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Oswald Wirth
LE LIVRE DE L'APPRENTI
MANUEL A L'USAGE DES NOUVEAUX INITIS
publi par la L? TRAVAIL & VRAIS AMIS FIDLES En vente sur
justification ma?
AUX DITIONS RHA 21, Rue Cujas, PARIS (Ve)
1923
NOTE Le prsent manuel a t publi pour la premire fois en 1894:
mais ses auteurs en avaient conu l'ide ds 1888, lors de la
fondation du Groupe maonnique dtudes Initiatiques, dont la L?
Travail et Vrais Amis fidles devait adopter la programme en
1897.
Le Livre de l'Apprenti fut tir tout d'abord 3.000 exemplaires,
qui s'coulrent peu peu jusqu'en 1908. Il fallut prparer alors une
nouvelle dition de 5.000 exemplaires. Elle comporta un remaniement
de la partie historique, qui fut mise en harmo-nie avec les
conqutes les plus rcentes de l'histoire maonnique.
La troisime dition se trouva retarde par les circonstances
jusqu' fin 1920. Le texte de 1908 y est maintenu, sauf quelques
lgres retouches et l'adjonction de quelques pages consacres aux
vnements qui ont boulevers le monde partir de 1914.
AUX NOUVEAUX INITIS
TT? CC?FF?, En vous initiant ses mystres, la F? M?, vous convie
devenir des hommes d'lite, des sages ou des penseurs, levs au-
dessus de la masse des tres qui ne pensent pas. Ne pas penser,
c'est consentir tre domin, conduit, dirig et trait trop souvent en
bte de somme. C'est par ses facults intellectuelles que l'homme se
distingue de la brute. La pense le rend libre: elle lui donne
l'empire
du monde. Penser, c'est rgner.
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Mais le penseur a toujours t un tre d'exception. Jadis, lorsque
l'homme a eu le loisir de se livrer au recueillement, il s'est
perdu dans le rve ; de nos jours, il tombe dans un excs contraire.
La lutte pour la vie l'absorbe, au point qu'il ne lui reste aucun
temps pour mditer avec calme et cultiver lArt suprme de la
Pense.
Or cet Art appel le Grand Art, lArt Royal ou Art par excellence,
il appartient la F?. M?de le faire revivre parmi nous.
L'intellectualit moderne ne peut pas continuer se dbattre entre
deux enseignements qui excluent l'un et l'autre la pense :
entre les glises bases sur la foi aveugle et les coles qui
dcrtent les dogmes de nos nouvelles croyances scientifiques. Alors
que tout conspire pour pargner nos contemporains la peine de
penser, il est indispensable qu'une institution puis-
sante ravive le flambeau des traditions qui s'oublient. Il nous
faut des penseurs, et ce n'est pas notre enseignement
universi-taire qui en forme.
Le penseur n'est pas l'homme qui sait beaucoup. Il n'a point la
mmoire surcharge de souvenirs encombrants. C'est un es-prit libre,
qu'il n'est besoin ni de catchiser ni d'endoctriner.
Le penseur se fait lui-mme : il est le fils de, ses uvres. La F?
M?, le sait, aussi vite-t-elle d'inculquer des dogmes.
Contrairement toutes les glises, elle ne se prtend point en
possession de la Vrit. En Maonnerie, on se borne mettre en garde
contre l'erreur, puis on exhorte chacun chercher le Vrai, le Juste
et le Beau.
La F? M?, rpugne aux phrases et aux formules, dont les esprits
vulgaires s'emparent pour s'attiffer de tous les oripeaux d'un faux
savoir. Elle veut obliger ses adeptes penser et ne propose, en
consquence, son enseignement que voil sous des allgories et des
symboles. Elle invite ainsi rflchir, afin qu'on s'applique
comprendre et deviner. Efforcez-vous donc, TT? CC? FF?, de vous
montrer devins, dans le sens le plus lev du mot. Vous ne saurez en
Maonnerie que ce que vous aurez trouv vous-mmes.
Rigoureusement, il devrait tre superflu de vous en dire plus
long. Mais, tant donnes les dispositions si peu mditatives de notre
temps, des Maons expriments ont cru devoir venir en aide la
pesanteur trop commune de l'esprit actuel.
Ils ont donc entrepris de rendre la F? M?, intelligible ses
adeptes. Aprs avoir publi dj un Rituel Interprtatif pour le Grade
d'Apprenti, ils font paratre le prsent Manuel qui sera suivi du
Livre du Compagnon et du Livre du Matre.
Leur tche est ingrate, mais ils comptent sur l'appui et le
concours de tous ceux qui sentent le besoin d'une rgnration
ini-tiatique de la F? M? Ils se montreront profondment
reconnaissants des conseils et des renseignements qu'on voudra bien
faire parvenir la L? Travail et Vrais Amis Fidles.
8, rue Puteaux. O?de Paris XVIIe
QUESTIONS RITULIQUES
A POSER AUX FF? VISITEURS Lorsqu'un Maon se prsente pour prendre
part aux travaux d'une L?, il n'obtient l'entre du T? qu'aprs avoir
t tuil
par le Fr? G? E? En entrant, il excute la marche et les saluts
dusage, puis il reste debout et l'ordre entre les deux colonnes,
jusqu' ce qu'il
soit invit prendre place. A cette occasion, le Vn? pourra poser
au Fr? les questions suivantes, auxquelles il devra savoir rpondre
: D. Mon Fr?, d'o venez-vous ? R. De la L? Saint Jean, Vn?M? D. Que
fait-on la L? Saint Jean. R. On y lve des temples la vertu, et lon
y creuse des cachots pour les vices. D. Qu'en apportez-vous ? R.
Salut, prosprit et bon accueil tous les frres. D. Que venez-vous
faire ici ? R. Vaincre mes passions, soumettre mes volonts et faire
de nouveaux progrs dans la Maonnent. Le Vn? Prenez place, mon Fr?,
et soyez le bienvenu au sein de cet atelier qui reoit avec
reconnaissance le concours de
vos lumires. Les auteurs qui ont tudi la F? M?, dans son
sotrisme, c'est--dire dans son enseignement cach, ont beaucoup
insist
sur l'importance de la question : D'o venez-vous ? Elle doit tre
prise par le penseur dans son sens le plus lev et conduire ainsi au
problme de l'origine des choses. L'Apprenti doit chercher d'o nous
venons, tout comme le Compagnon devra se demander ce que nous
sommes et le Matre
o nous allons. Ces trois questions formulent l'ternelle nigme
que toute science et toute philosophie tendent continuellement
rsoudre.
Nos efforts ne peuvent aboutir qu' des solutions provisoires,
destines apaiser momentanment notre soif de curiosit. Mais bientt
nous concevons la vanit des rponses dont nous nous tions contents,
et nous cherchons toujours, sans nous bercer jamais d'illusion en
croyant que nous avons trouv.
Semblable au lgendaire Juif errant, l'esprit humain marche
toujours. Mais lorsque les hommes se groupent entre eux, leur lien
social dcoule essentiellement des ides qu'ils se font du pass, du
prsent et de l'avenir des choses.
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Il y a donc obligation pour le penseur d'clairer ce point de vue
ses contemporains. Comme dipe, il doit savoir rpondre aux
interrogations du Sphinx, moins qu' l'exemple d'Hercule, il sache
tromper la faim de Cerbre, en lanant pleines poi-gnes la terre du
sol dans la triple gueule du gardien des enfers.
La question d'o venez-vous, n'a pas uniquement une porte
philosophique : le Rituel y rpond en nous reportant l'His-toire de
la Franc-Maonnerie. Notre institution drive, en effet, des
confraternits de Saint Jean, titre que portaient au Moyen-Age les
corporations constructives auxquelles nous devons tous les
chefs-d'uvres de l'architecture ogivale.
On a en outre voulu voir dans Saint Jean le Janus des Latins. Ce
dieu double visage symbolisait le principe permanent, pour qui le
pass et l'avenir ne font qu'un. Son image doit engager les Maons
regarder en arrire, en mme temps qu'en avant ; car, pour prparer
l'humanit les voies du progrs, il faut tenir compte des leons do
l'histoire.
APERU PHILOSOPHIQUE SUR L'HISTOIRE GNRALE DE LA
FRANC-MAONNERIE
Considrations prliminaires Certaines ides sont susceptibles
d'exercer une puissance attractive sur les individus isols. Elles
les groupent et deviennent
ainsi le pivot intellectuel d'une association. Mais celle-ci ne
saurait tre constitue par le seul fait d'un groupement dpourvu de
toute stabilit et de toute cohsion. Une
agrgation d'individualits disparates ne peut tre transforme en
un tout permanent, que par l'intervention d'une loi organique
instituant la vie collective.
En toute association il faut donc distinguer l'ide et la forme.
Lide ou l'esprit agit en tant que gnrateur abstrait : c'est le pre
de la collectivit, dont la mre est reprsente par le prin-
cipe plastique qui lui donne sa forme. Ces deux lments de
gnration et dorganisation sont reprsents en Maonnerie par deux
colonnes, dont la premire
(masculine-active) fait allusion ce qui tablit et fonde, tandis
que la seconde (fminine-passive) se rapporte ce qui consolide et
maintient.
L'historien qui s'claire des lumires de la philosophie ne peut
faire abstraction de ces deux facteurs essentiels. Pour lui, les
annales de notre institution remontent au-del de l'anne 1717, date
de la fondation de la F? M? moderne ; car les ides, qui ont alors
russi prendre corps, avaient inspir, des poques antrieures, de
nombreuses tentatives de crations similaires.
Une collectivit qui se fonde ne saurait, d'autre part,
improviser son organisation. Tout tre se constitue conformment son
espce, et il bnficie en cela de l'exprience ancestrale. Tout
nouveau-n devient ainsi l'hritier d'une race antique, qui revit en
lui, comme il a vcu lui-mme dans toute la chane de ses
devanciers.
En se plaant ce point de vue, il est permis d'assigner la F? M?,
une origine des plus anciennes, car elle se rattache toutes les
confraternits initiatiques du pass.
Mais celles-ci paraissent issues des premires associations de
constructeurs, comme on peut en juger d'aprs les circonstan-ces qui
ont donn naissance l'art de btir.
Les Origines Maonniques
La F? M?, ne se livre plus, de nos jours, des travaux de
construction matrielle, mais elle drive directement d'une con-
frrie de tailleurs de pierres et d'architectes, dont les
ramifications s'tendaient au Moyen-Age sur toute l'Europe
occidentale. Eu se transmettant les secrets de leur art, ces
constructeurs se conformaient des usages anciens. Ils pratiquaient
des rites
initiatiques, que les lgendes corporatives faisaient remonter la
plus haute antiquit. Nous devons nous garder de prendre la lettre
ces traditions naves. Elles tiennent du mythe et cachent le plus
souvent un
sens allgorique (1). Mais il suffit de rflchir l'influence
exerce primitivement par l'art de btir, pour se faire une ide juste
du rle civilisateur
que les plus anciennes associations maonniques ont ncessairement
jou. Ces associations se sont constitues ds que l'architecture est
devenue un art. Elles furent appeles, sans doute, construire
tout d'abord les murs des villes primitives. Ces remparts en
pierres tailles n'ont pu tre l'uvre que d'ouvriers exercs et
grou-ps en tribus. On se figure volontiers ces artisans se
transportant d'un lieu l'autre pour exercer leur profession l o ils
taient appels.
Ils ne pouvaient manquer d'tre associs pour deux raisons :
d'abord, parce que toute construction importante ne saurait tre
l'uvre d'individus isols, et ensuite parce que la pratique de l'art
de btir exige une initiation professionnelle.
