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TEATRO E IMAGENS
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Méthodologie et critique des sources iconographiques: quelques exemples

Mar 05, 2023

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TEATRO E IMAGENS

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TEATRO E IMAGENS

Actas do 1.º Encontro OPSIS

Base Iconográfica de Teatro em Portugal

Edições Colibri.Centro de Estudos de Teatro

da Faculdade de Letras da Universidade de Lisboa

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Biblioteca Nacional de Portugal – Catalogação na Publicação

ENCONTRO OPSIS – BASE ICONOGRÁFICA DE TEATRO EM PORTUGAL, 1, Lisboa, 2010

Teatro e imagens : actas / 1º Encontro OPSIS… ; [org.] Faculdade de Letras da Universidade de Lisboa. – (Extra-colecção)

ISBN 978-989-689-241-8

I – UNIVERSIDADE DE LISBOA. Faculdade de Letras

CDU 792.04 061.3

Título: Teatro e Imagens – Actas do 1.º Encontro OPSIS Base Iconográfica de Teatro em Portugal

Organização: Maria João Brilhante, Paula Magalhães e Filipe Figueiredo

Edição: Edições Colibri / Centro de Estudos de Teatro da Faculdade de Letras da Universidade de Lisboa

Depósito legal n.º 329 514/11

Este trabalho é financiado por fundos nacionais através da FCT-Fundação para a Ciência e Tecnologia no âmbito do projecto

OPSIS – Base Iconográfica de Teatro (PTDC/EAT/69595/2006)

Lisboa, 2011

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ÍNDICEÍNDICE__________

Apresentação ............................................................................................. 7

OPSIS a meio caminho... Maria João Brilhante ................................................................................... 9

UT PICTURA THEATRUM. Retórica e teatralidade na pintura portuguesa dos séculos XVI a XVIIIVítor Serrão ................................................................................................. 15

I ritratti delle attrici della Commedia dell’Arte: ricerche recentie problemi di método Maria Ines Aliverti ...................................................................................... 25

Méthodologie et critique des sources iconographiques:quelques exemples Renzo Guardenti ......................................................................................... 43

Eleonora Duse em Lisboa: rastos iconográficos Maria Virgílio Cambraia Lopes .................................................................. 61

Folhas de rosto das edições quinhentistas do teatro João Nuno Sales Machado .......................................................................... 73

Reflexões sobre os primórdios da fotografia de teatro em Portugal Filipe Figueiredo ......................................................................................... 85

Introdução ao estudo do Teatro D. Pedro V de Macau:a influência portuguesa no primeiro teatro de raiz italiana na China Daniel Rosa ................................................................................................. 99

Imagens para uma história dos teatros de feira em Portugal Paula Magalhães ....................................................................................... 107

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METHODOLOGIE ET CRITIQUE DES SOURCES ICONOGRAPHIQUES: QUELQUE EXEMPLES

Renzo Guardenti(Universitá degli Studio di Firenze)

1. Iconographie théâtrale et conscience méthodologique

L’art du théâtre et son histoire reposent sur la notion d’image. La na-ture visuelle de cet art et la nécessité d’une histoire fondée sur les images constituent un noeud qui, encore aujourd’hui, est très loin d’être retranché, bien que les études théâtrales aient bénéficié, à ce propos, d’évolutions méthodologiques très importantes. La notion du théâtre ‘art visuel’ aussi bien que les beaux-arts1, et aussi l’affirmation que «sans l’histoire de l’art, l’histoire du théâtre risquerait d’être une discipline sans objet»2, devraient laisser le champ libre à la reconnaissance d’un statut artistique spécifique et, en même temps, devraient faire considérer certaines perspectives de recherche comme définitivement acquises. Et cependant le caractère éphé-mère des arts du spectacle contraint l’historien dans sa myopie méthodolo-gique et l’oblige, non pas à un acte de courage, mais à rechercher la voie la plus facile et directe, et à prendre en considération, assez fréquemment, le seul donné certain, celui du texte. Par contre, dans les dernières cinquante années, l’historiographie théâtrale la plus moderne et la plus avertie a dé-montré que, faute d’une oeuvre d’art durable (le monument), le théâtre laisse des traces qui appartiennent de leur propre droit à d’autres domaines artistiques que le théâtre: il s’agît donc d’autres monuments (littéraires, architecturaux, visuels) qui peuvent être considérés comme des documents pour l’histoire du spectacle3: les textes dramatiques, certes, mais aussi les

