Top Banner
Arthur Muller Megarika In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 106, livraison 1, 1982. pp. 379-407. περίληψη — VIII : ναφορά στήν Κώμη της Έρήνειας (Παυσανίας, Ι, 44, 5) περιέχει μερικές πονοούμενες νδείξεις πού πιτρέπουν νά τοποθετήσουμε ατό τό χωριό στό βορειοδυτικό τμμα τς Μεγαρίδας, στήν περιοχή πού βρίσκονται τά δύο Βαθυχώρια. Ατοί ο πολύ εφοροι συνοικισμοί προσέλκυσαν ναν γροτικό πληθυσμό κατανεμημένο σέ ραιή γκατάσταση καί προστατευμένο πό πύργους τοποθετημένους κατά μκος τς ρτηρίας Μεγάρων-Θηβν. Τά λείψανα μαρτυρον οκισμό πό τόν πέμπτο αώνα π.Χ. μέχρι τν στερη ατοκρατορική ποχή. — IX : Ό « βράχος τν Μήδων », ερός τόπος τν Μεγάρων (Παυσανίας, Ι, 44, 4), πρέπει νά τοποθετηθε στήν περιοχή τν Παγν κοντά στό Άλεποχώρι καί χι σ' ατήν το Τριποδίσκου, πως γινόταν κατά παράδοση παρά τήν στορική καί γεωγραφική ληθοφάνεια. Résumé — VIII : La mention de la komè d'Eréneia (Pausanias, I, 44, 5) contient quelques indications implicites qui invitent à placer ce village dans le Nord-Ouest de la Mégaride, dans la région des deux Vathychoria. Ces poljés très fertiles ont attiré une population agricole répartie dans un habitat semi-dispersé, à l'abri de tours placées le long de la route Mégare- Thèbes ; les vestiges attestent une occupation depuis le Ve s. av. J.-C. jusqu'à l'époque impériale tardive. — IX : La « falaise des Perses », haut-lieu mégarien (Pausanias, I, 44, 4), est à situer sur le territoire de Pagai, près d'Alepochori, et non celui de Tripodiskos, comme on le faisait traditionnellement, contre toute vraisemblance -historique et géographique. Citer ce document / Cite this document : Muller Arthur. Megarika. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 106, livraison 1, 1982. pp. 379-407. doi : 10.3406/bch.1982.1920 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_1982_num_106_1_1920
30

Megarika VIII, IX (1982)

Jan 10, 2023

Download

Documents

Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Megarika VIII, IX (1982)

Arthur Muller

MegarikaIn: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 106, livraison 1, 1982. pp. 379-407.

περίληψη— VIII : ναφορά στήν Κώμη της Έρήνειας (Παυσανίας, Ι, 44, 5) περιέχει μερικές πονοούμενες νδείξεις πού πιτρέπουν νάτοποθετήσουμε ατό τό χωριό στό βορειοδυτικό τμμα τς Μεγαρίδας, στήν περιοχή πού βρίσκονται τά δύο Βαθυχώρια. Ατοί ο πολύεφοροι συνοικισμοί προσέλκυσαν ναν γροτικό πληθυσμό κατανεμημένο σέ ραιή γκατάσταση καί προστατευμένο πό πύργουςτοποθετημένους κατά μκος τς ρτηρίας Μεγάρων-Θηβν. Τά λείψανα μαρτυρον οκισμό πό τόν πέμπτο αώνα π.Χ. μέχρι τν στερηατοκρατορική ποχή. — IX : Ό « βράχος τν Μήδων », ερός τόπος τν Μεγάρων (Παυσανίας, Ι, 44, 4), πρέπει νά τοποθετηθε στήνπεριοχή τν Παγν κοντά στό Άλεποχώρι καί χι σ' ατήν το Τριποδίσκου, πως γινόταν κατά παράδοση παρά τήν στορική καίγεωγραφική ληθοφάνεια.

Résumé— VIII : La mention de la komè d'Eréneia (Pausanias, I, 44, 5) contient quelques indications implicites qui invitent à placer cevillage dans le Nord-Ouest de la Mégaride, dans la région des deux Vathychoria. Ces poljés très fertiles ont attiré une populationagricole répartie dans un habitat semi-dispersé, à l'abri de tours placées le long de la route Mégare- Thèbes ; les vestigesattestent une occupation depuis le Ve s. av. J.-C. jusqu'à l'époque impériale tardive. — IX : La « falaise des Perses », haut-lieumégarien (Pausanias, I, 44, 4), est à situer sur le territoire de Pagai, près d'Alepochori, et non celui de Tripodiskos, comme on lefaisait traditionnellement, contre toute vraisemblance -historique et géographique.

Citer ce document / Cite this document :

Muller Arthur. Megarika. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 106, livraison 1, 1982. pp. 379-407.

doi : 10.3406/bch.1982.1920

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_1982_num_106_1_1920

Page 2: Megarika VIII, IX (1982)

MEGARIKA'

VIII. Eréneia

Le nom du site mégarien d'Eréneia n'apparaît que deux fois dans les textes anciens. La première mention, longue et a priori peu instructive du point de vue topographique, est celle de Pausanias :

I, 44, 5 Και τόδε δη άλλο ήκουσα εν Έρενεία τη Μεγαρέων κώμη, Αύτονόην την Κάδμου τω τε Άκταίωνος θανάτω, συμβάντι ώς λέγεται, και τη πάση του οϊκου του πατρώου τύχη περισσότερον άλγοΰσαν ενταύθα έκ Θηβών μετοικήσαι * και Αύτονόης μνήμα έστιν εν τη κώμη ταύτη.

Voici une autre tradition que f ai recueillie à Eréneia, un village mégarien: Autonoé, la fille de Kadmos, profondément affligée de la mort d'Actéon, qui arriva de la façon que l'on raconte, et de tous les malheurs de la maison paternelle, se retira de Thèbes et s'établit ici; dans ce village se trouve la tombe a" Autonoé.

Ce passage de la Périégèse est à l'origine de la succincte mention, partiellement fautive1, du même site chez le lexicographe Stéphane de Byzance : Έρινιάτης, κώμη Μεγαρίδος. Παυσανίας α'.

La localisation d'Eréneia2

L'absence totale d'indication topographique explicite dans les textes a bien sûr favorisé la multiplication d'hypothèses quant à la localisation d'Eréneia, hypothèses étayées ou non sur une argumentation plus ou moins convaincante. La première

* Ces notes font suite, sous les numéros VIII et IX, aux notes I à VII parues sous le même titre, dans les BCH 104 (1980), p. 83-92 et 105 (1981), p. 203-225 ; la numérotation des figures prend également la suite de celles des figures de Mégarika I à VII. Irô Athanassiadi a dessiné la figure 13 d'après la Carte administrative de Grèce, feuille 5, et la figure 14 d'après la carte de Grèce au 50 000e (feuilles Kapellarion et Erythrai, Athènes 1976) que j'ai pu consulter grâce à l'obligeance du Service géographique de l'Armée grecque.

(1) Cf. Sarris, ArchEph (1910), p. 151, note 1. (2) J'ai développé une première fois l'hypothèse sur l'emplacement d'Eréneia, qui est le sujet de cette

note VIII, dans un mémoire inédit intitulé Pausanias à Mëgare, soumis à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres fin mars 1980 (voir le rapport de M. J. Pouilloux, CRAI [1980], p. 616). Peu après,

Page 3: Megarika VIII, IX (1982)

380 ARTHUR MULLER [BCH 106

en date est celle du voyageur Leake3 : il pense que la komè doit se trouver sur la route Mégare-Thèbes, qu'il fait passer par le défilé de Kandili, entre le Patéras et le Trikerato, et Éleuthères; il la situe donc à Koundoura (l'actuel Palaiochorio), sur la route moderne Éleusis-Thèbes (fîg. 13). Deux objections majeures permettent d'éliminer d'emblée cette proposition : d'une part, il n'y a, dans la région de Palaiochorio, aucun vestige antique, quoi qu'en dise Pouqueville4, qui reprend cette identification à son compte; d'autre part, cette région appartenait sûrement à l'Attique et non à la Mégaride5.

Gell, sans aucune argumentation, propose pour Eréneia le site anonyme qui se trouve à six kilomètres au Nord-Est de Mégare, sur le Rachi Doskouri, une hauteur détachée du Patéras, à l'Ouest de l'entrée du défilé de Kandili6 (fig. 13). N. Faraklas identifie de son côté ce site avec une autre agglomération de localisation incertaine et discutée, Kynosoura7, l'une des cinq komès primitives du synoecisme desquelles naquit la cité de Mégare8. Sur une surface d'environ 200 m x200 m se distinguent les vestiges d'une agglomération assez dense, entourée d'un mur d'enceirte renforcé de trois tours, construit dans un appareil assez fruste. Les tessons recueillis en surface attestent une occupation depuis l'époque archaïque jusqu'à l'époque romaine. Les environs étaient surveillés par plusieurs tours. L'une, à 100 m vers le Nord, rectangulaire, construite en appareil polygonal, n'est conservée que sur une assise; l'autre, plus éloignée vers le Sud, au lieu-dit Pyrgari, est ronde, construite en appareil rectangulaire et conservée sur près de 1,50 m de hauteur9.

