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Observations sur l'Orthographe ou Ortografie Franaise
Note de l'esclave de service
L'ide de cette punition m'est venue en dcouvrant la
pagehttp://projects.chass.utoronto.ca/langueXIX/firmin/
Le prsent document a t cr partir d'un texte brutoriginaire d'un
scan sauvage. Vous le trouverz l'adresse
:http://www.archive.org/details/observationssurl00didouoft
Et du scan, non moins sauvage, effectu par la BNFque l'on peut
admirer l'adresse :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50606q/
Quant en savoir un peu sur Ambroise Firmin
Didothttp://fr.wikipedia.org/wiki/Ambroise_Firmin_Didot
La cration de ce document fait partie de mon plaidoyeren faveur
d'une rforme drastique de l'ortographe.J'ai commis un site cet
effet l'adresse :http://rocbo.lautre.net/orthog/index.html
Je vais m'atteler l'Histoire de la rforme orthographique depuis
le XVe sicle jusqu'a nos jours du mme Firmin.
tant tranger au latin ainsi qu'au grec, toute remarque et/ou
toute correction propose sont les bienvenues.
Document libre de droits.
rocbo : [email protected]://rocbo.lautre.net/
http://rocbo.lautre.net/mailto:[email protected]://rocbo.lautre.net/orthog/index.htmlhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Ambroise_Firmin_Didothttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50606q/http://www.archive.org/details/observationssurl00didouofthttp://projects.chass.utoronto.ca/langueXIX/firmin/
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OBSERVATIONSSUR
L'ORTHOGRAPHEOU ORTOGRAFIE
FRANAISESUIVIES D'UNE
HISTOIRE DE LA RFORME ORTHOGRAPHIQUE
DEPUIS LE XVe SICLE JUSQU'A NOS JOURS
PAR
AMBROISE FIRMIN DIDOTDEUXIME DITION
REVUE ET CONSIDRABLEMENT AUGMENTE
PARIS
TYPOGRAPHIE DE AMBROISE FIRMIN DIDOT
IMPRIMEUR - LIBRAIRE DE L'INSTITUT DE FRANCE
RUE JACOB, 56
1868
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A MESSIEURS
DE
L'ACADMIE FRANAISE
HOMMAGE RESPECTUEUX
OFFERT
PAR AMBROISE FIRMIN DIDOTIMPRIMEUR-LIBRAIRE DE L'ACADMIE
FRANAISE
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OBSERVATIONS
SUR
L'ORTHOGRAPHEOU ORTOGRAFIE
FRANAISE
Remdier aux imperfections encore si nombreuses de notre
orthographe, imperfections qui dmentent la logique et la nettet de
l'esprit franais, serait chose bien dsirable un double point de vue
: le bon et rapide enseignement de la jeunesse, la propagation de
notre langue et de ses chef-d'uvre. Mais cette tche est bien plus
difficile que ne le supposent ceux qui, frapps des abus, ne se sont
pas rendu compte de la nature des obstacles, ainsi que des efforts
divers tents depuis trois sicles pour la solution d'un problme
aussi compliqu. C'est l'Acadmie franaise, cause mme de sa lgitime
influence sur la langue et de l'autorit de son Dictionnaire, devenu
depuis longtemps le Code du langage, qu'il convient d'examiner, en
vue de la nouvelle dition qu'elle prpare, les modifications
introduire dans l'orthographe, pour satisfaire, dans une juste
mesure et conformment ses propres prcdents, aux vux le plus
gnralement manifests.
Fidle son institution et sa devise, l'Acadmie, tout en tenant
compte des ncessits du prsent,
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2 OBSERVATIONS
jette au loin ses regards sur l'avenir pour conduire, de degr en
degr, la langue franaise sa perfection. Grce aux amliorations
successivement introduites par l'Acadmie dans les six ditions de
son Dictionnaire, amliorations attestes par la comparaison de celle
de 1835 avec la premire de 1694, ce qui reste faire dans notre
orthographe est peu considrable, et pourrait mme tre admis en une
seule fois, si l'Acadmie se montrait aussi hardie qu'elle l'a t
dans sa troisime dition. Jusqu'au commencement de ce sicle, son
Dictionnaire, moins rpandu; n'avait pas acquis l'autorit dont il
jouit universellement ; de sorte qu'il restait chacun quelque
libert pour modifier l'orthographe, soit dans le manuscrit, soit
dans l'impression (1). C'est ainsi qu'avaient pu et que pouvaient
encore se faire jour les prfrences en matire d'criture de ceux
qu'on nommait alors les honntes gens et dont la manire tait dsigne
sous ce nom : l'Usage. Mais l'Usage, que l'Acadmie invoquait
jusqu'en 1835 comme sa rgle, n'a plus aujourd'hui de raison d'tre ;
le Dictionnaire est l qui s'oppose tout changement : chaque
crivain, chaque imprimerie, s'est soumis la loi : elle y est grave
; les journaux, par leur immense publicit, l'ont propage partout ;
personne n'oserait la braver. Ainsi tout progrs deviendrait
impossible, si l'Acadmie, forte de l'autorit qu'elle a justement
acquise,
(1) Ainsi mon pre et mon oncle, ds 1798, s'cartant de
l'orthographe traditionnelle, avaient remplac, dans leurs ditions,
l'e par l'a, et imprim franais et non franois, je reconnais et non
je reconnois, modification importante qui fut admise par l'Acadmie
dans la dernire dition de son Dictionnaire de 1835. Maintenant
toute rectification, quelque faible qu'elle soit, serait imprudente
et mme impossible. M. Sainte-Beuve est, je crois, le seul qui
exigea de ses imprimeurs de rtablir l'accent grave aux mots termins
en ge. Mais il rsulte de l'inadvertance des compositeurs et mme des
correcteurs une srie incessante d'hsitations d'o proviennent des
fautes et des corrections trs coteuses qui rendraient presque
impossibles des impressions o chacun voudrait qu'on suivit les
caprices de son orthographe. Le Dictionnaire de l'Acadmie est donc
la seule loi.
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SUR L'ORTHOGRAPHE. 3
ne venait elle-mme au devant du vu public en faisant un nouveau
pas dans son systme de rforme, afin de rendre notre langue plus
facile apprendre, lire et prononcer, surtout pour les trangers. Que
d'efforts et de fatigues quelques rformes pourraient encore pargner
aux mres et aux professeurs ! que de larmes l'enfance ! que de
dcouragement aux populations rurales ! Tout ce qui peut conomiser
la peine et le temps perdus crire des lettres inutiles, consulter
sa mmoire, souvent en dfaut, profiterait chacun. Car, avouons-le,
personne d'entre nous ne saurait s'exempter d'avoir recours au
Dictionnaire pour s'assurer s'il faut soit l'y soit l'i dans tel ou
tel mot ; soit un ou deux l, ou n ou p dans tel autre ; soit un ph
ou un th ; un accent grave ou un accent circonflexe, un trma ou un
accent aigu, un trait d'union ou mme la marque du pluriel, l's ou
le le x dans certains mots. Il serait trop long d'numrer ici les
tentatives plus ou moins senses, plus ou moins tmraires, proposes
depuis le commencement du seizime sicle pour la simplification de
l'orthographe : les unes, trop absolues dans leur ensemble,
dnaturaient le caractre et les traditions de notre idiome; d'autres
droutaient et offensaient la vue en altrant la simplicit de notre
alphabet ; d'autres, enfin, n'avaient peut-tre que le tort d'tre
prmatures et de contrarier des habitudes contractes ds l'enfance,
et d'autant plus tenaces qu'elles avaient cot plus de peine
acqurir. (Voy. l'Appendice D.) L'Acadmie seule, quelquefois avec
une grande hardiesse, a pu introduire et sanctionner de sages
modifications ; toutes ont t accueillies avec reconnaissance en
France et dans les pays trangers. C'est donc sa sagesse de juger
dans quelles limites on devra cder au vu manifest par tant de bons
esprits durant plus de trois sicles. Les concessions qu'elle croira
devoir faire ne seront mme que la consquence de l'opinion mise par
elle en 1718 dans la prface de la deuxime dition de son
Dictionnaire :
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4 OBSERVATIONS
Comme il ne faut point se presser de rejeter l'ancienne
orthographe, on ne doit pas non plus, dit-elle, faire de trop
grands efforts pour la retenir. Ces modifications seraient d'autant
plus utiles et opportunes qu'elles hteraient le dveloppement et la
propagation de l'instruction primaire dans nos campagnes, et
l'enseignement de la langue franaise aux Arabes, moyen le plus sr
de nous les assimiler (1). Ce bienfait s'tendrait mme tout
l'Orient, o on se livre de srieux efforts pour indiquer par des
signes la prononciation des mots de notre langue ces populations
aussi nombreuses que diverses (2). Faciliter l'criture et la
lecture de la langue nationale, c'est contribuer la rpandre et la
maintenir. Avant mme que Franois 1er, par son dit de
Villers-Cotterets, du 10 aot 1539, et rendu officielle la langue
franaise, en bannissant le latin de tout acte public, beaucoup de
grammairiens et de savants imprimeurs s'taient occups de rgulariser
notre orthographe. Le dsordre dans l'criture du franais tait alors
son comble : chacun, loin de la rapprocher de sa simplicit
antrieure, croyait faire montre de savoir en la compliquant par la
multiplicit des consonnes. Ronsard, aprs s'tre plaint dans la
prface de sa premire dition de la Franciade, en 1572, de
l'impossibilit de se reconnatre dans la corruption de l'orthographe
, crivait dans sa seconde dition :
Quant nostre escriture, elle est fort vicieuse et corrompue, (1)
M. le gnral Daumas a mis en pratique, et avec succs, le systme de
simplification d'orthographe dont on est redevable M. Fline. (2) En
ce moment, M. Pauthier me montre plusieurs Dictionnaires
polyglottes imprims Yeddo. Dans celui qui est intitul
San-gio-ben-ran, les Trois Langues synoptiques, Yeddo, 1854, les
mots japonais sont traduits en franais, en anglais et en
hollandais, et la prononciation y est figure par des signes. Je
vois donc au mot ortographier la notation du son phi figure par le
mme signe qui est appliqu pi dans le mot opiner qui prcde. Ainsi
donc les Japonais, au lieu de prononcer ortographier, prononceront
ortograpier, ou bien ils devront prononcer ofiner au lieu
d'opiner.
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SUR L'ORTHOGRAPHE. 5
et me semble qu'elle a grand besoin de reformation : et de
remettre en son premier honneur le K et le Z, et faire charactres
nouveaux pour la double N, la mode des Espagnols, n pour escrire
monseigneur, et une L double pour escrire orgueilleux (1). Plus
tard, en tte de son Abrg de l'Art potique, il dveloppe plus
nergiquement encore son opinion sur la rforme de l'orthographe
franaise. Et le grand Corneille, trente ans avant le Dictionnaire
de l'Acadmie, proposait et appliquait lui-mme une criture plus
conforme la prononciation, devanc mme en cela par l'un de ses
prdcesseurs l'Acadmie, d'Ablancourt, et surpass en hardiesse par
son collgue Dangeau. (Voir les Appendices B et C.) Cependant, ds
l'anne 1660, trente-quatre ans avant l'apparition du Dictionnaire
de l'Acadmie, la Grammaire de Port-Royal avait pos les bases de
l'accord de l'criture et de la prononciation ; elle voulait :
1 Que toute figure marqut quelque son, c'est--dire qu'on
n'crivit rien qu'on ne pronont ; 2 Que tout son ft marqu par une
figure, c'est--dire qu'on ne pronont rien qui ne ft crit ; 3 Que
chaque figure ne marqut qu'un son, ou simple ou double ; 4 Qu'un
mme son ne ft point marqu par des figures diffrentes.
