Culture 24 heures | Mercredi 6 juillet 2011 27 Contrôle qualité VC3 Exposition A Lausanne, la Galerie d’Etraz rend hommage au génie de la couleur de l’artiste installé à La Conversion Ensemble, elles façonnent un uni- vers qui aimante. Séparément, el- les ont chacune leur âme, à la fois pénétrante et rayonnante. La qua- rantaine d’huiles et de craies gras- ses abstraites de Walter Mafli ex- posées à la Galerie d’Etraz, à Lau- sanne, parlent d’une même voix. Celle d’un artiste qui n’a pas choisi l’abstrait pour nier l’exis- tence. Mais, au contraire, pour la célébrer. Orange, rouge, gris, bleu ou vert, peu importe la couleur, c’est son cœur qui distille ses états d’âme. Et si parfois le feu intérieur bout jusqu’à l’exubérance, jamais l’abstraction de Mafli ne cherche à accaparer le regard. Séductrice, elle l’attire pour qu’il s’imprègne. Elégante, elle fait parler les silen- ces. Subtile, elle laisse courir le fil des pensées. Alternant sans préjugés l’écri- ture figurative et le langage abs- trait, l’artiste installé à La Conver- sion s’explique avec humilité dans Walter Mafli raconte: «J’ai arrêté l’abstrait quand je suis arrivé à une surface noire, sans accident. La boucle était bouclée et, théori- quement, je pouvais revenir vers autre chose. Mais, pour quelqu’un qui ne sait pas dessiner et qui ne maîtrise pas les perspectives, il n’y a pas de retour possible, et il reste prisonnier de l’abstrait.» Réalisées entre 1990 et 1995, les œuvres présentées par la gale- rie lausannoise révèlent l’habileté technique d’un artiste qui tra- vaille, reprend et revient sur ses toiles jusqu’à satisfaction. Homogène, l’accrochage invite à vivre au rythme des aplats qui se superposent, qui se répondent ou qui jouent la taille des uns contre celle des autres, avec un but com- mun: dompter les frontières pour Haute en couleur, la palette abstraite de Walter Mafli célèbre l’existence Karpov, huile sur toile de Walter Mafli, 81 x 100 cm (2009). GALERIE D’ÉTRAZ/DR Pour ses 75 ans, le festival lui offrait hier soir quelques stars pour un gala. Rencontre avec Tommy LiPuma, légende de l’ombre Boris Senff Textes Chantal Dervey Photos Producteur de légende, Tommy LiPuma se déplace avec une canne, mais il est toujours là quand il s’agit de taper du pied. La preuve lundi soir, lors du concert de son «poulain» George Benson (lire ci-dessous), auquel il assistait avec un plaisir non dissimulé de- puis la scène de l’Auditorium Stra- vinski, assis à côté de son collègue Quincy Jones. Hier soir, jour de son anniver- saire, l’Américain était encore à la fête à Montreux. Pour honorer ses 75 ans, le festival lui offrait une soirée de gala, animée par quel- ques-uns des artistes avec lesquels il a travaillé depuis un demi-siècle. «Je leur ai demandé des chansons que nous avons réalisées par le passé», se réjouit le ponte de la musique, croisé en pleine répéti- tion au Montreux Palace. «Randy Crawford reprendra des titres de l’album Casino Lights (ndlr: enre- gistré live à Montreux, en 1981). Diana Krall jouera Peel Me A Grape ou Garden in The Rain.» Projet avec McCartney A l’âge où beaucoup sont depuis longtemps à la retraite, Tommy LiPuma n’a pas dit son dernier mot. Si, parmi les meilleurs souve- nirs de sa carrière, figurent l’al- bum Breezin’, de George Benson, ou les nombreux enregistrements qu’il a effectués avec Diana Krall (12 au total !), le producteur men- tionne avec excitation son projet en cours: «Je suis en train de tra- vailler avec Paul McCartney entre Los Angeles et New York sur un album de standards, des titres de Fats Waller, d’Irving Berlin…» Aujourd’hui, il admet toutefois que ses plus grands plaisirs musi- caux se situent dans un passé as- sez reculé («Duke Ellington, Fats Waller, Ben Webster»). «J’ai eu la chance d’être là à une des meilleures époques. Pensez, je commence à travailler en 1960- 1961, et les Beatles débarquent en 1963! J’aime me remémorer le passé.» La mention aux champions de la pop n’est pas anodine puisque Tommy LiPuma ne s’est jamais posé en puriste du jazz et rappelle volontiers qu’il a aussi connu le succès en produisant deux al- bums pour Barbra Streisand. Ce saxophoniste, qui ne joue que pour son plaisir privé, privilé- gie les bons souvenirs, même s’il admet que tout ne fut pas