Si Bursian reste sur une prudente réserve (« Stellc ganz unsicher »)10, Milchôfer propose d'identifier Eréneia avec le bourg moderne de Villia, à mi-chemin entre Porto Germeno (l'antique Aigosthènes) et la route moderne Éleusis-Thèbes (fig. 13)11. Son argumentation n'est pas sans intérêt : la komè mégarienne devait se trouver sur la route Thèbes-Mégare, puisqu'Autonoé quittait la Béotie pour la Mégaride; d'autre part, on montrait sur cette même route, dans le Githairon, donc non loin de Villia,

S. Van de Maele, à qui me lient plusieurs expéditions menées en commun en Mégaride, publiait un bref article intitulé « Le site d'Eréneia et la frontière attico-mégarienne » (Phœnix 34 [1980], p. 153-159) qu'il concluait en laissant le choix ouvert, pour l'emplacement d'Eréneia, entre deux sites (infra note 32) ; l'un est celui que je proposais moi-même : nous étions arrivés, indépendamment l'un de l'autre et par une démarche différente, à des conclusions analogues. Le caractère très différent de l'argumentation de S. van de Maele, le fait qu'en dernier ressort, il ne choisissait pas entre les deux hypothèses qu'il proposait, et enfin l'exploration archéologique plus complète que je fis moi-même par la suite m'ont paru justifier la publication de ma propre démonstration dans la série des Mégarika.

(3) W. M. Leake, Travels in northern Greece (1835), II, p. 408. Leake a visité la Grèce en 1804. (4) F. G. H. L. de Pouqueville, Voyage dans la Grèce (1820), IV, p. 133. (5) Cf. U. Kahrstedt, AM 57 (1932), p. 10 et RE XV (1931) s.v. « Megara », col. 164 (Meyer) (désormais

cité : RE XV). (6) W. Gell, The Itinerary of Greece (1819), p. 11. (7) Sakellariou-Faraklas, Μεγαρίς, Αίγόσθενα, Έρένεια, Ancient Greek Ciliés XIV (1972),

p. 22-23 et Annexe 2, p. 1-2. (8) Plutarque, Quaestiones Graecae, 17. (9) Je n'ai jamais visité moi-même ce site ; cette brève description repose sur celle de N. Faraklas

[op. cit., Annexe 2, p. 1-2) et sur une description rapide qui m'a été aimablement communiquée par S. Van de Maele, qui a étudié ces vestiges au printemps 1981. [Voir BCH 105 (1981), p. 778-782, avec les fig. 15-17],

(10) G. Bursian, Géographie von Griechenland (1862), I, p. 382, n. 1. (11) Milchhôfer in Curtius-Kaupert, Karlen von Altika, Erlâutender Texl, IX (1900), p. 39.

Page 4: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 381

• agglomération moderne iu site fortifié antique

frontière antique ,-^3£iaI

Fig. 13. — La Mégaride et le Nord-Ouest de l'Attique.

la « couche d'Actéon » (Pausanias, IX, 2, 3) : il est tentant de penser que le monument de la mère, Autonoé, était situé sur la même route de montagne que celui du fils, Actéon. Il n'y a cependant pas plus de vestiges antiques à proximité de Villia qu'à Koundoura-Palaiochorio, ce qui exclut cette identification a priori séduisante.

L'hypothèse la plus communément admise aujourd'hui est celle de Sarris. Il attribue à Eréneia les ruines du lieu-dit Kastro de Saint-Georges, au fond de la vallée de Koundoura, qu'il fut le premier à explorer et à publier12; le site occupe, à 7,5 km

(12) Description des vestiges : Sarris, ArchEph (1910), p. 151-158, J. R. Me Credie, Foriified Military Camps in Allica {Hesperia Suppl XI [1966]), p. 85-86 et Sakellariou-Faraklas, op. cit., Annexe 2, p. 5-6. L'identification avec Eréneia est acceptée par RE XV, col. 164, Sakellariou-Faraklas, op. cit. et N. Papa- chatzis, Παυσανίου 'Ελλάδος Περιήγησις, Ι (1974), p. 514.

Page 5: Megarika VIII, IX (1982)

382 ARTHUR MULLER [BCH 106

à l'Ouest de la route Oinoè-Mandra, une hauteur (760 m) détachée du versant Sud de la vallée, dominée par le Patéras dont le sommet Elatée culmine ici à 1131 m (fig. 13). Le sommet de cette colline est défendu, vers le Sud, par un long mur de fortification renforcé de trois tours, le tout construit dans un appareil assez fruste de pierres brutes. Au Nord de cette fortification, jusqu'à la chapelle de Saint-Georges, se trouvent d'abondants vestiges d'une agglomération assez importante : affleurements de murs de maisons, murs de terrasse, citernes et nombreux tessons et tuiles. Ces traces d'occupation s'étendent, avec une densité moindre, sur environ 3 km à l'Est de la chapelle, jusqu'à un étranglement de la vallée de Koundoura, protégé par deux tours. Mais un certain nombre d'objections décisives, élevées d'abord par J. R. Me Gredie, reprises et développées récemment par S. Van de Maele, permettent d'écarter l'identification de ce site avec Eréneia13. Ces objections, tirées de considérations géographiques et militaires, peuvent se réduire à deux arguments principaux : la vallée de Koundoura, entourée de toutes parts de hautes montagnes, n'est naturellement ouverte que vers l'Est, c'est-à-dire vers l'Attique, et reste difficilement accessible depuis la Mégaride14; d'autre part, les fortifications sont placées dans cette vallée de façon à prévenir une attaque venant du Sud, donc de la Mégaride, mais laisseraient la vallée et les habitations démunies devant une agression venant d'Attique. La vallée de Koundoura appartenait donc entièrement à l'Attique, la frontière avec la Mégaride passant par la ligne de crête du Patéras, comme on l'admettait d'ailleurs généralement avant la découverte des vestiges en question15. Il faut donc reconnaître en ceux-ci un dème attique encore anonyme16, comprenant une occupation civile sous la protection d'un poste militaire.

Les quatre hypothèses énumérées résultent de deux types de démarches chacune incomplète. L'une, celle de Gell et de Sarris, consiste à plaquer sur des vestiges anonymes un nom connu par les sources littéraires, sans s'inquiéter de la compatibilité; l'autre, celle de Leake et de Milchôfer, procède par une reconstruction théorique de la topographie antique, à partir des routes modernes, sans tenir compte de la présence ou non de vestiges antiques. Outre leurs défauts propres, ces deux démarches présentent le défaut commun d'isoler du reste de la description de la Mégaride le passage mentionnant Eréneia et de considérer a priori que la komè peut se placer n'importe où dans le Patéras, ou même, selon d'autres, n'importe où en Mégaride17. Or il me semble que le contexte où apparaît, dans la Périégèse, la mention d'Eréneia contient quelques indications, implicites et explicites, qui n'ont jamais été relevées, bien que certaines soient évidentes, et qu'il est donc nécessaire de dégager avant de proposer toute nouvelle hypothèse sur l'emplacement de la komè.

La première de ces indications concerne la région où il faut chercher Eréneia. Contrairement à S. Van de Maele, je ne crois pas qu'il soit présomptueux de tirer des

(13) J. R. Me Credie, op. cit., p. 86-87 ; S. Van de Maele, Phœnix 34 (1980), p. 153-159. (14) La liaison directe entre Mégare et le Kastro de Saint-Georges, par-dessus le sommet Élatée (ou

Liondari), dont parlent Sarris, loc. cit., p. 155, RE XV, col. 160 et qui est reproduite sur toutes les cartes de Sakellariou-Faraklas, op. cit., flg. 8 à 20, n'existe pas. Cf. S. Van de Maele, /&i(f., p. 156 et n. 13.

(15) Cf. K. J. Beloch, Klio 11 (1911), p. 438 et U. Kahrstedt, AM 57 (1932), p. 10. (16) Cf. J. S. Traill, The Political Organization of Allica (1975), p. 53 et n. 25. (17) Cf. par ex. RE XV, col. 160.