Pourquoi donc, aprs de telles prmisses, tant de contradictions
qu'on ne saurait justifier et auxquelles l'esprit logique de
l'enfance ne se soumet qu'en faisant abandon de cette rectitude de
raisonnement qui nous tonne si souvent et nous force d'avouer qu'en
fait de langue la raison n'est pas du ct de l'ge mr ?
(1) Tu viteras toute orthographie superflue et ne mettras
aucunes lettres en tels mots, si tu ne les prononces en lisant
(Abrg de l'Art potique, par Ronsard, dit. de 1561.)
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6 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Pour quiconque veut approfondir l'tude de la langue franaise,
rien de plus intressant que d'en suivre les progrs dans les
modifications apportes par l'Acadmie dans les ditions successives
de son Dictionnaire. Dans chacune d'elles, en effet, sont
enregistrs les changements rsultant soit de la suppression de mots
suranns, soit de l'introduction de ceux qu'elle jugeait
admissibles, soit de modifications apportes dans l'acception des
mots et des locutions. Mais pour ne parler ici que de
l'orthographe, c'est dans ses variations successives qu'on peut
apprcier cette tendance la simplification dans la forme des mots
qui rpond au besoin toujours croissant de mieux conformer l'criture
la rapidit de la pense. Par ce qui est fait on jugera mieux de ce
qui reste faire.
PREMIRE DITION DU DICTIONNAIRE.
A l'poque o l'Acadmie rsolut de rdiger son Dictionnaire, deux
courants opposs portaient le trouble dans les imprimeries : les
unes, sous l'influence des Estienne, modelaient leur orthographe
sur la langue latine, les autres sur celle de nos vieux potes et
chroniqueurs. Antrieurement l'apparition, en 1540, du Dictionnaire
de Robert Estienne, on remarque dans nos plus anciens lexiques une
orthographe plus simple. Ainsi, dans les glossaires imprims de 1506
1524 (1) je vois les mots lait, laitue, extrait, fait, points,
htifs, soudain, etc., crits comme ils le sont aujourd'hui, tandis
qu'Estienne les crit laict, laictue, extraict, faict, poinct,
hastif, soubdain etc. Son systme se propagea dans les
Dictionnaires. Cependant, en 1630, se produit un retour vers les
principes de notre ancienne et nayve criture : Philibert Monet
(1) Catholicon abbrevlatum, Jean Lambert, 1506. Vocabularium
Nebris-sens, 1524. - Vocabularium latinum, gallicum et theutonicum,
Strasbourg Mathis Humpffurf, 1515. On trouve dans ce petit ouvrage
les mots ainsi crits : emorrodes, idropisie, sansue, otruche,
masson, aguille, aguillon, etc.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 7
publie dans son Inventaire des deus langues franoise et latine
(1) le dictionnaire de la rforme orthographique, auquel cinquante
ans plus tard, Richelet, avec plus de faveur, donne une forme plus
complte et plus rgulire (2). Tel tait l'tat des choses, lorsque,
aprs soixante ans de discussion, d'hsitation et d'examen, l'Acadmie
fit paratre son grand travail.
L'apparition du premier Dictionnaire de l'Acadmie, publi en
1694, fut donc un vnement, et on ne saurait tre trop reconnaissant
du service qu'il rendit alors. Frappe du dsordre de l'criture et
des impressions (3), l'Acadmie, pour y remdier, prfra rapprocher
l'orthographe franaise de la forme du latin littraire, et cela,
malgr l'opposition du vieil esprit franais, dont, cent ans plus tt,
Ronsard et d'autres membres de sa pliade s'taient montrs les
reprsentants. Elle crut, en s'appuyant sur une langue dsormais
fixe, donner plus de stabilit notre orthographe ; d'ailleurs on
tait alors sous l'influence encore toute-puissante de la latinit.
Cependant ce ne fut pas sans luttes et sans opposition au sein mme
de l'Acadmie que prvalut l'criture dite tymologique. M..
Sainte-Beuve, dans son article sur Vaugelas, nous en offre une vive
image :
(1) P. Monet, de la compagnie de Jsus. Invantaire des deus
langues franoise et latine, assorti des plus utiles curiosits de
l'un et l'autre Idiome. Lyon, 1635, in-fol. de 6 ff. et 990 pages 2
colonnes en petit caractre. (2) Richelet, Dictionnaire franois,
etc. Genve, Hermann Widerhold, 1680, 2 tom. petit in-4 Dans
l'Avertissement, Richelet dit que c'est l'imitation de monsieur
d'Ablancourt et de quelques autres auteurs clbres, qu'on a chang
presque toujours l'y grec en i simple; qu'on a supprim la plupart
des lettres doubles et inutiles qui ne dfigurent pas les mots
lorsqu'elles en sont retranches, comme dans afaire, ataquer,
ateindre, dificile, et non pas affaire, attaquer, atteindre,
difficile, etc. Et en effet, ds le dbut, on trouve dans son
Dictionnaire : abesse, abae, abatial, abatre, ab, acabler,
acablement, (3) Un seul exemple suffira pour donner une ide des
bizarreries et des anomalies de l'orthographe des manuscrits et des
impressions : dans une des meilleures ditions du Gargantua de
Rabelais (Lyon, Franois Juste, 1642, in-16), je lis dans le
prologue le mot huile crit en huit lignes de trois manires
diffrentes.
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8 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Chapelain, nous dit-il, parmi les oracles d'alors, est le plus
exemple de cet abus du grcisme et du latinisme en franais; il avait
pour contre-poids, l'Acadmie, Conrart qui ne savait que le franais,
mais qui le savait dans toute sa puret parisienne. Chapelain aurait
voulu, par respect pour l'tymologie, qu'on gardt la vieille
orthographe de charactre, cholre, avec ch, et qu'on laisst
l'criture hrisse de ces lettres capables de drouter tout moment et
d'garer en ce qui est de la prononciation courante. Il trouvait
mauvais qu'on simplifit l'orthographe de ces mots drivs du grec,
par gard pour les ignorants et les idiots car c'est ainsi qu'il
appelait poliment, et d'aprs le grec, ceux qui ne savaient que leur
langue. Vaugelas faisait le plus grand cas, au contraire, de ces
idiots, c'est--dire de ceux qui taient nourris de nos idiotismes,
des courtisans polis et des femmelettes de son sicle, comme les
appelait Courier ; il imitait en cela Cicron qui, dans ses doutes
sur la langue, consultait sa femme et sa fille, de prfrence
Hortensius et aux autres savants. Moins on a tudi, et plus on va
droit dans ces choses de l'usage : on se laisse aller, sans se
roidir, au fil du courant. Pour moi, disait Vaugelas, je rvre la
vnrable antiquit et les sentiments des doctes; mais, d'autre part,
je ne puis que je ne me rende cette raison invincible, qui veut que
chaque langue soit matresse chez soi, surtout dans un empire
florissant et une monarchie prdominante et auguste comme est celle
de la France (1).
Et en effet, si l'on examine l'criture des mots qui figurent
dans cette premire dition, en la comparant celle des Cahiers de
Remarques sur l'orthographe franaise pour estre examinez par chacun
de Messieurs de l'Acadmie (2), on voit que la compagnie, en les
crivant plus simplement, montrait dj plus de rserve et de
discernement dans l'emploi des formes tymologiques que ne l'avait
fait le secrtaire perptuel Regnier des Marais dans les Cahiers
prparatoires dont il fut l'un des principaux rdacteurs.
(1) Nouveaux Lundis, t. VI, p. 372. (2) Tel que appast,
charactere, chameleon, espleur, crit ensuite par l'Acadmie espleur
et esplor, puis plor, estester (tter), despourveue, desaisner,
despescher, desvoyement, phanatique, pyrate, allit, desboest, que
l'Acadmie crivit d'abord dboist, puis dboit dans la troisime
dition.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 9
L'influence de Regnier des Marais qui avoit employ cet difice
(la grammaire ordonne par la compagnie) cinquante ans de rflexions
sur notre langue, la connoissance des langues voisines et trente
quatre ans d'assiduit dans les assembles de l'Acadmie, o il avoit
presque toujours tenu la plume (1), devait naturellement prdominer
dans la rdaction du Dictionnaire. Une volont aussi persvrante, le
service rel qu'il rendait en se chargeant de la rdaction difficile
de la grammaire dont la socit lui avait confi le soin, finirent par
l'emporter sur les opinions contraires et les scrupules de ses
illustres confrres, parmi lesquels nous voyons Dangeau et
d'Ablancourt protester par leurs crits en adoptant un systme
entirement oppos. D'autres membres de l'Acadmie, tels que
Corneille, Bossuet, montrent aussi par leur criture conserve dans
leurs manuscrits qu'ils auraient prfr une orthographe plus simple
et plus rapproche de la forme franaise. (Voir l'Appendice E.) Le
courant de la latinit prdomina donc, et l'Acadmie, pour lever son
grand monument littraire, crut mme devoir se conformer l'exemple
donn par les rudits, en adoptant, pour le classement des mots du
Dictionnaire, l'ordre savant mais peu pratique dont Robert et Henri
Estienne offraient le modle dans leurs Trsors de la langue latine
et de la langue grecque. Les mots rangs, non selon l'ordre
alphabtique, mais par familles, furent groups autour de la racine
(2).
(1) Le P. Buffier, dans les Mmoires de Trvoux, t. XXI, p. 1642.
(2) A cette dition eu deux volumes date de 1694 se trouvent joints
deux autres volumes, mme format et mme caractre, portant la mme
date 1694, sous ce titre : Le Dictionnaire des arts et des
sciences, par M. D. C. de l'Acadmie franaise ; tome troisime et
tome quatrime, chez la veuve Coignard et Baptiste Coignard. Le
privilge, dat du 7 septembre 1694, est concd au sieur D. C. de
l'Acadmie franaise (et rtrocd par lui la veuve Coignard et son fils
J.-Baptiste
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10 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
DEUXIME DITION.
Mais bientt l'Acadmie, reconnaissant que l'utilit pratique tait
prfrable, renona, dans sa seconde dition, en 1718, ce classement
pour revenir l'ordre alphabtique, moins rationnel sans doute, mais
plus pratique. C'est ce qu'elle annonait ainsi dans sa prface :
La forme en fut si diffrente, que l'Acadmie donna plutt un
Dictionnaire nouveau qu'une nouvelle dition de l'ancien. L'ordre
tymologique, qui dans la spculation avoit paru le plus convenable,
s'tant trouv trs-incommode, dut tre remplac par l'ordre
alphabtique, en sorte qu'il n'y et plus aucun mot que, dans cette
seconde dition on ne pt trouver d'abord et sans peine.
