Microbiologie de la digestion anaérobie 1 COMPTE RENDU DE LA PRÉSENTATION DE PHILIPPE DELFOSSE (CENTRE DE RECHERCHE PUBLIC GABRIEL LIPPMANN) MICROBIOLOGIE DE LA DIGESTION ANAEROBIE La présentation de Philippe Delfosse intervient dans le cadre de la rencontre du 10 et 11 février 2010 organisée par l’Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France. Philippe Delfosse est chercheur au Centre de Recherche Public Gabriel Lippmann au Luxembourg dans le laboratoire environnement et agro-biotechnologies. Il travaille principalement sur la méthanisation et plus particulièrement sur les réactions biologiques mises en jeu lors de la digestion anaérobie. Au travers de cet exposé intitulé Microbiologie de la digestion anaérobie, il va nous présenter dans un premier temps les principes biologiques de la digestion anaérobie. Dans un second temps, il abordera une partie plus pratique en présentant les « bonnes pratiques » à mettre en place pour assurer une méthanisation stable. LA THEORIE DE LA METHANISATION (DIGESTION ANAEROBIE) La méthanisation est un processus biologique naturel qui permet de convertir la matière organique (glucides, lipides, protéines) en éléments simples (CH4, CO2, NH3 et H2S) grâce à l’action de bactéries anaérobies. Cette digestion anaérobie, processus biologique complexe, peut être décrit en quatre phases de dégradation : l’hydrolyse, l’acidogénèse, l’acétogénèse et la méthanogénèse. Chaque phase fait intervenir un groupe de bactéries particulières (figure 1). Toutes les molécules qui ne seront pas dégradées par cette voie pour produire du biogaz (lignine par exemple) et les déchets de ces réactions anaérobies composeront le digestat. FIGURE 1 :SCHEMA RECAPITULATIF DE LA METHANISATION
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MICROBIOLOGIE DE LA DIGESTION ANAEROBIE · Microbiologie de la digestion anaérobie 1 COMPTE RENDU DE LA PRÉSENTATION DE PHILIPPE DELFOSSE (CENTRE DE RECHERCHE PUBLIC GABRIEL LIPPMANN)
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Microbiologie de la digestion anaérobie 1
COMPTE RENDU DE LA PRÉSENTATION DE PHILIPPE DELFOSSE (CENTRE DE RECHERCHE PUBLIC GABRIEL LIPPMANN)
M I C R O B I O L O G I E D E L A D I G E S T I O N A N A E R O BI E
La présentation de Philippe Delfosse intervient dans le cadre de la rencontre du 10 et 11 février 2010 organisée par l’Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France.
Philippe Delfosse est chercheur au Centre de Recherche Public Gabriel Lippmann au Luxembourg dans le laboratoire environnement et agro-biotechnologies. Il travaille principalement sur la méthanisation et plus particulièrement sur les réactions biologiques mises en jeu lors de la digestion anaérobie. Au travers de cet exposé intitulé Microbiologie de la digestion anaérobie, il va nous présenter dans un premier temps les principes biologiques de la digestion anaérobie. Dans un second temps, il abordera une partie plus pratique en présentant les « bonnes pratiques » à mettre en place pour assurer une méthanisation stable.
LA THEORIE DE LA METHANISATION (DIGESTION ANAEROBIE)
La méthanisation est un processus biologique naturel qui permet de convertir la matière organique (glucides, lipides, protéines) en éléments simples (CH4, CO2, NH3 et H2S) grâce à l’action de bactéries anaérobies. Cette digestion anaérobie, processus biologique complexe, peut être décrit en quatre phases de dégradation : l’hydrolyse, l’acidogénèse, l’acétogénèse et la méthanogénèse. Chaque phase fait intervenir un groupe de bactéries particulières (figure 1). Toutes les molécules qui ne seront pas dégradées par cette voie pour produire du biogaz (lignine par exemple) et les déchets de ces réactions anaérobies composeront le digestat.
FIGURE 1 :SCHEMA RECAPITULATIF DE LA METHANISATION
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Chaque groupe de bactéries possède des caractéristiques spécifiques (pH, température, sensibilité { des composés particuliers…). Nous allons présenter rapidement les propriétés des populations bactériennes de chacune des phases de la méthanisation.
L’HYDROLYSE
Les bactéries hydrolytiques dégradent la matière organique fraiche (les polymères) en fragments solubles (monomères). Ces bactéries produisent des exo-enzymes qui vont dégrader les polymères de la matière organique. Les vitesses de dégradation dépendent des substrats. (figure 2).