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Teatro e Imagens, Lisboa, Edições Colibri/Centro de Estudos de Teatro, 2011, pp. 43-60

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chroniques des spectacles et les traités théoriques et normatifs, les pièces archéologiques et architecturales, les figurations qui dérivent directement du contexte théâtral (esquisses et maquettes de décors, esquisses de cos-tumes et de la machinerie théâtrale) et celles qui proviennent du domaine exclusif des beaux-arts et qui ‘parlent’ théâtre, même si elles n’ont pas été réalisées ni en fonction d’un spectacle ni de sa mémoire.

Raconter l’histoire du théâtre et du spectacle à travers les images est une entreprise aussi fascinante qu’impossible. De plus, cela peut signifier plusieurs choses: cela peut signifier l’individuation et la disposition le long d’un parcours chronologique de la présence du théâtre dans les beaux arts, depuis les premières peintures sur vases dédiées au théâtre grec jusqu’aux peintures sur bois ou toile, des dessins aux arts plastiques, de la photogra-phie aux modernes images numériques; cela peut consister dans la recons-truction de certaines formes scéniques ou d’un spectacle spécifique; cela peut comporter l’étude de la théâtralité en tant que phénomène esthétique qui dépasse les planches et les coulisses et se diffuse dans l’immaginario collectif d’un pays, d’une époque, d’une civilisation ou, enfin, cela peut consister dans le rétablissent de l’univers culturel qui a déterminé certains événements théâtraux, avec la mise en lumière du réseau des rapports (politiques, philosophiques, idéologiques, matériaux) entre les commet-tants, les écrivains, les metteurs en scène, les artisans et tous les artistes qui ont contribué à la réalisation du spectacle ou à la perpétuation de sa mémoire.

Mais une histoire du théâtre et du spectacle par images entraîne aussi une conscience méthodologique qui se dispose sur plusieurs niveaux. Il faut considérer que l’utilisation des sources visuelles sur le spectacle né-cessite avant tout de la mise à point, et d’une façon convaincante, de la no-tion de répertoire avec toutes les implications concernant le repérage des images, leur organisation dans des ensembles cohérents à partir des chro-nologies, des typologies de spectacle et des affinités thématiques ou tech-niques, leur catalogage du point de vue de la spécificité théâtrale du docu-ment, leur jouissance sur la base de banques de données informatisées4. De plus, on doit avoir conscience que l’étude de documents visuels ne peut pas se passer de prendre en considération toutes les différentes sources sur le théâtre (littéraires, d’archives, architecturales) et que, même s’il existe, dans le monde académique, une discipline répondant au nom d’iconogra-phie théâtrale, elle n’épuise pas toutes les possibilités de recherche, devant se ranger dans le cadre plus général de l’histoire du théâtre et du spectacle. Mais une histoire du théâtre à travers les images présuppose surtout une connaissance des typologies iconographiques, en raison de l’intention avec

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laquelle le document a été réalisé. Voyons-en donc quelques exemples, mais avec l’avertissement que chaque parcours historique par images est tout à fait arbitraire, parce qu’on doit nécessairement choisir parmi des mil-liers de sources iconographiques: il s’agit d’un travail tendancieux parce que, comme le disait Jacques Le Goff, le document n’est jamais inoffensif, puisqu’il est aussi le résultat d’un choix effectué par l’historien5.

2. L’illustration théâtrale

Parmi les différentes typologies documentaires concernant le spec-tacle, les illustrations théâtrales semblent être les moins problématiques, puisqu’elles illustrent, justement, un texte. Mais en réalité ces images

sont suspendues entre deux tendances opposées: celle de présenter les événements et les personnages d’un drame comme s’ils étaient réels (ou fantasques) d’une façon semblable aux illustrations d’un texte littéraire, et celle de les concevoir, par contre, comme les acteurs et les actions d’un drame qui a été, ou qui pourrait être mis en scène: c’est-à-dire à travers le filtre d’un souvenir du théâtre, ou d’une rêverie théâtrale6.

