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 PAGES CHOISIES DU Cardinal Pie I L'Ordre surnaturel Dieu Jésus-Christ La Vierge Marie L'Eglise LIBRAIRIE: H. O U D I N PARIS 24 , RUE DE COND É POITIERS RUE DU CHAU DRO K-D'OR , 9 I9l6
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Pages Choisies Du Cardinal Pie (Tome 1) 000000332

Jul 14, 2015

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CHOISIESDU

CardinalI

PieL'Ordre surnaturel Dieu Jsus-Christ La V i e r g e M a r i e L'Eglise

LIBRAIRIE:PARIS24, RUE DE COND

H.

O U D I NPOITIERSRUE DU CHAUDROK-D'OR, 9

I9l6

Biblio!que Saint Librehttp://www.liberius.net Bibliothque Saint Libre 2008. Toute reproduction but non lucratif est autorise.

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CHOISIESDU

Cardinal

Pie

LETTRE DE SA GRANDEUR MONSEIGNEUR L'VQUE DE POITIERS

CHERS MESSIEURS,

Vous avez voulu mettre en haut relie] et ranger mthodiquement les traits les plus frappants, les claires et fortes penses, les pages choisies dont sont enrichies les uvres de Monseigneur Pie, mon illustre prdcesseur. Je vous en flicite sincrement. Lame de Mgr Pie, de l'Hilaire moderne, est tout entire dans vos deux beaux volumes, comme aussi dans la consciencieuse tude que vous avez mise en tte. Le grand vque de Poitiers parle encore : defunctus adhuc loquitur. C'est, en effet, le privilge des grands hommes, plus spcialement des hommes d'glise, de ne pas mourir tout entiers. Or, le Cardinal Pie fut un grand homme d'glise. Il a donc une survie. Mort il y a bientt 37 ans, il vit dans ses lumineuses et substantielles Synodales, dans ses Lettres Pastorales, dans ses Discours et dans ses Homlies. Je vois avec une vive satisfaction que vous avez plac en vidence les passages qui fltrissent terreur du naturalisme sous toutes ses formes. Vous avez eu soin surtout de relever ceux ou le grand vque poursuit et stigmatise ce naturalisme moins rvoltant, plus dlicat, que l'on essaie de concilier avec la doctrine chrtienne et qu'on nomme libralisme.

VIII

LETTRE

DE

MONSEIGNEUR

L'KVKQUE

DE

POITIERS

11 est de bon ton, aujourd'hui, pour un catholique, de se proclamer libral, c'est--dire de se donner pour un homme ides larges, tendances gnreuses, ennemi, la fois, du despotisme politique et de l'intolrance dite clricale. Le librai est partisan des concessions et des compromis ; sans cesse on le voit sacrifier la thse F hypothse. C'est l'cole de la nuance. Cette cole voit partout du bon, du meilleur, du pire, mme en Dieu la Vrit suprme, la Bont souveraine. Cette cole renverse tout, puisqu'elle renverse F Absolu. Elle prpare l'avnement a l'athisme. Qui ne le voit l'heure prsente ? Or, voil ce que condamna si fortement le Cardinal Pie ; il anathmatisa cette erreur qui affaiblit les vrits, mutile les principes, et se contente de plaider les circonstances attnuantes en faveur de l'Eglise, comme si la royale Epouse du Christ tait en qute de pareils dfenseurs. (Test la vrit pure, toute la vrit, que doit revenir la socit actuelle; elle doit y conformer sa conduite, si elle ne veut mourir ou tomber dans l'anarchie : Est, est, non, non. Voil le vrai, voil le faux! Il ne peut y avoir de milieu. Puisse donc votre travail, Messieurs, dfaut des dix volumes d'( JK livres piscopales et des deux d'( o u v r e s sacerdotales de Mgr Pie, pntrer partout ! Puissent les prtres et les fidles y trouver charme et profit! Recevez, chers Messieurs, l'expression de mon affectueux dvouement en N.-S. Poitiers, le 2 8 juillet 1 9 1 O . y Louis,Kvque de Poitiers.

AVERTISSEMENT

Ces pages ont t runies par deux prtres du clerg de Poitiers, qui ont lu Mgr Pie, F un au presbytre de Nouaill\ dans la gloire mlancolique d'une ancienne glise abbatiale, et Vautre, au grand sminaire, dans les loisirs que lui laissaient les fonctions, elles seules dj laborieuses, d'un professeur et d'un directeur . Du sein de Dieu o il demeure, l'vcque de Poitiers n'aura point manqu de sourire ceux qu'il voyait penchs sur ses uvres en de tels endroits, lui qui s'intressait aux souvenirs de l'histoire poitevine autant qu' la thologie. El peut-tre aura-t-il pens : Ils sont bien, l, pour me comprendre.2

D'aucuns pourraient tre surpris que nous ayons pouss jusqu deux volumes, dimensions peu usites pour ce qu'on appelle des a morceaux choisis . Si nous n'avions vis que le but littraire (nous ne l'avons cependant pas nglig), un volume aurait suffi. Mais nos proccupations taient avant tout doctrinales, et, pour prsenter avec une ampleur seulement convenable la doctrine du cardinal Pie, il jallait deux volumes. Nous les avons faits aussi courts que possible, afin quon puisse dire de nos pages quelles sont vritablement choisies . Nous avions d'abord form le dessein de mettre en tte de chacun des extraits une brve introduction, pouri. M. l'abb Rabetle. 2. M. le chanoine Vigu.

AVERTISSEMENT

expliquer les circonstances ou l'uvre avait vu le jour. Mais, la pratique, nous y avons vite renonc, sauf quelques exceptions. Il suffit ordinairement, pour comprendre le texte, de savoir en gros les vnements les plus considrables de l'histoire de l'glise au dix-neuvime sicle. La lecture les suggre, quand on les a oublis. Si l'on dsire davantage, il sera facile de se reporter soit la Vie du cardinal par Mgr Baunard, soit ht longue tude tout la fois doctrinale et littraire qui prcde notre premier volume. Mgr Pie, avec son gnie si clair, n'aura pas de longtemps besoin du secours des commentateurs. Mieux vaut laisser ceux qui le lisent en contact direct avec lui. Tels qu'ils sont, ces deux volumes, nous en avons l'espoir, seront utiles beaucoup : aux tudiants des sminaires, qui ils procureront de ces lectures thologiques souvent dsires ; aux jeunes gens des classes de littrature, qui ils feront connatre quelqu'un dont la pense nous importe sans doute plus que le slyle, mais qui nen compte pas moins parmi les crivains les \dus distingus du dix-neuvime sicle; aux mes pieuses, qui aspirent nourrir leur Joi par la lecture quotidienne de fortes pages chrtiennement penses; tous les croyants, prtres ou simples fidles, qui, aujourd'hui plus que jamais, ont besoin de se maintenir dans la saine atmosphre de la pure doctrine catholique, et nous pourrions ajouter : tous les Franais que proccupe la question religieuse, l'ternelle question que l'on rencontre sous presque toutes les autres et 'dont seuls des esprits courts osent nier l'importance souveraine. L'uvre de Mgr Pie comprend douze volumes m- septembre 1915, il a remis sous les yeux de ses diocsains les travaux, la doctrine et les vertus de ce grand homme qui fut, pendant trente annes, la gloire vivante de l'glise de Poitiers . // a publi en mme temps un beau discours de S. m. le Cardinal Billot, o celui-ci dresse en regard des erreurs contemporaines les principes exposs et dfendus par le Cardinal Pie. Un service solennel a t clbr le $(i septembre dans la cathdrale de Poitiers. Enfin, pour couronner ces manifestations du souvenir, les seules que les angoisses du temps prsent aient permises, S m. le Cardinal (iasparri, au nom du Souverain Pontife lienoit XV, a daign fliciter Monseigneur rrqae de Poitiers de ce qu'il avait fait pour la date centenaire de l'voque cl du docteur qui, pendant les trente annes de son piscopat, fut par sa doctrine, par sa parole, par son action, une si grande lumire et une si grande jorce dans l'Eglise universelle et au sein de F piscopat franais , ajmlanl que ses proclamations loquentes des droits de la vrit et des principes fondamentaux sur lesquels repose la socit chrtienne nont rien perdu de leur utilit .m

a3 juillet igifi.

INTRODUCTION

Le Cardinal Pie

1

Mgr Gay, clans la belle oraison funbre qu'il a prononce du cardinal Pie, le j u g e en disant de lui qu'il fut en tout et avant tout an homme d'glise. Cette parole m'est revenue la mmoire bien des fois, je devrais dire chaque page, dans la lecture que je viens d'achever des douze volumes des uvres piscopales et sacerdotales, et des deux volumes de biographie publis en 1 8 8 6 par Mgr Haunard, qui rpondent si bien l'intention exprime par le vnrable auteur, aux premires lignes de sa prface, de faire une oeuvre de vrit, de justice et de paix grand mrite qui n'clate point dans toutes les biographies catholiques parues depuis lors. Homme d'Eglise ! On pourrait, Dieu merci, le dire de bien d'autres, dans ce beau groupe d'hommes distingus qui ont fait tant d'honneur l'piscopat franais du dernier sicle, l'espace d'une cinquantainef

1 . Nous tenons observer que cette tude a t compose en

iyi4, dans les mois qui ont prcd la guerre.

XIV

LE CARDINAL PIE PAGES CHOISIES

d'annes, de 1 8 4 0 jusque vers 1 8 9 0 . Les vques du dix-neuvime sicle ont t, en gnral, plus strictement hommes d'glise que leurs prdcesseurs de l'ancien rgime, ceux-ci avant vcu dans un tat social qui les voulait grands seigneurs et grands propritaires, les incitait quelquefois h se faire courtisans et leur donnait frquemment l'occasion de montrer des talents d'hommes d'Etal \ Le cardinal Pie, nonobstant l'humilit de sa naissance, n'eut point pass inaperu mme parmi les plus dignes de cet piscopal de l'ancienne Eglise gallicane, qu'il avait en haute admiration. Et cependant, venu dans un sicle o l'voque ne peut plus tre qu'homme d'Eglise, c est justement par l qu'il semble s'tre le mieux distingu des autres, l'ayant t en toutes c h o ses, au plus haut degr et de la plus belle manire; tel point qu'on peut se demander s'il y a dans sa vie publique une seule parole, une seule attitude, un seul geste qui ne soient impeccablement d'un h o m m e d'glise, et d'un grand homme d'glise, C'est cet homme que je voudrais tudier. Je ne referai point son histoire, mme pour l'abrger. Je regarderai plutt son me, essayant de lire ce qu'il avait dans l'esprit et dans le cur. Ceux qui l'ont vu de prs ne retrouveront probablement pas dans mes pages (et je m'en excuse d'avance) tout ce qu'ils ont gard dans leur mmoire. La gnration dont je suis1. O s affirmations n'expriment que des faits. On suppose bien qu'en 1*^ produisant nous fenlendons point diminuer un psropal qui, iliins l'ensemble, (ail M grande fijruro travers l'histoire le noire pa>s. Voir ce qu'en pensait M^r Pic, )>. de celle introduction. Voir aussi l'ouvrage de M. l'abb Sicard, VAncien Clcnji d? France.1

INTRODUCTION

XV

ne Ta point connu. Un geste bnissant que je n'aperois plus que dans le vague lointain d'un souvenir de ma premire enfance : voil tout ce que mes yeux ont vu de sa personne. Un cri de stupeur l'annonce de sa mort : voil tout ce que mes oreilles ont gard de ce qui fut proche de lui. C'est un inconvnient, coup sur, pour l'auteur de cette tude, qu'il n'ait pas vu le jour vingt ans plus tt. Mais peut-tre y a-t-il quelque compensation. Ne dit-on pas' d'un homme illustre comme d'Un monument : qu'on en juge mieux, le voir d'une certaine distance? Quoi qu'il en soit, s'il est un point sur lequel je ne me sens pas infrieur la gnration d'avant la mienne, c'est sur les sentiments que le cardinal Pie m'inspire. Je l'ai tudi avec une sympathie profonde, et je ne pourrai parler de lui qu'avec admiration et respect, dans le dsir que mes sentiments soient partags de tous ceux qui voudront bien lire ces pages.

