1 Mobilité interrégionale de la main d’œuvre et flexibilité salariale dans l’UEMOA : une réponse à l’adaptation aux fluctuations macroéconomiques ? Résumé La présente étude analyse l’efficacité de deux modes d’ajustement par le marché aux chocs macroéconomiques dans l’union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Les études qui se focalisent sur le critère d’asymétrie des chocs prennent comme référence le cadre théorique des zones monétaires optimales sans toutefois aller au-delà du réel problème d’ajustement que pose cette théorie. Cette étude analyse la portée des mécanismes naturels d’ajustement par le marché que sont la mobilité interrégionale et la flexibilité salariale. Elle montre l’existence de rigidités nominale et réelle dans les pays membres de l’union limitant ainsi l’efficacité de l’ajustement à travers ces mécanismes de marché. En dehors de certaines barrières, notamment linguistiques et socioculturelles, la mobilité interrégionale dans l’union n’obéit pas totalement à une logique d’ajustement. Elle témoigne plus en faveur d’une décision contrainte comme par exemple les guerres ou les études. En outre, l’efficacité limitée de l’ajustement par le marché du travail est davantage le fait des rigidités réelles que nominales dans certains pays de l’union. Dans d’autres pays par contre, les deux types de rigidités coexistent. En majorité, 28 % de l’écart entre le salaire réel et son niveau d’équilibre est résorbée chaque année. Classification JEL : F2, E24, J6 Mots clés : Union monétaire, mobilité, flexibilité salariale
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Mobilité interrégionale de la main d’œuvre et flexibilité salariale dans l’UEMOA :
une réponse à l’adaptation aux fluctuations macroéconomiques ?
Résumé
La présente étude analyse l’efficacité de deux modes d’ajustement par le marché
aux chocs macroéconomiques dans l’union économique et monétaire ouest africaine
(UEMOA). Les études qui se focalisent sur le critère d’asymétrie des chocs prennent
comme référence le cadre théorique des zones monétaires optimales sans toutefois aller
au-delà du réel problème d’ajustement que pose cette théorie. Cette étude analyse la portée
des mécanismes naturels d’ajustement par le marché que sont la mobilité interrégionale et
la flexibilité salariale. Elle montre l’existence de rigidités nominale et réelle dans les pays
membres de l’union limitant ainsi l’efficacité de l’ajustement à travers ces mécanismes de
marché. En dehors de certaines barrières, notamment linguistiques et socioculturelles, la
mobilité interrégionale dans l’union n’obéit pas totalement à une logique d’ajustement.
Elle témoigne plus en faveur d’une décision contrainte comme par exemple les guerres ou
les études. En outre, l’efficacité limitée de l’ajustement par le marché du travail est
davantage le fait des rigidités réelles que nominales dans certains pays de l’union. Dans
d’autres pays par contre, les deux types de rigidités coexistent. En majorité, 28 % de
l’écart entre le salaire réel et son niveau d’équilibre est résorbée chaque année.
Classification JEL : F2, E24, J6
Mots clés : Union monétaire, mobilité, flexibilité salariale
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1. Introduction
La nomenclature des régimes de change depuis le système de Bretton Woods, a
connu un véritable changement. Malgré leurs avantages relatifs, de nombreux faits
témoignent que la plupart des régimes de change ont échoué parce qu’ils n’ont pas permis
d’éviter des crises économiques et financières (Frankel, 2001). L’expérience de nombreux
pays montre en réalité de manière convaincante qu’il n’y a pas de régime de change à
priori universellement adapté. Ce n’est pas tant le régime de change mais donc
l’adaptation aux chocs économiques qui constitue la préoccupation essentielle. C’est ce
que semble bien montrer l’intérêt actuellement affiché de la recherche de mécanismes
appropriés d’ajustement aux chocs dans les unions monétaires existantes (Muet,
1995; Mazier et Saglio, 2003).