1 D'aprs une de ces lgendes, Adam aurait t rgulirement reu Maon
selon tous les rites, l'Or?du Paradis, par le Pre
ternel. C'est une manire de dire que la Franc-Maonnerie a
toujours exist, sinon en acte, du moins en puissance de deve-nir,
vu quelle rpond un besoin primordial de lesprit humain.
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Il est donc vident que, ds les temps les plus reculs, les maons
ont form des groupements corporatifs, et que, par la force mme des
choses, ils se sont diviss en apprentis, compagnons et matres.
Quant leur mission civilisatrice, elle s'est manifeste un double
point de vue : D'une part, les villes, protges contre les assauts
de la brutalit barbare par de solides murailles, devinrent des
foyers d'ac-
tivit pacifique, des asiles inviolables rservs , une lite plus
cultive que la multitude du dehors. D'un autre ct, les maons
donnrent l'exemple de l'association en vue d'un travail commun. On
peut donc affirmer que l'Architecture est mre de toute civilisation
(2) et c'est juste titre que les anciens maons consi-
draient leur art comme le premier et le plus estimable de
tous.
L'Art sacr. Primitivement tout a revtu un caractre religieux.
Mais l'art de btir tait plus particulirement empreint d'un caractre
di-
vin. Les hommes qui s'y livraient exeraient un sacerdoce. Ils
taient prtres leur manire. En taillant des pierres et en les
assemblant pour lever des difices sacrs, ils croyaient rendre un
culte la divinit.
Toute construction utile tait sainte : la dtruire tait un
sacrilge et les plus anciennes inscriptions menacent de la
vengeance des dieux tout homme impie qui s'attaquerait aux
monuments.
Les constructeurs avaient une religion eux, entirement base sur
l'art de btir. L'univers tait leurs yeux un immense chantier de
construction, o chaque tre est appel contribuer par ses efforts
l'dification d'un monument unique. On se figurait un travail
incessant, n'ayant jamais commenc et ne devant jamais finir, mais
s'excutant de toutes parts selon les don-nes d'un mme plan.
De l vient l'Ide du Grand-uvre visant la construction d'un
Temple idal, ralisant de plus en plus la perfection. De l, en
outre, l'usage traditionnel parmi les maons de consacrer leurs
travaux la Gloire du Grand Architecte de l'Univers.
Premires donnes historiques.
Nous ne possdons que des renseignements prcaires sur les plus
anciennes corporations constructives des peuples d'Orient.
Mais il est singulier de rencontrer dans l'criture accadienne le
triangle ' comme signe de la syllabe rou qui a le sens de faire,
b-tir. Si ce n'est qu'une simple concidence, elle est tout au moins
frappante, et les Maons enthousiastes pourront y voir un in-dice de
la haute antiquit de leur symbolisme, car les monuments chaldens
dont il s'agit remontent plus de 4500 ans avant notre re.
Les auteurs inconnus des plus anciens livres sacrs de la Chine
n'ignoraient pas, d'ailleurs, la valeur symbolique du compas et de
l'querre, insignes du sage qui possde les secrets du Premier
Constructeur et sait se conduire conformment ses inten-tions
(3).
En gypte le sacerdoce enseignait les sciences et les arts.
Certains hirophantes taient plus spcialement ingnieurs et
archi-tectes. Les artisans placs sous leurs ordres n'avaient droit
aucune initiative.
Les sculpteurs et les tailleurs de pierre furent beaucoup plus
libres en Syrie. Ils y formaient des associations religieuses qui
parcouraient toute l'Asie-Mineure pour lever partout des temples,
selon la convenance des diffrents cultes.
C'est ainsi que vers l'an 1000 avant J.-C., Hiram, roi de Tyr,
put envoyer Salomon les ouvriers ncessaires la construction du
temple de Jrusalem, du palais royal et des murs de la cit. Ces mmes
constructeurs prirent part galement la fondation de Palmyre.
Plus tard, l'architecture tait exerce dans toute la Grce par les
pontifes dionysiens, dont Numa Pompilius perfectionna
l'or-ganisation vers l'an 715 avant l're chrtienne.
Le lgislateur romain constitua des collges de constructeurs,
chargs d'excuter tous les travaux publics. Ces corporations avaient
leur autonomie et la loi leur garantissait de nombreux privilges.
Chacune d'elles pratiquait ses crmonies religieuses particulires,
appropries au mtier exerc par ses membres (4). Ceux-ci exeraient
toutes les professions ncessaires l'architec-ture religieuse,
civile, militaire, navale et hydraulique.
Ces confraternits laborieuses se rpandirent dans tout l'empire.
Elles suivaient la marche des lgions romaines pour cons-truire des
ponts, des routes, des aqueducs, des camps retranchs, des villes,
des temples, des amphithtres, etc. Partout elles contribuaient
civiliser les peuples vaincus, en les instruisant dans les arts de
la paix. Elles subsistrent florissantes jusqu' l'in-vasion des
barbares.
Au troisime sicle, Thophrasie nous les dpeint dans les termes
suivants : D'aprs les traditions de la statuaire antique, les
sculpteurs et tailleurs de pierres voyageaient d'un bout l'autre de
la terre avec les outils ncessaires pour travailler le mar-bre,
l'ivoire, le bois, l'or et les autres mtaux. La matire informe leur
tait fournie par les temples qu'ils levaient sur des mod-les,
divins (5).
2 La barbarie est l'tat primitif d'inscurit, qui met le plus
faible la merci du plus fort. Les citadins se sont mis l'abri des
bar-bares, en se retranchant derrire d'inlranchissables remparts.
Une fois en scurit, ils ont pu te civiliser en adoptant des lois
protgeant le faible contre le fort. L'architecture est donc le
facteur primordial de toute relle civilisation.
3 R. F. Gould A Concise History of Freemasonry, Londres, 1903,
pp. 3 et 4. 4 Plutarque, Vie des Hommes Illustres, Numa, 17. 5
Thophraste, Vie d'Apollonius de Tyane, Traduction de Chassang, p.
202.
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Le Christianisme. Les religions professionnelles taient
conformes au gnie du polythisme grco-romain ; aussi, tant qu'il
rgna, nul ne put
songer demander compte aux corporations architecturales de leur
enseignement religieux particulier. Il n'en fut plus de mme lorsque
le Christianisme, devenu avec Constantin religion dtat, prtendit
fonder l'unit du culte et de la croyance.
Le Suprme Architecte de l'Univers cadrait, sans doute, avec le
monothisme, qu'il semblait avoir devanc. Mais cette sim-plicit, ce
vague propice aux adaptations contradictoires, ne devaient plus
satisfaire la nouvelle religion qui formulait des dog-mes imprieux
et prcis, auxquels, de toute ncessit, il fallait dsormais se
soumettre.
Fidles leurs traditions, les constructeurs se gardrent bien
d'entrer en rvolte contre la foi officielle (6). Ils se firent
bapti-ser, tout en se rservant d'adapter secrtement le
christianisme aux doctrines de la mtaphysique architecturale. Ainsi
prit nais-sance une hrsie occulte, parente du gnosticisme, qui
s'abstint soigneusement de toute manifestation extrieure. Tout au
plus en trouverait-on un indice dans cette facilit singulire avec
laquelle les artistes byzantins et cophtes se mettaient
indiffrem-ment au service, d'abord des diffrentes sectes
chrtiennes, puis des Musulmans.
Extrieurement soumises l'absolutisme chrtien, les associations
constructives purent prosprer sous l'gide de l'Empire d'Orient,
alors qu'elles disparurent en Occident, submerges sous les flots
des invasions barbares. Une priode vint, o l'on fut bien plus
proccup de dtruire les difices anciens, que d'en lever de
nouveaux.
Le Christianisme, cependant, ne tarda pas s'imposer aux
envahisseurs. L'architecture religieuse fut alors remise en honneur
et de nouvelles coles de constructeurs se constiturent peu peu,
Elles donnrent naissance au style roman.
Les Ordres monastiques
Pendant de longs sicles, toute l'Europe occidentale fut en proie
la brutalit de guerriers ignorants, qui ne tremblaient que
devant les fantmes de leur imagination grossire. Le clerg
chrtien, appliquant en cela les traditions de tous les sacerdoces,
apprit trs rapidement dominer ces esprits enclins aux terreurs
superstitieuses. Il eut la hardiesse de menacer des conqurants
farouches au nom d'un Juge cleste, dont la rigueur impitoyable ne
pouvait tre flchie qu' la faveur de donations pieuses. Ce fut l
pour lglise la source d'immenses richesses.
On vit alors le Christianisme s'entourer d'un appareil fastueux.
Aprs avoir grandi dans l'abngation et dans la pauvret, il voulut
sduire par la magnificence. Les temples anciens, jadis saccags par
la cupidit des barbares ou renverss par la fureur iconoclaste des
nouveaux croyants, devaient tre relevs la gloire du Dieu des
chrtiens. Comme on n'avait jamais entirement cess de btir, les
procds du mtier s'taient conservs parmi les artisans ; mais,
lorsqu'il fut question de construire des difi-ces appropris aux
exigences imprvues du culte chrtien, on manqua tout d'abord
d'architectes.
Des moines instruits furent appels ainsi tudier l'architecture
et leur habilet tracer des plans ne tarda pas s'affirmer. Certains
abbs, en particulier ceux de la congrgation de Cluny, dployrent mme
sous ce rapport un vritable talent. Rivali-sant entre eux, ces
prlats ne se contentrent bientt plus de constructions techniquement
grossires, pour l'excution desquelles ils pouvaient avoir recours
des artisans de rencontre, sdentaires ou nomades. Lorsque, de
simples murs en briques ou en moellons, ils voulurent passer aux
assemblages de pierres de taille, il leur fallut de toute ncessit
former des artistes vritables, surtout quand l'ambition leur vint
de frapper les esprits par la hardiesse de votes de plus en plus
complexes,
Les moines furent ainsi conduits s'adjoindre, d'une manire
permanente, des lacs tailleurs de pierre, qui, en qualit de fr-res
convers, portaient le froc et recevaient leur subsistance du
couvent.
La Maonnerie Franche
Parmi les ouvriers soumis la discipline monastique, les mieux
dous ne manqurent pas de s'assimiler des connaissances
suffisantes pour leur permettre de diriger eux-mmes les travaux
de leurs compagnons. Il se forma ainsi des architectes laques, d'un
esprit d'autant plus indpendant, qu'ils prenaient davantage
conscience de leurs capacits et de leur talent. Leur autorit ne
tarda pas primer celle des moines, qui virent peu peu les confrries
constructives se soustraire leur tutelle.
Des associations autonomes, rappelant certains gards les collges
romains, purent ainsi se constituer. Cette volution semble s'tre
accomplie tout d'abord en Lombardie, o les traditions antiques,
toujours restes vivaces, ont pu d'autant plus fa-cilement tre
remises en honneur que, par l'intermdiaire de Venise, l'influence
byzantine s'exerait puissamment dans cette r-gion. Ce qui est
certain, c'est que la ville de Cme resta longtemps le centre o
affluaient les artistes soucieux de se perfectionner en l'art de
btir. Leur ambition tait de se faire initier aux secrets des
magistri comacini, titre tendu au XIe sicle, d'une manire gnrique,
tous les constructeurs.
On prtend, qu'en vue de faire consacrer leur indpendance, les
associations architecturales laques, unies entre elles par les
liens d'une troite solidarit, auraient sollicit du pape le monopole
exclusif pour la construction de tous les difices religieux de la
chrtient. Voulant encourager une aussi pieuse entreprise, la Cour
de Rome aurait pris la confraternit maonnique sous sa protection
spciale, en dclarant que ses membres devaient tre partout exempts
d'impts et de corves. Ce seraient ces franchi-ses, que l'on dit
octroyes par Nicolas III en 1277 et confirmes par Benot XII en
1334, qui auraient valu aux protgs du Saint-Sige le nom de
Francs-Maons (7).