Cette réflexion de Cesare Molinari nous révèle la complexité et l’arti-culation du problème. Pour toutes ces deux tendances se pose avant tout la question du ‘sujet’ de la figuration: il s’agit d’un moment précis d’un drame ou d’un moment également précis d’un spectacle? Il s’agit d’une synthèse du texte ou du spectacle? Ou, encore, de plusieurs scènes du drame ou du spectacle? Et dans le cas où l’illustration montre des traces évidentes d’une situation scénique il faudra déterminer si l’image se rapporte à un événe-ment qui a été effectivement réalisé ou si cette même image préfigure, à la manière d’un manifeste visuel, l’idée d’un théâtre possible.

Mais l’illustration théâtrale nous pose aussi d’autres questions:

«Quand une image (ou une série d’images) est jointe à un texte drama-tique (joué ou non), quel niveau du texte l’image rend-elle visible?»7. Les modalités de représentation d’un sujet introduisent, selon Martine de Rou-gemont, plusieurs possibilités, puisqu’on doit distinguer entre figuration «théâtrale», «dramatique», «narrative», «didactique», «iconologique», «décorative»8. L’adoption de ce schéma interprétatif est nécessaire non seulement pour des sujets qui illustrent directement la situation du drame ou reproduisent des fragments ou des synthèses de l’action scénique, mais aussi pour des images destinées à l’illustration d’œuvres qui appartiennent aux différents genres dramatiques, lesquels pourraient même influencer la

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structure de la composition de l’image9. Et on pourrait aussi arriver à dire, avec une argumentation en gros, que les gravures publiées dans les éditions illustrées de la dramaturgie tragique tendent à la visualisation des épisodes et des thèmes du texte, tandis que celles des éditions des oeuvres comiques nous donnent assez plus fréquemment des renseignents concernant aussi la dimension du spectacle (Figs. 1-2).

Fig. 1 Domenico Paladini, Giovanni Canocchi, Frontispice pour Fedra tragedia di Monsieur

Racine, 1750, gravure. Roma, Biblioteca Nazionale Centrale Vittorio Emanuele II.

Fig. 2 François Verdier, Franz Ertinger, Frontispice pour Arlequin Mercure Galant di Nolant de Fatou-ville, dans Evaristo Gherardi, Le Théâtre Italien de Gherardi, ou Le Recueil général de toutes les Comé-dies et Scènes françoises jouées par les Comédiens Italiens du Roi pendant tout le temps qu’ils ont été au service, Paris, Cusson et Witte, 1700, t. I, gravu-re. Paris, Bibliothèque Nationale de France.

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On a parlé jusqu’ici de l’illustration du livre. Cette notion cependant peut être aussi appliquée à une autre typologie de monuments figuratifs, ceux qui illustrent une pièce sans toutefois accompagner un texte dra-matique. C’est le cas du célèbre tableau de William Hogarth intitulé La Tempête (Fig. 3), qui représente la deuxième scène du premier acte de la pièce homonyme de Shakespeare: Ferdinand vient d’arriver sur l’île après le naufrage et fait la révérence à Mirande, en présence de Prospère et de Caliban, pendant que Ariel, habillé en Amour et avec un luth à la main, regarde la scène assis sur un rocher. Le tableau reproduit exactement la situation du texte, même si le personnage d’Ariel a été réinterprété de ma-nière allégorique. Mais cette image revêt une importance remarquable si l’on pense que La Tempête fut assez peu représentée dans les théâtres de la Restauration, tandis que The Tempest: or the Inchanted Island, la version en musique de Shawdell sur adaptation de Dryden et Davenant (1660), obtenait un grand succès.

Sur la base de ces considérations, ce qui se présentait comme une ty-pologie documentaire apparemment compacte et homogène se configure, au contraire, comme une entité tentaculaire qui nous oblige, par rapport aux nombreuses déclinaisons dont elle se compose, à des perspectives ana-lytiques très différentes.

Fig. 3 William Hogart, The Tempest, 1735 env., huile sur toile. Wakefield, Nostell Priory.

