1.
Alexius refermasonordinateurportableetpoussaun longsoupir.L’hôtessevenaitde leprévenirque son jet privé était sur le point de se poser à Athènes. Il était parti de Londres quelques heuresauparavant,toutdesuiteaprèslafindesaconversationtéléphoniqueavecSocratesSeferides.
—J’aiungrandserviceàtedemander,luiavaitannoncésonparrain.Il était resté très mystérieux sur la nature du service, précisant seulement qu’il s’agissait d’une
affaireconfidentielledontilnepouvaitparlerquedevivevoix.Alexiusavaitalorslâchésesdossiersencours,demandéàsasecrétaired’annulersesrendez-vousetsautédanssonjet.Socrates,bientôtsoixante-quinzeansdésormais,étaitquelqu’undespécialpour lui. Ilavaitété leseulà lui rendrevisitequand,pendantsesannéesd’enfanceetd’adolescence,AlexiusavaitétéenvoyéenpensionparsesparentsdansuneécoleprivéeenAngleterre.
Sonparrainavaitfaitfortuneenpartantderien,créantunechaîned’hôtelsinternationaleflorissante.Hélas,savieprivéeluiavaitposédavantagedeproblèmes:sonépouseadoréeétaitmorteencouches,lelaissantavectroisenfantsqui,devenusadultes,neluiavaientcauséquegravesdéboiresetdésillusions.Gâtés,paresseux,dépourvusdeconsciencemorale,ilsavaienttoujoursétésourcesdetracas,d’angoisseet,endemultiplesoccasions,dehontepourl’hommehonorableetfoncièrementbonqu’étaitleurpère.
Ainsi, aux yeux d’Alexius, Socrates était-il l’exemple à ne pas suivre. Ne fallait-il pas êtreinconscientpouravoirdesenfantsquand,entouteobjectivité,ceux-cin’apportaientquedesennuis?Ilnecomprenaitpascertainsdesesamisquitenaientenversetcontretoutàavoirdesrejetons,alorsquelavieétaitsitranquillequandonn’enavaitpas.Lui,entoutcas,neselaisseraitjamaisprendreaupiègedelapaternité!
***
Socrates l’accueillit sur la terrasse de sa magnifique villa située dans une banlieue huppéed’Athènes;ilfitaussitôtapporterdesrafraîchissements.Alexiuspritplacedansunfauteuildetoile.
—Alors,qu’est-cequivoustracasse?—Tun’aspaschangé,souritsonparrain,tuestoujoursaussiimpatient,tuvasdroitaubut.Danslesprunellesnoiresduvieilhommescintillaitunelueurdemalicelorsqu’ilajouta:—Sers-toiàboire,puistuconsulterasledossierdevanttoi.Ignorant le plateau de boissons fraîches, Alexius s’empara d’un geste prompt de la chemise
cartonnéeposéesur la table.Il l’ouvritet tombasur laphotoenbusted’unejeunefilleblondeàpeinesortiedel’adolescence.
—Quiest-ce?
—Lisdonc!luiintimaSocrates.Sansdissimulersonimpatience,Alexiusparcourutlesquelquesfeuilletsquecontenaitledossier.La
personnesurlaphotos’appelaitRosieGray;cenomluiétaitinconnuetplusillisaitlesinformationslaconcernant,moinsilcomprenaitlerapportentrecettejeunefilleetsonparrain
Lavoixdecelui-ciletiradesessupputations:— Curieux qu’elle s’appelle Rosie, non ?… Ma pauvre femme, qui était anglaise elle aussi,
s’appelaitRose.Alexius ne répondit pas, intégrant ce dont il venait de prendre connaissance : Rosie Gray était
anglaiseetavaitgrandiauseindedifférentesfamillesd’accueilàLondres,oùelletravaillaitmaintenantcomme femme deménage dans une petite entreprise de nettoyage de bureaux. Une vie bienmodeste,sommetoute;alorspourquoidiableSocratess’intéressait-ilàelle?
