Mgr Gabriel de LLOBET Les lettres et écrits qui constituent les archives familiales des Llobet, complétées par d’autres sources, la Quinzaine religieuse du diocèse de Gap et un certain nombre d’études et de témoignages, ont permis à l’historien Gabriel de Llobet de retracer la vie de son grand-oncle, dont il porte les prénom et nom, dans deux ouvrages, Un Évêque aux armées en 1916-1918, Lettres et souvenirs de Mgr de Llobet et Mgr de Llobet, Un pasteur intransigeant face aux défis de son temps (1872-1957) 1 . Comme les titres l’indiquent, ce sont les deux années vécues au front par le prélat qui sont évoquées dans le premier, tandis que le second est une biographie complète, qui reprend, en les enrichissant, des éléments et photos du précédent pour la période concernée, et dont a été exploité ici le seul chapitre VI « Sur le front (1916-1918) », ces deux années correspondant à celles de sa mobilisation et à son ministère pastoral auprès des combattants. Après une rapide présentation du parcours de Mgr de Llobet avant sa mobilisation, place est donnée au discours de l’historien qui intègre de fort nombreux extraits d’écrits de Mgr de Llobet. Ainsi s’établit un discours à deux voix dont nous reproduisons des suites entières et que nous distinguons par des citations rentrées de retrait différent, nos interventions personnelles étant signalées par une taille de police inférieure, comme ici. Les coupures ou précisions indiquées par des crochets droits sont le fait de l’historien, les nôtres par des crochets en accolade. Les expressions entre guillemets que nous reprenons figurent en italiques seulement lorsqu’elles appartiennent au prélat. Les titres et sous-titres sont ceux des deux ouvrages cités, sauf le premier. Le contexte familial et l’action avant la mobilisation de l’évêque Né le 19 janvier 1872 à Perpignan, Gabriel de Llobet est le huitième et dernier enfant d’une vieille famille catalane très attachée aux « valeurs traditionnelles » et au culte de ses ancêtres, ce qui implique alors royalisme légitimiste et fervent catholicisme ultramontain (l’une des sœurs deviendra fille de la Charité, et une cousine germaine assomptionniste). La famille vénère particulièrement, depuis plus de cent ans, la Vierge dont une statue a été trouvée jadis, selon le récit rédigé par l’évêque à la toute fin de sa vie, en 1954 : 3 novembre 1754 ‒ La Vierge de Torreilles 2 […] Il y a deux cents ans aujourd’hui que, sur la plage de la Quintane, à Torreilles, un paysan trouvait une statue en bois doré de l’Immaculée Conception, épave sans doute de quelque embarcation espagnole sombrée dans la tempête des jours précédents. Il la portait à la maison où l’aïeul de mon grand-père, Joseph Llobet, la recevait avec piété et l’installait sur un autel, dans une cabine du salon, l’établissant ainsi la patronne de la famille. (Un Pasteur intransigeant, p. 16) Après un début de scolarité à Perpignan, à douze ans, l’enfant devient pensionnaire à Toulouse, chez les jésuites du Caousou. Sa vocation, dont les germes sont apparus dès le passage à Saint-Louis-de-Gonzague à Perpignan, se confirme définitivement, après des années d’hésitation, à l’été 1890 : le jeune homme entre alors au séminaire français de Rome où il reste jusqu’en 1897, après avoir été ordonné prêtre en 1896. Séminariste à Rome (arch. fam.) Bien que dépendant toujours de son diocèse d’origine, Perpignan, il devient à son retour en France secrétaire particulier de M gr de Cabrières, évêque de Montpellier, de 1897 à 1907. En mai
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Mgr Gabriel de LLOBET · 2016-05-31 · Mgr Gabriel de LLOBET Les lettres et écrits qui constituent les archives familiales des Llobet, complétées par dautres sources, la Quinzaine
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Mgr Gabriel de LLOBET
Les lettres et écrits qui constituent les archives familiales des Llobet, complétées par d’autres
sources, la Quinzaine religieuse du diocèse de Gap et un certain nombre d’études et de témoignages,
ont permis à l’historien Gabriel de Llobet de retracer la vie de son grand-oncle, dont il porte les
prénom et nom, dans deux ouvrages, Un Évêque aux armées en 1916-1918, Lettres et souvenirs de
Mgr de Llobet et Mgr de Llobet, Un pasteur intransigeant face aux défis de son temps (1872-1957)1.