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3. L’imagination théâtrale: théâtres en forme de tableau

L’histoire du théâtre se base souvent sur de véritables apparitions. Le théâtre, en effet, ne se manifeste pas seulement par l’édification de bâtiments théâtraux, par des pratiques concernant l’acteur ou la mise en scène, ou par son enracinement dans un contexte social bien déterminé: il y a aussi un théâtre qui n’a jamais été réalisé, dont il est possible saisir les potentialités dans une myriade de projets avortés, qui ne trouvent pas leur sens dans une matérialisation scénique, mais plutôt dans la capacité d’influencer et modeler les créations futures. C’est le cas, par exemple, d’Antonin Artaud, dont l’activité a été marquée plus par la théorie que par la pratique, avec une capacité d’évocation de l’univers théâtral en termes presque métaphysiques.

Il y a un théâtre qui trouve son espace vital uniquement dans une dimension littéraire qui coïncide seulement en partie avec la dramaturgie: il s’agit de l’univers du roman théâtral, où se manifestent les vicissitudes et les misères de la vie des hommes de théâtre, l’aura légendaire d’une vie théâtrale du passé, les parcours à travers lesquels se forme une vocation théâtrale. Scarron, Gauthier, Goethe, Bulgakov ont contribué à la création de cet espace. Et il y a aussi un théâtre qui vit dans la dimension de l’his-toriographie, créé sur la base de l’imagination, des apories, des recherches des savants, un théâtre où l’interprète – l’historien – remplit une fonction créatrice. Il s’agit donc d’une série d’approches et de méthodologies diffé-rentes, mais qui font toutes référence à une ‘idée de théâtre’ qui peut aussi ne pas se réaliser sur la scène: faire du théâtre peut donc vouloir dire tout simplement l’imaginer10.

Trois images célèbres. La première est le frontispice de l’édition des comédies de Térence publiée à Strasbourg en 1496 (Fig. 4). La xylographie représente un théâtre, conçu comme un bâtiment en style gothique, com-posé par deux petits balcons circulaires superposés qui laissent entrevoir de nombreux spectateurs: l’un converse aimablement, l’autre se penche au balcon et montre ce qui se passe en bas, l’autre encore qui regarde peut-être un hypothétique panorama. La base du Theatrum est constituée par trois édicules placées les unes à côté des autres – semblables à la tripartition de la scaenae frons du théâtre romain – avec d’autres spectateurs derrière. Au premier plan, devant le théâtre, des acteurs habillés avec des costumes du XVe siècle s’exhibent avec une gestualité extrêmement mesurée.

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Fig. 4 Theatrum, dans Terentium, Comoediae, Strasbourg, Grüninger, 1496, gravure sur bois. Wien,

Österreichische Nationalbibliothek.

La deuxième image est le célèbre tableau Comédiens Italiens de Jean Antoine Watteau (Fig. 5)11. Devant une structure architectonique, interrom-

Fig. 5 Jean Antoine Watteau, Comédiens Italiens, 1720 env., huile sur toile. Washington, National Gallery of Art.

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pue par la retombée rougeâtre d’un rideau, se rangent des personnages de la Commedia dell’Arte. Mezetin se penche langoureusement vers une ser-vante; Arlequin est saisi dans un geste typique, avec une main au chapeau et l’autre sur la hanche; Gilles (ou Pierrot), au centre de la scène, avec un air exsangue et maladif, est presque figé au garde-à-vous; à son côté l’Amoureuse, le beau visage et le décolleté pâlis par la poudre. À droite, un vieux, peut-être Pantalon, s’appuyant sur une canne, regarde la scène curieux et étourdi. Au premier plan, sur les marches qui délimitent la partie inférieure du tableau, apparaissent deux enfants et Momus qui berce amou-reusement sa marotte; derrière ses épaules un joueur de guitare aux joues rubicondes; au centre un Amoureux présente toute la troupe avec un ample geste; devant ses pieds un sarment de roses, jeté sur les marches, peut-être un hommage avant la fermeture du rideau.

Le troisième exemple est le tableau Titania Awakes d’Henry Fuseli (Fig. 6). Dans l’obscurité du bois Titania est en train de se réveiller tendre-ment serrée à Bottom à la tête d’âne. Fleur-de-Pois gratte la tête à Bottom, tandis que sur la droite Toile d’Araignée, avec l’armure, transperce une abeille pour offrir à Bottom une goutte de miel. Une fée qui joue du luth volette autour de Bottom; en bas des musiciens et des danseurs fantas-tiques, dont un ressemble aux personnages callotiens. Au deuxième plan,

Fig. 6 Henry Fuseli, Titania Awakes, 1785-1789, huile sur toile. Winterthur, Kunstmuseum.