L'Acadmie, sans se borner ce grand changement, matriel, il est
vrai, mais si utile, donna cette seconde dition un caractre tout
particulier en l'enrichissant d'un grand nombre de termes d'art et
de sciences dont l'usage avait pntr dans la socit. Elle s'appliqua
aussi rectifier et claircir les dfinitions et complter les
acceptions et significations diverses des mots. Le simple mot bon,
par exemple, reut soixante-quatorze significations toutes
diffrentes. On ne doit donc pas s'estonner, dit la prface, que ce
travail, qui a chang toute la forme du Dictionnaire, ait occup
durant tant d'annes les sances de l'Acadmie, et quant
l'orthographe, l'Acadmie, dans cette nouvelle dition, comme dans la
prcdente, a suivi en beaucoup de mots
Coignard). On lit au bas : le Dictionnaire a t achev d'imprimer
le 11 septembre 1694. Quant l'orthographe, c'est la mme que celle
du Dictionnaire de l'Acadmie franoise. Elle est encore plus
tymologique. Ainsi on y lit phrnsie, phthisie. La rdaction
principale est attribue Thomas Corneille. Mais pourquoi le titre
porte-t-il par M. D. C. de l'Acadmie franoise? Je ne vois aucun de
ses membres qui cette indication puisse convenir parmi les noms de
ceux qui figurent dans la liste des acadmiciens placs au
commencement du Dictionnaire de l'Acadmie de 1694. On y lit :
Thomas Corneille receu en 1635 la place de Pierre Corneille son
frre, qui avoit succd Franois Maynard. D'o peut donc provenir ce D.
plac avant l'initiale C. et qui figure aussi au privilge ?
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 11
l'ancienne manire descrire, mais sans prendre aucun, parti dans
la dispute qui dure depuis si longtemps sur cette matire. Elle
autorisa mme, en quelque sorte, la libert du choix entre l'ancienne
et la nouvelle. Si elle ne supprima pas l's dans la foule de mots o
cette lettre ne se prononce pas, du moins elle prit soin d'indiquer
le cas o le son s'en est conserv. Cette diffrence se trouve donc
indique dans hospice, hospitalit, o s se prononce, et hoste,
hostel, o 1's ne se prononce pas, et galement dans christianisme et
chrestient. Elle modifia l'criture de quelques mots, tels que plor,
au lieu de esplor et espleur ; elle crivit noircissure et non
noircisseure et sirop au lieu de syrop, etc., et, en crivant encore
yvroye, elle nota que quelques-uns prononaient yvraye. Mais dj bien
des tentatives avaient t faites ailleurs, mme par des acadmiciens,
en vue d'une rforme, et leur influence ne devait pas tarder se
faire sentir dans le Dictionnaire mme.
TROISIME DITION.
C'est dans sa troisime dition, en 1740, que l'Acadmie, cdant aux
vux manifests ds le XVIe sicle par tant de philologues, de savants,
d'acadmiciens mme, et rpts par des voix autorises, supprima des
milliers de lettres devenues parasites, sans craindre d'effacer
ainsi leur origine tymologique : les s, les d disparurent dans la
plupart des mots drivs du latin. Elle n'crivit plus accroistre,
advocat, albastre, apostre, aspre, tousjours, non plus que bast,
bastard, bestise, chrestien, chasteau, connoistre, giste, isle (1).
Les y non tymologiques furent remplacs par des i ; elle n'crivit
plus cecy, celuy-cy, toy, moy, gayet, joye, derniers vestiges de
l'criture et des impressions des XVe et XVIe sicles,
(1) Il nous reste encore, chapps la rfonne de 1740, les mots
baptme, Baptiste, dompter, condamner. Bossaet crit toujours
condanner, domter.
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12 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
mais ceci, celui-ci, toi, moi, gai, gaiet, joie, etc. L'y et 1's
du radical grec et latin furent mme supprims ; ainsi abysme (img
grec, abyssus) fut crit abyme et plus tard abme ; eschole,
escholier, crits dans la premire dition escole, escolier devinrent
dans celle-ci cole, colier, yvroye devient ivroye, ensuite ivroie,
puis ivraie; de mme que subject devint successivement subjet, puis
dans sa forme dfinitive sujet, et Franoys Franois puis Franais,
Elle supprima aussi le c d'origine latine dans bienfaicteur et
bienfaictrice et le dans savoir, savant, l'e dans le mot insceu
(1), impreveu, indeu, salisseure, souilleure, alleure, beuveur,
creu, deu, et grand nombre d'autres ; vuide, nopce, nud, furent
abrgs ; le c et l'e disparurent dans picqueure (piqre) ; enfin
l'Acadmie remplaa un grand nombre de th et de ph par t et par f,
et, contrairement la premire et la seconde dition, elle retrancha
le t final au pluriel des substantifs se terminant par t au
singulier ; elle crivit donc les parens, les lmens, les enfans,
etc., au lieu de les parents, les lments, les enfants, etc. On ne
voit pas pourquoi elle crivit flatterie par deux t contrairement
aux deux premires ditions et la manire d'crire de Bossuet et de
Fnelon et mme aux Cahiers pour l'Acadmie. L'abb d'Olivet, qui
l'Acadmie confia ce travail, l'excuta conformment ce qu'elle avait
dclar dans la prface : qu'on travailleroit ter toutes les
superfluits qui pourroient tre retranches sans consquence , et il
remarque qu'en cela, le public toit all plus vite et plus loin
qu'elle. J'ai fait le relev comparatif de ces suppressions de
lettres : sur les 18,000 mots (2) que contenait la premire dition
du
(1) Voici les variations d'orthographe de ce mot : 1re dition,
inseu, 2e edit., insceu, 3e dit., insu, 4e dit., insu, 6e dit.,
insu. (2) La table de l'dition de 1694 contient 20,000 mots ; mais
2,000 mots se cornposent de participes ou de locutions
adverbiales.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 13
Dictionnaire de l'Acadmie, prs de 5,000 furent modifis par ces
changements. Malgr l'importance de ces rformes, on regrette que
l'Acadmie n'ait pas fait encore plus, puisqu'elle constate qu'en
cela le public tait all plus loin et plus vite qu'elle (1) ; mais
d'Olivet, qui reconnat n'avoir pu tablir partout l'uniformit qu'il
aurait dsire, fut sans doute retenu par la crainte de contrarier
trop subitement les habitudes. Il suffisait pour cette fois
d'ouvrir la voie dans laquelle l'Acadmie continue d'ge en ge
perfectionner l'orthographe.
QUATRlME DITION.
Cette dition, qui parut en 1762, se distingue particulirement
par l'addition d'un grand nombre de termes lmentaires consacrs aux
sciences et aux arts ; par la sparation de l'I voyelle de la
consonne J et celle de la voyelle U de la consonne V, d'aprs
l'exemple qu'en avait donn la Hollande ; par la simplification de
l'orthographe d'un grand nombre de mots au moyen de la suppression
de lettres inutiles, et par diverses rectifications.
(1) Histoire de l'Acadmie franaise, par d'Olivet. C'est dans la
Correspondance indite, adresse au prsident Bouhier (Lettre du 1er
janvier 1736), qu'on trouve ces curieux dtails : A propos de
l'Acadmie, il y a six mois que l'on dlibre sur l'orthographe; car
la volont de la compagnie est de renoncer, dans la nouvelle dition
de son Dictionnaire, l'orthographe suivie dans les ditions
prcdentes, la premire et la deuxime; mais le moyen de parvenir
quelque espce d'uniformit ? Nos dlibrations, depuis six mois, n'ont
servi qu' faire voir qu'il loit impossible que rien de systmatique
partit d'une compagnie. Enfin, comme il est temps de se mettre
imprimer, l'Acadmie se dtermina hier me nommer seul plnipotenciaire
cet gard. Je n'aime point cette besogne, mais il tant bien s'y
rsoudre, car, sans cela, nous aurions vu arriver, non pas les
calendes de janvier 1736, mais celles de 1836, avant que la
compagnie et pu se trouver d'accord. Dans sa lettre du 8 avril 1736
il crit : Coignard a, depuis six semaines, la lettre A, mais ce qui
fait qu'il n'a pas encore commenc imprimer, c'est qu'il n'avait pas
pris la prcaution de faire fondre des accentus, et il en faudra
beaucoup, parce qu'en beaucoup de mots nous avons supprim les S de
l'ancienne orthographe, comme dans despescher, qne nous allons
crire dpcher, tte, mle, etc.
-
14 DICTIONNAIRE DE L'ACADEMIE. L'Acadmie expose ainsi ce qu'elle
a fait :
Les sciences et les arts ayant t plus cultivs et plus rpandus
depuis un sicle qu'ils ne l'toient auparavant, il est ordinaire
d'crire en franois sur ces matires. En consquence, plusieurs termes
qui leur sont propres, et qui n'toient autrefois connus que d'un
petit nombre de personnes, ont pass dans la langue commune.
Auroit-il t raisonnable de refuser place dans notre Dictionnaire
des mots qui sont aujourd'hui d'un usage presque gnral ? Nous avons
donc cru devoir admettre dans cette dition les termes lmentaires
des sciences, des arts, et mme ceux des mtiers, qu'un homme de
lettres est dans le cas de trouver dans des ouvrages o l'on ne
traite pas expressment des matires auxquelles ces termes
appartiennent. .... L'Acadmie a fait dans cette dition un
changement assez considrable, que les gens de lettres demandent
depuis long-temps. On a spar la voyelle I de la consonne J, la
voyelle U de la consonne V, en donnant ces consonnes leur vritable
appellation ; de manire que ces quatre lettres, qui ne formoient
que deux classes dans les ditions prcdentes, en forment quatre dans
celle-ci ; et que le nombre des lettres de l'alphabet, qui toit de
vingt-trois, est aujourd'hui de vingt-cinq. Si le mme ordre n'a pas
t suivi dans l'orthographe particulire de chaque mot, c'est qu'une
rgularit plus scrupuleuse auroit pu embarrasser quelques lecteurs,
qui, ne trouvant pas les mots o l'habitude les auroit fait
chercher, auroient suppos des omissions. On est oblig de faire avec
mnagement les rformes les plus raisonnables. . Nous avons supprim
dans plusieurs mots les lettres doubles qui ne se prononcent point.
Nous avons t les lettres, b, d, h, s, qui toient inutiles. Dans les
mots o la lettre s marquoit l'allongement de la syllabe, nous
l'avons remplace par un accent circonflexe. Nous avons encore mis,
comme dans l'dition prcdente, un i simple la place de l'y partout o
il ne tient pas la place d'un double i, ou ne sert pas conserver la
trace de l'tymologie. Ainsi nous crivons foi, loi, roi, etc., avec
un i simple; royaume, moyen, voyez, etc, avec un y, qui tient la
place du double i ; physique, synode, etc., avec un y qui ne sert
qu' marquer l'tymologie. Si l'on ne trouve pas une entire uniformit
dans ces retranchemens,
-
DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 15
si nous avons laiss dans quelques mots la lettre superflue que
nous avons te dans d'autres, c'est que l'usage le plus commun ne
nous permettoit pas de la supprimer.
L'Acadmie crut cependant devoir abandonner dans quelques mots
usuels l'y tymologique qu'elle remplaa par l'i, et, comme elle
l'avait fait ds sa premire dition pour cristal, cristalliser,
cristallin, etc., elle supprima l'y chimie, chimique, chimiste,
alchimie, alchimiste, qui, dans la prcdente, taient crits chymie,
chymique, chymiste, alchymie, alchymiste ; l'y dans absinthe et
yvroie fut avec toute raison remplac par l'i. L'Acadmie supprima
aussi, dans un grand nombre de mots, les th, les ph, les ch, et
adopta dtrner, scolarit, scolastique, scolie, scrofule et
scrofuleux, pascal (1), patriarcal, patriarcat, flegme,
flegmatique, que la troisime dition crivait encore dthrner,
scholarit, scholastique, scholie, paschal, patriarchal,
patriarchat, phlgme, phlegmatique. Ces mots flegme, flegmatique,
crits sans ph, furent donc ajouts dans cette quatrime dition ceux
de fantme, frntique, etc, ainsi crits dans la troisime dition, aprs
avoir d'abord figur avec ph, dans la premire dition. L'Acadmie
supprima quelques lettres doubles, comme dans les mots agrafe,
agrafer, argile, clore, poupe, etc., au lieu d'agraffe, agraffer,
argille, clorre, pouppe ; et, parmi quelques autres changements je
remarque qu'au lieu de coeffe, coeffer, coeffeur, elle crit coiffe,
coiffer, coiffeur ; genou, au lieu de genouil ; anicroche, au lieu
de hanicroche ; rez de chausse, au lieu de raiz de chausse ;
spatule, au lieu de espatule, qu'elle aurait mme d crire spathule,
puisque ce mot vient de ; mais alors on tenait moins compte de
l'tymologie.