Page 6: Megarika VIII, IX (1982)

1982J MEGARIKA 383

conclusions topographiques à partir de l'endroit où Pausanias mentionne le site dans son texte18. Le Périégète en effet, ne l'évoque pas « à la fin de son séjour, comme pour être complet »19, mais dans un contexte, celui de la description de la Mégaride, dont l'organisation générale n'est pas indifférente :

— la région côtière au Sud de Mégare (Nisée et Minoa) est rattachée directement et logiquement à la description du Sud de la ville de Mégare (I, 44, 3);

— suit la description du Nord-Ouest de la Mégaride, avec les villes de Pagai et d'Aigosthènes (I, 44, 4-5); cette partie est introduite par une indication générale : Ή δε ορεινή της Μεγαρίδος της Βοιωτών έστιν όμορος : La partie montagneuse de la Mégaride confine au territoire des Béotiens ;

— enfin, Pausanias décrit la route qui mène de Mégare à la frontière corinthienne (I, 44, 6-10), faisant ainsi la jonction avec le livre II, consacré à la Corinthie.

Cette façon de procéder répond évidemment à un souci de clarté et de logique dans les enchaînements topographiques, souci que soulignent les indications générales au début de chaque partie. Aussi serait-il étonnant que le Périégète ait introduit dans cette description des éléments n'entrant pas strictement dans le cadre de l'une de ces trois subdivisions. Le fait que la mention d'Eréneia apparaisse dans la deuxième partie de la description de la Mégaride implique donc, me semble-t-il, que la komè se trouvait, comme Pagai et Aigosthènes, dans les montagnes proches de la Béotie. On pourrait objecter que la phrase d'ouverture de cette partie annonce les descriptions de Pagai et d'Aigosthènes mais non celle d'Eréneia : εν f) Μεγαρεΰσι Παγαί πόλις, ετέρα δέ Αίγόσθενα ωκισται. Il est cependant clair que la komè n'a pas eu droit aux mêmes égards que les villes à la description desquelles elle est annexée. Il faut donc chercher Eréneia dans l'étroite avancée vers la Béotie que forme la partie Nord-Ouest du territoire mégarien, c'est-à-dire dans le dernier maillon occidental de la chaîne du Patéras, le Karydi (fig. 13).

La Périégèse contient un deuxième groupe d'indications implicites, qui se dégagent de l'itinéraire de Pausanias. S'il n'a décrit, dans cette partie des Megarika, que trois régions bien précises au détriment de tout le reste de la Mégaride, c'est sans doute qu'il a limité sa description à ce qu'il a effectivement vu. De fait, on dispose de quelques indices d'autopsie20 pour ce chapitre et plus précisément pour la Mégaride du Nord- Ouest qui nous intéresse. Le passage du Périégète à Pagai est plus que probable : c'est ce que laissent entendre les précisions topographiques relatives à la falaise des Perses21 et surtout l'emploi de l'imparfait22 ύπελείπετο à propos de la statue d'Artémis Soteira dans cette ville (I, 44, 4). Pour Aigosthènes, il n'y a aucun indice explicite d'autopsie, si ce n'est le détail και άνήρ ού μέγας έπειργασμένος εν στήλη (Ι, 44, 5). Quant à Eréneia, le texte est ambigu ; on peut en effet lire : Και ιόδε δή άλλο ήκουσα · εν Έρενεία τη Μεγαρέων κώμη Αύτονόην . . . ενταύθα έκ Θηβών μετοικήσαι et il faut alors

(18) S. Van de Maele, loc. cit., p. 158. (19) Ibid. (20) Sur la définition des indices d'autopsie dans la Périégèse : cf. R. Heberdey, Die Reisen des Pausanias

in Griechenland (1894), p. 3-38. (21) Sur cette falaise, infra, p. 405-407. (22) R. Heberdey, op. cit., p. 18.

Page 7: Megarika VIII, IX (1982)

384 ARTHUR MULLER [BCH 106

comprendre que Pausanias fait son récit d'après une source livresque23; mais on peut aussi lire, avec une ponctuation différente : Και τόδε δή άλλο ήκουσα εν Ερενεία τη Μεγαρέων κώμη · Αύτονόην ... ενταύθα εκ Θηβών μετοικήσαι, ce qui implique que le Périégète est passé à Eréneia et qu'il a appris la légende sur place24. Je crois que cette lecture est la seule possible : c'est en effet la ponctuation donnée par les manuscrits et il est d'autre part difficile, étant donné l'éloignement, de rattacher εν Έρενεία à μετοικήσαι, d'autant que ce verbe a déjà, avec le ενταύθα qui le précède, un complément de lieu. Certes, Pausanias n'est pas un styliste : mais il est inutile de rajouter des lourdeurs à son texte dès lors qu'il est compréhensible tel que le donnent les manuscrits. Pausanias a donc parcouru la Mégaride en visitant Pagai, Eréneia et peut-être aussi Aigosthènes. Or cet itinéraire ne se rattache à aucun autre dans la Périégèse25 : le voyageur est donc probablement retourné à Mégare après cette excursion dans les montagnes proches de la Béotie et avant de s'engager sur la route de Corinthe. De l'itinéraire ainsi reconstitué : Mégare-Pagai - Aigosthènes (?) - Eréneia - Mégare se dégagent deux évidences quant à l'emplacement d'Eréneia : la komè était facilement accessible depuis les autres étapes de l'itinéraire, Pagai et Aigosthènes; elle était d'autre part reliée directement à Mégare, sans quoi ce circuit n'eût pas été possible.

Les logoi mythologiques de la Périégèse apportent une autre indication, très importante, relative à cette route Mégare-Eréneia. Je suis en effet convaincu de la justesse de l'argumentation de Milchôfer23, selon laquelle la retraite et la tombe d'Autonoé, émigrée de Béotie et installée en Mégaride, se trouvaient sur la route Thèbes-Mégare, cette même route qui traversait, dans le Githairon, le théâtre des chasses, des indiscrétions et de la mort d'Actéon, également signalé dans la Périégèse :

IX, 2, 3 Τοις δε εκ Μεγάρων ίουσι πηγή τέ έστιν εν δεξιά και προελθοΰσιν ολίγον πέτρα ' καλουσι δε την μεν Άκταίωνος κοίτην ... ες δε την πηγήν ένιδεΐν λέγουσιν αυτόν λουμένης 'Αρτέμιδος εν τη πηγή.

Quant on vient de Mégare, on voit à sa droite une source et, un peu plus loin, une falaise; on appelle cette dernière la «couche d'Actéon »... et on raconte que la source est celle où il épiait Arlémis quand elle s'y baignait.

Eréneia est donc une étape sur la route principale Mégare-Thèbes, le pendant mégarien dans le Patéras de la «couche d'Actéon » béotienne dans le Githairon. Pausanias lui-même suggère cette conclusion topographique en évoquant, parmi les malheurs qui avaient amené Autonoé à émigrer, la mort tragique de son fils. Mais s'il le suggère, le Périégète ne fait pas lui-même le rapprochement avec le haut-lieu béotien : on peut sans doute voir là une preuve du fait qu'il n'a jamais parcouru l'axe Mégare-Thèbes entièrement, et que d'Eréneia il est retourné directement à Mégare. Le tracé de cette voie de passage directe entre Mégare et la Béotie a été établi de façon convaincante

(23) Lecture adoptée par W. Gurlitt, Ueber Pausanias (1890), p. 458. (24) Selon R. Heberdey, les verbes comme λέγουσι, ήκουσα, έπυνθάνομην . . . renvoient à une tradition

aussi bien orale qu'écrite et ne peuvent donc pas être considérés comme indices d'autopsie, sauf s'ils sont accompagnés d'un complément de lieu {op. cit., p. 5-6).

(25) Cf. Heberdey, op. cit., p. 100. (26) Supra, n. 11.

Page 8: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 385

par Ν. G. L. Hammond27 (fig. 14). De Mégare, elle suivait d'abord la route de Pagai, dont elle se détachait pour rejoindre le petit col entre !e Trapezoeidis et le Korona, qui forment le prolongement occidental du Patéras; elle longeait ensuite le bassin alluvial du Mikro Vathychori et montait droit vers le Nord pour franchir le Karydi par un col entre les sommets Kaliakouda et Achladokoryfî; dans la montée du Mikro Vathychori à ce col, la route est bordée par cinq tours, une sixième se trouvant un peu plus à l'Ouest, à proximité d'un autre bassin alluvial, le Mégalo Vathychori (fig. 14). Au-delà du col du Karydi, la route descendait dans la partie orientale du territoire d'Aigosthènes, puis menait au village moderne d'Erithrai (Kriekouki), après avoir franchi le Githairon. Sur les premières pentes de ce dernier, au lieu-dit Vrisi Vassilikis, à près de 2 km à l'Ouest de Villia, se trouvent la source où Actéon épiait Artémis et, un peu plus loin, la falaise où il se reposait de ses chasses28.

