Page 1
Master Projet, Innovation, Conception
L’INNOVATION DANS LES TELECOMS
VUE A TRAVERS LE
DEVELOPPEMENT DE NOUVEAUX SERVICES GPRS/UMTS
Julien Boyreau
Hervé Guiot du Doignon
Juillet 2004
Ecole polytechnique - Ecole des Mines de Paris - Ecole des Ponts et Chaussées
Entreprise partenaire : Alcatel
Page 2
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
2
I. Alcatel face aux bouleversements de son environnement : des limites de la « réactivité »4
A. Un contexte de complexification de l‟environnement ................................................... 6
1. Le GSM un projet européen ....................................................................................... 6
2. L‟UMTS, le Wifi et le GPRS : ruptures dans la lignée du GSM ............................. 10
3. Mutation de la relation client ................................................................................... 14
B. Réactions et adaptation de l‟entreprise ......................................................................... 14
1. Les réponses organisationnelles ............................................................................... 15
2. Les réponses stratégiques ......................................................................................... 20
C. Un cas d‟étude d‟un projet en Chine : le switch MSC pour le réseau CDMA ............. 24
1. La release CDMA 2.2 ............................................................................................... 24
2. Réaction à une turbulence extérieure ....................................................................... 26
3. Conclusions sur l‟étude du projet ............................................................................. 30
II. Vers une compréhension des services mobiles aux utilisateurs finaux ............................ 33
A. Mise en perspective d‟une innovation : rupture d‟usages et stabilité économique –
Apport d‟usages des communications mobiles .................................................................... 33
1. Emergence de l‟ubiquité ........................................................................................... 34
2. L‟individualisation de la communication ................................................................. 36
3. Le GSM, enfant direct du fixe ? ............................................................................... 40
B. Caractérisation des services mobiles ............................................................................ 41
1. Une caractérisation des services ............................................................................... 41
2. Type de clientèle ...................................................................................................... 42
3. Produit support ......................................................................................................... 43
4. Processus de back-office .......................................................................................... 45
5. Modèle économique ................................................................................................. 46
6. Contrat ...................................................................................................................... 47
7. Processus de front office .......................................................................................... 48
C. Mise en perspective du modèle de Midler et Lenfle .................................................... 48
1. Extension de l‟innovation répétée aux services : la notion d‟offres de services ...... 49
2. Promouvoir la composition de services : de la nécessité de hiérarchiser les services
50
3. La dissémination des services .................................................................................. 52
III. La recherche de nouvelles lignées chez Alcatel ............................................................... 55
A. Enseignements sur l‟exploration d‟un champ de nouveaux services : la télématique . 55
1. Le GPRS et l‟UMTS : des technologies pour « ordinateurs » embarqués. .............. 55
Page 3
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
3
2. Analyse de la chaîne de services télématiques : la sécurité ..................................... 56
3. La gestion de la mobilité .......................................................................................... 60
4. Multimédia ............................................................................................................... 62
5. Organisation de l‟exploration chez Alcatel ............................................................. 64
B. Nouveaux usages : régénérer les modèles de conceptions de la communication ........ 66
1. Diversifier les usages de communication ou explorer l‟effervescence des nouveaux
modes d‟Internet ............................................................................................................... 66
2. Présence et assistant virtuel : de la transformation de la communication inter-
personnelle ....................................................................................................................... 74
C. Alcatel vis-à-vis de l‟extérieur : les standards ............................................................. 78
1. Nécessité des standards ............................................................................................ 78
2. Les standards : d‟une contrainte à un moyen d‟innover ........................................... 79
Page 4
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
4
INTRODUCTION
Le monde des télécommunications mobiles, qui a véritablement pris son envol au début des
années 90, est devenu en seulement quelques années un acteur essentiel du monde
économique. Le taux de pénétration du téléphone mobile numérique, dit 2G, basé sur les
technologies de réseaux cellulaires, a atteint, dans le monde occidental, un niveau tout à fait
extraordinaire en l‟espace de 10 ans que seuls des produits de masse comme la voiture ou la
télévision sont à même de revendiquer.
Cependant, victime de son succès, il connaît aujourd‟hui une phase de stagnation où les
opérateurs télécoms ont de plus en plus de mal à attirer de nouveaux abonnés et où la
congestion des fréquences devient de plus en plus évidentes. Devant cette situation, ces
derniers ont massivement investi dans l‟UMTS, norme de 3ème
génération de téléphonie
mobile. Ils ont ainsi ouvert la brèche d‟un monde du « data », de l‟IP et de l‟Internet,
radicalement différent du leur. C‟est dans ce contexte qu‟Alcatel, fournisseur de premier ordre
des opérateurs télécom évolue. Dans un monde où la concurrence entre équipementiers est
très forte, seuls des stratégies innovantes permettent de se différencier pour survivre.
Nous étudierons dans une première partie, l‟évolution de la filière télécom et les réponses
qu‟Alcatel a su mettre en place pour y faire face. Nous analyserons ainsi où se situent et
comment se sont développées les innovations dans le cadre très standardisé de la filière
télécoms, analysant aussi les conséquences qu‟a le rapprochement du monde Internet vers
celui des télécommunications. Après avoir analysé les réponses d‟Alcatel, nous verrons
certaines limites de la stratégie adoptée à travers le cas d‟un projet chinois : nous mobiliserons
les outils de gestion de projet pour étudier le déroulement d‟un projet télécoms « classique »
et mettrons en perspective le nécessaire intérêt à porter aux services des utilisateurs finaux.
Dans une deuxième partie, après nous être intéressé plus particulièrement à ce que sont
aujourd‟hui les services mobiles de télécommunications, nous chercherons à caractériser
certaines des variables de conception de ces services en les étudiant dans cet environnement à
la frontière des télécoms et de l‟informatique. Après avoir posé les limites du modèle utilisé,
nous proposerons plusieurs voie d‟aide à la conception de services innovants.
Page 5
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
5
Ceci nous amènera naturellement, dans une troisième partie, à nous interroger sur l‟innovation
dans le domaine des réseaux paquets. Partant de la nécessité de régénérer les modèles
génératifs du secteur, nous proposerons ainsi deux « expansions » illustrant des voies
prometteuses issues de nos activités : la télématique (expansion sur les supports) et les
patterns de communication récents du Web. Fort de ces éléments, nous essaierons de voir
qu‟elles stratégies développables en interne et en externe permettraient à Alcatel d‟innover
dans son environnement.
Page 6
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
6
I. Alcatel face aux bouleversements de son environnement :
des limites de la « réactivité »
A. Un contexte de complexification de l’environnement
1. Le GSM un projet européen
a) D‟une initiative commerciale a un projet européen
La réalisation d‟un téléphone sans-fil a résulté d‟une très longue phase de maturation où
différents concepts clés se sont dégagés progressivement. Le premier test technique de
communication sans-fil remonte au milieu des années 60, notamment grâce au travaux
d‟ingénieurs de Motorola sur la fabrication d‟un terminal téléphonique sans-fil. Ces premiers
essais confirmèrent la validité du principe de réseau cellulaire c‟est à dire de la
communication du terminal avec un réseau de stations radios ou BTS, organisé en cellules.
Les travaux de développement purement technique se poursuivirent pendant plus de deux
décennies afin d‟améliorer les dialogues entre BTS et permettre ainsi le hand-over entre
cellules, c‟est-à-dire la non-rupture de communication lors d‟un changement de cellule. Ces
techniques permettaient ainsi d‟assurer une continuité de la communication en situation de
mobilité étendue, véritable nécessité pour des individus en déplacement.
Au milieu des années 80, après donc plus de dix ans de développement intensif, apparurent les
premiers réseaux commerciaux sans fils : Radiocom 2000 en France, NMT 450 dans les pays
nordiques et du Bénélux, TACS au Royaume-Uni, C-Netz en Allemagne de l‟Ouest et
RTMI/RTMS en Italie. Ces réseaux, bien que révolutionnaires dans l‟usage de la
communication téléphonique, souffraient de plusieurs problèmes :
- ils s‟étaient développés de façon anarchique au niveau national ou régional et ne favorisait
ainsi pas leur adoption de façon généralisée, en limitant les possibilités de déplacement.
De façon générale, l‟interopérabilité était impossible.
Page 7
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
7
- la demande croissante en téléphonie mobile entraînerait au début des années 90 la
saturation des réseaux de première génération,
- les combinés utilisés, bien que technologiquement très avancés, restaient très encombrants
en terme de taille et souffraient d‟un cruel manque d‟autonomie.
En 1982, la Conférence des Administrations Européennes des Postes et Télécommunications
(CEPT) regroupait principalement les monopoles nationaux de télécommunications de 26
pays européens ; c‟est pourtant elle qui la première a émis l‟idée que l‟industrie des
télécommunications du futur devrait passer par une coopération paneuropéenne. C‟est dans
cet optique, qu‟elle a constitué le Groupe Spécial Mobile (GSM) dont l‟objectif était de
développer les spécifications pour un réseau de télécommunication mobile paneuropéen
capable de supporter les millions d‟abonnés susceptibles de venir à la téléphonie mobile dans
le futur.
La volonté commerciale d‟établir le GSM était une première étape ; établir un système de
communication unifié au niveau européen nécessitait cependant aussi une forte volonté
politique. C‟est en 1984, grâce à la promotion faite par le CEPT auprès des institutions de
chaque pays que le projet GSM reçu l‟approbation de la Commission Européenne. En 1986, la
Commission Européenne émis ainsi une recommandation et une directive fondamentales pour
le développement du GSM. La recommandation appelait à un lancement coordonné du GSM
en 1991, avec un nombre restreint de services. Il serait suivi par le lancement complet dans les
grandes villes en 1993 avant que celles-ci ne soient interconnectées en 1995 (couverture des
autoroutes tout d‟abord, zones périurbaines puis couverture nationale). La directive quant à
elle demandait à tous les états de réserver la bande de fréquence des 900 MHz. Même si elle
n‟a pas obtenu toute la largeur de bande espérée, l‟industrie des télécommunications avait
acquis par-là un soutien essentiel pour mener son développement à long terme : des
économies d‟échelle étaient assurées pour les constructeurs, au moins au niveau européen.
Les constructeurs étaient ainsi convaincus de l‟intérêt d‟aller vers cette technologie préférant
ainsi un retour sur investissement substantiel à long terme à des gains à court terme en collant
aux technologies analogiques.
Page 8
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
8
b) Une gestion de projet au niveau européen
Dès le départ, le GSM avait bien en tête de réaliser un standard qui utiliserait les technologies
numériques plutôt qu‟analogiques et opérerait dans la bande de fréquence des 900 MHz. La
technologie numérique apportait à la fois une haute qualité de transmission et permettait plus
d‟appels simultanés sur la bande de fréquence allouée. De plus, un tel choix permettrait à
l‟avenir de développer d‟autres fonctionnalités tels que la sécurisation de la voix et la
transmission de données.
Passer à une technologie numérique permettait de plus d‟utiliser les « very large scale
intagrated silicon technology » (VLSI). Grâce à ces technologies de gravure des composants,
les terminaux pourraient ainsi être moins chers et plus petits. On pourrait même ainsi passer à
des terminaux portables (pas au début mais par la suite…) De plus cette approche par les
technologies numériques permettait d‟être complémentaire de la technologie numérique de
téléphonie fixe Integrated Services Digital Network (ISDN) en cours de développement.
En 1986, le GSM Permanent Nucleus, responsable de coordination des spécifications du
GSM, a mené une campagne de tests essayant huit ou neuf possibilités au niveau des standard
radio. A l‟issu de cette phase de prototypage rapide, le choix se porta sur une seule
technologie : le Time Division Multiple Access (TDMA). Ces performances techniques lui
donnaient le support de gros acteurs comme Nokia, Ericsson et Siemens. On s‟assurait ainsi
un marché concurrentiel au niveau des constructeurs dès le départ, permettant peut-être une
arrivée rapide des produits sur le marché.
S‟appuyer sur des technologies et des standards communs là encore n‟était qu‟une première
étape. Quid du marché ? Il était en effet essentiel que des opérateurs potentiels s‟engagent à
mettre les standards en place à une date donnée. Sans un tel accord, il n‟y aurait ni réseau, ni
terminaux…
Le premier Memorandum of Understanding (MoU) devait être signé entre au moins trois
opérateurs pour avoir de l‟avenir. Il le fut par quinze opérateurs de treize pays.
Après quelques années de doutes sur sa disponibilité à temps et son succès, le passage des
spécifications du GSM sous la coupe de l‟European Telecomunications Standards Institute
(ETSI) relança la course. La coopération entre administrations, opérateurs et constructeurs
permis un développement rapide des spécifications du GSM phase 1 qui furent ainsi publiées
Page 9
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
9
en 1990. Le PCN anglais, menace au départ contre le GSM, se rallia au projet, l‟adaptant à la
fréquence des 1800 MHz sous le nom DCS 1800 puis GSM 1800 en 1997.
c) Les terminaux : chemin critique du lancement du GSM
Malgré ces développements très encourageants, la date du 1er
juillet 1991 ne put être tenue ; la
démonstration au forum de l‟International Telecomunication Union (ITU) d‟un réseau GSM
pilote fut néanmoins une réussite avec 11000 appels passés sans problème majeur. Le
problème principal retardant le lancement était la disponibilité des terminaux : la procédure
d‟approbation des terminaux n‟était pas encore au point.
Un élément clé du GSM est en effet le roaming. Pour le rendre possible, tous les réseaux et
terminaux doivent en effet être identiques. Avec tant de constructeurs dans tant de pays créant
un si grand nombre de produits, il était nécessaire que chaque terminal subisse un test
rigoureux. Des terminaux déficients pourraient en effet causer des dégâts à tout un réseau.
A posteriori, il est facile de comprendre la raison d‟un tel délai. Un tel test nécessitait en effet
la création d‟un équipement complexe capable de simuler un réseau GSM entier avec lequel
le terminal opèrerait. Le développement d‟un tel simulateur s‟est avéré être considérablement
plus complexe que ce qui avait été envisagé. Mais sans un processus de tests, il n‟y aurait pas
de terminaux et sans terminaux…
La solution était l‟introduction de l‟Interim Type Approval (ITA). La procédure de tests était
simplifiée pour vérifier uniquement que le terminal mobile ne créerait pas de problèmes dans
le réseau. Les terminaux ITA apparurent ainsi en 1992, et de véritables téléphones portables
apparurent sur le marché à la fin de cette année. Le véritable lancement des réseaux GSM eu
ainsi lieu en 1992 en Europe pour treize opérateurs.
d) Développement du GSM et limites pour les opérateurs
Une fois lancé, le GSM s‟est développé à très grande vitesse. Parti d‟un projet européen, des
systèmes GSM ont été installés partout dans le monde : Australie tout d‟abord puis Asie,
Afrique, Amériques… Le milliardième utilisateur du GSM a ainsi été fêté en mars 2004…
Cependant, il apparaît aujourd‟hui presque victime de son succès. Les ambitions des
opérateurs d‟atteindre un taux de pénétration de plus de 100% avec plus d‟un abonnement par
personne ont laissé place à un constat plus pragmatique.
La réalité est que les opérateurs, bien qu‟ils tentent par tous les moyens de séduire de
nouveaux individus, ne réussissent plus à augmenter leur nombre d‟abonnés. La croissance
Page 10
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
10
d‟abonnées stagne aujourd‟hui à des valeurs de 1 ou 2% par an. L‟ouverture du système de
portabilité du numéro, permettant à un abonné de changer d‟opérateur sans changer de
numéro, ne permet pas de résoudre la crise de croissance du marché.
Devant le faible nombre de nouveaux abonnés, l‟une des solutions est de réussir à augmenter
le revenu par abonné, le fameux ARPU (Average Revenu Per User), mètre étalon des business
models opérateurs.
La première tentative dans cette direction a été l‟introduction en 1998 des SMS, Short
Message Service, petit message limité à 160 caractères, transitant par les canaux GSM. Son
succès, totalement inattendu par bon nombre de spécialistes, est phénoménal. On estime
aujourd‟hui à 15 Milliards le nombre de SMS échangés mensuellement dans le monde. Ce
nouveau marché représente une véritable manne financière pour les opérateurs qui
surfacturent les SMS par rapport à leur coût de revient.
Afin de poursuivre cette croissance par augmentation de l‟ARPU plutôt que par acquisition
systématique de nouveaux abonnés sur un marché GSM saturé, les opérateurs ont ainsi
largement investi sur les technologies de réseaux mobiles de nouvelle génération : le GPRS et
l‟UMTS. Avec l‟introduction de la technologie paquet, les opérateurs, sans l‟avoir vraiment
préparé, ont ainsi ouvert une formidable boîte de Pandore sur un marché risqué et
imprévisible : Internet.
2. L’UMTS, le Wifi et le GPRS : ruptures dans la lignée du GSM
Introduit en 2001 par les opérateurs, le GPRS introduit véritablement la téléphonie mobile au
monde Internet. Cette introduction ne se fait cependant pas sans difficultés : à plusieurs
niveau, elle se situe en rupture avec les technologies précédemment utilisées.
a) Rupture technique
Les technologies GPRS et UMTS introduisent une profonde mutation dans l‟architecture des
réseaux télécom. En doublant le cœur de réseau traditionnel dédié à la voix (cœur de réseau
circuit), d‟un nouveau cœur de réseau destiné aux transmissions de données, l‟opérateur
rapproche son réseau d‟un réseau classique de type Internet. L‟échange de paquets IP peut en
effet se faire directement entre l‟usager et un serveur situé sur Internet, sans que l‟opérateur
n‟intervienne autrement que dans la transmission des données et leur éventuelle taxation.
Page 11
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
11
Le modèle classique de l‟opérateur consiste à verrouiller ses usagers sur son réseau : il fournit
tous les services dont ses clients ont besoin et se charge de les taxer. L‟opérateur est ainsi le
seul à pouvoir revendiquer l‟apport d‟intelligence aux terminaux de ses usagers. L‟ouverture
vers le monde Internet et l‟augmentation constante de la puissance des terminaux modifie
fondamentalement cette donne. Cette dernière permet en effet aux fabricants de téléphones
mobiles de doter leurs téléphones de systèmes d‟exploitation (Symbian, Windows CE),
véritables plates-formes sur lesquelles des logiciels peuvent être installés. Le client ne se
trouve ainsi plus verrouillé par un opérateur qui lui vend les portables qu‟il veut et où sont
installés sans modification possible les logiciels relatifs aux services qu‟il est à même de
fournir.
L‟i-mode peut être vu comme une étape de transition entre l‟ancienne et la nouvelle économie
des opérateurs. D‟un point de vue technologique, l‟i-mode repose sur du GPRS et sur un
serveur de type serveur Web. Cependant, l‟opérateur a une forte mainmise sur le business
model : le contrôle des pages vues par ses utilisateurs est quasi total, et la taxation passe par
lui, suivant les accords qu‟il a avec les tierces parties fournissant les services. Il faut dire
qu‟au moment du lancement de l‟i-mode, ni Internet, ni les terminaux n‟avaient atteint le
développement qu‟ils ont aujourd‟hui.
Dans le nouveau modèle de services, l‟opérateur, bien malgré lui, peut-être considéré comme
un fournisseur de bande passante. L‟accélération des vitesses de transmission en est en partie
responsable : un serveur situé sur Internet aura quasiment le même temps de latence pour le
service que si celui-ci avait été fourni directement par l‟opérateur. Un fournisseur de service
situé sur Internet va alors utiliser cette bande passante fournie par l‟opérateur pour dialoguer
avec son client connecté au service grâce à un téléphone portable. Le rôle de l‟opérateur s‟en
trouve ainsi diminué, il passe de celui de fournisseur de service à celui de fournisseur de
bande passante.
Concernant le push-to-talk, on peut par exemple imaginer le modèle suivant. Un fournisseur
de service push-to-talk installe un serveur push-to-talk sur Internet. Ses clients équipés d‟un
mobile Symbian téléchargent sur son site l‟application push-to-talk. Une fois installée sur le
portable l‟application se connecte au serveur du fournisseur de service push-to-talk,
s‟enregistre, créé sa liste d‟amis déjà présents chez ce fournisseur de service (ou chez d‟autres
grâce à l‟interopérabilité entre les serveurs push-to-talk) et une communication push-to-talk
peut enfin démarrer. Et si, un tel fournisseur de service était Yahoo! ou MSN ? Cette
ouverture vers le monde Internet fait ainsi apparaître de nouveaux concurrents pour
l‟opérateur et pas des moindres !
Page 12
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
12
b) Rupture économique
Nous l‟avons vu tout à l‟heure, l‟ouverture du mobile vers l‟Internet peut faire passer les
opérateurs de fournisseurs de services à fournisseurs de bande passante. L‟analogie avec
l‟ADSL est facile : les fournisseurs de services Internet sont en réalité souvent des
fournisseurs d‟infrastructure de transport. Le cas AOL mis à part, ceux-ci fournissent en effet
très peu de services à valeur ajoutée. Le business model le plus utilisé est celui du flat fee :
paiement mensuel pour un accès illimité.
Le business model couramment utilisé par les opérateurs de télécommunications pour les
données est celui du paiement au kilo-octet transféré. Les opérateurs de fait peuvent craindre
de cannibaliser leur marché de téléphonie vocale classique. Les technologies de voix sur IP
(VoIP) commençant à être assez mûres, ce qui est entrain de se produire en téléphonie fixe, à
savoir le passage des communications téléphoniques à moindre coût par les fournisseurs de
service Internet, pourra aussi se produire en téléphonie mobile. Les opérateurs pour se
protéger de cette fuite des usagers vers un canal de transport qu‟ils ne maîtrisent pas sont donc
tentés de garder leurs business model actuel : paiement à la quantité de données échangées
voire même, gros retour en arrière, paiement à la durée d‟utilisation (comme SFR sur
l‟UMTS)
Entre ses business model antagonistes, illimité à la mode Internet qui fournit aux usagers une
souplesse d‟utilisation ou taxé à l‟usage modèle courant du mobile, le modèle économique est
bien différent pour l‟opérateur.
c) Rupture des systèmes de conception
Outre les ruptures techniques et économiques, le rapprochement de l‟informatique et des
télécommunications est le lieu d‟une confrontation entre deux systèmes de conception bien
distinct. Le premier s‟appuie sur de puissants groupes pour organiser la conception à travers
des standards alors que le deuxième repose sur la création de valeur par les entreprises elles-
mêmes, soucieuses de manière individuelles d‟améliorer leurs produits. Nous développerons
ces différences à travers deux produis reposant sur des méthodes de conception différentes : le
Wifi et le GPRS.
