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Christophe Sohn, docteur en géographie, chargé de recherches au Centre d’études de popu- lations, de pauvreté et de politiques socio-économiques (CEPS/INSTEAD) au Luxembourg. [email protected] Olivier Walther, docteur en géographie, chargé de recherches au Centre d’études de popula- tions, de pauvreté et de politiques socio-économiques (CEPS/INSTEAD) au Luxembourg. [email protected] À mesure que se renforcent les dynamiques spécifiques de la mondialisa- tion et de la construction européenne, l’échelle d’analyse du développement économique se déplace de l’échelon national vers l’échelon métropolitain et, du point de vue sectoriel, des activités traditionnelles de production ou de ser- vices courants vers des services toujours plus spécialisés et orientés par l’éco- nomie de la connaissance. Depuis le début des années 1980, ce double mouvement de concentration a d’abord été appréhendé comme un processus d’hypermobilité et de désaffection des lieux dans lequel les réseaux avaient tendance à supplanter les territoires. Progressivement cependant, certaines études ont insisté sur les « racines » du contexte local qui font que les lieux ne disparaissent pas subitement au profit des réseaux (Castells, 1999). Ainsi Métropolisation et intégration transfrontalière : le paradoxe luxembourgeois Christophe Sohn Olivier Walther
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Métropolisation et intégration transfrontalière : le paradoxe luxembourgeois

Dec 21, 2022

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Martin Dijst
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Christophe Sohn, docteur en géographie, chargé de recherches au Centre d’études de popu-lations, de pauvreté et de politiques socio-économiques (CEPS/INSTEAD) au [email protected] Walther, docteur en géographie, chargé de recherches au Centre d’études de popula-tions, de pauvreté et de politiques socio-économiques (CEPS/INSTEAD) au [email protected]

À mesure que se renforcent les dynamiques spécifiques de la mondialisa-tion et de la construction européenne, l’échelle d’analyse du développementéconomique se déplace de l’échelon national vers l’échelon métropolitain et,du point de vue sectoriel, des activités traditionnelles de production ou de ser-vices courants vers des services toujours plus spécialisés et orientés par l’éco-nomie de la connaissance. Depuis le début des années 1980, ce doublemouvement de concentration a d’abord été appréhendé comme un processusd’hypermobilité et de désaffection des lieux dans lequel les réseaux avaienttendance à supplanter les territoires. Progressivement cependant, certainesétudes ont insisté sur les « racines » du contexte local qui font que les lieuxne disparaissent pas subitement au profit des réseaux (Castells, 1999). Ainsi

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1. Cet article s’appuie sur les résultats du programme de recherche METROLUX, Dynamiquesmétropolitaines et gouvernance au Luxembourg et dans les territoires frontaliers, financé parle Fonds national de la recherche du Luxembourg et coordonné par le CEPS/INSTEAD, en colla-boration avec les Universités de Luxembourg, Strasbourg I et Mulhouse.

que le rappelle Harvey (1990, p. 295), la dynamique métropolitaine reste trèssensible aux différentiels territoriaux : « The less important the spatial bar-riers, the greater the sensitivity of capital to the variations of place withinspace, and the greater the incentive for places to be differentiated in waysattractive to capital. » Les deux courants commencent seulement à converger,avec pour objectif de montrer, comme Veltz (1996) ou Lévy (1999, p. 232),« dans quelles conditions un nœud (dans un réseau) peut devenir un pôle(dans un territoire) ».

Si toutes les métropoles tentent aujourd’hui de redéfinir les relationsentretenues avec les États qui avaient jusqu’ici vocation à réguler les sys-tèmes urbains nationaux pour s’inscrire dans des réseaux de dimension mon-diale, certaines d’entre elles sont, en outre, confrontées au défi de concevoirdes politiques de développement transfrontalières qui puissent tenir comptede l’évolution des interactions économiques et sociales (Saez et al., 1997).C’est le cas de la métropole de Luxembourg, qui occupe aujourd’hui uneposition importante dans le réseau des places financières globales grâce à laspécialisation de certaines de ses fonctions (Rozenblat et Cicille, 2003). Auplan conceptuel cependant, l’ambition de parvenir à un développement trans-frontalier suppose de mobiliser le concept d’intégration en prenant soin dedistinguer la dimension fonctionnelle de la dimension institutionnelle.

Dans cette perspective, la première partie de l’article 1 s’attache à propo-ser une grille d’analyse théorique originale des dynamiques frontalièresmétropolitaines. Ce cadre général permet d’envisager la question de l’inté-gration métropolitaine transfrontalière dans le cas de Luxembourg selon deuxorientations principales. D’une part, l’article appréhende l’évolution fonc-tionnelle de l’aire métropolitaine en s’interrogeant sur le rôle des frontièresquant aux usages des acteurs socio-économiques, avec pour objectif de mon-trer l’existence d’un espace métropolitain aux dimensions transfrontalières.D’autre part, les initiatives prises dans le domaine de l’intégration institu-tionnelle sont analysées, dans le souci de présenter leurs acteurs, leurséchelles géographiques ainsi que les limites de leurs opérations dans un cadremétropolitain.