Ainsi il est important de bien brasser le milieu afin d’homogénéiser la solution et d’optimiser l’hydrolyse. Cette étape est fondamentale pour la suite de la réaction car elle permet de fractionner la matière organique et donc de faciliter l’action des bactéries qui interviennent par la suite.
TABLEAU 1 : CARACTERISTIQUES DES BACTERIES HYDROLYTIQUES
Bactéries hydrolytiques
caractéristiques bactéries relativement résistantes, tolérantes à O2,
production d’exo-enzymes gamme de pH optimal [4,5 – 6,3]
temps de division quelques heures (reproduction rapide) sensibilité lignine (pas dégradable, ralenti la réaction)
L’ACIDOGENESE
Les bactéries acidogènes dégradent les molécules simples de matière organique (monomères) en acides et en alcools. Les acides synthétisés sont des Acides Gras Volatils (AGV). Ces AGV sont des acides avec une chaine carbonée plus ou moins longue (de 2 à 10 atomes de carbone en général).
TABLEAU 2 : CARACTERISTIQUES DES BACTERIES ACIDOGENES
Bactéries acidogènes
caractéristiques bactéries sensibles à O2, participent en général
également { l’hydrolyse gamme de pH optimal [4,5 – 6,3]
temps de division quelques heures (reproduction rapide) sensibilité H2S, NH3, sels, antibiotiques
FIGURE 2 : VITESSE DE DEGRADATION PAR LES BACTERIES HYDROLYTIQUES EN FONTION DU SUBSTRAT
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L’ACETOGENESE
Les bactéries acétogènes vont transformer les AGV en acide acétique (CH3-COOH) et en H2 et CO2. Ces molécules vont ensuite servir de substrat aux bactéries méthanogènes. Les bactéries acétogènes produisent de l’H2 mais leur activité est inhibée par un excès de H2 dans le milieu. Ainsi, la symbiose de ces bactéries avec les bactéries consommatrices d’H2 (méthanogènes notamment) est indispensable pour garantir une bonne activité bactérienne dans le digesteur. Les acétogènes et les méthanogènes vivent fixées les unes aux autres, une agitation rapide risque de détruire ce lien d’où la recommandation d’un brassage lent.
TABLEAU 3 : CARACTERISTIQUES DES BACTERIES ACETOGENES
Bactéries acétogènes
caractéristiques bactéries relativement fragiles, sensibles à O2,
production de H2 gamme de pH optimal [6,8 – 7,5]
temps de division quelques jours (1-4 jours ; reproduction lente)
sensibilité H2 en excès, H2S, NH3, sels, antibiotiques, variations de
température
LA METHANOGENESE
La méthanogénèse constitue la dernière étape de dégradation anaérobie de la matière organique. Les microorganismes qui réalisent cette étape sont des archaebactéries, microorganismes proches des bactéries, on les appelle bactéries méthanogènes par abus de langage. On distingue deux groupes de bactéries méthanogènes, les hydrogénotrophes (qui utilisent H2 et CO2) et les acétoclastes (qui utilisent l’acide acétique). Dans les deux cas, elles vont réduire leur substrat en méthane (CH4). La composition moyenne du biogaz ainsi produit est un mélange de CH4 (~60%) et de CO2 (~40%) avec des traces de H2S, de NH3 et de H2.
Ces bactéries méthanogènes ont comme particularité de se développer en condition anaérobie stricte, elles sont totalement intolérantes { l’O2. Elles ont également besoin de nickel (Ni) pour se développer. Ainsi il est important de garantir une absence totale d’O2 dans le digesteur ainsi qu’un apport en Ni satisfaisant pour leur croissance (en général la quantité de Ni contenue dans la matière organique entrant dans le digesteur est suffisante).
TABLEAU 4 : CARACTERISTIQUES DES BACTERIES METHANOGENES
Bactéries méthanogènes
caractéristiques archaebactéries très fragiles, très sensibles à O2, besoin
de Ni, plusieurs substrats possibles gamme de pH optimal [6,8 – 7,5]
temps de division quelques jours (5-15 jours ; reproduction lente) sensibilité O2, variations de pH et température, Cu, sels
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CONSEILS PRATIQUES POUR ASSURER LA STABILITE DE L’UNITE DE METHANISATION
Comme nous venons de le voir, l’activité bactérienne mise en jeu lors de la digestion anaérobie est très complexe et très sensible, il est donc important de mettre en œuvre des pratiques pour maintenir dans le digesteur des conditions favorables aux bactéries et donc maintenir un bon fonctionnement de l’unité de méthanisation.