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sur la droite, deux fées en habits fin XVIIe siècle; à gauche, Puck regarde la scène sans être vu.

Trois images: un théâtre dont les éléments architectoniques sont fantastiquement réinterprétés; une troupe imaginaire de la Commedia dell’Arte, rangée sur le tableau selon une modalité de composition qui n’est pas différente de celle avec laquelle les anciens comédiens italiens mettaient en scène leurs comédies: il s’agit de la dramaturgie du peintre; le début du quatrième acte du Songe shakespearien illustré dans son at-mosphère magique, rassemblant deux moments de la même scène: et on pourrait se demander si les deux fées en habit de dame de cour sont peut-être deux actrices.

Ces figurations appartiennent à l’espace de l’esprit, sont le résultat de différentes imaginations du théâtre. Un théâtre dont on peut saisir seule-ment en partie les liaisons avec une pratique réelle, mais qui se range dans une dimension au second degré, à un niveau métaphorique. Ces théâtres de l’imagination ou de la mémoire trouvent leur consistance phénomé-nale dans le patrimoine iconographique et peuvent être considérés comme des documents crédibles de l’image mentale produite par un certain type de théâtre non seulement sur les véritables témoins d’un spectacle, mais surtout sur ceux qui ont regardé ce théâtre de loin, à travers le filtre d’une mémoire sédimentée dans des séries hétérogènes d’objets artistiques: le joyeux cauchemar architectonique du graveur du Térence de Strasbourg, les apparitions oniriques de Watteau, la magie sombre et sensuelle des ta-bleaux shakespeariens de Fuseli.

Ces exemples montrent donc que la notion de document théâtral de-vient de plus en plus ample, et on doit peut-être repenser sérieusement le postulat selon lequel le théâtre ne laisse pas de monuments. Si, comme nous suggère Ferdinando Taviani12, faire du théâtre ne se limite pas seulement à la production de textes dramatiques, de spectacles, ou à l’actualisation de théories ou de poétiques mais signifie réfléchir sur et penser théâtre, même au niveau de l’historiographie – il s’agit du «théâtre que nous avons dans l’esprit»13, comme le disait Fabrizio Cruciani – est alors évident que les rêves de Watteau (Fig. 7), les architectures déformées de Cesare Cesa-riano (Fig. 8), la sérialité angoissante des Polichinelles de Tiepolo (Fig. 9), ne sont que du théâtre, déterminé par la ré-vision et par l’interprétation de données qui proviennent d’un espace mnémonique qui s’enracine dans les régions les plus reculées et les plus troublantes de l’inconscient. Il s’agit, en somme, de monuments tangibles dans leur intégrité, dont on peut jouir dans la synchronie de leur présence: il s’agit, donc, de théâtres en forme de tableau.

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Fig. 7 Jean Antoine Watteau, Le rêve de l’artiste, 1707-1709 (?), huile sur toile. Angleterre,

Collection particulière.

Fig. 8 Cesare Cesariano, Théâtre, dans Di Lucio Vitruvio Pollione, De Architectura Libri Decem, Como, Gottardo da Ponte, 1521, gravure. Milano, Biblioteca Melziana.

Fig. 9 Giandomenico Tiepolo, La cavalcata dei Pulcinella, 1793-1797 env., fresque. Venezia, Ca’ Rezzonico.

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4. Le portrait d’acteur

Dans une collection anglaise particulière il y a un tableau de Sir Jos-hua Reynolds (Fig. 10), le père de l’art du portrait moderne, comme il a été nommé. On y représente une jeune femme, presque encore une fille qui, assise de travers sur une chaise, apparaît en face de l’observateur. Elle s’appuie avec un bras sur le dossier de la chaise, l’autre main sur la bouche, le pouce qui caresse ses lèvres. L’habit XVIIIe siècle semble assez riche, orné d’une large collerette de dentelle. Ses yeux regardent dans le vide: la jeune fille est en train de rêver quelque chose, ou, peut-être, son esprit flâne dans le rien. Il ne s’agit pas d’un portrait académique, même s’il est complètement détaché du milieu: le sujet n’est pas «en pose», mais il a été saisi dans une attitude privée: l’instantanée du peintre a de quelque façon violé son intimité pour nous raconter la petite histoire d’un moment très commun de l’âme et non seulement de celle des filles. Même en regardant le tableau plus attentivement, on ne pourrait ajouter rien d’autre sur son sujet. Mais en haut sur la gauche il y a une inscription: «Mrs. Abington», et la précieuse étiquette précise: «Mrs. Abington as Miss Prue in Love for Love». Il s’agit donc d’une actrice, la célèbre Frances Abington crayonnée au théâtre dans le rôle d’un personnage de Congreve14.

