Top Banner
40 Une communauté religieuse au rôle actif Le chiffre controversé du pourcentage de Coptes en Égypte nous mène à penser que ces derniers représenteraient environ six pour cent de la population égyptienne, soit cinq à six millions d’individus, implantés surtout au Caire et en Moyenne et Haute-Égypte (régions de Minia, Assiout et Louxor). La diaspora copte présente au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Australie est par ailleurs grandissante et joue un rôle actif. Les chrétiens d’Égypte constituent en réalité la communauté chrétienne la plus importante des Proche et Moyen-Orient, tout en restant claire- ment minoritaires dans un pays où l’islam s’impose de facto comme religion d’État. Cet aspect a bien entendu des répercussions sur les pratiques actuelles des Coptes. Mais quels en sont les ressorts et comment se manifestent-elles ? Il convient pour comprendre cela de remonter au XIX e siècle. Cette époque a vu naître l’essor de ce qu’on pourrait appeler la patrimonialisation des constituants de la culture copte. Dès les années 1850, les membres du clergé deviennent soucieux de préserver ce qu’ils estiment être leur patrimoine culturel. Diverses actions sont alors menées sous l’impulsion du pape Cyrille IV (1853-1861) et sous l’influence des mouvements culturels et artistiques à l’œuvre en Égypte, comme la création d’un conseil de communauté en 1874, l’ouverture des écoles cléricales en Musique et images coptes un patrimoine en évolution DOSSIER LES COPTES HIER ET AUJOURDHUI Depuis des temps reculés, l’Église copte et la question de ses origines suscitent bon nombre de fantasmes et de polémiques. C’est essentiellement dès l’expédition de Bonaparte (1798-1801) que le caractère mythique de l’Égypte a pris une ampleur exceptionnelle, donnant à la communauté copte de ce pays, déjà minoritaire par rapport aux musulmans, l’envie et l’occasion de revendiquer sa place sur la terre des pharaons. Depuis, cet engagement n’a cessé de croître et la vivacité des Coptes à partager et à diffuser un patrimoine commun n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. par Séverine GABRY, doctorante en ethnomusicologie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, attachée au Centre de recherche en ethnomusicologie (LESC-CNRS UMR 7186) et membre de la Société française d’ethnomusicologie PATRIMONIALISATION : fabrication et réemploi d’objets du patrimoine, qu’ils soient considérés comme matériels ou immatériels. Chambre de moniale, Deir el-Mohareb, Louxor, rive ouest. © Séverine Gabry
8

Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)

Jan 10, 2023

Download

Documents

Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)

40

Une communauté religieuse au rôle actifLe chiffre controversé du pourcentage de Coptesen Égypte nous mène à penser que ces derniersreprésenteraient environ six pour cent de lapopulation égyptienne, soit cinq à six millionsd’individus, implantés surtout au Caire et enMoyenne et Haute-Égypte (régions de Minia,Assiout et Louxor). La diaspora copte présente auCanada, aux États-Unis, en Europe et en Australieest par ailleurs grandissante et joue un rôle actif.Les chrétiens d’Égypte constituent en réalité lacommunauté chrétienne la plus importante desProche et Moyen-Orient, tout en restant claire -ment minoritaires dans un pays où l’islam s’imposede facto comme religion d’État. Cet aspect a bienentendu des répercussions sur les pratiquesactuelles des Coptes. Mais quels en sont lesressorts et comment se manifestent-elles ?

Il convient pour comprendre cela de remonter au XIXe siècle. Cette époque a vu naître l’essor dece qu’on pourrait appeler la patrimonialisationdes constituants de la culture copte. Dès lesannées 1850, les membres du clergé deviennentsoucieux de préserver ce qu’ils estiment être leur patrimoine culturel. Diverses actions sontalors menées sous l’impulsion du pape Cyrille IV(1853-1861) et sous l’influence des mouvementsculturels et artistiques à l’œuvre en Égypte,comme la création d’un conseil de communautéen 1874, l’ouverture des écoles cléricales en

