1 10-01-2019 ADAPR PETITE HISTOIRE DU CHAOS PETITE HISTOIRE DU CHAOS Pendant quelque temps, j’avais été seul avec moi-même. Oh ! Je savais que mon double- moi apparaissait dans mon esprit quand il le voulait, mais il m’avait manqué, m’ayant com- muniqué la soif de comprendre le monde. Je m’étais senti quelque peu orphelin hors de sa présence intellectuelle. Pour tromper mes vaines attentes, j’avais essayé de me poser de petits problèmes et de les résoudre, histoire de me prouver que je devenais (scientifique- ment) adulte. Les Grecs, avec le seul secours de leur cerveau, avaient bien réussi à prouver, par exemple, que le nombre Pi est le rapport entre la circonférence d’un cercle et son di a- mètre, et que le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux côtés de l’angle droit d’un triangle rectangle. Alors, pourquoi pas moi ? Et, après avoir résolu (labo- rieusement, il est vrai) ces exercices élémentaires, j’avais cherché à élever mes réflexions vers de plus hautes sphères (pour moi), celles où mon alter-égo, lui, excellait. Alors, j’avais cherché un sujet : tiens ! Pourquoi pas le chaos ? Et me précipitant sur mon fidèle petit dictionnaire, j’avais lu : « confusion générale des éléments avant la création du monde ; grands désordres ; entassement de blocs rocheux ». De fait, dans la mythologie grecque le Chaos est l’élément primordial précédant la création de Gaïa, de la nuit et du jour (Préfiguration du Big Bang ?). Pour la tradition judéo-chrétienne, c’est un peu la même chose, l’univers ayant été dans une sorte de Chaos vague avant que Dieu se mêle d’y faire de l’ordre. Pas très scientifique tout ça ! Finalement, seule la théorie éponyme m’ avait paru intéressante. Aussi m’étais-je précipité sur quelques ouvrages (il y en a de nombreux) de ma bibliothèque : La Théorie du chaos de James Gleick, Champs Flammarion ; Le chaos, la complexité et l’émergence de la vie de John Gribbin, Champs Flammarion ; Le chaos, par Ivarn Ekeland, Domino Flammarion. Mais là, sans Y en moi pour m’aider, je m’étais demandé comment cogiter sur ce sujet. Et voilà qu’un beau matin, encore ensommeillé, j’avais eu une illumination : il fallait que j’essaye d’ écrire ce que je croyais avoir appris de mes lectures, une façon sans pareil de formaliser mes interrogations sur ce mystérieux chaos. Voilà ce que cela avait donné. Un pantin chaotique La théorie du Chaos est mathématique plus que physique. Une théorie physique essaye d’expliquer la réalité, pouvant être vraie ou fausse (exemple : la théorie de la Relativité), alors qu’une théorie mathématique n’est pas réfutable car elle reste dans son domaine, tout en permettant éventuellement d’étudier des phénomènes physiques. La Géométrie Plane d’Euclide est une telle théorie mathématique construite très logiquement sur des postulats de base, des affirmations que l’on pose a priori. La théorie du Chaos en est une autre, appli- cable à de nombreux domaines : économique, boursier, biologique, cosmologique, etc. On la résume en quelques mots : elle étudie les systèmes dynamiques sensibles aux conditions dynamiques, ce qui mérite explications. Son origine remonte à Henri Poincaré (1854-1912) au début du 20 ème , mais elle n’a été for- malisée qu’après la seconde moitié lorsque l’on a mieux compris les systèmes évolutifs, entre autres grâce au météorologue Edward Lorentz (1917-2008). Commençons par un exemple. Dans nos lointaines jeunesses, on s’amusait avec un jeu po- pulaire à l’époque : un pantin ou équilibriste (figure 1) qui tournait autour d’une barre fixe. Il gesticulait dans tous les sens, tournant tantôt vers la droite, tantôt à gauche, entraîné par quelque mécanisme caché. Mécanisme bien simple en vérité, fait d’une sorte de petite roue de moulin comportant des godets au fond percé. Du sable venant d’un entonnoir tombait
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10-01-2019 ADAPR PETITE HISTOIRE DU CHAOS
PETITE HISTOIRE DU CHAOS
Pendant quelque temps, j’avais été seul avec moi-même. Oh ! Je savais que mon double-
moi apparaissait dans mon esprit quand il le voulait, mais il m’avait manqué, m’ayant com-
muniqué la soif de comprendre le monde. Je m’étais senti quelque peu orphelin hors de sa
présence intellectuelle. Pour tromper mes vaines attentes, j’avais essayé de me poser de
petits problèmes et de les résoudre, histoire de me prouver que je devenais (scientifique-
ment) adulte. Les Grecs, avec le seul secours de leur cerveau, avaient bien réussi à prouver,
par exemple, que le nombre Pi est le rapport entre la circonférence d’un cercle et son dia-
mètre, et que le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux côtés de
l’angle droit d’un triangle rectangle. Alors, pourquoi pas moi ? Et, après avoir résolu (labo-
rieusement, il est vrai) ces exercices élémentaires, j’avais cherché à élever mes réflexions
vers de plus hautes sphères (pour moi), celles où mon alter-égo, lui, excellait.