I

La

prparation

Tout homme change invitablement au cours de son existence : Mgr Pie est un de ceux qui ont le moins chang. Le P. Longhaye fait une rflexion trs juste quand il crit : Qui lira ses discours de jeunesse aura tt vu que l'voque tait dans le prtre et le prtre dans le sminariste, nous oserions presque dire, le sminariste dans l'enfant . C'est une raison pour s'cnqu1

i . Le dix-neuvime sicle. Esquisses littraires et morales, t. V, 109.

XVI

LE

CARDINAL

PIE

PAGES

CHOISIES

rir des influences qui ont agi sur lui, dans ces annes o son Ame plus neuve pouvait beaucoup recevoir du dehors. Nommons d'abord sa more. Il aurait voulu, sans nul doute, qu'on la n o m m t la premire, tant il avait p o u r elle de tendre admiration. Humble fille du peuple, marie a tin cordonnier de village, celle femme tait grande par l'Ame. Ce qui manquait du ct des h o m m e s , a dit d'elle son fils, les dons heureux de la nature et de la grce y s u p plrent' . Elle vcut les vingt-huit dernires annes de sa vie 1 evch de Poitiers, c o m m e la reine de l'intrieur, entoure d'attentions aimantes et respectueuses; mais auparavant elle avait connu des j o u r s douloureux. Veuve 3a ans, prive de toute ressource, elle s'tait mise en service pour gagner le pain de ses deux enfants. C'tait une femme intelligente, d'un j u g e m e n t p r o m p l , mais droit; d'un c u r vaillant et fort, active la besogne et voulant que tout le m o n d e fut comme elle; bonne en m m e temps, d'un sangfroid imperturbable, hardie a la parole, et cependant dlicate et fine; de sorte (pie, sans perdre le sentiment de ce qui lui manquait, elle paraissait l'aise mme dans la socit la plus choisie. Souvenons-nous qu'elle a tenu sa place, et u n e place qui tait la premire, dans des rceptions qui runissaient l'vch ce qu'il y avait de plus brillant parmi la socit poitevine. Souvenons-nous qu'elle l'a tenue vingt-cinq ans, sous l'il attentif et lier de son fils, la louange de tous ceux qui passaient l. Ds lors u n j u g e m e n t s'impose nous : cette femme sans instruction, sortie du r a n g le

i.

ix,

:>s .a

INTRODUCTION

XVII

plus modeste, tait une femme vritablement suprieure. Son fils l'a aime comme peu de fils aiment leur mre. Raison de plus pour croire l'action de la mre sur le fils. Cette aisance de la parole et du mouvement qui donnait tant de charme sa conversation, cet esprit de dcision, ce sens du gouvernement dont il fit preuve un rare degr, ce got de l'autorit qu'il montra dans son temprament non moins que dans ses doctrines, de tout cela il y avait quelque chose dans la mre avant que ce fut dans le fils, et si le fils le possda si bien, c'est qu'il ie tint d'abord de sa mre. Croyons l'influence des mres sur Pme de leurs enfants : elle est facilement profonde, parce qu'elle s'exerce la premire, que de part et d'autre le coeur y aide, et que, souvent inconsciente, elle rencontre moins d'obstacles. Mgr Pie a rcompens la sienne par quelques lignes mues d'un de ses mandements et par une ample oraison funbre, l'exemple de Grgoire de Nazianze . Nul doute que ce ne soit pour l'humble femme un honneur dlicat, d'avoir son portrait, grav de la main mme de son fils, dans une uvre dont on doit dire qu'elle restera comme l'un des beaux monuments de la doctrine ecclsiastique au dix-neuvime sicle.1

Aprs l'empreinte de la mre, notons celle de la maison o Edouard Pie fit ses premires tudes, le petit sminaire de Saint-Chron, tout prs de la ville de Chartres. L'colier tait aimable, pieux, d'une intelligence la fois vive et rflchie. Il fut choy de tous et remporta de grand succs. Ses tudes furenti . I X , 45G et 578-603.

b

XVU1

LE

CARDINAL

PIE

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CHOISIES

classiques. Le romantisme alors tait trop jeune . il devait frapper longtemps la porte des maisons d'ducation avant d'v tre admis. Edouard fit en abondance des vers latins; il apprit la posie franaise, o il acquit bien vite une agrable facilit. Il chanta dans les deux, langues les malheurs de la maison de Bourbon et la premire communion du duc de Bordeaux. Son ducation, en somme, fut celle de beaucoup d'autres coliers de ce temps-l. Retenons toutefois que, par le petit sminaire, comme par toutes ses relations chartranes, il a grandi, il s'est form dans la religion (ce n'est pas trop dire) des principes lgitimistes. De Sainl-Chron il fut envoy Saint-Sulpice, o il passa quatre annes, de 1835 1809. Il acheva d'y devenir homme d'Eglise, en s'initiant aux tudes scripturaires. patristiques et thologiques, mais surtout en se faonnant, dans l'obissance et la prire, une ame de prtre. Il y a dans l'Eglise beaucoup d coles sacerdotales, el comme elles poursuivent avec des moyens peu prs identiques le mme idal, on est tenu de procder avec mesure quand on veut les diffrencier les unes des antres. Saint-Sulpice a pourtant sa nuance. Le respect du pass dans une soumission absolue l'Eglise d'aujourd'hui, le gont de la tradition joint une certaine indpendance du caractre, un vif souci de la dignit sacerdotale dans une grande simplicit de vie : voil, non pas ce qui n'appartient qu' Saint-Sulpice, mais ce qu'on y respire davantage. Je ne sais si Edouard Pie l'y a respir de son temps : ce qui est sur, c'est que Mgr Pie en a l'Ame tout imprgne, et de sa bouche il a lou ses matres, du haut de la chaire, en de beaux termes : Ce sont des hommes vnrables par leur simplicit comme par leur savoir, qui prati-

INTRODUCTION

XIX

q u e n t tous les j o u r s , sous les yeux de leurs lves, ce qu'ils leur enseignent, et q u i , trangers eux-mmes aux dignits de l'glise, portent sans orgueil le mrite d ' a voir prpar, depuis d e u x sicles, tout ce qui a le plus illustr l'piscopat et le sacerdoce franais L'une des grandes controverses qui s'agitaient alors d a n s les sminaires de France tait celle de l'autorit d u Pontife Romain. E d o u a r d Pie avait pris Chartres des convictions ultramontaines. Elles trouvrent de l'appui Saint-Sulpice dans l'approbation de trois professeurs, MM. Lalou, U u g o n et Icard. Ce qui peuttre les fortifia davantage, ce fut la contradiction d'un a u t r e , M. Gallais, qui professait d'ailleurs u n gallican i s m e adouci. Plus de vingt fois, raconte u n sminariste de ce temps-l, j ' a i vu cette question avec ses annexes se dbattre au quart d'heure (le quart d'heure de discussion qui suivait c h a q u e cours). Lorsque quarante ans plus tard elle a t porte si vivement devant Popinion, j e ne crois pas qu'alors ni les livres, ni les j o u r n a u x , ni la chaire chrtienne n'aient rien appris que dj j e n'eusse vu abord et puis par l'abb Pie, d a n s ces discussions auxquelles M. Gallais se prtait de b o n n e grce, sans s'offenser j a m a i s de se voir contredit et m m e pouss b o u t par ce jeune h o m m e de bon ton, dont la modestie galait le savoir. De son cot, le disciple restait l'admirateur et Pami de son matre, et aprs la victoire, il se gardait de jamais alicher u n t r i o m p h e que nous tions d'autant plus ports lui dcerner-. Mgr Pie conserva toujours la Compagnie de SaintSulpice u n souvenir reconnaissant, il leur offrit soni. IV, n / | . 2. .Mgr Bauuard, I, AQ.

LE CARDINAL PIE

PAGES CHOISIES

sminaire en i 8 5 o \ Jl voulut qu'ils fussent reprsents dans les commissions prparatoires au concile du Vatican cl il y fit nommer M. Le H i r . Impossible de citer tous les tmoignages qu'il leur rendit. Disons encore qu'il prit leur dfense au concile de la Rochelle et Rome, contre les outranciers des doctrines romaines, qui, a cette occasion, le dnoncrent lui-mme comme tant le chef d'un parti semi-gallican. Nous sommes cent lieues, crivit-il alors M. Carrire, suprieur gnral de Saint-Sulpice, d'avoir par l acquitt suilisainment notre detle personnelle de reconnaissance envers nos matres : combien moins celle de nos diocses et de toute l'glise de France, envers l'Ecole o toutes les gnrations ecclsiastiques ont puis les principes fondamentaux du dvouement ce Saint-Sige dont les doctrines seraient soutenues par vous jusqu'au martyre. Et quant aux applications de dtail de ces principes, je veux dire, quant certaines opinions plus extensives des droits du Saint-Sige, je dclare, pour ma part, que, les ayant toujours prfres aux opinions plus restrictives de ces mmes droits, je n'ai jamais rencontr un blme ou une contradiction Saint-Sulpice, pendant le cours de mon ducation thologique .2 3

On ne saurait pas tout ce que Dieu a vers de grces dans l'Ame d'Edouard Pie, si nous ne parlions de M. Lecomlc cl de Mgr de Clausel de Montais, l'un cur de la cathdrale el l'autre voque de Chartres. M. Lecomlc tait un prtre aussi modeste que distingu, qui on avait offert, sans l'mouvoir, les trois\. Mgr lnrnard, I, Aao. a. Quand la nomination parvint Paris, M. Lcllir >cuail d'expirer. 3. Mgr Ban riant, \, 5 i 4 .

INTRODUCTION

XXI

vchs du Puv, de Sez et de Clermont. Ultramontain et infaillibiliste, il se plaisait fort la lecture de Joseph de Maistre. Orateur la manire de Fnelon et de saint Franois de Sales, il excellait d a n s le genre antique de Phomlie familire, lisant en chaire le texte biblique et tirant de l des applications morales trs gotes de ses auditeurs. Ses premires relations avec Edouard Pie dataient de Pontgouin. Il avait protg l'enfant et l'adolescent : il fut le.pre spirituel du j e u n e prtre, le pre de son esprit et de son cur. Gardez votre style lgant, noble, dlicat, limpide c o m m e votre pense, lui disaitil. Expliquez surtout le texte divin la faon des sicles antiques : c'est fcond et vari l'infini. Ne vous bornez pas a u x formes grecques et romaines : c'est u n e belle partie du beau, mais le beau complet n'est que dans les Livres sacrs. Soyez d'Athnes, soyez de Tiome; mais surtout soyez b i b l i q u e . 1

On sait si le conseil fut suivi. La douleur de Mgr Pie fut i m m e n s e la mort de M. Lecomte : Laissez-moi vous le dire, crivait-il, j e n'ai aim en ce monde que lui d'un semblable a m o u r ; il fut toujours pour moi u n tre part. Que de fois j ' a i remerci Dieu de tant de dons accumuls dans cette m e ! Je n'ai jamais c o n n u ni u n pareil c u r , ni une pareille intelligence. J'ai u n peu vu les h o m m e s qu'on appelle minents : il les dpassait tous par quelques endroits... Pardonnez m a faiblesse; m a mre, qui est auprs de moi, fond en larmes et mle ses sanglots a u x m i e n s . 2

Quel h o m m e minent aussi, quelle figure originale et intressante que Mgr Clausel de Montais! C'tait u ni Mgr Baunard, I, 22G. 2. Ibid., I, 332.