6 Les Vers d'Or de Pythagore dbutent en prescrivant a l'Initi de
rendre extrieurement aux dieux immortels le culye consacr,
mais de garder intrieurement sa propre conviction. 7 Jusqu'ici,
la preuve documentaire de ces allgations risques na pas t
fournie.
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Le patronage du Souverain Pontife expliquerait la faveur que la
Maonnerie franche rencontra auprs de tous les princes chrtiens. En
ces temps de ferveur religieuse, ceux-ci ne pouvaient prouver,
d'ailleurs, que des sympathies pour les construc-teurs d'glises,
qui se rpandirent progressivement en France, en Normandie, dans la
Grande-Bretagne, en Bourgogne, puis en Flandre et sur les bords du
Rhin, pntrant de l dans toute l'Allemagne. Partout, ces
associations ont laiss des monuments d'un style particulier, dit
gothique, ou plus exactement ogival, chefs-d'uvre, dont l'uniformit
de caractre semble tre l'indice d'une entente internationale,
maintenue pendant des sicles entra les constructeurs parpills sur
toute l'Europe occidentale. Cest ce qui fait dire a M. Hope, dans
son Histoire de l'Architecture : Les architectes de tous les
difices religieux de lglise la-tine avaient puis leur science a une
mme cole centrale, ils obissaient aux lois d'une mme hirarchie ;
ils se dirigeaient dans leurs constructions d'aprs les mmes
principes de convenance et de got ; ils entretenaient ensemble,
partout o on les en-voyait, une correspondance assidue, de sorte
que les moindres perfectionnements devenaient immdiatement la
proprit du corps entier et une nouvelle conqute de l'Art .
Les Confraternits de Saint-Jean
Les architectes du Moyen-Age aimaient clbrer les solstices,
conformment des usages remontant aux poques paennes
les plus recules. Afin de pouvoir rester fidles des traditions
quivoques au point de vue chrtien, ils choisirent pour patrons les
deux Saint Jean, dont les ftes tombent aux poques solsticiales.
On s'est demand si, l'abri de ce choix, l'antique culte de Janus
n'avait pas retrouv des adeptes plus ou moins conscients. De mme
que les deux saints solsticiaux, le dieu au double visage prsidait
l'entre du soleil dans chacun des hmisphres c-lestes. Janus tait
d'ailleurs le gnie de tous les commencements, aussi bien des annes
et des saisons, que de la vie et de l'exis-tence en gnral. Or, il
ne faut pas perdre de vue que commencement se dit initium en latin.
Les Initis devaient donc voir la divinit tutlaire de l'initiation
dans cet immortel prpos la garde des portes (janua), dont il
cartait ceux qui ne doivent pas entrer. Une baguette (baculum) lui
servait cet effet. Il tenait, en outre une clef, pour indiquer
qu'il lui appartenait d'ouvrir et de fermer, de rvler les mystres
aux esprits d'lite, ou de les drober la curiosit des profanes
indignes de la connatre.
tymologiquement, Jean, il est vrai, ne provient pas de Janus,
mais bien de l'hbreu Jeho h'annan, qui se traduit par : Celui que
Jeho favorise . Le mme verbe revient dans Hanni-Baal ou Annibal,
qui signifie Favori de Baal. Mais Jeho et Baal ne sont autres que
des noms ou des titres du Soleil. Celui-ci tait envisag par les
Phniciens comme un astre brlant, souvent meur-trier, dont les
ravages sont redouter. Les mystagogues d'Isral y voyaient, au
contraire, l'image du Dieu-Lumire qui claire les intelligences.
Jeho h'annan, Johanns, Jehan ou Jean, devient ainsi synonyme
d'Homme clair ou illumin la manire des prophtes. De mme que les
artistes des cathdrales, instruits sans doute de doctrines
sotriques fort anciennes, le Penseur v-ritable ou l'Initi est donc
en droit de se dire frre de Saint Jean.
Remarquons, au surplus, que Saint Jean-Baptiste nous est prsent
comme le prcurseur immdiat de la Lumire rdemp-trice ou du Christ
solaire. Il est l'aube intellectuelle qui, dans les esprits, prcde
le jour de la pleine comprhension. Apre et rude, sa voix retentit ,
travers la strilit du dsert, veillant les chos endormis, Ses
accents vhments secouent les mentalits rebelles et les prparent
saisir les vrits qui doivent tre rvles.
Si le farouche Prcurseur se rattache symboliquement aux
blancheurs blafardes du matin il convient, par opposition de se
reprsenter Saint Jean l'Evangliste comme environn de toute la
gloire empourpre, du couchant. Il personnifie la lumire
cr-pusculaire du soir, celle qui embrase le ciel lorsque le soleil
vient de disparatre sous l'horizon. Le disciple prfr du Matre fut,
en effet, le confluent de ses enseignements secrte, rservs aux
intelligences d'lite des temps futurs. On lui attribue
l'Apoca-lypse, qui, sous prtexte de dvoiler les mystres chrtiens,
les masque sous des nigmes calcules pour entraner les esprits
perspicaces au del des troitesses du dogme. Aussi, est-ce de la
tradition johannite que se, sont prvalues toutes les coles
mys-tiques, qui, sous le voile de l'sotrisme, ont vis l'mancipation
de la pense, N'oublions pas, enfin, que le quatrime Evangile dbute
par un texte d'une haute porte initiatique, sur lequel s'est
longtemps prt le serment maonnique. La doctrine du Verbe fait
chair, c'est--dire de la Raison divine incarne dans l'Humanit,
remonte d'ailleurs, travers Platon, aux conceptions des anciens
hirophantes.
Parmi ces conditions le titre de loges de Saint Jean convient,
mieux que tout autre, aux ateliers o les intelligences, aprs avoir
t prpares recevoir la lumire, sont amenes se l'assimiler
progressivement, afin de pouvoir la reflter leur tour.
Canonisations quivoques
Il serait tmraire d'affirmer que les deux Saint Jean relvent
uniquement du symbolisme initiatique. Peut-tre correspon-
dent-ils des personnages ayant rellement exist. D'autres saints,
par contre, ne jouissent de leur privilge cleste, que parce qu'ils
furent jadis extraits du calendrier paen. Dans son Origine de tous
les Cultes, Dupuis est trs explicite cet gard :
Les Grecs, dit-il, honoraient Bacchus sous le nom de Dionysios
ou de Denis ; il tait regard comme le chef et le premier au-teur de
leurs mystres, ainsi quEleuthre. Ce dernier nom tait aussi une
pithte quils lui donnaient, et que les Latins ont tra-duite par
Liber. On clbrait en son honneur deux ftes principales : lune au
printemps et l'autre dans la saison des vendanges. Cette dernire
tait une fte rustique, clbre dans la campagne ou aux champs ; on
l'opposait aux ftes du Printemps; appeles ftes de la ville ou
Urbana. On y ajouta un jour en l'honneur de Dmtrius, roi de
Macdoine, qui tenait sa cour Pella, prs du golfe de Thessalonique :
Bacchus tait le nom oriental du mme Dieu. Les ftes de Bacchus
devaient donc tre annonces dans le calendrier payen par ces mots :
Festum Dionysii, Eleutherii, Rustici. Nos bons ayeux en ont fait
trois saints : Saint Denis, Saint Eleuthre et Saint Rustique, ses
compagnons. Ils lisaient au jour prcdent : Fte de Dmetrius, dont
ils ont fait un martyr de Thessalonique. On ajoute que ce fut
Maximilien qui le fit mourir par suite de son dsespoir de la mort
de Lyus, et Lyus est
-
un nom de Bacchus, ainsi que Dmtrius. On plaa la surveille la
fte de Saint Bacchus, dont on fit aussi un martyr d'Orient. Ainsi
ceux qui voudront prendre la peine de lire le calendrier latin ou
le bref qui guida nos prtres dans la commmoration des saints et
dans la clbration des ftes, y verront au 7 Octobre : Festum sancti
Demetrii ; et au 9 : Festum sanctorum Dionysii, Eleuthe-rii et
Rustici. Ainsi, l'on a fait des Saints de plusieurs pithtes, ou des
dnominations diverses du mme Dieu, Bacchus, Diony-sios ou Denis,
Liber ou Eleutheros. Ces pithtes devinrent autant de
compagnons.
...Bacchus pousa le Zphir ou le vent doux, sous le nom de la
nymphe Aura. Eh bien ! deux jours avant la fte de Denis ou de
Bacchus, on clbre celle d'Aura Placida ou de Zphir, sous le nom de
Sainte Aure et de Saint Placide.
Dupuis montre en outre comment la formule des souhaits Perptua
Flicitas donna naissance Sainte Perptue et Sainte Fli-cit. Il cite
encore Sainte Vronique qui vient de Veron Eicon ou Iconica, la
vraie face ou l'image du Christ. Saint Rogatien, Saint Donatien,
Sainte Flore, Sainte Luce, Sainte Bibiane. Sainte Apollinaire,
Sainte Ides, Sainte Marguerite et Saint Hippolyte sont galement des
adaptations paennes.
Les Satires contre l'Eglise
Dans quelle mesure les rminiscences de l'antiquit ont-elles pu
influer sur l'tat d'me des constructeurs du Moyen-Age ?
La question est difficile rsoudre ; mais il reste acquis qu'ils
taient anims d'un esprit singulirement frondeur. Tout d'abord, au
point de vue religieux, ils prtendaient ne relever directement que
du pape, et de ce chef, ils affichaient l'ir-
respect le plus flagrant a l'gard de la hirarchie ecclsiastique.
Leur audace s'est maintes fois manifeste par des caricatures,
qu'ils ne craignaient pas de tailler dans la pierre mme des
cathdrales.
Un moine et une religieuse, reprsents dans une attitude de la
dernire inconvenance, dcorent ainsi l'glise de Saint-Sbaldus
Nuremberg, et ce sujet scabreux revient, entre autres, dans une
gargouille du Muse de Cluny, Paris.
Dans la galerie suprieure de la cathdrale de Strasbourg, une
procession d'animaux est conduite par un ours qui porte la croix.
Un loup tenant un cierge allum y prcde un porc et un blier chargs
de reliques ; tous ces quadrupdes dfilent pieu-sement, tandis qu'un
ne figure l'autel, disant la messe.
Revtu d'ornements sacerdotaux, un renard prche Brandebourg
devant un troupeau d'oies. Les exemples de cette nature abondent.
On rencontre en particulier des jugements derniers parfois fort
subversifs, en ce sens
que, parmi les damns, figurent couramment des personnages
couronns ou mitrs. Le pape lui-mme coiff de la tiare et flan-qu de
cardinaux, a t vou aux flammes ternelles sur le portail du munster
de Berne.
Ces indices donnent supposer que l'initiation confre secrtement
aux membres des confraternits de Saint Jean ne portait pas
uniquement sur les procds matriels de l'art de btir.
Certaines sculptures ironiques ont sans doute pu tre inspires
par les rivalits qui, toutes les poques, ont oppos les or-dres
monastiques au clerg sculier ; mais d'autres traduisent
manifestement la pense intime d'un artiste singulirement man-cip
pour l'poque.