Page 13
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
13
(1) Le 802.11
Au niveau technique, le 802.11 suit une évolution orientée par le concept d’innovation
répétée, bénéficiant des cours délais de normalisation de l‟IEEE et de la décentralisation très
forte des acteurs potentiels dans un marché des équipements très concurrentiel.
Ce mode d‟organisation a permis au 802.11 de bénéficier au cours des 18 derniers mois d‟une
suite constante d‟évolutions techniques sur les différents axes de conceptions envisageables,
comme :
le débit supporté (évolution 802.11a et 802.11b à 54Mbits/s et premiers tests sur la norme
n à 100Mbits/s)
la sécurité (norme 802.11i)
la qualité de service (norme 802.11 e)
le hand-over (travaux en cours)
Le caractère local du 802.11 a donc privilégié une approche bottom-up, entamée avec succès
dans le réseau d‟entreprise depuis le début des années 80, procédant par petits pas.
(2) Le GPRS/UMTS
Techniquement, ces technologies représentent un bon exemple, de la conception en modèle
d’ingénieurie ou d‟une approche Top-Down. Ici, la conception et la maturation du cahier des
charges sont très longues et le développement est très consommateur de ressources. Le
développement et l‟objectif sont orientés vers le client de l‟ouvrage réseau, l‟opérateur
mobile. Ainsi, la topologie du réseau est hiérarchique, prévue à l‟avance. Le temps de
déploiement est long, séquentiel et a priori à visée totale pour l‟ensemble du territoire.
Cette conception permet une maîtrise du réseau de bout en bout et une architecture de
paiement standardisé.
C‟est dans ce contexte de conception que s‟est situé le GPRS. Les services étaient développés
plutôt suivant un mode Internet avec un réseau développé suivant le schéma de
standardisation des telécoms. Les technologies paquets consomment véritablement la rupture
entre les couches de transport et celles de service. Derrière une apparence de services dédiés
au mobile, les services développés actuellement pour la 3G utilisent en fait les technologies IP
comme support et sont donc bel et bien décorrélés totalement de la couche transport UMTS…
Page 14
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
14
3. Mutation de la relation client
Simultanément à la profonde modification de son environnement technique, l‟environnement
économique d‟Alcatel a fortement changé au cours des dix dernières années. Jusqu‟à il y a 10
ans, les relations entre le CNET (centre R&D de France Télécom) et Alcatel étaient plus que
des relations maître d‟œuvre - maître d‟ouvrage : France Télécom était le client naturel et
privilégié d‟Alcatel qui le lui rendait bien.
Le secteur des télécommunications a maintenant bien changé. La standardisation nécessaire à
l‟interopérabilité a été l‟élément déclencheur d‟une profonde mutation de l‟écosystème des
équipementiers télécoms ; elle a engendré :
une concurrence accrue entre les constructeurs. Auparavant, ceux-ci développaient de
manière quasiment spécifique des technologies pour leurs clients naturels. Maintenant,
tout le monde développe les mêmes éléments constitutifs du réseau. Chacun peut donc se
vendre non plus uniquement sur son marché national mais aussi sur tous les autres
marchés. De plus, de nouveaux acteurs apparaissent, notamment des acteurs chinois
comme Huawei et ZTE qui interviennent sur leur marché national (marché très important
pour les autres acteurs !) mais aussi au niveau international.
une diversification des clients. Puisque tous les éléments constitutifs du réseaux sont
standardisés, de part le monde, tous les clients veulent les mêmes produits et chaque
constructeur peut donc adresser un panel beaucoup plus important de clients. Cette
diversification des clients nécessite une adaptation de la part de l‟entreprise. Ceux-ci ont
de plus bien changé. Ils ne sont plus uniquement les ex-monopoles nationaux. On compte
parmi eux des opérateurs présents quasiment à l‟échelle d‟un continent voire même plus
étendus (Vodaphone, Orange).
La relation client devient ainsi maintenant beaucoup plus une relation maîtrise d‟ouvrage –
maîtrise d‟œuvre à l‟avantage des opérateurs.
B. Réactions et adaptation de l’entreprise
Comme nous avons pu le constater dans le premier paragraphe, la situation externe de
l‟entreprise s‟est fortement modifiée depuis ces quelques dernières années. La dérégulation
Page 15
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
15
des Télécoms a profondément remodelé la situation concurrentielle et l‟offre de clients
potentiels.
Le changement est donc extérieur mais doit aussi nécessairement s‟accompagner de profonds
bouleversements en interne, tant au niveau de l‟organisation que des compétences et des
savoir-faire. La convergence des mondes informatique et télécoms signifie ainsi une profonde
évolution des compétences fondamentales pour Alcatel car les réseaux nouvellement
construits sont très différents de ceux que l‟entreprise a pu connaître dans le passé, tant au
niveau technique qu‟économique.
Nous allons ici examiner les différentes réponses qui ont pu être apportées jusqu‟ici à ces
défis majeurs de changements. Elles mêlent à la fois des enjeux organisationnels et
stratégiques, notamment dans la problématique d‟acquisitions des nouvelles compétences
nécessaires à la compréhension de technologies qui évoluent de façon beaucoup plus
chaotiques et décentralisées que dans le monde classique très planifié des
télécommunications.
Nous pourrons voir que ces remises en questions sont loin d‟être achevées tant il est difficile
de sortir du régime d‟urgence engendré par un renouvellement technique dans un contexte
mal maîtrisé. Nous avons pu avoir la chance, durant notre mission, d‟être au cœur de ces
réorganisations successives qui nous ont profondément marqués et influencés du point de vue
de l‟inertie et des problématiques inhérentes à ces mouvements permanents des hommes et
des responsabilités.
1. Les réponses organisationnelles
Evolution de la force de vente : un retour sur l’ importance de la relation client.
Il n‟est pas inutile de s‟attarder un instant sur la structure organisationnelle de l‟entreprise
pour y découvrir des éléments importants de la façon dont elle se perçoit et se positionne.
Alcatel présente une structure assez classique dite matricielle où les différentes divisions de
produits s‟entrecroisent avec les éléments de force de ventes et de compétences. Il y a en effet
5 Business Regions (BR), structures transversales représentant chacune une zone
géographique précise et responsables pour l‟ensemble des ventes sur ces régions.
Page 16
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
16
La déréglementation des Télécoms ayant eu pour effet de multiplier les clients potentiels, les
BR se sont naturellement dotées de Key Account Manager (KAM), véritable point de
focalisation vers le client et se voulant interface unique et relais principal vers les
départements de l‟entreprise concernée par les demandes. Le KAM est notamment important
puisque c‟est normalement lui qui remonte les Request For Quotation (RFQ) et les Request
For Interest (RFI) venant des clients potentiels d‟Alcatel. En pratique, on s‟aperçoit que la
frontière entre le client et Alcatel est souvent assez poreuse, que les contacts sont assez
nombreux et à divers niveaux et qu‟il est très difficile de centraliser tous les échanges en
passant par un KAM. Cette structure aurait pourtant l‟avantage d‟éliminer les redondances qui
peuvent exister lorsque des équipes clientes et Alcatel travaillent en parallèle sur des sujets
proches ou identiques. Les rapports parfois informels que peuvent entretenir des équipes
parallèles peuvent aussi avoir comme conséquence de créer une image spécifique dans l‟esprit
de la partie cliente, image qui devient parfois sa vision d‟Alcatel tout entier. Lorsque les
relations sont correctes et enrichissantes ceci est peu important. Dans le cas contraire, les
conséquences peuvent être catastrophiques pour l‟entreprise tout en entière. Il est donc
important de gérer au mieux l‟image qu „Alcatel donne aux partenaires extérieurs et donc de
la contrôler le mieux possible.
Ces quelques problématiques trouvent tout leur poids dans un contexte environnemental où la
relation client est devenue essentielle.
En effet, comme nous l‟avons déjà abordé précédemment, deux facteurs se conjuguent. La fin
des monopoles d‟opérateurs nationaux a changé l‟organisation des projets et en partie remis
en cause le modèle d‟ingénierie piloté par l‟Etat, qui avait connu un grand succès, notamment
en France et en Allemagne, avec leur concept de « champions nationaux », « ideal-type » dont
Alcatel et Siemens fournissent de bons exemples. Dans ces structures, Alcatel jouait le rôle de
fournisseur et parfois de sous-traitant, en général unique, pour France Télécom. Ce genre de
structure était en général relativement floue et les notions de projets « nationaux »
transcendaient largement les frontières entre les deux entreprises. La vie de l‟ingénieur projet
Alcatel était à la limite de la « fonctionarisation » complète, très détachée de problématiques
« orientés marché ».
L‟ouverture à la concurrence a obligé ses entreprises à fortes compétences techniques à
développer une capacité à séduire sur le marché des clients, souvent nouveaux, et dans un
contexte de compétition exacerbée. Dans un secteur fortement standardisé ou le degré de
substituabilité des produits d‟équipementier est grand pour les opérateurs, une grande partie
Page 17
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
17
du travail d‟entreprises comme Alcatel consiste à essayer de convaincre par différents moyens
de la qualité des ces produits. L‟activité de relation client et de lobbying est donc essentielle.
Dans ce contexte, durant notre mission, Alcatel a décidé de refondre de manière importante
ses équipes clients, afin de les doter de beaucoup plus de moyens et de responsabilités. Les
simples KAM se sont transformés en Customer Area Team (CAT), structures beaucoup plus
conséquentes et dédiés au support et à la relation client, en relation directe avec les équipes de
support technique de l’Operation and Support Division (OSD) afin d‟optimiser le temps de
traitement des problèmes clients.
Cependant, même avec cette augmentation du poids des équipes clients, nous avons pu
observer plusieurs limites de fait dans la pratique. Nous avons en particulier remarqué
l „énorme problème posé par le processus de NPI (New Product Introduction) dans la partie
industrialisation des nouvelles offres. En effet, ces nouveaux produits représentent souvent
des avancées techniques avec lesquelles le personnel d‟OSD, habitué aux technologies de type
télécom, n‟est pas familiarisé. Nous avons identifier un véritable goulot d‟étranglement dans
le processus de transmission de responsabilités entre la R&D et OSD, division devant assurer
la prise en charge du nouveau produit dans « sa vie série ».
Comme les personnes d‟OSD ne sont en général pas bien familiarisées avec ces nouveautés,
le département de R&D où nous étions s‟est systématiquement retrouvé en première ligne de
front quand des problèmes de maintenance ou d‟installation se sont faits pressants, notamment
sur les First-Off (premiers déploiements). En situation d‟effectifs restreints, cette surcharge de
travail a été difficile à faire passer dans l‟emploi des ressources très serrées du département.
Cette situation a transformé notre chef direct en une sorte de « staffeur » en temps réel,
recherchant à droite à gauche les compétences nécessaires pour envoyer les hommes « sur le
front ». Il est intéressant de remarquer que ce changement de fonctionnement n‟est pas
toujours accepté de manière unanime par un personnel dont l‟age varie de 25 à 50 ans. Autant
il est aisé de convaincre (forcer ?) une jeune recrue sans attache pour partir barouder deux
mois au Nigeria sur l‟installation d‟un nouveau réseau, autant la procédure est moins facile
lorsque le dit personnel approche la cinquantaine et doit dire au revoir à ces enfants pour deux
mois alors qu‟il vient juste de commencer ces vacances.
On découvre ici toute la psychologie nécessaire du manager pour arriver à « faire passer » ces
missions parfois douloureuses. On y découvre aussi un effet pervers assez classique d‟une
situation où un futur très incertain génère une urgence permanente. En effet, lorsque le
Page 18
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
18
manager en question démontre une formidable capacité à trouver au jour le jour des solutions
à tous les problèmes, il devient un point de passage repéré et ébruité par tous ces collègues,
ces chefs…Finalement, sa capacité à toujours s‟en sortir lui apporte des situations toujours
plus complexes à résoudre. On rentre ainsi dans un cercle vicieux qui a pour grand
désavantage de masquer les problèmes d‟organisations par la grande capacité d‟adaptation du
manager. On observe alors comment l‟élastique se tend de plus en plus, surtout dans un
contexte renonçant aux organigrammes et donc privilégiant l‟informel, qui fait apparaître des
points de passages très sollicités.
Durant notre stage, il n‟a jamais cassé. Mais on en vient presque à espérer le grippage de
l‟engrenage afin de pouvoir poser clairement le problème sur la table. Nous ne nous étendrons
pas plus avant sur cette problématique de la relation client pour l‟instant, mais nous sommes
convaincus qu‟Alcatel ne pourra pas éluder éternellement le « goulot » de la passation entre
les deux départements.
L’organisation des Business Units : plutôt par types de clients que par compétences.
A côté des structures géographiques de ventes et de support, Alcatel compte trois principaux
groupes. Cette structure affirme réalité historique d’équipementier réseau généraliste de
l‟entreprise. Les trois groupes sont :
Le Fixe Communication Group (FCG), regroupant tous les produits et services à
destination des opérateurs de télécommunication fixes (OTF).
Le Mobile Communication Group (MCG), regroupant tous les produits et services à
destination des opérateurs de télécommunication mobiles (OTM)
Le Private Communication Group (PCG), regroupant toutes activités à destination des
clients non-opérateurs, en particulier les entreprises et les activités autour des satellites.
On remarquera, à travers cette brève description, que le principal trade-off dans la structure se
fait par rapport à la nature du client, à savoir s‟il est opérateur ou non. Même si les
évolutions récentes du secteur nous donneront l‟occasion de discuter de cette macro
organisation, on peut remarquer que cette organisation est fortement liée à l‟historique dans le
sens où la branche mobile a pu faire apparaître un certain nombre de spécificités. Dans la
suite, nous allons nous pencher sur le groupe mobile dans lequel nous avons évolué dans ces
quinze derniers mois.
Page 19
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
19
Comme les autres groupes de l‟entreprise, MCG se découpe lui-même en divisions qui
répartissent en fonctions des produits sur les différentes parties des réseaux mobiles. Au
moment de la fin de notre stage, le découpage était le suivant, se structurant autour de trois
principales entités :
La Mobile Radio Division (MRD), regroupant les activités relatives aux éléments radios
mobiles, autant pour la 2G (BTS et BSC), 3G (NodeB et RNC) que des technologies
émergentes comme le Wimax.
La Mobile Solution Division (MSD), regroupant la plupart des activités reliées au cœur
de réseaux et aux applications et services aux utilisateurs finaux.
La Mobile Phone Division, occupée à la conception de téléphones mobiles.
Ce découpage appelle plusieurs commentaires.
D‟une part, cette échelon d‟organisation est très mouvante et a du mal à s‟établir comme un
échelon cohérent, victimes des attaques provenant du niveau supérieur, le Group, qui a
progressivement récupéré les activités essentielles de Strategic Marketing et du niveau
inférieur, la Business Unit (BU), qui représente l‟échelon important d‟organisation, le cœur
de la vie de l‟entreprise, réplique à l‟échelle d‟une entreprise complète avec un département
Marketing, un centre de R&D, des ingénieurs d „affaires dédiées… Au niveau de la Business
Unit, le raisonnement est identique à celui d‟une entreprise, on y parle chiffre d‟affaire, ROI,
marge…
A l‟intérieur de MSD, on compte aujourd‟hui deux Business Units :
La Mobile Application Business Unit (MABU), responsable des activités sur les
applications.
La Mobile Core Business Unit (MCBU), spécialisé sur la conception du cœur de réseau
mobile, principalement les deux nœuds UMTS/GPRS que sont le SGSN et le GGSN
Nous étions affectés à la R&D de MCBU. Dans ce contexte, nous avons pu observer le
mouvement permanent de changements organisationnels. Une division avait été divisée en
deux juste avant notre arrivée (Fixed Mobile Solution Division scindée en MSD et FSD)
Durant les quinze mois de notre présence, une autre a été démantelée (la partie radio et
Page 20
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
20
MCBU était précédemment regroupée en une même division appelée Mobile Network
Division), deux Business Units ont fusionné (Mobile Solution Intégration et Mobile
Application Software sont devenues MABU) et une dernière division a tout simplement
changé de propriétaire (MPD devenant une société possédée à peu près à parts égales par
Alcatel et le Chinois TCL).
Ce mouvement perpétuel d‟organisations qui ne durent que 6 mois peut sembler anodin à
l‟observateur théorique qui regarde l‟entreprise de loin. Dans la réalité, on remarque que les
esprits des personnels sont beaucoup plus longs à adapter que le temps nécessaire à dessiner
des bulles sur un organigrammes. Nous avons rencontré plusieurs personnes qui se trouvaient
déstabilisées par ces changements perpétuels. En effet, pour beaucoup de salariés, il
apparaissait indispensable (à juste titre) de connaître les personnes responsables de leur unité
afin de savoir à qui s „adresser en cas de problème. Nous avons vécu deux réorganisations en
un an et côtoyé après le deuxième changement des gens qui n‟avaient pas assimilé les
modifications antérieures effectuées six mois plutôt. Un certain manque de communication et
de visibilité sur l „avenir ne peuvent qu‟aggraver le sentiment d‟un grand nombre d‟être
baladés sans savoir vraiment vers où. Les gens ne sont pas par nature rétifs au changement.
Encore faut-il savoir présenter la chose de façon compréhensible et concertée. De notre vécu,
nous retirons la conviction profonde qu‟une meilleure consultation des salariés sur
l‟organisation est primordiale pour éviter les situations que nous avons pu connaître.
Car nous avons pu observer à quel point les organisations peuvent créer des tensions et des
murs invisibles souvent difficiles à dépasser, notamment dans le cas de positions un peu
bancales comme celle que nous avons occupé pendant un an. Dans la relation avec un certain
nombre de collaborateurs, nous avons mesuré que l‟appartenance à un groupe, une unité à la
mission entérinée par l‟organigramme, donne souvent la légitimité nécessaire pour être pris au
sérieux et obtenir les réponses aux interrogations que nous pouvions soulever.
Ceci est d‟autant plus vrai lorsque est sollicitée une collaboration inter-BU car celles-ci
contrôlent un élément essentiel : le budget. Lorsque des explorations nécessitent une vision
qui transcende celles des BU, le problème des budgets sont toujours en première ligne.
2. Les réponses stratégiques
Les différentes évolutions et limites structurelles énoncées précédemment mettent en lumière
les grands bouleversements qu‟Alcatel subit depuis une dizaine d‟années. Ils illustrent aussi le
basculement de l‟entreprise dans un environnement où la course à l‟innovation technologique
Page 21
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
21
est permanente, non-linéaire et extrêmement décentralisée, modèle hérité de la Silicon Valley
dont l‟influence est très grande de part la convergence des technologies du monde télécom et
informatique.
Alcatel vient d‟une industrie centenaire qui profitait de l‟implication étatique pour planifier
sur le long terme des projets d‟ingénierie de grande envergure où les problèmes de rentabilité
à moyen terme étaient secondaires. La structuration de la progression du savoir était elle aussi
très encadrée, par de grands organismes de standardisation, (l‟ETSI et l‟Union Internationale
des Télécoms, l‟ITU), regroupant tous les acteurs (opérateurs et équipementiers) et
normalisant les différentes évolutions techniques (toute la série de normes X.xx), dans un
contexte d‟évolution contrôlée.
De plus, les coûts d‟investissements des réseaux avaient tendance à décourager toute tentative
d‟innovation en marge des normes. En effet, plus les investissements sont importants, plus les
coûts de déviations en cas d‟établissement d‟un standard trop divergent sont importants.
Aujourd‟hui, le monde informatique a familiarisé les acteurs télécoms avec des données très
différentes. Dans l‟informatique, beaucoup de standards sont souvent des standards de fait
résultant du succès de l‟entreprise créatrice et aux effets de réseaux générés par l‟uniformité à
certains points critiques de la chaîne de valeur. (cf le cas Microsoft).
Intel a aussi montré la viabilité économique d‟une politique d‟obsolescence rapide où
l‟avance technologique permanente garantit l‟exploitation répétée de rentes d‟innovations
momentanées.
Ainsi, un des éléments essentiels de cet environnement concurrentiel est l‟acquisition, la
contextualisation, l‟accumulation et la génération de savoirs et de savoir-faire, touchés
fréquemment par une obsolescence rapide et remis en cause par des évolutions fortement non-
linéaire et chaotique.
Il est intéressant de se demander d‟où viennent ces savoirs. Sont-ils les résultats de
générations internes et des explorations progressives des départements de R&D et R&I de
l‟entreprise ? Où sont-ils des conséquences nécessaires du développements d‟approche
technique externe que l‟entreprise découvre souvent trop tard et qui donne lieu à de coûteuses
campagnes de rattrapage souvent en décalage avec les pionniers ?
Il nous a semblé que l‟histoire récente d‟Alcatel est plutôt marquée par la deuxième
alternative, à savoir une grande difficulté à anticiper les évolutions techniques majeures
ponctuées par des phases rapides et complexes pour combler le fossé qu‟ont pu creuser
certaines technologies. Cette logique est particulièrement dangereuse en environnement à
Page 22
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
22
obsolescence rapide. En effet, ne pas avoir participer à l‟émergence de nouvelles idées ou
technologies comportent le grand risque d‟y appliquer des grilles de lecture en retard qui ne
permettront pas de comprendre les évolutions ou itérations suivantes. Alors que l‟entreprise
s‟efforce de se mettre à jour avec un champs de connaissance A, les pionniers de cette
technologie ont peut-être déjà évolué dans une direction plus avant. De grandes ruptures
technologiques sont souvent porteuses d‟idées ou de concepts essentiels et nouveaux souvent
enrobés dans un ensemble d‟éléments secondaires du registre de la matérialisation. Le risque
majeur pour l‟entreprise retardataire est de se laisser aveuglée par les problèmes techniques
superficiels et de ne pas pénétrer les idées fortes.