(1) On a donc lieu de s'tonner de voir l'h conserv dans
anachorte, catchumne (bien qu' toutes les ditions antrieures
l'Acadmie prvienne, de mme qu'elle le fasisait pour paschal et
patriarchal, que l'h ne se prononce pas).
-
16 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Profitant un peu tard des rflexions de Messieurs de Port-Royai
(Arnauld et Lancelot), qui, dans leur Grammaire, avaient condamn
avec raison la vicieuse pellation :
b, c, d, , effe, g, ache, ji, elle, emme, enne, erre, esse, v,
ixe, zedde,
l'Acadmie, aprs avoir suivi dans cette quatrime dition cet
ancien mode d'pellation pour les premires lettres, se ravisant
ensuite, l'indique ainsi :
fe, ge, he, je, le, me, ne, re, se, ve, xe, ze.
Cette mthode, qui n'est mise en pratique que depuis peu de
temps, rend l'pellation un peu moins difficile ; et, en effet, bien
que nous ayons, et avec tant de peine ! appris lire,
prononcerions-nous sans hsiter les mots qu'on nous a fait ainsi
peler :
erre e p u t a t i o ennea i elle elle e n erre essed a u p ache
i ennequ u i ce enne qn n ep ache a esse e
Rputatonailleurdauphinquiconquephase
Dans cette quatrime dition, la suppression du t final au pluriel
des mots (substantifs ou adjectifs) termins en ant et ent fut
maintenue, et l'Acadmie continua crire, contrairement aux deux
premires ditions : les enfans, les passans, les lmens, les parens.
C'est aussi dans cette dition que l'Acadmie indiqua, d'une manire
bien plus complte qu'elle ne l'avait fait dans la prcdente,
l'orthographe des temps des verbes dont elle donna le modle de
conjugaison ; ainsi au mot voir on lit : je voi ou je vois, il
voit, nous voyons, vous voyez, ils voyent ; je voyois, etc. Il est
regrettable que l'indication de cette double forme de la premire
personne du prsent de l'indicatif ne se trouve pas reproduite dans
le Dictionnaire aux autres mots, tenir, venir, vaincre, connatre,
etc., ce qui aurait laiss aux potes la libert d'employer l'une ou
l'autre forme,
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 17
comme l'a fait si souvent Corneille pour je tien, je vien, je
voi, je vinc, je cognoi (1). Cette orthograpbe, conforme la
conjugaison latine, video, - es, - et, permet de distinguer la
premire personne de la deuxime du prsent de l'indicatif, je vien,
tu viens, il vient, et cela d'accord avec le vieux franais et les
anciennes grammaires franaises, celles des Estienne entre autres, o
1's n'existe pas la premire personne du singulier du prsent de
l'indicatif de nos verbes.
CINQUIME DITION.
Publie en dehors du concours de l'Acadmie, l'dition cite
quelquefois comme la cinquime n'a point t cependant reconnue
offciellement. Et, en effet, bien que le titre porte : Dictionnaire
de l'Acadmie franaise, revu, corrig et augment par l'Acadmie
elle-mme, cette cinquime dition ne fut point donne par l'Acadmie ;
elle ne parut qu'en vertu d'une LOI date du premier jour
complmentaire de l'an III de la Rpublique franoise (1795), portant
que : l'Exemplaire du Dictionnaire de l'Acadmie franoise, charg de
notes marginales, sera publi par les libraires Smith, Maradan et
compagnie.
Et l'article III porte : Lesdits libraires prendront avec les
Gens-de-Lettres de leur choix les arrangements ncessaires pour que
le travail soit continu et achev sans dlai (2).
(1) On en trouve des exemples dans La Fontaine, Racine, Molire
et mme dans Voltaire :
La mort a respect ces jours que je te doi, Pour me donner le
temps de m'acquitter vers toi. (Alsire, II, 2.)
Je troure aussi quelquefois dans sa correspondance pui-je. (2)
Gart, dans la prface dont il fut le rdacteur, dit : Il y avoit
trois Acadmies Paris : l'une consacre aux Sciences ; l'autre aux
recherches sur l'Antiqui; la troisime la Langue Franoise et au Got.
Toutes les trois ont t accuses d'aristocratie, et dtruites comme
des institutions royales ncessairement dvoues la puissance de leurs
fondateurs.
-
18 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Dans quelle proportion les notes marginales, uvre de l'Acadmie,
figuraient-elles dans cette rvision, on l'ignore ; l'exemplaire
original n'a pas t conserv, mais la majeure partie des additions
sont dues Selis et l'abb de Vauxelles, auxquels fut adjoint un
correcteur habile, Gence. Cette dition parut en 1795 : elle fut
donc revue et imprime en trois ans. On aurait pu croire qu' cette
poque, o l'Acadmie par son absence laissait toute libert aux
amliorations orthographiques, les concessionnaires en auraient
largement profit en vue de faciliter l'ducation publique ; mais,
par ces changements trop apparents, le prestige attach au nom de
Dictionnaire de l'Acadmie et t amoindri ; et comme cette entreprise
faite sans son aveu avait en vue plutt un but commerdal que
littraire, les diteurs, pour mieux lui conserver son caractre,
crurent devoir ne rien innover, et rejetrent la fin en appendice
les mots ajouts la langue par la Rvolution et la Rpublique . Je ne
vois donc, quant l'orthographe, que quelques mots, tels qu'analise,
analiser, analitique, o l'y ait t remplac par l'i, et ds lors
l'imprimerie adopta cette orthographe; mais du moment o l'y fut
rtabli par l'Acadmie dans sa sixime dition, il reparut dans toutes
les impressions, de mme qu'il disparatra, si l'Acadmie croit devoir
lui substituer l'i dans l'dition qu'elle prpare.
SIXIME DITION.
Dans sa sixime dition, publie en 1835, l'Acadmie, se djugeant
elle-mme, ne sanctionna plus la suppression du t final au pluriel
des mots dont le singulier se terminait en ant et en ent, et, aprs
une discussion approfondie, elle crut devoir rtablir au pluriel le
t tous les mots d'o elle l'avait fait disparatre dans les deux
prcdentes ditions.
-
DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 19
En crivant ds lors amants, lments, parents, passants, et non
amans, lmens, parens, passans, toute confusion avec l'criture des
mots dont le singulier est en an, comme artisans, charlatans,
paysans, passans, etc., cessait, et l'orthographe des fminins
pluriels paysannes et amantes ne pouvait offrir d'quivoque.
Tronquer ainsi au pluriel la finale du singulier, c'tait
contrevenir la rgle grammaticale qui forme le pluriel par
l'addition de l's. Malgr le besoin de simplifier l'criture, ce
retour un ancien principe, qui ncessitait cependant une addition
considrable de lettres, fut accept, bien qu'il contrarit les
habitudes dj prises : il tait logique. Toutefois je dois dire que
quelques auteurs et imprimeurs maintiennent encore la suppression
du t ; tant on a de peine ajouter des lettres, tant la tendance les
supprimer est caractristique.
C'est dans cette sixime dition qu'une innovation importante fut
enfin admise par l'Acadmie : la substitution de l'a l'o dans tous
les mots o l'o se prononait a, L'Acadmie suivit en cela l'exemple
donn par Voltaire (1). Cette modification, qui s'tendit sur un
grand nombre de mots, fut accueillie du public avec reconnaissance,
malgr l'opposition opinitre de Chateaubriand, de Nodier et de
quelques acadmiciens. Maintenant que cette orthographe a prvalu,
oserait-on crire ou mme regretter j'aimois, il toit, qu'il paroisse
?
(1) Corneille faisait rimer cognoistre, connoistre,
reconnoistre, reconnoitre, avec naitre, renaitre, traitre, et
paroistre avec estre. Vingt-six ans avant l'apparition du
Dictionnaire de l'Acadmie, on lit dans la premire dition de
l'Andromaque de Racine, acte III, se. 1, ces vers :
M'en croirez-vous? lass de ses trompeurs attraits,Au lieu de
l'enlever, Seigneur, je la fuirais,
o l'o est remplac par l'a dans fuirais, innovation laquelle
Racine crut devoir renoncer, puisque, sept ans plus tard (en 1675),
il corrigeait ainsi ce vers, pour se conformer l'usage :
Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais.
-
20 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Les amliorations dans cette dition ne se bornrent pas ces deux
grands changements dans l'orthographe ; l'uniformit de la
prononciation depuis un sicle permit de rgulariser en grande partie
l'emploi des accents et de supprimer beaucoup de lettres effaces
dans la prononciation ; l'criture des drivs devint plus conforme
celle de leurs simples (1) ; enfin l'Acadmie, en runissant, par
l'introduction des tirets ou traits d'union, les mots ou locutions
adverbiales, tenta de remdier l'inconvnient de laisser spars des
mots qui, lorsqu'ils sont isols, offrent un sens tout autre que
celui qu'ils acquirent par leur union.
Mais, durant les soixante-treize annes d'intervalle entre la
quatrime et la sixime dition, que de changements oprs en France !
Un nouvel ordre de choses tait n, et, pour reflter les passions de
la tribune et de la presse, le langage avait vu son domaine
s'accrotre de locutions inconnues aux grands auteurs du XVIIe
sicle, Rousseau, Voltaire lui-mme. En lgislation, en conomie
sociale, en administration, tout tait transform, et, dans l'ordre
matriel, de grands progrs s'taient accomplis. Chaque mot concernant
la jurisprudence, la politique, les sciences et les arts, exigeait
une rvision scrupuleuse ou un examen attentif. L'Acadmie ne devait
donc admettre qu'avec prudence et aprs de longues discussions des
nologismes qui pouvaient n'tre qu'phmres. Sous la direction
successive des secrtaires perptuels, MM. Raynouard, Auger,
Andrieux, Arnault, Villemain, fut accompli ce grand travail, qui ne
dura pas moins de quinze annes. On ne s'en tonnera pas, si l'on
songe aux difficults que prsentait la dfinition de certains mots,
tels que Libert, Droit, Constitution,
(1) Psaume au lieu de pseaume, incongrment au lieu
d'incongruement, dgrafer au lieu de dgraffer, et souvent et par une
facheuse rectification, charriage, charrier et charrette, qui, dans
les prcdentes ditions, s'crivaient chariage et charier, comme
chariot, etc.