L'Alchimie
Si nous nous demandons quelle source a pu tre puise, au
Moyen-Age, une inspiration mystique trangre, ou mme se-
crtement hostile l'glise, nous sommes amens nous souvenir du
prestige dont jouissait alors la Philosophie hermtique. Sous
prtexte de chercher la Pierre des Sages, des adeptes, c'est--dire
des penseurs indpendants, s'appliquaient en ralit pntrer les
secrets de la nature. En approfondissaient indiffremment les uvres
de tous les philosophes, qu'ils fussent grecs, arabes ou hbreux.
Cet clectisme devait aboutir des doctrines si peu catholiques, au
sens ordinaire du mot, qu'il et t im-prudent de les exposer
autrement que sous le voile d'allgories et de symboles. La
transmutation du plomb en or devint ainsi le thme de dissertations
fort savantes, o la mtaphysique religieuse avait beaucoup plus de
place que la mtallurgie ou la chi-mie. Le Grand uvre visait raliser
le bonheur du genre humain, grce une rforme progressive des murs et
des croyan-ces. La lecture attentive des traits d'alchimie
postrieurs la Renaissance ne peut laisser subsister aucun doute cet
gard, car le style des disciples d'Herms devint moins nigmatique,
lorsque diminua pour eux le danger d s'expliquer librement.
L'ancienne architecture sacre tait d'ailleurs essentiellement
symbolique. Depuis le plan d'ensemble d'un difice, jusqu'aux
moindres ornements de dtail, tout devait tre ordonn selon certains
nombres mystiques et d'aprs les rgles d'une gomtrie spciale, connue
des seuls initis.
Les figures gomtriques donnaient lieu, en effet, des
interprtations, sur lesquelles se greffait une doctrine secrte,
pr-tendant fournir la clef de tous les mystres. Or, les
constructeurs des cathdrales ont prouv, par leurs uvres, qu'ils
taient ins-truits de ces traditions philosophiques, dont les
alchimistes taient simultanment dtenteurs.
On ne saurait dterminer dans quelle mesure les uns tenaient des
autres leurs connaissances initiatiques, Toujours est-il, que
l'Hermtisme a souvent inspir les tailleurs de pierres dans le choix
de leurs motifs d'ornementation. Les Alchimistes, d'autre part,
n'ignoraient pas le sens que les Maons rattachent leurs outils.
Rien n'est plus significatif, cet gard, qu'une gravure du trait
intitul : L'Azoth, ou le moyen de faire lor cach des Philo-sophes,
de Frre Basile Valentin (8). On y voit un personnage deux ttes,
dont la main droite tient un compas et la gauche une querre. C'est
l'androgyne alchimique, unissant l'nergie cratrice mle la rceptivit
fminine, associant, en d'autres termes, le Soufre au Mercure, ou
l'ardeur entreprenante de la colonne J? la Stabilit pondre de la
colonne B? Il est debout sur le dragon symbolisant le quaternaire
des lments, dont l'initi doit triompher au cours de ses
preuves.
8 Publi la suite des Douze clefs de la Philosophie traictant de
la vraye mdecine mtallique, Paris, Pierre Moet, 1610.
-
La Dcadence des Corporations En devenant riche et puissante,
l'Eglise devait ncessairement se corrompre. Il vint une poque o le
haut clerg, livr tou-
tes les intrigues de la politique, affichait le luxe le plus
insolent et ne prenait mme plus la peine de dissimuler la
corruption de ses murs.
Les fidles en furent scandaliss. Leur ancienne ferveur fit place
au doute et de nombreuses hrsies purent prendre racine dans les
esprits. Ce fut l'aube du rveil intellectuel qui se prparait.
Le nouvel tat d'me et sa. rpercussion sur l'architecture
religieuse. Les donateurs se firent rares. A force de btir des
gli-ses, il y en avait d'ailleurs partout, et les membres des
confraternits de Saint-Jean trouvrent de moins en moins l'emploi de
leur talent. Ils s'taient, au surplus, spcialiss dans le style dit
gothique dsormais dmod. Puis vint le schisme de Luther, qui, en
dchanant d'effroyables guerres de religion acheva de dsorganiser
les anciennes corporations constructives.
Elles menaaient de disparatre, en ne laissant d'elles-mmes que
de vagues traces documentaires, mais en affirmant leur puissance
passe par des monuments incomparables, qui s'imposeront toujours
l'admiration de la postrit.
La Kabbale
Tout ne devait pas tre perdu. Une transformation s'laborait, en
provoquant tout d'abord un mouvement intellectuel du
plus haut intrt. Tandis que des querelles de dogme divisaient
les esprit, des intelligences d'lite voulurent approfondir
impartialement les
questions religieuses. On fut amen ainsi tudier plus spcialement
la mtaphysique religieuse des Juifs. Ceux-ci se prten-daient en
possession d'une doctrine secrte remontant jusqu' Mose : c'tait
leurs yeux la tradition par excellence, dite Qabba-lah en hbreu. Il
s'agissait en ralit de conceptions drives, pour une bonne part, du
Gnoticisme alexandrin et empruntes ainsi au patrimoine de l'antique
initiation. Leur caractristique tait de faire ressortir la
concordance fondamentale des religions.
Ces rveries mystiques eurent pour effet pratique de suggrer
l'ide d'une philosophie ralliant indistinctement les fidles de tous
les cultes, sans les obliger renier leurs croyances
particulires.
De vigoureux penseurs, en communion de volont les uns avec les
autres, ayant appliqu toute leur nergie crbrale des spculations de
cette sorte, il on rsulta finalement une tension particulire dans
l'atmosphre mentale du XVIIe sicle.
Les Rose-Croix
L'excs du mal appelle le remde. Les ravages du fanatisme aveugle
devaient conduire au rve d'une rgnration univer-
selle par l'amour et par la science. Vers 1604, une association
secrte (9) voulut rappeler le christianisme l'intelligence de ses
mystres et enseigner au monde les lois de la fraternit.
Les affilis avaient choisi pour emblme une rose fixe sur une
croix et se racontaient la lgende d'un certain Christian
Ro-senkreuz, dont ils prtendaient poursuivre luvre. Ils firent
beaucoup parler d'eux et, tout en se perdant dans les nuages de
l'Hermtisme et de la Thosophie, ils n'en russirent pas moins
frapper les imaginations et y semer des germes dont l'clo-sion ne
devait pas se faire attendre.
La Franc-Maonnerie moderne
La conception d'un idal (Colonne J?) reste strile, tant que
manquent les moyens pratiques de ralisation (Colonne B?).
Les aspirations gnreuses des philosophes ne pouvaient tre mises
en uvre qu' l'aide d'une organisation positive. L'esprit ou l'me ne
peuvent rien, s'ils ne disposent d'un corps comme instrument
d'excution.
Or, l'poque o, grce aux Rose-Croix et d'autres mystiques, une
entit spirituelle planait en quelque sorte dans l'air, an-xieuse de
s'incarner, un organisme propice vint s'offrir elle comme de
lui-mme.
N'ayant plus leur raison d'tre, les anciennes confraternits
maonniques s'taient partout dissoutes, sauf en Grande-Bretagne et
en Irlande, o a toujours rgn un esprit favorable la survivance de
toute tradition ancienne et respectable. Par la
9 L'ordre des Rose-Croix ne fut jamais organis en corps. On tait
considr comme lui appartenant par le seul fait que l'on pos-
sdait certaines connaissances. Les Frres de la Rose-Croix ne se
runissaient pas pour dlibrer ou travailler en commun. Ils sa
contentaient d'entretenir des relations pistolaires et de se
communiquer le fruit de leurs tudes.
-
force d'une habitude passe dans les murs, des associations de
Maons libres et accepts subsistaient donc encore) au XVIIe sicle,
dans divers centres des trois royaumes insulaires. Il tait alors de
notorit publique que les Freemasons se reconnaissaient entre eux a
certains signes, qu'ils s'taient engags par serment garder secrets.
On savait galement que, dans toutes les cir-constances de la vie,
ils taient tenus de se prter une assistance rciproque. Depuis leur
dcadence au point de vue de l'exercice de l'art du btir, la
pratique de la solidarit devenait, en effet, l'objet essentiel de
ces confraternits. La mode se rpandit alors de s'y faire accepter
titre de membre honoraire, et les Loges maonniques se montrrent
d'autant plus accueillantes aux gentle-men qui ne maniaient pas
professionnellement la truelle, que les gens du mtier se
dsintressaient de plus en plus d'une ins-titution ne rpondant plus
gure leurs besoins pratiques. Les Maons accepts devinrent ainsi peu
peu aussi nombreux que les Maons libres, et, au commencement du
XVIIIe sicle, ils furent franchement en majorit.
C'est ce moment que fut prise une rsolution d'une extrme
importance. Elle eut pour effet de faire renoncer aux entrepri-ses
matrielles de l'ancienne maonnerie professionnelle, dsigne comme
oprative, par opposition une nouvelle Maonnerie purement
philosophique, dite spculative.
Ainsi prit naissance la Maonnerie moderne, qui emprunte aux
constructeurs du Moyen Age un ensemble de formes allgo-riques et de
symboles ingnieux, des rgles de bonne discipline et des traditions
de fraternelle solidarit, afin d'appliquer le tout l'enseignement
d'une architecture sociale, s'efforant de construire le bonheur
humain, en travaillant au perfectionnement in-tellectuel et moral
des individus.
Elias Ashmole
La Maonnerie moderne rpondait un besoin ressenti dans toute
l'Europe par les plus nobles esprits. Elle devait donc se
rpandre avec une rapidit qui semblait tenir du prodige. Aussi,
lorsque plus tard on voulut remonter sa source, on ne put se
dfendre de l'ide que, semblable Minerve surgissant toute arme du
cerveau de Jupiter, la conception maonnique avait d tre mrie par
quelque penseur de gnie.
Afin de dcouvrir le fondateur d'une aussi merveilleuse
institution, les Maons anglais du XVIIIe sicle furent passs en
re-vue. On apprit ainsi que, le 16 octobre 1646, un savant
antiquaire, adepte de l'hermtisme et des connaissances secrtes
alors en vogue, fut reu Maon Warington, petite ville du comt de
Lancastre. Il n'en fallut pas davantage pour riger Elias Ashmole
c'est le nom du personnage en hros de lgende. On lui attribua tout
le mrite de la rforme accomplie. Selon le F? Ragon et d'autres
historiens, ce serait lui, le Rose-Croix, qui aurait imprim un
caractre initiatique aux rituels ouvriers primitifs (10). Or, il
n'en est rien ; l'influence que cet amateur de sciences caches
exera sur la Franc-Maonnerie resta nulle. Du vraisembla-blement par
la nature des mystres qui lui furent rvls lors de son initiation,
il ne reparut en loge qu'au bout de 31 ans, le 11 mars 1682, pour
la seconde et dernire fois de sa vie, comme en tmoigne son diary
(journal) qu'il n'a jamais cess de tenir jour par jour avec une
scrupuleuse minutie.
La premire Grande Loge
Contrairement ce que, en bonne logique, il tait permis de se
figurer, les documents positifs nous montrent l'organisation
de la Maonnerie moderne prenant naissance inconsciemment. Les
plus grandes choses peuvent, en effet, tre appeles l'exis-tence par
des individualits qui n'ont aucun soupon de la porte de leurs
actes.
Ce fut le cas des Maons londoniens qui, le 24 juin 1717, se
runirent pour clbrer la fte traditionnelle de Saint Jean-Baptiste.
Ils taient membres de quatre Loges si peu prospres que, pour ne pas
se dsagrger entirement, elles dcidrent de rester unies sous
l'autorit d'officiers spciaux. Or, chacune des loges tant prside
par un Matre (11), on donna le titre de Grand-Matre au prsident du
nouveau groupement, qui, lui-mme, se qualifia Grande-Loge. Encore
est-il douteux que ces ap-pellations furent adoptes ds 1717, la
principale proccupation ayant fort bien pu tre, cette anne-l, de se
runir nouveau en nombre suffisant au prochain solstice d't.