rose. «Je ne vous donnerai pas de noms, mais j’ai eu des expériences qui m’ont donné envie de partir en courant!» Très attaché à la confiance des artistes, il a toujours préféré la voie douce. «Les guider plutôt que de leur dire ce qu’ils doivent faire. Producteur, c’est pour ainsi dire un boulot de psy- chologue.» Qu’il soit amené à tra- vailler pour une grande star ou pour un jeune débutant, Tommy LiPuma n’a qu’un moteur: «Je suis un suceur de talents. Si les musi- ciens sont bons, que le matériel l’est aussi, il y a juste besoin d’or- ganiser les répétitions, de prévoir les choses à l’avance. Si vous avez tous ces éléments, vous pouvez rester sur le côté. Et attendre que la magie opère.» La modestie fait aussi partie de la panoplie d’un producteur qui n’aime pas la caricature de sa pro- fession, parfois dépeinte avec l’or- dre et le cigare aux lèvres. Happy birthday! Montreux Jazz Festival «Je suis un suceur de talents» Tommy LiPuma, lundi à Montreux: «Je suis en train de travailler avec Paul McCartney entre Los Angeles et New York.» U Critique Les guitaristes historiques n’ayant pas toujours rendu justice à leur réputation (B.B. King ce week-end, lire 24 heures de lundi), certains réguliers du Montreux Jazz ne cachaient pas leur appréhension, lundi, à l’Auditorium Stravinski. Mais George Benson, qui reprenait les titres de son album Breezin’, de 1976 (à la production signée Tommy LiPuma), les a rapidement rassurés. Epaulé par Ronnie Foster, clavier d’époque, l’alerte sexagénaire n’a rien perdu de la souplesse de ses doigts quand, à la guitare, il affûte et aligne les notes suaves et étincelantes. En reprenant tout un album (celui qui le propulsait au statut de star, avec 10 millions de disques vendus), le natif de Pittsburgh évite l’écueil de la compilation live et donne une tonalité cohérente à la première heure de son concert. Sa musique, par ses côtés «funky-fresh», lorgne explicite- ment la pop, mais avec finesse et vivacité. Pourquoi céder aux arguments chagrins des intégristes du jazz? Un moment très agréable, ponctué de clins d’œil à Tommy LiPuma et à Quincy Jones, installés sur la droite de la scène. L’exercice se conclut avec l’incontournable «Benson Party», succession de tubes. Le fameux Give Me The Night à peine lancé, c’est toute la salle qui se met à danser frénétiquement, démontrant par le geste l’incroyable pouvoir de ces morceaux de mémoire collective. Irrésistible. Quand George Benson souffle sur la nuit «Des expériences m’ont donné envie de partir en courant!» Tommy LiPuma, producteur Six albums inévitables Barbra Strei- sand, The Way We Were (Columbia) Cet album de 1974, du même nom que le film dans lequel joue la star avec Redford, sera multiplatine (13 millions d’exemplaires vendus dans le monde) et permet à Tommy LiPuma de se montrer pop. João Gilberto, Amoroso (Warner) «L’un de mes albums préférés. Un talent qui n’écrit pas, mais qui interprète merveilleusement.» Sorti en 1977, avec pour moitié des compos de Jobim et les cordes de l’arrangeur Claus Ogerman. Bill Evans, You Must Believe in Spring (Warner) «L’un de mes albums complètement jazz. L’un des individus les plus aimables et talentueux avec lesquels j’ai eu la chance de travailler.» Enregistré en 1977, mais sorti en 1981, après la mort du pianiste. Miles Davis, Tutu (Warner) Tommy LiPuma a aussi produit Siesta et Aman- dla pour le trompettiste. «Je n’ai jamais eu de problème avec lui. Nous étions proches. Facétieux, il m’a toujours fait rire.» Tutu est paru en 1986. Diana Krall, The Look of Love (Verve) L’artiste avec qui le producteur a réalisé le plus d’albums, douze, mais celui-ci, de 2001, est son préféré. «Une classe au-dessus.» Everything But The Girl, The Language of Life (Atlantic) Etonnante collaboration de 1990 avec le duo qui allait devenir un emblème trip-hop. «Des chansons fantastiques, une voix superbe.» Signés Tommy George Benson, 68 ans, lorgne la pop avec finesse. aller au-delà de l’horizon. Plus que jamais enthousiaste après trente-quatre ans de collaboration entre sa galerie et l’artiste de 96 ans, Eliette de Korodi-Aeschli- mann a sa propre formule: «Avec ces toiles autour de nous, on se sent bien.» Florence Millioud Henriques Lausanne Galerie d’Etraz jusqu’au sa 16 juillet Rens.: 021 312 21 01