—C’estmapetite-fille,révélaalorscelui-ci,commes’ilavaitlusespensées.Ilportasurlevieilhommeunregardincrédule.—Ahbon?Etelleessaiedevousfairechanter?— Décidément, tu es l’homme qu’il me faut ! s’exclama Socrates avec satisfaction. Non, elle
n’exerceaucunepressionsurmoi;àmaconnaissance,elleignorejusqu’àmonexistence.C’estmoiquim’intéresseàelle.Voilàpourquoijet’aidemandédeveniràAthènes.
Alexiusposaunnouveauregardsurleclichédevantlui.Unefillequelconque,commeilenexistaitdes milliers à Londres : cheveux blond pâle, grands yeux assez inexpressifs, rien de remarquable àpremièrevue.
—Qu’estcequivousfaitpenserqu’elleestvotrepetite-fille?—Je le sais. Je connais son existencedepuis plusdequinze ans, et elle a été soumise àun test
ADN.Socrateseutunsoupirlasavantd’expliquer:—ElleestlafilledeTroy,quil’aconçuequandjel’avaisenvoyétravaillerpourmoiàLondres.Il
n’apasfaitgrand-chosed’autrequecettepetite,là-bas.Aprèsunpetitriresansjoie,levieilhommereprit:—Iln’apasépousélamère,biensûr;ill’avaitmêmelaisséetomberavecl’enfant.Alamortde
Troy,lamèrem’acontactépoursolliciteruneaidefinancière.J’aiévidemmentfaitcequ’ilfallait,etdefaçon assez substantielle,mais, pour une raison que j’ignore, Rosie n’en a jamais bénéficié. Samères’étaitmêmedébarrasséed’elle,lalaissantauxsoinsdedifférentesfamillesd’accueil.
—Tristehistoire,déploraAlexius.—Lamentable,oui!L’enfantagrandidanslespiresconditions,etj’enéprouveungrandsentiment
deculpabilité.Socratespoussaunnouveausoupir,avantd’admettre,commes’ilseparlaitàlui-même:—Elleestdemafamille,demonsang.Ellepourraithériterdemoi…CettedernièrephrasealarmaAlexius.—Voyons,vousnelaconnaissezpas!Etvousavezd’autreshéritiers,Socrates.Ilnefautpasvous
emballer!—Oh!tusais,mesenfants…Sonparrainavaitprisuntonsidésabuséqu’ileneutlecœurserré.—Mafillen’apasd’enfant,poursuivit-il,etn’aqu’unintérêtdanslavie:dépenserdel’argent.Au
pointqu’elleadéjàruinétroismaris.Quantàmonseulfilssurvivant,ilsedroguelamoitiédutempsetpassel’autremoitiéencurededésintoxication,toutesplusinutileslesunesquelesautres.
—Vousavezaussideuxpetits-fils.— Deux mauvaises graines, comme leur père, soupira Socrates. Ils sont en ce moment mis en
examen pour présomption de fraude dans un de mes hôtels, où je les avais envoyés travailler. Jolie
famille,n’est-cepas?Mais,rassure-toi,jen’aipasl’intentiondelesdéshéritertotalement.Néanmoins,sicettepetite-fillequivitàLondresestquelqu’undeconvenable,jeveuxlacoucherelleaussisurmontestament.
Alexiusfronçalessourcils.—Qu’entendez-vouspar«convenable»?—Je veuxdire que si c’est une jeune fille simple, qui a bon cœur, de lamoralité et le sens du
travail,jel’accueilleraivolontiersici,auprèsdemoi.Orj’aiconfianceentonjugement,Alexius.Tuesintelligentetclairvoyant.Jevoudraisquetutefassesuneopinionsurelle,etquetumelacommuniques.
—Moi ? Ce ne sont pas mes affaires, voyons ! Rentrez à Londres avec moi, et allez faire saconnaissance,Socrates!Vousjugerezcettefilleparvous-même.
—J’yaipensé,maisceseraitunemauvaiseidée.CettepetiteRosieGraycomprendraitviteoùestsonintérêtet,pourm’impressionner,ellen’auraitaucunmalàmejouerlacomédiel’espacedequelquesjours.
Levieilhommesetutetbaissalesyeux.Alexius,quil’observaitavecattention,compritqu’uneviededéceptionsetdedésillusionsl’avaitrenduméfiant.