Une dernière indication, donnée celle-ci explicitement dans le passage où apparaît la mention d'Eréneia, porte sur la nature même du site. Pausanias l'appelle en effet κώμη. Tous les auteurs grecs donnent à ce terme la même signification d'agglomération de moindre importance, ouverte, c'est-à-dire non fortifiée, que nous traduisons généralement par village ou bourgade. La komè s'oppose ainsi à la polis presque toujours entourée d'un mur d'enceinte29. Il a souvent été démontré que Pausanias n'emploie jamais au hasard le vocabulaire géographique; chaque fois qu'il utilise ce terme de komè, il faut donc en déduire que l'agglomération en question n'est pas, ou n'est plus de son temps, fortifiée; c'est le cas par exemple de Tripodiskos, bourgade du versant mégarien des monts Géraniens (I, 43, 8)30 ou de Anthénè, Néris et Eua, les trois bourgades de Thyréatide par lesquelles se termine la description de l'Argolide (II, 38, 6)31. C'est donc sans doute le cas d'Eréneia également, d'autant qu'on a dans ce passage l'opposition avec les villes de Pagai et d'Aigosthènes, toutes deux solidement fortifiées.

Les indications de la Périégèse quant à l'emplacement d'Eréneia, qui sont autant de conditions auxquelles doit satisfaire toute nouvelle hypothèse, se résument ainsi : Eréneia est une agglomération non fortifiée, dans les montagnes du Nord-Ouest de la Mégaride, sur la route principale de Mégare à Thèbes, en un point d'où l'on pouvait atteindre facilement, sur le golfe de Corinthe, Pagai et Aigosthènes. Le site doit en outre justifier une occupation humaine — même réduite à une komè — et en receler au moins quelques vestiges. On remarquera, contre les hypothèses proposées jusqu'à présent, qu'outre les objections qu'appelait chacune d'elles, aucune ne réunissait toutes ces conditions : tous les sites sont à l'écart de la route directe de Mégare à Thèbes, et sans ouverture, sauf Villia, sur le golfe de Corinthe; parmi les quatre proposés, les seuls à présenter des vestiges d'occupation antique sont le Kastro Saint- Georges et le Rachi Doskouri; mais tous deux sont fortifiés; enfin, ce dernier est

(27) N. G. L. Hammond, « The main Road from Beotia to the Péloponnèse through the Northern Mega- rid », ABSA 49 (1954), p. 103-122 (désormais cité : Hammond) ; le tracé à travers le Karydi avait déjà été reconnu par H. J. W. Tillyard, ABSA 12 (1905-1906), p. 101.

(28) C. N. Edmonson, JHS 84 (1964), p. 153-155. (29) On trouvera in Liddel-Scott, A Greek-English Lexicon, s.v. κώμη, toutes les références des textes

anciens. (30) Sur l'emplacement et les vestiges de Tripodiskos, cf. Sakellariou-Faraklas, op. cit., Annexe 2, p. 2. (31) Cf. N. Papachatzis, Παυσανίου 'Ελλάδος Περιήγησις, II (1976), p. 302-305.

25

Page 9: Megarika VIII, IX (1982)

co 00 σι

tour isolée site

fortifié ++

tombes

route antique

(vers AIGOSTH.ÈNES)a00 945

CAP MYTIKAS

^Mastringos

KATO ALEPOCHORI (PA

GAI) Pyrgaki

LA.

Fig. 14. —

Mégaride du Nord-Ouest : la région des Vathychoria.

ta

ο

Ci

Page 10: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 387

même en dehors de la région géographique où doit se trouver Eréneia et jouxte l'Attique plutôt que la Béotie. Il est en fait une seule région de Mégaride qui satisfasse à toutes les conditions et que je propose donc d'identifier avec Eréneia : il s'agit du secteur relativement étendu des Vathychoria 32, rapidement mentionné plus haut et dont je vais m'attacher maintenant à donner une description plus précise.

Les vestiges33

Géographie. Les particularités géographiques de cette région expliquent en grande partie la

forme de son occupation antique (fig. 14). Les deux Vathychoria, dans l'arrière-pays de Psatha, le grand à l'Ouest et le petit à l'Est, ne sont pas, comme on l'a souvent écrit, des vallées, mais deux cuvettes alluviales entièrement entourées de montagnes. Les torrents hivernaux qui se jettent dans ces poljés ne peuvent donc s'en échapper, ce qui transforme, certains hivers très pluvieux, les Vathychoria en deux étangs. Cette configuration favorise évidemment l'alluvionnement, les torrents déposant tout de suite à leur débouché dans ces cuvettes les matériaux les plus lourds, tandis que les alluvions plus fines, arrachées aux versants calcaires environnants, sont entraînées un peu plus loin et tapissent le fond quasiment plat des deux cuvettes d'une couche de terre fertile, renouvelée chaque année. Le bassin du Mikro Vathychori (fig. 15), dont le fond est à 407 m d'altitude, a une forme grossièrement triangulaire. Il est fermé par des montagnes abruptes : la Petra Kryftis à l'Est, le mont Korona au Sud, et les collines du Lykovouni au Nord-Ouest; son accès le plus facile est au Sud-Est, depuis la plaine de Mégare, par un col bas entre le Patéras et le Korona; il s'y jette un torrent principal venant du Nord par un ravin très encaissé entre le Patéras et le Lykovouni. Le bassin du Mégalo Vathychori (fig. 16), allongé du Sud- Ouest au Nord-Est, est un peu plus grand que son voisin, dont il n'est séparé que par le Lykovouni. Son extrémité occidentale, la plus basse, est à 380 m d'altitude; vers le Nord-Est, le bord du bassin n'est pas marqué, la pente étant très douce; son ouver-

(32) S. Van de Maele [loc. cil., p. 158-159) propose de placer Eréneia soit dans les Vathychoria, soit dans un autre groupe de bassins alluviaux, le Mikros et le Mégalos Kryftis, séparés des Vathychoria par la haute barrière rocheuse de la Petra Kryftis (fig. 14) : on y trouve en effet quelques vestiges d'occupation antique. Mais ce site ne correspond à aucune des indications tirées de la Périégèse : il faut donc l'exclure. N. G. L. Hammond (loc. cit., p. 119-20) voyait dans les Vathychoria le site d'Aigeiroi et dans le Mégalo Vathychori le lac Gorgopis (Strabon, IX, 1, 10) : personne ne l'a suivi dans cette voie hasardeuse, réfutée par J. Wiseman, The land of the Ancient Corinlhians (1978), p. 24-25.

(33) Les descriptions antérieures des vestiges des Vathychoria sont les suivantes : — J. A. Buchon, La Grèce continentale et la Morée (1843), p. 555-558. — J. A. Lebègue, De portibus ac oppidis Megaridis ac Boeotiae (1875), p. 51-54. — H. J. W. Tillyard, ABSA 12 (1905-1906), p. 101-108. — Hammond, p. 108-111 et 117-118. Toute cette région, déserte aujourd'hui, n'est accessible que par des pistes difficilement carrossables et des sentiers. L'incendie de forêt qui a dénudé en août 1978 les versants du Mikro Vathychori et la partie occidentale du Mégalo Vathychori a rendu plus visibles des vestiges discrets tels que la céramique- Depuis février 1979, j'ai effectué plusieurs visites dans les Vathychoria, avant d'en entreprendre une exploration plus approfondie en octobre 1981.

Page 11: Megarika VIII, IX (1982)

388 ARTHUR MULLER

Fig. 15. — Le Mikro Vathychori vu du versant oriental de Lykovouni.

Fig. 16. — Le Mégalo Vathychori vu du sommet du Lykovouni.

Page 12: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 389

ture naturelle se trouve à l'Ouest, où un col très bas permet de franchir la ligne de séparation des eaux et de descendre vers le golfe de Gorinthe. Immédiatement au Nord des deux Vathychoria se trouve une large zone qui s'élève graduellement vers le col entre le Kaliakouda et l'Achladokoryphi.

