1 HLP – Les représentations du monde - Décrire, figurer, imaginer : Les mises en perspectives des (nouveaux) mondes (2) MHV Utopie et architecture Quelques jalons 1 L’utopie veut dire non-lieu et envisage un espace sociétal idéal. L’architecture veut dire art de construire et transforme l’espace sociétal. L’utopie et l’architecture occupent des positions symétriques. Pour l’utopiste, l’architecture a une fonction de représentation du projet : l’architecture re-présente, rend présent, visible, valide le projet de société : dans le texte de genre utopique figurent souvent dessins, plans, schémas. Pour l’architecte, le programme utopique légitime la transformation de l’architecture : il a une fonction fondatrice. Mais il existe une perversion du raisonnement utopique par l’architecte qui est de considérer que l’ architecture seule peut changer la société. L’UTOPIE MATÉRIALISÉE OU « CORPORISÉE » PAR L’ARCHITECTURE. L’utopie classique décrit essentiellement une cité installée dans un espace urbain, qui saura garantir hygiène, confort, esthétique, bien-être collectif et individuel : on pense (ou repense) la civitas, communauté juridico-politique de citoyens dans l’urbs qui est l’espace matériel, concret de la cité, la ville de pierre. La période du Quattrocento en Italie (le XVe siècle - période de transition entre la fin du Moyen-âge et le début de l’âge moderne de la Renaissance) est marquée par l’émergence d’une « pensée urbaine », c’est-à-dire une réflexion « de » et « sur » la ville : une pensée sur le phénomène urbain et la cité comme espace de vie spécifique. L’architecte du Quattrocento accompagne la figure du Prince, décrite dans la 2 nde moitié du XVI e siècle par Machiavel. Les traités d’architecture, comme celui de Leon Battista Alberti (en 1452) ou comme celui du Filarète (vers 1465), proposent une réflexion sur l’organisation de l’espace urbain considéré comme le lieu d’exercice du pou rvoir du Prince. L’urbanisme se lit comme une pensée politique. Le Trattato di architettura du Filarète est d’abord un épais volume de descriptions, augmentées de plans, pour envisager la cité idéale de Sforzinda, nom inspiré de celui du duc de Milan, Francesco Sforza, pour qui ce traité est écrit. Un demi-siècle avant Thomas More, il diffuse nombre de thèses dans l’esprit humaniste qui seront portées par le texte utopique. Ce traité constitue un cas remarquable d’anticipation architecturale sur le monde intellectuel, à un moment, certes, où l’architecte incarne la figure de l’humaniste dans la cité. Sforzinda est une cité qui accomplirait la volonté du prince et représenterait son pouvoir par le tracé géométrique et rationnel des différentes fonctions urbaines et par la conception d’espaces où s’applique le pouvoir du Prince (comme la prison). « Il appartient d’abord à l’architecte d’engendrer le bâtiment de conserve avec celui qui veut bâtir ; pour ma part, j’ai déjà engendré cette ville avec mon seigneur, de conserve avec lui je l’ai examinée maintes et maintes fois, elle a été pensée par moi et décidée avec lui. Puis j’en ai accouché, c’est-à-dire que je l’ai dessinée en plan en suivant ses fondations. » 1 Cette présentation a été établie à partir notamment du Dictionnaire des Utopies, de Michèle Riot-Sarcey, Thomas Bouchet et Antoine Picon, Larousse, 2002.
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HLP – Les représentations du monde - Décrire, figurer, imaginer : Les mises en perspectives des (nouveaux) mondes (2) MHV
Utopie et architecture
Quelques jalons1
L’utopie veut dire non-lieu et envisage un espace sociétal idéal. L’architecture veut
dire art de construire et transforme l’espace sociétal.
L’utopie et l’architecture occupent des positions symétriques. Pour l’utopiste,
l’architecture a une fonction de représentation du projet : l’architecture re-présente, rend
présent, visible, valide le projet de société : dans le texte de genre utopique figurent
souvent dessins, plans, schémas. Pour l’architecte, le programme utopique légitime la
transformation de l’architecture : il a une fonction fondatrice. Mais il existe une perversion
du raisonnement utopique par l’architecte qui est de considérer que l’architecture seule
peut changer la société.
L’UTOPIE MATÉRIALISÉE OU « CORPORISÉE » PAR L’ARCHITECTURE. L’utopie
classique décrit essentiellement une cité installée dans un espace urbain, qui saura
garantir hygiène, confort, esthétique, bien-être collectif et individuel : on pense (ou
repense) la civitas, communauté juridico-politique de citoyens dans l’urbs qui est l’espace
matériel, concret de la cité, la ville de pierre. La période du Quattrocento en Italie (le XVe
siècle - période de transition entre la fin du Moyen-âge et le début de l’âge moderne de la
Renaissance) est marquée par l’émergence d’une « pensée urbaine », c’est-à-dire une
réflexion « de » et « sur » la ville : une pensée sur le phénomène urbain et la cité comme
espace de vie spécifique.