L’hypothèse principale de l’article considère que, dans le cas deLuxembourg, le degré d’achèvement de l’intégration institutionnelle restevolontairement inférieur au degré de l’intégration fonctionnelle. Cette situa-tion résulte du fait qu’en l’absence de gouvernance ad hoc, les dynamiquesmétropolitaines sont pilotées non pas par la Ville de Luxembourg, mais par

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l’État, qui bénéficie fortement des différentiels internationaux. Cette situationencourage l’État à maintenir des relations transfrontalières qui lui permettentd’optimiser ses gains vis-à-vis de ses partenaires étrangers et tente de réglerau cas par cas les problèmes qui surviennent nécessairement d’une fragmen-tation institutionnelle de l’aire métropolitaine. Dans ce contexte, et en se réfé-rant aux travaux de Barel (1989), il est possible de qualifier le phénomène demétropolisation initié à Luxembourg de paradoxal, dans la mesure où lacontradiction supposée entre les besoins en termes de coopération transfron-talière et l’impératif d’un maintien des différentiels frontaliers pour l’Étatsemble indépassable.

INTÉGRATION FONCTIONNELLE ET INSTITUTIONNELLE : ÉLÉMENTS THÉORIQUES D’UNE DISTINCTION

La grille d’analyse retenue appréhende l’intégration selon le principe deLévy (2003, p. 516), pour qui la notion « peut être utilisée à chaque fois quela rencontre entre deux réalités distinctes donne lieu à un mélange dissymé-trique (intégration n’est pas fusion) produisant une nouvelle réalité ». Elleprolonge également le travail précurseur de Grasland et al. (1999, p. 8) dansle cadre du Study Programme on European Spatial Planning, pour lesquels« Spatial integration expresses the opportunities for and level of interactionwithin and between areas and may reflect the willingness to co-operate ».L’intégration fonctionnelle se rapporte alors à la forme et à l’intensité desinteractions socio-économiques observées de part et d’autre d’une frontière,au travers de l’extension de l’aire métropolitaine, tandis que l’intégration ins-titutionnelle concerne la forme et l’intensité des interactions entre les acteurspolitiques éventuellement disposés à collaborer. Pour ce faire, la grille tented’articuler deux dimensions de l’intégration transfrontalière qui renvoient àdes conceptions de la frontière et de ses acteurs différentes.

Une approche renouvelée de la notion de frontière

La première conception considère la frontière comme une discontinuitéinstitutionnelle mettant aux prises des États entre eux ou des collectivités ter-ritoriales entre elles. Dans ce contexte, l’attention portée aux coopérationsinstitutionnelles prime sur les relations fonctionnelles entretenues par lesacteurs socio-économiques. La frontière est ici considérée comme une« limite politique signifiante » qui sépare deux territoires (Groupe Frontière,2004), sans présupposer que certains espaces frontaliers, notamment métro-politains, puissent être potentiellement plus dynamiques que d’autres.

La seconde conception illustre le fait que la frontière met également auxprises des sociétés et des économies qui ne sont pas nécessairement natio-

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nales ou territoriales. Dans ce contexte, les relations institutionnelles sontsubverties illégalement ou instrumentalisées de manière informelle par lesacteurs sociaux. Par conséquent, l’analyse des types d’interactions que les sociétés ou les économies entretiennent entre elles peut être faite selonles représentations et les usages à l’échelle de chaque espace transfrontalier.La frontière est ici considérée comme un espace hétérogène, en présuppo-sant que certaines portions seront plus dynamiques que d’autres, parcequ’elles constituent le point focal de fuseaux liant, au-delà des frontières, lesmétropoles et les plus petits centres entre eux. Ce modèle s’applique alorsaux formes diverses qui, de la séparation à la relation, caractérisent l’usagesocio-économique de la frontière, en réaction aux approches institution-nelles dans lesquelles « la victoire de l’État, sa mondialité, ont contribué ànaturaliser son existence par le territoire défini dans une métrique double,topographique à l’intérieur et topologique dans ses relations avec l’exté-rieur » (Retaillé, 2006, p. 19).

En définitive, il apparaît que la frontière n’est plus uniquement considé-rée comme un objet figé, un outil de contrôle et de filtrage. La relativisationdu rôle de l’État dans la structuration de la société et de l’espace, les proces-sus de décentralisation et d’intégration européenne, mais aussi l’extensiondes réseaux techniques donnent à voir de nouvelles réalités frontalières et,surtout, de nouveaux rapports à l’objet de la part d’acteurs territoriaux plusnombreux que jamais (Groupe Frontière, op. cit.).