XXII

LE CARDINAL PIE

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gentilhomme rouergois, comme ses amis Frayssinous et Ronald. Il tait venu Paris en compagnie du premier, quelques annes avant 1 7 8 9 . La Rvolution le trouva Saint-Sulpice ; quatre-vingt-treize ne l'empcha point de prendre du service dans l'Eglise. Devenu, sous la Restauration, aumnier de Madame la Dauphine, duchesse d'AngouIme, l'amiti de Frayssinous le fit nommer Pvch de Chartres. Il un tait digne par son noble caractre et son talent. C'tait une nature loyale, indpendante et fire, nergique jusqu' la rudesse. Une- de ses maximes favorites tait qu'il fallait en religion comme en politique un gouvernement fort. 11 la pratiquait dans la direction de son diocse. Mais, s'il se faisait craindre, il savait encore se faire aimer; car ce grand seigneur avait Pme affectueuse et tendre. Sa conversation tait rapide, spirituelle, amusante, avec des mots imprvus, des explosions d'une joie presque enfantine. Il contait ravir, et, comme il avait beaucoup frquent les hommes, il avait toujours quelque chose conter. Les salons lui dcernaient des triomphes. Il prfrait des batailles pour 1*Eglise. Des premiers, il engagea la campagne pour la libert de l'enseignement, et de i8/|i i85o, lant plus que septuagnaire, il trouva moyen d'crire, en un style alerte et mordant, plus de quarante lettres ou brochures, qui firent un grand effet. Tel tait le prlat qui, rencontrant Edouard Pie au petit sminaire, avait devin tout ce qu'il y avait en lui d'esprance. Il le ft, 3 j ) ans, son Aicaire gnral. Toujours il l'aima d'une belle tendresse, et le vicaire gnral, plus tard vque de Poitiers, le lui rendit en une vnration filiale.

INTRODUCTION

XXIII

Non qu'ils fussent toujours d'accord. Clausel de Montais tait trop de l'ancien rgime : il aimait le pape, mais non le pape infaillible; il ne voulait point de la liturgie romaine, il avait peu de got pour l'art gothique : toutes questions sur lesquelles le vicaire gnral avait des convictions depuis longtemps faites, et clans u n sens absolument contraire. De l, entre eux, de vives discussions, mais aimables et qui ne portaient a u c u n e atteinte aux sentiments que ces deux nobles c u r s prouvaient l'un pour l'autre. Dans l'intimit de son voque, l'abb Pie gagna beaucoup. Ce qu'il y gagna, j e n'ai pas besoin de le chercher longtemps. Lui-mme n o u s le donne entend r e , dans u n e belle page de l'oraison funbre de Dom Guranger, o, parlant des relations que le grand m o i n e avait eues dans sa jeunesse avec Claude de la Myre, vque d u Mans, il le fait d'un accent si personnel et si m u qu'il nous y laisse voir son propre c u r : La Providence, dit-il, lui mnagea un autre lment de formation que rien ne peut suppler dans la prparation d ' u n h o m m e d u sanctuaire : je veux dire, il lui fut donn de vivre quelque t e m p s auprs d'un vque qui avait plong ses racines dans la tradition de l'ancienne socit et de l'ancienne glise de France... Ce que le j e u n e prtre recueillit de ses entretiens intimes avec ce prlat et du contact quotidien avec sa noble famille et avec les survivants de l'ancien m o n d e laque et ecclsiastique qui venaient le visiter dans sa retraite Paris/ i m p r i m a sur son caractre et sur sa vie un cachet qui ne s'effaa j a m a i s . H o m m e de lutte et de raction, on retrouvera chez lui, jusque dans les conflits les plus ardents et les contradictions les plus nergiques, ce t e m p r a m e n t de langage et ces accents de

XXIV

LE CARDINAL PIE PAGES CHOISIES

modration qui dclent la force en mme temps que la courtoisie... Pour moi, je n'hsite point le dire : il est impossible d'avoir tudi et frquent les hommes et les choses du pass ecclsiastique de la France, sans demeurer sous une impression profonde d'admiration et d'estime, et toute bouche sacerdotale qui se respecte, s'criera avec Joseph de Maistre : Elle a pri, cette sainte, celte noble glise gallicane! Elle a pri, ert nous en serions inconsolables, si le Seigneur ne nous avait laiss un germe . 1

Ne dirai-je pas quelques mots de Notre-Dame de Chartres? Elle doit compter parmi ceux qui ont fait l'ducation d'Edouard Pie. Et je ne parle pas seulement de la gante glise qui crase les maisons de la ville et s'aperoit de loin sur les horizons plats de la Beauce; je parle encore de la Vierge en l'honneur de qui l'glise a t construite, le grand corps de pierre tant insparable de celle qui en est l'urne. De bonne heure, il tait venu s'abriter prs d'elle. Adolescent, il y priait (lui-mme nous le dit) des demi-journes entires ' >. C'est l qu'il reut la prtrise, l qu'il clbra sa premire messe, l qu'il accomplit les premiers travaux de son ministre, l qu'il lit entendre la plupart des grands sermons de sa jeunesse. Aussi il Pa aime, il Pa chante avec enthousiasme, et il pleura sur elle de vraies larmes, quand, devenu vque, il lui fallut partir pour Poitiers.1

La cathdrale de Chartres, ses yeux l'ont vue comme un vtement splendide, tiss par les gnrations chrtiennes en l'honneur de la Mre de Dieu, et s'il a aim la Mre de Dieu pour elle-mme, il Pa aime plus teni. IX, 3S-3y. a. Mgr Haunard, i, a.

INTRODUCTION

XXV

d r e m e n t et plus firement dans la magnificence de sa p a r u r e chartraine. La cathdrale de Chartres, elle lui est apparue c o m m e u n e vision d'art, de patriotisme et- de foi, et q u a n d il promenait sur elle son regard, il se sentait fortifi dans son admiration p o u r ce moyen ge o il estimait te plus parfaitement ralis l'idal qui tait le sien en art, en politique et en religion. La cathdrale de Chartres, il la voyait encore comme u n grandiose tableau d'histoire nationale et catholique. Ds sa jeunesse, la pense lui vint, et m m e il fit le v u d'crire cette histoire, il est vrai qu'il n'a j a m a i s eu le temps d'excuter son vu et qu'il s'est content de mettre dans quelques beaux discours les fragments du livre rv. Nous voyons la, cependant, la manifestation premire de ce got qu'il eut toujours trs vif p o u r les tudes d'histoire, comme en tmoignent tant de pages de ses u v r e s . Croyons donc que Notre-Dame de Chartres lui a dpos dans f a m beaucoup de choses, et certainement de celles qui poussrent en lui les racines les plus tenaces. On pourrait signaler encore, parmi les hommes dont l'influence a le plus m a r q u dans la vie de Mgr Pie, Dom Guranger et l'abb Gay. Mais ils sont venus plus tard, c o m m e des auxiliaires et des amis, non c o m m e des matres. Mgr Haunard crit, propos de la rencontre avec le premier : On ne saurait assez admirer, dans cette vie marque de tant de grces, avec quelle attention la Providence lui m n a g e toujours, l'heure voulue, la rencontre des h o m m e s qu'elle veut faire m a r c h e r avec lui ou devant lui \ C'est trs juste.i. Mgr Baunard, , 1:17.

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CARDINAL

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Dieu, qui destinait le petit enfant de chur de Pont* gouin tenir un rle considrable dans l'glise, a tout dispos d'avance pour l'y prparer. L'ayant sorti de son humble condition, il l'a fait monter vers ce qu'il y avait de meilleur selon les clarts de la foi en mme temps que de plus distingu selon le jugement du monde, afin qu'il reut une ducation de choix. L'enfant tenait de sa mre de solides vertus. D'autres vinrent ensuite, qui lui en transmirent de plus brillantes. Il connut par Saint-Sulpice l'esprit de M. Olier et des prtres du dix-septime sicle. A l'cole de M. Lecomte et de Mgr Clausel de Montais, il continua d'avoir sous les yeux de beaux exemplaires du sacerdoce franais, nullement en contradiction avec les premiers, et prs d'eux il s'imprgna des principes de Joseph de Maistre et du vicomte de Donald sur le gouvernement des socits humaines. Dans le mme temps les hautes relations qui partout lui furent mnages, et qu'il rechercha volontiers, il faut le dire, lui donnrent, dans un ordre de choses plus changeant, de belles convictions aristocratiques avec de nobles manires. Que si quelques-uns ne trouvent pas tout louer dans cette ducation, libre eux de se rappeler la loi inluctable qui veut qu'il n'y ait rien de parfait dans les arrangements de ce monde. Nous de\ons du moins reconnatre, dans les influences bienfaisantes qui se sont exerces sur l'enfance et la jeunesse d'Edouard Pie, de vritables attentions providentielles l'gard de celui qui devait tre le grand vque de Poitiers.

INTRODUCTION

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II

Le docteur de la vrit surnaturelleLes principaux actes de Mgr Pie sont des enseignements. vque, il fut premirement un docteur, et un docteur au sens le plus complet, le plus ecclsiastique de ce mot. J'entends par l un vque (car il n'y a, dans Fglise, que Pvque qui puisse tre pleinement et par mission divine un docteur), donc un vque qui, tant profondment pntr de la doctrine chrtienne, ne met rien au-dessus d'elle; la dfend contre toutes les agressions du dehors et toutes les tentatives d'altration au-dedans; la prche temps et contre-temps, comme le voulait saint Paul, opportune, importune, pour qu'elle demeure forte, limpide et pure dans les esprits ; enfin se tient toujours prta intervenir en chacune des controverses, en chacun des vnements de son poque, pour y placer le mot doctrinal, le mot chrtien. Telle fut l'altitude de Mgr Pie, durant les trente annes de son piscopat, 11 fut le docteur de la vrit surnaturelle contre le naturalisme, le docteur de l'autorit divine contre le libralisme catholique, le docteur de l'unit romaine contre les derniers tenants du gallicanisme, le docteur de tous les principes obscurcis ou en pril. Le naturalisme parut ses yeux comme le grand mal de notre temps. Le naturalisme est ce systme qui nie toute intervention surnaturelle de Dieu dans le monde ou prtend, s'il en existe quelqu'une, n'en tenir aucun compte, la

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nature se suffisant elle-mme pour le bien et n'ayant, ni en cette vie ni dans l'autre, de destine qu'elle ne puisse atteindre par ses propres forces. Mais le christianisme, qu'est-ce autre chose qu'une intervention surnaturelle de Dieu dans le monde? Qu'est-ce autre chose que Dieu rvl aux patriarches, Mose et aux prophtes, rvl plus parfaitement et communique en plnitude par Jsus-Christ, communication qui se prolonge dans l'glise au plus intime de chacun de nous par la grce, en attendant la communication lumineuse et batifique de l'ternit? Et si Dieu se c o m m u nique ainsi, ce n'est que par un libre don de son amour, sans que nous y ayons aucun droit, sans que nous trouvions dans notre nature aucune puissance capable de l'attirer de force jusqu' nous. Le christianisme est donc essentiellement surnaturel, et le naturalisme, qui le nie ou prtend s'en passer, n'est pas une hrsie particulire, mais l'hrsie radicale, la synthse de toutes les hrsies, le pur antichristianisme. Mgr Pic le dit en termes nergiques : L'hrsie nie un ou plusieurs dogmes; le naturalisme nie qu'il y ait des dogmes, et qu'il puisse y en avoir. L'hrsie altre plus ou moins les rvlations divines; le naturalisme nie que Dieu soit rvlateur. L'hrsie renvoie Dieu de telle portion de son royaume; le naturalisme l'limine du monde et de la cration... 11 s'ensuit que sa loi fatale, son besoin essentiel, sa passion obstine, et, dans la mesure o il y russit, son oeuvre relle, c'est de dtrner le Christ et de le chasser de partout : ce qui sera la tche de Tantcchrist, et ce qui est l'ambition suprme de Satan '.

i.