Dans sa version traditionnelle, la théorie des zones monétaires optimales s’est
intéressée essentiellement au coût lié à la perte du taux de change nominal comme
instrument d’ajustement indispensable. Mundell (1961) mettait déjà l’accent sur la nature
des chocs subis et sur les notions keynésiennes de rigidité de salaires et des prix. Si la
mobilité des facteurs entre régions est suffisamment restreinte pour que des ajustements de
prix relatifs s’opèrent rapidement, il est probable, selon Mundell, que dans une union
monétaire, l’ajustement ne se réalise qu’au prix d’importants déséquilibres sur les marchés
de la production et de l’emploi. La présente étude analyse l’ajustement par les mécanismes
naturels de marché dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
Depuis sa création, l’environnement économique de l’union monétaire est en effet
caractérisé par des chocs, notamment l’instabilité des termes de l’échange (Asante et
Masson, 2001). Les travaux récents dans l’UEMOA ont montré la diversité des analyses
sur l’optimalité et partant le choix du régime de change. Ces études révèlent en réalité le
caractère asymétrique des chocs macroéconomiques mais à des degrés divers (Coleman,
2004 ; Ogunkola, 2005; Houssa, 2008).
Très peu de travaux se sont intéressés cependant à l’étude de la capacité
d’ajustement aux chocs asymétriques dans l’UEMOA. Certains travaux ont examiné le
partage de risque dans l’UEMOA (Yehoue, 2005 ; Tapsoba, 2009) dans le cadre
analytique initié par Asdrubali, Sørensen et al. (1996). Il reste que d’autres mécanismes
3
d’ajustement par le marché ont néanmoins trouvé peu d’échos dans la littérature en raison
peut-être du manque d’informations y afférentes et souvent difficile à collecter1.
Cette étude évalue l’efficacité relative de deux de ces principaux modes naturel
d’ajustement par le marché dans l’UEMOA. Elle met l’accent sur la mobilité
interrégionale de la main d’œuvre. Elle propose en outre une tentative d’analyse empirique
de la flexibilité des prix ainsi que le rôle des rigidités nominales et réelles des salaires dans
la zone monétaire.
Le reste de l’étude est structuré comme suit. La section suivante expose le rôle
théorique de stabilisation de la mobilité de la main d’œuvre et analyse de manière
descriptive la réalité dans l’UEMOA. La section 3 montre le rôle des rigidités nominales et
réelles des salaires et des prix. La section 4 propose une analyse empirique de la flexibilité
salariale dans l’UEMOA. La dernière section conclut.
2. La mobilité interrégionale de la main d’œuvre : rôle de stabilisation et réalité dans
l’UEMOA
2.1. Un aperçu théorique du rôle de stabilisation de la main d’œuvre
Plusieurs travaux empiriques ont mis en évidence la présence de chocs
asymétriques au sein de l’UEMOA. En générale, dans un cas de figure semblable, la
littérature économique y a souvent trouvé une menace notamment en raison de la situation
relative de déséquilibre occasionnée. En se référant à l’exemple du glissement de la
demande2, deux pays peuvent se trouver confrontés à un double problème d’ajustement :
chômage et déficit de la balance courante pour l’un, excédent extérieur et inflation pour
l’autre. De tels déséquilibres macroéconomiques nécessitent la variation du taux de change
en tant que canal d’ajustement ; la dépréciation de la devise de l’un des pays par rapport à
l’autre étant vue comme un remède.
Cependant, en absence d’une flexibilité du taux de change nominal, il reste
probable que l’un des pays au moins supporte l’essentiel du poids de l’ajustement à travers
1 La non disponibilité des données sur la migration et le chômage limite quelque peu l’examen de ces
mécanismes d’ajustement.
2 Chocs de demande asymétriques entre deux pays. Voir le cas de figure en annexe.
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les variations de l’emploi et de la production. La mobilité interrégionale de la main
d’œuvre constitue une alternative avancée par la littérature pour résoudre le double
problème de déséquilibre. L’idée développée par Mundell (1961) est la suivante. Les
mouvements de main-d’œuvre des pays connaissant le chômage et le déficit (CD) vers les
pays inflationnistes et excédentaires (IE) peuvent avoir une double implication. La
première est que le flux sortie-entrée réduit la concurrence sur le marché du travail des
pays (CD) et par suite le taux de chômage. Parallèlement, il freine l’expansion des
économies (IE) grâce à un surplus de concurrence sur le marché du travail, c’est-à-dire une
diminution des tensions salariales. La seconde conséquence se traduit par une baisse de la
demande interne des premiers qui entraîne une réduction des importations. Au contraire, la
demande agrégée augmente chez les seconds ; ce qui implique une croissance des
importations3.