Le premier Grand-Matre fut Antony Sayer, homme obscur, de
condition fort modeste. Il avait t choisi faute de mieux, aussi
s'empressa-t-on, en 1718, de lui donner comme successeur George
Payne, bourgeois bien pos, qui n'avait pas assist la runion
prcdente. Le prochain lu fut Jean-Thophile Dsaguliers (12), docteur
en philosophie et en droit, membre de la So-cit Royale des Sciences
de Londres, Aprs avoir accompli son anne de grande matrise, ce
physicien distingu restitua le maillet au F? Payne, faute d'un plus
illustre personnage.
Pour consacrer le prestige de la Grande-Loge, il importait
d'ailleurs de placer sa tte un homme de qualit. Aussi les Ma-ons de
Londres furent-ils au comble de leurs vux, lorsqu'en 1721, Sa Grce,
le duc de Montagu, daigna accepter la dignit de Grand-Matre. Cette
lection fut du meilleur effet sur le monde profane. Il devint
dsormais de bon ton d'appartenir la Socit des Francs-Maons,
universellement cote comme une compagnie distingue.
10 Cette assertion tmraire, reconnue depuis inexacte, a t
reproduite page 25 de la premire dition (1894) du Livre de
lApprenti.
11 Pour la distinguer des autres Matres, on lui donnait l'pithte
de Vnrable (Worshipful Master), ou on le dsignait comme Master in
the Chair ou Chair Master, d'o est venue l'expression de Matre en
chaire (Meister vom Stuhl ou Stuhlmeister en alle-mand).
12 N la Rochelle, le 12 Mars 1683, fils d'un pasteur calviniste
qui dut se rfugier en Angleterre la suite de la rvocation da l'dit
de Nantes (1685).
-
Le Livre des constitutions. Les modifications apportes au rgime
des anciennes confraternits constructives donnrent lieu la
promulgation d'un
nouveau code de la loi maonnique. La rdaction en fut confie au
F? James Anderson dont l'ouvrage est intitul : The Book of
Constitutions of the Freemasons, containing the history, charges
and rgulations of that most ancient and right worshipful
fraternity.
Il y est dit, en ce qui concerne Dieu et la religion : Un Maon
est oblig, de par sa tenure (13), d'obir la loi morale ; et, s'il
comprend bien l'Art, il ne deviendra jamais un
stupide athe, ni un libertin irrligieux. Bien que, dans les
temps passs, les Maons furent astreints, dans chaque pays, de
pratiquer la religion du dit pays, quelle
qu'elle ft, on estima dsormais plus opportun de ne leur point
imposer d'autre religion, que celle sur laquelle tous les hommes
sont d'accord, et de leur laisser toute libert quant leurs opinions
particulires. Il suffit donc qu'ils soient des hommes bons et
loyaux, gens d'honneur et de probit, quelles que soient les
confessions ou les convictions qui les distinguent,
Ainsi, la Maonnerie deviendra le centre d'union et le moyen
d'tablir une sincre amiti entre personnes qui, en dehors d'elle,
fussent constamment demeures spares les unes des autres.
Relativement l'autorit civile, suprme ou subordonne nous lisons
ensuite : Le Maon est un paisible sujet des pouvoirs civils, en
quelque lieu qu'il rside ou travaille ; il ne doit jamais tre
impliqu
dans des complots ou des conspirations contre la paix et la
prosprit de la nation, ni se comporter incorrectement l'gard des
magistrats subalternes, car la guerre, l'effusion du sang et les
insurrections ont t, de tout temps, funestes la Maonnerie.
.......
Si quelque Frre venait s'insurger contre l'tat, il faudrait se
garder de favoriser sa rbellion, tout en le prenant en piti, comme
un malheureux. S'il n'est d'ailleurs convaincu d'aucun autre crime,
la loyale confraternit, bien que tenue de dsa-vouer la rbellion,
afin de ne point porter ombrage au gouvernement tabli, ni lui
fournir un motif de mfiance politique ne saurait l'expulser de la
Loge, ses rapports avec celle-ci demeurant indissolubles.
L'article VI, qui traite de la conduite en Loge recommande enfin
: Que vos dmls particuliers ou vos querelles ne franchissent jamais
le seuil de la loge, vitez plus encore les controverses
sur les religions, les nationalits ou la politique, attendu,
qu'en notre qualit de Maons, nous ne professons que la religion
uni-verselle mentionne plus haut. Nous sommes d'ailleurs de toutes
les nations, de toutes les langues, de toutes les races, et si nous
excluons toute politique, c'est qu'elle n'a jamais contribu dans le
pass la prosprit des loges et qu'elle n'y contribuera pas davantage
dans l'avenir.
Les Principes fondamentaux de la Franc-Maonnerie.
A la lumire des extraits qui prcdent, la Franc-Maonnerie moderne
nous apparat comme une association d'hommes choi-
sis, dont la moralit a pu tre prouve, si bien que, se sentant
parfaitement srs les uns des autres, ils peuvent pratiquer entre
eux une fraternit sincre et sans rserve.
Ces hommes, reconnus bons, loyaux et probes, sont tenus d'viter
avec le plus grand soin tout ce qui risquerait de les diviser. Il
leur est spcialement interdit de se chercher chicane quant leurs
convictions intimes, tant religieuses que politiques, leur ver-tu
caractristique devant tre, en toutes choses, la TOLRANCE.
Or, pour tre tolrant, il est indispensable d'acqurir des ides
larges et de s'lever au-dessus de ltroitesse de tous les pr-jugs.
La Franc-Maonnerie s'efforce, en consquence, d'manciper les esprits
; elle s'applique, en particulier, les affranchir des erreurs qui
entretiennent la mfiance et la haine parmi les hommes. Ceux-ci, ses
yeux, ne doivent tre estims qu'en raison de la valeur effective
qu'ils tiennent de leurs qualits intellectuelles et morales, toute
autre distinction de croyance, de race, de na-tionalit, de fortune,
de rang, ou de position sociale, devant s'effacer au sein des
runions maonniques.
Extension rapide de la Franc-Maonnerie.
Le code maonnique, rdig et imprim par ordre de la Grande Loge
d'Angleterre, reut l'approbation solennelle de celle-ci
le 17 janvier 1723. Il a toujours t considr, depuis, comme le
document qui dtermine les normes caractristiques de la
Franc-Maonnerie moderne. Son importance est donc capitale, puisque
toute organisation qui s'carterait des principes dont il fut
ins-pir, cesserait, par le fait mme, d'tre maonnique.
Le livre d'Anderson permit d'ailleurs de faire connatre au loin
la nouvelle confraternit, qui rpondait aux aspirations la fois les
plus nobles et les plus gnreuses. Elle ne tarda pas exercer une
vritable fascination sur quantit d'esprits d'lite. On y vit
affluer, en particulier, les penseurs qui taient alors pris de la
doctrine de l'Humanitarisme. N'tait-ce pas une forme, une
organisation, qui s'offrait spontanment, pour revtir d'un corps
tangible les conceptions, jusque-l nuageuses, des philosophes ?
Alors que le sectarisme et l'intolrance venaient de mettre l'Europe
feu et sang, on devait hautement apprcier, en outre, la largeur de
vues dont les Francs-Maons faisaient preuve en matire de religion
et de dogmatisme, non moins que sous le rap-port des dissentiments
politiques. A la puret des principes et l'lvation des tendances
s'associaient enfin certaines allures de mystres et d'impntrabilit,
dont la sduction ne fut pas moins puissante.
Dans ces conditions, les loges se multiplirent trs rapidement,
d'abord en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, puis sur le
continent, pour gagner finalement jusqu'aux confins du monde
civilis.
13 Terme fodal : obligation contracte par le dtenteur du
fief.
-
Au dbut, il est vrai, les loges ne se fondaient pas toujours en
vertu de pouvoirs formels manant de la premire Grande Loge. Tout
Matre-Maon, rgulirement initi en Angleterre, se croyait le droit de
propager l'tranger la lumire maonnique. A cet effet, il
s'entourait, autant que possible, de quelques autres Maons et
procdait avec eux des rceptions selon les formes rituliques. A la
rigueur, il initiait, de son autorit prive, un profane qu'il
estimait digne de cette faveur, puis, eux deux, ils procdaient
l'initiation d'un nouvel adhrent, en sorte de constituer une loge
simple, destine devenir d'abord juste, par l'ad-jonction de deux
nouveaux membres et finalement parfaite, lorsque par son effectif,
elle atteindrait ou dpasserait le nombre sept.
Une loge pouvait d'ailleurs se tenir en n'importe quel local
convenablement clos et l'abri de toute indiscrtion. Certaines
fi-gures traces la craie sur le plancher suffisaient pour
transformer en sanctuaire la premire chambre venue.
On conoit que des loges aussi facilement appeles a l'existence
aient pu disparatre avec une gale facilit, sans laisser de traces
documentaires de leur activit. Aussi, l'histoire de l'introduction
de la Franc-Maonnerie dans les diffrents pays se trouve-t-elle
enveloppe, le plus souvent, d'une profonde obscurit. On est rduit
frquemment des rcits quivoques, dont il est impossible de contrler
l'exactitude.
La Maonnerie anglo-saxonne
Ds qu'un grand seigneur fut la tte de la Grande Loge
d'Angleterre, sa prosprit se trouva immdiatement assure.
Douze loges seulement avaient pris part, le 24 juin 1721,
l'lection du duc de Montagu. Or, trois mois aprs, il y en avait
seize, puis vingt la fin de lanne ; en 1725, quarante-neuf loges
furent reprsentes la Grande Loge.
Ce qui fit surtout rechercher dsormais l'initiation maonnique,
c'est qu'elle confrait, en quelque sorte, un brevet de
respec-tabilit. Le public anglais manifestait cependant quelque
mfiance l'gard d'une socit par trop indiffrente en matire de
re-ligion. Afin de le rassurer, les Freemasons ne tardrent pas
s'affirmer en toutes choses d'une scrupuleuse orthodoxie
anglicane.
Tout un mouvement se dessina dans ce sens peu aprs 1723, nombre
d'esprits timors se scandalisant des innovations consa-cres par le
Livre des Constitutions. Celui-ci avait, leurs yeux, le trs grave
tort de ne rendre aucune croyance obligatoire, alors que
traditionnellement tout Maon avait l'imprieux devoir d'tre fidle
Dieu et la Sainte glise ,
Jalouses de leur autonomie, beaucoup de loges refusrent, en
outre, de reconnatre la Grande Loge de Londres une autorit qu'elles
prtendaient usurpe.
Pour des motifs de cet ordre, et sous d'autres prtextes, il se
produisit au sein de la Maonnerie anglaise une srie de scis-sions
qui eurent pour consquence, partir de 1751, d'opposer l'une l'autre
deux Grandes Loges ennemies.
La plus rcente de ces Grandes Loges ne fut pratiquement
constitue qu'en 1753. Comme ses adhrents se targuaient de res-ter
attachs aux anciens usages, ils ne s'en instituaient pas moins
Ancient Masons, par opposition aux Modern Masons, dont la Grande
Loge tait en ralit la plus ancienne, puisqu'elle remontait
1717.
Ce fut l ce que les historiens ont appel le Grand Schisme. La
constitution des Ancients rendait obligatoire la croyance en Dieu.
Leur rituel abondait en prires et multipliait les citations
bibliques, autant que les formules pieuses. Il comportait
d'ail-leurs un grade supplmentaire, celui de Royal Arch.