Nous aurons l‟occasion de revenir sur ces questions dans une partie ultérieure. Dans le cas
d‟Alcatel, qui se situe plutôt dans la deuxième catégorie, il est nécessaire d‟acquérir les
compétences nécessaires à l‟extérieur. Nous avons pu observer deux stratégies différentes :
La Joint Venture, créé avec Fujitsu sur l‟UMTS afin de développer des équipements
radios
Le rachat d‟entreprise « start-up »
Nous ne reviendrons pas sur le cas de la Joint Venture, largement documenté dans nombres
d‟ouvrages et que nous avons peu eu le temps d‟observer (n‟étant pas en contact régulier avec
les personnes de la division Radio)
Par contre, dans le cas de rachat d‟entreprise, nous avons eu la chance de vivre en temps réel
le processus de rachat et d‟intégration d‟une petite entreprise américaine (WaterCove, WC) et
de côtoyer régulièrement les personnels d‟une autre entreprise rachetée trois ans auparavant
(Nextenso, Nx).
Le contraste fut saisissant et montre l‟importance primordiale de ce type de processus et ces
effets potentiellement destructeurs sur le reste de l‟entreprise. En effet, Nx est restée depuis
son rachat une structure très autonome au sein de sa Business Unit. La communication de
l‟unité au sein de même de sa BU apparaissait extrêmement difficile et les tensions étaient
permanentes. Le ton est encore monté d‟un cran lorsqu‟une redondance certaine a été mise au
grand jour avec une autre ligne de produits issus d‟une plate-forme technique différente. Il est
assez frappant d‟assister alors à une véritable de guerre de religions entre les différents camps,
confrontation où tout argument devient plus ou moins irrationnel et où chacun tente à tous
prix de maintenir ces positions hors de toute considération plus globale. Dans un
Page 23
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
23
environnement où le recours à l‟offshore R&D est de plus en plus courant, les décisions
d‟évolutions techniques se doublent d‟une dimension hautement politique et de ressources
humaines car les choix technologiques peuvent se mêler à des questions d‟emploi.
Au final, au-delà du coût de la redondance due au maintien de deux plates-formes, cette
compétition interne mal maîtrisée et floue a, en plus, un effet particulièrement pervers car les
deux entités ne vivent pas en parallèle mais plutôt essaient de se détruire mutuellement.
Finalement, on se trouve dans un contexte de « Compete against » plutôt que dans un
« Compete with » de saine émulation.
A côté de cette expérience, l‟intégration de WC semble jusqu‟ici positive car elle s‟appuie en
particulier sur un bon positionnement stratégique : le produit développé par WaterCove
remplace « pièce pour pièce » un produit d‟un concurrent jusqu‟ici utilisé par défaut, faute
d‟offre maison. Il propose des fonctionnalités novatrices jusqu‟ici inexistantes au sein
d‟Alcatel et qui viennent compléter les offres présentes. Durant cette intégration, le défi était
de deux ordres, à la fois technique pour incorporer dans les processus Alcatel un produit en
fin de développement et culturel pour acclimater au mieux des américains organisés en Start-
up pas forcément enchantés de découvrir les pesanteurs bureaucratiques d‟Alcatel.
Au niveau des hommes, afin de faire le lien avec cette entreprise, l‟intégration s‟est fait en
deux temps.
En premier lieu, Alcatel a envoyé plusieurs français quasiment à plein temps aux USA chez
WC à la fois pour superviser la suite du développement mais aussi pour mieux connaître les
personnels, multiplier les conférences avec la France et très vite créer des liens d‟équipe entre
les deux entités.
Dans un second temps, les personnes clés de WC ont été intégrées au management général
d‟Alcatel afin de « dissoudre » la structure de WC dans celle d‟Alcatel et ne pas garder de
division séparée qui aurait pu cultiver un repli identitaire semblable à celui de certaines
parties de Nextenso.
Au niveau technique, il a fallu planifier les différents tests du produit prévu afin de supporter
les délais qui avait été demandés. Une campagne d‟analyse et de prioritarisation a permis de
ramener le nombre de tests prévus de 5000 à 500 ! Malgré cela, toutes les fonctionnalités
n‟ont pas pu être intégré et il a été décidé de proposer une version « simple » du produit,
allégé de certaines fonctionnalités, pour passer la DR4 (fin officiel du développement) dans
les temps. Il est donc intéressant de remarquer la sensibilité et l‟importance des délais et la
Page 24
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
24
relative flexibilité des produits vis-à-vis de la conception. Les logiciels développés sont par
nature suffisamment modulaires pour décider d‟implémenter le cahier de charges par étapes et
par morceau plutôt que comme un tout monolithique.
La détermination des features ou fonctions prioritaires est donc essentielle.
Dans le paragraphe suivant nous allons pouvoir méditer tous ces éléments exprimés jusqu‟ici
en étudiant en détail un projet particulier.
C. Un cas d’étude d’un projet en Chine : le switch MSC pour le
réseau CDMA
1. La release CDMA 2.2
a) Fonctionnalités du MSC
Le MSC, Mobile Services Switching Centre est un équipement complexe du cœur de réseau
des opérateurs télécom. Il gère l'établissement des communications depuis ou vers un mobile,
la transmission des messages courts (SMS) et l'exécution d'un handover entre deux BSC
différentes. D‟autre part, il dialogue avec le VLR pour gérer la mobilité des usagers :
vérification des caractéristiques des abonnés visiteurs lors d'un appel sortant, transfert des
informations de localisation...
Au niveau du MSC, il faut distinguer deux types d‟appels :
- Mobile – mobile : dans ce cas, il établit une liaison avec une autre MSC.
- Mobile – réseau fixe RTC : il doit alors posséder une fonction passerelle ou GMSC
(Gateway MSC), qui est activée au début de chaque appel d'un abonné mobile vers un abonné
fixe. Cette fonction est différente de la fonction MSC pure, elle aurait pu être implantée dans
les commutateurs du RTC (réseau classique filaire). En réalité, elle est réalisée par les MSC
pour minimiser l'impact sur le RTC. En effet lorsqu'un mobile se déplace et change de MSC,
la communication doit, elle aussi, changer de MSC. Le réseau fixe n'a pas été conçu pour ce
genre de tâche : dans ce cas l'interconnexion continue avec l'ancien MSC qui établit lui-même
une communication vers le nouveau MSC dont dépend le mobile.
Page 25
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
25
Le MSC est en général couplé avec le VLR (Visitor Location Register) ou enregistreur de
localisation visiteur. C'est une base de données qui mémorise les informations concernant les
abonnés présents dans la zone géographique du MSC. Plusieurs MSC peuvent être reliés au
même VLR, mais en général, il y en a un seul par VLR.
Les données mémorisées par le VLR sont similaires aux données du HLR mis à part une
information de localisation plus précise, mais elles concernent seulement les abonnés mobiles
présents dans la zone considérée. La séparation matérielle entre VLR et MSC proposée par la
norme n'est que rarement respectée. Certains constructeurs dont Alcatel intègrent le VLR dans
le MSC. Les dialogues nécessaires pour l'établissement d'appel sont alors simplifiés. D'autres
établissent un découpage différent entre MSC et VLR en utilisant l'approche “ réseau
intelligent ”. Le MSC est alors un commutateur pur sans fonction de traitement d'appel. Un
équipement, le RCP (Radio Control Point), assure les fonctions de commande du MSC et du
VLR sans posséder de fonction de commutation.
Un ensemble MSC/VLR peut gérer plusieurs dizaines de milliers d'abonnés pour un trafic
moyen par abonné de 0,025 Erlang (consommation moyenne d‟une minute trente de
communication par heure). Les MSC sont en général des commutateurs de transit du réseau
téléphonique sur lesquels ont été implantées des fonctions spécifiques au réseau GSM. La
capacité en est fortement réduite, puisqu'un central téléphonique peut gérer plusieurs
centaines de milliers d'abonnés. En effet à l'établissement des communications s'ajoutent les
fonctions de répondeur, de connexion à des réseaux numériques (Internet, messagerie
électronique), de contrôle des messages courts SMS…
b) Analyse de la situation et mise en place du projet :
Les switch MSC CDMA actuel peuvent supporter uniquement jusqu‟à 600.000 utilisateurs
auquel s‟ajoutent une capacité de sécurité de 10 %. Certains modèles de trafic très particuliers
(indien par exemple) font très fortement tomber cette capacité. L‟objectif de la release CDMA
2.2 va être de doubler la capacité du MSC / VLR en gardant une capacité de sécurité de 10 %
soit d‟atteindre au total 1.320.000 d‟abonnés. Toutes les autres performances du système
doivent être gardées identiques à celles de la release CDMA 2.1. L‟opérateur China Unicom
est dès le départ pressenti comme pouvant être intéressé par cette release pour faire face à la
croissance extrêmement rapide de son nombre d‟abonnés.
Page 26
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
26
Le 24 septembre 2002, le projet CDMA 2.2 passe la DR1, jalon d‟avancement du projet
verrouillant fonctionnalités, planning, budget, allocation des ressources, plan de qualité et
design global. 148 personnesans vont alors travailler sur cette release.
2. Réaction à une turbulence extérieure
a) Le CRBT
Lors de l‟appel d‟un correspondant, avant que celui-ci ne décroche, l‟appelant entend une
sonnerie, la « sonnerie d‟attente », bête « dring » qui lui indique que le combiné de son
correspondant est entrain de sonner.
Le Color Ring-Back Tone propose à l‟abonné de personnaliser sa sonnerie d‟attente ; ainsi
quand il sera appelé, ses correspondants entendront autre chose qu‟une banale sonnerie, peut-
être une musique qu‟il aura choisi voire même un message spécifiquement destiné à celui qui
l‟appelle, en tout cas, jusqu‟à ce que l‟appel commence, autre chose que la sonnerie d‟attente
habituelle.
Page 27
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
27
Plusieurs fonctionnements sont possibles : le CRBT peut fonctionner seul ou être intégré à un
portail d‟infotainment. Suivant l‟infrastructure du réseau opérateur, plusieurs moyens de
lancer le service sont envisageables.
Son environnement de développement ouvert permet de stimuler la créativité et ainsi
d‟adresser des marchés de niche.
La taxation est très flexible et peut être adaptée à toutes les attentes du marché local.
Typiquement, l‟utilisateur paie un abonnement mensuel pour une sélection limitée de
sonneries et un montant par transaction chaque fois qu‟il choisit une sonnerie d‟attente ou une
musique parmi les milliers disponibles comme des chansons populaires, de la musique
classique ou des messages préenregistrés.
Ils peuvent choisir la sonnerie de façon individuelle – un pour leur épouse, un autre pour leur
chef de service, etc, - ou par groupe et peuvent faire varier les sonneries grâce à de multiples
fonctionnalités. Les abonnés ont accès à une grande sélection de musiques, sons, blagues, etc..
continuellement mise à jour avec les dernières tendances. Les abonnés peuvent faire leur
choix par une interface web, wap ou par un menu interactif par téléphone.
La solution est ouverte à plusieurs fournisseurs de contenus, les abonnés peuvent donc
accéder à une très large sélection de sonnerie d‟attente.
Les tendances montrent que le CRBT a des qualités naturelles pour l‟auto-promotion. Les
appelants entendent parler de cette nouvelle fonctionnalité lorsqu‟ils cherchent à joindre un
abonné au CRBT et s‟y inscrivent alors, augmentant ainsi le nombre de clients ayant
connaissance de ce service. Des services à valeur ajoutée comme la cadeau de sonnerie
d‟attente à un ami permettent de renforcer cet effet et ont un grand pouvoir incitatif.
La service CRBT fait parti de ces services en vogue où les 10 sonneries d‟attente les plus
demandées influencent l‟abonné dans son choix et le poussent à changer continuellement de
sonnerie. Les statistiques du marché asiatique montrent que les abonnés changent en moyenne
plusieurs fois par mois de sonnerie.
Page 28
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
28
b) Demande d‟Unicom et étude d‟Alcatel
En octobre 2002, donc juste après la DR1 du projet CDMA 2.2, Unicom demande à Alcatel si
la fonction CRBT sera incluse dans la prochaine release du MSC. Shanghai Unicom n‟a pas à
ce moment là annoncé de manière officielle qu‟il requérait cette fonction ; la release
qu‟Alcatel lui vend à ce moment là est encore la release CDMA 2.1.
Le CRBT n‟est pas une fonctionnalité définie par les standards. Il n‟y a donc pas de
spécification qui en donne le scénario détaillé. Selon les études faites par la BU à ce moment
là, le scénario CRBT a un gros impact sur le scénario de l‟appel standard. Il convient en effet
de modifier le scénario d‟appel mais aussi de nombreux autres scénario de services gérés par
le MSC : transfert d‟appel (direct ou sur non réponse), appel multi-parties, signal d‟appel. Il
est aussi nécessaire de gérer tous les « cas à problèmes » : serveur CRBT hors fonction ou
surchargé, abonnés en roaming…
L‟introduction de cette fonctionnalité entraîne ainsi de profondes modifications du scénario
standard d‟appel téléphonique et de toute l‟architecture de la release CDMA 2.2. L‟ajout de la
fonctionnalité n‟est pas simplement l‟ajout d‟une fonctionnalité à la manière d‟un plug-in, elle
modifie en profondeur la structure du logiciel apportant son lot d‟instabilités…
Au niveau du process, la release CDMA 2.2 a déjà passé la DR1 lorsque intervient la
demande d‟Unicom ; à ce moment là, on considère qu‟il n‟est pas souhaitable que le projet
soit impacté par une si grosse fonctionnalité en terme de charge.
Au niveau de l‟effort demandé, on a pu voir que le développement de cette fonctionnalité était
très gourmand. Au moment où la demande d‟Unicom tombe, le projet souffre de problème de
qualité ; le développement d‟une nouvelle fonction a ainsi une priorité moins importante que
la résolution de ces problèmes très critiques.
La BU arrive ainsi à la conclusion qu‟Alcatel ne tirera aucun bénéfice du développement
d‟une telle fonctionnalité. Il est pour eux trop risqué pour la release de modifier le scénario
d‟appel standard à ce stade du projet. Elle signifie donc en octobre 2002 à Shanghai Unicom
qu‟elle ne développera pas la fonctionnalité CRBT dans la release CDMA 2.2.
Page 29
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
29
c) Du côté d‟Unicom
Parallèlement, chez Unicom, le scénario n‟est pas tout à fait le même : deux départements
s‟affrontent au siège. Le premier, value-added department, est très pressé de lancer le CRBT.
Ils pensent que le CRBT apportera un revenu important à Unicom. Le deuxième, mobile
department, pense que cette fonctionnalité a un gros impact sur la stabilité du réseau et refuse
de la lancer. Après des discussions internes, ils se mettent d‟accord pour lancer le CRBT mais
uniquement la solution basée sur le MSC, pas l‟autre possibilité qui consiste à proposer le
CRBT en Intelligent Network. Une autre raison qui les aurait poussé à favoriser la solution
MSC vient du fait que cette fonctionnalité aurait été poussée chez Unicom par Lucent qui l‟a
déjà installée en Corée du Sud.
Eté 2003 : Unicom fait alors pression sur Alcatel pour que soit développé le CRBT. Dans ce
rapport de force, Unicom affirme à Alcatel que s‟il ne développe pas le CRBT, il n‟aura pas le
marché CDMA mais n‟aura pas non plus le marché des switchs pour backbone chez Unicom
où Alcatel a actuellement 100 % des parts de marché. Unicom demande spécialement à ce que
la fonctionnalité soit mise en place dans le MSC et non en solution Intelligent Network
pourtant plus facile à développer et moins coûteuse. Unicom demande la disponibilité du
CRBT pour octobre 2003. Après négociation, un accord est trouvé pour décembre 2003 qui
deviendra finalement janvier 2004.
d) Urgent Late Requirement
Le choix s‟est posé de savoir à quelle release du CDMA inclure cette fonctionnalité :
- CDMA 2.1
- CDMA 2.2
Les releases devant être « compliant » entres elles (une version supérieure a au moins les
mêmes fonctionnalités que la précédente), il a été choisi de ne l‟intégrer qu‟à la release
CDMA 2.2 à l‟état de « Urgent Late Requirement ».
Une nouvelle DR1 est ainsi passée le 5 septembre 2003 afin d‟ajouter la fonction CRBT au
projet. D‟autres fonctionnalités spécifiques demandées par d‟autres opérateurs sont aussi
intégrées à ce moment là. Suite à cette DR1, de nombreux changements ont lieu dans le
projet : replanification, modification de la structure du programme, intégration de nouvelles
personnes au projet, etc.
Un projet parallèle est créé pour gérer le CRBT ; il est chargé de développer le module
remplaçant le module de gestion de l‟appel standard dans le cas d‟appels CRBT ; il utilisera 7
Page 30
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
30
hommesans. Il faut voir ce module quasiment comme une duplication du module de gestion
de l‟appel standard : ce module va s‟occuper de l‟appel pendant toute sa durée bien que la
fonction CRBT n‟intervienne que pendant les premières secondes de l‟appel. Le but est de
distinguer clairement cette fonctionnalité de l‟appel standard. Le développement de la release
CDMA 2.2 va ainsi continuer en deux projets parallèles : un projet qui gère les appels de type
CRBT et un projet qui gère les appels de type standard ainsi que toutes les fonctionnalités
communes aux deux types d‟appels.
3. Conclusions sur l’étude du projet
a) Maîtrise d‟œuvre vs. maîtrise d‟ouvrage
Le projet CDMA 2.2 est issu de la constatation que le produit actuel ne permettrait pas de
donner satisfaction au client dans un futur assez proche. C‟est donc une démarche proactive
de compréhension des besoins des clients qui a permis le lancement du projet. C‟est donc un
projet orienté produit qui a été pensé à la base : amélioration du produit actuel sans connaître
exactement les demandes du client mais en sachant qu‟il lui portera de l‟intérêt à l‟avenir. Le
métier d‟Alcatel consiste aussi à être maître d‟œuvre pour les réseaux des opérateurs. Il doit
donc répondre aux demandes de ses clients en utilisant le plus possible des produits
développés en interne de manière non spécifique pour les clients. La conjugaison de ces deux
approches est source de difficultés qui doivent être prises en compte en interne. Dans le cas de
la release CDMA 2.2, parti d‟une volonté de développer un produit, le projet à été rejoint par
une demande de maîtrise d‟œuvre. Dans le cas de ce projet, le rapport de force à joué en
faveur d‟Alcatel maître d’œuvre. L‟écosystème dans lequel se trouve Alcatel favorise ce type
de comportement : le nombre de clients est assez faible et le nombre de concurrents
relativement important. Ainsi la satisfaction du client (différente de la satisfaction des clients)
est primordiale. Un produit développé par Alcatel pour le marché global peut ainsi être
modifié afin de satisfaire un seul client. C‟est bien ce qui s‟est passé dans le cas du CDMA
2.2 où le produit a été globalement perturbé pour satisfaire China Unicom.
On voit aussi ici une des limites de la standardisation : elle concerne la difficulté à mettre en
place des innovations dans un contexte de standardisation. Le cas du CRBT est un bon
exemple. Son développement s‟est passé en dehors des standards et c‟est ainsi que lorsque
l‟innovation développée s‟impose sur le marché les problèmes commencent. Tout au moins
Page 31
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
31
les problèmes commencent pour ceux qui n‟ont pas développé le produit à la base. Les autres,
ceux qui ont innové, ont l‟avantage du first mover :
- avantage en terme de temps : ils peuvent fournir le produit immédiatement à la demande
d‟un opérateur (donc satisfaction du client)
- avantage au niveau du standard : si l‟innovation doit continuer à se développer à travers
un standard, celui qui l‟a développée initialement a une forte avance sur les autres et peut
imposer ses choix technologiques. Ces choix technologiques peuvent être guidés par
l‟architecture du reste de son réseau et lui laisser ainsi un avantage concurrentiel dans ce
domaine. Dans le cas du CRBT, il a d‟abord été proposé par Lucent sous la forme intégrée
au MSC. C‟est ainsi que Lucent a certainement poussé pour une telle solution alors
qu‟Alcatel aurait préféré une solution en Intelligent Network plus souple à développer et
mettre en place.
Mais pourquoi faire passer l‟innovation par des standards ? Ceci peut-être nécessaire, comme
nous l‟avons vu précédemment, pour assurer l‟interopérabilité entre les systèmes. Mais
l‟innovation n‟a pas toujours besoin de cette interopérabilité : dans le cas du CRBT, il n‟y en
a pas eu besoin, le système fonctionnant chez l‟opérateur de l‟appelé et n‟impactant pas le
reste de la chaîne d‟appel. Dans le cas du push-to-talk, elle est par contre nécessaire pour
permettre à des clients de deux opérateurs différents de communiquer ensemble. C‟est ainsi
que pour standardiser un système push-to-talk rapidement, quelques opérateurs se sont réunis
en dehors d‟un groupe classique de standardisation pour discuter ensemble et proposer des
spécifications. Les membres de ce groupe de standardisation étant les grands noms des
équipementiers télécom, ils veulent par ce biais imposer un standard de fait.
b) La prospective en question
Le projet CDMA 2.2 bousculé par le CRBT met en évidence la nécessité d‟un suivi plus
approfondi des nouveaux services proposés. En effet, en avril 2002, SKT opérateur coréen
mettait en place le CRBT qui s‟annonçait dès le départ comme un service à forte valeur
ajoutée pour l‟opérateur. En septembre 2002, donc avant que la demande d‟Unicom ne soit
faite à Alcatel pour cette fonctionnalité, la pénétration du service CRBT atteignait 20 % en
Corée… taux de pénétration assez exceptionnel pour un service si récent ! Alcatel Taiwan
avait bien identifié la nécessité de se pencher sur ce service mais avait cherché une solution à
travers un partenariat avec une petite société.
Page 32
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
32
On met donc aussi en évidence la nécessite d‟une meilleure circulation de l‟information :
- entre les différentes entités d‟Alcatel,
- entre les différents services d‟Alcatel : marketing et système par exemple.
Si l‟équipe système avait compris que le client exigerait à terme le CRBT, il n‟est cependant
pas évident qu‟elle aurait réussi à convaincre l‟équipe système et l‟équipe de développement
qu‟il fallait dès à présent réfléchir à une implémentation du service. A la fin du
développement, ce service était en effet toujours vu par le chef de projet comme étant un
gadget qui ne marcherait pas en Chine : « But till now, we still insist this feature will not such
successful in China. Because the subscriber behaviour is quite different between Korea and
China. For example, in our department, almost everyone applied CRBT when China Mobile
launch this feature in GSM. But no one use it more than one month, when China Mobile start
to charge it. »
Page 33
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
33
II. Vers une compréhension des services mobiles aux
utilisateurs finaux
A. Mise en perspective d’une innovation : rupture d’usages et
stabilité économique – Apport d’usages des communications
mobiles
Dans la première partie, nous avons étudié la situation interne de l‟entreprise et remarqué
comment ces bouleversements avaient généré des changements brutaux et des réactions qui
tentent difficilement de répondre aux nouveaux enjeux posés. L‟étude du projet chinois,
symbole du modèle d‟ingénierie, a montré la difficulté d‟adapter le lourd processus de
développement aux perturbations externes liées aux attentes de clients puissants que l‟on ne
peut négliger. Ces attentes sont de plus en plus liées au déploiement de nouveaux services aux
utilisateurs finaux. Les cycles de vie de ces services sont souvent différents de ceux pratiqués
habituellement et perturbent les développements.