-
DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 21
qui chacun ont occup quelquefois toute une sance de l'Acadmie
entire, devant laquelle chaque mot, rdig d'abord par une commission
nomme dans son sein, tait discut ensuite, entre MM. de Pastoret,
Dupin, Royer-Collard, de Sgur, Daru, etc., pour tout ce qui
concerne la jurisprudence ou la lgislation, l'administration ou la
diplomatie ; Andrieux, Villemain, de Fletz, Campenon, Lacretelle,
Etienne, Arnault, etc., pour tout ce qui tient la grammaire et la
dlicatesse de la langue ; Cuvier, Raynouard, de Tracy, Cousin,
Droz, etc., pour toutes les matires de science, d'rudition et de
philosophie. Indpendamment des ressources que lui offrait la varit
des connaissances de tant d'hommes suprieurs, l'Acadmie eut souvent
recours aux membres les plus distingus des autres Acadmies, tels
que Biot, Fourier, Thenard, Arago, pour la rvision d'articles qui
sortaient de ses attributions spciales. Mais ce mouvement gnral des
esprits eut une influence trs-marque et, on peut le dire,
regrettable sur l'orthographe et l'intgrit mme du franais. Dans les
sciences d'observation, physique, chimie, botanique, zoologie,
nosologie, tout tait renouvel ; leur classification et leur
nombreuse nomenclature exigeaient un accroissement et une cration
de termes nouveaux, pour lesquels la littrature grecque offrait,
dans son vaste domaine scientifique, une mine inpuisable. Ce fut
donc la langue grecque, dont la flexibilit et la richesse se
prtaient si bien la composition des mots destins exprimer ces
nouveaux besoins, que l'on dut naturellement recourir pour forger
et souder cette multitude de termes spciaux. Par ce moyen, une
dfinition qui et exig en franais une longue priphrase se trouvait
concentre en un seul mot ; mais, comme ces composs n'taient
intelligibles qu' ceux qui savaient le grec, ils dfrancisaient
notre langue. Sous l'impression de cet envahissement archologique,
l'Acadmie, dans sa sixime dition, eut un moment d'hsitation,
-
22 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
et tenta mme, pour trois ou quatre mots d'origine grecque, dj
surchargs de consonnes, d'y ajouter encore une h : rythme devint
rhythme, aphte devint aphthe, phtisie devint phthisie, et
diphtongue (que Corneille et l'Acadmie elle-mme crivaient toujours
ainsi) devint diphthongue ; synecdoque, ainsi crit dans la quatrime
dition, devint synecdoche. Cet essai malheureux, qui partt d'un
principe contraire au gnie de notre langue, fut gnralement rprouv,
et ne servit qu' mieux dmontrer la tendance de l'criture franaise,
du moins pour les mots usuels, se rapprocher des formes de notre
ancienne langue, antipathique l'appareil scientifique des ph et des
th. Une distinction devrait donc s'tablir entre les termes d'un
ordre purement scientifique, qui, par leur nature mme, conviennent
des ouvrages spciaux (1), et les mots qui, quoique savants, sont
indispensables la langue usuelle dont ils font partie. Tout en
loignant l'ide de rien changer la nomenclature purement
scientifique (except le ph qui serait si bien remplac par notre f),
et en reconnaissant l'utilit des composs grecs o se complaisent les
adeptes, on dsirerait que, du moment o un mot a servi comme une
monnaie nationale la circulation journalire, il n'appart au
Dictionnaire de l'Acadmie que revtu de notre costume : l'Usage, en
lui donnant le droit de cit, l'a rendu franais.
Aprs avoir successivement supprim dans un si grand nombre de
mots les lettres tymologiques et introduit d'importantes
modifications dans les signes orthographiques, l'Acadmie jugera
peut-tre le moment venu d'imiter (et sa tche serait bien moindre)
l'exemple que ses prdcesseurs lui ont donn, surtout dans leur
troisime dition. La liste des mots o pourraient s'oprer ces
modifications n'est point aussi considrable qu'on serait tent de le
croire.
(1) Tel est le Dictionnaire de Nysten, continu par MM. Littr et
Robin. Il suffit de jeter un coup d'il sur les mots qui le
composent pour reconnatre qu'ils n'ont rien de franais.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 23
L'usage si frquent que j'ai d faire, et que j'ai vu faire sous
mes yeux, dans ma longue carrire typographique, du Dictionnaire de
l'Acadmie, m'a permis d'apprcier quels sont les points qui peuvent
offrir le plus de difficults. J'ai cru de mon devoir de les
signaler. L'Acadmie rendrait donc un grand service, aussi bien au
public lettr qu' la multitude et aux trangers, en continuant en
1868 l'uvre si hardiment commance par elle en 1740 et qu'elle a
poursuivie en 1762 et en 1835. Il suffirait, d'aprs le mme systme
et dans les proportions que l'Acadmie jugera convenables : 1 De
rgulariser l'orthographe tymologique de la lettre ch ; et de
substituer aux , th, et , ph, nos lettres franaises dans les mots
les plus usuels ; d'ter l'h quelques mots o il est rest pour
figurer l'esprit rude () ; 2 De supprimer, conformment ses
prcdents, quelques lettres doubles qui ne se prononcent pas ; 3 De
simplifier l'orthographe des noms composs, en les runissant le plus
possible en un seul mot ; 4 De rgulariser la dsinence
orthographique des mots termins en ant et ent ; 5 De distinguer,
par une lgre modification (la cdille place sous le t), des mots
termins en tie et tion, qui se prononcent tantt avec le son du t et
tantt avec le son de l's ; 6 De remplacer, dans certains mots, l'y
par l'i ; 7 De donner une application spciale aux deux formes g et
g au cas o le j, dont le son est celui du g doux, ne serait pas
prfrable ; 8 De substituer 1's l'x, comme marque du pluriel
certains mots, comme elle l'a fait pour lois, au lieu de loix (lex,
la loi, leges, les lois).
Parmi ces principales modifications gnralement rclames,
l'Acadmie adoptera celles qu'elle jugera le plus importantes et le
plus opportunes.
-
24 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Quant celles qu'elle croira devoir ajourner, il suffirait, ainsi
qu'elle l'a fait quelquefois dans la sixime dition, et conformment
l'avis de ses Cahiers de 1694 (1), d'ouvrir la voie leur adoption
future au moyen de la formule : Quelques-uns crivent... ; ou en se
servant de cette autre locution : On pourrait crire... Par cette
simple indication, chacun ne se croirait pas irrvocablement enchan,
et pourrait tenter quelques modifications dans l'criture et dans
l'impression des livres.
Voici ce qui est dit en tte mme des Cahiers de remarques sur
l'orthographe franoise pour estre examinez par chacun de Messieurs
de l'Acadmie : La premire observation que la Compagnie a creu
devoir faire, est que dans la langue franoise comme dans la
pluspart des autres, l'orthographe n'est pas tellement fixe et
dtermine qu'il n'y ait plusieurs mots qui se peuvent escrire de
deux diffrentes manires, qui sont toutes deux esgalement bonnes, et
quelquefois aussi il y en a une des deux qui n'est pas si usite que
l'autre, mais qui ne doit pas estre condamne (2).
Les changements, lorsqu'ils s'introduisent successivement dans
l'orthographe, ne sauraient causer un grave prjudice aux ditions
rcentes. Ces modifications passent inaperues d'une partie du public
et se perdent dans la masse. On peut d'ailleurs en juger par la
comparaison de l'orthographe des textes originaux de nos crivains
dits classiques avec celle de leurs ditions rcentes : modifie du
vivant mme de l'auteur et plus tard par les progrs successifs de
l'criture acadmique, elle diffre sensiblement de l'impression
primitive.
(1) Voyez l'Appendice A. (2) Soit donc que l'Acadmie crive
orthographe et mme ortografie, ortographe ou ortografe, elle
pourrait ajouter : [On a crit aussi ortographie.] Dans le
Dictionnaire de Nicod (Paris, 1614, in-4), on ne trouve point
orthographe, mais ortographie, conformment Du Bellay, qu'il cite
pour autorit.
-
DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 25
Aucun trouble cependant n'en est rsult dans les habitudes, et
nous lisons sans difficult nos grands crivains du dix-septime sicle
dans leurs ditions originales. Leur antiquit leur prte mme un
charme de plus. Toute innovation, sans doute, surprend et parait
mme chocante au premier abord ; mais, une fois introduite, elle
devient aussitt familire. C'est une vritable conqute qui, ds lors
et d'un consentement unanime, fait partie du domaine public. Et, en
effet, qui voudrait aujourd'hui crire, conformment au Dictionnaire
de 1694 : adveu, advou, abysmer, aisn, aurtheur, bienfacteur,
connoistre (1), chresme, desgoustant, escroust, fesl, horsmis,
yvroye, phantasme, phlegme, etc. ; ou bien encore : costeau,
deschaisnement, dthroner, entest, eschole, espy, gayet, giste,
mechanique, monachal, noircisseure, ostage, ptisanne, saoul,
thresorier, stomachal (2), Je say, vuide, vuider, etc. ?
(1) congnoistre, Manucrits de l'Hospital et autres.cognoistre,
Dict. de Robert Estienne, 1540.connoistre, 1e dit. da Dict.
1694.connoistre, 2e dit. da Dict. 1718.connoitre, 3e dit. da Dict.
1740.connotre, 4e dit. du Dict. 1762.connatre, 6e dit. da Dict.
1835.
On propose d'crire, dans la nouvelle dition, conformment la
prononciation, conaitre avec un seul n, et l'on devrait mme crire
contre, ce qui distinguerait, d'accord avec l'tymologie, naitre,
venant de nasci (nascerunt ou nascre), de contre qui vient de
noscere. Ainsi, sur dix lettres, trois auraient successivement
disparu sans le moindre inconvnient. Dans un manuscrit indit du
chancelier Michel de l'Hospital, que je possde, je lis mme ce mot,
crit partout avec un n de plus, congnoissance. C'est ainsi que
d'eschole on a fait dfinitivement cole, en supprimant deux lettres
en ce mot seul qui en avait sept. Il en est de mme de espy,
desgoustant, estest, qui sont devenus pi, dgotant, tt, etc. On
pourrait mme quelquefois, en se rapprochant de l'origine latine,
simplifier l'orthographe de certains mots. Ainsi, pourquoi crire,
vaincre, vainqueur, les mots vincere, victor, irrgulirement
transports du latin ? Puisque nous crivons victorieux et
invincible, crivons vincre et vinqueur, ne ft-ce que pour conserver
l'uniformit d'orthographe dans ce vers :
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible. (2) L'Acadmie
crivait, dans sa premire dition, stomachal ; dans la seconde
-
26 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Avec la deuxime dition, celle de 1718 : abbatre, abestir,
adjouster, advis, advou, asne, bestise, beveue, creu, dpost,
desdain, estain, estincelle, espatule, estuy, inthroniser, leveure,
obmettre, pluye, pourveu, quarrure, relieure, vraysemblance, etc.?
Avec la troisime dition, celle de 1740 : chymie, alchymie,
chymiste, etc., frre, mre, naviger, quanquam (pour cancan),
patriarchal, paschal, pseaume, quadre, quadrer, des qualitez, des
airs affectez, etc. ? Avec la quatrime dition : foible, foiblesse,
enfans, parens, qu'il paroisse, crit comme la paroisse, pseaume,
reconnaissance, je voulois, ils toient (crit auparavant estaient,
puis enfin taient) ? Ds prsent on s'tonne d'crire avec la sixime :
cuiller, roideur, roide, aphthe, phthisie, rhythme, diphthongue.
Quatre consonnes de suite ! l'orthographe du quinzime sicle n'en
admettait que deux et crivait diptongue, spre (sphre on plutt
sfre), Si l'orthographe tymologique a l'avantage, bien faible mon
avis, de mettre sur la trace des racines, et d'aider parfois
deviner la signification du mot quand on possde fond les langues
anciennes, ce systme qui, pour tre rationnel, ne saurait admettre
ni transaction ni demi-parti, sans mettre souvent en chec le savoir
philologique, n'est plus, depuis 1740, un systme, c'est le dsordre.