Alors, j’avais cherché un sujet : tiens ! Pourquoi pas le chaos ? Et me précipitant sur mon
fidèle petit dictionnaire, j’avais lu : « confusion générale des éléments avant la création du
monde ; grands désordres ; entassement de blocs rocheux ». De fait, dans la mythologie
grecque le Chaos est l’élément primordial précédant la création de Gaïa, de la nuit et du jour
(Préfiguration du Big Bang ?). Pour la tradition judéo-chrétienne, c’est un peu la même
chose, l’univers ayant été dans une sorte de Chaos vague avant que Dieu se mêle d’y faire
de l’ordre. Pas très scientifique tout ça ! Finalement, seule la théorie éponyme m’avait paru
intéressante. Aussi m’étais-je précipité sur quelques ouvrages (il y en a de nombreux) de ma
bibliothèque : La Théorie du chaos de James Gleick, Champs Flammarion ; Le chaos, la
complexité et l’émergence de la vie de John Gribbin, Champs Flammarion ; Le chaos, par
Ivarn Ekeland, Domino Flammarion.
Mais là, sans Y en moi pour m’aider, je m’étais demandé comment cogiter sur ce sujet. Et
voilà qu’un beau matin, encore ensommeillé, j’avais eu une illumination : il fallait que j’essaye
d’écrire ce que je croyais avoir appris de mes lectures, une façon sans pareil de formaliser
mes interrogations sur ce mystérieux chaos. Voilà ce que cela avait donné.
Un pantin chaotique
La théorie du Chaos est mathématique plus que physique. Une théorie physique essaye
d’expliquer la réalité, pouvant être vraie ou fausse (exemple : la théorie de la Relativité),
alors qu’une théorie mathématique n’est pas réfutable car elle reste dans son domaine, tout
en permettant éventuellement d’étudier des phénomènes physiques. La Géométrie Plane
d’Euclide est une telle théorie mathématique construite très logiquement sur des postulats de
base, des affirmations que l’on pose a priori. La théorie du Chaos en est une autre, appli-
cable à de nombreux domaines : économique, boursier, biologique, cosmologique, etc. On la
résume en quelques mots : elle étudie les systèmes dynamiques sensibles aux conditions
dynamiques, ce qui mérite explications.
Son origine remonte à Henri Poincaré (1854-1912) au début du 20ème, mais elle n’a été for-
malisée qu’après la seconde moitié lorsque l’on a mieux compris les systèmes évolutifs,
entre autres grâce au météorologue Edward Lorentz (1917-2008).
Commençons par un exemple. Dans nos lointaines jeunesses, on s’amusait avec un jeu po-
pulaire à l’époque : un pantin ou équilibriste (figure 1) qui tournait autour d’une barre fixe. Il
gesticulait dans tous les sens, tournant tantôt vers la droite, tantôt à gauche, entraîné par
quelque mécanisme caché. Mécanisme bien simple en vérité, fait d’une sorte de petite roue
de moulin comportant des godets au fond percé. Du sable venant d’un entonnoir tombait
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dans ces godets qui se remplissaient lentement. Le premier, une fois rempli, commençait
alors à se vider par le fond, entraînant la roue dans un sens, tandis que le sable tombait
dans le second godet, etc.
Suivant le débit du
sable, le remplissage
des godets et leur
écoulement, la roue
faisait quelques tours,
s’arrêtait et repartait
dans l’autre sens, cela
d’une manière appa-
remment aléatoire. Im-
possible de savoir
combien de tours al-
laient être fait dans un
sens ou l’autre, donc de
prédire le futur en fonc-
tion du passé, même en
observant ce pantin
durant l’éternité. La
règle était… qu’il n’y en
avait (apparemment)
pas !
Ne rions pas de ce petit
pantin : une expérience
similaire avec de l’eau remplaçant le sable a été faite par les plus grands chercheurs (avec la
roue hydraulique de Lorentz) pour se convaincre de l’indéterminisme gouvernant la roue de
moulin. Eh bien, voilà l’exemple même d’un phénomène devenant chaotique : un grain de
sable ou une goutte d’eau tombant au bon moment décide du sens de la rotation du pantin.
Dit plus formellement, une petite cause peut produire de grands effets !
À l’époque, je n’avais pas été étonné par le comportement bizarre du pantin. Je ne cherchais
pas d’explication de sa conduite erratique, ni qu’il pouvait y avoir une théorie sous-jacente.
Et puis la science, que diable, ne pouvait s’appliquer à un jouet pour le moins simpliste !
Un kilo ne fait pas un kilo
En fait, dans cet exemple qualifié de simpliste, l’incertitude du résultat n’est pas liée à la
complexité du système. Elle peut venir de mécanismes physiques ou de formules mathéma-
tiques simples (on en verra plus loin) qui sont alors considérés comme des systèmes chao-
tiques, je devrais dire plutôt comme des systèmes potentiellement chaotiques, pouvant donc,
au bout d’un certain temps, prendre une allure passant pour désordonnée.
Je pourrais croire qu’avec une même situation primitive, un système devrait suivre la même
voie deux fois de suite, qu’en plaçant identiquement un godet sous l’entonnoir, qu’en réglant
pareillement le débit du sable dans les godets et par le fond, le pantin devrait passer par des
séquences identiques (par exemple 2 tours à droite, 3 tours à gauche, etc.) lors de deux es-
sais successifs ? … Et j’aurais tort ! Au début du deuxième essai, peut-être, le pantin tourne-
ra comme au premier, mais rapidement il divergera, un seul grain de sable faisant la diffé-
rence…
………
…..
…
..
..
1 – Le pantin et son mécanisme à godets
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Laplace estimait que, si on connaissait exactement tous les paramètres régissant le monde,
on pourrait prévoir son futur. Et voilà qu’il a tort ! Mais pourquoi donc ne peut-on prédire ce
futur si on connaît exactement toutes les conditions initiales ? Par exemple, si je mets un
poids d’un kilogramme sur le plateau d’une balance, puis un autre de même poids sur l’autre
plateau, ne serais-je pas certain que la balance soit équilibrée ? Voilà ce que je me dirais, un
kilo étant toujours égal à un kilo ! Et bien non ! Avec une balance d’une extrêmement préci-
sion, je ne pourrais que constater qu’elle ne sera plus équilibrée car les poids ne sont pas
calibrés à l’atome près (j’ai lu que récemment on a encore affiné la définition du kilo, une
extrême précision étant indispensable à certaines expériences).