VII,

HJS-IQ'I.

INTRODUCTION

L'vque a vu venir l'ennemi de loin, dans l'histoire. Il Ta vu marchant sur les pas de Luther. Non que celui-ci rejett le surnaturel : il l'exagrait plutt, en le faussant sur plusieurs points essentiels et en dprciant l'excs la nature pcheresse. Mais Luther a ni l'autorit de l'Eglise et, par cette ngation, il a ouvert, dans le rempart de la socit chrtienne, la brche par o devait,passer tt ou lard le naturalisme. C'est une des penses les plus chres de Mgr Pie, latente en bien des pages de son uvre et souvent exprime, que celle de l'alliance ncessaire de l'autorit avec la vrit, dans Tordre naturel autant que dans le surnaturel, la vrit donnant l'autorit les tilres dont celle-ci a besoin pour tre lgitime et commander l'obissance, et l'autorit, en retour, se dressant comme la protectrice de la vrit contre les puissances d'gosme, d'orgueil et de corruption que le pch originel a dchanes dans le monde. Ds le commencement, Dieu avait voulu qu'il en fut ainsi, puisqu'il avait confi sa parole l'autorit d'une tradition, la tradition patriarcale, puis la tradition juive. Le Christ a gard cette sage conomie : en mme temps qu'il nous donnait sa rvlation, il instituait l'Eglise, et mme, la rvlation chrtienne tant faite de vrits plus hautes, plus difficiles et plus nombreuses, l'autorit protectrice y a t constitue plus forte et mieux garantie que celle d'auparavant. Mais Luther a fait fi de l'autorit, il a remplac l'glise par le libre jugement de l'individu, et ds lors la vrit chrtienne s'est trouve en proie tous les dchirements. Elle est pour nous singulirement instructive, l'exprience poursuivie par les protestants depuis trois sicles. Les pres avaient ni que Dieu ft dans l'-

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glise; les fils nirent leur tour que Dieu fut dans r criture ; et du sein mme de ce protestantisme sortirent des voix qui nirent, ds la fin du dix-septime et surtout dans le cours du dix-huitime sicle, que Dieu ft en Jsus-Christ : en attendant qu'une race plus descendue et plus perdue, mais que les premiers rvolts n'avaient pas le droit de dclarer illgitime, et l'audace d'affirmer que Dieu n'est nulle part'. Ce naturalisme issu de la Rforme a des degrs. 11 y a le naturalisme diste, qui, tout en s'inclinant devant Dieu, rejette la rvlation, soit qu'il en "nie l'existence ou la possibilit, soit qu'il en conteste seulement le caractre obligatoire. Il y a encore le naturalisme panthiste; puis, au-dessous, le naturalisme matrialiste et athe. Si do Tordre des doctrines nous passons dans celui des faits, nous rencontrons le naturalisme pratique, soit de l'individu, soit de la socit. Le premier n'est que l'abstention lche ou inconsquente du croyant par rapport un devoir que, dans son for intrieur, il reconnat. Le second est ce systme d'aprs lequel Tlment civil et social ne relve que de Tordre humain et n'a aucune relation de dpendance avec Tordre surnaturel- . Mgr Pie aime faire voir qu'il se confond, au moins partiellement, avec le libralisme de ces catholiques qui, acceptant la prsence et Taurit de Jsus-Christ dans Tordre des choses prives et religieuses, l'evincent seulement des choses publiques et temporelles" . Il signale encore, tout au plus bas, comme la consquence dernire de toutes les fausses doctrines, le socialisme; car la socit, dit-il, mme aprs qu'elle a mconnu Dieu, trahi Dieu, expuls Dieu,i. VU, if)i. - 2. V, 170. 3. V, .'.G.

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est oblige, sous peine de mort, de s'attribuer et d'exercer des droits divins , et p o u r cela, en haine des lments conservateurs qu'elle est force de retenir, elle se voit en butte toutes les agressions dont l'ordre surnaturel avait t le point de mire. A son tour, elle estla grande ennemie, la grande usurpatrice, le grand tyran, le grand obstacle, qu'il faut renverser et dtruire tout prix... Et ainsi, d n g a t i o n s en ngations, le naturalisme conduit la ngation des bases mmes de la nature raisonnable, la ngation de toute rgle d u juste et de l'injuste, par suite du renversement de tous les fondements de la socit' . Laissons le naturalisme pratique pour nous en tenir celui de la doctrine. Mgr Pie en traite dans ses trois Instructions synodales sur les principales erreurs du temps prsent publies en 1835, iS58 et i863 (retenons ces dates), ainsi q u e d a n s une autre instruction synodale, donne en 1 8 7 1 , sur la premire constitution du Concile du Vatican. Presque tout est doctrine dans l'vque de Poitiers ; mais c'est l ce qu'il a crit.de plus doctrinal. Les instructions synodales sont une uvre part dans la littrature religieuse du dix-neuvime sicle. Elles ont paru au temps o les vques, les politiques, les journalistes faisaient des brochures. Elles en ont les dimensions, et cependant ce ne sont point des b r o c h u res. Il n'y a qu'elles qui aient t, comme le titre nous le dit, adresses au clerg assembl pour la retraite et le synode diocsain. Je ne vois rien qui leur ressemble. Raison de plus pour chercher avec attention de quel point de vue regardait l'auteur, q u a n d il les crivait ou1.VII,

19O.

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LE CARDINAL PIK PAGES CHOISIES

les prononait. Sinon, nous risquerions de n'y rien comprendre, par consquent d'en juger avec une complte injustice, et mme l'incomprhension comme l'injustice porteraient sur toute l'uvre de l'vque de Poitiers, parce que toute son uvre, si ecclsiastique, a t labore de ce mme point de vue. N'a-l-il pas dit, dans une allocution prononce pour la clture d'un synode, le jour de la fle de saint Bonaventurc, que le docteur lve toujours la voix du centre de l'glise ? In medio Ecclesi aperuit o$ e/us. u Quelque point de la circonfrence qu'occupent celui qui parle et ceux qui on parle, le docteur, en tant que docteur, se place toujours au centre de l'glise : autrement, il ne serait plus le docteur de l'glise universelle. Rien donc de local, de particulier : aucun prjug de nation, aucun got de terroir; la doctrine de Jsus-Christ dans toute son ampleur . Mgr Pie ne pouvait marquer en des termes plus heureux sa propre position dans l'glise. Lui aussi, et toujours, il parle du centre, de ce centre o il y a Dieu, Jsus-Christ, l'glise et Rome unis indissolublement, centre lev, centre unique, d'o la vrit rayonne sur le monde entier avec une force, un clat, une puret incomparables. C'est l qu'il se tient inbranlablement. Et de l il regarde tous les hommes, mais particulirement les chrtiens, qu'il a pour rle de maintenir dans la pure lumire, cette puret de la lumire tant d'ailleurs le moyen le plus actif pour clairer mme ceux qui sont assis l'ombre de la mort . De l aussi il regarde les doctrines, les repoussant impitoyablement ds qu'elles se dressent contre la vrit chrtienne, soucieux avant tout de les juger dans la lumire d la1

i . V1U, iG3.

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xxxin

rvlation venue de Dieu, dont il est par vocation, lui, pontife, le dpositaire, l'interprte et le vengeur. On pourrait dire : Cette proccupation de la vrit chrtienne n'appartient pas en propre l'vque de Poitiers ; elle se voit dans n'importe quel vque instruisant ses fidles, dans n'importe quel thologien, philosophe ou apologiste qui entreprend cle dfendre ou d'exposer sa foi. Sans doute, et Dieu ne plaise que Mgr Pie soit seul lever la voix du centre de l'Eglise, dans la p u r e lumire. Mais il le fait avec une force, une a m p l e u r , u n e continuit, une justesse et une autorit qui le mettent part des autres; si bien qu'il trouve sa plus parfaite originalit l mme o on serait tent de croire qu'il ne p o u r r a pas s'empcher d'tre banal. C'est par l'autorit de son accent que peut-tre il saisit davantage. Il ne parle j a m a i s qu'en vque, tamquam auctorilatem habens. Avec la force de son talent personnel, dj trs grande, il porte en lui la force de l'Eglise, et ses Instructions synodales auront beau paratre en b r o c h u r e s , ce sont des actes d'autorit, et d'une autorit piscopale. Il y parle ses prtres, et, derrire ses prtres, il voit les fidles qui sa parole sera transmise. Pasteurs et troupeaux, la g r a n d e affaire est de leur donner la vrit p u r e , de les prserver de l'erreur. 11 prsente donc la vrit g r a n d s traits, il met Terreur en face p o u r qu'on la connaisse et qu'on s'en dlie; il rfute vigoureusement, s'il le croit ncessaire; mais surtout il expose, il qualifie, il condamne, et pas u n e ligne o ne se rvle, trs fier, le sentiment qu'il possde, lui, voque, la vrit, et q u e l'erreur^est une chose vile, mprisable, infernale, contre laquelle il bataillera sans trve ni merci.

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Entrons maintenant dans le dtail des instructions synodales : nous les comprendrons sans peine, nous avons la clef de sa mthode. Voil qu'il dnonce une des formes les plus audacieuses du naturalisme, le panthisme idaliste de Renan et de Vacherot. N'attendez pas qu'il entreprenne une discussion philosophique avec le panthisme : il sortirait de son domaine propre qui est celui de la rvlation. Au lieu de discuter, il expose. Il expose, pour le faire voir dans toute son horreur, ce blasphme d'un Dieu qui n'est que l'idal conu par l'esprit de l'homme, d'un Dieu qui n'existe pas, mais qui u sera peut-tre un jour , le monde tant en marche vers lui dans un incessant devenir. Et, la suite, il expose encore la doctrine chrtienne du Dieu esprit et amour, distinct du monde, tel que le dit la raison sans nul doute, mais surtout tel que le dcouvre la foi. Les deux exposs ne sont, d'ailleurs, qu'un loquent chapitre du concile d'Agcn. L'voque de Poitiers en est le principal auteur, il ne voit rien de mieux que de le transporter tel quel dans sa troisime synodale. JNe jugeons pas le procd trop facile. Mgr Pie parle en voque, et il poursuit un but essentiellement pratique. Il n'a pas devant lui des philosophes panthistes convaincre d'erreur; mais des,croyants, ses diocsains, qu'il veut mettre en garde (besogne moins vaine) contre un pril doctrinal. 11 lui, suffit de la mthode expositive, cl il prend sans hsitation le texte qu'il a fait adopter au concile, parce que l'autorit du concile dpasse encore la sienne. D'ailleurs la mthode est loyale; l'expos, exact; on ) voit que levquc a longuement rllchi sur les erreurs qu'il condamne, et au texte du concile sont adjointes des pices justificatives

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contenant les extraits des u v r e s de MM. Vacherot, a i n e , Renan, P r o u d h o n , etc. , pas du matrialiste Littr, le docteur catholique n'ayant pas cru devoir descendre j u s q u ' a u x doctrines de M. Littr* . On a dit qu'il n'avait pas souponn l'avenir de l'cole nouvelle qui tendait alors remplacer le spiritualisme dj vieilli de V. Cousin. Ce n'est pas juste. Il est vrai q u ' e n i838, dans sa deuxime synodale, il paile avec u n g r a n d mpris cle a i n e et de Renan, ne voulant voir en eux que de pauvres disciples des philosophes antrieurs, Les matres, parce qu'ils ont t les matres, laisseront leurs n o m s l'histoire, qui les enregistrera p a r m i les adversaires plus ou moins clbres de la vrit ; les disciples, parce qu'ils ne sont que disciples, nonobstant leur esprit plus fin et plus dli, nonobstant m m e quelques aptitudes littraires ou scientifiques plus dveloppes peut-tre, seront inconnus dans vingt ans ; et je doute que les futurs professeurs d'histoire de la philosophie songent dmler la nuance qui spare de leurs pres ces fils rebelles et irrespectueux*. Un tel j u g e m e n t , certes, nous tonne, nous qui avons vu la matrise puissante exerce depuis plus de cinquante ans (et ce n'est pas fini, bien que le dclin soit venu) sur presque tous les esprits par un Taine et un R e n a n . Mais n'oublions pas que Mgr Pie crivait en i858, alors que Taine et Renan n'taient encore qu' leurs d b u t s . N'oublions pas que l e v q u e jugeait en voque et q u e , de ce point de vue, la philosophie de Taine et de Renan, c o m m e celle de Cousin, pouvaient s'appeler du m m e n o m , l'antichristia-

i. \ \ ;>C, M. i. 2. III, 2ho. C'est nous qui soulignons la fin du texte cit.