Or, nous avons aussi vu que l‟évolution des techniques de réseaux dissocie de plus en plus la
partie des services et applications de l‟infrastructure réseau proprement dite. Les opérateurs,
dans leur volonté d‟être « customer-oriented » déportent de plus en plus leur attentes vers la
partie service et applications.
Si Alcatel veut pouvoir espérer anticiper les évolutions techniques et limiter les turbulences,
une grande réflexion sur les services et les usages futurs est nécessaire. Dans ce contexte, il
est aussi nécessaire de s‟interroger sur l‟évolution passée pour comprendre le futur.
La description du processus historique d‟évolution et d‟émergence de technologies et des
usages est souvent interprétée de la même façon par des auteurs différents. Il est en général
caractérisé par des phases de longues expansions, amélioration et diversification autour d‟une
ou deux idées ou concepts essentiellement novateurs que l‟on peut qualifier de paradigme
(Kuhn), de Dominant Design ou d’innovation de rupture (Christensen). Cette dichotomie,
bien que forcément imparfaite, a le mérite de souligner le caractère non-linéaire de
l‟innovation et des progrès technologiques entre ces moments d‟intense remise en question
des éléments fondateurs et ses périodes plus « calmes », où les principes généraux sont
déclinés de façon diverse, périodes que l‟on appellera lignée chez Le Masson ou science
Page 34
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
34
normale chez Kuhn. L‟étude Téfal de Chapel (2000), a montré l‟intérêt d‟interpréter à
posteriori l‟histoire d‟une entreprise en terme de lignée et de trend afin de replacer les succès
d‟une entreprise comme miroir des attentes et des désirs d‟une époque. Dans le cas de Téfal,
la lignée de produits, suivant un certain nombre de Dominant Designs de conception et de
fonctionnalités, réussit car elle colle au trend d‟évolution des mœurs (libération des femmes,
simplification de la cuisine, ère du cocooning…). Elle représente un formidable exemple
d‟innovation où des ruptures techniques (le Téflon) sont utilisées au profit de nouveaux
produits en phase avec leur époque. En allant plus loin, on peut d‟ailleurs se demander qui du
trend ou de la lignée créent l‟autre. On est rapidement amené à penser que le mouvement est
largement circulaire, l‟un et l‟autre s‟influençant mutuellement.
Dans notre cas, la téléphonie mobile, un énorme succès, sera amenée dans son évolution à
rencontrer le monde l‟Internet, autre énorme phénomène jusqu‟ici quasiment indépendant.
Muni des outils décrits plutôt, nous tentons d‟autopsier le premier phénomène afin de
répondre à une question majeure. Est-elle l‟émergence d‟une nouvelle lignée de produits et
d‟usages ou l‟itération supplémentaire de la « science normale » de la téléphonie fixe. Comme
nous allons le voir, la réponse est contrastée.
1. Emergence de l’ubiquité
Une des éléments les plus importants, selon nous, de la téléphonie mobile, est un lieu
commun : avec le GSM, le téléphone devient ubiquitaire c‟est à dire que l‟utilisateur est
potentiellement joignable à tout endroit. Avec l‟assertion que le mobile est constamment
porté par son propriétaire, un des corollaires important est que le détenteur est potentiellement
joignable à tout moment. On a donc virtuellement une abolition des limitations à la fois
spatiale et temporelle à la communication interpersonnelle.
Jusqu‟ici, la contrainte du combiné fixe restreignait de manière importante les possibilités de
correspondance entre les personnes. Au mieux, les personnes pouvaient goûter au
nomadisme, en particulier grâce aux cabines téléphoniques capables d‟accueillir des
utilisateurs en pleine ville, sur la voie publique. Dans ce cas, cependant, l’établissement de la
communication était généralement unidirectionnel, le correspondant d‟un utilisateur de
cabine ignorant le numéro lui permettant de joindre son alter ego.
En mobilisant le vocabulaire décrit plus haut, on peut dire que la mobilité ubiquitaire
constitue une rupture en terme d’usage vis-à-vis du fixe en modifiant surtout le contexte de
Page 35
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
35
communication plus que l‟échange lui-même. L‟activité elle-même est peu changée (nous y
reviendrons ) mais les occasions de procéder à cet échange sont multipliées. La téléphonie
mobile introduit une dissociation entre l‟action et le contexte de l‟activité.
Il est intéressant de remarquer que cet élément d‟ubiquité est donc fortement novateur et
presque unique. En effet, la majorité des activités humaines sont, en général, massivement
« contextualisées », dans le temps et dans l‟espace. Les actions entreprises, notamment la
consommation de médias (journaux, télévision, musique, cinéma, livre…), sont souvent
fortement dépendantes du moment (journaux du matin, informations télévisuels de 20 h ou du
lieu (bibliothèques, salle de cinéma…).
Ces lieux et ces moments sont inconsciemment attachés aux consommations et échanges
concernés. Les bousculer ou les remettre en cause sont une piste particulièrement intéressante
d‟exploration et fournit des exemples éclairants.
Le journal Metro a forgé une grande partie de sa réussite par l‟association d‟un média (un
journal) et d‟un contexte (le transport quotidien). Les cinémas UGC ont dû subventionner
fortement par des baisses de prix conséquentes leur offres de séances du matin pour espérer
rompre et dissocier l‟usage classique des séances du soir. L‟usage même du média est
fortement différent entre un journal du soir comme Le Monde et un journal du matin comme
Le Figaro. Le temps représente donc un paramètre essentiel des principaux médias et patterns
de communication d‟aujourd‟hui (on parle de quotidien, d‟hebdomadaire, de mensuel…).
Ainsi, l‟ubiquité de consommation est tout sauf courante dans les communications et les
échanges via média. La dissociation de contexte est d‟autant plus renforcée par le motif de
communication du téléphone. Celui-ci est profondément un processus de « Trial and Error ».
Les appelants potentiels n‟ont aucune information préalable sur la disposition à répondre ou le
contexte courant des appelés. De la même façon, les moyens d‟adaptation au contexte du
combiné sont extrêmement faibles et se résument en général à un simple On/Off sur le
terminal.
Nous voyons dans ce grand « tout ou rien » un des grands paradoxes du GSM qui oscillent
entre une « joignabilité » quasi totale et incontrôlée et une absence, un isolement intégral.
Nous aurons l‟occasion de revenir sur ce véritable « paradoxe de l’ubiquité » quand nous
chercherons à développer de nouveaux sentiers d‟innovations. Ici, nous pouvons cependant
Page 36
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
36
remarquer que cet élément est aujourd‟hui fortement perturbateur pour un certain nombre de
personnes et engendre des tensions notamment dans les lieux publics ou les salles de réunion
car il abolit complètement le contexte, à distance et de manière aveugle, les actions courantes
et contextuelles de l‟appelé qui n‟a, comme nous l‟avons vu, qu‟une procédure « totale »
disponible pour se défendre (éteindre son téléphone).
Cependant, il peut être intéressant de remarquer que cette notion, ce concept, dissocié de
l‟action téléphonique elle-même, semble bien convenir à la notion de paradigme ou de rupture
dont nous avons parlé. Armé de cette « ligne de pente », de cette expansion en langage C-K,
nous avons trouvé un premier élément essentiel du processus d‟innovation du GSM. D‟autres
cependant existent.
2. L’individualisation de la communication
A côté de l‟ubiquité, qui représente un premier élément de rupture se mariant avec les
représentations habituelles des processus d‟innovation, nous avons identifié un deuxième
point très intéressant qui semble lui aussi à première vue évident : la téléphonie mobile GSM
a fait apparaître une individualisation de la communication et cela sur au moins deux axes.
En premier lieu sur le service lui-même avec un forfait, généralement individuel et unique
par utilisateur
En deuxième lieu de l‟outil de communication lui-même qui est devenu un élément
fortement personnel alors qu‟il était essentiellement partagé dans la téléphonie fixe.
a) Individualisation du service : l‟exemple du SMS et l‟émergence du CRBT
Le service de téléphonie mobile se caractérise donc d‟abord par une volonté d‟individualiser
le service et de le rendre le plus personnel possible. Ces éléments sont vrais quels que soient
les moyens de communication utilisés.
Le cas du SMS est particulièrement révélateur à ce sujet. Lancé à la fin des années 90, il a
connu une première phase de croissance assez lente où la majorité des opérateurs ne croyaient
pas beaucoup à son expansion. Il est, depuis, devenu un succès phénoménal engendrant une
part des revenus croissants des opérateurs. Le SMS représente aujourd‟hui près de 90% des
revenus des opérateurs hors communications vocales et entre 5 et 15 % de leur revenus
globaux. Le comptage simple et l „unité de mesure « message » a permis de mettre en place
Page 37
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
37
un Business Model très simple dans la droite ligne de la philosophie des opérateurs mobiles, à
l‟unité, formule qui a ensuite été enrichie d‟offres dégressives par forfait. Plusieurs remarques
s‟imposent à la vue de la réussite exemplaire de ce service :
Il a beaucoup souffert du manque d‟interopérabilité entre les différentes offres opérateurs.
L‟explosion du trafic correspond aux accords d‟inter opération entre opérateurs,
supprimant les contraintes non techniques à cette réalisation et permettant de faire jouer à
plein régime l‟effet de réseau : le nombre croissant d‟utilisateurs attirent un nombre
croissant de nouveaux usagers.
Les utilisateurs se sont fortement appropriés ce service au point d‟adapter leur formulation
à la limitation du clavier et de créer parfois de nouveaux mots et même des vocabulaires
entiers afin d‟optimiser le service. On retrouve donc ici la fameuse co-création de valeur,
chère à beaucoup de littérature sur les services où le service est optimisé et continue à
évoluer sous l‟influence de ces utilisateurs.
C‟est fondamentalement un service qui repose sur la profonde coupure et intimité qu‟il
procure vis-à-vis du reste du monde. Dialoguer par SMS se fait à l‟abri des regards et
apporte un niveau d‟intimité sans équivalent dans le monde du téléphone, activité qui est
fortement intrusive dans l‟environnement de l‟utilisateur. Cet élément explique en grande
partie le succès auprès des jeunes, population souvent en recherche d‟indépendance vis-à-
vis de leurs parents.
Durant notre voyage en Chine, nous avons aussi découvert le CRBT, service qui permet à des
gens appelés de personnaliser l‟attente avant décrochage pour les appelants avec de la
musique ou un message personnel. Ce service nous a donné l‟occasion de mettre en
application la méthodologie C-K (Hatchuel, Weil, Le Masson) pour établir des arbres de
concepts à partir de l‟idée de personnalisation du service.
Page 38
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
38
b) Individualisation du combiné : du simple terminal support à plus d‟autonomie
Au début, le mobile était essentiellement un terminal, c‟est à dire un élément dépendant ou
produit support d‟un service, sans réelle existence ou rôle autonome. Il est intéressant de
remarquer que cette évidence technique, dans la droite ligne des terminaux peu intelligents du
téléphone fixe, a structuré l‟organisation de la chaîne de valeur. En effet, les opérateurs
mobiles ont fortement subventionné les téléphones mobiles pour les utilisateurs, s‟imposant
comme éléments moteurs et point de centralisation de la chaîne de valeur mobile. Ils sont
devenus un fort stimulateur économique pour les fabricants de terminaux grâce à leur pouvoir
marketing et parce qu‟ils représentaient les interlocuteurs privilégiés pour les services de
communications.
Cependant, les choses ont beaucoup évolué depuis. Ces dernières années le mobile a gagné
beaucoup d‟importance, renforçant son importance sur la chaîne de valeur :
Il est devenu un objet de valeur en lui-même au niveau du design et du style qu‟il arbore,
les fournisseurs de services proposant une personnalisation importante par le jeu des
coques variées et interchangeables. Certains, comme Siemens, ont poussé cette voie
Service mobile
personnalisé
Off-line On-line
Data WAP /
imode
Téléphonie
personnalis
é
SMS / MMS
Avant Penda
nt
Après
Service mobile : on/off line
? Quel type de com ?
Personaliser = modifier supprimer enrichi
r Quand ?
Quel type de média ?
CRBT
Qui en profite ? Appela
nt
Appel
é
Son Image
Page 39
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
39
jusqu‟à proposer le concept de collection de mobiles « design » (sur le modèle de la haute
couture) avec la marque Xelibri, déclinaison de concepts originaux et souvent chèrement
vendus et réservés à une clientèle adepte de la différentiation sociale par les attributs
extérieurs. Après une première année prometteuse, Siemens a, cependant, stoppé cette
collection.
Il est devenu l‟un des principaux pourvoyeurs de nouveautés et de services par la greffe
d‟un certain nombre de périphériques physiques. Le meilleur exemple est pour l‟instant
l‟appareil photo intégré, rendu nécessaire pour justifier le service MMS. L‟intégration
d‟une puce de paiement par DoCoMo et Sony ou d‟un lecteur de puces RFID par Nokia
représente des tendances intéressantes sur ce front.
Il s‟est fortement « informatisé » en adoptant un certain nombre de caractéristiques des
ordinateurs PC à savoir la nécessité d‟une évolution rapide des fonctions, la
reconnaissance de la supériorité du Software dans ce domaine donc son importance
grandissante et ainsi la logique apparition de Système d’exploitation ouvert (OS)
mutualisant des services redondants à toutes les applications et proposant une interface
avec le hardware.
Aujourd‟hui, le mobile, avec ses chiffres faramineux (plus de 500 millions de ventes en 2003)
fait rêver toute l‟industrie informatique et génère une course à la puissance identique à celle
du PC, où les acteurs historiques (Nokia, Symbian, Motorola, TI) voient arriver des nouveaux
entrants qui ont fait leurs preuves sur le marché du PC (Windows, HP, Intel).
Devant ces bouleversements, les opérateurs craignent fortement de perdre la main et tentent
de garder au maximum le contrôle en émettant leurs propres spécifications techniques
(DoCoMo) où en développant leur propre interface logicielle (Vodafone).
Le relatif échec de Nokia avec le N-Gage, véritable console de jeu autonome, tient aussi en
partie à la faible implication des opérateurs dans la promotion d‟un produit dont une grande
partie de la valeur est largement indépendante des réseaux.
En résumé, après l‟ubiquité, l‟individualisation, autant du service que du combiné terminal,
représente un deuxième élément essentiel de rupture par rapport au parent fixe. Cet élément
présente cependant des inconvénients car il complexifie sensiblement l‟offre possible par la
multiplication des combinatoires et les relations entre les opérateurs de réseau et des
constructeurs de combinés renforcés par la puissance informatique acquise qui leur assurent
une pouvoir plus important dans la création de valeur.
Page 40
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
40
3. Le GSM, enfant direct du fixe ?
Les deux premiers paragraphes nous ont permis d‟identifier des éléments de rupture,
processus d‟innovation technique (puissance du terminal) et de contexte d‟usage (ubiquité).
Mais comme Schumpeter l‟a fait remarquer en son temps l‟innovation est marquée par
différentes variables, différents axes sur lesquelles l‟innovation est possible. Le processus
global d‟innovation que représente le GSM est donc largement à appréhender dans sa
globalité et c‟est là que réside une part importante de son intérêt. L‟innovation et la rupture se
font sur certaines lignes de pentes de conception et pas sur d‟autres. Bien que certaines choses
aient changé, d‟autres éléments placent clairement le GSM dans la lignée du téléphone fixe et
ont particulièrement contribué à son succès :
Le passage du téléphone fixe au téléphone mobile s‟est fait à modèle économique et
structuration de marché largement invariante. Comme le fixe, le mobile fonde son
modèle économique sur des éléments quantitatifs et mesurables, comme la durée de
communication basée sur une unité de mesure incompressible, modulé par
l’éloignement géographique, en fonction des pays des intervenants de la
communication. Ceci a incontestablement représenté un avantage de visibilité vis-à-vis
des clients, habitués à cette formule dans le domaine du fixe. De même, la structuration
du marché est restée centrée autour de la figure de l‟opérateur mobile, souvent lui-même
opérateur fixe, selon la logique un réseau = un service. La limitation légale du nombre
d‟opérateurs a permis une pression concurrentielle assez faible ne nécessitant pas une
différentiation, autour d‟un modèle économique éprouvé, facilitant encore une fois la
visibilité au client.
L‟évolution du fixe au mobile s‟est aussi fait à usage constant. En effet, l‟utilisation
basique d‟un téléphone mobile n‟étant pas sensiblement différente d‟un fixe, le GSM n‟a
pas (ou peu ) eu à souffrir d‟un grand besoin d‟apprentissage de la part de ses clients,
élément qui est souvent essentielle pour qu‟une innovation s‟étende (mais qui est
possible comme nous l‟avons vu avec le SMS).
Ces deux éléments invariants du processus d‟évolution expliquent grandement le succès du
GSM mais fournissent aussi des clés pour comprendre les défis des réseaux GPRS / UMTS
d‟aujourd‟hui et les fausses pistes et ratés des premiers déploiements.
Page 41
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
41
En effet, les réseaux de données sont techniquement différents du GSM et plus proche de
l‟Internet dont le modèle économique est radicalement différent. Depuis le début, les
opérateurs ont essayé d‟appliquer la même philosophie que les modèles économiques du
GSM. Après avoir échoué à simplement garder la minute dans la première version du Wap, ils
ont adopté le Kilo-Octet pour le GPRS. Contrairement à la minute, le Ko est beaucoup moins
compréhensible par la plupart des utilisateurs et s‟est très vite heurté à des difficultés pour se
faire accepter. Il a aussi l‟inconvénient de ne correspondre à aucun service facilement
repérable pour l‟utilisateur et d‟appliquer une mesure quantitative à des contenus multimédias
essentiellement qualitatifs (la valeur perçue d‟un livre est assez fortement découplée de son
nombre de pages). Aujourd‟hui la viabilité de ce modèle est remise en cause.
De plus, de par les convergences techniques, les services GPRS/UMTS et Internet PC se
retrouve souvent partiellement en concurrence, au moins dans l‟esprit des utilisateurs.
L‟adoption de ces nouveaux services nécessite donc des apprentissages d‟usage beaucoup
plus importants que dans le cas du GSM simple et les usages qui font souvent intervenir un
écran, de taille réduit, pâtissent de comparaison avec leurs équivalents PC souvent gratuits et
beaucoup plus riche. Les études de Bouygues sur son offre i-mode ont, par exemple, montré
que la plupart des premiers utilisateurs de leur service n‟étaient pas les « early adopters »
jeunes, technophiles et internautes prévus mais plutôt des personnes qui, souvent, n‟avaient
jamais (ou peu) eu de contacts avec Internet ou les PC.
Ainsi, dans notre première mise en perspective du GSM, nous avons pu mettre en évidence
deux concepts d‟expansion, l‟ubiquité et l‟individualisation, qui caractérisent deux axes
d‟innovations. Mais comme nous l‟avons vu, en terme d‟usage et de modèle économique,
d‟autres caractéristiques invariantes, qui ont largement contribué au succès du service de
téléphonie mobile, semblent aujourd‟hui représenter des freins pour les applications des
nouveaux réseaux.
B. Caractérisation des services mobiles
1. Une caractérisation des services
Cette analyse étant faite, conscient des innovations et des freins, pour mieux explorer les
possibilités offertes, il faut nous doter d‟outils et de modèles pour caractériser les services
Page 42
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
42
futurs : le nombre de variables paraît potentiellement énorme et nécessite donc une
classification qui nous permette d‟interpréter les pistes déjà étudiées. C‟est dans cette logique
que nous allons utiliser le modèle de service de Midler-Lenfle. Celui-ci distingue 6 variables
de conception. On retrouve :
- Un type de clientèle visée (particulier, flotte…) ;
- Un produit support (type de véhicule, équipement embarqué…) ;
- Un processus de front-office (modalité des interactions avec le client) ;
- Un contrat qui va spécifier les droits et les obligations des parties ;
- Un processus de back-office qui va permettre la délivrance du service ;
- Un modèle économique de financement du service.
En détaillant si après chacune de ces six variables de conception, nous allons essayer de
mieux analyser le monde de services dans lequel se situe Alcatel pour ensuite tenter de mettre
en évidence des pistes d‟innovation potentielles.
2. Type de clientèle
Au niveau des offres commerciales, le découpage professionnels – particuliers est le
découpage classique chez les opérateurs. Cette partition des clients s‟explique assez
facilement par des attentes disjointes de part et d‟autres :
- appels internes à l‟entreprise, communications data ou gestion centralisée des factures
pour les professionnels par exemple,
- forfaits soirs et week-ends, mini-messages, téléchargement de sonneries et autres services
qui n‟intéressent pas les professionnels !
Pour les professionnels, un service mobile sera intéressant s‟il permet de dégager un retour sur
investissement positif : gain en efficacité des collaborateurs, réduction globale des coûts de
téléphonie, apport de nouvelles fonctionnalités. Le gain en efficacité n‟est pas le plus facile à
mesurer : qu‟il s‟agisse d‟un moyen d‟accéder à de nouveaux composants métiers (mails, base
de données, etc.) ou d‟un moyen de mieux communiquer entre les collaborateurs, identifier le
retour sur investissement de l‟entreprise constitue un véritable défi.
Page 43
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
43
Parmi les professionnels, un autre type de communication a un avenir prometteur. Il s‟agit de
la télémétrie et ses avatars (télématique, télépaiement). L‟objectif de la télémétrie est de
récupérer des informations émises par du matériel qui appartient à l‟entreprise. Un container
frigorifique pourra ainsi prévenir la société à laquelle il appartient si sa température dépasse
un certain seuil. Pour l‟entreprise, le gain peut être très important : ne pas perdre le contenu du
container en envoyant immédiatement quelqu‟un voir ce qui se passe sur place par exemple.
Pour ce type d‟application, le retour sur investissement est peut-être plus facile à identifier.