Musique et images coptes

un patrimoine en évolution

DOSSIER LES COPTES HIER ET AUJOURD’HUI

Depuis des temps reculés, l’Église copte et la question de ses origines suscitent bon nombre

de fantasmes et de polémiques. C’est essentiellement dès l’expédition de Bonaparte

(1798-1801) que le caractère mythique de l’Égypte a pris une ampleur exceptionnelle,

donnant à la communauté copte de ce pays, déjà minoritaire par rapport aux musulmans,

l’envie et l’occasion de revendiquer sa place sur la terre des pharaons. Depuis, cet engagement

n’a cessé de croître et la vivacité des Coptes à partager et à diffuser un patrimoine commun n’a

jamais été aussi forte qu’aujourd’hui.

par Séverine GABRY, doctorante en ethnomusicologie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, attachée au Centre derecherche en ethnomusicologie (LESC-CNRS UMR 7186) et membre de la Société française d’ethnomusicologie

PATRIMONIALISATION :fabrication et réemploid’objets du patrimoine, qu’ils soient considéréscomme matériels ouimmatériels.

Chambre de moniale, Deir el-Mohareb, Louxor, rive ouest.© Séverine Gabry

Page 2: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)
Page 3: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)

42

1891 et la fondation de couvents ; ceci en paral -lèle d’un renouveau spirituel mené par les missionsprotestantes et catholiques d’Occident dès ladeuxième moitié du XIXe siècle.Cet élan constitue la première phase de ce quidevient, dans la deuxième moitié du XXe siècle, lerenouveau copte. Ses prémices se manifestentessentiellement par une importance nouvel -lement accordée à l’éducation, voire à l’éruditionau sein de la communauté copte, mais aussi parl’engage ment de nombreux étudiants chrétiensdans le Wafd, parti indépendantiste égyptien,dont l’action a été déterminante dans leprocessus qui amène la Grande-Bretagne àreconnaître l’indépendance de l’Égypte en 1936.C’est toutefois sous le régime de Sadate (1970-1981) que le renouveau prend le plus d’ampleur.Une réelle tension oppose alors les Coptes aupouvoir politique en place, qui soutient l’idée del’islam comme religion officielle d’État. Le pointculminant de ces tensions va jusqu’à conduire, en1981, à la destitution et à l’exil forcé du papeactuel Shenouda III, sous prétexte que les proposet avis du patriarche d’Alexandrie contrecarraient les prises de position du gouvernement.Quoiqu’il en soit, ces tensions et les nouvellesdirectives dictées en parallèle par Shenouda(durcissement des règles morales et spirituellesde sa commu nauté) ont été les élémentsdéclencheurs d’un vaste renouveau pour leschrétiens d’Égypte, mené par le clergé dans unpremier temps puis suivi par la grande majoritéde la communauté copte.

Pour une transmission du patrimoineNombreux sont les instituts, associations, revues,etc., créés dans la droite lignée de ce grandrenouveau. L’élément le plus notable est sansconteste l’inauguration de l’Institut d’étudescoptes, situé dans le quartier d’Abbasseyya, au Caire. Cet Institut voit le jour en 1954, suite à la période instable du coup d’État de 1952contre le roi Farouk. L’arrivée de Nasser – figurede proue du panarabisme – au pouvoir ouvre les portes d’une ère délicate pour les chrétiensd’Égypte. Après son engagement au service de la Nation égyptienne dans les années 1914-1918 et sa lutte aux côtés des musulmans pourl’indépendance de l’Égypte face au protectoratbritannique, la communauté se voit de nouveaucontrainte de vivre en marge de la vie administrativeet politique du pays. Néanmoins et en parallèle, lepape de l’époque, Cyrille VI (1959-1971), entre-prend une série d’actions clairement synonymesd’essor pour les Coptes : renouveau monastique,indépendance de l’Église copte d’Éthiopie,développement de l’action caritative de l’Église etdiscours œcuméniques. L’Institut d’études coptesprécède de peu cette mouvance. Il permetl’ouverture de sections d’études ciblées, tellesque celle concernant la musique ou celle del’iconographie, qui visent à préserver puis àdiffuser ce qui apparaît comme propre à la culturecopte. Bien avant l’ouverture de l’Institut, le direc -teur de la section musique de 1954 à 2001,Ragheb Moftah, avait déjà œuvré dans le sens dela préservation du patrimoine musical et hymno -dique copte, notamment par le biais du Congrèsde musique arabe de 1932 organisé au Caire.Pendant ce Congrès, musiciens et musicologuesdu monde arabe s’étaient réunis de façon à enregistrer et faire connaître leurs pratiques musi -cales. De nombreux chants coptes avaient alorsfait l’objet d’un archivage. La création de l’Institutpermet à Moftah de poursuivre ce travail : il yinstalle un studio d’enregistrement et demande auchantre aveugle Mikhaïl Girgis el Batanony, consi -déré comme le garant des traditions musicalescoptes, d’interpréter les chants de la liturgie afind’en conserver une trace pérenne pour l’histoire.La vocation principale de cet Institut reste, de nosjours, d’offrir une véritable formation à de jeunesCoptes, en proposant des cours de musique, delangue, d’histoire, d’arts, etc., de manière qu’ils(ré)apprennent ce qu’est leur « culture copte ».