Description de la grille d’analyse de l’intégration transfrontalière

La grille d’analyse qui résulte de la combinaison de ces deux perspec-tives prend alors la forme d’un graphique à deux dimensions où figurent neufconfigurations théoriques (Figure 1). Sur l’axe horizontal, le gradient fonc-tionnel évolue d’une situation de séparation à une situation d’interaction, lestade intermédiaire reflétant la complexité croissante des réseaux socio-éco-nomiques qui unissent, au-delà des frontières, les acteurs entre eux. Lescentres urbains représentés possèdent une aire métropolitaine de taillevariable et dont le pourtour n’est pas, comme pour les États-nations, réduc-tible à une frontière, mais à un gradient métropolitain dynamique. Dans lapremière configuration (1), la frontière constitue une barrière stricte aux rela-tions qui pourraient s’exercer entre les pôles urbains, chacun d’entre euxpolarisant son propre espace national. Cette situation peut significativementêtre modifiée par l’extension transfrontalière de l’aire métropolitaine,laquelle déborde, au moins partiellement, des limites nationales dans laseconde configuration (2). Finalement, dans la troisième configuration, lamétropole polarise les espaces frontaliers et englobe les centres urbains péri-phériques dans son aire fonctionnelle (3).

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Sur l’axe vertical, le gradient institutionnel évolue d’une situationd’ignorance à une situation de coopération, en référence aux stades de coexis-tence, d’interdépendance et d’intégration identifiés par Martinez (1994).Consécutivement, la première configuration (A) est caractéristique d’uneabsence de relations entre les acteurs politiques situés des deux côtés de lafrontière d’État. À mesure que s’intensifient les contacts épisodiques et laprise en compte des espaces situés au-delà de la frontière par la planificationterritoriale, cette configuration évolue vers une situation plus formelle (B),

Figure 1 – Grille d’analyse de l’intégration métropolitaine transfrontalière(Source : Sohn et Walther, à partir de Martinez, 1994 [*],

Reitel, 2007 [**] et Vandermotten, 2007 [***])

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dans laquelle les préoccupations nationales ou régionales prennent la formede coopérations et de contacts réguliers, d’échanges formalisés et de projetscommuns. Enfin, dans la configuration finale qui correspond au degré d’in-tégration institutionnelle le plus avancé (C), les acteurs politiques sont par-venus à mettre en œuvre un dispositif de coopération ou de gestion commune.Celui-ci peut se matérialiser par la création d’une nouvelle collectivité terri-toriale aux compétences variables, tel un district transfrontalier par exemple.Dans sa configuration actuelle, cette approche de l’intégration institution-nelle métropolitaine ne fait pas la distinction entre les initiatives pilotées parl’État (dynamique descendante) et celles instituées par les acteurs locaux(dynamique ascendante), mais se focalise sur l’intensité des coopérationsentreprises au sein d’une aire métropolitaine. La mobilisation de la notion de« gouvernance multi-niveaux » permettrait d’insister sur la multiplicité desacteurs politiques et sociaux en présence et leurs interdépendances, lesformes horizontales de coordination et la temporalité différenciée des modesde décision et d’action (Le Galès, 2003). Il s’agirait alors d’appréhender lejeu des acteurs dans une perspective dynamique et le territoire comme unprocessus en perpétuelle reconfiguration.

LES DISTORSIONS DANS L’INTÉGRATION TRANSFRONTALIÈREDE LA MÉTROPOLE LUXEMBOURGEOISE

Fondés sur la grille d’analyse précédemment explicitée, les argumentsqui suivent permettent de montrer que l’intégration institutionnelle est volon-tairement moins achevée que son pendant fonctionnel à Luxembourg.

L’irrésistible expansion de l’aire d’attraction du pôle d’emploiluxembourgeois

Au Luxembourg, l’émergence de fonctions métropolitaines trouve sonorigine dans les années 1970, lorsque l’État, soucieux d’anticiper le déclin desactivités sidérurgiques traditionnelles, fit le choix d’attirer des établissementsfinanciers à travers une fiscalité et des réglementations attractives. Aux yeuxdes responsables du pays, il apparaissait alors essentiel, dans un monde deplus en plus soumis aux aléas des échanges commerciaux mondialisés, dediversifier les activités et d’ouvrir l’économie nationale aux marchés exté-rieurs, la finance apparaissant comme un moyen efficace. Le succès de cettepolitique de niche s’est traduit par une croissance moyenne de l’économienationale atteignant régulièrement plus de 5 % (STATEC, 2006), alors que 19 %de l’emploi intérieur, 31 % des recettes fiscales et 38 % de la valeur ajoutéeétaient générés directement ou indirectement par le secteur financier en 2005(Deloitte, 2006). Compte tenu de la petite taille de l’espace national et d’acti-vités dont l’efficience est renforcée par des effets spatiaux d’agglomération, le