En ce qui concerne le segment des particuliers, la diversité des clients est très importante :
entre le jeune early-adopter technophile et la personne âgée souhaitant pouvoir téléphoner en
cas d‟accident de la route, les services mobiles utilisés ne seront pas les mêmes.
Pour les offres data, le marché a du mal à décoller. Contrairement au Japon où à son
lancement l‟imode était pour beaucoup le seul moyen d‟accès à Internet, son lancement
ultérieur en Europe n‟a pas permis de s‟appuyer sur ce phénomène. Le moyen d‟accès à
Internet est en effet (pour l‟instant !) l‟ordinateur, maintenant connecté par l‟ADSL. La
différence de débit avec l‟imode s‟en ressent d‟autant plus, reléguant de manière générale
l‟usage de l‟imode à des situations très ponctuelles. Les technophiles (forcément équipés de
l‟ADSL) qui auraient donc pu le plus être accrochés par l‟imode ne trouvent ainsi qu‟assez
peu d‟utilité à un tel portail. Il en est globalement de même pour les autres portails d‟accès de
type Internet sur les mobiles. Mais l‟ouverture en mobilité aux transmissions de données ne
signifie pas pour autant uniquement l‟accès à Internet. Le téléchargement de sonneries et
d‟images sur les téléphones mobiles est ainsi en pleine explosion. Il est assez clair que le
marché intéressé se limite vraiment au segment des jeunes… Une autre partition du segment
des particuliers serait donc jeunes – non-jeunes.
3. Produit support
Le produit support vit actuellement une véritable révolution. Au lancement du GSM, l‟unique
service mobile disponible était la téléphonie. Le produit support associé le téléphone portable
était quasiment une copie conforme des combinés téléphoniques classiques. Du point de vue
des usages, la facilité d‟utilisation était telle qu‟un abonné à la téléphonie filaire comprenait
sans problème comment utiliser un tel téléphone. Le produit support est aujourd‟hui entrain
de quitter la lignée « téléphone combiné téléphonique » ; cette différenciation de la lignée
mère se fait à plusieurs niveaux :
Page 44
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
44
- modularisation du téléphone : le téléphone n‟est ainsi plus toujours constitué que d‟un seul
élément regroupant toutes les fonctions de numérotation de microphone et de haut-parleur.
L‟apparition des kits mains-libres en était ainsi la prémisse : il permettait de séparer les
fonctions utilisées en cours de conversation (parler et entendre de manière générale) des
autres fonctions. Les oreillettes bluetooth maintenant de plus en plus courantes sont dans
la continuité de cette lignée mais font apparaître de manière plus radicale la modularité
des mobiles : certains mobiles seront-ils bientôt constitués uniquement d‟une oreillette
bluetooth et d‟un élément rassemblant les fonctions écran (est-il vraiment nécessaire ? cf.
text-to-speech) et clavier (même question : reconnaissance vocale !) Aura-t-on un jour une
oreillette bluetooth et dans la poche un élément servant uniquement d‟interface entre le
réseau radio et l‟oreillette ?
- ouverture des produits supports : la mise en place généralisée de systèmes d‟exploitation
dans les téléphones portables permet ainsi l‟apparition d‟applications fournissant de
nouveaux services aux usagers. L‟avantage pour l‟opérateur est qu‟un nouveau service
disponible est potentiellement utilisable immédiatement par une large population : tous
ceux qui ont un portable disposant d‟un système d‟exploitation ; il n‟est plus disponible
uniquement sur les nouveaux téléphones mobiles fournis par l‟opérateur comme ça a été le
cas pour l‟imode. L‟avantage pour le client est l‟évolutivité du téléphone : ces
fonctionnalités pourront être enrichies au fur et à mesure de l‟apparition de nouveaux
services.
- spécialisation du produit support : de nouvelles lignées de conception apparaissent se
différentiant des mobiles classiques. Les smart phones constituent ainsi la fusion entre les
PDA et les téléphones : doués de capacité de transmission de données, ils rassemblent en
un seul élément deux outils de travail utilisés par certains cadres.
- intégration dans un sur-système : les fonctionnalités de transmission de données se
trouvent ainsi être mises à disposition de nouveaux systèmes les utilisant pour dialoguer
avec un serveur distant. La télématique automobile et la télémétrie en sont deux exemples.
Dans le dernier cas, un exemple concret est la mise en place de systèmes de
communication GPRS dans des distributeurs de boissons permettant ainsi de remonter des
informations sur le distributeur : état du monnayeur, température interne, historique des
Page 45
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
45
transactions effectuées, etc. Le produit support a alors perdu toutes ressemblances avec un
combiné pour devenir un composant informatique.
Le rapprochement des mondes des télécommunications et de l‟informatique constitue ainsi
une des tendances structurant très fortement les produits supports de services mobiles.
4. Processus de back-office
La fourniture de services mobiles peut maintenant passer par une multitude de back-offices.
Au niveau des technologies d‟accès, de nombreux canaux de distribution de données sont
disponibles : GSM, GSM-data, SMS, GPRS, EDGE, UMTS, Wifi, Wimax. Après l‟erreur des
années 2000 où les opérateurs ont mis en avant les technologies utilisées, ils reviennent
maintenant à une présentation de leur offre par les usages : il est en effet inintéressant pour un
client de savoir s‟il est en Wifi ou en UMTS, ce qu‟il veut c‟est par exemple être averti dès
qu‟un mail arrive et être en mesure de faire un téléchargement rapide des nouveaux messages
arrivés sur sa boîte mail.
Derrière la multiplication des processus d‟accès, il y a aussi une multiplication des process de
fourniture des services mobiles : les « machines » qui fournissent le service peuvent se situer
à différents endroits stratégiques du réseau. Comme nous l‟avions décrit dans la première
partie, l‟architecture de type IP tend à renvoyer la fourniture de service en dehors du cœur de
réseau qui lui n‟effectue que le transport. Nous avons pourtant vu que des services comme le
CRBT étaient fournis depuis l‟intérieur du réseau ; la question du choix des architectures
d‟implantation des services mobiles est donc toujours d‟actualité…
Nous avons dégagé dans les parties précédentes que la télémétrie représentait un champ
d‟application des services mobiles encore assez peu exploré. Concernant le back office, la
télémétrie constitue là encore un véritable challenge : les informations remontées par les
équipements distants doivent être reçues et intégrées par l‟entreprise ; des informations
remontées jusqu‟à l‟entreprise, stockées dans une base de donnée mais jamais lues ne servent
en effet à rien ! L‟intégration des données, étape cruciale du processus, est difficile à mettre
en place ; elle consiste à donner à l‟entreprise les outils pour qu‟elle puisse utiliser les
données qui lui arrivent des équipements distants. Le mode d‟intégration peut être très
différent d‟une entreprise à l‟autre : certaines peuvent choisir une intégration totale avec leur
Page 46
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
46
systèmes de gestion déjà en place alors que pour d‟autres, il ne s‟agira que de fournir un
moyen de visualiser les données acquises.
5. Modèle économique
Le modèle économique le plus couramment utilisé en téléphonie est le modèle du paiement à
la durée (d‟abord à la minute, maintenant à la seconde). Ce modèle est issu de la téléphonie
fixe où il est en ce moment entrain d‟être fortement remis en cause.
L‟usage envisagé du GPRS est lui un usage de type Internet : visualisation de pages issues
d‟un site web ; comme l‟a malheureusement pour lui démontré le WAP 1.0, le paiement à la
durée de visualisation des pages n‟est pas viable. La technologie GPRS permettait, elle, un
paiement à la quantité de données transmises (dans les deux sens). Parallèlement à
l‟apparition du GPRS, la démocratisation d‟Internet puis de l‟accès ADSL ont transformé le
modèle de paiement de type flat fee en standard d‟accès à du contenu web.
L‟UMTS data que l‟on pourrait voir comme un ADSL mobile souffre pour l‟instant d‟un
problème de business model ; celui-ci est en partie dû à l‟apparition de la voix sur IP. En
effet, grâce à cette technologie, deux usagers équipés de téléphones UMTS et disposant d‟une
application de VoIP seront à même de se « téléphoner » sans utiliser le service de téléphonie
mobile de l‟opérateur.
Mais quel modèle de paiement utiliser pour l‟échange de données en UMTS ?
flat fee : l‟opérateur craint de voir disparaître une part importante de ses bénéfices, les
appels étant tous passés en VoIP,
paiement à la quantité de données échangées. L‟opérateur Orange UK vend, en UMTS, 1
Giga octet pour 112€/mois ; pour consommer ce Go disponible, en utilisant un logiciel de
téléphonie peer-to-peer comme skype, il faudra 81h ; cela ramène le prix de la minute à
0.023 €/min à comparer au 0.11 €/min prix minimal atteint actuellement… Les opérateurs
devront donc baisser le tarif des communications UMTS s‟ils ne veulent pas faire face à
une fuite des clients vers des systèmes de téléphonie externes… Le contrat SFR 3G
spécifie que « les usages tels que le Peer to Peer, le Streaming et la voix sur IP sont
interdits ».
Page 47
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
47
Le passage du cœur de réseau en tout IP permettra peut-être aux opérateurs de sortir de
l‟impasse : en alignant les prix des communications téléphoniques sur le coût de la bande
passante en voix sur IP, ils pourront garder leurs clients en téléphonie.
Concernant le paiement des nouveaux services, un nouveau modèle apparaît aussi : le
coefficient multiplicateur. SFR a ainsi jugé que les communications visiophoniques seraient
décomptées au double de leur temps : un forfait SFR Pro 3G de trois heures en téléphonie
classique ne devient plus qu‟un forfait d‟une heure et demi en visiophonie. Le push-to-talk
fera certainement lui aussi apparaître ce type de coefficients multiplicateurs : une
communication push-to-talk vers cinq mobiles coûtera cinq fois plus cher qu‟une
communication push-to-talk vers un seul mobile. Pour le client, le gros inconvénient est
l‟évaluation du décompte de ses communications : l‟estimation intuitive deviendra l‟affaire
des forts en maths…
6. Contrat
Comme illustré par l‟historique du GSM, le lien entre le produit support et le réseau est un
lien de dépendance très fort. On retrouve aujourd‟hui ce lien très fort, dans l‟attitude des
opérateurs qui subventionnent de manière très importante l‟achat par les nouveaux clients de
leur téléphones portables. Outre ce lien très fort, on pourrait peut-être aller jusqu‟à dire que le
téléphone portable constitue le support de vente des opérateurs (qui n‟ont en propre que la
carte SIM). Le client qui veut prendre un nouvel opérateur repartira ainsi dans la très grande
majorité des cas avec un téléphone portable. Le téléphone portable permet de plus à
l‟opérateur d‟établir un contrat le liant au client sur une durée déterminée. Ce dernier est en
effet la propriété de l‟opérateur pendant la durée de l‟abonnement (avant renouvellement
éventuel). Ce contrat lie donc le client beaucoup plus fortement à l‟opérateur que s‟il lui avait
fourni uniquement une carte SIM.
Par ce type de contrat, l‟opérateur descend dans la chaîne de valeur vers la fourniture du
produit support et se place ainsi dans une situation où il ne constitue pas uniquement une
infrastructure de transport. Le décalage plus haut dans la chaîne de valeur vers les
services constitue l‟autre alternative permettant aux opérateurs de renforcer leur pouvoir.
C‟est d‟ailleurs ce que font nombre d‟opérateurs tel Vodafone qui s‟oriente de plus en plus
vers les services.
Page 48
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
48
7. Processus de front office
Concernant les services de téléphonies mobiles, le processus de front office est de manière
générale assez limité. On distingue deux processus différents :
celui qui permet la vente du produit support notamment à travers des enseignes qui
assurent la commercialisation des téléphones mobiles,
celui qui assure la coproduction du service, ce peut être l‟opérateur pour nombre de
services (centre d‟appel, portail Internet), ou des tierces parties (téléchargement de
sonneries…)
Dans le cas des services aux professionnels avec intégration à un back office, le processus de
front office gagne aussi en importance ; le back office et le front office s‟associent en effet
pour fournir le service au client. Dans le cas d‟une intégration au systèmes d‟informations, le
front office peu quasiment disparaître intégré dans le système d‟information du client.
C. Mise en perspective du modèle de Midler et Lenfle
Dans cette partie, nous nous interrogeons sur la viabilité de l‟approche du modèle de service.
En effet, cette caractérisation semble pouvoir nous servir au moins de deux façons distincts :
Interpréter a posteriori un service qui a déjà été proposé afin de fournir des grilles de
lecture permettant une meilleure analyse et compréhension.
Générer des nouveaux concepts ou servir de support à l‟exploration des champs
d‟innovations possibles d‟un domaine.
La première logique a été utilisée précédemment pour observer des domaines déjà existants et
bien établis. Durant notre mission, nous avons été aussi amenés à nous placer dans la
deuxième approche afin de générer de nouvelles idées. Nous pouvons ainsi confronter notre
expérience au modèle afin de dégager des éléments susceptibles de l‟améliorer ou d‟en
montrer les limitations actuelles afin d‟en faire un élément réellement instrumental.
Il est intéressant de remarquer que cette étude de modélisation sur les services est
relativement en phase avec l‟évolution des pratiques dans le domaine des NTIC et
notamment dans celui des architectures logicielles où le concept de service s‟impose comme
une des grandes tendances des années à venir. Tous les grands fournisseurs de solutions
Page 49
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
49
s‟organisent aujourd‟hui autour du concept de Service-oriented Architecture (SoA),
présentant les différentes logiques métiers d‟applications dans des modules découplés et
réutilisables, appelés services, dont l‟interaction avec l‟extérieur est explicitement définie
dans un contrat de service.
Les compétences et connaissances acquises sur ce sujet nous permettent de rebondir sur le
modèle de M-L pour enrichir la discussion.
1. Extension de l’innovation répétée aux services : la notion
d’offres de services
La plupart des entreprises se retrouvent aujourd‟hui dans l‟obligation d‟innover afin de
proposer en permanence des nouvelles offres et d‟améliorer les anciennes. Cette nécessité
s‟accompagne souvent d‟un investissement massif et systématique dans les départements de
R&D. Or la plupart des études récentes montrent qu‟il n‟existe en général aucune corrélation
entre les investissements R&D et la réussite des nouveaux projets et offres (Le Masson,
2001). Certains de ces auteurs recommandent d‟ailleurs de limiter au maximum les grands
investissements coûteux. Dans ce contexte, le concept d’innovation intensive de Weil et Le
Masson est à rapprocher de la notion de Marketing expéditionnaire prôné par Hamel et
Prahalad ou de l‟expérience de Téfal dans les sorties multipliés de nouveaux produits. Dans
cette logique, le produit se construit non plus dans le laboratoire mais au contact des
consommateurs, en « grandeur nature ». Récemment, Nokia semble avoir de cette façon
avancer sur le N-Gage, sa console portable / téléphone, en itérant la version initiale en 6 mois
pour corriger des problèmes fonctionnels apparus à l’usage.
Cette notion d‟apprentissage permanent et de co-conception répétée est tout à fait en phase
avec la description en Rupture / Lignée vue précédemment. Elle peut aussi être réutilisée dans
le cadre des services, où l‟aspect co-création est une des parties prenantes des définitions qui
en sont souvent données.
Cet aspect met en évidence la dynamique de l‟innovation sur les services qui nous manquent
sur le modèle précité. Dans la plupart de nos travaux, l‟exploration intellectuelle a été préférée
à l‟apprentissage sur le terrain. Il est sûr que la structure actuelle d‟Alcatel ne favorise pas le
déploiement de stratégie de petits pas rapides, tant l‟entreprise est habituée à la rigueur
organisationnelle et méthodologique de développement à grande échelle.
Page 50
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
50
Comprendre la dynamique des services nécessite l‟intégration d‟un très grand nombre de
paramètres et surtout de l‟intégration et de la relation qui existent entre eux. Cela nécessite
aussi la capacité de construire en permanence une offre de services capable de répondre au
besoin de l‟innovation intensive et qui puisse si possible s‟accorder à la logique du Marketing
expéditionnaire.
Pourtant, un des grands malentendus de cette approche doit être vite dissipé : dans notre
intérêt pour le modèle d‟innovation de service répétée, nous ne préconisons pas de tomber
dans l‟innovation débridée, dépourvue de toute logique. L‟innovation intensive, reliée à la
notion de lignée, encourage au contraire à travailler autour des concepts originaux afin
d‟affiner les idées plutôt que de viser la révolution permanente. Ce précepte doit nous
prémunir du risque de lancer des services ou des offres dans toutes les directions. Cette
attitude est de toute façon intenable sur le long terme.
Dans ce contexte, le modèle de M-L fait peu appel aux modèles d‟innovations répétée et
présente tous les services sur un pied d’égalité. En cela, son utilisation naïve risque de nous
faire tomber dans l’atomisme c‟est-à-dire dans une situation où les services s‟ajoutent les uns
aux autres sans proposer la moindre synergie.
Une offre de services, au contraire, pour se mettre en accord avec une capacité d‟innovation
répétée doit présenter un certain nombre de propriétés.
2. Promouvoir la composition de services : de la nécessité de
hiérarchiser les services
L‟étude que nous avons pu faire sur le cas d‟un service de Film sur Borne Wifi (voir en
annexe) illustre bien le fait qu‟aujourd‟hui, beaucoup de services résultent de la composition
d‟une multitude de prestations complémentaires qui sont elles-mêmes proposées. Comme
dans les chaînes de valeurs produits, un réseau complexe de compétences et de responsabilités
engendrent des prestations construites en processus complexes d‟interactions.
Cette composition est d‟ailleurs réalisable aussi bien avec des services tous internes à une
seule entreprise mais aussi de plus en plus en coordination d‟un grand nombre d‟entreprises
différentes. Le but est de répondre au besoin d’un client selon la procédure définie
explicitement ou implicitement dans un contrat. Comme cela a été déjà plusieurs fois répétée,
Page 51
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
51
le service (comme le produit dans le marketing expéditionnaire) exhibe une co-création de
valeur définissant les rôles des clients et de prestataires. Il est important de remarquer que le
client est plus ou moins impliqué dans la prestation autant dans la réalisation de la procédure
du contrat que dans le choix des services ou produits intermédiaires.
Au-delà de l‟étude des services vue comme des entités complètement indépendantes, il est
donc nécessaire de s‟interroger sur leur composition et leur intégration. En effet, cette analyse
est essentielle dans l‟optique de l‟innovation intensive où l‟on veut être capable d‟évoluer sur
des pentes d‟innovation fortes par des offres de services mais sans avoir à tout remettre en
cause à chaque nouveauté.
Or, cette problématique est d‟autant plus difficile dans un environnement qui fait
nécessairement intervenir un grand nombre de sociétés différentes ayant à collaborer sur des
prestations communes.
Lorsque des très grandes entreprises dominent des secteurs ou des chaînes de valeur comme
c‟est le cas des opérateurs mobiles ou des constructeurs automobiles, la situation ne se pose
pas et l‟on sait à l‟avance qui sera l’entreprise étendard qui aura en général le rôle de front-
office vis-à-vis du client final. Cependant, des études récentes (Mustar, 2001) montrent que la
diversification des savoirs amènent nécessairement les constructeurs à prendre leur place dans
un réseau complexe de relations inter-entreprises. Les équipementiers automobiles, comme
Bosch ou Valeo, sont devenus des acteurs incontournables de la scène automobile en
atteignant une masse critique leur permettant de devenir plus que des sous-traitants, des vrais
fournisseurs d‟innovation et de « modules ».
Dans cette logique, le constructeur reste l‟assembleur, l‟intégrateur ou le composeur des
modules et prestations pour produire un tout cohérent au client final.
L‟étude que nous avons effectuée sur l‟exemple de la télématique (voir plus loin) montre que
la situation est beaucoup plus complexe et nécessite la collaboration d‟entreprises aux
compétences complémentaires mais de taille identique si l‟on compare les constructeurs
automobiles et les opérateurs ou intégrateurs de l‟industrie informatique et télécoms.
Dans ce domaine de la télématique, la question de savoir qui représente le front-office et est
donc le principal « propriétaire » du client, se pose. Dans notre étude, nous choisissons
arbitrairement et successivement une entreprise étendard pour montrer la richesse de
possibilité d‟un scénario de service, qui remplit à peu près la même prestation vue du client
Page 52
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
52
final mais qui diffère fortement du point de vue de l‟implémentation du service qui fait
intervenir de multiples compositions de services entre entreprises concernées. Ces
compostions qui peuvent largement rester invisible au client, génèrent en revanche des
rapports de force entre entreprises sous-jacentes. Ainsi, à iso-usage, les différentes
implémentations forgent des futurs variés.
Ici, la typologie de M-L ne nous dit rien pour pouvoir « prévoir » l‟issue des différents
modèles que nous construisons. Or, cette nécessité d‟orienter les modèles dans une direction
donnée semble nécessaire si l‟on veut pouvoir s‟engager sur une ligne d‟innovation intensive
en limitant au maximum les irréversibilités dues aux investissements à effectuer pour explorer
plus avant certaines pistes.
3. La dissémination des services
La composition des services s‟intéresse à la constructions de prestations à travers l‟interaction
entre un grand nombre d‟entreprises.
La dissémination elle apparaît aussi en phase avec l‟innovation intensive puisqu „elle
questionne l‟exposition des services à partir des structures existantes. On peut la rapprocher
de la notion de compétences internes ou fondamentales de l‟entreprise telle qu „elle est
exposée par Hamel et Prahalad. Dans cette logique, on s‟interroge sur la réutilisation des
composants dispersés que l‟on possède pour les exposer comme des supports de services.
Cette approche insiste donc sur la réutilisation et tente d‟éviter la vision atomiste des services,
incohérente avec la logique d‟innovation intensive.
Elle permet d‟identifier au moins deux types de développement d‟offres de services reposant
sur des logiques différentes, par le back-office ou par le front-office, et montre la nécessité
d‟identifier son modèle de déploiement et ses capacités afin de construire une stratégie d‟offre
de service cohérente :
déploiement par le back-office :
Back office
Front-
Office Front-
Office
Front-
Office
Front-
Office
Client
Client Client
Client
Page 53
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
53
Cette structure s‟adapte bien à des entreprises possédant un fort savoir faire et des
compétences fondamentales bien maîtrisées. Le back-office est en général déjà très
informatisé car il est important et demande une capacité organisationnelle et opérationnelle.