D'ailleurs l'tymologie n'est souvent qu'un guide peu sr pour
dcouvrir le sens actuel des vocables dont la signification s'est
modifie dans le cours des ges, au point de devenir mconnaissable,
ainsi que M. Villemain l'a si bien dmontr dans la prface du
Dictionnaire de 1835. Il ajoute mme, et avec plus de force encore,
cette rflexion : La science tymologique n'est pas ncessaire pour la
parfaite intelligence d'une langue arrive son tat de
perfection.
stomacal ; dans la troisime, stomachal ; dans la quatrime et la
sixime, stomacal, qui est sa forme dfinitive.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 27
L'analogie et l'tymologie peuvent bien fournir matire quelques
observations curieuses et plus souvent encore des disputes
inutiles, mais elles ne dterminent pas toujours la vritable
signification d'un mot, parce qu'il ne dpend que de l'usage. Rien,
en effet, n'est plus commun que de voir des mots qui passent tout
entiers d'une langue dans une autre, sans rien conserver de leur
premire signification. En effet, quel avantage peut offrir
l'esprit, mme pour qui sait le grec, la prsence du ph ou th dans
les mots de la langue usuelle, surtout quand, effacs dans certains
mots, on les voit reparatre dans d'autres drivs galement du grec ?
La mmoire, quelque prsente qu'elle soit, vient-elle jamais assez tt
aider l'intelligence pour lui indiquer le sens en franais du mot
primitivement grec ? Prenons pour exemples les mots strophe et
apostrophe : l'un et l'autre viennent de , , qui signifie tourner ;
mais, pour trouver quel rapport relie ce mot avec strophe, il faut
se reprsenter le mouvement demi-circulaire de choristes chantant
ensemble des pices lyriques, auxquels d'autres choristes excutant
un mouvement contraire rpondent par un autre chant, ce que strofe
reprsente aussi bien que strophe. Quant apostropher, qui drive
aussi du verbe ou , il faut savoir que, par cette figure de
rhtorique, on doit voir le geste et l'animation de l'orateur se
tournant vers la partie adverse pour l'apostropher. Et quant la
figure de grammaire, l'apostrophe, qui drive aussi du mme verbe, je
suis assez embarrass de l'expliquer. A en juger par l'aspect
qu'offre la forme demi-circulaire de ce signe ('), dont l'emploi
indique l'lision, j'aimerais y voir l'influence du verbe , tourner,
mais, les savants ne sont pas d'accord ce sujet. Obtient-on plus de
lumires quand on sait que thse (Voltaire crivait tse) vient de ,
placer ? Par quel effort de mmoire se rappeler les dtours qui
rattachent ce verbe avec la thse que soutient un candidat !
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28 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Ces curiosits offrent quelque intrt au trs-petit nombre de ceux
qui se livrent ce genre d'tudes, mais ces mots, qu'ils soient crits
avec ou sans th et ph, seront tout aussi bien prsents leur esprit
que l'est notre vieux mot frairie, quoique crit avec notre f et qui
rappelle tout aussi bien phratria des Latins, et des Grecs, que si
on l'crivait phratrie. Que rhtorique, vienne de , couler comme de
l'eau, et flegme de , qui signifie inflammation et pituite, c'est
par des dductions bien loignes que l'on peut s'y reconnatre. Je ne
vois point quel avantage il y aurait crire phrnsie au lieu de
frnsie, puisque l'esprit n'est en rien soulag lorsqu'en lisant ce
mot il doit se rappeler que , d'o il drive, signifie esprit,
jugement, ce qui est prcisment le contraire de frnsie, frntique
(1). Ces minutieuses distinctions, du domaine de la philologie, et
sujettes des discussions interminables, maintenant surtout que les
origines sanscrites sont invoques en tymologie, doivent-elles
prendre place dans l'enseignement de l'orthographe ? est-ce,
d'ailleurs, dans un Dictionnaire de la langue usuelle qu'elles
doivent s'offrir ? La conclusion logique de tout ceci, c'est qu'il
n'y a pas lieu de tenir rigoureusement compte de ce genre
d'tymologie dans l'criture, et qu'on ne doit la conserver qu'aux
mots spcialement consacrs la science et de rcente formation. Un
hellniste, d'ailleurs, reconnatra tout aussi bien dans une
orthographe franaise simplifie les vestiges grecs ou latins que le
ft dans sa langue un Italien ou un Espagnol. Qu'on crive phnomne ou
fnomne, fantme ou phantme, orthographe ou ortographe ou plutt
ortografe (et mieux encore ortografie), diphthongue ou diftongue,
mtempsychose ou mtempsycose,
(1) , qui drive galement de , a, il est vrai, le sens que nous
donnons frnsie ; mais, pour recourir mme cette origine, il faudrait
crire ce mot frnisie ou frnite, frnitique, et non frnsie, frntique
: en grec , x.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 29
ce sont toujours des mots grecs pour celui qui sait le grec :
mais il s'tonnera de voir certains mots ainsi accoutrs, tandis que
d'autres de mme provenance ne le sont pas. Cette manire d'crire,
agrable certains humanistes, satisfait-elle toujours un got dlicat
? Molire et-il vu avec plaisir son Misantrope et sa Psich crits
autrement qu'il ne l'a fait dans toutes ses ditions (1) ? Quant aux
personnes, en si grand nombre, qui ne savent pas le grec,
l'orthograpbe tymologique ne peut leur tre d'aucun secours. Doit-on
faire apprendre le grec dans les coles primaires ? Il faudrait mme
alors que cette tude, aussi bien que celle du latin, prcdt
l'enseignement du franais. D'ailleurs, ces mots que nous crivons
tantt par th et ph et tantt par t ou f, bien que tous drivs du
grec, avaient primitivement un son ds longtemps perdu et que n'a
jamais connu la basse latinit d'o procde notre langue. Ainsi
fameux, driv de , en olien , transform par les Latins en fama, d'o
famosus, n'a pas t crit par eux avec ph, parce que, disent les
grammairiens, les mots crits par ph se prononaient avec une
diffrence marque, pour distinguer le f et le ph. Quintilien nous
apprend que les Latins, en prononant fordeum (pour hordeum) et fdus
; faisaient entendre un son doucement aspir, mais qu'au contraire
les Grecs donnaient leur une aspiration trs-forte, au point que
Cicron se moquait d'un tmoin qui, ayant prononcer le nom de
Fundanius, ne pouvait en profrer la premire lettre (2). Puisque
nous savons qu'il a plu aux Latins d'crire certains mots drivs du
grec
(1) La premire dition du Misantrope est de 1067 ; celle de
Psich, de 1871. Dans les diverses ditions des uvres jusqu' celle de
1739, 8 voI. in-12, donne soixante-six ans aprs la mort de
l'auteur, je vois ces deux comdies exactement imprimes sous ce
titre, et le Thtre-Franais avait si bien conserv l'ancienne
tradition que l'un de nos plus clbres acadmiciens se rappelle avoir
vu dans sa jeunesse, sur les afficbes du Thitre-Franais, le nom du
Misantrope crit sans h. On n'a plus, malheureusement, aucun
manuscrit de la main de Molire, mais on peut tre assur qu'il
crivait selon l'orthographe franaise. (2) Quin fordeum fadusque pro
aspiratione vel simili littera utentes : nam contra Grci aspirare
soleat, ut pro Fundanio Cicero testem, qui primam ejus litteram
dicere non posset, irridet. Instit, oral,, I, 4, 14. Terentianus
Manrus
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30 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
les uns par ph, les autres par f (bien qu'en grec la lettre soit
toujours la seule et la mme pour tous) afin de les prononcer leur
guise, prononons alors diffremment les mots o l'on voudrait encore
conserver le ph. Distinguons donc la prononciation phnomne, ,
traduit par les Latins phnomenon de celle de frairie, , revtu d'un
f par les Latins (fratria), et tchons de retrouver ce je ne sais
quel pulsus palati, lingu et labrorum dont parle Quintilien. Mais
dj nous prononons le son f de deux manires, faible avec l'f simple
dans afin et facile, forte avec la double f dans affliger et
affreux. Pour tre consquents, nous devrions prononcer philosophie
avec un troisime son encore plus rude. L'Acadmie qui, dans le cours
de ses ditions, a dj remplac par notre f franais le ph des Latins
dans un si grand nombre de mots, ne devrait plus tolrer de tels
contrastes. Pourquoi les Grecs crivaient-ils certains mots par et
d'autres par ? Parce que la prononciation du diffrait sensiblement
de celle du , et cette prononciation du , th, qui se conserve
encore chez les Grecs, se retrouve et avec le mme son dans la
langue anglaise. Un Anglais prononcera donc autrement que nous
authentique, pithte, mythologie, thtre. Mais puisqu'en franais le
th et le f n'ont qu'un, seul et mme son parfaitement identique,
nous devons, ainsi qu'on l'a fait pour trsor, trne, etc., crire par
un seul et mme signe tous les mots qui, par un long usage, sont
devenus franais. En suivant cette voie, on rendra notre orthographe
logique et consquente.
dit que la lettre f en latin avait un son doux et faile : Cujus
(liter f) a grca (litera ) recedit lenis aique hebes sonus, p,
2401, d. Putsth. Priscien, p. 542, dit que dans beaucoup de mots le
a t remplac par le f : fama, fuga, fur (), fero, etc., et que dans
d'autres on garde ph. Hoc tamen scire debemus quod non tam fixis
labris pronuncianda f, quomodo ph, atque hoc solutn interest inter
f et ph. Ailleurs, p. 548, il ajoute : Est aliqua in pronuntialione
liter f differentia (d'avec le ), ut ostendit ipsius palati pulsus
et lingu et labrorum.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 31
La bizarrerie de notre criture est le premier objet qui frappe
les yeux aussi bien des nationaux que des trangers : elle contredit
l'esprit net, clair et logique du franais que l'Acadmie maintient
dans sa puret par l'exactitude de ses dfinitions et la prcision de
ses exemples. L'illustre compagnie doit donc apporter le mme soin
l'orthographe, qui est l'empreinte visible de notre langue
transmise par tant de chefs-d'uvre jusque dans des contres dont
nous ignorons mme le nom. Puisque pour les mots que nous empruntons
aux langues vivantes, nous cherchons franciser leur orthographe
plutt que de conserver leur figure originaire, pourquoi ne pas agir
de mme l'gard des langues mortes ? On s'est accord crire, la
satisfaction de tous, vagon et non waggon, valse et non walse,
chque et non check, cipaye et non cipahi, contredanse et non
country dance, gigue, et non gig, loustic et non lustig, arpge et
non arpeggio, roupie et non rupee, stue et non stucco. De riding
coat on a fait redingote, de beefstake, bifteck, qu'il serait mieux
d'crire biftec, de roastbeef, rosbif ; de packet boat, paquebot ;
de toasts, tost et toster, de sauer kraut, choucroute, etc.