2.2. Réalité dans l’UEMOA
En se basant sur le développement précédent, il est utile d’examiner la place
qu’occupe réellement ce mécanisme dans l’UEMOA. A défaut de la disponibilité
suffisante des données chronologiques relatives à l’emploi et aux flux migratoires, la
réponse analytique que l’on peut avancer est liée elle aussi à la question de l’existence ou
non de flux migratoires entre les pays membres de la zone monétaire ouest africaine. S’il
n’y a pas véritablement un déplacement de la main d’œuvre entre les pays, il reste alors à
douter de la portée de ce mécanisme dans l’UEMOA. Mais si l’on admet l’existence de
mouvements d’entrée et sortie entre les pays, il faut bien se demander alors si ce flux obéit
plus à une logique d’ajustement qu’à un simple mouvement migratoire. Il faut bien se
demander aussi si ce flux migratoire si tant est qu’il existe, n’est pas réellement limité par
des obstacles aussi bien à l’entrée qu’à la sortie rendant ainsi difficile l’ajustement.
A travers les arguments théoriques développés dans la littérature économique, cette
section montre que la thèse de mobilité interrégionale de Mundell (1961) en tant que
mécanisme d’ajustement serait très optimiste dans le cas de l’UEMOA. Il semble que le
mécanisme de mobilité est difficilement accepté par des auteurs qui ont analysé ce critère
dans le cadre de l’optimalité de la zone monétaire ouest africaine (Bécart, 1997 ; Eboué,
1998) corroborant ainsi le pessimisme de Ishiyama (1975). Essayons de reprendre les
différents arguments théoriques de la littérature économique et confrontons-les à la réalité
3 Le retour à l’équilibre des comptes courants peut être également favorisé par les transferts de fonds des
migrants à leur famille. C’est le cas de la mobilité du capital.
5
dans l’UEMOA. Ces arguments se résument en deux catégories. Les critiques à l’encontre
de la mobilité du travail comme mécanisme d’ajustement d’une part et les conditions
d’efficacité de la mobilité du travail d’autre part.
Concernant la première catégorie d’arguments, l’existence de politiques
migratoires restrictives constitue l’un des obstacles les plus importants à la mobilité du
travail. Nous en avons un exemple dans l’espace CEDEAO (dont fait partie l’UEMOA) en
matière des passeports. Certes, la CEDEAO a facilité la mobilité de la main-d’œuvre en
supprimant les visas, mais l’établissement des ressortissants d’un pays de la CEDEAO
dans un autre semble toutefois se heurter encore à certaines difficultés administratives
(Masson et Pattillo, 2001). La mobilité du travail est moins libre comparativement au cas
de l’Union européenne au sein de laquelle existe la liberté totale de circulation. Même
lorsque celle-ci est libre, les mouvements internationaux de main-d’œuvre demeurent
relativement limités. En reprenant à notre compte l’inquiétude de Corden, rapportée par
Khoudour-Castéras (2005), nous pouvons trouver impensable l’idée que des béninois ou
des sénégalais ou même des maliens qui sont plus proches, par exemple, puissent se
déplacer en masse vers d’autres pays de la zone alors même que la mobilité intra nationale
est elle-même relativement limitée.
Sachant que les travailleurs de ces pays sont rarement enclins à se déplacer
simplement d’une ville à l’autre de leurs pays respectifs4 où les barrières linguistiques sont
presque inexistences, il serait difficile de concevoir que la mobilité puisse résoudre le
problème d’ajustement ailleurs. Le Nigérien ou le Togolais serait-il disposé à migrer avec
tout ce que cela implique pour eux en termes d’adaptation à un nouvel environnement, à
une nouvelle culture, voire à une nouvelle langue5 ? Ceci peut être beaucoup plus probable
comme par exemple dans le cas des études ou des guerres. Mais dans ce cas, la migration
n’obéirait pas trop à une logique d’ajustement et serait a priori le simple fait d’une
décision subjective ou contrainte.