— Je me sens trop impliqué pour être sûr d’avoir un jugement objectif, reprit Socrates. J’aitellementenviequecettepetitesoitdifférentedemesautreshéritiers,quim’ontmentietabusésisouvent.Non, jeneveuxpasme trompersurelleetcourir le risqued’unenouvelledéconvenue.Et jen’aipasenvienonplusd’unparasitesupplémentaireaccrochéàmesbasques.
—Jenecomprendstoujourspastrèsbiencequevousattendezdemoi,répliquaAlexiusd’untonégal.
—C’estpourtantsimple:jeveuxquetumedonnestonopinionsurRosieavantquejedécidedelarencontreroupas.
—Jenepeuxpasmefaireuneopinionsurunefillecommeelle!C’estimpossible.Jen’aiaucuneraisonplausibledelarencontrer.Enrevanche,jepeuxengagerundétective,etnoussauronstoutsurelle.
—Ça,j’auraispulefairedepuischezmoi—etd’ailleurs,jel’aifait.C’estundétectiveprivéquim’atransmislemaigredossierquetuassouslesyeux.Maisàtoi,jepeuxdemanderdelarencontrer.Tuapprendrasàlaconnaître,tulajugeras,puistureviendrasmedonnertonverdict,quelqu’ilsoit.
Socratesportaitàprésentsurluiunregardpleind’espoir.—Situsavaiscommec’estimportantpourmoi,Alex!murmura-t-il.—Vousavezréfléchiàlasituation?rétorquaAlexiusdutacautac.Cettefilleest…euh…femme
deménage.Commentvoulez-vousquejefassesaconnaissance?Socratesserembrunit.—J’ignoraisquetuétaisdevenusnob.Alexius se raidit. Il n’y avait jamais pensé,mais, au vu dumilieu hyperprivilégié dans lequel il
évoluait,pouvait-ilenêtreautrement?Sanscompterqu’ilétaitissud’unetrèsvieillefamille,parmilesplustitréesdeGrèce.
—Jeveuxdire,reprit-ilsurunpetit tond’excuse,quecettefilleetmoin’avonsrienencommun.Comment organiser une rencontre sans qu’elle se doute de quelque chose ?Elle trouvera bizarremonintérêtpourelle.
—Contactel’entreprisedenettoyagepourlaquelleelletravaille,parexemple.Allons,Alex,situréfléchis,tutrouverasbienunmoyendefairesaconnaissancesanséveillersaméfiance.
SocratesSeferidessetutuninstant.Puisilplongealeregarddanslesien.— Je sais, c’est un grand service que je te demande, et tu es très occupé.Mais tu es la seule
personneenquij’aiconfiance.Dansmonentourageproche,nuln’estmieuxplacéquetoi.Tum’imaginesm’adresseràmonfils—quiestdoncl’oncledecettejeuneRosieGray—,ouàl’unmesvauriensdepetits-fils,sescousinsgermains?
—Ceseraituneerreur,eneffet,admitAlexius.Toustroissontvoshéritiersetn’ontaucuneenvied’envoirsurgirunedeplus.
— Tu as tout compris. Si d’aventure Rosie Gray s’avère quelqu’un demalhonnête, tant pis. Enrevanche,jeveuxsavoirsiellevautlapeinequejeprennelerisquedelaconnaître.
—Jevaisréfléchir,finitparconcéderAlexius.Ilétaitflattéettouchédelaconfiancedesonparrain,maislamissiondontcedernierlechargeaitne
luiplaisaitpas.Unsixièmesensluidisaitqu’ils’aventuraitenterrainminé.Etpuisiln’aimaitpasmentir.—Pourquoimoialorsquevousavezd’autresamis,tenta-t-ilencore,àboutd’arguments.—Jeneconnaispersonned’aussiperspicacequetoi,quandils’agitdesfemmes,avançaSocrates
avecleplusgrandsérieux.Tusauraslajugerpourcequ’elleest,sansqu’elleaitlamoindrechancedetejouerlacomédie.Maisfaisvite,jenerajeunispas…
—Vousavezdesproblèmesdesanté?demanda-t-il,alerté.—Rienquedetrèsnormalpourunhommedemonâge.Tun’aspasàt’inquiéter.Moncœurcontinue
àmejouerdestours,maisj’aiconfianceenmonmédecin.La réponsene le rassura pas complètement,mais l’expression ferméede sonparrain le dissuada
d’insister. Il était déjà surprenant queSocrates lui ait parlé avec autant de franchise, faisant fi de sonamour-propre en admettant devant lui, pour lapremière fois, combien ses trois enfants l’avaient déçu.Alexius comprenait que le vieil homme place des espoirs en cette Rosie Gray, mais devoir faire saconnaissanceparlebiaisd’unesupercherieluidéplaisaitsouverainement.