L’architecte du Quattrocento accompagne la figure du Prince, décrite dans la 2nde
moitié du XVIe siècle par Machiavel. Les traités d’architecture, comme celui de Leon
Battista Alberti (en 1452) ou comme celui du Filarète (vers 1465), proposent une réflexion
sur l’organisation de l’espace urbain considéré comme le lieu d’exercice du pourvoir du
Prince. L’urbanisme se lit comme une pensée politique.
Le Trattato di architettura du Filarète est d’abord un épais volume de descriptions,
augmentées de plans, pour envisager la cité idéale de Sforzinda, nom inspiré de celui du
duc de Milan, Francesco Sforza, pour qui ce traité est écrit. Un demi-siècle avant Thomas
More, il diffuse nombre de thèses dans l’esprit humaniste qui seront portées par le texte
utopique. Ce traité constitue un cas remarquable d’anticipation architecturale sur le monde
intellectuel, à un moment, certes, où l’architecte incarne la figure de l’humaniste dans la
cité. Sforzinda est une cité qui accomplirait la volonté du prince et représenterait son
pouvoir par le tracé géométrique et rationnel des différentes fonctions urbaines et par la
conception d’espaces où s’applique le pouvoir du Prince (comme la prison). « Il appartient
d’abord à l’architecte d’engendrer le bâtiment de conserve avec celui qui veut bâtir ; pour
ma part, j’ai déjà engendré cette ville avec mon seigneur, de conserve avec lui je l’ai
examinée maintes et maintes fois, elle a été pensée par moi et décidée avec lui. Puis j’en
ai accouché, c’est-à-dire que je l’ai dessinée en plan en suivant ses fondations. »
1 Cette présentation a été établie à partir notamment du Dictionnaire des Utopies, de Michèle Riot-Sarcey, Thomas
Bouchet et Antoine Picon, Larousse, 2002.
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Le plan de la ville en forme d’étoile est conçu en opposition à l’organisation de la
cité médiévale. Huit tours forment des bastions aux pointes de l’étoile et huit portes
s’ouvrent sur des avenues rayonnant à partir du centre. Chacune d’elle dessert une place
publique où se tient un marché spécialisé dans certaines denrées. Au centre de Sforzinda
se trouve la piazza, avec au fond la cathédrale et son campanile. La Sforzinda est autant
la représentation d’une cité idéale qu’une idéalisation de la ville de Milan.
Le développement des outils de représentation au début du Quattrocento, avec la
mise au point du dispositif perspectif, fait apparaître des images de « cités idéales »,
comme celle peinte entre 1475 et 1480, d’abord attribuée à Piero Della Francesca, puis à
Luciano Laurano ou Francesco di Giorgio ou Melozzo de Forlie.
Charles Fourier (1772-1837) va livrer en 1822 aux utopistes et architectes (à venir)
la description de son phalanstère, hôtel coopératif aux allures de palais de Versailles
propre à accueillir une phalange, soit une « association » harmonieuse d’environ 2000
sociétaires (sélectionnés en fonction de leurs affinités ou « passions »). L’édifice est situé
sur un terrain d’environ quatre kilomètres carrés, où les sociétaires sont appelés à cultiver
fruits et fleurs essentiellement. Victor Considérant, un des premiers disciples de Fourier,
en passe par le croquis, le plan et finalement le dessin en perspective pour donner au plus
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grand nombre la compréhension de ce que Fourier appelle Le Nouveau Monde industriel
et sociétaire (1829).
C’est à Jean-Baptiste André Godin qu’il revient de réaliser en France un modèle
dérivé du Phalanstère, le Familistère, construit à Guise (département de l’Aisne) à partir
de 1860. C’est un « Palais social » édifié pour les ouvriers et leur famille. En 1874, dans
La richesse au service du peuple. Le familistère de Guise, Godin écrit : « Ne pouvant faire
un palais de la chaumière ou du galetas de chaque famille ouvrière, nous avons voulu
mettre la demeure de l'ouvrier dans un Palais : le Familistère, en effet, n'est pas autre
chose, c'est le palais du travail, c'est le PALAIS SOCIAL de l'avenir ».
Cour intérieure du Palais social
Le Familistère comprend plusieurs ensembles de bâtiments2 :
• le « Palais social », formé d'un pavillon central encadré par deux ailes de taille un peu
plus modeste, destiné à l'habitation, le pavillon Landrecies et le pavillon Cambrai, situé
à l'écart du Palais social en face de son aile droite, lui aussi destiné à l'habitation. C'est
le bâtiment le plus tardif, construit en 1883-1884
• la nourricerie et le pouponnat, à l'arrière du pavillon central du Palais social (détruit