Les roules. Le tracé de l'itinéraire Mégare-Thèbes à travers cette région a été décrit plus

haut34. Les vestiges de la route se distinguent nettement sur la plus grande partie de ce parcours. Elle est large de plus de deux mètres et établie, le long des pentes dont les plus abruptes sont escaladées en lacets, sur une étroite terrasse de cailloutis retenus par des murs construits à l'aide de grosses pierres irrégulières (fîg. 17) 35. En certains endroits, on distingue nettement des ornières creusées dans le roc par les roues de chars. Des autres routes du secteur, seules deux présentent quelques vestiges que l'on peut attribuer à l'Antiquité : celles qui relient les tours G à F-G d'une part, et F-G au site H d'autre part, ont, par endroits, une chaussée nettement reconnaissable, constituée d'un empierrage très compact de petits cailloux bruts. Même en l'absence de tout vestige antique, on peut reconstituer l'itinéraire de la prolongation de ces deux routes au-delà de la tour F-G : elle longeait le bassin du Mégalo Vathychori vraisemblablement, comme la piste moderne, par le bord Nord, jusqu'au col qui le ferme à l'Ouest, passage obligé où le roc est creusé de nombreuses ornières. De ce col, elle redescendait dans la baie de Psatha, l'antique Panormos38, où elle rejoignait la route directe de Pagai à Aigosthènes. Outre ces deux axes principaux, dont l'un, Nord-Sud, reliait les Vathychoria à Mégare et Thèbes, et l'autre, Est-Ouest, au golfe de Corinthe, la région devait être, comme aujourd'hui, traversée par un certain nombre de pistes de moindre importance. L'une d'elles reliait le Mikro Vathychori à la tour G par la berge occidentale du ravin que la route principale longeait par l'Est; comme cette dernière, elle est établie sur une petite terrasse, mais de moindre largeur. Une autre piste relie le Mikro Vathychori directement à Pagai en passant entre le Korona et le Mastringos, tandis qu'une troisième relie le Mégalo Vathychori directement à Aigosthènes, depuis les tours F-G et en passant à l'Ouest du Kaliakouda.

Les tours. Le long des deux axes principaux se trouvent, entre les Vathychoria et le col

qui franchit le Karydi, sept et sans doute même huit tours : ce sont les vestiges les plus évidents de l'occupation antique. Les mieux conservées d'entre elles, les tours G et F, sont connues depuis longtemps37; les cinq autres ont été découvertes et rapidement décrites par N. G. L. Hammond38.

(34) Supra, p. 385. (35) La route d'Oinoè, dans l'Attique du Nord-Ouest, décrite par E. Vanderpool, CSC A 11 (1978),

p. 230 et PL I à IV, a exactement le même aspect. (36) Cf. L. Robert, RPhil 65 (1939), p. 97-122 et RE XVII-3 (1949), s.v. « Panormos 9 », col 659 (Meyer). (37) Elles sont décrites en détail par H. J. W. Tillyard, loc. cit. (38) Hammond, p. 107-111. On y trouvera également la description de fortifications médiévales qui

sont hors de mon propos.

Page 13: Megarika VIII, IX (1982)

390 ARTHUR MULLER [BCH 106

Fig. 17. — La route antique Mégare-Platées, sous la tour A.

Fig. 18. — Bloc avec cavité dans la tour A.

Fig. 19. — Mur au Nord de la tour A.

Page 14: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 391

La tour A, sur le versant Nord-Est du Mikro Vathychori, se trouve sur un éperon rocheux dont l'abrupt, haut de 20 à 25 m, domine la route Mégare-Thèbes et tout le Mikro Vathychori. Vers le Nord-Est l'étroit plateau de la tour se prolonge en pente d'abord douce en direction de la Petra Kryftis. De la tour elle-même ne se distinguent que deux murs construits en pierres irrégulières; à l'intérieur se trouve un bloc dont le seul parement dressé (h. ca 1,30 m) est creusé d'une petite cavité quadrangulaire (0,25x0,19x0,10 m) (fig. 18). A quelques dizaines de mètres au Nord, se trouve un long mur orienté Nord-Sud, reconnaissable sur ca 20 m, large de 1,10 m; ses parements sont construits en gros blocs irréguliers, avec un remplissage de cailloux (fig. 19). Les abords de la tour sont jonchés de fragments de tuiles plates et couvre-joints, à vernis brun-noir ou rougeâtre, et de tessons.

La tour Β (fig. 20) se trouve à quelques centaines de mètres plus au Nord, et ca 5 m à droite de la route. Seuls sont visibles l'angle Nord-Ouest et le mur Ouest, long de 7,50 m, conservé sur trois assises; l'appareil, d'aspect très fruste, est polygonal dans la partie inférieure, tandis que la troisième assise présente des blocs rectangulaires de même hauteur, mais de longueur variable. Dans et autour de la tour, se trouvent de nombreux fragments de tuiles, à vernis noir ou brun-rouge, de type laconien.

La tour G (fig. 21) se trouve à l'endroit où la route vers le Mégalo Vathychori et le golfe de Corinthe se détache de l'axe Mégare-Thèbes. Elle est carrée (6 m de côté) et conservée sur environ 12 m de hauteur. La construction, en appareil rectangulaire isodome, est soignée, avec des feuillures d'angle et des parements décorés à la pointe, traités par courtes incisions verticales. Le sommet était vraisemblablement crénelé; l'absence de fragments de tuiles dans la tour ou à proximité immédiate, et une gargouille en haut du mur Sud, à environ 0,90 m sous le sommet des créneaux, qui devait drainer la terrasse supérieure servant de plafond, montrent que la tour n'avait pas d'autre couverture39. Au Sud-Ouest se distingue un mur à double cours, arasé presque au niveau du sol actuel, que l'on suit sur une demi-douzaine de mètres au moins en direction du Sud-Ouest. Il appartient probablement à une construction qu'a fait disparaître la tour G. De cette dernière, on aperçoit la tour B, une partie du Mikro Vathychori et, au-delà, la plaine de Mégare.

La tour D (fig. 22), quelques centaines de mètres plus au Nord, à 25 m environ en contrebas de la route Mégare-Platées, mesure 11 m χ 9,5 m; seuls les murs Sud- Est et Sud-Ouest sont nettement visibles, ce dernier conservé sur 1,30 m de hauteur. L'appareil est polygonal fruste. Cette tour donne vue sur la tour G et le Mégalo Vathychori.

La tour Ε (fig. 23), plus au Nord, se trouve également en contrebas de la route. Elle mesure 12,20 mxca 10,5 m; le mur Sud-Ouest, épais de 0,84 m, est conservé sur toute sa longueur avec l'angle Sud où il est haut de 1,50 m. L'appareil polygonal, plus soigné que celui de la tour D, devient rectangulaire isodome à l'angle des murs. Dans la tour et à proximité immédiate, on remarque de nombreux fragments de tuiles de type laconien, à vernis brun-noir ou rougeâtre. Elle donne vue sur les tours G et F et sur tout le Mégalo Vathychori, vers le Sud-Ouest, et permet également de surveiller, vers le Nord, le col qui franchit le Karydi.

(39) Hammond, p. 109.

Page 15: Megarika VIII, IX (1982)

392 ARTHUR MULLER

Fig. 20. — Tour Β : mur Ouest.

Fig. 22. — Tour D : mur Sud-Ouest.

[BCH 106

Fig. 23. — Tour Ε : mur Sud-Est.

Page 16: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 393

Fig. 21. — Tour C vue du Nord-Est. Fig. 24. — Tour F vue du Nord-Ouest.

La tour F (fîg. 24), à 15 ou 20 mn de marche à l'Ouest de la tour C, borde la route qui mène au Mégalo Vathychori, à l'embranchement de la piste directe vers Aigosthènes. C'est la mieux conservée de toutes et la seule ronde. Son diamètre extérieur est de ca 7 m, sa hauteur de 17 m; les créneaux, hauts chacun de trois assises, sont presque tous conservés ; l'appareil est rectangulaire isodome, avec quelques blocs trapézoïdaux. Le traitement du parement, la gargouille — et donc la couverture — sont identiques à ceux de la tour G.

Les assises de fondation de la tour G, carrée, d'environ 25 m de côté, forment une sorte de terrasse sur laquelle s'éleva la tour F, G une fois détruite. L'appareil rustique à double cours, qui mêle blocs rectangulaires et blocs trapézoïdaux, est analogue à celui des tours B, D et E.

Ces sept tours se répartissent en deux groupes que N. G. L. Hammond attribue à deux phases de fortification successives40. La première, comprenant les tours A, B, D, Ε et G — grandes, de construction très rustique et couvertes d'un toit de tuiles — « daterait des Guerres du Péloponnèse ou de Corinthe, plutôt que de l'époque

(40) Hammond, p. 110.