4 Du nord au sud ou inversement par exemple. Les gens préfèrent rester ou préfèrent chercher du travail plus
dans la capitale où coexistent plus d’infrastructures administratives, commerciales ou autres. Un exemple
patent est l’exode rural. Il existerait (Semedo et Villieu, 1997) un déséquilibre régional d’allocation de
travail, non résorbé par les mouvements migratoires. En réalité, pour ces auteurs, certaines zones urbaines
sont surpeuplées, alors que d’autres régions susceptibles de productions agricoles exploitables manquent de
main d’œuvre.
5 Le facteur du logement a été souligné comme limitant les migrations tant intra régionales qu’interétatiques
(Gros, 1996). Le Sénégal par rapport à ses homologues constitue un exemple réel dans l’UEMOA.
6
Les principaux résultats de la phase 1 de l’enquête 1-2-3 de 2001-2002, portant sur
l’emploi, le chômage et les conditions d’activité dans les principales agglomérations de
sept Etats membres de l’UEMOA nous donnent une réalité concordante. Selon Brilleau,
Roubaud et al. (2004), pour l’ensemble des agglomérations, la migration est
essentiellement un phénomène national (79 % des migrants proviennent de l’intérieur du
pays), avec une majorité d’urbains puisque 74 % d’entre eux étaient citadins avant de
s’installer dans la capitale économique (c’est le cas pour 85 % des migrants nationaux à
Abidjan).
Le degré d’incertitude dans lequel se trouve le candidat à l’émigration constitue un
autre argument à l’encontre de la mobilité du travail comme mécanisme d’ajustement. Le
fait de savoir ce qui se passe une fois que les conditions économiques changent dans le
pays d’accueil constitue un exemple. Tous les travailleurs qui ont émigré doivent-ils
retourner dans leur pays ou décider d’aller dans une région qui montre des signes de
prospérité ? En d’autres termes, l’hypothèse selon laquelle, à chaque retournement de
conjoncture, les travailleurs affectés par les chocs économiques se voient dans l’obligation
de migrer semble peu probable.
A ce propos, Buiter (1995) ajoute que le type de mobilité réversible entre pays qui
pourrait servir de stabilisateur économique temporaire n'existe nulle part dans le monde.
Selon ce dernier, la mobilité ne doit être envisagée comme solution que lorsque le choc est
de longue durée. En effet, en cas de choc temporaire, une mobilité accrue de la main
d’œuvre causerait inévitablement des effets non désirés (Mélitz et Weber, 1996).
C’est ce que semble soulevée la critique de la « théorie du désajustement »
(Jerome, 1926) qui remet en question l’action contra cyclique de la mobilité du travail.
Quand les nouveaux immigrants, attirés par l’expansion de l’activité agricole ou
industrielle, arrivent dans leur pays d’accueil, un retournement de conjoncture peut s’être
produit et ne fait qu’augmenter le chômage. Selon Erkel-Rousse (1997), un accroissement
de l’émigration s’accompagne d’une diminution de la consommation domestique et donc
de la demande de travail dans la région d’émigration. De même, dans le pays d’accueil, les
immigrants contribuent à accroître, d’une part, la demande de biens et de services6 et,
d’autre part, la demande de travail de la part des entreprises soumises à cette demande
6 Nous avons toujours l’exemple de logement au Sénégal où le loyer demeure chaque année une question
plus préoccupante.
7
supplémentaire. La conclusion est immédiate : Les migrations internationales, loin de
résoudre les problèmes d’ajustement, risquent d’avoir des effets pro cycliques.
Certes, les conditions d’efficacité de la mobilité du travail opposent à cette critique
la proximité géographique, l’existence de canaux d’information efficaces7, les progrès en
matière de transport, ainsi que la réduction des coûts qui leur sont associés. Ces facteurs
contribuent à favoriser la mobilité du travail et à diminuer d’autant les éventuels effets pro
cycliques des migrations internationales.
Lorsque l’on confronte les conditions d’efficacité à la réalité ouest africaine, la
proximité géographique ne semble pas constituer un déterminant important de la réussite
de l’ajustement. La trop grande distance par exemple entre le Bénin et le Sénégal, risque
en effet d’accroître les délais entre le début du retournement des cycles et l’arrivée des
migrants sur les marchés du travail étrangers. Ce facteur peut être applicable pour des pays
limitrophes. Mais ces derniers peuvent connaître les mêmes difficultés8 limitant ainsi la
mobilité ou bien son rôle en tant que mécanisme d’ajustement. Il en est de même de
l’existence de canaux d’information. Ces dernières, bien qu’efficaces rendent compte plus
des difficultés existantes9. Ceci dit, ces facteurs sont beaucoup plus applicables pour les
pays développés comme ceux de l’union européenne. En conclusion, compte tenu des
arguments développés ci-dessus, la mobilité interrégionale même si elle existe, reste un
mécanisme limité en matière d’ajustement dans les pays de l’UEMOA. Peut-on en dire
autant des prix relatifs ? Sont-ils plus flexibles pour avoir une portée plus significative
dans l’UEMOA en cette matière ?