Aprèsquelquesinstantsderéflexion,ilsetournaverssonparrain.— Imaginons que cette jeune personne soit la petite-fille dont vous avez toujours rêvé : que se
passera-t-ilquandelledécouvriraquejesuisvotrefilleul?Ellesauraalorsquenousl’avonstrompée.—Etelleencomprendralaraisonquandelleconnaîtrasononcle,satanteetsescousins,rétorqua
Socrates.Jesaisquemonplann’estpasparfait,maisjen’enaipasd’autreàteproposer;etjerefusederencontrermapetite-fillesansunminimumdegaranties.
***
AlexiusdînaavecsonparrainavantderepartiràLondreslesoirmême,préoccupéparcequ’illuiavait demandé. Il n’avait pas l’habitude de traiter des problèmes familiaux ou personnels ; entrer encontactd’unemanièreoud’uneautreavecuneinconnue,petite-filledesonparrain,pourdécouvrirsielleétaitdigned’hériterdesongrand-pèreluiparaissaitabsurde.Enoutre,c’étaituneénormeresponsabilité.
Ilnevivaitquepoursesaffaires—quiavaientfaitdeluiunmilliardairebienconnudumondedelafinanceetdesmédias—et lesdéfisqu’ellesluiproposaient.Comprendreetagiravantsesrivaux, leséliminer sans pitié, voilà ce qui lui plaisait et lui donnait l’énergie d’aller de l’avant.Quant à sa vieprivée,ill’avaitorganiséeavecautantderigueurquesavieprofessionnelleetpublique.Lessentimentsn’yavaientpasleurplace.Iln’accordaitsaconfiancequ’àunnombreinfimedepersonneset,commeiln’avaitpresquepasdefamille,ils’étaitendurci.
Lapsychologiehumaineetleslienssociauxnel’intéressaientenrien.Sesrelationsaveclesfemmesétaient toujourssimples,sinonbasiques. Ilévitait systématiquement toutengagementetchoisissaitpourpartagersonlitdesfemmestrèsbelles,leplussouventintéressées,desortequ’ellesquiytrouvaientleurcompte. Son mètre quatre-vingt-douze, sa stature d’athlète, l’immense fortune qu’il avait amassée àseulement trente et un ans avaient fait de lui le chouchou desmédias.Aussi, n’importe quelle femmerêvait-elle d’être vue à son bras ; c’était une excellente publicité, voire un bon investissement tant ilsavaitsemontrergénéreux.Orcetypedefemmesecontentaitdecegenrederelation,toutétaitdoncpourlemieuxdanslemeilleurdesmondes…
N’empêchequ’àprésentilavaitunproblèmeàrésoudre,etilnesavaitpastrèsbienparquelboutl’attaquer…
***
Rosietraversalehallsilencieuxenpoussantsonchariotdenettoyageverslabatteried’ascenseurs.Asoncôté,sacollègueZoeavaitsonvisagedesmauvaisjours.
— Jeme demande pourquoi on nous a changées d’affectation,marmonna celle-ci avecmauvaisehumeur.
— STA Industries est un gros regroupement d’entreprises, expliqua Rosie. Ici, c’est le siègeadministratif, pour lequel Vanessa a signé un contrat d’entretien. Elle espère en obtenir d’autres plusimportants si nous donnons satisfaction.Or, selon elle, nous sommes sesmeilleures employées.Voilàpourquoiellenousafaitvenirici.