Fig. 10 Joshua Reynolds, Frances Abington dans le rôle de Miss Prue, 1771, huile sur toile. New Haven, Ct., USA,

Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection.

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Ce passage de Cesare Molinari aborde l’un des sujets les plus contro-versés de l’iconographie théâtrale. Domaine de recherche apparemment neutre et inoffensif, le portrait d’acteur cache en réalité des pièges dange-reuses liées à une analyse instinctive et épidermique. Comme l’a démontré Maria Ines Aliverti15 cette typologie documentaire se caractérise par une double déclinaison: d’un côté le «portrait idéal», de l’autre «l’image de l’instant». La particularité de la première catégorie «est celle de se mani-fester en absence du théâtre»16, du moment que l’image se structure sur des éléments allégoriques et universels, dont le

caractère métaphorique en rend difficile l’utilisation dans une pers-pective qui vise à la reconstruction historique d’une activité théâtrale concrète à partir de différentes sources. […] Et cependant cette absence de théâtre ne nous dispense pas de nous interroger sur le véritable rap-port que ces images entretiennent avec le théâtre: qu’il s’agisse de por-trait à figure entière, […] ou qu’il s’agisse de visages ou de premiers plans saisis dans des attitudes d’une précise intensité expressive – et que jamais un spectateur authentique peut avoir eu la possibilité de voir de si près – les acteurs des portraits […] grâce à l’absence d’ap-parentes médiations avec le théâtre matériel, répandent une séduction pernicieuse qui s’étend d’un portrait à d’autres portraits, se proposant comme des synthèses ou des galeries fantastiques de sentiments, de comportements, d’attitudes théâtrales17.

On pourrait dire la même chose à propos de certains portraits parti-culiers, ceux qui représentent des acteurs dans une dimension domestique, sans aucun lien avec leur activité scénique: et comment ne pas s’abandon-ner à la suggestion provoquée par le geste pensif d’Eleonora Duse (Fig. 11) dans le célèbre tableau de Gordigiani?

La deuxième catégorie de portraits, «l’image de l’instant», fixe des fragments d’action scénique, des gestes, des attitudes, des poses et des ex-pressions mimiques tantôt sur le papier, tantôt sur la toile, ou sur la pelli-cule photographique. Cette catégorie d’images, né au sein de l’esthétique du XVIIe siècle, répond à la nécessité de surmonter la nature éphémère du théâtre: c’est ce qui permet à l’acteur occidental de survivre, en arrêtant des instants autrement destinés à l’oubli. Mais l’association de ce portrait à une dimension scénique n’a toujours pas été possible: comme l’a montré Ce-sare Molinari, parfois la théâtralité du tableau est certifiée par des éléments non-picturaux ou complètement extérieurs à la figuration.

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Fig. 11 Edoardo Gordigiani, Eleonora Duse, 1896, huile sur toile. Roma, Biblioteca e Raccolta Teatrale del Burcardo.

On sait que l’art du portrait d’acteur se développa pleinement en France et en Angleterre au XVIIIe siècle, surtout autour de ces icônes vi-vantes telles que M.lle Clairon (Fig. 12) et David Garrick (Fig. 13), jusqu’à arriver, pendant le XIXe siècle, à une véritable production intensive

Fig. 12 Carle Van Loo, Laurent Cars, Jacques Firmin Beauvarlet, Hippolyte de la Tude Clairon.

Vme Acte de Médée. Gravure donnée par le Roy à Mlle Clairon, 1764, gravure. Paris, Bibliothèque Nationale de France, Département des Estampes.