3. La flexibilité des salaires et des prix : considérations théoriques
La mesure de la portée du mécanisme d’ajustement par le marché du travail fait
état de notions de rigidités nominales et réelles des salaires. La littérature économique
relie la flexibilité des salaires à la rigidité du marché du travail. Il est une habitude de
mesurer la rigidité du marché du travail par la sensibilité des salaires aux tensions sur ce
marché. Boeri et al. (1998) et Blanchflower (2001), par exemple, présentent la flexibilité
7 Le fait d’avoir des membres de la famille ou des amis à l’étranger favorise la mobilité internationale,
puisque ceux-ci peuvent rendre compte de la situation sur place et informer les candidats potentiels.
8 Comme il en est d’ailleurs le cas dans l’UEMOA.
9 En réalité, la préférence va à l’endroit de la mobilité extra ouest africaine comme en témoigne l’ampleur
actuelle de l’immigration clandestine en Afrique subsaharienne.
8
du salaire comme un déterminant clé de la flexibilité du marché du travail. Toutefois, au-
delà de cette conviction, la flexibilité salariale semble être une notion très large et très
ambiguë et dont la mesure n’est pas unique (Klau et Mittelstadt, 1985 ; Meulders et
Wilkin, 1991). Entendue ici comme la capacité ou l’adaptation aux fluctuations cycliques
et aux chocs extérieurs, la flexibilité ou la rigidité salariale peut revêtir aussi bien une
dimension temporelle, réelle, nominale, microéconomique que macroéconomique.
Etant donné que ses différents aspects reflètent les tensions sur le marché du
travail, il reste que la flexibilité salariale dépend en général des mécanismes de formation
des salaires et des prix. La détermination des paramètres de rigidité à travers la formation
des salaires et des prix repose sur les indicateurs qui reflètent le mieux les tensions qui
peuvent exister sur le marché du travail. De ce fait, deux approches théoriques se
distinguent. La première, d’inspiration macroéconomique, traduit la traditionnelle courbe
de Phillips10
ou sa version dite « augmentée » établie sur la base d’une anticipation en ce
qui concerne l’évolution des prix. Suivant des considérations institutionnelles et autres
caractéristiques structurelles, la courbe de Phillips peut également intégrer d’autres
variables, notamment les gains de productivité11
, les variations de la durée du travail, les
hausses du salaire minimum ou la fiscalité (Sterdyniak, Le Bihan et al., 1997). Quel que
soit la spécification de la courbe de Phillips, il semble que l’hypothèse selon laquelle les
salariés poursuivent un objectif en taux de croissance nominal et non en niveau pour le
salaire réel est peu rationnel. Une autre critique de la courbe de Phillips cible les
fondements microéconomiques qui ne semblent pas ou peu explicités.
La seconde approche, à travers les nouvelles théories du chômage d’équilibre,
s’appuie sur des comportements d’optimisation complètement spécifiés des travailleurs et
des entreprises, avec un fonctionnement non concurrentiel des marchés du travail et des
biens. Elles aboutissent au modèle structurel de type WS/PS ; c’est-à-dire à des équations
de prix « Price Setting » et de salaire « Wage Setting » en niveau à long terme. En matière
de référence, les études citent le plus souvent les travaux originaux de Layard, Nickell et
al. (1991). Artus et Muet (1995), Cahuc et Zylberberg (1999) en proposent une synthèse.
10
Traduisant la relation négative entre le niveau du chômage et le taux de croissance du salaire nominal.
11 Ou toute autre variable représentant de façon explicite le partage de la valeur ajoutée entre salariés et
entreprises si celui-ci est pris en compte dans les négociations salariales.