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n i s m e . Le g r a n d mpris qu'il affectait pour les nouveaux philosophes n'avait-il pas sa cause dans le d a n g e r m m e qu'il voyait poindre avec e u x ? Car c'est leur sujet qu'il crivait, dans la synodale que nous avons cite : La menace de l'avenir est l" , et c'est encore leur sujet qu'il poussait, cinq ans plus tard, un nouveau cri d'alarme : Nobis Deus prirlilatar : Dieu est en pril pour la gnration contemporaine' . Cela dit, nous devons reconnatre que les grandes luttes doctrinales de Mgr Pie n'ont pas t contre le positivisme (il semble ignorer ce mot), le p a n t h i s m e ou le matrialisme, mais contre le spiritualisme que V. Cousin et J. Simon voulaient difier dans la mconnaissance de toute rvlation. Lui-mme le dclare : Ces erreurs (dit-il en parlant des premires) ne sont pas les plus prilleuses, parce que l'athisme, qui en fait le fond, n'est pas susceptible de se gnraliser. Au contraire, le naturalisme diste est la plaie la plus u n i verselle et la plus fatale de ce t e m p s . Il avait raison. Et la forme du disme la plus dangereuse tait encore la plus attnue, celle qui, vitant la ngation franche de la divinit du Christ, le couvrait au contraire de protestations respectueuses, mais dclarait pouvoir se passer de lui.1 1

La religion chrtienne, disait-on, est sans contradiction possible le don le plus exquis que l ' h o m m e ait jamais reu de Dieu. Mais la philosophie spirilualistc vaut peu prs la religion chrtienne. Ce sont deuxi. Ou trouverait aussi plus (Tune ide c o m m u n e entre le spiritiinlisiiio \i:

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l'difice de la philosophie et de la morale naturelle : (Mitre que cette prtention est impie, disent les Pres de Prigueux, elle est trs vaine. Car tandis que ces h o m m e s , par une fraude indigne, omettent et s u p p r i ment Jsus-Christ, tandis qu'ils l'touffent en quelque sorte dans leur perfide silence, l'il le moins exerc ne larde pas reconnatre que la philosophie qu'ils produisent devant nous est sottement habille de lambeaux c et l dtachs de l'Kvangile. A In vrit, si, avant les j o u r s de Noire-Seigneur Jsus-Christ, nous eussions entendu ces mmes h o m m e s s'exprimer si convenablement et si affirmativement sur le Dieu crateur, sur son souverain domaine et sa providence, sur l'immortalit de l'Ame et sur ses devoirs, peut-rire et-il fallu les a d m i rer comme des gnies suprieurs aux Platon et aux Cicron. Mais voici que ce qu'ils nous offrent p o m p e u sement comme le produit laborieux de leur raison, c'est l'Kglise qu'ils l'ont drob, et tout leur mrite consiste nous le rendre fraud et mutil; ce qu'ils nous d o n n e n t pour du p u r philosophique; n'est autre chose ([lie du christianisme tronqu et altr*. Yest-ee pas de ces plagiaires que Tortullien disait : o (Miel est celui de leurs potes, celui de leurs sophistes, qui n'ait puis d a n s nos prophtes? C'est ces sources sacres que leurs philosophes ont lanch la soif de leur gnie. Et p a r c e qu'ils ont u s u r p quelque chose de ce qui nous appartient, cause de cela on tablit une comparaison entre eux et n o u s ! . . . Or, d a n s l'effort que font ces hommes u n i q u e m e n t avides de gloire et d'loquence, pour atteindre jusqu' l'lvation de nos dogmes, s'ils rencontrent dans les pages divines quelque

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chose qui puisse servir leurs vues, ils l'en extraient et ils l'accommodent leurs vains caprices, sans se faire aucun scrupule de l'altrer; ils corrompent ce que nous leur offrons de certain par le mlange des doctrines les plus incertaines... Au reste, continueTertullien, il ne faut pas s'tonner que les philosophes anciens aient dfigur de la sorte le vieux Testament, puisque certains hommes qui sont ns de leur race viennent prendre encore chaque jour leurs armes dans l'arsenal plus rcent du christianisme; ils dtournent arbitrairement nos vangiles dans le sens de leurs opinions philosophiques ; et par de sacrilges dcoupures, d'un seul chemin droit ils ont fait mille sentiers obliques et un labyrinthe inextricable \ En vrit, Messieurs, pouvait-on mieux caractriser, ds le second sicle, l'impuissance de la philosophie non chrtienne se passer rellement du christianisme ? Pouvait-on mieux dmontrer que, nonobstant tout ce que la doctrine des philosophes a d'incomplet, elle n'est le plus souvent, dans ses parties tant soit peu solides et srieuses, qu'un emprunt et un plagiat, lorsqu'elle n'est pas une parodie et une falsification ?

IV La philosophie spare de la foi est impie.

Enfin, Messieurs, le tort beaucoup plus grave de la philosophie souveraine et spare, c'est d'tre impie. Nous touchons ici au point principal de la question. La grce est ncessaire l'homme pour le salut ; l'ori. Tertullien, Apologtique, 47.

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dre surnaturel lui est non seulement propos, mais i m pos, et lorsqu'il le repousse par un coupable abus de sa libert, il ne peut encore s'y soustraire entirement : il reste enchan cet ordre par le dcret divin qui l'y appelle, et par la pnalit qui atteint tous ceux qui refusent de s'y conformer. Jsus-Christ est venu en terre et il est mort en croix pour le salut de tous les h o m m e s ; tous sont appels en lui, et ceux qui ne seront pas introduits dans le ciel par la vertu accepte de son sang/ seront prcipits dans l'enfer pour avoir rsist ce sang qui criera contre eux plus haut et plus fort que le sang d'bel contre le fratricide Can : telle est la doctrine fondamentale du christianisme, tel est le clair enseignement de Jsus-Christ, de ses aptres, de toutes les critures, de toute l'Eglise. Le philosophe s'avance, et il dit : Je ne veux rien examiner, par consquent je ne veux rien affirmer ni rien nier de tout cola. Tout cela, c'est de la thologie, et cela s'enseigne par les prtres. Le domaine du philosophe, c'est la raison, c'est la nature : la il est souverain et indpendant. Qu'est-ce dire : le philosophe est indpendant sur le terrain de la raison et de la nature? Quelque nouveau g l a n e de Salomon a-t-il donc coup l'homme en deux parts, pour donner la part de l'homme raisonnable et naturel la philosophie, et celle de l'homme croyant et surnaturel l'Eglise? Mais ce partage est purement et simplement impossible; car l'homme croyant ne peut exister sans l'homme raisonnable, et Tordre surnaturel cesse d'tre un fait si on lui soutire la nature sur laquelle il demande s'ajouter. La foi n'est pas un tre subsistant en lui-mme; c'est un accident divin qui se produit dans un tre capable de le recevoir : or,

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si vous commencez par adjuger la philosophie le monopole de la raison de l'homme, vous ne prsentez plus l'lment rvl qu'une matire aveugle sur laquelle il n'a pas de prise et avec laquelle elle ne peut s'assimiler et se combiner. C'est dans l'homme tout entier, et par consquent, c'est avant tout dans la raison, qui est la premire et la plus indispensable des facults constitutives de l'homme, que la foi veut et doit pousser ses racines. La religion surnaturelle ne sera qu'un pont jet en l'air et perdu dans les nuages, si l'une de ses piles n'est pas solidement assise dans notre nature raisonnable; c'est un navire lanc du ciel qui flotte dans l'espace, et qui tout abordage vers nos rives est impossible, parce qu'il n'y a aucun moyen de jeter l'ancre sur la terre ferme de l'humanit. Ne diraiton pas que les philosophes de ces derniers temps, profitant de leurs accointances avec les politiques, ont invent le secret de faire le vide autour de Jsus-Christ? On ne l'attaquera pas, on ne contestera pas son droit de commander; mais toutes les forces vives de la nature humaine seront tenues tellement l'cart et en dehors de lui, qu'il sera sur la terre un roi sans ministres, ou plutt sans sujets. Petite manuvre, mot d'ordre impuissant, quand il s'agit du Roi immortel des sicles, qui a reu toutes les nations en hritage , et qui son Pre a donn toute puissance au ciel et sur la terre ! On ne se moque pas de Dieu \ Celui qui habite dans les cieux se rira d'eux, et le Seigneur les convaincra de folie comme d'impit . Oui, Messieurs, l'homme qui la religion chrtienne! 2 4

i. Ps. ii, 8. a. Matlh., k. Ps. I I , 4.

XXVIII,

18.

3.

Galat., vi, j ,

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s'adresse, c'est l'homme tel que Dieu l'a fait, c'est l'homme rel et positif, l'homme entier et complet, jouissant de toutes ses facults, de l'intelligence comme de la volont, de la raison comme du sentiment, de la rflexion comme de la spontanit. La nature n'est point admise faire ses rserves, et s'attribuer ellemme la raison, comme par prciput et hors part, avant de partager le reste de l'homme avec la grce. Pour porter ainsi le glaive de la sparation dans l'homme et dans l'humanit, il faudrait atteindre plus haut, et consommer le grand attentat dont parle saint Jean, l'attentat (pie l'enfer ne cesse de souffler au cur des hommes pervers, l'attentat qui consiste dissoudre Jsus-Christ : solvcrc Jesnm ', briser ce nud de l'incarnation, ce nud du Verbe fait chair, ce nud vivant et ternel o s'unissent indissolublement, sans jamais se confondre, la nature divine et la nature humaine, le Dieu parfait et l'homme parfait. L est le type et le principe de l'ordre surnaturel, c'est--dire de l'union directe de Dieu avec chacun de nous, ici-bas par la grce, l-haut par la gloire, union qui est le fruit et le lerme de l'incarnation, son extension et son prolongement dans toute la race humaine. Vous donc qui prtendez ne jeter la grce que l'homme mutil, qu'une sorte d'eunuque ou plutt qu'un vritable fantme, porte/, portez plus haut l'effort de votre impit : niez que le Verbe soit venu dans la chair, dnouez et dissolvez le Christ, arrachez-lui sa nature humaine, rduisez-le l'tat fantastique ; vos premiers pres les Kbionistes, les Corinthiens, les Gnosliques, etc., ont compris tout d'abord qu'il fallait aller jusque-l, parce

i. 1 Jounn., v, 3.