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Luxembourg présente ainsi un profil marqué par une spécialisation importantedans la finance. Ce contexte bénéficie en premier lieu à l’agglomération deLuxembourg, qui est aujourd’hui concernée par un mouvement de concentra-tion des activités à haute intensité de savoir et de commandement. Ces fonc-tions permettent progressivement à Luxembourg d’émerger comme unemétropole, certes de taille réduite, mais occupant une place de choix dans leréseau des villes mondiales ; ce qui permet à Taylor et al. (2002, p. 100) deparler de « relatively strong evidence of world city formation » à son propos.En tant que capitale d’État et siège d’institutions européennes, la Ville peutégalement se prévaloir d’une centralité politique et symbolique qui lui confèreun rang considérablement plus important que ce que sa taille démographiquepourrait laisser prévoir sur la scène internationale.

À l’échelle régionale, l’émergence de la métropole luxembourgeoises’est accompagnée d’une forte polarisation des espaces périphériques, en par-ticulier au niveau de l’emploi. Nourrie par les besoins d’un secteur financieren plein essor, cette expansion du bassin d’emploi s’inscrit également dansun changement des schémas de recrutement de la main-d’œuvre étrangère.Alors que depuis le début du XXe siècle, l’industrialisation du pays s’étaitappuyée sur une immigration de travail en provenance des pays du sud del’Europe, à partir des années 1980, les entreprises de services et d’intermé-diation financière ont privilégié le recrutement de travailleurs frontaliers poursatisfaire leur demande de travail. Représentant 54 % de la population activeétrangère en 1954, les travailleurs de nationalité espagnole, italienne et por-tugaise ne constituent plus que 24 % des effectifs trente ans plus tard. Cetteévolution s’est faite essentiellement au profit de personnes résidant dans lesrégions frontalières en Allemagne, en France et en Belgique et qui vont tra-vailler au Luxembourg. Alors qu’ils étaient moins de 12 000 en 1980, lenombre de salariés frontaliers atteint 123 568 personnes en 2006, soit près de40 % de l’emploi intérieur (STATEC, op. cit.) (Tableau 1).

1988 1995 2006 Variation 1988-2006 (en %)

Résidents au Luxembourg 125 529 141 444 175 934 40,2 Dont Luxembourgeois 90 999 87 013 94 900 4,3 Pays de l’UE15 35 729 49 169 70 830 98,2 Non-communautaires 2 801 5 262 10 204 264,3 Frontaliers 24 567 54 156 123 568 403,0 Total 154 096 195 600 299 502 94,4

(Source : STATEC, 2006)

Tableau 1 – Évolution de l’emploi salarié par pays de résidence et par nationalité

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Le succès du Luxembourg est tel que la ville du même nom (83 820 hab.en 2007) est aujourd’hui au nombre de ces rares centres urbains européensqui peuvent s’enorgueillir d’un ratio d’emplois occupés sur la populationrésidente supérieur à 1,5. Cette forte croissance de l’emploi se fait au détri-ment des résidents car les surfaces disponibles pour le logement sont concur-rencées par celles destinées aux bureaux, avec pour conséquence que lacroissance démographique de la ville de Luxembourg a été faible depuis1970 (10,1 %), alors que l’agglomération (131 653 hab. en 2007) connaissaitune croissance plus soutenue (31,7 %).

Figure 2 – Aire métropolitaine fonctionnelle transfrontalière de Luxembourg(Source : Sohn et Walther)

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L’importance de l’emploi frontalier et pendulaire permet de mettre enévidence l’extension actuelle de l’aire métropolitaine fonctionnelle. En sebasant sur les travaux de Goebel et Thierstein (2006), celle-ci est définie parl’ensemble des communes présentant une proportion de pendulaires tra-vaillant dans l’agglomération de Luxembourg supérieure à 10 % de la popu-lation active communale en 2002. Selon ces critères, l’aire fonctionnellemétropolitaine compte alors 900 000 habitants, dont un peu plus de la moitiéréside dans les régions frontalières (51 %). L’aire d’attraction mise en évi-dence (Figure 2) s’étend de manière concentrique à l’ensemble du Grand-Duché et, de manière transfrontalière, aux territoires limitrophes sur uneétendue qui varie entre 15 km en Allemagne, 25 km en France et 40 km enBelgique. L’ampleur du phénomène est telle que l’ensemble des petits centresurbains frontaliers, tels Thionville et Longwy côté français ou Arlon enBelgique, sont placés sous l’aire d’influence directe de la métropole grand-ducale. Le fait que l’aire métropolitaine de Luxembourg n’atteigne pas lesvilles de Metz, Nancy ou Sarrebruck permet de relativiser le qualificatif demétropole polycentrique qui est parfois appliqué à l’échelle de la GrandeRégion en référence à la Randstad Holland ou à la métropole lémanique(Comtesse et Van der Poel, 2006).