Les paramètres suivis sont souvent de nature économique (directement ou indirectement) ou agronomique comme le taux de charge du digesteur, le temps de séjour dans le digesteur, le potentiel méthanogène du substrat, la quantité de biogaz produit ou encore la qualité du digestat. Mais ces paramètres ne permettent pas d’appréhender l’aspect biologique dans le digesteur. Il est important de suivre quelques paramètres d’ordre biologique afin de prévenir et de maitriser les perturbations possibles du process, comme les intoxications des bactéries. Nous allons présenter quelques exemples d’intoxication ainsi que les solutions possibles pour y remédier.
INTOXICATION AUX AGV : ACIDOSE
L’acidose correspond { la chute du pH dans le digesteur, entrainant un disfonctionnement des bactéries méthanogènes et donc un diminution de la production de biogaz. L’acidose peut être due { un substrat trop abondant et trop fermentescible (forte activité d’hydrolyse et d’acidogénèse, donc accumulation d’AGV) ou { une inhibition des bactéries acétogènes ou méthanogènes (variation de température, présence d’antibiotique, d’H2S, de métaux lourds…).
Les conséquences de cette intoxication sont la baisse du pH, la diminution de la quantité de biogaz produite et la perte de qualité du biogaz (augmentation de la concentration en CO2). Lorsque l’on détecte ces problèmes, il est déj{ trop tard, le disfonctionnement est installé. Certains paramètres peuvent permettre de prévenir l’intoxication :
L’augmentation de la pression partielle d’H2 dans le biogaz, l’H2 étant un inhibiteur des bactéries acétogènes, son augmentation traduit un début de disfonctionnement. Cette mesure peut se faire { l’aide d’une sonde { H2, cependant des erreurs de mesure peuvent se produire à cause de l’H2S et du NH3, des recherches sont en cours pour améliorer les sondes (capteur à membrane spécifique à H2).
La diminution de l’alcalinité totale (pouvoir tampon) du milieu. Pour se faire, on peut réaliser la mesure du TIC (Carbone Inorganique Total), celle-ci est encore aujourd’hui difficilement réalisable sur site, mais de nouveaux appareils de mesure sont développés.
L’accumulation d’AGV et le changement de composition (de plus en plus d’AGV de grande taille). On peut suivre deux indicateurs, la concentration totale en AGV et le rapport acide acétique (deux carbones) sur acide propionique (trois carbones). Mais ces mesures nécessite du matériel de laboratoire, donc difficilement réalisable sur site.
Quand l’acidose est détectée, l’arrêt de l’apport de substrat, le mélange du milieu pour favoriser l’activité des bactéries et l’ajout d’une base (NaHCO3 par exemple) peuvent permettre au système de redevenir fonctionnel.
Remarque : l’acidose est souvent l’étape finale des autres intoxications. Un disfonctionnement d’une étape va entrainer une accumulation d’AGV, donc une chute du pH et l’acidose.
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INTOXICATION A L’AMMONIAC (NH3) : ALCALOSE
Comme nous l’avons vu précédemment, le NH3 est toxique pour les bactéries acidogènes et acétogènes. Par contre l’hydrolyse et la méthanogénèse sont encore fonctionnelles tant que du substrat est disponible pour ces bactéries. Ainsi on observe dans le digesteur une accumulation des produits de l’hydrolyse (acides aminés, acides gras…) et une diminution de la quantité de biogaz produit (mais même qualité).
Pour détecter cette intoxication, on peut mesurer la concentration en NH3 dans le digesteur. Les méthodes jusqu’alors disponibles étaient réalisables hors site et nécessitaient un matériel de laboratoire (titrage automatique) ou bien n’étaient pas pratiques (test colorimétrique). Une nouvelle technologie venue d’Allemagne permet de simplifier la manipulation et de la réaliser sur site. Cette méthode est simple et robuste mais utilise des produits dangereux (soude concentrée et oxydant fort), elle nécessite donc une attention particulière et une protection lors de la manipulation.
Cet excès de NH3 dans le digesteur peut être la conséquence d’un substrat en entrée trop riche en protéine (forte teneur en N C/N < 30) comme les lisiers ou les fumiers de volaille par exemple. Pour remédier à ce problème il faut apporter un substrat moins riche en protéine et fortement fermentescible (C/N > 30) pour relancer l’activité des bactéries.
INTOXICATION AU DIHYDROGENE DE SOUFFRE (H2S)
Tout comme le NH3, le H2S a un effet inhibiteur sur l’acétogénèse et l’acidogénèse. Les conséquences sur l’activité bactérienne sont donc semblables à une intoxication au NH3, on observe une accumulation des produits de l’hydrolyse et une diminution de la quantité de biogaz produit.
Pour essayer de détecter cette intoxication avant qu’il ne soit trop tard, on peut suivre la composition du biogaz et en particulier la concentration en H2S. Des sondes existent pour réaliser de telles mesures en continue dans le biogaz.