Zoefitlagrimace.—Noussommespeut-êtrelesmeilleures,maisVanessanenouspaiepasdavantagepourautant.Le
trajetmecoûtepluscherparcequec’estbeaucoupplusloindechezmoi.Çanem’arrangepasdutout.Cechangementn’enchantaitpasRosienonplus,mais leclimatéconomiqueétait simauvaisqu’il
fallaits’estimerheureuxd’avoiruntravailstable.Parailleurs,elleétaitbientropredevableàVanessapourluirefuserquoiquecesoit.Moinsd’unesemaineplustôt,elles’étaittrouvéeàlarueavecsonpetitchien,Baskerville,etyseraitsansdouteencoresansVanessa,quiluiavaitproposéunechambrepourunprix modique dans la maison communautaire qu’elle mettait à la disposition de ses employés endifficultés.Rosien’oublieraitjamaiscegestegénéreux.
VanessaJensenavaitcrééunepetiteentreprisedenettoyagedebureaux,maislestempsétaientdurs,et,pouravoirdesclients,ilfallaitpratiquerdesprixplusbasqueceuxdesconcurrents,d’oùdesmargesdeprofit très réduitesqui se répercutaient sur le salairedes employés.Rosie savait cependantque sapatronneappréciaitsontravailetsonimplication.
—Tun’esjamaismalade,luidisait-ellesouvent,tuarrivestoujoursàl’heure,etjepeuxcomptersurtoi.Dèsquemonchiffred’affairesseraplusimportant,jet’augmenterai.
MaisRosieavaitapprisànepascomptersurlespromessesdesonemployeur,etelles’organisaitavecsonmodestesalaire.Ellefaisaitdesménagesdebureauxnonparcequeletravailluiplaisait,maisparcequeleshorairesluiconvenaientetlalaissaientlibredanslajournéepoursuivredescours:ellevoulaitpasserundiplômed’équivalencedefind’étudesafind’entrerensuiteàl’université.AlorsquandVanessa luiparlait de l’augmenter, elle se contentait de sourire, segardantde suggérerque,malgré lacrise,sapatronneauraitpuaméliorerlarentabilitédesonentrepriseensemontrantplusvigilante.CarVanessa ne surveillait pas assez son personnel. Souvent, certains employés arrivaient en retard, ourepartaientavantl’heureaprèsavoirbâcléleurtravail.Rosielesavait,maisn’endisaitrien:Vanessaluienauraitvouludesoulignersescarences.Carlajeunechefd’entreprisepréféraitprospecterdenouveauxclients plutôt que de vérifier de temps en temps le travail de ses salariés et leur conscienceprofessionnelle.
Hélas,onnechangeaitpaslesgens,Rosiel’avaitapprisdepuislongtemps,ellequiavaittantessayédechangerfeuesamère.L’évidenceavaitfinipars’imposer:elleavaitdûaccepterJennyGraycommeelleétaitetrenonceràvouloirlatransformerenlamamandontellerêvait.
Pourtant l’enfant qu’elle était alors n’avait pasménagé ses efforts pour susciter l’intérêt de cettemèreincapabledejouersonrôledeparent.Maisnon,Jennyaimaitfairelafête,boireplusquederaison,fréquenterdesmauvaisgarçons et riend’autre.Lamaterniténe l’intéressait pas, sa fille l’encombrait.Ellenel’avaitconçuequedansl’espoird’épousersonpère.
« Ilétaitd’une famille très riche,comprends-tu,avait-elleditun jouràRosie. Jepensaisque, sinousavionsunenfant,ilaccepteraitdesemarier.J’auraisalorsétéàl’abridubesoinpourtoujours.Maisiln’étaitqu’unbonàrien,uncoureur.Ilauraitmieuxvaluquejenelerencontrejamais».
Rosie, qui n’avait pas hérité de la légèreté irresponsable de sa mère, estimait que beaucoupd’hommesétaientdesbonsàrien,etquebiendesfemmesvalaientmieuxqu’eux.Lesquelquesgarçonsavecqui elle était sortie nepensaient qu’au sexe, au football et à la bière, autant dedomainesqui neprésentaientpourelleaucun intérêt.C’estpourquoi,depuis longtempsmaintenant,ellen’acceptaitplusaucuneinvitationmasculine.