9
L’objet de la controverse entre les deux approches réside avant tout dans
l’explication et la détermination du chômage d’équilibre. La principale différence avec
une relation entre le niveau des salaires et le niveau du chômage (modèle WS) concerne le
chômage de moyen terme. A court terme, les deux formulations peuvent rendre compte
d’un chômage de déséquilibre (de nature keynésienne ou classique). À moyen terme, ce
type de chômage disparaît avec la formulation en niveau, alors qu’elle peut persister avec
la formulation en taux de croissance (Cadiou, Genet et al., 2002). Dans ce dernier cas, les
salaires dépendent en effet de l’histoire économique du pays considéré.
Mais au-delà de l’objectif de détermination d’un chômage d’équilibre, cette
controverse permet néanmoins d’expliquer les rigidités salariales implicites. En référence
à la courbe de Phillips, le degré de rigidité des salaires par rapport aux évolutions
cycliques présente deux volets (Barbone et Poret, 1989). Le premier est la rapidité avec
laquelle les variations de prix se répercutent dans l'évolution des salaires. Le second est la
sensibilité des salaires au chômage (ou tensions sur le marché du travail). L'évolution à
court terme des prix et de la production est affectée par la longueur des délais d'indexation,
lesquels reflètent le degré d’illusion monétaire et les termes des contrats de travail
implicites ou explicites.
Aussi, si les anticipations inflationnistes sont supposées n'être entachées d'aucun
biais systématique et correspondre à la longue à l'évolution effective des prix, la rigidité à
long terme des salaires est fonction uniquement du second élément. L'évolution à court
terme des prix et de la production est affectée par la longueur des délais d'indexation
(Barbone et Poret, 1989). La conclusion est toute simple : à court terme, coexistent des
rigidités nominales et réelles. Mais à long terme, la rigidité nominale est absente du fait de
la parfaite flexibilité des prix. Ainsi la courbe de Phillips, qui reflète assez le court terme,
introduit à la fois les rigidités réelles et nominales alors que les modèles WS/PS, de long
terme, privilégient les rigidités réelles. Sous cet aspect, il semble donc que la différence
entre les deux approches soit d’ordre temporel.
En général, l’ajustement aux chocs économiques n’est pas tout à fait instantané
quel que soit le type de rigidité existant sur le marché du travail. Cependant, la conclusion
la plus importante (Blanchard, 2006) est que les rigidités réelles limitent la vitesse
d’ajustement du salaire aux tensions sur le marché du travail. Les rigidités nominales
10
ralentissent et peuvent même arrêter l’ajustement12
; d’où leur importance théorique. Dans
la section suivante, nous essayons de montrer l’étendue de l’ajustement par les prix relatifs
dans l’UEMOA à travers ces rigidités.
4. Ajustement et rigidité dans l’UEMOA : Une tentative d’évaluation empirique de la
flexibilité salariale
Dans la littérature économique, plusieurs auteurs ont examiné la flexibilité des
salaires. Les estimations peuvent différer d’une forme d’équation de salaire à une autre, ou
bien d’une méthodologie à une autre. En général, les études utilisent la courbe de Phillips
(Sinclair et Horsewood, 1997) ou sa version augmentée (Mc Morrow, 1996) ou bien une
équation de salaire du type WS (Roeger et In’t Veld, 1997). Le consensus quant à la forme
exacte à utiliser n’étant pas établi, une combinaison des deux types d’équation sous forme
de modèle à correction d’erreur est souvent exploitée (Mazier et Saglio, 2003).
4.1. La démarche d’estimation adoptée
La difficulté d’étudier empiriquement les rigidités salariales dans l’UEMOA ne
relève pas a priori des types de spécification de salaire, ni des méthodes d’estimation. Il
faut avouer que l’inexistence de séries temporelles macroéconomiques sur le chômage ou
l’emploi décourage toute initiative allant dans ce sens. Des estimations empiriques
d’équations de salaire à l’aide de données microéconomiques sur le chômage ou l’emploi
sont possibles et moins malaisées. Mais ceci ne concerne que certaines entreprises et ne
saurait être généralisé sur le plan macroéconomique13
. Cependant, il est possible de tenir
compte de cette limite et donner une estimation empirique de la rigidité nominale dans
l’UEMOA à l’aide d’une équation de salaire « incomplète ».