Même en utilisant des bons poids, en affinant le mécanisme du pantin, en contrôlant les
grains de sable, il y aura toujours une imprécision, un écart, une distance, un intervalle, une
marge, une différence, une inégalité, que sais-je ! Je peux le ou la négliger dans la vie cou-
rante – ce qui a été fait durant des millénaires – mais il ou elle attendait d’être révélé(e) au
20ème siècle ! Car cette imprécision originelle (à comparer avec la faute originelle d’Adam et
Êve qui, selon certaines religions, aurait perverti les hommes), c’est sûr, si par malchance
elle venait à être amplifiée, va plus ou moins rapidement changer un futur qui était donné
pour prévisible.
Ainsi, l’indéterminisme et donc le chaos ne sont que le résultat de conditions initiales plus ou
moins imprécises. Et, je commençais à m’en persuader, c’est la raison qui fait qu’une expé-
rience apparemment reproductible ne donne jamais le même résultat et devient chaotique au
bout d’un certain temps.
Mais comment un écart infime peut-il perturber ainsi grandement les résultats ?
Amplification de l’écart initial
Bon ! Réfléchissons en prenant cette fois un petit exemple mathématique, du moins un que
je suis capable d’énoncer ! Si dans Excel intervient Pi (ou tout autre nombre aux très nom-
breuses décimales) dans mes calculs, mon ordinateur ne va utiliser que quinze chiffres signi-
ficatifs (3,14159265358979) au lieu de l’infinité que possède cet irrationnel. Cela n’est pas
gênant pour le calcul d’une simple surface égale à Pi x R2, mais si je dois effectuer de nom-
breuses itérations avec une formule comprenant Pi, le résultat sera forcément erroné.
Croyez moi, j’ai fait et refait cette expérience.
Tiens, plus simplement et sans ordinateur, je prends un espace qui me semble ridicule, di-
sons de la dimension d’un électron, soit environ 10-14 mètre (un centième de milliardième de
millimètre !) ; je multiplie ce nombre par 10, et cela 14 fois, et… j’atteins (évidemment,
puisque 10-14 x 1014 = 1014-14 = 100 = 1) la dimension humaine du mètre ! Encore 16 itérations
avec des multiplications par 10 et voilà que je suis dans l’année lumière ; 10 autres sem-
blables et mon écart atteint la dimension de l’univers visible. En seulement quarante itéra-
tions je suis passé de la grandeur de l’électron à celle de l’univers. On est dans le non li-
néaire. Le nain de départ est devenu l’abominable Hulk !
La conclusion s’impose : dans tout système évolutif, une petite modification ou une erreur
des conditions initiales risquera de modifier son évolution. Tout phénomène microscopique
peut, sous certaines conditions, devenir macroscopique, ce qui signifie que le futur est, je ne
me le répèterai jamais assez… imprévisible, indéterminé. Et si cela est le cas, le système est
alors dit chaotique !
Je citerai plus loin deux tels systèmes chaotiques. Mais avant, il me faut revenir à quelques
implications du chaos.
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Le chaos se cache au bout du déterminisme
Cette histoire du chaos, décidemment, m’ouvre des perspectives que j’avais méconnues
jusqu’alors, remettant à zéro toutes mes idées passées. Quand Copernic, Kepler, La-
place, Newton, et bien d’autres, ont découvert les lois de la nature, le déterminisme qui du-
rait durant des siècles a gagné ses lettres de noblesse. Et Einstein n’en était-il pas persua-
dé lorsqu’il déclarait sans plaisanter que Dieu ne jouait pas aux dés ? D’ailleurs, grâce aux
lois de la gravitation, n’a-t-on pas pu prévoir le retour de la comète de Halley, découvrir Nep-
tune, envoyer des satellites dans l’espace, faire atterrir des hommes sur la Lune et des ro-
bots sur Mars ? Las, la théorie des Quanta et plus tard du Chaos, entre autres, ont mis à mal
ce déterminisme forcené.
Pourtant, jusqu’à présent, j’étais persuadé que le déterminisme ne pouvait être remis en
question, qu’il était universel, même s’il y avait une petite exception au niveau microsco-
pique. Mais voilà que j’apprenais que le déterminisme mène très souvent à un indétermi-
nisme se nichant dans presque tous les phénomènes de la nature, des sciences et des ma-
thématiques. Le monde à l’envers, quoi !
Ainsi, entre un déterminisme qui prétend réécrire le passé et prédire le futur, et
l’indéterminisme stochastique du hasard et de la probabilité, j’apprends que se situe le « dé-
terminisme chaotique » laissant une place à l’imprévisible. Comme l’a écrit Poincaré : « un
système décrit par des lois parfaitement déterministes peut avoir un comportement relevant
du hasard ».
Relevant du hasard ? Attention, cela ne veut pas dire que chaos et hasard soient bonnet
blanc et blanc bonnet, bien que les dictionnaires ne soient pas très sur cette distinction.