Dans ces conditions, tant donn l'esprit qui rgne parmi les
Anglo-Saxons, la concurrence des Anciens devait s'affirmer
d-sastreuse pour les Modernes. Afin de ne point se discrditer
entirement dans leur propre pays, ceux-ci durent cder, en
capitu-lant peu peu sur la plupart des principes qui, au dbut,
avaient sduit l'lite des penseurs de toute l'Europe.
De raction en raction, les Modernes en arrivrent finalement ne
plus se diffrencier des Anciens, que par des nuances ri-tuliques.
Il n'y avait plus l de quoi faire srieusement obstacle la fusion
des deux Grandes Loges anglaises, qui en 1813, s'en-tendirent pour
constituer ensemble la Grande Loge Unie d'Angleterre.
Les dbuts de la Maonnerie en France.
Il se peut que des rfugis anglais se soient livrs, en France,
des travaux maonniques peu aprs 1649, date de la condam-
nation mort et de l'excution de Charles Ier. Parmi ceux
d'entr'eux qui frquentaient la cour de Saint-Germain, ou parmi les
officiers des rgiment* irlandais au service du roi de, France, il y
eut trs vraisemblablement des Maons accepts. Se sont-ils parfois
runi, dans les formes consacres, pour tenir loge selon l'usage de
l'poque ? Cela est fort possible : mais nous man-quons jusqu' ce
jour de preuves documentaires (14).
De toutes les faons, il ne saurait tre question de fondation de
loges permanentes, se runissant priodiquement, qu' partir du
premier quart du XVIIIe sicle. Encore ne peut-on rien affirmer de
prcis relativement aux loges qui, les premires, furent rgulirement
constitues sur le Continent : L'Amiti et Fraternit, O? de Dunkerque
(actuellement L? n 313 de la Grande Loge de France) et la Parfaite
Union, O? de Mons, revendiquent cet gard la priorit, l'une et
l'autre se prtendant fondes en vertu de constitutions dlivres par
le duc de Montagu en 1721.
Malheureusement, les procs-verbaux de la Grande Loge
d'Angleterre ne font mention d'aucune cration semblable.
14 Un adversaire vhment de la F? M? M. Gustave Bord, qui s'est
livr aux recherches historiques les plus minutieuses pr-
tend possder les preuves, mais ne les a pas publies.
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Pour Paris, on fait remonter les premires runions maonniques en
1725. Un groupe d'Anglais, la tte desquels se trou-vaient Charles
Radclyffe, devenu lord Derwentwater depuis la dcapitation de son
frre an (15), le chevalier Maclean (dont les Franais firent
Maskelyne) et Franois Heguerty, cadet au rgiment de Dillon, semble
avoir pris l'habitude, vers cette poque, de se runir rue des
Boucheries, chez un traiteur anglais nomm Hure, l'enseigne du Louis
d'Argent . Cette loge n'avait pu se constituer que motu proprio,
c'est--dire en vertu des seuls droits que ses fondateurs croyaient
tenir de leur initiation. Elle ne songea probablement mme pas se
donner ds le dbut un titre distinctif ; elle parait cependant s'tre
place sous le patronage de Saint-Thomas de Cantorbery.
Compose surtout de rfugis Jacobites, cette loge ne se rattachait
en rien la Grande Loge de Londres, dont l'autorit cen-trale tendait
s'tablir. Certains Maons franais y virent une infriorit, aussi
fondrent-ils le 7 mai 1729, une nouvelle loge, dont Andr-Franois
Lebreton devint le premier Matre. Ce fut la loge Saint-Thomas au
Louis d'Argent qui se runissait rue de la Boucherie, A la Ville de
Tonnerre , chez Debure. Le 3 avril 1732, elle se fit octroyer une
charte rgulire sous le n 90, par le vicomte de Montagu, alors
grand-matre de la Grande Loge d'Angleterre. Cette loge fut visite
en 1735 par Desaguiliers et le duc de Richmond, qui dirigrent ses
travaux au milieu d'une brillante assistance, comportant
Montesquieu et le comte de Wal-degrave, ambassadeur
d'Angleterre.
De cette loge se dtacha, le 1er dcembre 1729, une autre loge qui
prit d'abord le nom de son fondateur, le lapidaire anglais
Coastown, dit Coustaud, pour s'intituler plus tard Loge des Arts
Sainte-Marguerite.
Une quatrime loge fut enfin constitue en 1735, rue de Bussy,
dans la maison dun traiteur nomm Landelle. Ce devint la Loge
d'Aumont, lorsque le duc de ce nom s'y fit recevoir.
Le travail maonnique selon la conception anglaise
Les Maons anglais n'ont jamais prouv le besoin d'imprimer leur
travaux un caractre particulirement philosophique.
En soulevant des discussions au sein des loges, ils auraient
craint de contrevenir cet esprit de fraternit que la
Franc-Maonnerie a pour mission essentielle de propager et
d'entretenir. Ils ont toujours cru qu'il fallait se contenter en
loge de prati-quer le rituel et rien du plus. Aussi, au cours de
leurs runions, se bornent-ils procder scrupuleusement, selon toutes
les for-mes, aux rceptions prvues. Comme c'est l cependant une
occupation monotone, souvent fastidieuse et toujours fort aride,
ils s'en ddommagent chaque fois par un festin, qu'ils estiment
honntement gagn. Tant qu'il est procd aux crmonies rituli-ques, la
discipline la plus parfaite est observe : chacun se tient correct,
solennel et digne, sans se permettre d'changer le moin-dre propos
avec son voisin. Mais lorsque les ouvriers sont appels passer du
labeur au rafrachissement, et que, clos dans le temple, les travaux
sont repris sous une autre forme autour de la table de banquet,
alors toute contrainte disparat, la plus fran-che cordialit
s'tablit entre les convives, et c'est le verre en main, que la
fraternit se manifeste vraiment expansive.
C'est parce que les loges parisiennes ne connurent d'abord
d'autre mode de travail, qu'elles se runissaient invariablement
chez des restaurateurs. Parmi ceux-ci, il s'en trouva qui
cherchrent exploiter la situation, en se faisant recevoir Maons et
mme en acqurant le droit de tenir loge. Or, le Matre de Loge qui
vendait boire et manger avait une tendance naturelle se proccuper
surtout de ses intrts commerciaux. Sous sa direction, les travaux
maonniques risquaient fort de perdre le carac-tre de dignit qui
leur convient.
Cela conduisit, par la suite, de graves abus. Certaines loges
donnrent lieu, en effet, des critiques malheureusement trop
justifies. On y admettait n'importe quel candidat, pourvu qu'il ft
en tat de subvenir aux frais d'initiation ; puis, les travaux de
mastication devinrent ouvertement la chose essentielle,
l'Instruction maonnique se concentrait avec prdilection sur ce
vo-cabulaire grotesque et aucunement initiatique, dont on persiste
parfois faire usage dans les agapes ou banquets d'ordre.
Lgalit
On ne se faisait cependant pas recevoir Maon, mme dans les loges
quivoques, pour le seul plaisir de faire ripaille. Ce qui
fascinait par dessus tout dans l'institution, c'est la pratique
de l'galit. On savait que, sous l'gide du niveau maonnique, les
plus grands seigneurs fraternisaient sans rserve avec ce que l'on
appelait alors les gens du commun. Au sein des loges se trou-vait
donc ralis l'idal d'une vie plus parfaite. Les castes s'y
effaaient, l'individu n'y tant plus apprci qu'en tant qu'Homme,
c'est--dire en raison de sa valeur relle, abstraction faite de ses
conditions de naissance.
La Franc-Maonnerie vint ainsi offrir un excellent, terrain de
culture au ferment des ides rvolutionnaires. Le gouvernement de
Louis XV ne devait pas s'y tromper. Il ne stait pas mu, tant que
des trangers seuls se runissaient
plus ou moins mystrieusement entre eux. Lorsque des personnages
de la haute noblesse franaise se joignirent eux, il ne son-gea pas
encore prendre ombrage. Mais ds qu'il fut reconnu que des manants
s'associaient, sous le couvert de la Maonnerie, aux gens de
condition, l'autorit envisagea comme particulirement suspect le
mystre dont les Maons s'obstinaient s'entou-rer.
Dsormais, les loges furent surveilles par la police, qui fut
amene prendre leur gard une srie de mesures de rigueur. Rien n'y
fit : le mouvement tait lanc. Les interdictions officielles, les
arrestations brutales, les amendes infliges aux cabaretiers qui
recevaient les Maons ne firent que du bruit et de la rclame. On en
fut quitte pour redoubler de prcautions. Les esprits frondeurs
estimrent d'ailleurs piquant d'affronter quelque danger et de
prendre des allures de conspirateurs.
Les premiers Grands-Matres
15 James Radcliffe, excut Londres, la 14 fvrier 1716.
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Vers la fin de 1736, les membres des quatre loges parisiennes,
runis au nombre d'une soixantaine, procdrent pour la pre-
mire fois, l'lection d'un Grand-Matre. Le scrutin dsigna Charles
Radcliff, comte de Derwentwater, pair d'Angleterre, qui succda au
chevalier cossais Jacques Hector Macleane, lequel depuis plusieurs
annes, remplissait l'office de Grand-Matre, probablement en sa
qualit de plus ancien Matre de loge (16).
Se prparant quitter la France (17), le nouveau Grand-Matre
convoqua, pour le 24 juin 1738, une assemble ayant mission de lui
choisir un successeur.
Il avait t entendu que la Grande-Matrise serait confie dsormais
un Franais, lu ad vitam. En ayant t inform, le roi menaa de la
Bastille celui de ses sujets qui se permettrait d'accepter ce
poste. Louis de Pardaillon de Gondrin, duc d'Antin, connu d'abord
sous le nom de duc d'Epernon, ayant t lu, ne s'en laissa pas moins
proclamer Grand-Matre gnral et per-ptuel des Maons dans le royaume
de France .
Louis XV ne crut pas devoir svir contre ce Pair de France. En
revanche, le lieutenant de police, Hrault, voulut s'en prendre une
runion de Francs-Maons que prsidait prcisment le duc d'Antin.
Celui-ci se porta sans hsiter au devant du chef de la police, et,
l'pe au poing, lui intima l'ordre de se retirer. Cet incident
servit grandement la propagande maonnique.
Ce Grand-Matre nergique devait malheureusement mourir l'ge de
trente-six ans, le 9 dcembre 1743. Il fut d'autant plus regrett que
son successeur, Louis de Bourbon-Cond comte de Clermont, prince du
sang, ne s'attacha
aucunement marcher sur ses traces.
Constitution d'une autorit centrale L'assemble qui, le 11
dcembre 1743, confia la grande-matrise au comte de Clermont, eut
l'ambition de soumettre toutes les
loges franaises une autorit centrale rattache la Grande Loge
d'Angleterre. C'est ainsi que fut alors adopt le titre de Grande
Loge Anglaise de France, sans qu'une charte de grande loge
provinciale ait t obtenue de Londres. Il s'agissait, moins de se
subordonner au pouvoir maonnique reconnu comme rgulier, que de
marquer l'adhsion aux mmes principes et l'adop-tion d'un mode de
travail identique.
Deux faits sont ce point de vue caractristiques. D'abord la
promulgation d'Ordonnances gnrales, destines servir de rgle toutes
les loges du royaume. Or, ce premier code maonnique franais
reproduit, en les adaptant aux circonstances, les principales
dispositions du Livre des Constitutions du F?Anderson.
Un article spcial stipule, en outre, que la Grande Loge ne
reconnat aucun grade en dehors de ceux d'Apprenti, Compagnon et de
Matre, entendant ainsi rpudier les nouveauts qui venaient de
surgir.