Comme les titres l’indiquent, ce sont les deux années vécues au front par le prélat qui sont évoquées
dans le premier, tandis que le second est une biographie complète, qui reprend, en les enrichissant, des
éléments et photos du précédent pour la période concernée, et dont a été exploité ici le seul chapitre VI
« Sur le front (1916-1918) », ces deux années correspondant à celles de sa mobilisation et à son
ministère pastoral auprès des combattants.
Après une rapide présentation du parcours de Mgr de Llobet avant sa mobilisation, place est
donnée au discours de l’historien qui intègre de fort nombreux extraits d’écrits de Mgr de Llobet.
Ainsi s’établit un discours à deux voix dont nous reproduisons des suites entières et que nous
distinguons par des citations rentrées de retrait différent, nos interventions personnelles étant signalées
par une taille de police inférieure, comme ici. Les coupures ou précisions indiquées par des crochets
droits sont le fait de l’historien, les nôtres par des crochets en accolade. Les expressions entre
guillemets que nous reprenons figurent en italiques seulement lorsqu’elles appartiennent au prélat. Les
titres et sous-titres sont ceux des deux ouvrages cités, sauf le premier.
Le contexte familial et l’action avant la mobilisation de l’évêque Né le 19 janvier 1872 à Perpignan, Gabriel de Llobet est le huitième et dernier enfant d’une
vieille famille catalane très attachée aux « valeurs traditionnelles » et au culte de ses ancêtres, ce qui
implique alors royalisme légitimiste et fervent catholicisme ultramontain (l’une des sœurs deviendra
fille de la Charité, et une cousine germaine assomptionniste). La famille vénère particulièrement,
depuis plus de cent ans, la Vierge dont une statue a été trouvée jadis, selon le récit rédigé par l’évêque
à la toute fin de sa vie, en 1954 :
3 novembre 1754 ‒ La Vierge de Torreilles2
[…]
Il y a deux cents ans aujourd’hui que, sur la plage de la Quintane, à
Torreilles, un paysan trouvait une statue en bois doré de l’Immaculée
Conception, épave sans doute de quelque embarcation espagnole
sombrée dans la tempête des jours précédents. Il la portait à la maison
où l’aïeul de mon grand-père, Joseph Llobet, la recevait avec piété et
l’installait sur un autel, dans une cabine du salon, l’établissant ainsi la
patronne de la famille. (Un Pasteur intransigeant, p. 16)
Après un début de scolarité à Perpignan, à douze ans, l’enfant devient
pensionnaire à Toulouse, chez les jésuites du Caousou. Sa vocation, dont les
germes sont apparus dès le passage à Saint-Louis-de-Gonzague à Perpignan, se
confirme définitivement, après des années d’hésitation, à l’été 1890 : le jeune
homme entre alors au séminaire français de Rome où il reste jusqu’en 1897,
après avoir été ordonné prêtre en 1896. Séminariste à Rome
(arch. fam.)