Poincaré a dit que le chaos peut ressembler au hasard, mais ne l’est pas, car ce chaos est
le résultat de certains systèmes déterministes dont on peut connaître l’équation qui les régit,
sans que l’on en comprenne bien toujours toutes ses solutions lorsque celles-ci dépendent
d’itérations successives. Ce n’est qu’avec les calculateurs puis ordinateurs que l’on a pu ex-
plorer à fond ces solutions, constater – répétons-le – que de petites causes peuvent générer
de grands effets…
En fait, notre monde, celui de gens normaux comme moi, nous paraît globalement détermi-
niste parce que nous nous ne savons pas constater ce chaos des scientifiques, et que nous
ne vivons, hélas, qu’un bref instant…
Temps caractéristique
Nous ne vivons qu’un bref instant, dis-je ! Cela signifie-t-il que le chaos est dépendant du
temps ? Non, on ne peut raisonner ainsi. Un système est chaotique ou ne l’est pas, mais il
ne se révèle généralement tel qu’au bout… d’un certain temps, comme dirait ce regretté
Fernand Raynaud.
Donc, pour caractériser un tel système chaotique, on a défini un « temps caractéristique
T » qui est celui d’un écart initial multiplié par 10. C'est-à-dire que s’il est 1 au départ, au bout
du temps T il sera de 10, puis de 10 x 10 = 100 au temps 2 T, 1000 à 3 T, etc. ne pouvant
d’ailleurs dépasser les 40 T car alors, comme on l’a vu, il serait de la dimension de l’univers.
Si T dépasse l’échelle de vie de notre humanité, il est évident que cela aura peu
d’importance à notre niveau et que nous ignorerons toujours que le système est chaotique.
J’ai pu ainsi apprendre que le temps caractéristique du système solaire est au moins de 10
millions d’années, temps que nous pouvons ignorer mais qui n’est pas grand-chose à
l’échelle de l’univers. Qu’un très gros astéroïde frappe la Terre, la déviant de 1 mètre sur son
orbite, et dans 10 millions d’années cette déviation sera de 10 mètres, puis de 100 m à 20
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millions d’année, et au bout de 100 millions d’année, une poussière de temps céleste, cela
donnera, sauf erreur, quelque 10 millions de km, etc. Et en des millions d’années ou plus, il
peut se passer bien des événements bousculant le système solaire. Il est chaotique par na-
ture et c’est pourquoi on ne peut affirmer qu’il a toujours été, et sera tel, qu’aujourd’hui (on a
d’ailleurs des preuves que les planètes se sont amusées au jeu des chaises musicales).
Si en revanche T est petit, on tombe dans le cas, entre autres, de la météo, et alors on a pu
dire que le battement infime d’un papillon pourrait déclencher en quelques heures une tem-
pête. Ce n’est une image, bien sûr, qui a donné naissance à l’expression « effet papillon ».
Espace des phases
Effet papillon ? Jolie expression, d’autant qu’elle montre plus que ce qu’elle dit !
Le chaos, lorsqu’il s’installe, paraît aléatoire. Les mouvements du pantin, la fibrillation du
cœur, les mouvements de la bourse lors d’un crash boursier, les cours du coton, les remous
d’un fluide dans une conduite, les tourbillons des molécules d’air dans une tempête ou de
l’eau dans une rivière, la chute des gouttes d’eau d’un robinet qui fuit (mais oui !), la Grande
Tâche Rouge de Jupiter, etc. ont l’air de se faire complètement au hasard.
On a l’impression qu’il n’y pas de règles régissant le chaos, que c’est le règne de l’aléatoire,
comme je l’ai dit plus haut, et pourtant non !, ces règles existent. À nouveau, prenons un
exemple simple : le balancier de la figure 2 de la pendule de ma feue grand-mère. Son mou-
vement va et vient tant qu’il est entraîné, mais, s’il ne l’est pas, il s’amortie à cause des frot-
tements. Si on représente classiquement sa position en fonction du temps, les courbes res-
semblent soit à la sinusoïde amortie ou non de la figure 3.
À un moment donné, je sais où se trouve le balancier. Mais ces courbes ne me disent pas
quelle est sa vitesse à ce moment-là. Pour ce faire, il faut une autre courbe représentant sa
vitesse en fonction du temps, et l’idéal serait de mélanger les deux courbes en une. Mais
comment ? Je vous le demande.
On doit au génial Poincaré cette représentation plus évoluée qu’il a nommé « espace des
phases ». Pour situer la position d’un corps dans l’espace, il faut normalement trois coor-
données, chacune sur un des trois axes de position spatiale ; on dit alors que cet espace est
à trois dimensions. Pour indiquer la vitesse de ce même corps, il faut trois autres coordon-
nées sur trois axes de vitesse dans un nouvel espace à trois dimensions. Si maintenant on
veut représenter la position et la vitesse de ce corps sur un seul diagramme, sur un seul es-
pace (mathématique évidemment, car on ne peut le représenter), il faut qu’il soit à 6 dimen-
sions. Pour deux corps, on aurait besoin d’un espace à 6 + 6 = 12 dimensions, etc. Et pour
non pas deux paramètres par corps mais plus, on imagine comment on multiplie les dimen-
sions. Cette espace mathématique, vous l’avez compris, est l’espace des phases, bien pra-
Position
Vitesse
2 – Balancier de la pendule Position
Temps Temps
Position
3 - Balancier non amorti et amorti
en fonction du temps
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tique car un seul de ses points à un moment donné représente tous les états d’un corps, et
la trajectoire de ce point donne l’évolution de ce corps en fonctions de tous ses paramètres.
J’insiste, il faut bien comprendre que l’espace des phases est la représentation virtuelle ma-
thématique de l’environnement étatique de l’espace réel d’un corps. Ainsi, Gribbin dans son
ouvrage compare l’espace des phases à un paysage virtuel fait de monts et de vallées. Une
goutte d’eau tombant par exemple sur ce paysage (un corps se mouvant dans l’espace réel)
ne peut aller que du haut vers le bas, sa trajectoire suivant les vallées d’une façon appa-
remment aléatoire jusqu’à la mer.