Cours de chant dispensépar le moine Misaïl, Deir el-Moharraq, Moyenne-Égypte.© Séverine Gabry

Page 4: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)

43

En parallèle de cet Institut et dans le domaineprécis des chants liturgiques, deux autres grandsorganismes ont vu le jour, l’un au Caire et l’autreprès d’Assiout (Moyenne-Égypte). Nommés com -munément les Instituts Didymos, ils proposenttous deux à de jeunes garçons coptes de douzeà vingt-deux ans de poursuivre un cursus de six ans leur permettant d’apprendre à maîtriser,au terme de leur formation, tous les chants de la liturgie et l’animation des offices. Initialement, le premier établissement fondé en 1893 àMahmashah (quartier du Caire) visait à instruireles jeunes aveugles, mais de nos jours il n’est plusréservé aux garçons atteints de cécité. Celuid’Assiout existe depuis 1970. Il a pour principalecaractéristique d’être accueilli au sein du Deir el-Moharraq, célèbre monastère où la SainteFamille se serait arrêtée lors de sa fuite enÉgypte. Plus d’une centaine de moines résidenten ces lieux. De même que partout ailleurs enÉgypte, le nombre de religieux y a presque doubléces cinquante dernières années. L’impulsiondonnée au monachisme d’abord par Cyrille VIpuis par Shenouda III a permis une augmentationcertaine du nombre de vocations, tant pour lesmoines que pour les nonnes. Cet aspect revêtégalement de l’importance dans la compréhen -sion du rôle de la transmission chez les Coptes :les moines comme les moniales ne peuvent pro -noncer leurs vœux qu’à condition qu’ils ou ellesaient au moins un diplôme. Autrement dit, le papeattend du modèle monastique copte qu’il soitemprunt d’éducation, de culture et de savoir. Êtremoine est ainsi petit à petit devenu synonymed’être garant des savoirs et des traditions coptes.

L’héritage pharaonique des chants coptes : un mythe ?« La clé du mystère de la musique pharaoniquese trouve dans une bonne édition de la musiqueecclésiastique copte en usage de nos jours. »(Étienne Drioton, égyptologue, 1946)La musique copte est un terrain privilégié pouralimenter les fantasmes de la communautéreligieuse. La représentation que s’en font leschrétiens d’Égypte revêt une importance detaille : la haute antiquité présumée des pratiquesmusicales coptes est en effet devenue, au fil des années, synonyme « d’authenticité » dans uncontexte de crise identitaire. La croyance large -ment admise et répandue de nos jours par les