Bien que dépendant toujours de son diocèse d’origine, Perpignan, il devient à son retour en
France secrétaire particulier de Mgr
de Cabrières, évêque de Montpellier, de 1897 à 1907. En mai
1907, l’abbé de Llobet est nommé archiprêtre de la cathédrale Saint-Jean et le restera jusqu’en 1915,
date à laquelle il est nommé, malgré son jeune âge, évêque de Gap, ce qui le rend responsable d’un
diocèse très étendu et qui compte trop peu de prêtres, beaucoup ayant été mobilisés. À ceux-là, il fait
distribuer la brochure Le prêtre aux armées et conseille :
À défaut du recueillement de la Retraite, votre piété s’ingéniera pour
trouver, dans le péril des tranchées ou les fatigues de l’ambulance, des heures
fugitives où vous retremperez votre courage dans la méditation des grandes
vérités qui dominent et dirigent notre vocation (1er
juillet). (Un Pasteur
intransigeant, p. 74)3
L’évêque se montre très actif : la messe du 13 juin 1915 à Briançon est consacrée aux soldats, le
vendredi 13 août, le service solennel à la cathédrale de Gap attire « tout le corps militaire », le 2
novembre, l’office pontifical à la cathédrale se célèbre en présence des autorités civiles et militaires et
d’une très nombreuse assistance, le 7, le service des morts à Embrun réunit le sous-préfet, le maire, les
officiers ; d’autres services sont célébrés les jours suivants dans d’autres paroisses. Il ne néglige pas
les visites aux blessés soignés dans les hôpitaux avoisinants.
L’évêque aux armées Le 14 février 1916, M
gr de Llobet est
« appelé à l’activité dans le service auxiliaire », en considération de ses 44 ans qui le
classent dans l’armée territoriale : il doit être infirmier à la 16e section dont le dépôt
est à Perpignan. C’est le seul évêque dans ce cas ; tous les autres sont trop âgés pour
être astreints au service militaire, sauf Mgr
Ruch, coadjuteur de Nancy dans la zone du
front, mobilisé comme aumônier dès 1914. Ils devaient d’ailleurs rester les deux plus
jeunes évêques de France jusqu’en 1918. Mgr
de Llobet obtient alors d’être envoyé au
front à titre d’aumônier volontaire, « afin d’apporter un témoignage chrétien ». Cette
décision est courageuse, certes, mais elle comporte aussi {…} une part d’obligation
morale : ne pas abaisser la fonction épiscopale au niveau des tâches subalternes,
matérielles et sans danger. Il s’en explique au cardinal de Cabrières dans sa lettre
d’adieu datée du 13 mars :
Dès l’instant que ma mobilisation devenait inévitable, j’ai cru devoir au
caractère épiscopal de chercher à obtenir une situation à la fois honorable et
strictement religieuse. {…} Je ne saurais dire combien je souffre de cette
séparation d’avec une Église [le diocèse de Gap], qui me fut accueillante, que
j’aimais tant, et que mon départ ne peut manquer de laisser dans le désarroi.
Le front m’offrira-t-il une chance, que je n’eusse point rencontrée dans un
hôpital de l’arrière, celle de me voir ouvrir plus tôt la porte du ciel ? {…}
Mgr
de Cabrières n’hésita pas à faire publier cette lettre. (p. 74-75)
La publicité du jeune prélat volontaire ne s’arrêtait pas là. Certes, on ne pouvait
pas lui reprocher les adieux enflammés qu’il faisait à son diocèse dans la lettre
pastorale « annonçant son départ pour l’armée » ; mais il posait dans les magazines
les plus lus : dans L’Illustration du 8 avril, avec le béret des chasseurs alpins, diocèse
de Gap oblige, ou encore sur la couverture en couleur du Pèlerin, avec le casque et la
capote bleu horizon {…}. Et chaque fois les photos étaient assorties de commentaires
flatteurs. Une certaine vanité personnelle y trouvait probablement son compte et le
nouveau supérieur de Mgr
de Llobet qui affectait de n’y voir que ce motif pouvait s’en
formaliser à bon droit ; c’était Justin Godard, le sous-secrétaire d’État au service de
santé de l’armée. Son reproche ne dépassait pas cependant le stade confidentiel. Il eût
été mal venu de la part d’un membre du gouvernement de
battre en brèche l’Union sacrée que l’Église était justement
en train de resserrer en valorisant cet exemple, et puis les
cléricaux auraient pu lui faire un procès d’intention ; il était
radical-socialiste.
En effet « la ‘rumeur infâme’, selon laquelle le clergé aurait
voulu la guerre pour rétablir son influence tout en échappant
aux dangers du front » était alors distillée par certains
anticléricaux, très souvent membres du parti radical. {…}.