En effet, on se rappelle qu’une mesure de la rigidité réelle du marché du travail
correspond à la sensibilité des salaires aux tensions sur ce marché ; tensions caractérisées
entre autres par le taux de chômage ou d’emploi. Les rigidités nominales, quant à elles,
correspondent approximativement à l’ajustement du salaire nominal aux prix. De ce fait,
en spécifiant une équation de salaire sans la variable chômage ou emploi mais avec la
12
Le salaire réel peut s’ajuster à travers des changements dans le niveau des prix ou à travers des
changements du salaire nominal.
13 Voir à ce sujet Hoddinott (1996), dans le cas du marché de travail urbain de la Côte d’Ivoire.
11
variable prix à la consommation, l’estimation négligerait les rigidités réelles et accorderait
plus de poids aux rigidités nominales, lesquelles d’ailleurs, tel que souligné (supra) sont
non négligeables.
Cependant, pour atténuer l’absence du taux de chômage ou d’emploi dans
l’estimation, nous introduisons la variable « taux de participation », laquelle est
disponible. Certaines études qui ont inclus indifféremment dans leurs estimations le taux
de chômage ou d’emploi ne trouvent pas de résultats divergents. C’est le cas de Cadiou,
Guichard et al. (1999) pour les pays européens. Les mesures de la rigidité salariale relative
entre les pays étudiés ne sont guère modifiées. Les deux variables n’ont par ailleurs aucun
impact significatif pour certains pays14
.
Aussi, bien que l’ensemble des études sur le sujet retient le taux de chômage
comme indicateur de tensions sur le marché du travail, nous approximons cet indicateur
dans l’UEMOA par le taux de participation15
. Cette dernière variable, par définition,
contient en effet des informations relatives au taux de chômage et d’emploi ; lesquels ne
sont pas disponibles16
. Finalement, puisque le taux de participation est notre variable
proxy des tensions sur le marché du travail dans l’UEMOA, nous pouvons dire, par
précaution, que l’estimation accorde plus de poids aux rigidités nominales qu’aux rigidités
réelles dans le cas où nous voulons bien tenir compte aussi de ces dernières.
Suivant la littérature sur la formation des salaires, nous retenons trois types de
spécification. Les deux premières équations sont estimées sous la forme d’un modèle à
correction d’erreur qui permet de prendre en compte à la fois la dynamique de court terme
et la cible de long terme. Ces deux équations se distinguent cependant, par l’hypothèse
suivant laquelle l’ajustement des salaires nominaux (W) sur les prix (IPC) est complet à
long terme ou non. Conformément à cette hypothèse, la première équation se définit
comme suit :
14
Il semble que le chômage est un indicateur imparfait qui sous-estime le sous-emploi. Le taux d’emploi
possède le défaut inverse.
15 L'analyse de Broersma et Van Dijk Som (2001) sur les régions Hollandaises montre que le marché du
travail s'ajuste aux chocs de demande de travail principalement à travers des variations dans les taux de
participation.
16 En plus de sa disponibilité, le taux de participation possède l’avantage de tenir plus compte des erreurs qui
peuvent provenir des mesures de chômage ou d’emploi, erreurs dues par exemple à l’informel ; une
caractéristique des pays de l’UEMOA.
12
(4.1)
143
210
)/(log)/(log
)/(log)/(log
PRaPAPIBIPCWa
PRaPAPIBaaIPCW.
D’une certaine manière, nous estimons une équation de salaire réel à l’image de
celle de Dupuch, Mazier et al. (2002), reflétant la position des partisans des modèles WS.
En levant l’hypothèse d’ajustement complet des salaires nominaux sur les prix à long
terme, mais en la testant cette fois-ci, nous estimons une équation de salaire réel, tout en
acceptant une forme d’ajustement dynamique des salaires nominaux aux prix à court
terme, à l’image de celle de Cadiou, Guichard et al. (1999) et de Mazier, Oudinet et al.
(2002) ; soit :
(4.2)
17654
3210
)/(log)(log)(log
)/(log)(log)(log
PRbPAPIBbIPCbWb
PRbPAPIBbIPCbbW.
Cette dernière équation semble une conciliation entre le modèle WS et la courbe de
Phillips. Cette dernière représente la troisième spécification ci-dessous.