Page 17: Megarika VIII, IX (1982)

394 ARTHUR MULLER [ BCH 106

d'Épaminondas ». Les tessons recueillis sur le site de la tour A (infra, tessons 12-13-14) seraient plutôt en faveur de la première hypothèse. Les tours G et F, plus petites, plus soignées et couvertes d'une terrasse, résulteraient, après la destruction des autres tours, d'une deuxième phase de fortification, à placer dans la 2e moitié du ive s. av. J.-G. Je crois que la tour G a succédé, comme la tour F, à un édifice plus ancien, de dimensions supérieures, au même emplacement, dont le mur signalé plus haut serait un vestige; on remarquera que, comme celui de G, ce mur est à double cours; en outre, il serait peu probable qu'un endroit aussi important, à l'embranchement des deux routes principales, n'ait pas été fortifié dès la première période. La destination de cet ensemble de tours est controversée. Tylliard met en avant la vue dont on jouit depuis G et D — les seules qu'il connaissait — pour affirmer qu'il s'agit de tours de signalisation41. N. G. L. Hammond, considérant l'importance stratégique de leur emplacement, leur attribue un rôle strictement militaire42, tandis qu'E. Vanderpool, à la suite de J. H. Young, pense qu'elles appartenaient à des fermes43. Je crois, comme S. Van de Maele44, que les tours pouvaient, selon les circonstances, jouer ces différents rôles, et même, du moins pour le groupe A-B-D-E-G des tours les plus grandes, servir éventuellement de refuge pour la population des environs.

Les sites d'occupation. Cette population a laissé des vestiges relativement discrets, comparés aux tours,

mais assez nombreux. Ils sont disséminés dans toute la région considérée, depuis les cols qui donnent accès à chacun des Vathychoria presque jusqu'au col du Karydi, avec une densité beaucoup plus importante en certains endroits bien délimités; j'en ai remarqué cinq : sans doute y en avait-il d'autres.

Le site H se trouve à l'endroit où la route principale Mégare-Thèbes est rejointe par la route venant directement du Mégalo Vathychori. La pente du terrain est assez forte. A part quelques alignements de pierres, on ne distingue aucune structure dans le vaste pierrier en pente qui se trouve en cet endroit; il n'est pas impossible qu'il y ait eu là une autre tour. Ce qui frappe en revanche c'est l'abondance du matériel céramique mêlé à la rocaille. Parmi les fragments de tuiles corinthiennes et laconiennes à vernis noir et brun-rouge, les fragments d'amphores de types divers (terminées en pointe ou avec une base étroite), j'ai remarqué quelques tessons plus caractéristiques45 :

(41) H. J. W. Tillyard, loc. cit., p. 108. (42) Hammond, p. 111. (43) E. Vanderpool, CSCA 11 (1978), p. 246, n. 8 ; J. H. Young, Hesperia 25 (1956), p. 122-146. (44) S. Van de Maele, loc. cit., p. 155, n. 10. (45) Abréviations :

Agora IV : R. H. Howland, The Alhenian Agora, IV : Greek Lamps (1958). Agora V : H. S. Robinson, The Athenian Agora, V: Pollery of the Roman period (1959). Agora XII : B. A. Sparkes - L. Talcott, The Alhenian Agora, XII: Black and Plain Pollery (1970). Tous les éléments de l'étude de la céramique — descriptions, photographies et profils — ont été réunis sur place, ce qui explique le caractère parfois lacunaire des notices et la mauvaise qualité des photographies flg. 25, 31, 34 et 36 ; quant aux profils des fîg. 26, 32, 35 et 37, ils ont été mis au net par Irô Athanassiadi.

Page 18: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 395

Fig. 25-26. — Site H : choix de tessons, photos et profils (ca 1:2).

1 — Fragment de cratère à figures rouges (fig. 25). Deux tessons jointifs du haut de la panse d'un cratère en cloche ; h. ca 9 cm, épaisseur maximale de la paroi 0,7 cm ; vernis noir brillant ; malgré les concrétions calcaires, on reconnaît, à l'intérieur, une étroite bande réservée et à l'extérieur une frise végétale (feuilles d'olivier vers la droite) au dessin assez hâtif. Cf. par exemple E. Simon, Die griechischen Vasen (1976), PI. 200. Date : 2e moitié du ve s. av. J.-G.

Page 19: Megarika VIII, IX (1982)

396 ARTHUR MULLER [BCH 106

2 — Fond de petit vase ouvert (fig. 25 et 26). Pied annulaire (diamètre 9,5 cm) à moulure concave et fond plat d'une coupe basse (plutôt que d'un skyphos) ; vernis noir brillant, pied et fond réservés avec cercle et petit disque noir au centre. Cf. pour le profil du pied Agora XII, n° 880 (vol. 1, p. 299 et vol. 2, fig. 9), daté de 400-375 av. J.-C. Le décor du fond placerait ce tesson plus tôt, courant ve s. av. J.-C.

3 — Fragment de lopas (fig. 25 et 26). Lèvre en S ouvert, vasque large (diamètre reconstitué 23 cm) formant ressaut à l'intérieur pour servir de support à un couvercle ; départ d'une anse très relevée. Cf. Agora XII, nos 1962, 1963 (vol. 1, p. 373 et vol. 2, fig. 18 et pi. 95). Date : lre moitié du ive s. av. J.-G.

4 — Fragment de lékanè (fig. 25 et 26). Terre ocre pâle, parois épaisses, pied annulaire épais et bas (diamètre reconstitué 16 cm) ; le bas de la vasque et le pied sont peints en noir. Cf. Agora XII, n» 1770 (vol. 1, p. 361 et vol. 2, fig. 21) pour le profil et n° 1807 (vol. 1, p. 363, vol. 2, pi. 85) pour le décor. Date : courant ve s. av. J.-G.

5 — Fragment de lékanè (fig. 25 et 26). Terre ocre pâle, paroi épaisse, surtout au bas de la vasque, pied bas en forme de disque légèrement convexe (diamètre reconstitué : 13 cm). Cf. Agora XII, n° 1820 (vol. 1, p. 364 et vol. 2, fig. 15 et pi. 85). Date : dernier quart du ive s. av. J.-G.

L'occupation du site H coïncide donc à peu près avec l'époque classique.

Aux alentours de la tour G, les vestiges sont également assez denses. Au Sud de la tour, là où la pente devient plus forte, se trouvent plusieurs petites terrasses qui ont dû porter des habitations. Les nombreux fragments de tuiles sont tantôt de type corinthien, tantôt de type laconien, à vernis noir ou brun -rouge. Parmi les tessons de céramique commune peu caractéristiques (amphores surtout), j'ai noté :

6 — Anse d'amphore timbrée. Le timbre est rectangulaire, mais rendu illisible par l'érosion. Il pourrait s'agir d'un timbre rhodien du ine s. av. J.-G.

A 150 m au Nord de la tour, la margelle d'une citerne probablement médiévale est construite au moyen de grands blocs dressés sur leurs quatre faces; ils ne peuvent provenir de la tour.

Les abords de la tour F-G, contre laquelle est appuyée aujourd'hui une bergerie, sont recouverts d'un maquis très dense hostile à l'exploration archéologique. Mais il est probable que, comme aux alentours de G, s'élevaient là quelques habitations antiques. En tout cas, dans l'abrupt de la rive gauche du torrent qui s'écoule dans le Mégalo Vathychori, à 500 m environ au Sud-Ouest de la tour F, a été creusée une série de huit tombes à chambre (fig. 27). Elles sont de forme quadrangulaire, avec un toit légèrement convexe; les plus grandes mesurent de 5 à 7 m de longueur. La paroi

Page 20: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 397

Fig. 27. — Abords de la tour F-G : suite de tombes à chambre.

parallèle au torrent s'est effondrée dans toutes ces tombes, sans doute sous l'effet d'érosion des eaux. Une seule, la plus méridionale, a échappé à cette destruction et conserve encore son étroite entrée primitive. A l'intérieur de toutes ces tombes, des niches sont creusées dans les parois; une seule présente des banquettes ménagées au bas des murs. N. G. L. Hammond, qui a décrit ces tombes en détail, les date « de l'époque romaine ou peut-être avant »46.

A l'extrémité occidentale du Mégalo Vathychori, autour de la chapelle d'Haghios Taxiarchis, sur la pente au-dessus du fond du bassin alluvial, les vestiges sont plus nombreux. Sur les terrasses au-dessus de la chapelle s'élevaient jadis des maisons qui prolongeaient le village moderne (xvine-xixe siècle) situé sur le col occidental du Mégalo Vathychori; mais les terrasses elles-mêmes sont peut-être de construction antique. En tout cas, les deux caniveaux rectilignes et parallèles, orientés Nord- Ouest/Sud-Est, que l'on suit un peu plus bas chacun sur près de 20 m (fig. 28) appartiennent sans doute à l'Antiquité tardive; les murets de l'hydragogue sont faits de grosses pierres soigneusement alignées et le radier, large de 0,28 m est constitué de dalles de remploi, de marbre gris-vert d'épaisseur régulière (6,5 à 7 cm). Près de la citerne médiévale en forme de poire, encore en usage aujourd'hui, à proximité de laquelle s'interrompent les deux caniveaux, se trouvent deux bassins quadrangulaires (le plus grand mesure 2,60 m χ 3,70 m); un mortier rosâtre très résistant constitue le liant des moellons de leurs murs ainsi que leur revêtement intérieur. Parmi les gros blocs antiques qui gisent autour de la citerne, il faut signaler :

7 — Fût de colonne monolithe (fig. 29). Longueur ca 3 m (une extrémité est prise dans l'angle Est du grand bassin) ; diamètre 0,40 m ; marbre gris.