Montrer que le clergé et sa hiérarchie participent directement
aux combats n’est donc pas inutile ; c’est même une forme
d’apostolat et cela permet de rappeler que les clercs versent
largement leur quote-part de sang. Par exemple,
« l’aumônerie connaît un pourcentage de tués supérieur à
celui de la plupart des armes et des services, à l’exception de l’infanterie, la plus
nombreuse » il est vrai4. (p. 75-76)
{…}
Sur le front
M
gr de Llobet est rattaché comme aumônier
au groupe de brancardiers du 30e corps d’armée (GBC/30) qu’il accompagne dans ses
cantonnements successifs ; on le trouve au printemps 1916 en Alsace, près de Belfort,
en juin dans la Somme, puis dans le secteur de Verdun, près des Éparges de février à
juin 1917, en Champagne, au Camp de Châlons, jusqu’en mars 1918, enfin près de
Soissons. Peu après, la semaine du 19 au 26 mai marque pour lui un changement
radical ; il est alors muté dans le groupe des brancardiers de la 69e division (GBD/69)
en application d’une circulaire du sous-secrétaire d’État du service de santé militaire.
Celui-ci reconnaissait que pour se rendre « dans les secteurs des différents régiments
en ligne » ‒ c’est-à-dire au contact de l’ennemi ‒ les aumôniers des GBC devaient
« accomplir très souvent un trajet long, fatigant, souvent difficile et toujours en soi
inutile » ; il reportait donc sur les GBD les plus proches des premières lignes, « à
raison d’un par groupe, les deux aumôniers volontaires jusqu’alors affectés au GBC ».
C’est ainsi que les longs va-et-vient que Mgr
de Llobet évoque dans ses lettres et
souvenirs en 1916 et 1917 sont remplacés à partir du printemps 1918 par une présence
beaucoup plus suivie dans la zone des combats et des avant-postes. {…} (p. 79)
* *
*
Patriote, il n’a cependant jamais eu l’esprit de sacrifice d’un Péguy, ni
l’enthousiasme prétendu des Jeunes gens d’aujourd’hui5 dont, à son âge, il ne fait
d’ailleurs plus partie. C’est par la méditation, conseillée à ses prêtres soldats, qu’il
retrempe lui-même son courage. Il se remémore plus particulièrement la vie de la sœur
Marie Marthe dont il est proche par la spiritualité des Assomptionnistes.
Écrire Une page d’apostolat. Sœur Marie Marthe Thérèse, petite sœur de
l’Assomption, supérieure de la maison de Perpignan a été pour son auteur d’un grand
réconfort spirituel pendant toute la durée de la guerre. Il nous l’explique dans la
préface de l’ouvrage :
C’est dans la solitude […] de Sainte-Odile, sous le regard de la Vierge
d’Alsace, qu’au mois de juillet 1914 fut tracé le plan de ce livre et son début
rédigé.
C’est une « méditation, une prière » interrompue seulement par l’émotion des débuts
de la guerre, puis reprise à Perpignan, puis à nouveau interrompue par les
responsabilités de l’épiscopat.
Étrange retour des choses, le salut de ce livre vint de la guerre […]. Entre
deux visites aux tranchées aux jours de grosse intempérie, ou dans les
longues nuits d’hiver, il restait assez d’heures où, fermant les yeux ‒ moins
aisément les oreilles ‒ à l’agitation et au tumulte du dehors, on pouvait se
plonger dans le passé […c’était] aux Éparges, près des Monts de Champagne
et ailleurs. Aussi bien, pour le ministère un peu bohême qu’exigeait la
guerre, n’était-il pas préparation meilleure […]6. Et il ajoute dans ses
mémoires de guerre en parlant de Marie Marthe : « Que ne dois-je pas à sa
céleste protection ».