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que, si le dogme du Dieu fait homme est accept, le droit acquis du Christ sur toute crature humaine ne peut plus tre branl, l'invitable trait d'union entre la grce et la nature ne peut plus tre supprim. Impossible que le Dieu fait homme, apparaissant sur notre horizon, y soit un astre sans satellites, un soleil sans constellations, tournant sur lui-mme dans le vide, et ne rencontrant rien dans sa sphre d'attraction. Si le Christ est le Dieu fait homme, l'humanit tout entire fait partie du systme dont il est le centre; elle est tenue de se laisseremporter dans sa loi, dans son mouvement, et de graviter vers lui Nous croyons donc, Messieurs, avoir prouv les trois membres de notre proposition, et il reste tabli que la philosophie spare, la philosophie indpendante et souveraine, est une philosophie antirationnelle, impossible et impie. Mais nous avons ajout que la philosophie qui accepte l'autorit de la rvlation, loin de se restreindre et de sTnilir, s'agrandit au contraire et se rehausse. On a dmontr cela cent fois, et nous indiquerons seulement les principales preuves.

v

La philosophie

qui accepte l'autorit de la s'agrandit et se rehausse.

rvlation

Et d'abord, Messieurs, la preuve irrfragable que la thologie n'est pas la supplantation absolue et l'anantissement de la philosophie, c'est que dans toutes les coles catholiques il existe, comme complment des tudes classiques et comme prparation au cours de thologie, un cours trs srieux de philosophie. La

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logique, la mtaphysique dans toutes ses parties, l'ontologie, la thodicc, la psychologie, enfin 1 thique ou morale et la physique mme, vous savez par votre p r o pre exprience que nos professeurs ecclsiastiques n'ont jamais nglig a u c u n e de ces parties intgrantes du cours de philosophie. Et si l'on compare sur ce point l'enseignement de nos sminaires avec celui de la plupart des coles sculires, pourrait-il venir la pense d'aucun h o m m e tant soit peu renseign sur les faits de nous contester la supriorit pratique en cette matire? Enfin, si l'on entreprend de compter les philosophes illustres et les grands penseurs produits par toutes les socits anciennes et modernes qui ont fait quelque figure en ce m o n d e , quelle autre cole, soit que l'on considre la quantit ou la qualit, pourra soutenir la moindre comparaison avec l'cole chrtienne, dut-elle ne commencer qu'avec saint Augustin et finir avec Bossuet ? Mais, nous dira-t-on, quoi bon la philosophie pour le disciple soumis de la rvlation? Est-ce qu'il reste une place tant soit peu importante la philosophie dans le systme c h r t i e n ? Oui, sans doute, rpondonsnous, une place trs importante, soit qu'il s'agisse de la philosophie h u m a i n e en elle-mme, soit qu'on la considre dans ses rapports avec la foi divine. Avant tout, la philosophie h u m a i n e conserve dans ses attributions l'art si utile, si indispensable de la dialectique, les procds de la mthode, les rgles du raisonnement, les notions abstraites de l'tre, les premiers principes de la nature, les vrits videntes de la raison et leurs consquences naturelles plus ou moins prochaines ou loignes; enfin, elle reste profondment et srieusement applique a l'tude des facults inlrieu-

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res de l ' h o m m e , cette tude si grave, si intime, souvent si arbitraire, dont l'enseignement moderne a fait sa question favorite, et que nos grands hommes chrtiens ont claircie avec plus de bonheur et de succs peut-tre que qui que ce soit. 11 est vrai que le philosophe chrtien, dans la plupart de ces investigations rationnelles si dlicates et si diiiciles, s'aide souvent trs utilement de la boussole de la foi pour diriger plus srement sa voie, pour viter les carts et cingler entre des cueils contre lesquels tant d'autres intelligences viennent se briser; mais p o u r t a n t le navire sur lequel il est mont, les mers qu'il traverse, les toiles qu'il interroge, tout cela appartient l'ordre de la raison et de la science. Enfin, si on l'envisage dans ses rapports avec la rvlation, la philosophie garde encore un rle trs considrable. La raison, dit saint Thomas, ne croirait p a s , si elle ne voyait pas qu'il faut c r o i r e . L'usage de la raison se trouve donc ncessairement la base de tout acte de foi. Sans doute cet exercice de la raison, qui doit accompagner l a c t de foi, n'a rien de compliqu et de difficile. Dieu, c o m m e parle le prophte, a d o n n aux tmoignages et aux faits sur lesquels repose sa religion une si excessive vidence de crdibilit", que le plus simple emploi du bon sens suffit ordinairement c o m m e condition d'une foi raisonnable. Toutefois, non seulement il n'est pas coupable, mais il est louable au chrtien de vouloir rendre sa foi de plus en plus rationnelle, mme q u a n t aux prliminaires et aux motifs sur lesquels elle se fonde. Reste donc ici tout u n ordre philosophique, tout u n ordre scientifique et historique,1

i.

2-2",

q. i, art. iv, ad. i. a. Ps. x c n , 5.

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dans la sphre duquel la raison du chrtien, sans p r judice de la foi qui vit dans son esprit et dans son c u r , peut toujours s'exercer noblement et utilement : travail d'autant plus digne d'loge, qu'il peut fournir des armes ncessaires pour atteindre ceux de nos frres queleur incrdulit aurait placs sur le terrain de l'athisme ou du naturalisme, o ils ne p e i n e n t tre abords, humainement du moins, qu'au moyen d'arguments philosophiques et rationnels. Puis, si des prliminaires de la foi nous passons aux vrits mmes de la foi, tout u n nouveau m o n d e se prsente ; des cieux n o u veaux et une terre nouvelle s'ouvrent devant l'intelligence de l ' h o m m e . La raison, aide et soutenue par la grce, drobe alors en quelque sorte par anticipation au sjour de la gloire quelque bauche, quelque commencement de la vision intuitive; elle saisit j u s q u e dans les plus incomprhensibles mystres des convenances, des beauts, elle dcouvre des aperus, elle entrevoit des merveilles qui la plongent dans l'extase et le ravissement. C'est ici tout un nouvel ordre de science o la raison ellleurc les plus hauts sommets intellectuels auxquels il soit donn l ' h o m m e de s'lever. Quand il est parvenu la cime de ces montagnes, si le penseur chrtien, absorb dans sa mditation divine, touche encore la terre du bout de ses pieds, on peut dire qu'il a le front dj d a n s le ciel : encore u n effort, u n e secousse qui dtache l'esprit de la matire, l'Ame du corps, et il sera en possession du face face de la vrit. A la bonne heure, poursuit le philosophe naturaliste ; mais toujours est-il que \ uns donnez la foi le passur la raison, la thologie l'autorit sur la philosophie. Eh ! oui sans doute, nous d o n n o n s la foi la

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prminence sur la raison, parce que la foi est divineet la raison h u m a i n e , et que nous ne pouvons refuser Dieu la prminence sur l ' h o m m e . Prtendre que la raison est souveraine au m m e titre que la foi, c'est prtendre que l ' h o m m e est souverain au mme titre que Dieu : c'est--dire, c'est prtendre l'absurde. Tchons donc d'claircir cette question, trop souvent e m b r o u i l le par des mots mal entendus et par des notions m a l dfinies. La lumire naturelle elle-mme, nous l'avouons,, peut tre appele divine en un certain sens : l'vangliste saint Jean nous l'a dit : Le Verbe est la l u m i r e vritable qui illumine tout h o m m e venant en c e m o n d e . Mais enfin, la raison naturelle qui rside dans l ' h o m m e , c'est--dire, la facult de connatre, la facult de raisonner, de comparer, de conclure, est une facult cre. En tant qu'il a t allum par Dieu luimme et que Dieu en est la cause premire, ce flambeau est bon, il est brillant, il est parfait en son genre : vidit Deus, quod essel bonum'-. Mais en tant que ce flambeau est au service d'une crature, cest--dire d'un tre ncessairement born, d'un tre libre et plac d a n s les conditions de l'preuve, d'un tre mme fragile et dchu, en u n mot, en' tant que l'emploi de cette lumire dpend de faction d ' u n e cause seconde, il reste ncessairement place la dfaillance et l'erreur, l'erreur volontaire et Terreur involontaire, la dfaillance coupable et la dfaillance innocente. Dans l'usage que la crature fait de ses facults les plus excellentes, l'Immain, c o m m e parle Bossuet, se m o n t r e toujours par quelque endroit. La lumire de la rai1

i. Joan., i .

a.

p.

ioa.

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e n sa croyance dont elle ne se soit pleinement rendu compte. Il n'y a rien en elle qui ne soit conforme au sens c o m m u n . Elle se rend intelligible aux esprits mdiocres, et elle suffit aux besoins des esprits cultivs... Le Dieu de la religion naturelle n'est pas un Dieu humain que nous puissions rabaisser notre niveau et mesurer notre petitesse La religion naturelle nous fait suivre avec amour -et respect le dveloppement des vues de la providence, sans nous reprsenter Dieu comme u n ouvrier malhabile et incertain, qui change d'avis et raccommode son uvre, ou comme un pre faible, tantt irrit, plus souvent attendri, qui s'abandonne sa colre, en rougit, et s'efforce de la faire oublier par sa tendresse. I n tel Dieu n'est pas l'idal qui resplendit au fond de la nature humaine et dont la science nous montre la glorieuse et fconde immutabilit. Le vrai Dieu n'a rien de l'homme Je m'arrte, Messieurs, car l'motion gagne ma voix et la parole se glace sur mes lvres. Ou tout ce que je viens de dire est un nonsens, ou cela signifie que le Dieu qui s'est rvl nous par les saintes Ecritures, le Dieu irrit par le pch, calm par le chtiment et touch par le repentir, le Dieu apais et attendri par la rdemption, est un Dieu rapetiss et imparfait; mais surtout que le gage s u prme de l'amour de Dieu, le dernier effort de sa tendresse, le mystre surminent de sa misricorde, en un mot, que l'incarnation de son Fils, c'est le ravalement, c'est la dgration de la divinit ! Le Dieu de la religion naturelle est plus grand, nous dit-on, parce qu'il nest pas un Dieu humain ; il est le vrai Dieu, parce qu'il na rien de Fhommel 1 1 . . . Seigneur Jsus, le Dieui. De In relig. nat. p.t

41G-618.