La forte polarisation en direction de l’agglomération de Luxembourg dela population active des petits centres urbains périphériques, conjuguée à unratio d’emplois par rapport aux habitants particulièrement favorable, justifiede qualifier Luxembourg de métropole unipolaire. À l’échelle du Grand-Duché, cela signifie que les centres secondaires d’Esch-sur-Alzette ou deDiekirch-Ettelbrück ne sont guère assimilables à des edge cities (Garreau,1991) caractérisées par de faibles densités, une multipolarité et une faibleurbanité, et cela malgré l’implantation ponctuelle, comme sur le site deBelval (Esch-sur-Alzette), d’activités financières de back-office.

Les limites d’une gestion avisée des différentiels frontaliers

Cette forte intégration fonctionnelle des espaces frontaliers à la dyna-mique métropolitaine de Luxembourg résulte d’une gestion avisée des diffé-rentiels fiscaux et réglementaires de la part de l’État, dans le domaine de laTVA, de l’imposition des particuliers et des sociétés et de la domiciliation(Pieretti et al., 2007). En effet, le succès de l’économie grand-ducale, qui setraduit par un différentiel de création d’emplois en faveur du Luxembourg, nesuffit pas à expliquer le phénomène du travail frontalier. Encore faut-il que lepassage de la frontière se traduise également par des avantages salariaux etsociaux pour les salariés (Brosius, 2004). Au Luxembourg, les frontières éta-tiques nourrissent un effet positif pour les entreprises et les travailleurs.

Depuis le début des années 2000, cette politique de niche semble toute-fois atteindre quelques limites. Parmi les revers les plus contraignants, il

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convient de citer l’envolée des prix du foncier (plus de 50 000 € l’are de ter-rain constructible dans les communes périurbaines) et de l’immobilier (plusde 650 000 € pour une maison individuelle) qui rend de plus en plus difficilel’accession à la propriété. Face à cet obstacle, quelque 2 000 frontaliers denationalité luxembourgeoise ont choisi de s’installer dans les régions fronta-lières où les prix s’avèrent plus modérés. La cherté de l’immobilier constitueégalement un frein à l’installation au Luxembourg des salariés étrangers nou-vellement recrutés, lesquels préfèrent souvent résider en dehors du pays etdeviennent en quelque sorte des frontaliers d’adoption.

Certes, le phénomène du travail frontalier ainsi que celui de l’évasionrésidentielle participent tous deux d’une logique d’intégration fonctionnellede l’aire métropolitaine transfrontalière. Cependant, dans les deux cas, cespratiques résidentielles se traduisent également par des déplacements domi-cile-travail accrus et contribuent de manière substantielle à la saturation desvoies de communication entre l’agglomération de Luxembourg et les régionsfrontalières. Dans le but de promouvoir un développement du territoire plusdurable et de garantir la qualité de vie des habitants, le gouvernement s’estrécemment engagé dans une politique d’aménagement du territoire visant àfavoriser l’emploi résident au détriment de l’emploi frontalier, cela afin deréduire l’ampleur des déplacements et de favoriser l’usage des transports encommun (ministère de l’Intérieur, 2004). Cette stratégie se heurte néanmoinsau fait que le Luxembourg maintient un différentiel financier significatif enmatière de taxation sur les carburants, lesquels sont en moyenne de 18 % à27 % moins onéreux au Grand-Duché que dans les pays voisins pour le diesel(2007), alimentant le « tourisme à la pompe » et justifiant le recours auxdéplacements motorisés individuels ainsi que le transit par le Luxembourgdes poids-lourds étrangers. Compte tenu de la nature des phénomènes viséset de l’ampleur des problèmes qu’ils posent, la réalisation d’un tel objectif dedurabilité passe nécessairement par une coopération entre tous les acteursconcernés à l’échelle de l’aire métropolitaine.

Une coopération transfrontalière d’envergure limitée

De par sa taille et sa situation géographique, la question frontalière revêtun caractère incontournable au Luxembourg. Impliqué dès 1951 dans le pro-cessus de construction européenne, membre de l’Union économique duBenelux, le Grand-Duché, signataire des accords de Karlsruhe (1996), estégalement présent sur la scène de la coopération transfrontalière. Cependant,si les expériences de coopération interrégionale ou locale ne manquent pas, ilest particulièrement frappant de constater l’absence de synergies entreacteurs institutionnels à l’échelle de l’intégration métropolitaine.

Au regard des expériences menées, deux échelles de coopération sem-blent privilégiées. En premier lieu, il convient de mentionner la Grande

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Région, dernier avatar territorial de l’espace de coopération Saar-Lor-Lux crééen 1970 sur la base d’une union entre le Land de Sarre (D), la Région Lorraine(F) et le Luxembourg. Au sein de cette vaste région qui accueille désormaiségalement la Rhénanie-Palatinat (D) et la Wallonie (B) et compte plus de11 millions d’habitants, le Luxembourg joue le rôle de pôle économique. Bienque ne bénéficiant d’aucune instance représentative au plan politique, laGrande Région offre au Grand-Duché un cadre de coopération institutionna-lisé qui le place dans une situation favorable vis-à-vis des autres entités régio-nales ne bénéficiant pas des prérogatives propres à un État souverain.