Du problème des trois corps aux attracteurs…
Mais je reviens au dit Poincaré qui, postulant pour un concours, a appliqué son espace des
phases au problème des trois corps restreint. Avec les lois de Kepler et Newton, on sait
bien définir la trajectoire de deux corps (le Soleil et la Terre si vous voulez), mais il est
presque impossible de faire de même avec trois corps plus ou moins semblables. Aussi
notre savant a restreint son problème en ne retenant qu’un troisième petit corps (la Lune par
exemple).
Il s’est aperçu que ce dernier suivait une trajectoire périodique dans l’espace des phases,
sans repasser par les mêmes points d’une section de cet espace virtuel. En plus de
l’amplification d’un éventuel décalage initial, caractéristique du chaos naissant, il vit que,
d’une part ce décalage se reproduisait à chaque passage et que l’on ne pouvait pas prédire
où se situerait le trajet suivant ; et d’autre part que toutes les trajectoires ne se dispersaient
pas mais restaient cantonnées dans un volume déterminé, comme si ce petit corps était « at-
tiré » par celui-ci. Cette trajectoire dessinait une sorte de tore spatial, parcourant tout son
volume sans d’en écarter, comme si ce tore était un … « attracteur ».
Cet attracteur dans l’espace des phases, à
nouveau, n’est autre que l’image virtuelle com-
plète (tenant compte de tous ses paramètres)
de l’évolution d’un corps dans la réalité.
Attracteur ? Voici un autre gros mot lâché. En-
fin, en disant gros mot je veux dire mot impor-
tant pour notre histoire du chaos, ce qui me
donne l’occasion de revenir en arrière en re-
gardant d’un œil nouveau l’héritage de ma
chère grand-mère.
Dans ce vénérable pendule, on a vu qu’il n’y a
que deux paramètres intéressants : la position
et la vitesse laissées en suspens précédem-
ment. On se demandait comment les représen-
ter sur un seul diagramme. Eh bien, l’espace
des phases vient à point nommé pour résoudre
ce problème, d’autant plus qu’ici deux dimen-
sions suffisent (ouf !) puisque le balancement
se fait dans un plan. Il n’y a plus qu’à mettre la
position en ordonnée et la vitesse en abscisse,
le trajet représentant le temps, ce qui donne
les figures 4 et 5, la première pour le balancier
non amorti et l‘autre pour celui qui l’est.
Attracteur
Vitesse
Position
5 – Point attracteur du balancier amorti dans
l’espace des phases
Vitesse
Position
4 – Attracteur du balancier non amorti dans
l’espace des phases
Attracteur
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On remarque que, dans le premier cas, sa trajectoire ne dévie pas d’un beau cercle qui est
son attracteur dans l’espace des phases.
En revanche, lorsqu’il n’est pas entretenu, ce balancier spirale dans l’espace des phases, se
stabilise peu à peu en position verticale, la courbe 5 correspondante convergeant vers le
point central qui est alors son attracteur. Ici, pas encore de chaos. Les courbes sont encore
bien régulières. On est dans un monde de parfaites pendules de grands-mères.
De fait, les attracteurs sont partout, accompagnant un espace des phases à deux, trois ou
plus de dimensions mathématiques, et, on le verra, ils ne sont pas aussi simplistes que ci-
dessus. Le fond d’un bol est un attracteur ponctuel réel pour une bille lâchée sur le bord ;
une vallée (naturelle ou une de celles du paysage de l’espace de phases) attire les éboule-
ments de rochers ou l’eau ruisselante, comme la mer pour les fleuves ; l’orbite d’une planète
est un attracteur pour celle-ci ; le trou noir est un attracteur (fatal) pour les téméraires, etc.
Les physiciens, qui ne parlent pas comme tout le monde, disent qu’« un attracteur est un état
final d’équilibre où l’entropie est maximale et l’énergie potentielle minimale, état qui a perdu
l’histoire de ses conditions initiales. On ne peut revenir en arrière comme dans le temps ».
… aux attracteurs de plus en plus étranges
Hélas, le cas idéal d’un attracteur régulier, faisant que le système en cause n’est pas chao-
tique, n’est pas naturel.
Poincaré (toujours lui !) l’avait remarqué
dans son problème des trois corps géné-
rant obligatoirement à terme le chaos. Et,
n’étant pas un savant, je dois me persua-
der que mon horloge antique est aussi
chaotique, le mouvement de son balan-
cier n’étant pas aussi régulier qu’il me
paraît. Deux va-et-vient successifs
(comme à propos du pantin, etc.) ne sont
jamais identiques du fait des frottements.
Cette fois le diagramme en fonction du
temps donnera une courbe déformée (fi-
gure 6 gauche), et, dans l’espace des
phases, le beau cercle de tout à l’heure
n’est plus qu’un misérable attracteur pata-
toïdale (6 droit).
Position
Vitesse
Position
6 - Balancement chaotique
Temps
7 - Attracteurs étranges
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Mais, et c’est là que je retiens quelque chose d’important : cette trajectoire irrégulière, qui me
semble naviguer au hasard, reste cependant à nouveau dans des limites de son fameux at-
tracteur et suit des règles précises.
Selon le système, l’attracteur pourra avoir des formes insolites : Lorentz a trouvé dans son
modèle mathématique météorologique une configuration d’attracteur rappelant d’ailleurs cu-
rieusement les ailes d’un papillon (figure 7 haut, d’où le nom d’effet papillon). Là encore, la
courbe est continue, mais aucune de ses circonvolutions n’a la même trajectoire ; avec pour-
tant tout l’espace pour se répandre, elles se situent toujours dans les limites d’un attracteur à
deux ailes.