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homme, l'Emmanuel venu en ce monde pour procurer la gloire de votre Pre, serait-il donc Mai que vous n'eussiez russi qu' rabaisser le Dieu de l'Evangile audessous du Dieu idal qui resplendit au fond de notre raison et dont les attributs sont dmontrs par la science?... Mais non, Messieurs; je ne veux pas croire ce blasphme, et je me persuade volontiers, que, quoi qu'on puisse penser des paroles crites dans vingt endroits du livre, celte criminelle dprciation du Dieu des saintes Ecritures, ce dnigrement impie du mystre de l'incarnation, fondement de tout le christianisme, ne peuvent pas avoir t dans l'intention de l'crivain. J'aime mieux m'emparer moi-mme de la thse de la religion naturelle, pour faire ressortir l'excellence de la religion rvle. Cette face de la question demande n'tre pas nglige. Les crivains rationalistes qui se sont faits depuis quelque temps les chevaliers de la religion naturelle s'appliquent soigneusement dissimuler une chose aussi essentielle qu'elle est incontestable : c'est que la religion naturelle existe tout entire dans le christianisme et n'existe spculativemcnt et pratiquement tout entire que l. V les en croire, le sectateur de la simple religion naturelle trouverait en elle le fond de toutes choses, le fond de toute vrit, de toute morale; et la religion surnaturelle ne surviendrait (pie pour offrir ses disciples des formes de culte et des pratiques de vertu plus ou moins surrogatoires, plus ou moins respectables, mais, dans tous les cas, nullement indispensables pour l'accomplissement des prceptes de la religion naturelle. Malheureusement, ici encore, la philosophie moderne affirme et ne prouve pas, ou plutt, son affirmation est la contre-vrit morale et historique

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la plus flagrante. Qu'on n o u s la montre quelque p a r t dans l'histoire, qu'on n o u s la m o n t r e dans l ' h u m a n i t , u n e poque et sous u n ciel quelconque, cette religion naturelle vivant pleinement de sa propre vie, se ralisant et se formulant dans une socit gouverne par ses seules maximes, fournissant u n code suffisamment complet de vrits et de prceptes, et surtout procurant le respect et le maintien de ces vrits dans les esprits, l'accomplissement et la pratique de ces prceptes d a n s les m u r s . Soixante sicles sont l pour le dire : ce p h n o m n e n'existe pas ; c'est une hypothse, ce n'est pas un fait. Le fait, c'est que notre nature est si faible de son propre fonds, et qu'elle a t en o u t r e tellement affaiblie par le pch, qu elle est impuissante par elle seule connatre, retenir toutes les vrits d e la religion naturelle et plus impuissante encore o b server par ses propres forces tous les prceptes religieux et moraux de cette m m e loi naturelle. Le fait enfin, c'est que le christianisme, indpendamment de sa porte plus haute, ralise seul ici-bas toute la religion naturelle. Ecoutons la doctrine de saint Paul, telle que l'glise nous la fait entendre au j o u r de la naissance du Christ : Mes Trs Chers, la grce de Jsus-Christ, notre Sauveur, a apparu sur la terre, elle est venue instruire tous les h o m m e s , afin que, renonant l'impit et aux passions grossires du sicle, n o u s apprenions vivre dans ce sicle avec temprance, avec justice, avec pit . Sans doute, Messieurs, Jsus-Christ est venu nous relever de notre chute, il est venu nous rendre la destine1

i. TH., il,

11,

ia.

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sublime qu'il avait plu son Pre de nous m a r q u e r ds l'origine ; mais, en r s u m , l'Ecriture nous dit qu'il est venu nous instruire de nos devoirs naturels par sa parole, nous donner la force de les remplir par sa grce. Observer la chastet, pratiquer la justice, honorer la divinit : tout cela, en soi, est de l'ordre n a t u rel ; or, Jsus-Christ s'est rvl nous pour n o u s apprendre vivre chastement, j u s t e m e n t , religieusement. Il est vrai, le m m e Jsus, par sa doctrine et par sa grce, donne ces vertus une valeur et u n e porte nouvelles. Il a fait u n e chastet qui dpasse celle que la morale du sicle avait pu louer, u n e justice qui se complte par des hrosmes d'abngation et de charit (pie le p a g a n i s m e n'avait pas conn u s , une pit dont les transports taient ignors de la froide raison et de la simple nature ; et il rserve ces vertus ainsi amplifies des rcompenses auxquelles la nature seule n'aurait a u c u n droit. Le christianisme complte donc, il augmente, il perfectionne, mais il n'exclut pas, il contient essentiellement, m i n e m m e n t toute la religion naturelle, tous les devoirs et toutes les vertus de l'ordre naturel. Jsus-Christ n'a pas cr u n nouveau dcalogue; il a maintenu le dcalogue antique qui n'est lui-mme que le code rvl de la morale naturelle. L n riche j e u n e h o m m e s'approcha un jour de ce divin Sauveur et lui d e m a n d a Matre, quelles uvres faut-il accomplir pour obtenir la vie ternelle? Jsus-Chrit lui rpondit : Vous connaissez les c o m m a n d e m e n t s ; observez-les. Lesquels? repartit le j e u n e h o m m e . Les c o m m a n d e m e n t s de la loi sont ceux-ci, lui dit Jsus : Vous ne tuerez p o i n t ; vous ne commettrez point l'adultre ni l'impuret; vous ne droberez p o i n t ; vous ne direz point le faux

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tmoignage : honorez votre pre et votre mre ; et vous aimerez votre prochain comme vous-mme *. Ce n'est qu'aprs avoir rappel ces devoirs essentiels que Jsus-Christ indique ce jeune homme les uvres d'une perfection plus grande. En dernire analyse, u n homme qui est chaste, qui est juste, qui honore Dieu, n'est qu'un honnte homme ; or, je le rpte avec saint Paul et avec l'glise, Jsus-Christ est venu apporter sa lumire et sa grce afin que nous soyons cela, et que nous le soyons avec une valeur et un mrite qui nous lvent au-dessus de l'honnte homme et qui nous rendent les fils adoptifs de Dieu. La religion naturelle, Messieurs, mais c'est prcisment elle que les hommes livrs eux-mmes n'observent pas, et qui, dans son ensemble, est au-dessus de leurs forces naturelles. Lisez la longue histoire de l'humanit en dehors de la rvlation : depuis les pieds jusqu' la tte, depuis les classes incultes jusqu'aux esprits les plus cultivs, elle est couverte de plaies et de souillures; devant le Dieu qui Fa cre, elle n'est plus acceptable, elle n'est plus supportable ; elle avait besoin d'tre lave, d'tre restaure, renouvele. Or, poursuit saint Paul : Jsus-Christ s'est livr lui-mme pour nous, afin de nous racheter de toutes nos iniquits, et de se faire, en le purifiant, en le nettoyant, un peuple digne de lui appartenir, un peuple prsentable, un peuple adonn dsormais aux bonnes uvres, aux uvres de la religion, de la chastet et de la j u s t i c e . La religion naturelle, e h ! qui donc, si ce n'est Jsus-Christ, Ta ramene toute sa puret, toute son intgrit primitive? Qui donc, si ce n'est2

i . Mat th., xix,

1G-20;

Luc, xviu,

18-21.

3.

Tit.,

H,

14.

4

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lui, Ta fait entrer dans les murs et dans la pratique de la vie? Si ce divin matre a pu dire qu'il n'tait pasvenu dtruire, mais accomplir la loi judaque , combien plus forte raison faut-il dire qu'il est venu oprer l'accomplissement et la restauration de la loi naturelle ! Celte loi, beaucoup moins encore que la loi mosaque, n'avait jamais rien conduit la'perfection*. L'Evangile lui est venu en aide. Jl n'est pas une vertu de Tordre naturel que l'Evangile ne maintienne la base de ses autres prceptes et de ses conseils plus sublimes. Mais surtout, il n'est pas une des o b s e n a n e c s , pas un des sacrements de l'Eglise qui n'ait pour objet de fournir A l'homme le moyen pratique d'accomplir des devoirs naturels qui, sans ces secours divins, seraient trop souvent au-dessus de ses forces. Quand j'tudie dans toutes ses parties l'conomie du christianisme, je le trouve partout tendant la main la nature qui n'en peut mais, et lui donnant le pouvoir de raliser habituellement dans ses actes ce qui serait tout au plus a et l dans ses aspirations et ses dsirs. La morale naturelle, dans la totalit de ses prceptes et de ses exigences, n'est une morale en action que chez les vrais chrtiens. Ah! Messieurs, nous ne saurions trop rappeler cette vrit aux hommes de notre temps. Oui, la loi de Jsus-Christ est trs lgitimement nomme la loi de grce, la loi d'amour, et c'est dnaturer entirement les choses que de vouloir la considrer, par rapport la loi naturelle, comme une aggravation et une surcharge. Nous vous le disions dans notre entretien d'hier, et nous voulons le rpter ici : Aprs tout, ce que l'Eglise interdit ou demande de plus rigoureux et1

i. Mallh., v, 17. :. Ik'hr.. v u , nj.

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de plus difficile ses enfants, c'est la nature elle-mme q u i le dfend ou qui le prescrit, et la loi de grce n'intervient gure que p o u r offrir aux hommes des secours et des moyens, des antidotes et des remdes, des exemples et des rcompenses que la nature n'offrait pas. La religion naturelle, ah ! disons le mot, c'est parce que Jsus-Christ nous en a faits les gardiens, les interprtes, les ministres, les zlateurs, les vengeurs, tout aussi bien que de la religion surnaturelle, que notre sacerdoce rencontre tant d'opposition et d'hostilit. S'il ne s'agissait que de ce petit nombre de devoirs que la religion rvle surajoute aux devoirs cle la nature, on saurait s'y rsigner. A vrai dire, les prceptes positifs' de Jsus-Christ et de son Eglise sont trs supportables, et si le ciel tait au b o u t de ses pratiques, on les accepterait. On admire tous les j o u r s chez certains peuples hrtiques et paens celte forte discipline religieuse qui est c o m m e une police de l'tat ; et l'on sent que l'on serait de force accomplir ses observances extrieures, qui donnent la socit u n certain dehors religieux sans qu'il en cote trop chacun des citoyens. D'ailleurs, la douceur du rgime ecclsiastique est si grande que ses lois disciplinaires s'adoucissent, se modifient et souvent s'effacent devant u n e gne tant soit peu notable. En ralit, on n'a donc peur de nous, prtres de la religion surnaturelle, que parce nous sommes en m m e temps les prtres de la religion naturelle. C'est en cette qualit seulement que nous offusquons les h o m m e s . Et vritablement, Messieurs, quoi faisonsnous une guerre incessante dans notre ministre des mes, quels dsordres sommes-nous dans le cas de dire le plus souvent : Non liect, si ce n'est aux dsordres contre la loi et la religion naturelle? Toutes les colres

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qui fondent sur nos ttes viennent de l. Otez de la confession elle-mme tout ce qui concerne les prceptes de la nature, lez les questions de probit, de chastet, l'observation du dcalogue, des devoirs d'tat, et l'on ira volontiers demander le pardon divin au ministre de la religion surnaturelle. Il est donc essentiel, Messieurs, de ne pas laisser les philosophes naturalistes donner le change plus longtemps aux esprits sur cette matire. Eux-mmes avouent que la religion naturelle n'a pas et n'est pas susceptible d'avoir ses reprsentants part, son corps sacerdotal h part ; et celte religion ne parat si commode ses prneurs que parce qu'ils entendent bien ne relever que du sacerdoce assez complaisant de leur propre arbitre et n'avoir rendre compte de rien personne. Mais ils ne parviendront jamais prouver que Noire-Seigneur Jsus-Christ, tant la fois le Verbe ternel qui a cr la raison et la aaturc, et le Verbe incarn qui a produit la rvlation et la grce, ne joigne pas dans sa personne divine le sacerdoce de l'ordre naturel celui de l'ordre surnaturel ; ils ne prouveront jamais que le Christ soit divis, et qu'il y ait en lui sparation du principe humain et du principe divin; enfin, ils ne prouveront jamais que le sacerdoce entier du Christ ne soit pas devenu le ntre, et que notre ministre n'ait pas autorit et puissance pour prcher et pour demander partout et toujours l'accomplissement du devoir naturel aussi bien que du devoir surnaturel. C'est pourquoi, tout philosophe pris d'amour et de zle pour la religion naturelle, je dirai Mon frre, prosternez-vous deux genoux devant le christianisme ;1

i. De la Religion naturelle,

p. &oa.