Développer une offre de service conséquente consistera à décliner les forces de ce Back-office
en ajoutant des front-offices spécialisés. Le temps de déploiements peut être en général assez
court et permet de saisir des opportunités très rapidement. Une entreprise comme Dell, par
exemple, est passé maître dans l‟art du back-office avec un temps extraordinairement court
pour l‟assemblage de ces machines.
Le risque de cette structure est l‟atomisation trop grande de la clientèle dans des front-offices
très variés et la possible difficulté de communication entre les fronts-offices
déploiement par le font-office
Ici, l‟entreprise possède une forte attache avec des clients dont l‟interaction est bien connue et
tente d‟enrichir son offre de manière verticale en proposant par le même « canal » d‟autres
services à ces clients. Internet a notamment renforcé la possibilité de cette approche en
mutualisant dans la page de site Web un ensemble de compétences pour les présenter sous un
point focalisant. Cependant, la grosse difficulté de ce modèle est le risque que la faiblesse du
Back-Office nécessite la collaboration en interne avec d‟autres entreprises qui possèdent les
Front-office
Client
Client Client
Back-office
Back-office
Back-office
Page 54
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
54
compétences complémentaires, en gros que l‟un des back-offices dessinés appartiennent à une
entreprise partenaire.
Dans ce modèle la relation entre les deux back-office est primordiale et l‟entreprise doit
veiller à éviter que la situation ne s‟inverse et que l‟entreprise complémentaire la déborde en
proposant elle-même son propre front-offices.
Ainsi, cette brève étude met en évidence l‟influence différente que peuvent jouer les
différentes variables de M-L lorsqu‟il s‟agit d‟exposer ou de disséminer des services à partir
d‟infrastructure déjà existante. Elle est difficile mais nécessaire pour envisager déployer une
offre de service à géométrie variable en déclinant des forces bien comprises (Back-office ou
Front-office) plutôt qu‟en réinventant toutes les variables à chaque coup.
Page 55
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
55
III. La recherche de nouvelles lignées chez Alcatel
A. Enseignements sur l’exploration d’un champ de nouveaux
services : la télématique
1. Le GPRS et l’UMTS : des technologies pour « ordinateurs »
embarqués.
a) Dépasser la vision purement « téléphonique »
Quand on pense nouveaux services GPRS / UMTS, on a tendance à penser aux service de
téléchargement d‟images, de vidéo ou à la visiophonie que permettent ces technologies.
Pourtant, nous en avons déjà parlé, le GPRS ou l‟UMTS ne constituent que des moyens de
transporter des données. Un des intérêts de ces technologies, souligné dans la partie
précédente est l‟ubiquité, cette possibilité de transférer ces données où que le terminal soit. Le
deuxième intérêt concerne les débits de transmission qui sont relativement élevés. Le terminal
n‟est donc pas forcément un téléphone mais plutôt un équipement qui a besoin d‟envoyer
et/ou de recevoir des informations. Une des pistes d‟étude que nous avons suivi a ainsi été de
s‟intéresser à un équipement fortement mobile : la voiture.
Comment des services disponibles dans la voiture pourraient-ils tirer profit du GPRS ou de
l‟UMTS ?
Avant de s‟intéresser à cette question, nous allons essayer de voir quelles sont les
technologies alternatives ? A première vue, peu d‟équipements permettent les mêmes
fonctionnalités que l‟UMTS et le GPRS : en général, il faut choisir entre ubiquité et vitesse de
transmission. Pour le Wifi par exemple, les hotspots permettent des débits très élevés mais
sont très localisés. Les SMS eux offrent certes l‟ubiquité mais avec des débits très faibles…
Le choix entre les différentes technologies va donc dépendre très fortement du service
envisagé ; pour certains le Wifi est un bon concurrent ; pour d‟autres, sa couverture restreinte
l‟élimine d‟office.
Page 56
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
56
b) Contraintes de conception sur le produit support
Nous venons de voir que le choix du service était déterminant dans le choix du mode de
communication envisagé ; nous allons maintenant rapidement constater les liens entre des
variables de conception et le produit support qu‟on retiendra.
Deux caractéristiques du produit support sont essentielles pour la détermination des services
que l‟on sera à même de fournir :
- intelligence : s‟agit-il d‟un produit support disposant d‟un client logiciel lourd intelligent
ou d‟un client léger ? La question est de savoir quelle est l‟intelligence de l‟équipement
embarqué. Est-ce quasiment un ordinateur portable sur lequel le fournisseur de service
peut télécharger des services supplémentaires ou est-ce un équipement basique qui a un
stimulus donné enverra un message au fournisseur de service sans grande évolutivité
possible ?
- intrusivité : comment est-il intégré au véhicule ? Est-il seulement « posé » dans le
véhicule ou est-il véritablement relié au réseau de communication du véhicule, capable
d‟en décoder les informations et d‟en envoyer certaines ?
De ces deux variables de conception découlent des modèles de services différents.
L‟intelligence du terminal est déterminante sur l‟architecture du service. A service équivalent,
il y a un trade off entre l‟intelligence du terminal et la taille du back-office. A client « bête »,
back office intelligent donc important… et réciproquement.
2. Analyse de la chaîne de services télématiques : la sécurité
Concernant les services paquets, on peut réaliser leur cartographie en trois grands domaines :
la sécurité, la gestion de la mobilité et le multimédia.
Service de télématique
automobile
Sécurité Gestion de la
mobilité
Multimédia
Page 57
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
57
(1) Exemples :
Le télédiagnostic. Les voitures récentes sont toutes dotées d‟un réseau interne né du
besoin de trouver une solution de communication série dans des véhicules qui ont
tendance à intégrer de plus en plus de commandes électroniques (cf. fig. 7). En 2005, on
estime qu‟une centaine de microcontrôleurs seront ainsi intégrés dans les véhicules.
L‟ordinateur de bord dispose donc d‟informations sur tous les équipements de la voiture et
connaît par exemple l‟état de l‟ABS à tout instant. Les différents contrôleurs envoient
donc régulièrement à l‟ordinateur de bord les erreurs qu‟ils rencontrent, erreurs que
l‟ordinateur de bord sauvegarde. Actuellement, les garagistes sont équipés d‟outils qui en
se connectant sur la CAN (Car Area Network) permettent de décoder les données
enregistrées et le cas échéant de régler les disfonctionnement du système.
Le télédiagnostic permettrait d‟effectuer cette opération à distance. En reliant un système
de communication à l‟ordinateur de bord, le garagiste serait alors capable, en théorie,
d‟identifier la panne à distance. On peut imaginer par exemple, que grâce à ce système un
dépanneur arrive avec la pièce à changer en ayant identifié la pièce défectueuse avant de
venir.
Figure 7 : Schéma d'un Controler Area Network
La mise à jour de l‟électronique embarquée. La multiplication des contrôleurs dans la
voiture a introduit dans le monde automobile un des fléaux de l‟informatique : les failles
de sécurité. Si un redémarrage de l‟ordinateur n‟est pas une catastrophe dans bien des cas,
Page 58
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
58
on imagine sans peine qu‟un redémarrage du système de gestion du moteur, ou une
extinction des feux de route inopinée peuvent conduire à des accidents dont le
constructeur serait responsable. Ces derniers ne peuvent donc pas se permettre de lancer
sur le marché des systèmes aux comportements instables. Il arrive pourtant que de tels
problèmes apparaissent après la sortie du véhicule ; aujourd‟hui, dans ce cas, le
constructeur rappelle tous les véhicules en concession. Cet opération est extrêmement
coûteuses pour le constructeur, sur le plan financier mais aussi en terme d‟image. Un
système de mise à jour à distance de l‟électronique embarquée permettrait de s‟affranchir
de ces coût tout en maintenant la sûreté des véhicules.
La balise d‟urgence intelligente. Lors d‟un accident, le déclenchement des airbags est
détecté par l‟ordinateur de bord du véhicule. Le véhicule peut alors envoyer sa position
(connue grâce à un système GPS) à un central qui alerte les secours.
Un business model de type assurance est imaginé pour ce type de service : de même que
lorsqu‟on installe tel type d‟alarme la prime d‟assurance du véhicule diminue, on peut
imaginer que l‟assureur serait prêt à baisser sa prime si on installe un service de balise
d‟urgence. En effet, grâce à un tel système, le temps avant l‟arrivée des secours sur les lieux
de l‟accident diminue, augmentant ainsi les chances de survie de blessés graves éventuels.
Puisque l‟assureur a intérêt à ce qu‟un tel système soit mis en place, il est envisageable qu‟il
favorise financièrement l‟émergence d‟un tel service.
(2) Un marché sous tutelle des constructeurs
Une forte interaction avec le bus vital : Les trois services que nous avons regroupé sous le
terme sécurité ont tous les trois besoins d‟une forte interaction entre le bus vital de la voiture
et le terminal de communication. Il nécessite un produit support qui suivant les variables de
conception utilisées tout à l‟heure sera fortement intrusif. En effet, le terminal devra dialoguer
avec au moins un équipement pour récupérer les données qu‟il doit transmettre soit vers
l‟extérieur – déclenchement des airbags, télédiagnostic – soit vers l‟intérieur de la voiture –
mise à jour de logiciels embarqués. Un problème majeur apparaît alors, celui de la sécurité
informatique : la connexion du terminal aux équipements sensibles de la voiture ouvre des
portes à d‟éventuels piratages. Les constructeurs ne peuvent pourtant tolérer aucune intrusion
par ce biais. En effet, si un pirate réussit à faire éteindre les feux de route d‟une voiture ou
pire dans quelques années s‟il est capable de « prendre le volant » virtuellement, le
constructeur qui endosse cette responsabilité peut aller au devant de graves problèmes!!!
Même si les services ne se connectent pas au réseau Internet, il a été envisagé le cas où un
Page 59
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
59
pirate serait équipé d‟une BTS (station radio de base du réseau GSM) et capable de simuler le
réseau. S‟il connaît la structure des messages qu‟échange la voiture avec le gestionnaire du
service, il sera capable de prendre éventuellement contrôle de la voiture ou tout du moins de
provoquer des dégâts, en téléchargeant une mise à jour vérolée des logiciels de bord par
exemple. Des solutions informatiques assez lourdes peuvent être mise en place pour éviter ce
genre de désagréments. Malheureusement, comme toujours en informatique, des failles de
sécurité peuvent exister qui pourraient être utilisées par des pirates.
Un compromis à trouver : un autre problème avec ce type de service est le compromis qui
doit être trouvé entre le prix du boîtier télématique, la place qu‟il prend et ses capacités. Vu le
type de services envisagés, l‟intérêt du constructeur est que ce module télématique soit
présent sur toute la gamme : un constructeur tel que PSA n‟envisage pas d‟autres solutions
que d‟avoir un module télématique toutes gammes. De la 106 au Partner, la diversité de taille
et de gamme des voitures impose de trouver des solutions à faible coût et occupant peu de
place.
Des contraintes de disponibilité : Les services associés à la sécurité ne sont pas fait pour
fonctionner souvent : que ce soit la balise d‟urgence en cas d‟accident, le télédiagnostic en cas
de panne ou la mise à jour de l‟électronique à distance si le système présente un trou de
sécurité, moins un service est utilisé mieux ses utilisateurs potentiels se portent ! Ces services
doivent par contre être disponibles dès qu‟on a besoin d‟eux : il en va de la vitalité ou du
confort des utilisateurs. Les assurances répondent au même type de description, un business
model envisageable est ainsi celui du type assurance : un sondage GartnerG2 montre que les
utilisateurs sont de fait prêts à payer pour que leur voiture soit équipée d‟un système
d‟urgence.
Fortement intégré à la chaîne de valeur de part l‟adhérence nécessaire entre le terminal de
communication et le système vital de la voiture, le constructeur automobile n‟est pour
l‟instant pas moteur dans le domaine de la télématique tant les contraintes qui pèsent sur lui
sont nombreuses. La valeur ajoutée qu‟il a à installer de tels équipements n‟est en effet pas
avérée. Le cas de OnStar soutenu par General Motors est assez révélateur : malgré le succès
témoigné par ses deux millions d‟utilisateurs, le service OnStar coûte à General-Motors. Thilo
Koslowski, analyste chez Gartner, explique la non validité du business model par la mauvaise
approche de la télématique qui est faite : OnStar essaie de reproduire les services disponibles
Page 60
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
60
sur PC et essaie de faire payer les consommateurs pour des services dont ils ne veulent pas ou
n‟ont pas besoin.
3. La gestion de la mobilité
a) La navigation distribuée
Les systèmes actuels de navigation reposent sur trois modules essentiels :
un cd-rom ou dvd-rom contenant une base de données cartographiques
un calculateur de bord capable de calculer l‟itinéraire entre le lieu actuel et un lieu entré
par l‟utilisateur et d‟indiquer la direction à prendre à tout instant grâce aux informations
contenues dans le cd/dvd.
un récepteur GPS qui permet au calculateur de localiser le véhicule et de donner les
indications de direction en conséquence
La navigation distribuée constitue une évolution de ce système où le calculateur d‟itinéraire
ne se trouve plus dans la voiture mais sur un serveur qui prend en compte les informations de
trafic en temps réel, les accidents, les routes barrées, …
Le découpage du système est donc le suivant :
un récepteur GPS
une terminal de communication qui établit le lien entre la voiture et le serveur de
navigation distribuée, il fait remonter les informations de position de la voiture et récupère
les indications de navigation.
La navigation distribuée permet de remédier aux critiques souvent faites aux systèmes de
navigation standard : les informations cartographiques contenues sur le serveur sont toujours à
jour. D‟autre part, l‟enrichissement de la navigation par des informations en temps réel sur le
trafic ouvre une voie vers une utilisation plus courante de ce système : il ne servira plus
uniquement dans les moments où l‟utilisateur ne connaît pas son chemin mais aussi dans ceux
où il veut connaître l‟état du trafic, évaluer le temps de son trajet ou envisager un chemin plus
rapide.
b) La gestion de flotte
Dans un marché de véhicules utilitaires qui s‟élevait en 2001 à 1.9 millions de véhicules et de
véhicules industriels à 341.000 unités, la gestion de flotte constitue pour les entreprises un
Page 61
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
61
moyen nouveau pour suivre l‟ensemble de leurs véhicules. Grâce à un terminal de
communication embarqué dans la voiture, une entreprise peut connaître en permanence la
position de ses véhicules, leurs kilométrage, le temps de conduite du chauffeur, bref, toutes
les informations du véhicule qui l‟intéresse. Elle est aussi capable de dialoguer avec le
conducteurs au moyen d‟une interface adaptée au besoins de l‟entreprise.
Un tel système a été déployé par le centre de régulation Medi-callcenter de SOS Médecins
Essonne. Cette nouvelle solution de gestion et d'optimisation des moyens d'urgences à partir
d'un centre d'appel s'appuyant sur une plate-forme de gestion de flotte (celle d‟Opteway
intégrée par Masternaut) s‟est traduite par :
une meilleure pertinence pour affecter le médecin sur l'urgence : le médecin envoyé sur
les lieux est automatiquement le médecin disponible le plus proche
une efficacité accrue de l'acheminement du médecin sur les lieux d'interventions grâce à
un système de navigation intégré à la solution
une optimisation des distances d‟où une disponibilité accrue des médecins pour répondre
aux patients soit deux visites supplémentaires par vacation de 10 heures
une baisse significative des coûts d'exploitation pour SOS Medecins (kilometrage,
entretien, ..).
Seulement trois mois après la mise en place de cette plate-forme, SOS Médecins Essonne
réalise une optimisation des trajets des médecins qui apporte un gain de disponibilité de plus
de 10%. Les premiers résultats, hors boîtier GSM/GPS et PDA, démontrent un retour sur
investissement par voiture et par médecin inférieur à 10 semaines.
Au vue d‟un tel retour sur investissement, on peut espérer que les entreprises se montrent
intéressées par les plates-formes de gestion de flotte
Si des solutions sont actuellement prêtes, développées par des start-up, elles bénéficient de
peu de visibilité face à des clients qui exigent un partenaire sûr. Dans ce cadre, Alcatel
pourrait devenir une vitrine pour ces sociétés qui profiteraient de sa renommée et de ses forces
de vente. L‟intérêt pour Alcatel est double :
- obtenir des gains substantiels sur les ventes opérées par ses partenaires
- augmenter l‟ARPU des opérateurs grâce à l‟introduction de terminaux dans les véhicules ;
l‟augmentation de l‟utilisation des réseaux opérateurs favorisera alors leur investissement
dont Alcatel bénéficiera en tant qu‟équipementier.
Page 62
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
62
4. Multimédia
Le multimédia présente un potentiel très important pour l‟occupation des passagers en place
arrière. Jusqu‟à maintenant, les constructeurs ont accordé peu d‟importance à ces derniers, les
innovations concernant plus largement le conducteur et la voiture. Les passagers en place
arrière, entièrement disponibles, présentent des clients de choix pour des applications
multimédia. On peut en effet imaginer divers types de services :
- jeux en réseau : l‟arrivée des technologies haut débit entraîne un développement
spectaculaire du marché du jeu en réseau, le marché des jeux vidéos dépassant
actuellement celui du cinéma. Grâce à des écrans installés en places arrières les passagers
pourront jouer avec quiconque connecté au réseau Internet.
- Vidéo à la demande : ces mêmes écrans pourraient aussi servir à diffuser des films
récupérés grâce à des connexions rapides UMTS ou WiFi.
Ces applications multimédia sont gourmandes en bande passante, le débit fourni par les
connexions GPRS n‟est donc pas suffisant et c‟est grâce au Wifi et à l‟UMTS que ce marché
pourra émerger. Ce marché est envisagé à terme comme étant le plus important.
Le marché adressé par ces services est essentiellement un marché grand public. Le manque de
maturité des technologies et le faible engouement des utilisateurs pour de tels services ne le
rendent pas attrayant pour l‟instant. Les business model pour les services multimédia
embarqués devront a priori s‟appuyer sur ceux existants sur Internet pour des services du
même type. Malheureusement, les business model pour ces services ne sont pas encore
trouvés sur Internet.
Actuellement, des services de musique à la demande apparaissent malgré une concurrence très
importante des réseaux peer-to-peer. Ceux-ci s‟adressent à un public averti qui constitue pour
l‟instant les plus gros utilisateurs d‟Internet. On peut imaginer que l‟arrivée de plus en plus
importante d‟utilisateurs novices ainsi que les restriction légales à l‟utilisation de réseaux
peer-to-peer permettront un décollage du marché du on-demand.
Ces services sont aussi en concurrence avec des matériels non connectés : Media2go et autres
baladeurs multimédia permettent de visualiser des vidéos où qu‟on se trouve, s‟affranchissant
de connexion mobile grâce à des disques durs à fortes capacités.
Page 63
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
63
On peut aussi imaginer que le marché du on-demand n‟émerge pas en premier à travers
Internet mais à travers la télématique automobile. En effet, en situation de mobilité, on
accepte de payer des services qu‟on ne paie pas habituellement ou qu‟on paie beaucoup moins
cher : le prix des canettes dans les distributeurs est ainsi entre deux et trois fois plus cher
qu‟en grande surface. Il est donc envisageable que les usagers soient prêts à payer pour
visualiser des vidéos en voiture.
Il s‟agit alors de trouver le levier qui permettra d‟introduire de tels services dans les véhicules.
Des contraintes légales assez lourdes pèsent sur les constructeurs quant à l‟intégration de
systèmes vidéo télématiques. Ils doivent en effet connaître les répercussions qu‟ont les
appareils intégrés sur la sécurité des passagers du véhicule. Ainsi, des équipements tels que
des écrans vidéo au plafonnier ou dans les sièges arrières peuvent être dangereux pour les
passagers en cas de choc. Par exemple en cas de choc frontal, un enfant non attaché en place
arrière au lieu de passer par le pare-brise se prendra l‟écran vidéo avant de passer par ce
même pare-brise. L‟écran vidéo au plafond de la voiture présente donc un danger pour les
passagers.
Ces contraintes qui pèsent sur les constructeurs automobiles ne pèsent pas sur les installateurs
en deuxième monte. L‟introduction de systèmes multimédia communicants pourra donc
certainement se faire plus facilement sur l‟after-market que directement chez les
constructeurs. Des systèmes multimédia sont déjà en vente : lecteurs DVD avec écran 5‟‟ à
partir de 400€. Un système communicant WiFi paraît être une solution envisageable
applicable dès maintenant mais la chaîne de valeur à mettre en place est alors encore plus
complexe que pour ce même service en UMTS :
de trois opérateurs UMTS, on passe à une multitude d‟opérateurs WiFi qui n‟acceptent
pas tous le « roaming »
le prix des communications WiFi est actuellement assez cher, à 10€ l‟heure, la
transmission d‟un film coûtera au minimum 8€ en considérant un débit de 2 Mbps,
d‟autres parties doivent être rémunérées lors de cette diffusion : le diffuseur du film, les
droits du film, etc…
Page 64
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
64
5. Organisation de l’exploration chez Alcatel :
a) Exploration externe
Lancé en avril 2003 sur le sujet de la télématique automobile, l‟exploration s‟est au départ
beaucoup appuyée sur Internet. L‟ouverture que représente Internet permettait en effet
d‟accéder à un ensemble de savoir dispersé par de nombreuses sociétés nous créant ainsi une
culture sur ce domaine qui nous était inconnu. Internet présente cependant un gros
inconvénient : on ne connaît rien de la réalité de ce qui est présenté par la page web. Cela peut
aussi bien toucher des produits présentés (produit en cours de développement au moment de
la bulle Internet mais arrêté depuis par exemple) que des consortiums censés se rassembler
pour travailler ensemble sur un sujet mais qui sont en fait des coquilles vides (cas de Signant).
Après cette phase de découverte du sujet, nous avons cherché à rencontrer des acteurs
potentiellement intéressés par le domaine :
- constructeur automobile
- constructeur IT
- des fournisseurs de plates-formes à même d‟être intégrées dans des véhicules
- un assureur.