On peut imager cela dans le « paysage » de l’espace des phases. Soit deux lacs reliés par
une bande de terre submergée d’eau. Ces lacs faiblement unis sont un attracteur pour les
molécules d’eau venant des hauteurs. Si on suit le trajet de l’une d’elles dans le premier lac,
on verra qu’elle s’y promènera au gré des perturbations diverses, mais passera bientôt la
séparation vers le second lac pour y tournicoter, avant de revenir au premier, etc.
Dans l’espace de phase, cela donnera cette figure à deux ailes de l’attracteur de Lorentz
(figure 7 haut). Et, bien sûr, selon les systèmes, les formes de ces « attracteurs étranges »,
comme on les a baptisés peuvent être tant ésotériques qu’œuvres d’art (7 bas).
Structure fractale des attracteurs
Un dernier mot sur les attracteurs ! Effectuons une coupe (par le calcul) de l’attracteur et
étudions cette section, dite de Poincaré (figure 8), correspondant à la trajectoire de la Lune
dans le problème des trois corps : que voit-on ? Tous les points où la trajectoire traverse le
plan de coupe dessinent une curieuse figure, celle d’un autre attracteur ! Un zoom sur celui-
ci montrerait une répétition des mêmes formes à des échelles de plus en plus fines.
La structure des attracteurs – et cela est valable quels qu’ils soient – reproduisent les
mêmes motifs, les spécialistes disant qu’elle est fractale, un sujet sur lequel j’avais déjà mé-
dité dans le passé (le 26-9-2013).
La transformation du boulanger
Bon, reposons-nous l’esprit avec deux simples exemples, le premier illustrant un système
chaotique non-linéaire, le second un système non (potentiellement) chaotique qui le devient.
B
A
ETC…
9 - Transformation du boulanger
A B
B A
8 – Section d’un attracteur avec répétition fractale
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Voici un système chaotique pris dans la vie courante : la « Transformation du Boulanger »,
ainsi nommée car elle illustre les opérations effectuées par un boulanger pour pétrir le pain
ou préparer sa pâtisserie. Que fait donc ce maître ? Il prend une boule de pâte, l’aplatit,
agrandissant sa largeur mais diminuant son épaisseur, puis coupe une moitié pour la placer
sur l’autre, recommençant le processus plusieurs fois. Le but est évidemment de bien mé-
langer la pâte. Les minuscules grains de farine vont parcourir ainsi tout le volume de la
boule, d’autant plus que le malaxage dure plus longtemps. Deux grains se jouxtant au départ
vont avoir des destins contraires, l’écart initial grandissant à chaque itération, et parcourir
toute la pâte. L’attracteur est ici la boule où les grains restent cantonnés et jouent à l’effet
Papillon.
Faites comme moi : programmez cette transformation sur votre ordinateur. Pour vous aider,
voici comment j’ai fait (figure 9) : au lieu de malaxer la pâte dans l’espace, j’ai travaillé plus
simplement en 2 dimensions où la boule est remplacée par un carré A B. En l’aplatissant, on
diminue sa hauteur
par 2 et on augmente
d’autant sa longueur.
Le carré est devenu
un rectangle A B (de
même surface) dont
on coupe la seconde
moitié B que l’on re-
place sur A, etc.
Comment bouge un
point choisi au ha-
sard ? Voici le résultat
de mon petit pro-
gramme développé
sur Excel (voir An-
nexe). Les schémas
10 et 11 représentent
25 itérations de 2
points pris au hasard,
dont les coordonnées
de départ sont quasi-
ment identiques, si-
tués sur une surface
de 10.000 par 10.000
points.
Que voit-on ? Les
trajectoires des points
se jouxtant au départ
se suivent lors des
premières itérations,
et ensuite commen-
cent à diverger rapi-
dement. Le petit écart
a pris de l’ampleur…
10
10-01-2019 ADAPR PETITE HISTOIRE DU CHAOS
Population
L’équation logistique
Mais passons maintenant au deuxième exemple montrant comment le chaos s’installe du fait
d’un léger changement d’un paramètre (et en généralisant d’un événement) d’un système.
Cela est illustré par une simple petite formule dite « équation logistique », prouvant que le
chaos se cache dans son déterminisme.
Imaginons un lac où une population X0 de poissons vivent un an et meurent après avoir pon-
du des œufs, ce qui l’année d’après va donner la population suivante X1. On considère que
la fécondité ou taux de croissance est R, c’est-à-dire que R individus vivants succéderont à
chaque poisson ayant pondu. En fin d’année suivante, il devrait donc y avoir X1 = R . X0 pois-
sons vivants, et l’année d’après X2 = R . X1, etc. À chaque itération, on prend la valeur de la
population présente pour calculer la nouvelle population. Pour plus de simplicité, on raisonne
ici en pourcentage d’individus par rapport à celui autorisé par les ressources, tous les X étant
par conséquent toujours situés entre 0 et 1.
Mais l’espace et la nourriture où vivent ces
poissons étant limités dans un environne-
ment donné, nombre de descendants ne
pourront survivre s’il manque des res-
sources. Pour tenir compte de cette limita-
tion, il faut modifier l’équation et y introduire
un terme de rétroaction (feedback en an-
glais), ce qui donne :
Population suivante X1 = R . X0 (1 – R . X02).
Ce terme (1 – R . X02) de feedback, toujours
inférieur à 1, freine le développement de la
population, car si la fécondité augmente
trop, il diminue. Ainsi, la population suivante
dépend des deux facteurs : population pré-
cédente et taux de fécondité, ce dernier
influençant fortement le destin des poissons
(quid des humains sur Terre).
Si le taux de croissance R est insuffisant, la
population va s’éteindre ; elle se stabilise au
bout de quelques années si R est conve-
nable, mais que se passe-t-il si R est trop
fort ?