De toute façon, les prétendants ne se bousculaient pas, devait-elle reconnaître avec un peu dedésenchantement. D’abord parce qu’elle menait une vie très casanière, rythmée par ses cours et sontravail.Ensuiteparcequesonphysiquen’avaitrienpourattirerleshommes:elleétaitpetite—àpeineunpeuplusd’unmètrecinquante-cinq—et,surtout,elleétaitplatecommeunelimande,misérablementdépourvuedesrondeurssiappréciéesparlagentmasculine.Desannéesdurant,elleavaitespéréqu’unmiracle se produirait, qu’un jour, des seins bien ronds et des fesses galbées lui viendraient.Malheureusement,àvingt-troisans,ilfallaitserendreàl’évidence:elleavaituncorpsdegarçon,etlegarderait.
Unemèchedesescheveuxblondss’étaitéchappéedesaqueue-de-chevalfaiteàlava-vite.CommeRosielaremettaitenplace,l’élastiquecassa.Elleétouffauneexclamationagacéeenfouillantsapocheàlarecherched’unautreélastique.Envain.Tantpis,sescheveuxallaientlagêner.C’étaitsafaute:ellen’avaitqu’àlescoupercourt!Maischaquefoisqu’elleétaitsurlepointdelefaire,quelquechosel’enretenait.Envérité,ellelesavait,c’étaitàcausedeBeryl,samèred’adoption.QuandRosieétaitenfant,celle-ciluidisaitqu’elleavaitdebeauxcheveuxetneselassaitpasdelacoiffer.
Rosieeutsoudainles larmesauxyeux:pauvreBeryl!Elleétaitdécédéedepuis troisans,etsonabsencerestaitencoretrèsdouloureuse.Elleavaitétésibonne,siaffectueuse;tellementplusmaternellequesamèrebiologique…Maisàquoibonsedésoler?
Elleprituneprofondeinspirationpourseredonnerducourageetseremettreautravail.
***
Alexiuss’impatientait.Danscebureauquin’étaitpaslesien,iln’avaitriensouslamain,toutluiétaitmalcommode, il n’arrivaitmême pas à se concentrer sur son ordinateur portable. La faute à sonmanipulateurdeparrain,quil’avaitprisparlessentiments,l’obligeantàjouercettecomédieridicule.
Le bruit de l’aspirateur qui se rapprochait dans le couloir lui arracha un sourire cynique : lesfemmesdeménageétaientlà,lejeuallaitcommencer.
Drôledejeu,quilemettaitmalàl’aise—tromperlesgensn’étaitpassonstyle.Pourabordercetteemployéedenettoyageendissimulantsavéritableidentité,ils’étaitdoncrésoluàsefairepasserpourundesessubalternes,dontilavaitempruntélebureau.RestaitàespérerqueRosieGraynelereconnaîtraitpas…
EllenelisaitsansdoutepasleFinancialTimes,quipubliaitsouventdesarticlessurluiavecdesphotos ; en revanche, peut-être se régalait-elle de journauxpeople, dans lesquels il apparaissait aussirégulièrement.N’aurait-il pas été plus prudent d’organiser une rencontre « fortuite » avec cette jeunepersonneendehorsdetoutcontexteprofessionnel?Troptard,lesdésétaientjetés!
Zoes’étaitchargéedesbureauxducôtédroitducouloir,Rosiedeceuxducôtégauche.Ellearrivaitaudernier,leseulencoreoccupé,dontlaporteétaitouverte.Elledétestaittravaillerquandlesemployésétaientencorelà:ellelesdérangeait,eteuxlagênaientaussi.Maiscesoir,tantpis:elleprendraitsontempspourquetoutsoitparfait.IlnefallaitpascourirlerisquedemécontenterlesresponsablesdeSTA,
quiprêteraientcertainementuneattentionparticulièreautravailde lanouvelleéquipedenettoyage.Orl’enjeuétaittrèsimportantpourVanessa.