(46) Hammond, p. 117-118.

Page 21: Megarika VIII, IX (1982)

Fig. 29. — Site occidental du Mégalo Vathychori : colonne monolithe.

Fig. 28. — Site occidental du Mégalo Vathychori : caniveau.

Fig. 30. — Site occidental du Mégalo Vathychori : mortier en marbre.

Page 22: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 399

8 — Partie inférieure de mortier (fig. 30)47. Hauteur conservée : 0,43 m ; marbre blanc, simplement dégrossi à la pointe. Bien que toute la partie supérieure soit brisée et que ne subsiste que le fond de la cavité avec la base, la forme se laisse aisément reconstituer : le mortier était profond, tronconique, avec des flancs incurvés ; le haut formait saillie sur la base. Cf. W. Deonna, le Mobilier délien, Ε AD XVIII (1938), p. 106 et pi. XLIII-305.

Au bas de la pente, juste sous la citerne, les labours font apparaître de très nombreux tessons, entraînés ici par les eaux. A côté d'un fragment de tuile de type laconien à vernis noir, la céramique est exclusivement romaine et difficilement datable :

9 — Fragment d'amphore (fig. 31). Tesson (dimension maximale 7,5 cm) provenant de l'épaule, avec arrachage de l'anse, d'une amphore à grande panse ovoïde, décorée au peigne («gaufrée»). Ce type d'amphore est très répandu à partir du me s. ap. J.-G. Cf. par ex. Agora V, M 272 (p. 109 et pi. 29) : fin du ive ap. J.-C, et BCH 89 (1965) p. 947, fig. 22 : fin vie-début vne s. ap. J.-G.

10 — Fragment de marmite (?) (fig. 31 et 32). Lèvre arrondie épaisse, séparée par un double sillon de la panse arrondie, ornée de stries de tournage ; argile rosâtre. Diamètre reconstitué : 24 cm. La forme est analogue à Agora V, Κ 97 à 103 (p. 57-58 et pi. 14), datés du ine s. ap. J.-G., ou à P. Aupert, BCH Suppl VI (1981), n° 269 (p. 433 et fig. 43) daté du vie s. ap. J.-G. Mais la paroi est peut-être trop épaisse pour être celle d'une marmite.

11 — Fragment de grande jatte (fig. 31 et 32). Lèvre formant un léger ressaut, vasque très pansue (diamètre reconstitué 24 cm), paroi épaisse (jusqu'à 1,1 cm) ; argile ocre clair. Forme analogue — sauf pour la lèvre — à celle de Agora V, M 353 (p. 117 et pi. 33), daté du vie s. ap. J.-C.

Dans le Mikro Vathychori, les traces d'occupation se trouvent sur le versant oriental, depuis le haut de l'éperon rocheux où se trouve la tour A jusqu'au bas de la pente. De nombreuses petites terrasses ont été aménagées : de surface réduite, elles sont partiellement creusées dans la roche et retenues par des murs construits de pierres brutes (fig. 33). Vers le Sud-Est, là où la pente est plus douce, se distinguent quelques murs de maisons, dont les pierres sont liées avec du mortier. La céramique qui jonche tout ce secteur se répartit en deux groupes bien distincts : aux abords de la tour A, en contre-haut de la route Mégare-Thèbes, les tessons sont uniquement d'époque classique :

12 — Fragment de lampe (fig. 34 et 35). Fond de lampe tournée, corps globulaire, fond nettement convexe, vernis noir à l'intérieur et à l'extérieur (très usé), pied (diamètre 3,6 cm) réservé. Cf. Agora IV, « Type 25 A » (p. 66 et pi. 9 et 38). Date : 350-275 av. J.-C.

(47) Lebêgue, op. cit., p. 51 et Hammond, p. 117 signalent la colonne, mais pas le mortier. En revanche, tous deux mentionnent un chapiteau romain tardif dont je n'ai pas trouvé trace.

Page 23: Megarika VIII, IX (1982)

400 ARTHUR MULLER [BCH 106

Fig. 31-32. — Site occidental du Mégalo Vathychori : choix de tessons, photos et profils (ca 1:2).

Fig. 33. — Versant oriental du Mikro Vathychori : mur de terrasse.

Page 24: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 401

Λ

Fig. 34-35. — Versant oriental du Mikro Vathychori : choix de tessons des abords de la tour A, photos et profils (1:2).

13 — Fragment de coupe basse (fig. 34 et 35). Pied annulaire assez épais et partie inférieure de la vasque, très ouverte (hauteur conservée 2,3 cm) ; vernis noir de bonne qualité, fond apparemment réservé, ainsi qu'une étroite bande à la jonction entre vasque et pied. Cf. Agora XII, nos 481-482 (vol. 1, p. 101-102 et vol. 2, fig. 5 et pi. 22). Date : dernier quart du ive s. av. J.-G.

14 — Fragment de skyphos (fig. 34 et 35). Pied annulaire bas et partie inférieure de la vasque, presque droite (hauteur conservée 2,5 cm) ; vernis noir de bonne qualité, fond et bas du vase réservés, ainsi qu'une étroite bande à la jonction entre vasque et pied. Cf. Agora XII, nos 342 à 349 (vol. 1, p. 259 et vol. 2, fig. 4 et pi. 17). Date : 2e moitié du ve s. av. J.-G.

En contrebas de la route, et surtout au bas de la pente, où elle a été entraînée par les eaux de ruissellement, on ne trouve que de la céramique romaine commune (fig. 36). Parmi les nombreuses anses et les tessons de grandes amphores « gaufrées » (cf. supra, n° 9), j'ai remarqué :

Page 25: Megarika VIII, IX (1982)

402 ARTHUR MULLER [BCH 106

Fig. 36-37. — Versant oriental du Mikro Vathychori : choix de tessons au bas de la pente, photos et profils (1:2).

15 — Bord de grande jatte (fig. 37). Rebord plat incliné vers l'extérieur, vasque basse à paroi épaisse incurvée, décorée de stries régulièrement espacées (diamètre reconstitué 37 cm). Le rebord est analogue à celui de Agora V, Κ 80 (p. 66 et pi. 14), la vasque à celle de Agora V, Κ 90 (p. 67 et pi. 14), tous deux datés du milieu du me s. ap. J.-C.

16 ■ — Fragment d'objet circulaire en terre cuite (fig. 36 et 37). Cet objet avait la forme d'un grand anneau, de section tronconique, aux parois épaisses incurvées, avec un petit ressaut au bord supérieur (h. 6,5 cm, diamètre reconstitué à la base 18 cm). Près du bord inférieur est profondément gravée la lettre Ζ (ou N?). Je n'ai trouvé aucun parallèle à cet objet. Peut-être s'agit-il d'une forme d'άγγoθήκη

Page 26: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 403

ou έγγυθήκη (latin incitega), support servant à maintenir debout les amphores sans pied48. En tout cas, sa forme est bien adaptée aux grandes amphores à panse ronde tardives. Cf. P. Gourbin, BCH (1956), p. 201, fig. 18.

Au bas du versant oriental du Lykovouni, toujours dans le Mikro Vathychori, se trouvent les ruines de trois ou quatre maisons du xixe siècle; dans les murs et près des ruines, on remarque plusieurs blocs antiques (fig. 38).

L'occupation de la région des Vathychoria, où je propose de reconnaître Eréneia, est donc attestée depuis l'époque classique jusqu'à l'époque romaine impériale, et peut-être au-delà. L'habitat est de type semi-dispersé dans une région relativement vaste (12 km2 environ) : les fermes étaient regroupées en petits hameaux près des routes principales, et de préférence à proximité des tours.

L'exploitation agricole. Cette population avait sans doute été attirée dans ces montagnes par les

possibilités agricoles qu'offraient les deux Vathychoria. Bien que la mise en valeur de cette région n'ait évidemment laissé que des traces disciètes, on peut s'en faire une idée relativement précise.