{…}
Au front, la plupart des aumôniers militaires observent un silence prudent ou
désintéressé au sujet de ce culte populaire {celui de Thérèse de Lisieux, « la plus
grande sainte des temps modernes », à la spiritualité proche de celle de Marie Marthe
Thérèse} assez répandu dans les tranchées grâce à la diffusion de l’Histoire d’une
âme ; c’est un culte populaire qui n’est pas encore ratifié par la canonisation de
l’Église, populaire aussi par la fameuse « petite voie » de Thérèse qui est en même
temps la voie directe vers Dieu : avoir pour Lui, l’infiniment miséricordieux, l’humble
tendresse et la totale confiance qu’a l’enfant pour son père. {…} Aumônier militaire,
Mgr
de Llobet a été l’un des rares à approuver très ouvertement et à favoriser les
dévotions personnelles à Thérèse de l’Enfant Jésus. Cette orientation spirituelle mise à
part, il a organisé naturellement, comme ses collègues, le culte collectif à des
intercesseurs traditionnels, à la Vierge Marie en tout premier lieu, puis aux saints :
Martin, Louis, Jeanne…, pour ne citer que des bâtisseurs de l’identité nationale, beaux
exemples à méditer pour nourrir la foi dans le Christ. (p. 80-82)
* *
* Grâce aux numéros de la Quinzaine Religieuse du diocèse de Gap rédigés par le chanoine E. Roux,
secrétaire général de l’évêché, aux lettres intimes envoyées à la famille et aux mémoires, écrits quinze
ans plus tard, qui reproduisent et complètent ces lettres, la vie de Mgr
de Llobet au front est bien
connue, notamment son rôle d’aumônier militaire et son ministère plus spécifique d’évêque aux
armées.
L’aumônier militaire
L’aumônier est considéré comme un officier, lieutenant s’il est volontaire,
capitaine s’il est titulaire ; il a une solde en conséquence et dispose d’une ordonnance.
Mgr
de Llobet aime la hiérarchie, principe d’autorité ; et de leur côté les officiers sont
en majorité favorables à l’Église, beaucoup sont d’anciens élèves des collèges
religieux. Mais la place de l’aumônier, tout de même un peu à l’écart de la hiérarchie
militaire, facilite les contacts humains. {Il est doté de surcroît d’un caractère enjoué et
d’une grande facilité d’adaptation.}
L’État-Major du 30e C.A. est vite conquis. {…}
Quant aux prêtres soldats et aux hommes de troupe, ils font partie de ses ouailles ;
il est plus motivé dans ses visites aux tranchées, lorsqu’il sait y trouver des Alpins ou
des Catalans, ce qui n’est pas rare au 30e C.A. (p. 83-84)
* *
*
Les conditions de vie de l’aumônier, assimilé à un officier, sont relativement
privilégiées, et Mgr
de Llobet, certes plus âgé que les hommes de troupe, le souligne
chaque fois qu’il se plaint. {…}
Un compte rendu d’Et. Roux évoque l’hiver de 1917 particulièrement rigoureux :
« Les gens du front ressentent cruellement les épreuves du froid. Là-bas aussi le
thermomètre est descendu jusqu’à dix-huit et vingt-deux degrés… Bois et charbon
sont à peu près introuvables…“Tout gèle, nous dit sa Grandeur, même le calice à
l’autel entre les mains du célébrant”. On devine, à maint détail, ce que souffrent nos
soldats et de quel dévouement leur résistance est le prix. (Q.R.Gap, 22 février 1917)
Il se plaint surtout de la boue {…}.
Or, écrit Et. Roux, « Monseigneur tient à sa réputation d’Alpin [sic] et les marches
de 30 à 35 kilomètres figurent souvent au programme de ses journées ». {…} « La
place de l’aumônier au front, entre l’ambulance et les tranchées » impose en effet ces
longs déplacements. (p. 84-85)
La correspondance de l’évêque confirme ces rigueurs climatiques : Un évêque aux armées reproduit
des extraits de lettres adressées à sa sœur Augustine à Perpignan :
20 février 1917 :
[…] Si nos pauvres soldats ont souffert si durement, nous n’avons pas le
droit de nous plaindre, nous officiers ‒ qui avons un lit, et quelquefois du feu
[…]. La neige disparaît ‒ non pas la glace ‒ et la boue fait son apparition. J’ai
fait hier soir 23 km dans ce liquide jaune. Mon ordonnance aura du travail pour
étriller mes effets ! Les souliers n’avaient plus de forme […] ; l’hiver se met à
décroître […]. C’est même en soutane d’été que j’accomplis mes raids sur le
front. Par exemple, le changement de linge et les bains, voire le blanchissage,
sont des souvenirs du « temps de la prospérité ». Ici, presque plus d’habitants.