La forte présence de protéines dans le substrat est, comme pour le NH3, responsable de cette intoxication. En effet, les protéines contiennent du souffre, en faible quantité dans certains acides aminées (cystéine et méthionine). Une attention particulière doit donc être portée à la qualité du substrat pour éviter cette intoxication.
INTOXICATION A L’OXYGENE (O2)
L’O2 inhibe quasiment toutes les phases de la méthanisation mis { part l’hydrolyse qui peut persister en milieu aérobie. Ainsi on observe une accumulation des produits de l’hydrolyse et un arrêt de la production de CH4.
La principale source d’O2 dans le digesteur est l’introduction par les substrats poreux (comme la paille par exemple) ou par des erreurs de manipulation qui entrainent une entrée d’air dans le digesteur. La présence d’oxygène peut se détecter facilement par un capteur d’O2 dans le digesteur (mesures en continue). Afin de palier { ce problème il est préférable d’utiliser des substrats denses, et dans le cas des pailles, il est recommander de la défibrer avant (pas de soucis avec la paille piétinée par les animaux présente dans les fumiers).
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INTOXICATIONS AUX METAUX LOURDS (CUIVRE, ZINC…) ET AUX ANTIBIOTIQUES, DESINFECTANTS…
Ces intoxications sont causées par des substances initialement présentes dans le substrat, contaminations : aux métaux lourds dans les lisiers, aux médicaments animaux (pour traiter les mammites par exemple) dans les déjections, aux désinfectants de la salle de traite dans les eaux de lavage… Dans tous les cas, ces intoxications entrainent l’inhibition des bactéries acidogènes, acétogènes et méthanogènes, et donc une diminution de la production de biogaz et une accumulation d’AGV, ce qui entraine une baisse du pH et donc un risque d’acidose (cf. ci-dessus).
Le facteur déterminant pour ces intoxications est donc la qualité des substrats introduits dans le digesteur, il est donc primordial de bien connaitre ces substrats et donc de les faire analyser en laboratoire pour éviter ensuite toute déconvenue qui aurait pu être évitable.
CAS PARTICULIER DE LA CARENCE EN NI
Les bactéries méthanogènes ont besoin de Ni pour se développer. Hors le Ni peut faire défaut dans le substrat, il faut donc connaitre la composition des substrats pour apporter la « bonne ration » aux bactéries méthanogènes. Une carence en Ni entraine l’inhibition de la méthanogénèse donc la diminution de la production de méthane ainsi que l’augmentation de la concentration en AGV, donc la diminution du pH et un risque d’acidose.
Certains « remèdes miracles » pour apporter du Ni au milieu existent, mais leur efficacité n’est pas encore prouvée.
Cependant, il est important de noter que ce problème intervient surtout en Allemagne où les cultures énergétiques sont fortement utilisées comme substrat pour la méthanisation, or ces cultures sont généralement pauvres en Ni, d’où les carences observées. En France, compte tenu de la diversité et de la qualité des substrats utilisés dans les unités de méthanisation, ce problème ne devrait pas se poser.
CONCLUSION
La digestion anaérobie fait intervenir un très grand nombre de bactéries et de réactions biologiques, il s’agit donc d’un processus très complexe. De plus il est impossible de généraliser toutes les approches car chaque digesteur est unique compte tenu du process mis en jeu, des substrats utilisés, des populations bactériennes en présence…
Le principal conseil que l’on peut apporter est d’avoir une bonne connaissance de tous les substrats que l’on introduit dans le digesteur (attention aux substrats ne provenant pas de l’exploitation) pour éviter toute contamination facilement évitable (métaux lourds, médicaments, désinfectants antibiotiques…). Ensuite il est également conseillé de réaliser un suivi de certains paramètres biologiques afin de prévenir les intoxications possibles et donc la perte de productivité de l’unité de méthanisation. On peut préconiser un suivi sous la forme suivante :
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Suivi quotidien ou continu de la température, du pH, des teneurs en CH4, CO2, H2S, O2 ,H2 et NH3 si substrat à risques (riche en protéines)
Suivi hebdomadaire ou bihebdomadaire du pouvoir tampon (TIC) et des teneurs en AGV pour prévenir les variations de pH
De plus, il est préconisé d’isoler les animaux malades pour éviter les contaminations médicamenteuses, de faire attention aux concentrations en sels (KCl, NaCl…) lorsqu’on utilise des boues de STEP et d’éviter au maximum d’introduire des substrats riches en lignine et des matières inertes dans le digesteur (plastique, verre, silice…). Enfin, il est important de maintenir une température constante dans le digesteur car certaines bactéries sont sensibles aux variations de température.