Faites comme moi, programmez cette for-
mule et regardons ce qu’elle donne :
- avec un trop faible taux, R < 1, la popula-
tion disparaît effectivement.
- avec 1 < R < 3, le taux de croissance est
raisonnable et la population se stabilise
dans le temps à une certaine valeur (figure
12 haut). Tout est pour le mieux.
- en revanche, si R dépasse un peu 3 (figure 12 bas), la population va monter et descendre
alternativement sur deux valeurs qui, d’ailleurs, s’écarteront d’autant plus que R augmentera
jusqu’à…
Suspense, car on va alors voir la population gigoter dans tous les sens.
11 - Stabilisation de la population pour une fertilité
entre 1 et 3
Population
Temps
R = 2,9
Population
Temps
R = 3,1
12 – Stabilisation de la population pour une fertilité un peu au-dessous de 3, et sa variation
de période 2 un peu au-dessus
11
10-01-2019 ADAPR PETITE HISTOIRE DU CHAOS
Et le chaos fut
Amis, regardez-bien la figure 13 montrant
cette fois le nombre de poissons en fonction
du taux de croissance R :
- R < 1, la population disparaît, adieu !
- pour un taux inférieur à 3, la population se
stabilise à une certaine valeur ;
- si la fécondité 3 < R < 3,4495, la période est
2 (la population repasse par la même valeur
tous les deux ans ;
- avec 3,4495 < R < 3,56, période 3 et un
cycle de 4 ans ;
- après 3,56 < R < 3565, période 4, popula-
tions identiques sur un cycle de 8 ans ;
- de 3,565 jusqu’à 3,56999, les mêmes va-
leurs de population reviennent tous les cycles
de 16, 32, 64, 128, 256, 512 ans.... Cela peut
paraître aléatoire mais ne l’est pas puisque
les valeurs sont toujours les mêmes pour tous
les cycles successifs.
Ce n’est pas le chaos, mais on s’en approche
diablement.
Les spécialistes ont remarqué que la disposi-
tion de ces valeurs pour une fécondité proche
de 3,56999 est celle de l’ensemble fractal de
Cantor (voir sur Internet).
L’allongement des cycles se poursuit avec
chaque petit accroissement la fécondité
jusqu’à devenir infini au point d’accumulation
R = 3,56999. La très faible augmentation de
la fertilité (effet papillon) à ce niveau a rompu
l’équilibre très instable régnant auparavant, et
il s’effondre en une transition de phase bru-
tale, laissant place à ce qu’on appelle le
chaos.
Le schéma 14 est un exemple de ce chaos
pour une fécondité de 3,7. D’une façon erra-
tique, la population prospère ou diminue bru-
talement en passant par des valeurs diverses qui ne sont jamais les mêmes. Il se produit
une explosion non linéaire de la population contrecarrée par le feedback du manque de
nourriture.
Mais curieusement ce chaos, une fois établi, ne l’est pas définitivement. Un cycle intermé-
diaire de calme survient, la population oscillant à nouveau régulièrement sur plusieurs va-
leurs comme avant R = 3,56999, le chaos reprenant ensuite de plus belle, interrompu une
fois de plus par une période stable, puis par le chaos, etc., comme le montre les figures 15
se focalisant sur la variation de population durant la première période intermédiaire.
Popula-tion
Temps
R = 3,7
14 – Le chaos s’installe pour une fertilité au-dessus de 3,56999
Taux de croissance R
1 3 4
2 valeurs 3 < R < 3,4495
1 valeur 1 < R < 3
4 valeurs
3,4495 < R < 3,56
8 valeurs
3,56 < R < 3,565
16 valeurs et plus
3,565 < R < 3,56999
Population
13 – Multiplication des périodes pour chaque valeur
différente de la fécondité R
12
10-01-2019 ADAPR PETITE HISTOIRE DU CHAOS
On constate que le schéma d’évolution de la population, alternant les périodes de calme et
de chaos, donne une structure feuilletée se répétant à l’infini. On retrouve les fractales inhé-
rentes au chaos. À nouveau, le déterminisme a donné naissance à l’indéterminisme.
Quelques importantes réflexions
Attention, on ne doit pas prendre à la légère cette équation logistique, qui n’est pas qu’un
exercice de l’esprit. D’une manière simple, voire paraissant simpliste, elle est fondamentale
car elle explique bien comment les systèmes peuvent évoluer et ce faire vaincre l’entropie.
Gribbin dans son ouvrage décrit longuement ce qui se passe « au bord du chaos ». Il fait
référence au pauvre Alan Turing (1912-1954 ; c’est celui qui a décrypté les messages alle-
mands pendant la seconde guerre mondiale et est à l’origine des ordinateurs) qui a réfléchi à
l’évolution des systèmes chimiques où entrent en jeux un stimulateur et un inhibiteur, ce que
l’on appelé un « mécanisme de Turing », qui rappelle les deux termes fécondité et feedback
de l’équation logistique. Plus tard, on s’est aperçu que cela pouvait expliquer bien des phé-
nomènes du vivant, allant de son développement (une cellule, deux, puis quatre semblables,
… , jusqu’à l’apparition de cellules différenciées) à l’évolution darwinienne, en passant par la
disposition des taches ou zébrures du pelage de certains animaux comme les léopards,
zèbres et autres girafes…
On peut croire que les gènes de l’ADN, s’ils décrivent la forme générale des individus et
nombre de leurs caractéristiques, ne peut les détailler au millimètre près ; peut-être leur suf-
fit-il de libérer au bon moment des substances chimiques adéquats, stimulateurs et inhibi-
teurs, pour qu’ils agissent de concert et décident des particularités non fondamentales
propres à tout être vivant.