hautes instances coptes consiste à penser quela légitimité de leur présence sur le sol d’Égyptevient de l’ancienneté de leur communauté et deleurs pratiques et, de fait, de leur lien direct avecl’Égypte des pharaons.De quelle nature sont ces liens ? Il convient avant tout de ne pas oublier que le mot « copte »recouvre une triple réalité : ethnique, religieuse et linguistique. Or, dans les discours, l’usagepolyvalent de ce terme peut entraîner certainesconfusions, notamment lorsqu’il s’agit de reven -dications nationalistes. Le mot « copte », d’unpoint de vue étymologique, vient du grec Aigyptios(« Égyptien »), petit à petit dérivé en Gyptos, puisQibt ou Qoubt par les Arabes dès l’invasion, en639. Ce terme désigne donc, pour les nouveauxvenus, tout Égyptien autochtone. Or, l’Égypterécemment soumise au signe du croissant estchrétienne. L’Égyptien autochtone est donc, laplupart du temps, chrétien – cette confessionconcernant alors sept à huit millions de personnes.Par extension, le Copte devient le chrétiend’Égypte ; c’est d’ailleurs ainsi qu’il est désigné parles premiers voyageurs occidentaux des XVe etXVIe siècles. Réalité ethnique donc dans unpremier temps, puis réalité religieuse qui aboutitrapidement à la désignation d’une langue, le copte.

Afflux de pélerins au DeirMârî Girgis (monastèreSaint-Georges) pendant le mouled, novembre 2009, Haute-Égypte.Le mouled est la fête quicommémore généralementla naissance du prophèteMahommet, mais quidésigne de facto aussi les pélerinages dédiés à tel ou tel saint (copte oumusulman).© Séverine Gabry

Page 5: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)

44

D’abord langue vernaculaire, elle devient exclu -sivement liturgique lorsque les Fatimides eninterdisent l’usage au XIe siècle. En ce sens, lacontinuité revendiquée est concevable etcompréhensible. Mais dans le domaine précis de la musique, il paraît plus compliqué d’établir de telles filiations. L’Église copte est indénia -blement conservatrice. Toutefois, les nombreuxpostulats œuvrant à promouvoir l’idée de chants« authentiques », « inchangés », « foncièrementtraditionnels » sont des préconceptions. Lamusique copte, en tant que patrimoine de trans -mission orale, n’a jamais été notée. Certainsmanuscrits, toutefois, présentent des signes au-dessus des mots sans lien, selon les linguistes,avec la langue en tant que telle. Ces traits et points pourraient-ils être assimilés à la notationekphonétique des Byzantins, qui fut à l’origine del’écriture neumatique de nos chants grégoriens ?Rares sont les travaux réalisés sur ce sujet et touteforme de réponse est pour l’heure impossible.Les chants sont néanmoins désignés par destermes liturgiques précis et il est possible d’en trouver de nombreuses mentions dans cesmanuscrits. Ils renvoient à certains usages demodes musicaux pour tel ou tel texte et sontprécisés dans les rubriques de ces mêmes textes.

C’est cet aspect qui permet de se rendre compteà la fois de la filiation de certains modes, dont les noms demeurent tels quels de nos jours, mais aussi de l’évolution indéniable dont ils ontété l’objet.

Images et musiques en mouvement Les icônes ont, au sein de la pratique religieusecopte, une importance fondamentale. Destinées àtrans mettre la baraka, les images coptes portenten elles une force symbolique suffisamment puis -sante pour amener les fidèles à éprouver lebesoin d’en mettre sur leurs murs, dans leursvoitures, dans leurs portefeuilles, etc., mais aussid’en recouvrir les horloges, les coupe-ongles, les porte-clés et tout autre outil de cet acabit.Pourquoi une telle profusion de l’image ? Il seraitsans doute simpliste de ne considérer que lespersécutions dont la communauté se dit victimepour la justifier ; pourtant, force est de constaterque le mal-être identitaire copte face à la majoritémusulmane et les agressions notables subiesparticipent de cette recrudescence d’images. Lesreprésentations de saints guerriers, de la Viergeou de figures contemporaines de sainteté devien -nent garantes de force et, surtout, de protectionpour celui qui les porte ou les montre.

EKPHONÉTIQUE : du grecekphonesis, qui signifie« lecture à haute voix,solennelle ». Système denotation apparu vers le VIIIe siècle qui concerne la prosodie (plus que la musique) et résulte de lalecture déclamée des textes.Les signes ne précisent pasréellement d’intervalle ou de durée, mais indiquent lahauteur sur laquelle on liraun ou plusieurs mot(s).