La deuxième échelle de coopération privilégiée se situe au niveau local.Dans ce registre, force est de constater le caractère ponctuel des expériencesmenées jusqu’à présent. La coopération transfrontalière la plus remarquableest sans conteste le Pôle européen de développement (PED) et l’émergenced’un projet d’agglomération transfrontalière au niveau du bassin industriel deLongwy-Rodange-Athus qui regroupe 25 communes et 120 000 habitants(2005). Initié en 1985 par les autorités étatiques belges, françaises et luxem-bourgeoises, le projet de PED avait pour ambition de surmonter les handicapsentraînés par le sévère déclin de l’activité sidérurgique à travers une recon-version économique concertée. Huit ans plus tard, les gouvernements destrois États impliqués ont passé le relais aux autorités locales dans le desseinde donner à cet espace transfrontalier une réalité non seulement économique,mais également urbaine et sociale. Si le bilan économique du PED est mitigé,notamment parce que les objectifs en matière de création d’emplois n’ont étéque partiellement atteints, la coopération transfrontalière autour de l’agglo-mération éponyme poursuit son développement par-delà les égoïsmes natio-naux et au gré des financements européens de type INTERREG. Sans préjugerde son intérêt sur le plan local, le constat d’une absence d’articulations entrecet espace de coopération transfrontalière et l’aire métropolitaine danslaquelle il est pourtant fonctionnellement intégré s’impose. En effet, la pola-risation des flux économiques s’effectue aujourd’hui principalement enfaveur de l’agglomération de Luxembourg : près de 28 % des actifs occupésdes communes du PED y ont trouvé un emploi (2002).

Les autres expériences de coopérations transfrontalières menées au seinde l’aire métropolitaine du Luxembourg concernent des projets d’envergurelimitée qui mettent en relation les collectivités locales situées de part etd’autre de la frontière. Avec la mise en œuvre du projet de Cité des sciencessur l’ancienne friche industrielle d’Esch-Belval, dans la région sud du pays,des projets de coopérations transfrontalières entre la ville d’Esch-sur-Alzetteet les collectivités locales françaises situées à proximité du site se dessinent.Cependant, comme dans les exemples précédents, le périmètre des coopéra-tions envisagées se limite au cadre local, même si cela n’empêche nullementl’État luxembourgeois de s’impliquer directement dans le projet. Enfin, la

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Ville de Luxembourg a développé des coopérations interurbaines au sein dela Grande Région sous la forme de réseaux de villes : d’une part, leQuattropole, qui regroupe Luxembourg, Sarrebruck, Trèves et Metz ; d’autrepart, le réseau LELA+ formé de Luxembourg et des centres urbains périphé-riques d’Esch-sur-Alzette, Longwy, Arlon, auxquels sont venus se rajouterThionville et Metz en 2007. Les réseaux de villes permettent d’enjamber lafrontière et semblent un vecteur particulièrement apprécié de la Ville deLuxembourg, car ils viennent pallier, dans une certaine mesure, l’absenced’une réelle agglomération institutionnelle. Il demeure cependant que lesobjectifs poursuivis par les différents réseaux de villes évoqués ne sont pas àla mesure des enjeux métropolitains et limitent la coopération à des opéra-tions de communication et de marketing urbain.

En définitive, il convient de rappeler que le constat d’une distorsionentre l’espace métropolitain et les périmètres de l’action publique, nationaleou transfrontalière, n’est de loin pas propre au cas luxembourgeois. Bien destravaux ont montré la difficulté de concevoir des structures de coopération, àinstitutionnaliser des partenariats dans un contexte métropolitain fragmenté,a fortiori lorsqu’il s’avère transfrontalier (Saez et al., op. cit. ; Jouve etLefèvre, 2002). L’étroitesse des initiatives entreprises au Luxembourg dansle domaine de l’intégration institutionnelle contraste toutefois singulièrementavec celles d’autres métropoles transfrontalières en Europe. Que ce soit àLille ou à Bâle, des coopérations métropolitaines sont envisagées ou mises enœuvre (Reitel, 2006 et 2007). Ainsi, la pérennité des relations nouées entreles partenaires frontaliers suisses, allemands et français a récemment permisde mettre en œuvre l’Eurodistrict trinational de Bâle réunissant des représen-tants des trois parties concernées et chargé de l’aménagement de la région. Sil’ampleur de la divergence entre une intégration métropolitaine fonctionnelleforte et l’absence de coopération transfrontalière à cette échelle apparaît doncclairement au niveau du Luxembourg (ce qui correspond au cas 3B sur laFigure 1), il reste à en expliquer les fondements.