Ces forces antagonistes, quelle que soient leur nom, stimulateur et inhibiteur, fécondité et
feedback, action et réaction, qui s’opposent et finissent par générer le chaos et donc la di-
versité, semblent être le moteur de l’évolution du monde. Et bien sûr aussi dans le domaine
de l’astronomie/cosmologie bien moins complexe qu’un corps vivant. De l’équilibre des parti-
cules des premiers instants de l’univers, la gravité d’un côté et l’inflation de l’autre, comme
dans l’équation logistique ou le mécanisme de Turing, ont généré l’évolution en étoiles et
planètes contredisant l’entropie de la deuxième loi de la thermodynamique.
Période calme
intermédiaire
Taux de croissance R
Période chaotique,
etc.
Période calme intermédiaire (voir
schéma suivant)
Population
Période
chaotique
Période
2, etc.
État
stationnaire
Taux de croissance R
Période chaotique,
etc.
1 3 3,56
15 – Alternance des périodes chaotiques et calmes
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10-01-2019 ADAPR PETITE HISTOIRE DU CHAOS
Ouf ! Résumons
Bon ! Je pourrais continuer longtemps sur cette théorie du chaos décidemment bien fertile
que je n’ai fait qu’effleurer sans vraiment la déflorer. Il est cependant temps de résumer ce
que j’ai compris de toutes mes laborieuses lectures.
Selon Gleick, le monde scientifique d’avant avait des convictions :
- les systèmes simples ont des comportements simples ;
- les systèmes complexes sont dus à des causes complexes ;
- des systèmes différents ont des comportements différents…
Ces dogmes ne sont plus vrais depuis l’émergence du chaos il y a 50 ans où, peu à peu, on
a appris que :
- un système dynamique peut être sensible aux conditions initiales, étant alors un système
chaotique tel qu’étudié par la théorie du Chaos;
- un système simple (principalement avec feedback) peut avoir un comportement complexe ;
- un système complexe peut générer un comportement simple ;
- les problèmes non-linéaires, chaotiques, qui naguère étaient mis sous le tapis, ne peuvent
plus être ignorés ;
- le comportement apparemment erratique de tous les systèmes dynamiques n’est pas dû au
hasard ;
- l’indéterminisme se cache dans le déterminisme, et réciproquement ;
- tout système chaotique est soumis à des forces contraires générant la complexité,
l’instabilité, l’entropie négative, le déséquilibre (voir le sujet du 13, 20 et 27 novembre 2017),
donc la vie ;
- Le chaos n’a pu être étudié à fond que par les ordinateurs travaillant dans l’espace de
phase qui ont mis en relief l’importance du temps caractéristique, des attracteurs et des frac-
tals…
Ouf ! Mais j’arrête là ce sujet obsédant.
Oui, le chaos m’avait donné matière à réfléchir. Ces attracteurs étranges qui méritaient bien
leur qualificatif m’avaient attiré au point que, comme je l’ai dit, j’avais programmé l’équation
logistique et quelques autres sur mon micro pour le plaisir d’admirer - sinon de comprendre
tout à fait - les mystères de cette théorie du chaos. Cela avait été une révélation – une de
plus – me prouvant que le monde apparent se déguise comme un clown, ne nous montrant
que son nez rouge cachant aux non-curieux son vrai visage. Heureusement, j’étais curieux,
poussé par mon double à découvrir l’invisible…
Guy Vézian
Annexe page suivante
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10-01-2019 ADAPR PETITE HISTOIRE DU CHAOS
ANNEXE
Comment programmer la Transformation du Boulanger
.
Comme dit dans le texte, un grain de farine va parcourir toute la pâte au fur et à mesure des
itérations. La formule est simple, elle se trouve sur internet mais on peut la trouver soi-
même. Je la commente ici.
- Admettons qu’un grain (en bleu) soit en position X0 et Y0 sur la pâte représenté ici par un
carré AB de dimension 1 x 1.
- Le boulanger écrase la pâte en la diminuant de moitié et en l’étirant du double ; la position
du grain passe donc en Y0 / 2 et X0 x 2.
- Puis il coupe B qu’il replace sur A ; le mouvement du grain dépend alors de sa position
d’origine.
- Si le grain bleu est dans le rectangle A (dessin du haut), le mouvement de B ne le touche
pas et ses nouvelles coordonnées restent : X1 = X0 x 2 et Y1 = Y0 / 2.
- En revanche, si le grain bleu est en B (dessin du bas), il va revenir près de l’axe Y et re-
monter, ses coordonnées finales devenant : X1 = 2X0 – 1 et Y1 = Y0 /2 + 0,5.
(Évidemment, si le carré AB est de 10.000 sur 10.000, comme dans l’exemple plus haut, il
faut modifier les formules : X1 = 2X0 – 10.000 et Y1 = Y0 /2 + 5000).
Reste à programmer cela sur Excel, un jeu d’enfant.
- Une colonne pour les X, un autre pour les Y.
- Première ligne = coordonnées de départ X0 et Y0.
- Seconde ligne, après avoir mis un signe =, on écrit les formules précédentes donnant
X1 : si(X0<=1 ; X0 x 2 ; X0x2 – 1) ;
Y1 : si(X0<=1 ; Y0 /2 ; Y0 /2 + 0,5).
- Ensuite, il suffit de décaler ces formules vers le bas pour avoir autant d’itérations que l’on
désire, le résultat apparaissant immédiatement.
- Enfin, pour dessiner le diagramme en XY, il faut sélectionner les colonnes X et Y, puis cli-
quer sur « Insérer », puis sur « Nuage » et le type de diagramme, et éventuellement rajouter