Pourquoi n'en serait-il pas de mme pour les mots o les th, les ph
figurent aussi dsagrablement dans notre systme orthographique que
les w et les k des Saxons et des Germains, tandis que nos mots
drivs du grec reprendraient si bien leur figure franaise avec des f
et des t ? L'Acadmie, d'ailleurs, par un moyen simple et adopt
aujourd'hui dans tous les dictionnaires, peut maintenir la
tradition tymologique, bien plus efficacement que par la
conservation accidentelle de quelques lettres qui troublent la
simplicit de notre orthographe : il suffirait dans la prochaine
dition de placer en regard du mot franais le mot grec d'o il drive
immdiatement Si, dans la premire dition de son Dictionnaire et mme
dans les suivantes, l'Acadmie fit acte de haute sagesse en n'y
faisant pas figurer les tymologies grecques et latines,
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32 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
attendu que la science, alors incertaine, faisait souvent fausse
route, aujourd'hui les bases des tymologies sont trop assures pour
que l'addition des mots racines puisse tre un sujet de controverse,
tant surtout limite aux seuls mots qui dans le Dictionnaire avaient
des th et des ph. Renchrir sur le premier Dictionnaire de l'Acadmie
et rintgrer dans la langue franaise l'orthographe tymologique
grecque et latine dans des milliers de mots d'o l'usage et
l'Acadmie l'ont bannie est une impossibilit, tandis que la
modification qui atteindrait les th et ph des mots de la langue
usuelle qui les conservent encore ne porterait pas sur plus de deux
cents mots (1). Je lis dans un des crits les plus sages sur la
rforme de l'orthographe le passage suivant (2) :
Si l'on veut conserver l'timologie, il faut remtre des consones
sans valeur dans plus de dis mile mots d'o on les a banies depuis
long-temps. Quelque sistme qu'on veuille adopter, il faut tcher
d'tre consquent. L'usage actuel et le sistme des timologies sont
trop souvent en contradiction pour qu'on puisse alier ensemble les
principes de l'un et de l'autre. Ainsi, puisque la prononciation
nous a fait abandonner l'timologie dans une partie de nos mots, la
mme raison nous invite l'abandonner dans les ltres timologiques ne
se prononant point.
(1) Les mots de la langue usuelle ayant un th sont au nombre
d'environ soixante-dix : ceux, un peu plus nombreux, ayant un ph
sont au nombre d'une centaine. Les autres, pour la plupart, sont
des termes de mdecine, de chirurgie on des arts, qui s'crivent
rarement, et sont consacrs des professions spciales ; les personnes
qui les exercent en connaissent l'origine et la signification, ce
qui pourrait exempter ces mots d'tre revtus d'une forme bizarre que
les Grecs, amis du simple et du beau, ne reconnatraient pas. Les
mots ichthyographie triphthongue, apophthegme, contiennent chacun
deux ou trois consonnes dplaisantes qu'ils n'ont pas en grec : , ,
x, etc. Toutefois, comme ces mots ne sont pas de la langue usuelle,
on pourrait leur conserver leur appareil scientifique. (2) De
l'Orthographe, ou des moyens simples et raisonns de diminuer les
imperfections de notre orthographe, de la rendre beaucoup plus aise
pour servir de supplment aux diffrentes ditions de la grammaire
franaise de M. de Wailly (membre de l'Acadmie franaise). Paris,
Barbou, 1771, in-8.
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DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE. 33
Parmi les notes que mon pre avait crites en 1820, lorsque, avec
MM. Raynouard, Andrieux et quelques autres de ses amis, on
discutait les principes que l'Acadmie croirait devoir adopter pour
l'orthographe, je transcris celle-ci :
Je crois qu'on doit chercher mettre le plus de simplicit
possible dans l'orthographe. Je sais qu'on a de la peine abandonner
la mthode qu'on a longtemps suivie et, comme le dit Horace :
. quImberbi didicere, senes perdenda fateri ;
mais l'exprience me dmontre que la simplicit dans l'orthographe
est ncessaire. Je suis dj avanc en ge. Aprs avoir fait une tude
constante de la langue franaise, au moment de quitter la carrire
typographique, je suis las de feuilleter sans cesse des
dictionnaires qui se contredisent entre eux et se contredisent
eux-mmes. J'oserai le dire, bien qu'en hsitant encore : je voudrais
qu'on crivit le mot philosophe non-seulement avec un f la dernire
syllabe, comme le proposait de Wailly, mais je mettrais ce f mme la
premire syllabe, comme font les Italiens et les Espagnols. Mais,
dira-t-on, l'Acadmie franaise sera accuse d'ignorance. Ce ne sont
point les rudits, au moins, qui l'en accuseront. Ils savent bien
que ce f est le DIGAMMA OLIQUE dont faisaient usage non-seulement
les oliens et les anciens Grecs, mais les inscriptions latines et
les bons crivains latins comme Catulle, Trence, etc. (1). On a cri
beaucoup la premire fois qu'on a crit le mot phantme avec un
digamma olique ou f. Alors les dictionnaires modernes ont commenc
insrer ce moi fantme la lettre F, mais en renvoyant au mot phantme
par un ph pour la dfinition et les exemples ; ensuite on a crit le
mot fantme avec la dfinition et les exemples la lettre F, et ou a
seulement inscrit le mot phantme avec le ph en renvoyant au mot
fantme par un f ; et maintenant on ne trouve plus le mot phantme
par ph dans le Dictionnaire de l'Acadmie.
(1) Seulement eette lettre parait avoir t chez les anciens le
signe d'une aspiration, tandis que chez nous elle est douce et
euphonique, et convient ainsi parfaitement l'emploi qu'on lui
destine.
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34 DICTIONNAIRE DE L'ACADMIE.
Voltaire dans sa correspondance crivait philosofe ou filosofe,
philosofie ou filosophie, et dans son Dictionnaire philosophique
faisait ranger la lettre F l'article PHILOSOPHIE ; on lit en tte de
cet article :
crivez filosofie ou philosophie comme il vous plaira (1).
Les amliorations introduites dans la dernire dition du
Dictionnaire de l'Acadmie n'eurent plus un seul contradicteur, du
moment qu'elles y furent admises. Il en sera de mme de toutes
celles que l'Acadmie croira devoir approuver. Sans rien violenter,
elles auront l'avantage d'pargner du temps et de la fatigue
d'esprit, de rapprocher du beau et du simple les formes de notre
langue, d'en rendre l'tude plus facile, enfin de se conformer aux
tendances marques par l'Acadmie elle-mme dans les ditions
successives de son Dictionnaire, tendances qui sont celles de
l'esprit humain et qui datent de loin, puisque, nous dit M.
Villemain, Auguste, homme de got, et crivain prcis, et de plus
empereur, ce qui donne toujours une certaine influence, jugeait que
l'orthographe devait tre l'image fidle de la prononciation :
Orthographiam, id est a formulam rationemque scribendi, a
grammaticis institutam, non adeo custodiit ; ac videtur eorum
potius sequi opinionem, qui perinde scribendum, ac loquamur,
existiment (2).
(1) C'est la lettre F que Voltaire ayait fait placer l'article
PHILOSOPHE, sous ce titre : FILOSOFE ou PHILOSOPHE. (2) Sutone, Vie
d'Auguste, LXXXVIII. Ce mot Augustus est un exemple frappant de la
tendance irrsistible l'abrviation des mots par la prononciation,
puis par l'criture : Auguste, aoust, aot, est prononc ot, et Baf,
dans son systme phontique, recourt la ligature grecque , pour
figurer notre son ou.
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ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE. 35
ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE DE LA LETTRE .
Mots de la langue franaise o la lettre est figure par C, K ou
QU, et par CH.
Par c, k ou qu,l'h ayant disparu :
Par ch, quoique prononc k : Par ch prononc la manire franaise
:
acaritre achromatique* chiromancie** Achron camlon anachorte*
chiamyde* Achille caractre anachronisme* chlore* alchimisteCaron
antechrist chlorure* anarchie carte archasme* choeur
archecartulaire archange* cholra-morbus* archidiacrecolre
archologie chore* archiduccolrique archologue chorge*
archimandritecolique archtype** choriambe* archipel corde
archipiscopal** choriste* architectecristal archonte* chorographe*
archivescristalliser autochthone* chorus* archivistecristallisation
bacchanale* chrme archivoltecole brachial* chrestomathie*
bachiqueestomac catachrse* chrtien bchiqueestomaquer catchumne*
Christ bronchiteexarque chalcographie* chromatique*
cacochymekrsiarqae Chalde chrome* catchismekilo chaos* chronique*
charitkilogramme Charybde chronologie* charmekilomtre chlidoine**
chronomtre* chartemcanique Chersonse chrysalide* chimremlancolie
chirographaire** chrysanthme chimiemlancolique chirographe**
chrysocale* (1) chimistemtempsycose chirologie** cochlaria*
chirurgie
(1) Mot dont la formation est absurde ; il et fallu chrysode, ,
ayant l'apparence de l'or, Chrysocale qui veut dire bel or, est
donc un mensonge ; le vrai mot tait similor, mais il indiquait trop
bien la chose.
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36 ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE.
Par c, k ou gu, le h ayant disparu :
Par ch, quoique prononc k : Par ch pronooc la manire franalse
:
monacal conchyliologie ** mnmotechnie * chirurgienmonarque
drachme * ochlocratie * chyle monocorde ecchymose orchestre
chymepancarte cho* philotechnie * exarchiepascal eucharistie *
polytechnie * machiner patriarcal exarchat* psychologie * monarchie
patriarcat hypochondre * pyrotechnie * pachydermePlutarque
ichneumon * saccharin * Psych scolastique ichthyologie * strychnine
* rachitismescoliaste [lichen] ** synchronisme * schne spulcre
lithochromie * synecdoche schismespulcral malachite technique *
schiste stomacal troche
Ainsi, dans tous ces mots drivs du grec, et qui pour la plupart
sont de formation rcente, on voit figurer la premire colonne : 1
ceux qui, crits d'abord par ch, tels que charactre, charte, chorde,
mlancholie, mchanique, etc., au nombre de 38, ont successivement
perdu l'h et s'crivent caractre, carte, corde, mlancolie, mcanique,
etc., avec le c dur ou ses reprsentants alphabtiques. 2 Dans les
colonnes du milieu sont rangs 72 mots crits avec ch, dont le
Dictionnaire indique, du moins pour la plupart, que ce ch doit tre
prononc k. 3 Dans la quatrime colonne, qui contient 36 mots, ce mme
signe binaire ch se prononce pour tous la franaise, CHE : alchimie,
architecte, archidiacre, charit, etc. J'ai donc marqu, la seconde
et troisime colonne, avec un * les mots qui devraient tre crits par
un c, afin de les faire rentrer dans la premire srie ; ils sont au
nombre de 51, et j'ai marqu de deux ** ceux qui pourraient rentrer
dans la troisime srie en conservant le ch et qui ds lors se
prononceraient la franaise : ils sont au nombre de neuf. En effet,
ct des mots qui, la premire colonne, ont perdu successivement le ch
pour tre crits par le simple c dur : caractre, carte, colique,
colre, mcanique, mlancolie,, patriarcal, scolastique, spulcre, et
exarque, monarque, etc.,
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ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE. 37
on peut ranger sans inconvnient acromatique, anacronisme,
arcasme, catcumne, clore, dorure, crame, cronologie (1),
psycologie, comme Victor Cousin voulut qu'on imprimt ce mot dans
ses ouvrages, et non psychologie. Pourquoi crire exarcat et
asiarchat, lorsqu'on crit exarque ei patriarcat ? Et l'on peut
ranger, sans le moindre inconvnient, la troisime colonne, archtype,
archipiscopal, chlidoine, chirographaire, chirographe, chirologie,
chiromancie, lichen, puisqu'on crit et prononce alchimiste,
archidiacre, archiduc, charit, catchisme, chirurgie, chirurgien. Il
ne restait de difficult que pour neuf mots, antechrist, archologue,
archologie, chur, chrme, chrtien, ecchymose, malachite, orchestre,
auxquels on peut conserver le ch en indiquant au Dictionnaire qu'il
se prononce k. Il est facbeux que la prononciation du c tant celle
de l's, devant e et i, ne permette pas d'crire arcologue,
arcologie, eccymose, malacite, orcestre. Mais pourquoi ne pas
prononcer ARCHologie comme monARCHIE, ou bien crire et prononcer
ARQUologue, comme on crit et prononce monARQUE, et ne pas s'en
tenir synecdoque que l'Acadmie elle-mme autorise ? On pourrait
aussi employer le k, d'un si grand usage cbez nos anciens potes et
si regrett par Ronsard. Thodore de Bze l'indiquait, pour crire
rekeil, rekeillir, etc., au lieu de recueil, recueillir, et nous
l'avons admis dans l'usage ordinaire pour kilo, kilogramme,
kilomtre, kyste, ankylose, enkyst, kyrielle, mots galement drivs du
grec o le et le x sont reprsents par k. Le tableau des mots drivs
du grec o figure le montre combien, except neuf mots, la
rgularisation devient facile. Quant aux noms propres, presque tous
drivs du grec, ils s'crivent en gnral avec ch et se prononcent k.