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Fig. 13 William Hogarth, David Garrick dans le rôle de Richard III, 1746 env., huile sur toile. Liverpool,

Walker Art Gallery.

d’images, notamment à partir de l’avènement de la photographie. Pendant le XIXe siècle, le ton allégorique des portraits idéaux est remplacée par des éléments relatifs à la dimension scénique et à la dimension quotidienne, en parallèle à l’affirmation du vedettariat et au consolidement de l’industrie du spectacle, avec des contaminations aussi ambiguës qu’intéressantes: c’est le cas de Sarah Bernhardt, dont les images sont assez souvent le signe d’une osmose continuelle entre vie scénique et vie privée (Fig. 14-15).

Fig. 14 George Antoine Rochegrosse, Sarah Bernhardt, 1894, huile sur toile. Collection particulière.

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Fig. 15 Nadar, Sarah Bernhardt dans le rôle de Doña Sol, 1877 env., photographie. München, Deutsches Theatermuseum.

5. Théâtre et images: le rêve de l’histoire

L’attitude envers l’iconographie théâtrale a été toujours caractérisée par la prudence, voire par une insuffisante confiance dans la documentation figurative, assez souvent utilisée selon une perspective purement illustra-tive, ou bien, à l’opposé, ce type de sources ont constitué le nœud épis-témologique d’une contextualisation historique et culturelle des activités spectaculaires, avec une prééminence particulière réservée aux sources fi-guratives indirectes. C’est le cas, par exemple, de Ludovico Zorzi18, pour lequel le spectacle, même s’il est défini dans ses éléments constitutifs et techniques, n’est pas le cible de l’historien, mais il s’agit plutôt d’un point de départ pour la reconstruction de l’univers culturel dont le microcosme théâtral est, à travers le réperage des motifs allégoriques et des matrices idéologiques à la base de sa réalisation, une partie plus ou moins considé-rable. Il en résulte que, si l’image du cadre est particulièrement vive, celle du tableau demeure floue.

Et cependant, même le spectacle, considéré globalement, et le jeu des acteurs peuvent devenir l’objet privilégié de la recherche, un objet qui souvent se précise sur des bases purement hypothétiques, ‘re-construit’ à

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partir d’indices hétérogènes laissés par le passage éphémère d’acteurs, de scènes, de spectacles. L’histoire du spectacle peut (et doit) devenir imagi-nation, une imagination qui, tout en étant «le contraire de la science», doit être en tout cas fondée sur des documents analysés de façon critique par l’historien19.

Une idée semblable d’histoire du théâtre provoque inévitablement des résistances, à cause de l’inexorable dissolution de l’événement théâ-tral: pour d’autres savants l’histoire du théâtre est concevable uniquement comme une histoire où les sources seraient «non pas le document de l’objet de recherche, mais l’objet même20» et par conséquent quand on cherche à retracer une «histoire des théâtres des acteurs, ce qu’il en résulte ne peut être qu’une danse sur le vide21». Si l’on accepte cette formulation, il est absolument évident que, même si l’ampleur des typologies documentaires demeure inaltérée, les possibilités de leur utilisation en résultent particu-lièrement réduites. Cette limitation apparaît de manière plus évidente dans le cas de la documentation iconographique, dont l’utilisation comporte l’individuation de la limite des possibilités d’information et de contex-tualisation du document: plus ce seuil baisse, moins on donne de valeur et de crédibilité documentaire au monument figuratif, avec le résultat de rétrécir la gamme des perspectives analytiques. Il ne s’agit pas de s’appro-cher aux sources sur la base d’un fétichisme documentaire de dérivation positiviste22, il s’agit plutôt, après avoir retracé la mappe documentaire et le réseau de correspondances entre les différentes sources, de s’appro-cher aux documents dans le but de justifier la démarche imaginative qui vise à la reconstruction de ‘l’idée d’un théâtre possible’. Il s’agit, en effet, du défi auquel chaque historien est appelé, étant donné l’évident caractère fragmentaire des traces de la mémoire du passé: il s’agit de combler les vides, les lacunes, et de recréer – inventer – sur des bases conjecturales l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac23. C’est, tout compte fait, ce rêve de l’histoire dont parlait Georges Duby24: seulement de cette façon, peut-être, les ombres et les silhouettes du tableau pourront être aussi vifs que les vo-lutes et les ciselures du cadre.

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Notas

1 Cfr. Carlo Ludovico Ragghianti, Cinema e teatro, dans, Arti della visione. II. Spettacolo, Torino, Einaudi, 1976, pp. 5-35.