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car lui seul est le conservateur, le restaurateur, le promoteur de la religion naturelle ; lui seul en maintient toute l'intgrit doctrinale au moyen de ses enseignements prcis et inflexibles ; lui seul en obtient toute l'observation pratique au moyen des secours et des grces qu'il procure. Philosophe, qui faites un livre dont tout le rsultat est de sparer la religion naturelle de son auxiliaire pratiquement indispensable, vous avez pch non seulement contre la loi de grce, mais contre la loi de nature elle-mme; abandonnez une thse si mal pose; sinon, dfenseur apparent de la religion naturelle, vous en seriez, dans la ralit, l'ennemi le plus perfide et le plus acharn dmolisseur.

IV

Le naturalisme : en quoi il consiste, ses degrs3" instruction s y n o d a l e sur les principales erreurs du t e m p s prsent i8a-i8(:L V, 3y-5a.

/

Dfinition

et source premire1

du

naturalisme.

Dans son allocution solennelle l'piscopat catholique assembl autour de lui, le vicaire de Jsus-Christ, signalant les principales erreurs de notre malheureux sicle, rsume d'abord en quelques mots tout le systme des coryphes actuels de la secte antichrtienne. Ces h o m m e s , dit-il, dtruisent absolument la cohsion ncessaire qui, par la volont de Dieu, unit l'ordre naturel et l'ordre surnaturel : ab hnjusmodi hominibus plane dsirai necessariarn illatn cohrenliam qu, Dei volunlale, inlercedil inter ulrumque ordinem qui tu m in nalura, tum supra naluram est. L en effet est le c u r d e l question ; l est le c h a m p clos de toutes les luttes de l'heure prsente. Nous disons, nous, et l'Eglise catholique enseigne que Dieu, par u n acte libre de son a m o u r , a tabli u n lieu suprieur et transcendant entre notre nature eti. Il s ' a g i t d e l ' a l l o c u t i o n c o n s i s t o r i a l e d u y j u i n 1 S O 2 .

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la sienne ; nous disons qu'un pareil lien n'tait pas ncessaire en soi, qu'il n'tait command ni mme formellement rclam par aucune exigence de notre tre, qu'il est d la charit immense, la libralit gratuite et excessive de Dieu envers sa crature ; nous proclamons que ce lien, par suite de la volont divine, est devenu obligatoire, indclinable, ncessaire ; qu'il subsiste minemment et qu'il subsistera ternellement e n Jsus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, nature divine et nature humaine toujours distinctes, mais irrvocablement unies par le nud hypostatique; nous ajoutons que ce lien doit s'tendre, selon des proportions et par des moyens divinement institus, toute la race dont le Verbe incarn est le chef, et qu'aucun tre moral, soit individuel et particulier, soit public et social, ne peut le rejeter ou le rompre, en tout ou en partie, sans manquer sa fin, et par consquent sans se nuire mortellement lui-mme et sans encourir la vindicte du matre souverain de nos destines. Telle est, non pas seulement la doctrine, mais la substance mme du christianisme. Les termes dont s'est servi le chef cle l'Eglise expriment cette vrit par une dfinition aussi prcise qu'elle est complte : oui, il y a une cohsion ncessaire qui, par suite de la volont d e Dieu, intervient entre ce qui est selon l'ordre de la nature et ce qui est au-dessus de la nature . Cette cohrence, c'est la justice, c'est Tordre, c'est la fidlit, c'est le salut. La sparation, la rupture, c'est le pch, c'est le dsordre, c'est l'infidlit, c'est la ruine temporelle et ternelle. Or, si Ton cherche le premier et le dernier mot de Terreur contemporaine, on reconnat avec vidence que ce qu'on nomme l'esprit moderne, c'est la revendica-

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tion du droit, acquis ou inn, de vivre dans la p u r e sphre de Tordre naturel : droit moral tellement absolu, tellement inhrent aux entrailles de l'humanit, qu'elle ne peut, sans signer sa propre dchance, sans souscrire sa honte et sa ruine, le faire cder devant aucune intervention quelconque d ' u n e raison et d ' u n e volont suprieures la raison et la volont h u m a i n e , devant a u c u n e rvlation ni a u c u n e autorit m a n a n t directement de Dieu. Celte altitude indpendante et rpulsive de la n a t u r e l'gard de Tordre surnaturel et rvl/ constitue proprement l'hrsie du naturalisme : mot consacr par le langage bientt sculaire de la secle qui professe ce systme impie, non moins que par l'autorit de l'Eglise qui le c o n d a m n e . Cette sparation systmatique, on Ta aussi appele, et non sans fondement, T'antichristianisme. Par le fait, elle est compltement destructive de toute l'conomie chrtienne. En ne laissant subsister ni l'incarnation d u Fils naturel de Dieu, ni Tadoption divine de l ' h o m m e , elle supprime le christianisme la fois par son fate et par sa base, elle l'atteint sa source et dans toutes ses drivations. Pour assigner ce naturalisme impie et antichrlien son origine premire et son premier auteur, il faudrait pntrer j u s q u e dans les mystrieuses profondeurs d u ciel des anges. Celui que Lucifer, constitu dans l'tat d'preuve, n'a pas voulu adorer, n'a pas voulu servir, celui auquel il a prtendu s'galer, il serait difficile d e croire (pice fut le Dieu du ciel. Une nature si claire un esprit originairement si droit et si bon/ ne semble pas susceptible d'une rvolte si gratuite et si insense. Quelle fut donc la pierre d'achoppement pour satan et

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pour ses anges? David comment par saint.Paul, l'criture interprte par les plus illustres docteurs/ versent d'admirables lumires sur ce fait primordial d'o dcoident tant de consquences. La foi nous enseigne que le Dieu crateur, par un acte libre et souverainement gratuit de sa volont, ayant rsolu de descendre personnellement dans sa cration, n'emprunta, pour l'unir hypostatiquement son Verbe, ni la substance purement spirituelle de l'ange, ni la substance simplement matrielle de l'tre inintelligent. Le Fils unique de Dieu se ft homme, il prit un corps et une me, il se posa ainsi au centre de l'univers cr, occupant le milieu entre les sphres suprieures et les sphres infrieures, communiquant sa vie et son influence divine au monde visible et au monde invisible, mdiateur, sauveur, illuminateur de tout ce qui tait, par nature, au-dessus et au-dessous de son humanit sacre. Ce n'est pas ici le lieu de dvelopper cette doctrine fconde, sur laquelle nous devrons revenir; nous citerons alors les textes magnifiques qui l'tablissent et qui la font briller dans tout son jour. Ce prodige et vraiment cet excs de l'amour divin ce fut, au sentiment d'un grand nombre de Pres et de thologiens, le principe de la ruine de satau. Dieu ayant introduit une seconde fois sur la scne du monde son Fils premier-n, il dit : Que tous ses anges l'adorent! Cette seconde introduction, cette nouvelle prsentation faite par le Pre : cam iterum introducit, se rfre visiblement son Fils plac dans un second et nouvel tat, par consquent son Fils incarne Croire au Fils de Dieu fait homme, esprer en lui, l'aimer, le servir, l'adorer, telle fut la condition du sar

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lut. Les deux testaments nous disent que ce prcepte s'adressa aux anges comme aux h o m m e s : il est crit dans l'un et dans l'antre : Et adorent cani omnes angeli ejus . Satan frmit ride de se prosterner devant u n e nature infrieure la sienne, l'ide de recevoir luimme de celle nature si trangement privilgie u n surcrot actuel de lumire, de science, de mrite, et u n e augmentation ternelle de gloire et de batitude. Se jugeant bless dans la dignit de sa condition native, il se retrancha dans le droit et dans l'exigence de Tordre naturel ; il ne voulut ni adorer dans u n h o m m e la majest divine, ni accueillir en lui-mme u n s u r p l u s de splendeur et de flicit drivant de cette h u m a n i t difie. Au mystre de l'incarnation, il objecta la cration ; Tacte libre de Dieu, il opposa u n droit personnel; enfin contre l'tendard de la grce, il leva le drapeau de la nature. Il ne se tint pas dans la vrit , dans la vrit du Dieu fait chair, dans la vrit de la grce et de la gloire m a n a n t du Christ; et il fut homicide ds le commencement-' , parce qu'il j u r a la mort de TIlommc-Dieu ds que ITIomme-Dieu lui fut montr. Voil c o m m e n t le diable, selon la parole de saint Jean, pche depuis Torigine ; et c'est pourquoi le Sauveur a pu dire aux Juifs, l'heure o ils machinaient sa mort : u Vous avez le diable pour pre, et vous voulez mettre excution les dsirs de votre pre qui a t homicide ds le c o m m e n c e m e n t .1 11 1

Du reste, en dehors de toute opinion concernant ce caractre spcial du pch des mauvais anges, il est certain, ainsi que l'enseigne saint T h o m a s , que lei. llel>r., T, Ci. l*s. xevi, S. a. Joanit., v i n , \\. 3 . I Joann., ti, S. 't. .loann., v m , 'M.f

L'ORDRE SURNATUREL

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c r i m e du dmon a t ou bien de mettre sa fin dernire d a n s ce qu'il pouvait obtenir par les forces seules de la nature, ou bien de vouloir parvenir la batitude glorieuse par ses facults naturelles sans le secours de la g r c e . Il faut donc, dans toute hypothse, r e monter j u s q u ' satan pour la dcouvrir dans son o r i g i n e et p o u r la saisir dans son fond, celte odieuse impit du naturalisme q u i , l'aide d'axiomes et d p r o g r a m m e s plus ou moins habiles et savants, glisse ses o m b r e s dtestables j u s q u e dans l'esprit des chrtiens de nos j o u r s , dcorant aussi faussement que fastueusement du nom d'esprit moderne ce qui est le plus vieux des esprits, l'esprit de l'ancien serpent, l'esprit du vieil h o m m e , l'esprit qui fait vieillir toutes choses, qui les prcipite vers la dcadence et la mort, et qui prpare insensiblement les effroyables catastrophes de la dissolution dernire. L'Ecriture nous le dit : ce grand dragon, ce serpent antique qui s'appelle le diable et satan, ayant t renvers du ciel, a t jet sur la terre, et ses anges ont t envoys avec lui, envieux de sduire le monde entier Il eut voulu faire avorter la F e m m e de qui le Christ devait natre; il eut voulu dvorer le Christ ds l'instant de sa n a i s s a n c e ; n'ayant pu ni l'touffer dans son berceau , n i l'enchaner dans son spulcre \ et le Christ lui ayant t ravi et ayant t emport vers Dieu et vers son trne , et la F e m m e nourrice et gardienne du Christ, c'est--dire l'Eglise, avant t mise l'abri de ses c o u p s , le dragon irrit s'en est all faire la guerre tous les autres qui sont de sa race, ceux qui1 3 1 f; 7

i. Sumrn. Tlu'tjlo/j. P. i, Q. L X I I I . art. U T . Conclus. 2 . Apoc., X I I , , en levant les yeux au firmament; appelez-le grandeur , en contemplant les mers; majest terrible . en coutant la voix des orages : vous devez changer de langage en entrant dans nos temples. Dieu s'y appelle d'un nom plus doux : Notre Pre : Pater noster, O magnifique nature, majestueuse, belle, gracieuse mme en un grand nombre de tes parties, je t'admire, mais, le dirai-je? je te redoute peut-tre plus encore. Tes lois puissantes,

DIEU

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aveugles terribles, dranges en outre par le pch et sans cesse armes contre n o u s , peuvent me broyer tout instant c o m m e j ' c r a s e l'insecte sous mes pieds. Que de malheureux ont pri par l'ardeur du feu, par l'imptuosit des ondes, par l'infection de l'air, par le& secousses d e l terre ouvrant sous leurs pas des abmes ! Et puis, nature, tu ne parles qu' mes sens ; ou