Les NEUMES sont lesdifférents signes musicauxapposés au-dessus desmots sur les manuscritsliturgiques du Moyen Âge. Ils servent à guider lechantre dans l’exécution du plain-chant. Ils peuventprendre la forme de points,de traits ou d’accents.

La BARAKA est l’influencebénéfique de source divineque les Arabes attribuent aux saints.

CI-CONTRE.Shammâs en l’église duDeir el-Mohareb pendantl’office de l’Épiphanie.Les shammâs sont lesdiacres.© Séverine Gabry

PAGE DE DROITE. Tatoueur d’images saintesdans l’enceinte du DeirMârî Girgis pendant lepèlerinage.© Séverine Gabry

Page 6: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)
Page 7: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)

46

femme étudiant à la section « icône » de l’Institutd’études coptes, qui réalise de fines peintures sur bois à partir de représentations anciennesrassemblées dans divers livres ou revues.Apprendre à reproduire, puis vendre ces œuvres,tel est le but de ces étudiants qui renouent avecune conception plus ancienne de la place del’image au sein de la communauté copte.Dans le cas de la musique, et en dépit desdiscours traditionalistes en vogue, de nouveauxchants ont fait irruption sur le devant de la scènemusicale copte. Les taranîm, ces nouveauxcantiques populaires, permettent aux Coptesd’écouter ce qui pourrait être assimilé à unemusique de variété à argument exclusivementreligieux. Ainsi les Coptes diffusent et achètentdisques et cassettes audio, et les écoutent chezeux ou dans leur voiture. Les textes, poèmes de composition récente ou écrits par le papeShenouda III en personne, reflètent l’état d’espritdans lequel évolue la communauté : solidarité et liens intracommunautaires très forts, défensefarouche des pratiques religieuses ou, plus clas -siques, apologies de saints. Quant aux chantstirés de la liturgie et disponibles en CD, ils sonteux aussi souvent soumis à un mixage musical en bonne et due forme : mélodies doublées ausynthétiseur, intervention du ‘ûd (luth oriental), dela flûte traversière ou d’une boîte à rythme, etc.Les auteurs de ces disques souhaitent, par cebiais, ouvrir les chants de la communauté à unplus large public en tentant, en quelque sorte, deles rendre plus universels.

Des réflecteurs de tensionscommunautaires patentesRefuser d’y voir l’évolution d’un patrimoine pour -tant déclaré immuable serait sans nul doute uneerreur. Le conservatisme de cette Église s’illustreen réalité essentiellement par ses discours.Pourquoi constamment revendiquer un passéprestigieux si ce n’est pour se démarquer d’une majorité jugée oppressante ? À la fin du XXe siècle, de nombreux chrétiens d’Égypte ont été les victimes de groupes d’Égyptiens se revendiquant d’un islam radical. Même si lesexactions encore commises de nos jours sontbien moins violentes, il n’en demeure pas moinsque les Coptes se sentent souvent victimes dediscriminations, voire de ségrégations, notam -ment dans les villes. Dans les campagnes, où

Fresque du Deir Mar Boulos(monastère Saint-Paul),chapelle abritant les reliquesdu saint.© Séverine Gabry