2 Ludovico Zorzi, “Figurazione pittorica e figurazione teatrale”, dans Storia dell’arte italiana. I. Questioni e metodi, Torino, Einaudi, 1979, pp. 419-463.

3 Pour ce qui concerne les notions de document et de monument voir Jacques Le Goff, Documento/Monumento, dans Enciclopedia Einaudi, Torino, Einaudi, 1978, vol. V, pp. 38-48.

4 C’est le cas de l’Archive informatisée d’iconographie théâtrale Dionysos dirigée par Renzo Guardenti dans le Dipartimento di Storia delle Arti e dello Spettacolo de l’Università degli Studi di Firenze, maintenant disponible en DVD: Diony-sos Archivio di Iconografia teatrale (Dionysos Theatre Iconography Archive), Corazzano (Pisa), Titivillus Edizioni, 2006. Cette archive, qui contient plus de 21.000 images concernant les arts du spectacle de l’antiquité à la première moi-tié du XXe siècle, se base sur un système de catalogage qui privilégie la spéci-ficité théâtrale des documents: cfr. Renzo Guardenti, “Prima del software: note di metodo per un repertorio generale informatizzato dell’iconografia teatrale”, dans Quindi, n. 17, 1997, pp. 42-45; Id. “Teatro e iconografia: un dossier”, in Teatro e Storia, n. 25, 2004, pp. 10-101.

5 Cfr. Le Goff, Documento/Monumento, op. cit., pp. 44-46. 6 Cesare Molinari, “Un teatro immaginario per Goldoni”, préface à Carlo Gol-

doni. Il teatro illustrato nelle edizioni del Settecento, Venezia, Marsilio, 1993, p. XIII.

7 Cfr. Ivi, pp. 122-123. 8 Cfr. Ivi, pp. 127-137. 9 Cfr. Ivi, pp. 13-14.10 Cfr. Watteau 1684-1721, Paris, Editions de la Réunion des Musées Nationaux,

1984, fig. 71, p. 441.11 Cfr. Ferdinando Taviani, Uomini di scena uomini di libro. Introduzione alla

letteratura teatrale italiana del Novecento, Bologna, il Mulino, 1995, pp. 211- -232.

12 Fabrizio Cruciani, Lo spazio del teatro, Roma-Bari, Laterza, 1992, pp. 11-45.13 Cesare Molinari, “Presentazione” à Teatro e arti figurative, dans Quaderni di

Teatro, n. 14, maggio 1981, p. 3.14 Maria Ines Aliverti, “Presentazione” à Ritratto d’attore, dans Quaderni di

Teatro, n.28, maggio 1985, pp. 3-7.

Méthodologie et critique des sources iconographiques: quelques exemples

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15 Ivi, p. 4.16 Ibidem.17 Cfr. Ludovico Zorzi, Il teatro e la città, Torino, Einaudi, 1977; Ludovico Zorzi,

Carpaccio e la rappresentazione di Sant’Orsola, Torino, Einaudi, 1988.18 Cesare Molinari, L’attrice divina. Eleonora Duse nel teatro italiano fra i due

secoli, Roma, Bulzoni, 1985, p. 12.19 Ferdinando Taviani, “Presentazione” à Le visioni del teatro, dans «Quaderni di

teatro», anno IV, n. 16, maggio 1982, pp. 3-11. 20 Ibidem.21 Marco De Marinis, Capire il teatro. Lineamenti di una nuova teatrologia, Firen-

ze, La casa Usher, 1988, p. 42.22 Cfr. Lucien Febvre, “Dal 1892 al 1933: esame di coscienza di una storia e di uno

storico”, in Problemi di metodo storico, Torino, Einaudi, 1976, p. 73.23 Georges Duby, Il sogno della storia. Un grande storico contemporaneo a collo-

quio con il filosofo Guy Lardreau, Milano, Garzanti, 1986, 38-51.

Metodologia e crítica das fontes iconográficas: alguns exemplosO presente estudo defende a pertinência da utilização de imagens como fonte e ferramenta privilegiada para o estudo das artes do espectáculo. Esta metodologia é sustentada através da exposição de diferentes exemplos de documentos dentro da iconografia teatral, tais como as ilustrações teatrais ou os retratos de actores, na sua diversa relação com o teatro ou com uma “ideia” de teatro como sonho do historiador. KeywordsIconografia | Teatro | Metodologia

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