LES DESSOUS D’UN PARADOXE : LA MÉTROPOLISATION AU RISQUE DE L’ÉTAT

La prise en compte des stratégies déployées par les acteurs est nécessairepour comprendre le sens du décalage préalablement mis en évidence entreintégration fonctionnelle et institutionnelle.

Une capitale aux marges de manœuvre limitées

Au Grand-Duché, la Ville de Luxembourg, tout à la fois capitale d’État,pôle économique et centre culturel, ne joue qu’un rôle secondaire dans le pro-cessus de construction de la métropole. C’est en effet l’État, fort de son pou-voir souverain, qui est à l’origine du développement des fonctions

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métropolitaines. L’intermédiation financière, les assurances, la logistique et,plus récemment, la recherche-développement sont autant de secteurs straté-giques qui bénéficient d’un accompagnement politique constant de la part dugouvernement. C’est également l’État qui pilote les opérations d’urbanismedestinées à doter la ville des attributs métropolitains tant fonctionnels quesymboliques. Ainsi, l’aménagement du Plateau de Kirchberg accueillant lequartier européen, le centre d’affaires et plus récemment les grandes infra-structures culturelles de Luxembourg telles que le Musée d’Art moderne oula salle Philharmonique de concerts, est planifié et mis en œuvre par les ser-vices de l’État par l’intermédiaire du Fonds d’urbanisation et d’aménage-ment. Bien que cette opération d’aménagement intervienne sur son territoire,la Ville n’y participe pas directement. Cette prégnance de l’État se retrouveégalement dans le développement du rayonnement culturel de la capitale,comme en témoigne l’organisation de l’événement Luxembourg et GrandeRégion, Capitale européenne de la Culture 2007. L’initiative de conférer àcette manifestation une dimension transfrontalière en y associant la GrandeRégion revient au Premier ministre luxembourgeois ; ce dernier avait émiscette idée lors d’un sommet de la Grande Région en 2000, sans en avertirpréalablement la Ville de Luxembourg initialement pressentie comme uniquehôte de l’évènement. Derrière l’apparente spontanéité de la démarche secache une ambition clairement définie : en faisant le pari de l’ouverture et dela coopération transfrontalière, l’État souhaite avant tout renforcer la positionde pôle culturel de la ville sur la scène régionale et européenne (Sohn, 2008).

Ce rôle prépondérant de l’État dans le processus de métropolisation està mettre en relation avec la configuration territoriale du Luxembourg.L’étendue limitée du territoire (2 586 km2) et la proximité des échelles natio-nales et locales tendent à renforcer la capacité d’action de l’État. Par ailleurs,la bipolarisation de la structure territoriale et le morcellement institutionnelne favorisent guère l’émancipation des quelque 116 communes du pays.Enfin, le statut de capitale d’État de la Ville de Luxembourg s’accompagne,comme à l’accoutumée, d’une tutelle étatique plus marquée que pour lesautres villes. En l’absence de structures intercommunales, la Ville, enserréedans ses limites administratives, ne dispose que d’une marge de manœuvrelimitée.

Un État confronté à des impératifs paradoxaux

L’essor d’une métropole dominée par l’État place cet acteur devant desimpératifs a priori contradictoires. D’un côté, la dynamique métropolitainedépasse les frontières étatiques pour s’inscrire dans un cadre transfrontalier.Dans ce contexte d’interdépendance, les espaces frontaliers constituent desbassins de main-d’œuvre indispensables au bon fonctionnement de l’écono-

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mie métropolitaine, cette dernière constituant, en retour, une source de déve-loppement providentielle pour des régions en reconversion industrielle tellesque la Lorraine et la Wallonie. Une telle intégration économique et socialeexigerait de la part des autorités publiques, et au premier rang desquellesl’État luxembourgeois, une redéfinition des périmètres d’intervention deleurs politiques afin de les mettre en concordance avec l’échelle des enjeux.D’un autre côté, la préservation des différentiels frontaliers demeure un enjeucardinal pour le Luxembourg. Il s’agit de préserver non seulement l’attracti-vité de la place financière, moteur du développement économique et res-source incontournable pour le budget de l’État, mais également l’attractivitéde l’emploi à travers certains avantages salariaux et sociaux. Face à une éco-nomie luxembourgeoise fortement dépendante du travail frontalier, les fron-tières étatiques et la maîtrise des différentiels qu’elles autorisent constituentun puissant catalyseur du développement métropolitain.