Au fil des siècles, l’icône copte (généralementpeinte sur bois) a été influencée par différentsstyles en usage, tels que le byzantin à la périodede l’invasion arabe, l’italien au XVIe siècle, le russeorthodoxe au XVIIIe siècle et, enfin, l’imagerieoccidentale aux XIXe et XXe siècles. Il est toutefoisdifficile d’en proposer une description précise aufil des siècles puisque très peu d’icônes nous sontparvenues intactes jusqu’à ce jour. Certaineséglises conservent encore quelques modèles,comme celle du monastère de la Vierge à HaretZuwayla, au Caire. De très belles peintures desaints des XVIIIe et XIXe siècles, protégées pardu verre, y sont observables. Nombreuses sontégalement les peintures murales présentes ausein de certains monastères. Tel est le cas duDeir Mar Boulos (monastère de Saint-Paul) dansle désert oriental, près de la mer Rouge : despeintures de différentes époques aux couleursencore chatoyantes peuvent être admirées dansla chapelle accueillant les reliques de l’ermitedevenu saint. Autrefois représentations devisages aux yeux éthérés et démesurémentgrands, à l’intention descriptive affirmée bienqu’em preintes de naïveté, elles sont maintenantdes images imprimées dont la profusion prévautsur l’impact esthétique. Comme la musique, lesimages coptes ont ainsi traversé les siècles en senourrissant d’influences diverses.De nos jours toutefois, certains artistes s’emploientà copier d’anciens modèles et les destinent le plussouvent à la vente. Tel est le cas d’Amal, une jeune

Page 8: Musiques et images coptes. Un patrimoine en évolution (Religions et Histoire 31, 2010)

47

les pressions politiques et administratives sontmoindres, on peut constater que les rapportsentre les deux communautés sont plus cordiaux.Il n’empêche : le seul fait récent de la mort de six chrétiens assassinés à l’arme à feu par desmusulmans la nuit du Noël copte, le 6 janvier versminuit à Nagaa Hammadi (Haute-Égypte), pousse à se souvenir que les tensions demeurent. Cesévénements alimentent les discours islamo -phobes et n’atténuent en rien le sentiment depersécution. Face à ces violences et à la montéede l’intégrisme musulman en Égypte, les Coptesdeviennent eux-mêmes plus démonstratifs : affluxd’images, de chansons, mais aussi d’objets à vocation prosélyte, de chaînes de télévisioncoptes, de journaux coptes, de sites internetcoptes, etc. À ce sujet, il est possible de constaterle rôle actif des diasporas : absentes de leur terrematernelle, le soutien qu’elles estiment porter à leurs frères demeurés au pays passe par la mise en place de sites internet. Certains d’entreeux véhiculent d’emblée l’idée d’une pressionconstante, comme c’est le cas pour ce Coptede Floride, Bishoy Habib – « The Original CopticRapper » –, qui tente par ses chansons desoutenir son Église en écrivant des textes sur les

persécutions et les répressions. D’autres sefocalisent sur l’ancienneté de la communauté et ses liens avec l’Égypte pharaonique, tout enessayant d’en démontrer les ressorts.La compréhension des pratiques de la commu -nauté copte renseigne grandement sur sa placeactuelle en terre d’islam et sur la perception queles Coptes eux-mêmes ont de cette place. Bienque soucieux de préserver leur patrimoine, ilsn’hésitent pas à produire et à diffuser tout ce quipeut faire office de témoin d’une contemporanéitécertaine, au service d’une communauté soucieusede préserver sa culture et son identité.

BIBLIOGRAPHIECANNUYER Christian, Les Coptes, Turnhout, Brepols, 1996.DU ROY Gaétan, « Les images coptes : entre l’icône et l’auto -collant », Les images de la mission, Caroline Sappia et OlivierServais (dir.), Paris, Karthala, 2010.EL-KHAWAGA Dina, Le Renouveau copte. La communauté commeacteur politique, Paris, Thèse de l’IEP (non publiée), 1993.GABRY Séverine, « Processus et enjeux de la patrimonialisation dela musique copte », Égypte / Monde arabe, 5, 2009, p. 133-158.GUIRGUIS Laure (dir.), Conversions religieuses et mutationspolitiques en Égypte, Paris, Non Lieu, 2007.MAYEUR-JAOUEN Catherine, Pèlerinages d’Égypte. Histoire de la piété copte et musulmane, XVe-XXe siècles, Paris, Éditionsde l’EHESS, 2005.MEINARDUS Otto, Christians in Egypt, Le Caire, Presses del’université américaine, 2006.VOILE Brigitte, Les Coptes d’Égypte sous Nasser, Paris, CNRSÉditions, 2004.

Procession de shammâspendant la fête de KomMaria (janvier 2009), Mallâwî, Moyenne-Égypte.© Séverine Gabry