J’envoie de temps à autre mon linge à Gap ‒ et puis… j’attends les
permissions ! Si rien ne survient, je pense toujours être à Gap pour la fin du
Carême (jeudi saint). Mais il paraît qu’il n’y a plus qu’un train par jour […]
j’aurais désiré faire quelques confirmations, le jour après Pâques. Sera-ce
possible ?... (p. 53)
9 mars 1917 :
[…] Retour offensif de la neige et du froid. Ce matin -7 et la burette d’eau
gelée […].
[…]
J’en suis toujours aux projets pour Pâques avec la crainte de voir tout
s’effondrer à la dernière minute. Combiner des plans, en pareille conjoncture,
n’est pas chose aisée ! Ce qui me semble plus indiqué, ce sont des plans et
précautions pour le 4e hiver ! Tout semble l’annoncer, et je parie ferme.
Que de cimetières pourtant sur tout le front ! On dirait la fin d’une race. Et
malgré tout il faut prôner l’endurance, la confiance, le courage… (p. 54)
* *
*
Le premier devoir de l’aumônier est de se trouver près de l’ambulance qui est
installée en dehors de la zone de feu, pour réconforter les blessés, consoler les
mourants :
Que de tristesse passe à travers ces salles d’ambulance si grandes
ouvertes à la douleur ! {Q. R. Gap, 10 août 1916} Les ambulances qui nous
entourent suffisent à occuper plusieurs aumôniers dont le ministère est
toujours agréé par les pauvres blessés. (Ibid., 12 juillet 1917)
Par ailleurs :
Le ministère religieux du front devient de plus en plus semblable à celui
de la paroisse : baptêmes et premières communions d’adultes, mariages par
procuration et confirmations assez nombreuses aussi. Mais hélas ! les
sépultures ont toujours la plus grande part.
15 septembre : appelé dans une formation pour bénir une chapelle
rustique, j’ai eu le regret de l’inaugurer par les funérailles d’un prêtre-soldat,
tué net, la nuit précédente, par un éclat d’obus. Dans les deux cimetières
voisins, qui ne datent que de trois mois et comptent plus de 500 tombes, j’ai
béni les deux croix monumentales érigées par la piété d’artistes de bonne
volonté. {Ibid., 27 septembre 1917}
Mgr
de Llobet favorise chez les militaires la dévotion à l’Eucharistie et la fréquente
communion, chère à Pie X ; il évoque les « messes matinales où les soldats se pressent
à la communion. » {Ibid., 22 novembre 1917} ; il admire chez eux un renouveau de la
pratique et de la foi :
Officiers et soldats en rangs mêlés et serrés, font à la grand’messe et aux
vêpres du dimanche de superbes auditoires, où l’on sent la foi et le
recueillement. La pratique des sacrements est très consolante. Le ministère
de la guerre aura révélé aux aumôniers des consciences d’hommes d’une
générosité, d’une délicatesse dont le parfum ne sera jamais oublié. {Ibid., 25
octobre 1917}
Son ministère s’étend naturellement aussi au service paroissial des populations
civiles, lorsqu’elles n’ont pas été évacuées et qu’elles sont privées de leurs curés
mobilisés.
Cependant ‒ et c’est l’autre devoir de l’aumônier ‒, il visite souvent les premières
lignes, comme l’indique une première citation à l’ordre du Corps d’Armée [1er
novembre 1917] : « Ce n’est d’ailleurs pas incompatible que de célébrer, le matin, un
office pontifical et d’accompagner, la nuit venue, un coup de main sur les tranchées