Quelques-uns cependant se sont modifis et ont perdu l'h, tels que
Caron, Plutarque, Andromaque, Tlmaque. On devrait donc crire Calkas
ou Calcas et non Calchas.
(1) Chronologie est souvent crit et mme imprim sans h :
cronologie. Voltaire crit catcumne.
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38 ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE
Mais, comme les noms propres ne figurent pas au Dictionnaire de
l'Acadmie, il est inutile de s'en occuper ici. Pour des mots
scientifiques, tels que choldoque, choldologie, il importe fort
peu, qui sait le grec, qu'ils soient crits d'une manire ou d'une
autre. La science du grec ne saurait d'ailleurs tre toujours un
guide infaillible. Ainsi, de ce qu'on sait le grec, on croira
devoir crire scholie et scholiaste ; cependant l'Acadmie crit
scolie et scoliaste, tandis que, par amour du grec, on aurait d
distinguer le commentaire, , de la chanson de table, , et pour se
conformer l'tymologie, crire avec un h le commentaire, scholie, et
sans h la chanson de table, scolie. D'autres mots signifient mme,
pour qui sait le grec, prcisment le contraire de ce qu'ils veulent
exprimer ; tels sont oxygne, hydrogne : c'tait oxygone, hydrogone
qu'il fallait. On ne s'est tromp que du fils au pre : au lieu de
l'engendreur l'engendr. Si le doute est permis, mme des hellnistes,
quel ne doit pas tre l'embarras des artisans, et du nombre immense
de ceux qui ne savent ni le grec ni le latin ? En 1694, quand
l'Acadmie composa son Dictionnaire, savoir lire et crire tait un
privilge rserv une classe restreinte de la socit. Aujourd'hui c'est
le droit et le devoir de tous (1).
DE L'ESPRIT RUDE ET DE LA LETTRE H.
L'Acadmie semble vouloir renoncer figurer dans l'orthographe
l'esprit rude du grec, qui indique une aspiration trangre
l'harmonie de notre langue, et qui ne se fait pas sentir.
(1) M. B. Jullien, dans son Trait des Principales tymologies de
la langue franaise, aprs avoir cit un grand nombre de mots qui ne
sont que des barbarismes prtentieux insignifiants, et
inintelligibles pour les Grecs, s'exprime ainsi : C'est payer un
peu cher la manie de puiser dans les langues savantes que d'en
tirer des barbarismes pour aboutir des contre-sens. (p. 59-68.)
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ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE. 39
En effet, l'h, qui tait cense reprsenter cet esprit rude, a
disparu de rapsode, rapsodie, rabdologie, rabdomancie, rtine,
erptologie, cataracte (qui serait selon l'tymologie, catarrhacte);
pourquoi donc maintenir ce signe h dans les mots arrhes, myrrhe,
rhagade, rhapontic, rhinocros, rhombode, rhubarbe, rhume,
rhumatisme, rhythme, squirrhe ? L'Acadmie crit eurythmie qu'elle
aurait d crire eurhythmie (avec les cinq consonnes), puisqu'elle
crit rhythme. Elle a supprim la marque de l'esprit rude dans
olographe, mais l'a conserve dans holocauste (1). Cette h, depuis
longtemps abandonne dans la seconde partie de hmorragie, hmorrodes,
et dans squirre, mais qui reparat dans catarrhe, diarrhe, gonorrhe,
forms comme hmorrodes sur le radical , devrait disparatre aussi de
rteur, rtorique, comme aussi de rume et rumatisme, qu'on crivait
autrefois reume et reumatisme et plus anciennement rume, ainsi
qu'on le voit figurer (gallice) en 1420, dans le Dictionnaire de Le
Ver. Tous ces mots, malgr leurs significations diverses, dcoulent
galement de (2).
(1) On crit rose et rosier, contrairement l'orthographe grecque,
mais conformment celle des Latins, qui cependant crivent Rhodos,
l'ile de Rhodes. C'est donc tort que de , la rose, nous ayons form
rhododendron, l'arbre-rose et rhodium, vu la couleur rose de ce
mtal ; cette anomalie ferait croire cet arbuste et ce mtal
originaires de Rhodes. (2) Dans les Cahiers de l'Acadmie pour
l'dition de 1694, on fait observer que les monts Riphes s'crivent
sans h (Riphes au lieu de Rhiphes). L'Acadmie de Madrid, dans son
dsir de simplifier encore plus l'orthographe (*) a dcid, en 1859,
que tous les mots commenant par h se prononceraient sans
aspiration, except un seul cas. Elle a cependant respect l'emploi
de cette lettre, eu partie cause de l'origine des mots et en partie
pour viter la confusion qui rsulterait de la similitude des sons de
mots se prononant de mme, soit ayant l'h, soit ne l'ayant pas. Nous
ne saurions faire de mme, puisque la versification se trouverait
altre si certaines lettres perdaient leur aspiration. Il est
regrettable, toutefois, que, contrairement l'tymologie, on crive
hache, huile (on crit
(*) Prontuario de ortografia de la lengua castellana despuesto
de real rden para el uso de las eseuelas publicas, par la real
Academia espaola, Madrid, imprenu nacional, 1806.
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40 ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE.
Dans ce mme Dictionnaire de Le Ver le mot halitus est traduit en
franais par aleine. Corneille crit sans h le mot orizon, o l'h est
muette, et mme le mot halte, bien que l'Acadmie y indique l'h comme
aspire.
Rien n'tonne : on fait alte, et toute la surpriseN'obtient de
ces grands curs qu'un moment de remise.
(Posies diverses, 313 et 274.)
J'ai donc eu raison de dire que ces contradictions requirent une
solution, et que pour se prononcer en matire d'orthographe il ne
suffit pas d'tre rudit, car bien souvent les savants mmes, par cela
mme qu'ils sont savants, hsitent et sont forcs de recourir au
Dictionnaire pour se guider travers ces bizarres anomalies.
DES LETTRES ET .
REPRSENTES EN LATIN PAR th ET ph.
Dj Ronsard, mort en 1585, s'exprimait ainsi, dans la prface de
son Abrg de l'art potique :
Quant aux autres diphtongues (les lettres doubles ch, ph, th),
je les ay laisses en leur vieille corruption, avecques
insupportable entassement de lettres, signe de nostre ignorance et
peu de jugement en ce qui est si manifeste et certain. (Voy.
l'Appendice B.)
Il est regrettable que l'Acadmie, dans la premire dition de son
Dictionnaire, en 1694, et plus tard, lorsque, en 1740, elle
supprima en grande partie les traces de l'orthographe latine, n'ait
pas compltement ralis le vu de Ronsard,
olive et olivtre), huis, huit, huitre, qui proviennent de ascia,
oleum, oliva, ostium, octo, osireum. On a eu raison de supprimer
rcemment l'h dans hermite, puisque l'origine est eremita.
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ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE. 41
et que par l'emploi des th et des ph elle ait introduit ou laiss
subsister dans notre criture le faste pdantesque qu'elle condamnait
dans le pote. Malgr tout le respect que je dois aux Estienne, c'est
surtout eux qu'est due l'introduction des ph, ch, th dans notre
criture, o la grande et juste autorit de leur savoir les a
maintenus et longtemps perptus. Cependant, sur certains points,
Robert Estienne, dans son Dictionnaire franais de 1540, s'est montr
moins zl partisan de l'tymologie que ses imitateurs : il crit
caractre, escole, il autorise tesme, yver sans l'h ; et sans ph les
mots orfelin, flegme, fantastique, frntique, faisan. Avant
l'apparition du Dictionnaire de Robert Estienne, l'emploi de ces
doubles lettres se rencontrait fort rarement dans les manuscrits,
puisque parmi les quatre cinq cents mots dont je donne la liste, et
o figurent des th, des ph et des ch, peine une vingtaine de mots
taient ainsi crits dans la langue franaise en l'an 1440. C'est ce
que constate le grand Dictionnaire rdig dans la premire moiti du
quinzime sicle par le prieur des Chartreux, Firmin Le Ver. Ce vaste
rpertoire, qui contient plus de trente-cinq mille mots, peut tre
compar, en quelque sorte, au Dictionnaire de l'Acadmie, puisqu'il
nous offre l'inventaire complet de notre langue de 1420 1440 (voir
Appendice C). Mais, pour ne parler ici que de l'orthographe, on y
voit combien l'criture tait alors celle qu'on aurait d respecter,
puisqu'on y est revenu aprs s'en tre cart. On y lit, ainsi crits :
antecrist, caractre, cirographe, colre, saint crime, melencolie,
spulcre ; - apoticaire, autentique, auteur, autorizier, pantere,
diptongue ; - blasfeme, filosophe, fisique, frnsie, frntique,
orfelin, spere ; - cripte, cristal, himne, idropisie, iver,
ivernal, martir, mistere, tiran. Enfin, par l'criture des mots
diptongue et spere, on voit combien est antipathique notre langue
l'emploi de trois consonnes. Ce qui n'est pas moins remarquable
c'est que dans ce vaste rpertoire un grand nombre de mots latins
sont dj en quelque sorte franciss dans leur orthographe,
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42 ORTHOGRAPHE TYMOLOGIQUE.
et ont perdu les signes de la latinit classique. Ainsi on lit
leur ordre alphabtique :
Antitesis . . . . . . et non antithesisAntrax . . . . . . . et
non anthraxAntropofagi . . . et non anthropophagi, etc.
Enfin, quant au mot mme qui fait le sujet de cet crit, voici ce
qu'on y lit : Ortographia, bon ortografiemens ; Ortographus, bon
ortografieur ; Ortographo, bien ortografier, bien espeler. Du
Bellay et Ronsard ont crit ortographie, le Dictionnaire de Nicot
l'crit de mme, et je le vois ainsi figur dans quelques grammaires
modernes. En effet, la forme donne au mot orthographe fait dire ce
mot tout autre chose que le sens qui lui est affect. Gographie,
uranographie, orographie, tlgraphie, lithographie, typographie,
orthodoxie, sont des mots forms rgulirement du grec ; calligraphie,
c'est l'art de la belle criture, et calligraphe, l'homme qui crit
bien ; orthodoxie est la conformit l'opinion rgulire,