L‟exploration externe s‟est d‟autre part appuyée sur des rencontres avec des acteurs du
domaine rencontrés lors de salons.
b) Exploration interne
Une société telle qu‟Alcatel qui regroupe plus de 60 000 personnes a en interne nombre de
compétences qui peuvent servir sur un sujet comme celui que nous étudions. Nous avons ainsi
cherché à rencontrer différents acteurs qui pourraient jouer un rôle dans la création d‟une
solution par Alcatel. Plusieurs types de contacts ont présenté de l‟intérêt :
- contact avec un solution manager travaillant sur un domaine très connexe à la
télématique : la télémétrie. Il envisageait de plus de faire évoluer son activité vers la
télématique
- contact avec des personnes travaillant sur des solutions de localisation, compétence
indispensable en télématique,
- rencontre avec l‟ensemble des acteurs s‟intéressant de près ou de loin au monde
automobile,
Page 65
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
65
- contact avec l‟équipe business development du groupe Private Communication. Ce
contact nous a permis d‟entrer en relation avec un assureur intéressé par une intégration de
la télématique à son business model
c) Abandon de la démarche
Malgré tous ces contacts et des avancées notables, la démarche télématique automobile chez
Alcatel a été abandonnée. En fin d‟exploration, la question du produit support devenait de
plus en plus cruciale. Après avoir identifié la plate-forme qui pourrait être le support des
services télématiques, nous avons rencontrés deux acteurs concurrents à même de fournir de
tels systèmes.
En décembre, le fournisseur avec lequel nous avions eu le plus de relation a été mis en
liquidation. Un rachat par Alcatel était envisageable. General Motors proposait d‟autre part
d‟investir si Alcatel investissait aussi : un constructeur partenaire aurait ainsi été tout trouvé.
Le choix d‟Alcatel s‟est pourtant porté sur un retrait de ce domaine. De manière générale, la
stratégie d‟Alcatel jusque là était de se retirer du marché des produits supports (téléphones
portables, modem ADSL,…) Fidèle à cette stratégie, l‟opportunité d‟aller vers de tels
systèmes n‟a pas été identifiée comme prioritaire en vue d‟investir un nouveau marché.
Le choix d‟investir ou non signait de toute façon la fin de l‟exploration :
- dans le cas négatif, le choix de ne pas investir était un choix de ne pas aller vers ce
domaine,
- en cas d‟investissement, l‟exploration se serait arrêtée au profit du début d‟un projet.
Mais comment réaliser un arbitrage : go / no go ? Intéressons-nous aux critères qui ont pu
pencher dans le sens d‟un non-engagement :
- l‟exploration n‟était certainement pas allée assez loin au moment où l‟arbitrage a du être
réalisé. Ce choix est venu trop tôt dans l‟exploration, du fait de la mise en liquidation de la
société partenaire éventuelle. Un projet ne pouvait donc pas être véritablement lancé
rapidement sans un effort très important d‟Alcatel.
- un business model avec un retour sur investissement positif avait bien été réalisé mais il
s‟appuyait sur un scénario trop peu étayé pour véritablement convaincre
- le domaine appréhendé par le projet aurait été inconnu, avec des acteurs d‟un écosystème
autre que celui habituel d‟Alcatel. Quand toutes les sociétés se recentrent sur leur cœur de
Page 66
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
66
métier, aller en sens inverse peut témoigner d‟une volonté d‟innover mais être un facteur
d‟échec important.
L‟analyse des risques a ainsi du pencher en faveur d‟un désengagement de cette activité. Si
cette activité s‟est présentée comme n‟étant pas intéressante pour Alcatel, il serait cependant
important de se demander quel rôle Alcatel va pouvoir jouer dans les nouveaux
environnements de communications émergeants.
B. Nouveaux usages : régénérer les modèles de conceptions
de la communication
1. Diversifier les usages de communication ou comment explorer
l’effervescence des nouveaux modes d’Internet
L‟étude de la télématique a représenté une bonne partie de notre temps d‟exploration et une
première application d‟expansion vis-à-vis des éléments analysés qui nous portaient à nous
intéresser à d‟autres environnements de communications, dans de nouveaux contextes tels que
la voiture.
Cette activité ayant été repoussée faute de moyens suffisants, nous avons ensuite réorienté
notre activité vers d‟autres pistes d‟explorations qui nous paraissaient intéressantes et qui
recoupaient les analyses déjà effectuées. L‟individualisation de la communication engendrée
par le téléphone mobile a renforcé la singularité de la communication inter-personnelle en
créant un média intime et relatif à des individus particuliers.
Cette individualisation de la communication a cependant forgé une première phase de
déploiements de services de données qui, au-delà du SMS, ont tenté de reprendre le modèle
d‟usage de l‟Internet et plus particulièrement de l‟application Web. Celle-ci instaure un
asynchronisme entre les deux parties de la communication résultant de l‟application d‟un
modèle client-serveur de communication. Dans un tel mode, les rôles des parties ne sont plus
égaux (autant en terme d‟engagement de contrats que de puissance informatique nécessaire
pour rendre le service ) et un déséquilibre se produit. Contrairement au début de l‟Internet, les
adresses Internet Protocol (IP), qui assure une indépendance de l‟ordinateur vis-à-vis des
réseaux sous-jacents et une égale joignabilité, sont devenues des ressources rares qui ont été
Page 67
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
67
attribuées aux fournisseurs de services et aux sites Web. L‟utilisateur lambda ne possède pas
la plupart du temps sa propre adresse et ne peut donc pas mettre en place sa propre version de
site Web sans l‟intervention d‟un prestataire fournisseur d‟accès ou fournisseur
d‟hébergement. Il se dégage ainsi une fracture dans les différents intervenants du Web.
Dans le cas du mobile, le WAP a cherché la déclinaison du Web en gardant ce modèle
asynchrone et en le renforçant même vu le faible nombre d‟acteurs capables de fournir les
interfaces vers les utilisateurs aux fournisseurs de services potentielles.
L‟énorme différence entre le service GSM et le WAP est que ce dernier n‟offre pas en général
d‟effet de réseau important. L‟apport de nouveaux abonnés au service GSM renforce
l‟attractivité du service. Dans la plupart des cas, un utilisateur supplémentaire d‟un service
WAP, comme par exemple un service de cartographie, n‟apporte aucune valeur
supplémentaire aux utilisateurs déjà présents. On pourrait dire qu‟il apporte même des
désavantages puisqu‟il risque d‟augmenter la charge du serveur chargé de répondre aux
requêtes et donc d „augmenter son temps de réponse moyen et de diminuer la qualité de
service perçue par les autres utilisateurs.
On retrouve exactement le même type d‟exemples dans le cas de la vidéo sur mobile, une des
grandes promesses techniques de l‟UMTS. Dans ce cas aussi, le visionnage de vidéo,
téléchargée ou jouée en Streaming, individualise la consultation de clips vidéos par
l‟utilisation du produit support personnel de chacun et crée un asynchronisme fort où
l‟utilisateur actif d‟un combiné téléphonique se retrouve dans la peau d‟un consommateur
passif. Ici aussi on perd l‟effet multiplicateur de l‟effet réseau sur l‟usage exponentiel en
créant une gêne potentielle encore plus grande car le service vidéo sera très consommateur de
ressources réseau et donc fortement limité en nombre de consommateurs simultanés.
Ainsi, ces commentaires montrent que l‟application banale mais tronquée du modèle simple
de l‟application Web au téléphone mobile, n‟est pas forcément un gage de succès immédiat et
limite du même coup une expansion rapide du type GSM par le faible recours à l‟effet réseau
qui avait joué à plein régime dans le cas de la téléphonie mobile.
Ces remarques ne cherchent pas à renoncer à utiliser le monde de l‟Internet pour tenter de
régénérer les modèles de conceptions du téléphone mobile. Bien au contraire, nous pensons
que la convergence des technologies et des acteurs économiques impliqués dans les deux
mondes entraînera une inéluctable convergence des concepts et usages que ces technologies
permettent. Bien loin de concerner uniquement le monde clos et fixe du PC, Internet dans le
Page 68
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
68
futur est amené à devenir l‟infrastructure générique de déploiement de n‟importe quels
services, interactions de communications ou de délégations de compétence. La numérisation
progressive de tous les médias les rend tous concernés par le développement de cette
infrastructure qui viendra à un moment bouleverser les chaînes de valeurs et les modèles
industriels parfois centenaires de ces domaines. La crise de l‟industrie du disque est un
exemple de remise en question profonde des équilibres à la suite d‟une rupture technologique.
Cependant, si le monde mobile veut se nourrir de l‟Internet pour se régénérer, il lui est
essentiel d‟aller voir plus loin que le Web classique. De cette exploration jaillissent de
nombreuses nouvelles formes d‟usages et d‟interactions. Voici ici quelques pistes issues de
nos recherches. Celles-ci montrent qu‟il est tout à fait possible de conjuguer l‟individuation et
les effets de réseaux dans des modèles tout à fait novateurs.
Le peer2peer d’échange de contenus ou comment mêler individuation et effets de réseau.
Le peer to peer est aujourd‟hui une des manifestations les plus éclatantes de la différence
fondamentale qui existe entre les réseaux télécoms précédents et l‟Internet. Cet usage, qui a
séduit plusieurs millions de personnes est aujourd‟hui fortement contesté par l‟industrie du
disque qui y voit les raisons de la baisse conséquente de ses ventes. Cette application consiste
à partager un ensemble de fichiers de son ordinateur dans un dossier particulier qui sera
accessible à toutes les personnes présentes sur le réseau. Celui-ci a commencé à exister il y a
plusieurs dizaines d‟années avec l‟apparition des réseaux d‟entreprise. Il était à l‟origine
surtout utilisé pour échanger des fichiers textes. Dans les années récentes, quatre phénomènes
ont profondément changé son utilisation et sa portée:
Les contenus audiovisuels ont été numérisés et ont pu alors apparaître comme des
fichiers comme les autres
Les techniques de compression comme le Mp3 et l‟augmentation de la taille des
disques durs d‟ordinateurs a permis le stockage d‟un nombre très important de
fichiers.
Les ordinateurs des particuliers sont devenus suffisamment puissants pour faire
tourner des applications au design riche et facilement utilisables.
Page 69
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
69
Internet a multiplié de manière phénoménale le nombre de « peer » susceptible de
participer aux échanges de fichiers.
Ces éléments ont alors permis d‟utiliser le Peer2Peer pour échanger des fichiers autre que le
texte, en particulier des fichiers musicaux. Napster, la première version à succès de ce service,
était techniquement organisé autour d‟un serveur central et donc se trouvait particulièrement
visible vis-à-vis des responsables de l‟industrie du disque qui n‟hésitèrent pas à obtenir la
fermeture du site pour cause de violation des droits de copyright. Les successeurs, comme
Gnutella et surtout Kazaa, ont pour leur part mis en œuvre une architecture véritablement
décentralisée, rendue possible par la nature de l‟Internet, ne nécessitant pas de serveurs pour
stocker des copies des chansons concernées et étant donc beaucoup plus difficilement
attaquable par les moyens légaux. Ils ont connu un succès phénoménal (plus de 250 millions
de téléchargement pour Kazaa).
Ils présentent en particulier des similarités avec les structures qui ont fait le succès du
téléphone mobile :
Kazaa représente une véritable communication inter-personnelle dans le sens où il
met en relation deux ou plusieurs personnes qui échangent quelque chose, ici un
fichier musical ou vidéo. Dans Kazaa, les deux parties sont actives, aussi bien celui
qui télécharge que celui qui sélectionne, encode et met à disposition des autres une
partie de lui, matérialisée par sa collection de morceaux musicaux.
Kazaa fait jouer à plein régime les effets de réseaux. En effet, plus le nombre
d‟utilisateurs est grand, plus la quantité de fichiers potentiellement disponibles est
grande et plus il est intéressant de devenir utilisateursde Kazaa.
On remarquera que plusieurs études ont cependant montré qu‟une partie importante des
utilisateurs ne partageait pas de fichiers, phénomène bien connu en économie sous le terme de
passager clandestin.
Dans cette optique les successeurs de Kazaa, dont le plus prometteur et vraisemblablement
Bittorent , ont pour objectif d‟étendre le concept un cran plus loin. Dans ces systèmes de
nouvelle génération, les fichiers à télécharger sont virtuellement découpés en morceaux qui
sont téléchargeables de sources différentes. Ainsi quand un téléchargement débute, les
Page 70
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
70
morceaux déjà téléchargés sont automatiquement mis à la disposition des autres téléchargeurs.
De cette façon, la qualité du service, c‟est à dire la vitesse de téléchargement, augmente avec
le nombre de téléchargement en cours et le nombre d‟utilisateurs. Ceci permet donc de faire
jouer l‟effet réseau sur un autre axe que le nombre de fichiers disponibles et renforce ainsi la
propension des utilisateurs à partager des fichiers car ils savent alors que la qualité de
téléchargement en sera d‟autant amélioré et cela pour tous les utilisateurs.
Evidemment, cette forme d‟usage, radicalement nouvelle, n‟est pas sans irriter une structure
économique vieillissante, qui n‟a absolument pas cru au début à cette nouvelle forme
d‟utilisation et qui craint de subir une désintermédiation subite. Ceci montre en tous cas une
dissociation entre l‟acte musical et le support de cet acte, le Compact Disc, qui semble amené
à être remis en cause dans les années à venir.
On peut d‟ailleurs voir dans la stratégie d‟Apple autour de l‟Ipod une tentative de
rematérialisation de la musique sous la forme d‟un baladeur. Ce modèle est de plus
profondément intéressant car il agit à l’inverse de celui de la téléphonie mobile. Alors que
les opérateurs subventionnent un produit support pour gagner de l‟argent sur un service,
Apple a créé un service musical quasiment à perte pour stimuler la vente de son baladeur à
forte marge où il espère gagner beaucoup d‟argent.
Les Blogs : manifestation personnelle en ligne
Le terme anglais Log est très familier à toute personne ayant travaillé dans l‟informatique. Il
représente en général un rapport des différents comportements et problèmes qu‟un système
informatique a pu rencontrer.
Le terme Blog est la contraction de Web et de Log. Il représente l‟évolution de la page
personnelle dans une forme qui en facilite l‟usage et qui permet à une personne n‟ayant
aucune connaissance de la programmation de publier sous formes de notes ou d‟articles,
n‟importe quelle information sur un espace Web qui lui est personnel.
Cette usage est relativement ancien (1996) mais il n‟a vraiment pris son envol que depuis un
ou deux ans avec l‟apparition d‟offres grand public performantes comme TypePad aux Etats-
Unis ou U-Blog en France.
Page 71
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
71
Le Blog exhibe un certain nombre d‟attributs tout à faits novateurs et représente une nouvelle
façon d‟utiliser l‟Internet :
Il répond bien au désir d‟individuation que nous avons analysé dans la téléphonie
mobile. Les Blogs sont en général personnels et les auteurs utilisent la première
personne du singulier.
Il mélange souvent des éléments strictement personnels (éléments de vie privée,
relation dans le travail) et des commentaires sur l‟actualité ou les passions des
auteurs.
Il utilise énormément les atouts des pages Web, dont la possibilité de mêler
facilement du texte avec des photos et surtout les liens hypertextes permettant de
parcourir plusieurs morceaux de documents de façon simultanée.
Il met souvent en relation avec des Blogs dit amis permettant de parcourir un
ensemble de communautés de Blogs de même sujet, fédérés par cette entrecroisement
de liens uni ou bi-directionnels.
Il offre en général pour chaque note un droit de réponse d‟usage simplifié qui permet
d‟instaurer un véritable dialogue entre l‟auteur et les lecteurs, brouillant la
traditionnelle fracture entre celui qui publie et celui qui lit. Ces réponses peuvent être
de tout ordre, polémiques, informatifs, correctifs.
Ainsi, les Blogs les plus populaires deviennent de véritables sources d‟informations
alternatives qui profitent du maillage des liens pour être mullti-diffusés et multi-référencés
sur la BlogoSphere.
Un jeune journaliste irakien est ainsi par exemple devenu célèbre en décrivant via son Blog au
jour le jour le déroulement de sa vie à Bagdad. Le « Blog à oreille » virtuel lui a attiré un
nombre croissant de lecteurs réguliers. Il a signé récemment avec une maison d‟édition pour
publier l‟ensemble de ses chroniques dans un livre.
Moyen de porter ces reflexions en ligne et support d‟individuation, le Blog est tout
naturellement intéressant pour régénérer les usages du mobile, notamment avec les capacités
du SMS et des appareils photos intégrés.
Certains précurseurs ont ainsi introduit des fonctionnalités de « moblogging » dans leurs
outils de blogs permettant aux utilisateurs de publier en temps réel sur leur blog les photos
Page 72
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
72
prises par SMS. Ceci est la preuve de l‟intérêt grandissant de ce type d‟usage et de
l‟opportunité du couplage avec le téléphone mobile.
Les wikis et le travail collaboratif : des nouveaux modes d’interactions en ligne
Le mot Wiki est la contraction de Wiki Wiki Web, un ensemble de technologies et
d‟infrastructures développée à la fin des années 90 par un ingénieur informaticien anglais.
Elles ont pour but de pemettre l‟interaction coordonnée d‟auteurs sur la publications de pages
Web collaboratives et partagées.
Tout utilisateur d‟un site Wiki est libre d‟apporter sa contribution à la rédaction de pages
communes en accomplissant une saisie de données dans un emplacement indiqué. Le Wiki
fournit donc un FrameWork à un ensemble de collaborateurs pour publier un travail commun
et qui permet très facilement de mutualiser les connaissances de chacun. Ses possibilités sont
tout à fait intéressantes dans le cas d‟un travail d‟entreprise ou d‟étudiant sur des projets. Elles
sont cependant démultipliées lorsque le nombre de contributeurs potentiels recouvrent
l‟ensemble des usagers de l‟Internet.
Cette démarche n‟est d‟ailleurs pas sans danger car, comme la publication se fait
généralement sans contrôle, il n‟est pas impossible que certains projets soit la cible
d‟éléments nuisibles ayant pour but de détruire la cohérence des œuvres réalisées. Cette
méthode nécessite donc généralement la présence de personnes responsables pour permettre le
retour en arrière (le « undo » de l‟informatique ) pour restaurer des pages qui aurait été
intentionnellement abîmées.
L‟un des plus gros projets actuels utilisant ces technologies est nommé WikiPedia. Ce site a
pour ambition de devenir une encyclopédie volumineuse en ligne et repose sur la
collaboration décentralisée de milliers de rédacteurs qui enrichissent par des articles les mots
ou noms propres pour lesquels ils possèdent une définition.
Ici aussi, l‟effet réseau peut jouer car plus le nombre de personnes qui participent est
important, plus la vitesse de rédaction est grande et plus la somme de connaissance disponible
est grande.
Là aussi cependant, le système est couplé à des capacités de réponses et on assiste parfois à
des débats enflammés sur telle ou telle définition ou monographie de personnages historiques.
Le système de Wikipédia rencontre ainsi aujourd‟hui un succès certain et démontre
l‟originalité d‟une démarche où les utilisateurs sont à la fois les personnes qui consultent à
Page 73
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
73
titre informatif les articles mais participent aussi à la rédaction. Nous avons ici un moyen tout
à fait puissant pour favoriser le partage de l‟information, partiellement détenue par un grand
nombre d‟individus qui peuvent alors la mettre en commun.
Parti d‟initiative de particulier, les Wikis, comme les Blogs représentent de nouveaux usages
qui commencent à trouver leur place dans l‟entreprise. Des entreprises comme Sun
Microsystems donne aujourd‟hui la possibilité à leurs employés d‟ouvrir des Blogs pour
publier de l‟information sur eux-même et sur leur travail. De plus en plus, les entreprises
utilisent aussi les Wikis comme moyen de mise en commun de documents et de publications,
notamment pour établir en temps réel, les minutes des réunions de travail des projets. Ces
nouveaux usages sont d‟autant plus intéressant en entreprise qu‟il demande un engagement
des salariés qui peuvent ainsi trouver un moyen d‟expression visible pour exposer tous leurs
problèmes éventuels.
Les Social Networks ou l’esprit des communautés
Un dernier usage novateur est présenté ici. Les Social Networks sont pour certains issues des
fameuses théorie des six degrés de séparation qui stipulent que nous sommes tous séparés les
uns des autres par au plus six niveaux. Ils ont commencé à prendre de l‟importance depuis un
ou deux ans et sont encore assez peu utilisés en France. Aux Etats-Unis, le plus connu,
Friendster, regroupe près de six millions d‟adhérents. Le but de ces sites est complètement
basé sur les effets de réseaux. Ils proposent à leurs utilisateurs une gestion plus ou moins fine
de leurs différentes relations, familiales, amoureuses, d‟amitiés ou professionnelles. Là
encore, la taille de plus en plus grande d‟Internet joue comme un effet de levier pour
démultiplier les capacités de recoupements des moteurs de recherches de ces outils.
En effet, la phase la plus importante de l‟outil est le moment de l‟inscription où l’utilisateur
déclare explicitement à la fois des éléments de sa vie personnelle, les goûts qu‟il a et qui
pourront servir au moteur de recherche pour le mettre en contact avec des gens au profil
similaire, et aussi les gens qu‟il connaît et qu‟il considère être ces amis. Dans LinkedIn, un
site américain orienté vers les professionnels, les utilisateurs peuvent déclarer qu‟ils sont
recommandés par tel ou tel autre utilisateur sans que ceux-ci soient d‟accord.
Page 74
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
74
Cette déclaration explicite n‟est donc pas sans poser quelques problèmes :
L‟utilisateur peut mentir sur ces goûts personnels afin de favoriser certaines
rencontres et engendrer des déceptions très grandes (c‟est souvent le cas de certains
réseaux sociaux amoureux )
L‟utilisateur peut se déclarer unilatéralement ami avec une personne, sans que celle-
ci ne puisse avoir son mot à dire. Cet élément est très régulièrement générateur de
conflits quand des utilisateurs sont sollicités par d‟autres participants sur
l‟information d‟une tierce personne qu‟ils ne connaissent parfois même pas.
Malgré ces contraintes, le succès de ces réseaux ne se dément pas et les « mauvais joueurs »
sont de plus en plus souvent sanctionnés. Ainsi, pour la recherche d‟un emploi, d‟une
compétence, d‟un amant ou d‟un passionné de Pink Floyd, les moteurs fournissent des
résultats réellement utiles. Dans ces systèmes, ce sont les êtres humains qui exposent leur
propres compétences et une partie d‟eux-mêmes dans l‟espoir de nouer des actes de
communication futurs.
Un problème reste cependant ici posé : la plupart du temps, les informations étant gérés par ls
sites, les conflits de respect de la vie privée sont difficiles à éviter. Le site a donc la nécessité
de nouer une relation de confiance avec ces utilisateurs, car de la qualité et de la quantité des
informations fournies par ceux-ci dépend la qualité du service rendue.