Les Matres cossais
Le 21 mars 1737, le chevalier Andr-Michel Ramsay, qualifi Grand
Orateur de l'Ordre , fut amen prononcer, pour
une rception de Francs-Maons, un discours qui eut un immense
retentissement. La Franc-Maonnerie y tait rattache aux mystres de
l'antiquit, mais plus directement encore aux ordres religieux et
mili-
taires qui se constiturent l'occasion des croisades. Instruit de
l'histoire de son pays, Ramsay croyait de plus retrouver en, Ecosse
le foyer o les traditions maonniques se seraient conserves avec le
maximum de puret.
Ce morc?, d'arch? ne visait qu' instruire les nophytes et les
Maons en gnral. Des thories hasardes s'y trouvaient ex-poses avec
une entire bonne foi. L'auteur ne proposait d'ailleurs aucune
innovation, pas plus la cration de grades suppl-mentaires, que la
rforme du ritualisme alors en usage.
Il a cependant t rendu responsable de toutes les inventions qui
devaient lancer la Maonnerie dans d'inextricables compli-cations.
En ralit, Ramsay n'y fut directement pour rien, car jamais il
n'imagina le systme de grades qui lui fut attribu plus tard. Mais
ceux qui le conurent s'inspirrent visiblement des ides mises dans
le fameux discours de 1737.
Comparant la Maonnerie la Chevalerie religieuse, Ramsay avait
fait correspondre les Apprentis aux Novices, les Compagnons aux
Profs et les Matres aux Parfaits. On en prit texte, plus tard, pour
combiner une Maonnerie d'abord en six grades, puis en sept ou neuf,
ensuite en vingt-cinq
et finalement en trente-trois degrs. A l'origine, cependant, on
ne vit surgir que des Matres cossais, dont les intentions taient on
ne peut plus louables. Ils se
proposaient, en effet, de rformer la Maonnerie importe
d'Angleterre, en prenant comme modle la Maonnerie d'Ecosse que, sur
la foi des affirmations de Ramsay, ils croyaient plus ancienne et
mieux organise.
16 C'est par erreur que les historiens ont donn jusqu'ici la nom
de Lord Hanouester comme celui de l'lu de 1736. Le nobi-
liaire britnnique ignore ce personnage. Des documents conservs
dans les archives de la grande Loge de Sude tablissent, par contre
qu'en 1735 Macleane a sign, Paris, des pices en qualit de
Grand-Matre et que, l'anne suivante le 27 octobre 1736 son
successeur signait : Derwentwater. Ces faits sont confirms par un
crit paru en 1744, Francfort et Leipzig sous le titre: Der sich
selbst vertheidigende Freimaurer.
17 On suppose que lord Derwentwater se rendit Rome, auprs du
prtendant Charles-Edouard, avec qui il dbarqua en Ecosse la 27 juin
1745. Fait prisonnier aprs la bataille de Culloden (27 avril 1746),
dsastreuse pour la cause des Stuarts, il fut dcapit le 3 dcembre
1746, partageant ainsi le sort de son frre an.
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Ces rformateurs ne semblent pas avoir immdiatement constitu un
quatrime grade ; mais comme ils prtendaient dans les loges
certaines prrogatives, la Grand Loge Anglaise de France crut devoir
leur opposer le texte suivant, qui forme l'article 20 des
Ordonnances gnrales arrtes le 11 dcembre 1743 :
Ayant appris depuis peu que quelques frres se prsentent sous le
titre de matres cossais et revendiquent, dans certaines loges, des
droits et des privilges dont il n'existe aucune trace dans les
archives et usages de toutes les loges tablies sur la sur-face du
globe, la Grande Loge, afin de maintenir l'union et l'harmonie qui
doivent rgner entre tous les Francs-Maons, a dcid que tous ces
matres cossais, moins qu'ils ne soient Officiers de la Grande Loge
ou de toute autre Loge particulire, doivent tre considrs par les
frres l'gal des autres apprentis ou compagnons, dont ils devront
porter le costume sans aucun signe de distinction.
La Priode critique
Les abus auxquels les Matres cossais se proposaient de remdier
provenaient surtout du recrutement dfectueux de certai-
nes loges. On y avait admis trop facilement des esprits frivoles
ou grossiers, incapables de comprendre la Franc-Maonnerie et de
s'en montrer dignes. Ceux d'entre les Maons qui se considraient
comme plus raffins prouvrent alors la besoin de se dis-tinguer des
autres et de se runir part. S'tant concerts en assez grand nombre,
ils rsolurent de chercher s'emparer graduel-lement de la direction
des loges, afin d'y appliquer leurs projets de rforme.
Cette conspiration ne fut pas du got des Matres de loges
parisiens runis en Grande Loge. Aussi leur premier soin fut-il de
se dclarer perptuels et inamovibles, de peur que l'administration
gnrale de l'Ordre, confie la Grande Loge de Paris, en changeant
trop souvent de mains, ne devint trop incertaine et trop
chancelante. Constitu sous d'aussi fcheux auspices, le pouvoir
central de la Maonnerie franaise devait ncessairement manquer
d'autorit. Il eut contre lui l'organisation naissante des Matres
Ecossais, qui, la Maonnerie dite anglaise , prconise par la Grande
Loge comme seule authentique et rgu-lire, ne tardrent pas opposer
une autre Maonnerie baptise cossaise , prtendue de beaucoup plus
ancienne, plus excel-lente et plus respectable.
Il s'agissait, en ralit, d'une conception essentiellement
franaise, dont on aurait en vain cherch le modle en Ecosse. Mais
Ramsay avait donn de la Maonnerie de son pays une notion si
avantageuse, que plus d'un Maon franais a pu, de la meil-leure foi
du monde, localiser dans les brumes du nord de la Grande-Bretagne
des utopies conues par contraste avec ce qu'il avait sous les
yeux.
Les imaginations une fois lances dans cette voie, il se trouva,
par la suite, des fantaisistes assez peu scrupuleux pour tayer
leurs assertions trompeuses de documents forgs de toutes pices, ou
pour le moins scandaleusement antidats. En l'absence de toute
autorit rgulatrice reconnue, chacun voulut finalement se mler de
reformer ou de perfectionner la Maonnerie sa fa-on. C'est alors que
l'on vit surgir de toutes parts les organisations les plus varies,
s'intitulant : Mres-Loges, Chapitres, Aro-pages, Consistoires et
Conseils de toutes sortes. Les Maons en taient venus ne plus se
grouper qu' la faveur d'un nouveau systme de hauts-grades. Le plus
rcent de ces systmes voulait naturellement toujours se faire passer
pour plus ancien et plus illustre que tous les autres. Des lgendes
fallacieuses furent ainsi accrdites, et l'on inventa des grades aux
titres de plus en plus flatteurs pour la vanit de ceux qui les
recherchaient.
La Maonnerie initiatique
L'exubrance vitale, qui s'est manifeste au sein de la Maonnerie
franaise du XVIIIe sicle, ne devait pas se traduire uni-
quement par des effets fcheux. Rduite la scheresse de sa forme
anglaise, la Maonnerie ne pouvait gure convenir au gnie latin. Le
mot initiation impli-
que pour nous bien autre chose que la simple rvlation des
mystres qui permettent aux Francs-Maons de se reconnatre entre eux.
Il voque un pass prestigieux, et sollicite le Maon moderne raliser
l'idal de l'Initi antique.
Prcisment, un acadmicien vers dans ltude de l'antiquit, l'abb
Terrasson, avait fait paratre, en 1728, un roman philo-sophique
intitul Sthos, qui eut de nombreuses ditions. Ce rcit, inspir des
Aventures de Tlmaque, de Fnelon, avait pour h-ros un prince
gyptien, dont l'ducation se complte sous la grande Pyramide. L,
dans des sanctuaires secrets machins en consquence, tout aspirant
la suprme sagesse devait, aux dires de l'auteur, subir les preuves
les plus terrifiantes.
En comparant cette mise en scne dramatique et d'ailleurs
parfaitement imaginaire au crmonial de rception en usage dans la
Franc-Maonnerie, on fut amen ne voir en celle-ci qu'une ple
rminiscence des anciens mystres. Des rforma-teurs se proccuperont
par suite, d'imprimer au rituel maonnique un caractre plus conforme
aux traditions initiatiques. Il de-vait viser former rellement des
Initis, c'est--dire des hommes suprieurs, des penseurs indpendants
dgags des prjugs du vulgaire, des sages instruits de ce qui n'est
pas la porte de chacun.
Sous l'empire de ces proccupations, le rituel franais des trois
premiers grades fut progressivement transform en un vri-table
chef-d'uvre d'sotrisme. Pour qui sait le comprendre, il enseigne
conqurir rellement la Lumire. Aucun des dtails du crmonial qu'il
prvoit n'est arbitraire ; tout s'y tient, l'ensemble tant
logiquement coordonn et chaque partie donnant lieu des
interprtations du plus haut intrt.
On ne saurait en dire autant du ritulisme des stades dits
suprieurs, qui trahissent frquemment, de la part de leurs au-teurs,
une ignorance dplorable en matire de symbolisme. Si mal venus
qu'ils aient pu tre, ces grades n'en prsentaient pas moins une
certaine utilit pratique. En confrant aux roturiers des titres
pompeux de chevaliers ou de princes, ils ralisaient leur manire
l'galit des conditions sociales, une poque o il importait moins de
rabaisser la noblesse que de s'lever jusqu' elle.
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Les Substituts du Grand-Matre
Si le comte de Clermont avait voulu prendre cur les fonctions de
grand-matre, il aurait pu parer la plupart des dsor-
dres qui devaient compromettre l'unit du la Maonnerie franaise.
De grandes esprances staient fondes sur ce prince du sang, dont
l'lection, confirme avec empressement par les loges de province,
semblait tous pleine de promesses. Hlas ! on ne devait pas tarder
reconnatre que le choix du grand-matre avait port sur un courtisan
et non sur un vritable Maon.
Sachant la Maonnerie mal vue en haut lieu, le comte de Clermont
se garda bien de prendre fait et cause pour elle. Loin d'user de
son crdit pour la dfendre contre un redoublement de tracasseries
policires, il ne songea, ds le dbut, qu' se dro-ber aux devoirs de
la charge qu'il avait accepte (18). Prenant prtexte du commandement
que, sans le moindre talent militaire, il exerait aux armes, son
premier soin fut de transmettre ses pouvoirs au grand-matre un
substitut.
Comme tel figura d'abord un banquier nomm Baure, lequel, plus
timor sans doute encore que le comte de Clermont, s'abs-tint
compltement de faire acte de grand-matre. Comme il allait jusqu' se
dispenser d'assembler la Grande-Loge, on fit com-prendre au comte
de Clermont la ncessit de se choisir un mandataire plus actif.
C'est alors que le matre de danse Lacorne, un intrigant suspect de
complaisances honteuses, parvint se faire nommer substitut
particulier du Grand Matre, titre qui mit sa discrtion toute
l'administration maonnique.
Ce choix, estim scandaleux, souleva des protestations vhmentes.
Il y eut scission au sein de la Grande Loge, dont la majo-rit
refusa de s'assembler sous la prsidence de Lacorne. L'anarchie
devint alors complte, sans que le Comte de Clermont tentt d'y
remdier.
En 1762, cependant, la confusion ayant t porte son comble, les
plus srieuses reprsentations sont faites au comte de Clermont.