Au vu des impératifs contradictoires propres à la reproduction de lamétropole, il semble que l’État ne soit pas en mesure de choisir. En se réfé-rant aux travaux de Barel (op. cit.), une telle situation d’indécidabilité peutêtre qualifiée de paradoxale, dans la mesure où il s’agit d’une « contradictionqu’il est impossible, dans un horizon déterminé, de supprimer ou de dépas-ser ». N’étant pas en mesure de trancher entre des logiques qui s’opposent, laseule issue possible consiste à développer des stratégies doubles, formes derégulation du paradoxe selon Barel.

Face au risque de voir l’espace métropolitain devenir l’enjeu d’uneaction collective coordonnée – et donc d’échapper à son contrôle –, l’Étatluxembourgeois oriente ses initiatives à d’autres échelles, en particulier auxniveaux régional et local. Ainsi, l’investissement dans des formes de coopé-ration territoriale de type Grande Région permet au Luxembourg de traiteravec des entités telles que la Lorraine, la Rhénanie-Palatinat ou la Walloniequi dépassent de loin l’étendue de la métropolisation au Luxembourg. Un telcadre de coopération rend possible la coordination des activités entre lesacteurs institutionnels, tout en limitant le risque de voir émerger une gouver-nance métropolitaine. À l’échelle locale, les initiatives de coopération trans-frontalière, diversement soutenues par l’État, n’ont guère plus de chancesd’intégrer la dynamique métropolitaine dans son ensemble, compte tenunotamment de la fragmentation institutionnelle du territoire.

En ce qui concerne la préservation de la rente frontalière, la stratégiedéployée par l’État s’avère ambivalente. Tout en cherchant à faire perdurerune certaine attractivité fiscale et règlementaire (principalement à travers lemaintien du secret bancaire), le Luxembourg s’évertue à promouvoir de nou-veaux avantages comparatifs, notamment à travers une stratégie de valorisa-tion de la qualité reconnue des services supérieurs métropolitains. De l’avismême du Conseil économique et social de Lorraine (2007, p. 30), ses posi-

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2. Dans le cadre de négociations concernant la directive sur la fiscalité de l’épargne adoptéepar le Conseil Ecofin (2003), le Luxembourg a obtenu l’instauration d’une période transitoirereportant l’échéance de la suppression du secret bancaire au-delà de 2011.

tions apparaissent paradoxales, puisque « d’un côté, les discours officiels desprofessionnels du secteur bancaire tendent à minimiser l’importance dusecret bancaire au regard d’autres facteurs déterminants, d’un autre côté, lesresponsables politiques négocient son maintien le plus longtemps pos-sible 2 ». On est bien là en présence d’une stratégie double dont le propre est« de choisir sans choisir, d’actualiser certaines possibilités tout en en poten-tialisant d’autres, donc en gardant la possibilité de les actualiser » (Lapierre,1992, p. 199).

CONCLUSION

La grille d’analyse retenue a permis de montrer l’intérêt conceptuel dedissocier, dans le débat sur l’intégration transfrontalière, les dimensions fonc-tionnelles et institutionnelles de la métropolisation. Cette dernière résulte, eneffet, de la combinaison des initiatives entreprises d’une part par les acteurssocio-économiques, et d’autre part, par des États ou des collectivités territo-riales, lorsque ceux-ci entreprennent de dépasser les frontières en nouant desrelations de coopération.

Dans le cas de Luxembourg, un écart significatif peut être observé entrel’envergure de l’aire métropolitaine fonctionnelle, véritablement transfronta-lière, et les initiatives dispersées et fragmentées prises par les acteurs institu-tionnels en matière de coopération territoriale. En l’absence de projetmétropolitain qui puisse répondre à l’ampleur des transformations fonction-nelles, il en résulte une situation atypique à l’échelle européenne.Luxembourg fonctionne en effet comme une place financière particulière-ment active à une échelle globale, mais significativement absente à l’échellede la gouvernance métropolitaine transfrontalière, où se situent pourtant cer-tains enjeux cruciaux pour sa survie.

Les spécificités de la construction d’une métropole transfrontalière, enparticulier le rôle moteur d’une politique de « niche », c’est-à-dire la situa-tion exceptionnelle d’une ville-État protégée par son pouvoir souverain, posealors la question de la pérennité des processus à l’œuvre. La distorsion entrel’ampleur de l’intégration fonctionnelle et la faiblesse de son pendant institu-tionnel révèle en effet une situation paradoxale à laquelle l’État se doit impé-rativement de faire face. En donnant à sa métropole une enverguretransfrontalière, celui-ci a du même coup potentialisé ce qui pourrait remettreen question le système métropolitain qu’il a créé. Dans la gestion de ce para-doxe, compte tenu de la remise en cause à terme des rentes dont il est à l’ori-

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gine, la place qu’occupe l’État dans le processus de métropolisation devraitfaire l’objet d’un débat plus large, notamment en y incluant la Ville deLuxembourg. Une telle redistribution des cartes donnerait alors à cette der-nière l’opportunité d’endosser un rôle plus actif dans l’invention d’une gou-vernance métropolitaine transfrontalière.

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