2. Présence et assistant virtuel : de la transformation de la
communication inter-personnelle
Après avoir tenté de fournir quelques pistes de nouveaux usages de communication qui se
développent sur Internet, nous cherchons ici à nous interroger sur la notion de communication
inter-personnelle en elle-même.
La possibilité de mêler l‟individuation avec les effets de réseaux inhérents au domaine des
NTIC façonne de nouveaux usages, différents de celui que nous connaissons avec la
téléphonie mobile. Ces usages permettent des interactions et des collaborations entre
individus qui sortent du motif classique.
Cependant, il est intéressant de se demander si les nouvelles technologies ne permettent pas
de remettre en cause cette activité si ancrée en nous qu‟elle en devient inconsciente. Nous
avons ébauché une réflexion sur ce sujet lorsque nous avions présenté les axes de rupture
Page 75
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
75
profonde dans le téléphone mobile. Il est temps de revenir sur ce que nous avions appelé « le
paradoxe de l‟ubiquité » c‟est à dire sur cette capacité nouvelle qu‟avait acquis la téléphonie
mobile, l‟ubiquité qui présentait comme corollaire néfaste de pouvoir venir s‟introduire dans
le contexte d‟un appelé dont l‟activité et la volonté à communiquer ne nous est pas connue à
l‟avance.
Or de nouvelles technologies envisagent aujourd‟hui de redéfinir la façon dont nous
communiquons. Là encore Internet n‟est pas étranger à cette maturation en cours. On peut
même se demander si nous ne sommes pas à l‟orée d‟une mutation majeure de la
communication inter-personnelle.
L’architecture SIP
Défini il y a trois ans par l‟organisme de standardisation de l‟Internet, l‟IETF, le protocole SIP
(Session Initiation Protocol) est enfin arrivé à maturité en 2003. Il représente la véritable
convergence entre le monde de l‟Internet informatique et les télécoms, permettant d‟envisager
le transport de la voix sur l‟Internet comme une donnée parmi d‟autres dans ce qu‟on appelle
aujourd‟hui la Voix sur IP (VoIP). Il est le digne héritier de toute la série des protocoles
Internet qui ont fait les succès de ce réseau :
Il emprunte à http son format de description, de niveau applicatif, en format texte, ce
qui le rend lisible aussi bien par des machines que par des êtres humains.
Il emprunte au protocole e-mail SMTP à la fois l‟architecture décentralisée en une
multitude de domaines d‟utilisateurs et le format de repérage des terminaux
communiquant sous la forme <sip : [email protected] > permettant d‟envisager sur le long
terme un futur sans numéro de téléphone.
Dans sa version complète, SIP fait donc passer la téléphonie au statut d’application, au-dessus
des protocoles de transport TCP/IP. Ainsi, une grande partie de l‟intelligence du service est
potentiellement déportée dans les terminaux utilisateurs. De plus, le développement
d‟application côté réseau met en œuvre des logiques logiciels découplés des autres nœuds du
réseau. Le monde des télécoms entre ainsi définitivement dans l‟arène de l‟informatique
généraliste. Dans quelques années, développer de nouveaux services autour de la téléphonie
sera devenue strictement identique que de le faire pour des applications Web.
Page 76
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
76
De cette évolution est attendue une capacité de décentraliser le développement de services et
donc d‟accélerer la mise en œuvre de nouveautés grâce au levier que représente l‟ensemble
des développeurs informatiques habitués à des langages de haut niveau comme Java ou XML.
Aujourd‟hui, cette transition est commencée dans la téléphonie fixe et bien avancée déjà dans
le domaine de l‟entreprise. Par exemple les antiques PABX, cœur des réseaux téléphoniques
des entreprises sont remplacés aujourd‟hui par des IPBX qui se présente sous la forme de
serveurs d‟applications où Alcatel est maintenant en compétition autant avec ses concurrents
traditionnels, Siemens, Ericsson ou Nokia qu‟avec les acteurs venus du monde IP comme
Cisco ou les acteurs informatiques logiciels tel Microsoft.
Derrière SIP, SIMPLE ou la « présence » à grande échelle
A côté du protocole SIP, plusieurs extensions ont été apportés pour permettre de supporter les
éléments de « présence ».
La présence est un concept qui est apparue avec l‟application d‟Instant Messaging (IM)
popularisée par AOL, Yahoo et MSN. L‟IM a connu un énorme succès chez les jeunes, de
manière parallèle au SMS avec un principe de base assez similaire où les utilisateurs
s‟envoient des messages texte dans une intimité renforcée par rapport aux communications
vocales.
Cependant, l‟IM a introduit parallèlement plusieurs innovations :
La notion de Buddy List ou listes d‟amis où l‟utilisateur gère l‟ensemble de ces
relations à la manière d‟un « phone book » ou d‟une contact list d‟e-mail
La notion de présence qui indique si ces amis sont actuellement en ligne en repérant si
l‟application est active.
Au fil du temps, la présence s‟est raffinée pour exhiber des attributs plus précis que le simple
On / Off en proposant à l‟utilisateur de se porter absent, occupé ou invisible…Jusqu‟ici,
plusieurs limitations retreignent le concept :
Il est impossible de customiser sa présence en fonction des personnes et donc de
distinguer des niveaux de proximité.
Page 77
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
77
La présence doit être en générale paramétrée de manière explicite par l‟utilisateur ce
qui nécessite sa participation au processus et peut limiter la qualité du concept
L‟utilisation de l‟ordinateur, en général fixe, ne permet pas de savoir réellement si le
correspondant que l‟on cherche à joindre est vraiment présent devant son ordinateur
ou pas. Ainsi, la majorité des sessions d‟IM dans le monde commence par un « are
you here ?».
Malgré ces limites, le concept est extrêmement séduisant car il donne à l‟utilisateur un moyen
de révéler au reste du monde une partie de son information personnelle sur sa volonté à
communiquer.
Appliquée à l‟univers du mobile, la présence donne potentiellement la possibilité d‟envisager
une solution au moins partielle au paradoxe de l‟ubiquité. Armé d‟un mobile « presence
aware » et de sa buddy list, application étendant son carnet de numéros, l‟appelant serait
potentiellement en mesure de savoir à l‟avance l‟état de la personne qu‟il veut appeler et donc
de prendre des décisions ex-ante pour adapter son comportement aux éléments que lui fournit
la « présence » de son correspondant.
Dans un tel scénario, on modifie complètement le schéma téléphonique classique et on
supprime virtuellement beaucoup « d‟appels dans le vide » qui déclenchent la frustration de la
boîte vocale.
Ce concept de présence, libéré de l‟application IM et standardisé par le protocole IETF
SIMPLE est ainsi extensible à l‟infini pour révéler des informations de statut et de contexte.
Comme nous l‟avons déjà dit, il sera nécessaire de pouvoir automatiser au maximum la mise à
jour de la présence afin d‟améliorer la qualité de l‟information sans demander beaucoup
d‟effort aux gens concernés.
Une application proposée dans ce sens recommandait d‟équiper les salles de réunions de
détecteur de présence, qui permettrait aux combinés mobiles de mettre à jour l‟information
« est en réunion » sur l‟information consultable par le reste des collègues et de couper
automatiquement la sonnerie du téléphone.
Enfin, le concept de Buddy List, présentant sur une interface l‟ensemble des individus avec
lesquels nous communiquons, propose une « métaphore » tout à fait intéressante d‟interaction
et paraît propice à une extension à des « êtres non humains » comme les voitures ou les
maisons plein d‟espoir. On peut ainsi imaginer que la maison ou la voiture deviennent des
Page 78
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
78
Buddies comme les autres et mettent à jour en temps réel de l‟information les concernant en
ligne, par exemple si la voiture passe de l‟état stationné à l‟état volé !
C. Alcatel vis-à-vis de l’extérieur : les standards
1. Nécessité des standards
Comme nous avons pu le voir précédemment, dans l‟écosystème télécom, un produit ne sera
accepté que s‟il suit les standards. Ceci permet en effet d‟assurer au client :
- l‟interopérabilité externe – un opérateur muni d‟un équipement Alcatel veut que son
système soit à même de dialoguer avec un opérateur muni d‟un équipement Nortel,
- l‟interopérabilité interne – un opérateur veut pouvoir s‟équiper de matériel Lucent et de
matériel Alcatel…
Le cœur de réseau est divisé en un tel nombre d‟équipement, que les opérateurs veulent
pouvoir demander une interopérabilité à de très nombreux niveaux. Une partie de l‟équipe
dans laquelle nous travaillions avait ainsi pour mission de réaliser des campagnes
d‟interopérabilité dont le but est de fournir aux opérateurs la preuve que un équipement A de
chez X et un équipement B de chez Y fonctionneront bien ensemble. Le pouvoir de
négociation des opérateurs est tel devant les constructeurs que ces derniers n‟ont d‟autres
choix que de bien interopérer à tous les niveaux. Ce type de standardisation présent dans les
télécom depuis très longtemps commence à apparaître dans d‟autres domaines. On voit ainsi
dans le secteur automobile, des interopérabilités de chocs entre différents types de véhicules.
On parlera alors de véhicule compatibles…
Mais l‟opérateur n‟est pas le seul à demander des interopérabilités. Les constructeurs doivent
aussi en mettre en place pour les équipements fournis aux entreprises. Les PABX (sortes de
centraux d‟appels pour les entreprises) doivent ainsi eux aussi interopérer entre eux. Un
téléphone d‟une marque donnée doit d‟autre part pouvoir fonctionner avec un PABX d‟une
autre marque. Tout le domaine des télécoms est ainsi sujet à des interopérabilités. Deux
causes à cela :
Page 79
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
79
- il y a co-production du service fourni ; un opérateur de télécommunication ne fournit pas
un service tout seul : dans la plupart des cas, un autre opérateur lui permet de fournir à son
abonné le service « appeler tel correspondant ».
- le produit support du service n‟est pas maîtrisé : de nombreux produits supports doivent
ainsi interagir avec l‟équipement de l‟opérateur qui demande donc à son constructeur
d‟« être capable de fournir le service quel que soit le produit support utilisé ».
Ainsi, les standards relèvent d‟une véritable nécessité.
2. Les standards : d’une contrainte à un moyen d’innover
La partie précédente nous a montré la contrainte nécessaire que sont les standards : nécessaire
pour inter-fonctionner mais contraignant vu le travail dépensé pour réussir à mettre d‟accord
une multiplicité de constructeurs et à tester que les machines inter-fonctionnent bien. Derrière
ces coûts d‟appartenance à ces standards,
Comme nous avons pu le voir depuis le début, l‟écosystème d‟Alcatel est entrain d‟être
modifié très fortement. D‟un partenariat avec des constructeurs automobiles à une
concurrence avec les constructeurs informatiques, la modification des domaines d‟activité est
telle que maintenir une veille sur tous ces marchés va devenir une exigence afin de rester
maître des technologies à venir.
Comme nous l‟avons vu précédemment, l‟innovation doit souvent passer par des standards
pour s‟imposer ; être présent dans un standard signifie donc être dans les premiers à réfléchir
sur une proposition d‟innovation faite par un concurrent ou assurer une large audience à une
proposition d‟innovation. Cela procure ainsi un gain non négligeable en terme d‟apprentissage
de nouvelles technologies et de temps pour les mettre en œuvre. Etre dans les standards qui
innovent véritablement est donc maintenant une vraie nécessité. Le choix des standards fait
donc partir des choix stratégique à effectuer par l‟entreprise ; comme les entreprises, les
organismes de standardisation se font concurrence. Il est alors important de se demander quels
standards sont véritables forces de propositions.
Si on s‟intéresse aux services évoqués dans la partie précédente, on voit que les standards en
jeu sont plus des standards du monde Internet que du monde des télécoms. Peut-être qu‟il
serait donc intéressant qu‟Alcatel participe à des organismes de standardisation du web :
IETF, W3C… Etre présent dans ces groupes permet bien sûr de participer à l‟actualité
technologique mais aussi d‟identifier les groupes de travail pertinents et les alliances qui
Page 80
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
80
permettront à l‟entreprise de bien se positionner sur le marché. A l‟heure où 55% de
l'innovation des grandes entreprises américaines provient de sociétés extérieures, il paraît
ainsi pertinent de considérer comme stratégique l‟identification d‟acteurs ayant des
compétences particulières, activité facilitée par la participation à des standards…
Page 81
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
81
CONCLUSION
Pour pouvoir s‟imposer dans les marchés du futur et être un acteur présent sur le front de
l‟innovation, nous avons essayé dans cette étude de fournir différentes pistes d‟exploration sur
des sujets extrêmement prometteurs.
De notre problématique initiale sur l‟UMTS, nous avons vite élargi notre champs d‟action
pour pouvoir observer le système plus vaste dans lequel se situait l‟entreprise. Il est vraiment
à la croisée des chemins de convergence entre l‟informatique et les télécoms qui se
concrétisent, au moins techniquement, avec l‟absorption progressive de la téléphonie au sein
des technologies Internet.
Le monde des réseaux de demain sera celui de l‟Internet Protocol, technologie conçue pour
s‟abstraire du mode de transport sous-jacent et pour offrir un maximum d‟intelligence aux
extrémités. Dans ce contexte, l‟UMTS apparaît ainsi comme une technologie d’accès de plus
parmi le foisonnement actuel autant en filaire (ASDL,VDSL, Giga Ethernet…) que dans le
sans-fil (UMTS, CDMA2000, 802.11b/g/a/n, Wimax, 802.20), toute cette complexité étant
masquée par l‟unification au niveau réseau de l‟IP.
Ainsi, si nous n‟avons pas beaucoup parlé de l‟UMTS tout au long de ce rapport, c‟est tout
simplement parce qu‟il s‟inscrit au niveau technologique des couches basses. Or les services
aux utilisateurs reposent sur les applications se situant au dessus de ces protocoles. Elles sont
donc ainsi fortement indépendantes du réseau sous-jacent. Notre champs de vision des usages
a donc préféré éviter de se restreindre à cette élément singulier.
Dans cette optique, la différence entre réseau privée et réseau d‟opérateurs, notamment dans
les équipements qui sont ou peuvent être livrés, se rétrécit de jour en jour.
La position stratégique d‟Alcatel nous paraît ainsi difficilement tenable sur le long terme dans
ce découpage entre entreprise et opérateurs car la position derrière ceux-ci empêche
l‟entreprise d‟innover rapidement, à la fois car elle doit souvent prouver deux fois la qualité
de ces produits (à l‟opérateur et au client final) et que les opérateurs imposent un niveau
d‟interopérabilité tel que le recours au standard est systématique et empêche les entreprises les
Page 82
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
82
plus innovantes de se détacher de ces concurrents, ou au moins, pour exploiter les rentes
d‟innovations des pionniers.
Or, comme nous l‟avons dit, dans le monde IP, les services et applications sont fortement
indépendantes du réseau et ainsi ne nécessiterait pas le recours aux opérateurs. Il reste que la
structure du chiffre d‟affaires actuelle de l‟entreprise lui interdit de se mettre trop en
concurrence avec les opérateurs sur le terrain des applications et des services, ses revenus
dépendants trop fortement des ventes de réseaux aux opérateurs. De plus, Alcatel n‟a jamais
été réputé pour vendre des services et des produits aux clients finaux et ne peut pas rivaliser
sérieusement avec la force commerciale et marketing des opérateurs.
Aujourd‟hui, cette ambiguïté de positionnement, bien que limité jusqu‟ici, se traduit par des
incohérences manifestes qui risque géner la croissance de la firme sur des segments porteurs.
La VoIP représente un exemple tout à fait saisissant. En effet, sur ce marché, Alcatel
s‟intéresse aussi bien aux opérateurs qu‟aux entreprises. Or, les discours tenus sont
radicalement opposés : alors que l‟on promet des revenus supplémentaires aux opérateurs, on
tente de séduire les entreprises par un discours foncièrement orienté sur la réduction des coûts
drastiques que les entreprises payent…aux opérateurs !! On voit mal comment maintenir sur
le long terme une position aussi équivoque.
De la même façon, la convergence vers l‟IP entraînera rapidement la convergence des offres
fixes-mobiles pour former des acteurs globaux capables de fournir une connectivité IP
indépendante des réseaux d‟accès. Or, les technologies d‟accès du fixe et du mobile sont
encore fortement différentes : chaque équipe imagine donc construire la future convergence à
partir de ces propres technologies. Là encore, nous assistons à des guerres de clans dans
l‟entreprise entre partisans du fixe et du mobile. Ce combat est à mettre en perspective avec
des données politiques car l‟abandon progressif des technologies du téléphone fixe entraîne
un quasi chômage technique pour beaucoup de salariés qu‟il faudra occuper d‟une façon ou
d‟une autre.
Ces deux exemples montrent l‟extrême fragilité du découpage actuel de l‟entreprise ou des
tensions se font jour, autant entre divisions opérateurs et entreprises qu‟entre opérateurs fixes
et mobiles.
Page 83
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
83
Pour surmonter ces difficultés, l‟approche par les services et les usages du futur que nous
avons exploré durant notre mission doit prévaloir. Elle doit surtout selon nous s‟appuyer sur
trois arguments :
Résoudre le problème du trade off entreprise / opérateur : pour cela, nous avons été les
promoteurs du modèle d‟Application Service Provider pour développer le marché dit
des Managed Services. Dans cette optique, Alcatel se pose en facilitateur technique et
intégrateur de bout en bout des solutions techniques et va même jusqu‟à héberger sur
ce plate-formes techniques les applications de services. Dans ce modèle, l‟opérateur
non expert technique n‟a plus qu‟à s‟occuper de la partie commerciale du service
proposé et s‟appuie sur Alcatel pour la technique. Ce modèle tient comte du fait que le
monde IP est un réseau complètement horizontal et donc ne repère pas de différences
entre une machine locale et un élément placé chez un partenaire. Sur le marché des
entreprises, en positionnant les opérateurs comme Front-office des offres de Managed
Service, Alcatel s‟offre des partenaires commerciaux de choix. Ce modèle prometteur
a été par exemple déployé pour le réseau Wifi de Bouygues où Alcatel a battu IBM et
Cisco.
Mettre en place des structures actives mêlant veille technologique et capacité
d‟intégration au sein des R&D afin de raccourcir le temps de mise sur le marché de
nouvelles offres de services. Ces équipes nous sont apparues essentielles pour pouvoir
combler le trou qui peut parfois exister entre le très amont des départements R&I et le
développement R&D, qui ne se soucie pas de questionner tel ou tel choix de
fonctionnalités une fois le process engagé. C‟est dans ce type d‟environnement
émergent que nous avons évolué. Cette structure aura néanmoins besoin de l‟appui des
responsables plus haut placés car, comme nous l‟avons expérimenté, il n‟est pas
toujours évident de bénéficier de la légitimité nécessaire pour bousculer les habitudes
de groupes qui n‟appartiennent pas à la même division.
Développer une action beaucoup plus forte dans les standards, en privilégiant le
monde Internet au télécoms. Dans l‟avenir, il nous semble donc beaucoup plus
instructif d‟agir à l‟IETF , à l‟IEEE ou au W3C plutôt qu‟à l‟ITU ou l‟ETSI.
Il nous paraît enfin essentielle de mener une réflexion de fond sur le mode des compétences
fondamentales que maîtrisent l‟entreprise afin de se positionner efficacement par rapport aux
géants de l‟informatique comme IBM, Microsoft ou Cisco. Réfléchir sous cet angle nous a
Page 84
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
84
permis d‟identifier une compétence « savoir fabriquer des machines respectant la règle des
cinq neuf » qui est typiquement aujourd‟hui utilisé seulement auprès des opérateurs, ceux-ci
ayant été les clients nécessitant cette prouesse technique. Voir IBM promouvoir l‟autonomic
computing, concept ressemblant terriblement à notre compétence fondamentale, ne peut que
nous encourager à la développer sur d‟autres cibles, en privilégiant une logique inside-
outside, pour séduire des clients susceptibles de rechercher des équipements puissants et
robustes.
Page 85
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
85
BIBLIOGRAPHIE
Barnett, J. & Ahonen, T. (2002), « Services for Umts: Creating Killer Applications in 3G »,
John Wiley & Sons
Burgelman, Robert (2001), « Strategy is destiny : the strategic decision that shaped Intel
Corporation », Free Press
Chapel, V. (1997), « La croissance par l'innovation intensive », Thèse de doctorat de l’Ecole
des Mines.
Christensen, Clayton (2003), « The Innovator's Dilemma » , Harper Business Essentials
Garel, Gilles (2003), « Le Management de projet », Repères La Découverte
Gawer A. & Cusumano, M. (2002), « Platform Leadership », Harvard Business School
Press
Grove, Andy (1999), « Only the paranoïd survive », DoubleDay
Hamel, G., Prahalad, C. K (1993), « Competing for the future », HBS Press
Hamel G (2000), « Leading the revolution » , HBS Press
Hatchuel A. & Weil B. (2002), « La théorie C-K : fondements et usages d‟une théorie
unifiée de la conception », Communications au colloque « Sciences de la conception », Lyon
15-16 Mars
Herz, J. C. (2001), « The Allure of Chaos », The Industry Standard
Idate (2004), « Services de messageries instantanée : analyse et enjeux », études de l’ART
Page 86
Master Projet Innovation Conception – Julien Boyreau – Hervé Guiot du Doignon
86
Le Masson P. (2001), « De la R&D à la RID, modélisations des fonctions de conceptions et
nouvelles organisations de la R&D », Thèse de doctorat de l’Ecole des Mines
Maesano, L. (2003), « Services Web avec J2EE et .NET : Conception et implémentations »,
Dunod
Malhotra, Y. (2003), « Is knowledge the ultimate competitive advantage ? », BMA Interview
Mathieu P. , Routier J. C. (2002), « Ubiquitous computing : vanishing the notion of
application », Université des Sciences et Technologies de Lille, FRANCE
Midler, Christophe et Lenfle, Sylvain (2003), « Innovation in automotive telematic
services : characteristic of the field and management principles », Automotive Technology and
Management
Moyckr, J. (2000), « Natural History and Economic History: Is Technological Change an
Evolutionary Process?, Departments of Economics and History Northwestern University
papers.
Pujolle, G. (2003), « Les Réseaux », Eyrolles
Simon H. (1991), « Sciences des systèmes, sciences de l'artificiel », Dunod
Wakefield, J. (2001), « Complexity‟s Business Model », Scientific American