement haut sur l’échelle thématique, tel que celui de cible, bénéficiaire, expérienceur, posses-seur, etc. Ces rôles associés au datif expliquent les quelques cas déviants que nous avons trouvés, où l’assignation du datif est sémantique.

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Résumé — Pour un traitement unitaire de l’assignation du datif en français

Cet article propose un traitement unitaire de l’assignation du datif à la fois pour les verbes et les adjectifs en français. Il montre que les deux types de prédicats assignent le datif à leur second argument interne, à condition que cet argument se situe dans une position plus élevée dans la hiérarchie des rôles thématiques que le premier argument interne. Cette hypothèse, qui consi-dère le datif en français comme un cas structural plutôt que sémantique, rend facilement compte de tous les verbes à trois arguments, de la plupart des verbes à deux arguments et également des compléments datifs adjoints. Pour ce qui est des prédicats adjectivaux il ressort de l’analyse que seuls les adjectifs ergatifs, dont le premier argument est un argument interne, peuvent assigner le datif à leur second argument interne. Les quelques exceptions à cette hypothèse s’expliquent par le fait que, bien que le datif ne soit pas un cas sémantique, il est néanmoins associé à certains rôles sémantiques, étant donné que son rôle sémantique se situe dans la hiérarchie thématique entre celui de l’argument externe et celui du premier argument interne.

Mots-clés : syntaxe, verbe, adjectif, cas datif, ergativité, rôle thématique

Summary — Towards a unified account of dative assignment in French

The aim of this paper is to propose a unified account of dative assignment for both verbs and ad-jectives in French. We will show that both types of predicates assign dative case to their second internal argument, provided that this argument is situated in a higher position in the thematic hierarchy than the first internal argument. This hypothesis, which considers the dative in French as a structural rather than a semantic case, can easily account for all three-argument verbs, for most two-argument verbs and even for adjunct datives. As for the adjectival predicates, we will show that only ergative adjectives, whose first argument is an internal argument, can assign da-tive to their second internal argument. The few exceptions to this hypothesis can be explained by the fact that, although the dative is not a semantic case, it is associated with certain semantic

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roles, given that its semantic role is situated in the thematic hierarchy between the role of the external argument and the role of the first internal argument.

Keywords: syntax, verb, adjective, dative case, ergativity, thematic role

Author’s address:

Fayssal Tayalati et Marleen Van PeteghemCNRS, UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » — Lille3Pont de Bois B.P. 6014959653 Villeneuve d’AscqFrance

[email protected]@univ-lille3.fr

reçu le 10/04/2007

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