Le fond des deux cuvettes offre de grandes étendues planes au sol très fertile, renouvelé régulièrement par l'apport de nouvelles alluvions. Aujourd'hui, ces terres sont exploitées par des propriétaires de Villia qui y cultivent des céréales (cf. fig. 15 et 16); on trouve également dans le Mikro Vathychori, mieux abrité encore que son voisin, quelques arbres fruitiers — jadis très nombreux — et des oliviers. Dans l'Antiquité, les ressources étaient probablement les mêmes. La partie Nord du Mikro Vathychori est traversée, à environ 200 m au Sud du débouché du torrent par un « mur » large de 2 m et haut de 0,50 m seulement, au tracé légèrement sinueux, orienté Est-Ouest, que l'on suit sur plusieurs dizaines de mètres; entre les parements faits de grosses pierres brutes se trouve un remplissage de petits cailloux (fig. 39). Je crois que ce mur résulte de l'épierrage soigneux que réclamaient ces terres, après chaque hiver, surtout dans la partie proche du débouché des torrents; seul le soin apporté à cette forme de stockage des pierres et l'aspect des parements, identiques à celui des murs de terrasses des maisons antiques, me fait attribuer ce « mur » à l'Antiquité : les pierriers modernes sont petits, irréguliers, et disséminés dans tout le bassin.

Sur le versant occidental du Lykovouni et sur les pentes autour de la tour F-G et entre cette dernière et la tour E, se trouvent de nombreux murs, délimitant des suites de terrasses étroites et allongées (fig. 40). L'absence totale de céramique en ces endroits ainsi que la longueur des terrasses invitent à y voir des zones de culture antique plutôt que d'habitat : les murs sont d'aspect fruste mais de construction soignée et il ne semble pas que les pentes aient été mises en valeur à l'époque moderne. Diverses cultures ont pu être pratiquées sur ces terrasses d'où toute la terre, jadis retenue par les murets a aujourd'hui disparu, entraînée par le ruissellement : oliviers,

(48) Cf. DA III, s.v. * incitega », et RE I (1894) s.v. « άγγοθήκη », col. 2192 (Mau).

Page 27: Megarika VIII, IX (1982)

Fig. 38-40. — Mikro Vathychori blocs antiques. — Le « mur » transversal, côté Nord. — Terrasses sur le versant oriental du Lykovouni.

Page 28: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 405

arbres fruitiers — le nom d' Έρινία, forme attestée par Stéphane de Byzance49, est sans doute à mettre en rapport avec έρινεός-έρινός, le figuier sauvage50 — et cultures maraîchères, dont la Mégaride en général passait pour être grosse productrice dans l'Antiquité, malgré l'aridité de son sol51. La vigne aussi a pu être cultivée : Aigosthènes, toute proche, produisait en tout cas un vin sucré réputé durant l'Antiquité52. D'autre part, certains versants devaient bien se prêter à cette culture; c'est le cas en particulier du versant du Lykovouni qui domine le Mikro Vathychori : il regarde vers le Sud- Est et se trouve, conformément aux conseils des agronomes anciens, protégé à la fois du vent du Nord et des ardeurs du soleil de l'après-midi53.

IX. La falaise des Perses

La statue d'Artémis Soteira de Strongylion qu'il a vue dans l'Artémision de Mégare54 est pour Pausanias l'occasion de raconter une curieuse légende relative à un épisode des Guerres Médiques, durant l'été 479. Un détachement de l'armée perse que Mardonios avait envoyé à la rencontre de l'armée Spartiate, avait ravagé la Mégaride55; il s'apprêtait à faire retraite vers Thèbes, auprès de Mardonios, lorsqu'il fut, par la volonté d'Artémis, surpris par la nuit et s'égara dans la montagne. Croyant les Grecs à proximité, les Perses lancèrent toutes leurs flèches contre une falaise : les Mégariens n'eurent aucune peine, le lendemain, à massacrer leur ennemi désarmé (Pausanias, I, 40, 4).

Sur la route qui le mène de Mégare à Pagai, Pausanias signale le théâtre de ces événements :

I, 44, 4 Ίουσι δε ες τας Π αγάς έκτραπομένοις ολίγον της λεωφόρου πέτρα δείκνυται δια πάσης έχουσα έμπεπηγότας οιστούς, ες ην οι Μήδοί ποτέ έτόξευον εν τη νυκτί. Έν δε ταΐς Παγαΐς θέας ύπελείπετο άξιον 'Αρτέμιδος Σωτείρας έπίκλησιν χαλκουν άγαλμα, μεγέθει τω παρά Μεγαρεΰσιν ϊσον και σχήμα ουδέν διαφόρως έχον.

Sur le chemin de Pagai, un peu à l'écart de la route, on montre une falaise toute criblée de flèches : c'est contre elle qu'une nuit, jadis, les Perses lancèrent tous leurs traits. Il se trouvait encore, à Pagai, une statue de bronze d'Artémis appelée Soteira, qui vaut le coup d'œil. Elle est de même taille que celle de Mégare et n'en diffère en rien dans l'attitude.

Selon certains auteurs56, la route menant à Pagai depuis Mégare faisait un crochet par Tripodiskos, situé sur le versant mégarien des monts Géraniens, à environ trois

(49) Supra, p. 379 et Sarris, ArchEph (1910), p. 151, n. 1. (50) RE XV, col. 174. (51) RE XV, col. 172. (52) Cf. Athénée, X, 440f et Polybe, VI, lia, 5. (53) Cf. Pline, Histoire Naturelle XVII, 2, 8-12 et Virgile, Géorgiques II, 298. (54) Sur cette statue, cf. Megarika VII, BCH 105 (1981), p. 223. (55) Hérodote, IX, 14. (56) W. Gell, The Itinerarg of Greece (1819), p. 6 ; C. Bursian, Géographie von Griechenland (1862), I,

p. 381 et RE XV, col. 171.

Page 29: Megarika VIII, IX (1982)

406 ARTHUR MULLER [BCH 106

■·· * V ·■ · "· ' v-- V

Fig. 41. — Ano Alepochori la « falaise des Perses ».

heures de marche de Mégare (fig. 13) 57. Les tenants de ce tracé proposent de reconnaître dans une falaise qui domine le côté gauche de la route, peu avant Tripodiskos, la fameuse falaise des Perses : l'érosion y a creusé une quantité de petites cavités, qui ont pu donner le point de départ de la légende.

Cette hypothèse n'est pas sans appeler quelques objections. Si Pausanias était passé par Tripodiskos pour se rendre à Pagai, il me semble qu'il l'aurait dit, puisque c'est à cet endroit que se situait une légende fameuse : or le fait même que le Périégète ait raconté cette légende au cours de la description de Mégare (I, 43, 7-8) et non de celle de la Mégaride, où n'apparaît même pas un rappel, montre qu'il n'est pas passé à Tripodiskos. D'autre part on voit mal pourquoi les habitants de Pagai auraient tenu à commémorer d'une coûteuse statue — et peut-être d'un temple58 — un événement qui se serait produit à proximité de Tripodiskos. Enfin, on remarquera que le relief n'oppose aucune difficulté à un tracé direct de la route Mégare-Pagai : en trois heures de marche, on atteint la ligne de séparation des eaux entre le golfe Saronique et le golfe de Corinthe, d'où en une heure, on descend à Pagai : pourquoi les Mégariens auraient-ils compliqué le parcours en le faisant monter d'abord vers Tripodiskos, alors que la liaison la plus directe avec leur port sur le golfe de Corinthe était aussi la plus facile ?

Il est une autre région de Mégaride, non loin de la route moderne (directe)

n. 57.

(57) Sur Tripodiskos, supra, n. 30. (58) Sur cette statue et ses représentations sur des monnaies, cf. Megarika VII, BCH 105 (1981), p. 224,

Page 30: Megarika VIII, IX (1982)

1982] MEGARIKA 407

Mégare-Pagai, où l'érosion a creusé des cavités dans les falaises, donnant ainsi naissance à la curieuse légende de la « falaise des Perses » : il s'agit, dans le secteur d'Ano Alepochori, des avancées vers l'Ouest du mont Korona, près du lieu-dit Pyrgaki (fig. 14 et 41 )59. Localiser là la défaite des Perses est plus satisfaisant pour deux raisons : on est en plein territoire de Pagai, ce qui explique que ses habitants aient tenu, eux aussi, à commémorer l'événement. D'autre part, on est très près de l'axe qui menait de Mégaride en Béotie, dont le tracé a été décrit plus haut60. Cette proximité donne une certaine vraisemblance géographique à la légende : en effet, les Perses, dont l'intention était de rejoindre Mardonios à Thèbes, devaient emprunter cette route. Mais Artémis les égara à l'embranchement au Sud-Ouest du mont Korona, là où la route de Thèbes se sépare de celle de Pagai.

Arthur Muller.

(59) C'est aussi l'hypothèse de N. Papachatzis, Παυσανίου 'Ελλάδος Περιήγησις Ι (1974), p. 511, n. 1, qui ne donne cependant aucune justification.

(60) Supra'p. 385.