Celui-ci se dcide alors rvoquer Lacorne et nommer le F? Chaillon de
Jonville son substitut gnral. Il en rsulte une trve, qui rapproche
momentanment les factions rivales. Mais l'harmonie n'est pas
possible : des dissentiments s'lvent de plus en plus aigus. On en
arrive aux injures et mme aux coups. Lorsque, le 4 fvrier 1767, la
Grande Loge s'assemble pour cl-brer la fte de l'Ordre, un tumulte
se produit et dgnre en pugilat. Le lieutenant de police, M. de
Sartines, en ayant t infor-m, ordonne alors la Grande Loge de
suspendre ses sances.
L'Autonomie illimite des Loges.
En l'absence de tout pouvoir rgulateur, la Franc-Maonnerie
franaise n'en continua pas moins dployer ses potentialits
latentes bonnes ou mauvaises. La Grande Loge n'avait jamais
exerc d'ailleurs qu'un semblant d'autorit. En 1755, elle avait
re-nonc se dire anglaise , pour ne plus s'intituler que Grande Loge
de France .
Ce changement de titre avait concid avec une rvision des statuts
de l'Ordre. Le texte qui fut alors adopt stipule, l'article 23, que
seuls les Matres de Loge et les Ecossais auront le droit de rester
couverts. Les Matres Ecossais reoivent, en outre, mis-sion
d'inspecter les travaux des Loges et d'y rtablir l'ordre le cas
chant (article 42).
C'tait l, par rapport aux Ecossais , un revirement complet
d'attitude. Repousses en 1743, leurs prtentions furent, douze ans
plus tard, reconnues et lgitimes par une sanction officielle. C'est
que, dans l'intervalle, leur prestige avait grandi alors que
s'amoindrissait celui du Grand-Matre. On les croyait seuls capables
dsormais de porter remde aux abus contre les-quels ils n'avaient
cess de s'lever.
Ils ne purent malheureusement que veiller l'observation plus
scrupuleuse des formes rituliques, sans russir rendre cer-taines
Loges plus svres en matire de recrutement. Une sorte de concordat
tacite avait, du reste, t conclu entre eux et les Matres de Loge,
dont ils taient ainsi tenus de respecter l'inamovibilit. Or, c'est
prcisment celle-ci qui tait la source des pi-res scandales.
Il est remarquer, que pendant la suspension force des travaux de
la Grande Loge, quelques FF? remuants ne se firent au-cun scrupule
d'usurper son titre et d'agir en son nom. C'est ainsi qu'au
commencement de 1768, la Grande Loge d'Angleterre fut saisie d'une
proposition d'entrer en correspondance rgulire avec la Grande Loge
de France. Ngligeant de se renseigner d'une faon prcise, on crut
Londres pouvoir accepter, sans concevoir le moindre soupon du
subterfuge.
En ralit, partir de 1767, aucun lien administratif, si relch
soit-il, ne maintint plus, ne ft-ce qu'un semblant de cohsion entre
les loges franaises. Pour la plupart, elles ne voulurent plus
relever que d'elles-mmes, Chacune pratiquait le rite qu'il lui
avait plu d'adopter, et si tant d'ateliers se plurent alors se dire
cossais , c'est que ce vocable couvrait toutes les fantaisies. Il
consacrait l'indpendance des loges qui avaient rompu avec les rgles
et traditions de la Maonnerie dite anglaise .
Le Grand Orient de France.
A la mort du comte de Clermont, survenue le 16 juin 1771, la
Grande Loge jusque-l en sommeil, fut convoque en vue de
procder l'lection d'un nouveau Grand-Matre. Son Altesse
srnissime Louis- Philippe-Joseph d'Orlans, duc de Chartres, qui
prit plus tard le nom de Philippe- Egalit, obtint la majorit des
suffrages.
Tout comme son prdcesseur, ce personnage princier ne fut jamais
qu'un pitre Maon, qui devait aller, en 1793, jusqu' re-nier
formellement la Franc- Maonnerie (19). On parat, du reste, ne pas
s'tre trop illusionn sur son compte, car, en mme
18 Le comte de Clermont n'osa porter le titre de grand-matre qu'
partir de 1747, la roi, par drision sans doute, ayant alors
daign le lui permettre. 19 Voir Daruty. Recherches sur le Rite
Ecossais, p. 134, la lettre par laquelle il rpudie ses
fonctions.
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temps que le Grand-Matre, dont les fonctions taient surtout
honorifiques, on eut soin de nommer un administrateur-gnral, charg
de prsider d'une manire effective aux destines de l'ensemble de la
Maonnerie franaise. Ce poste, qui n'tait se-condaire qu'en
apparence, fut confi au duc de Luxembourg, alors g de trente-trois
ans. Nul choix ne pouvait tre mieux ins-pir. Plein de zle et
d'ardeur, l'administrateur-gnral comprit qu'il lui incombait de
grouper en un seul faisceau toutes les forces maonniques du
royaume. L'anarchie ayant atteint son paroxysme, le besoin d'une
autorit centrale coordinatrice se fai-sait puissamment sentir.
Rsolu constituer cette autorit, le duc de Luxembourg songea tout
d'abord provoquer des rformes au sein de la Grande Loge ; mais il
ne tarda pas se convaincre qu'il n'y avait rien esprer de ce ct.
Les Matres de loges inamovibles se considraient comme des dtenteurs
de fiefs et n'admettaient pas que leurs droits fussent mis en
question.
S'entourant alors des Maons les plus comptents, l'administrateur
-gnral labora, de concert avec eux, un plan complet de
rorganisation ; puis, quand tout fut prt, il prit une initiative
sans prcdent, eu invitant les loges de province se faire
repr-senter Paris par des dputs, lesquels, conjointement avec les
reprsentants des loges de la capitale, devaient dlibrer sur le
projet de rforme et prendre, d'une manire gnrale, des mesures
d'intrt commun.
L'assemble qui, la suite de cette convocation, se runit Paris,
au commencement de mars 1773, prit le titre de Grande Loge
Nationale. Elle se considra comme investie de pleins pouvoirs pour
l'organisation en France d'un gouvernement maon-nique bas sur le
rgime reprsentatif, la loi maonnique devant tre dsormais
l'expression de la volont gnrale. Il fut donc dcid que chaque loge
serait reprsente d'une manire permanente, auprs de la nouvelle
autorit centrale, appele Grand Orient de France. On stipula, en
outre, que les officiers des ateliers ne seraient plus lus que pour
une anne, ce qui mit fin au privilge du Matre de loge, intitul
depuis vnrable Matre ou simplement Vnrable.
La diversit des rites tant admise, le Grand Orient ne visait pas
raliser l'uniformit au sein de la Maonnerie franaise. Il se bornait
constituer une centralisation essentiellement administrative, qui,
tout en fdrant les loges, leur permettait de rester rattaches aux
multiples corps maonniques prcdemment tablis. L'autorit centrale
reut cependant mission de vrifier les pouvoirs de tous ces
groupements, afin de dterminer nettement les droits de chacun.
Tous les Maons qui, la suite de cette vrification gnrale, furent
reconnus comme rguliers, reurent communication, partir de 1777,
d'un double mot de reconnaissance, renouvel tous les six mois.
Cette mesure est reste particulire la Maon-nerie franaise, l'emploi
des mots de semestre ne s'tant pas rpandu l'tranger, o le tuilage
continue s'effectuer dans toute sou ancienne ampleur.
La Grande Loge de Clermont
Les rformes provoques par le duc de Luxembourg froissaient de
nombreuses susceptibilits. Le Grand Orient avait t
substitu a l'ancienne Grande Loge par une sorte de coup d'tat,
dont la lgalit pouvait tre conteste. Les mcontents se re-tranchrent
donc derrire des droits prtendus imprescriptibles, pour refuser
d'adhrer au nouvel ordre des choses. Il y eut ain-si en France deux
autorits maonniques rivales, subsistant l'une ct de l'autre en fort
mauvaise intelligence. Tout en se dnonant rciproquement comme
irrgulires, elles n'en avaient pas moins simultanment toutes deux
leur tte, le duc de Chartres, en sa qualit de Grand-Matre de toutes
les loges rgulires de France. Les adversaires du Grand Orient
formaient ce que l'on appelait communment la Grande Loge de
Clermont, laquelle se dsignait elle-mme comme l'Ancien et Unique
Grand Orient de France.
La Franc-Maonnerie avant la Rvolution
De 1773 1789, la Maonnerie prit en France une immense extension.
Elle tait alors en vogue. Il tait de bon ton d'en faire
partie. Ses mystres excitaient la curiosit gnrale, d'autant plus
qu'on leur demandait la clef de toutes les nigmes. Les nouvel-les
ides semblaient ne pouvoir mieux s'accrditer qu' la faveur des
formes maonniques. Cest ainsi que la Maonnerie servit aux
propagandes les plus diverses. Les initiations secrtes donnaient du
piquant aux abstractions philosophiques les plus ar-dues ; elles
astreignaient rflchir sur des problmes scientifiques, quand elles
ne confraient pas un enseignement voil, mais d'autant plus
redoutable, en matire politique.
L'influence que les loges exercrent sous ce dernier rapport a t
mise en lumire par Louis Blanc dans les termes suivants : Il
importe, dit-il, d'introduire le lecteur dans la mine que
creusaient alors sous les trnes, sous les autels, des
rvolutionnai-
res bien autrement profonds et agissants que les encyclopdistes
(20). Puis il montre comment la chute de l'ancien rgime fut prpare
par les loges, sans que nanmoins il y ait eu complot de leur
part. Les Maons de l'poque n'taient ni des conspirateurs ni des
nergumnes se consumant en vaines dclamations contre les abus dont
il y avait se plaindre. C'taient uniquement des hommes sincres, qui
se contentaient de mettre en pratique dans les loges les ides de
Libert, d'galit et de Fraternit. Mais la F? M? prsentait dans ses
usages l'image d'une socit fonde sur des principes contraires ceux
du milieu ambiant :
Dans les loges maonniques, les prtentions de l'orgueil hrditaire
taient proscrites et les privilges de la naissance car-ts... Dans
le cabinet de rflexions, le profane lisait cette inscription
caractristique : Si tu tiens aux distinctions humaines, sors : on
n'en connat point ici ! Par le discours de l'orateur, le
rcipiendaire apprenait que le but de la F? M?, tait d'effacer les
distinctions de couleur, de rang, de patrie ; d'anantir le
fanatisme : d'extirper les haines nationales ; et c'tait l ce qu'on
expri-mait sous l'allgorie d'un Temple immatriel, lev au grand
architecte de l'univers par les sages des divers climats, temple
au-guste dont les colonnes, symboles de force et de sagesse, taient
couronnes des grenades de l'amiti.
20 Histoire de la Rvolution franaise (Les Rvolutionnaires
Mystiques), p. 37.
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Ainsi, par le seul fait des bases constitutives de son
existence, la F? M?, tendait a dcrier les institutions et les ides
du monde extrieur qui l'enveloppait. Il est vrai que les
instructions maonniques portaient soumission aux lois, observation
des formes et des usages admis par la socit du dehors, respect aux
souverains. Il est vrai que, runis table, les Maons buvaient au roi
dans les Etats monarchiques, et au magistrat suprme dans les
rpubliques. Mais de semblables rserves, commandes la prudence d'une
association que menaaient tant de gouvernements ombrageux, ne
suffisaient pas pour annuler les influences naturellement
rvolutionnaires, quoique en gnral pacifiques de la F? M?. Ceux qui
en faisaient part continuaient bien tre, dans la socit profane,
riches ou pauvres, nobles ou plbiens ; mais, au sein des loges,
temples ouverts la pratique d'une vie suprieure, riches, pauvres,
nobles, plbiens, devaient se reconnatre gaux et s'appelaient frres.
C't