Risquantunregarddanslapièce,Rosievitunindividugrandetbienbâti,avecdescheveuxnoirstrès drus, qui travaillait sur un ordinateur portable. La lampe d’architecte sur le bureau éclairait sonprofildessinéàlaperfection,avecunnezfortetunemâchoirevolontaire.L’hommetournasoudainlatêtepour la regarder : il avait un visage au teint sombre, et demagnifiques yeux gris, brillants commedumercureenfusion.Desyeuxextraordinaires!Cethommeétaitbeaucommeundieu!Unetellepenséelastupéfia,venantd’elle,Rosie,queleshommesn’intéressaientpas.
Alexiusreconnutàpeinelajeunefemmefigéesurlepasdelaporte:ellen’avaitpasgrand-choseen commun avec celle, insipide, banale, du cliché que lui avait montré Socrates. Celle-ci possédaitquelquechosede…lumineux.Elleétaitsipetite,simenuequ’elleévoquaitunelfe,ouunefée—maisune fée enfant. Elle avait des cheveux splendides : longs, abondants, d’un blond si scintillant qu’onpensaitàdugivresurlaneige.Quantàsonvisage,ilétaitfin,trèsjoli,avecdegrandsyeuxvertsetuntoutpetitnezdroit.Maiscequiaimantaleregardd’Alexiusfutlabouche:pulpeuse,sexy,faitepourlepéché,presqueincongruedanscevisageinnocent.Ilserepritvite:commentlapetite-filledesonparrainpouvait-elle lui inspirer des pensées pareilles ? Etait-il devenu fou, ou était-ce l’incongruité de lasituationquidérangeaitsonesprit?
Sitôtqu’ellecroisaleregardargenté,Rosiesentitsoncœurs’emballer.Cethommeétaitsibeau!Des pommettes hautes, bien marquées, une bouche magnifique, sensuelle et dure à la fois. Maisl’impatience sur ce visage volontaire ne lui échappa pas, et elle recula dans le couloir : cet inconnun’étaitpasdeceuxque l’on interromptouque l’ondérange.Elle iraitd’abord finir leménagedans lasallederéunion,etreviendraitensuites’assurerquecebelhommeétaitenfinparti.
EnvoyantdisparaîtreRosieGray,Alexiusétouffauneexclamationagacée.Pourtantàquois’était-ilattendu?Acequ’elleengagelaconversationaveclui?Non,elleétaitpartiepourlelaissertravaillerenpaixetreviendraitplustard,espérantqu’ilauraitdisparu.Selevant,ilgagnalaporteendeuxenjambées.Danslecouloir,lasilhouettemenues’éloignait,tirantunaspirateurpresqueaussigrosqu’elle.
— Je n’en ai pas pour longtemps, lança-t-il, et sa voix retentit anormalement fort dans l’espacedésert.
Lajeunefemmepivota,apparemmentsurprise,seslongscheveuxbalayantsonjolivisage;sesyeuxvertsmarquaientunesorted’appréhension.
—Jevaisd’abordfaireleménagedanslasallederéunion.Ensuite…—Vousêtesnouvelle,n’est-cepas?l’interrompitAlexius.—Oui, c’est la première fois que nous faisons les bureaux ici,murmuraRosie, et nous voulons
donnerentièresatisfactionauclient.— Je suis sûr que cela ne posera pas de problème, rétorqua-t-il, l’observant manœuvrer son
aspirateur.L’appareilsemblaitsidémesuréparrapportàelle,sipetite,qu’ileutsoudainenviedeluienleverle
tuyaudesmainspourqu’elleluiconsacretoutesonattention.Cettefilleprovoquaitchezluidesréactionsbizarres,décidément.Etpournerienarranger, il latrouvait trèsdésirable!Elleétaitpourtantpetiteetsansbeaucoupdecourbes, alorsqu’iln’aimaitque lesgrandes femmesbrunesaux formesgénéreuses.Quediabletrouvait-ildoncàcetteRosieGray?Ilsepromitd’yréfléchiretregagnalebureauoùilavaitprovisoirementéludomicile.
***
LorsqueRosierevintdanslebureaudubelinconnu,ilétaitasseztard.Lapièceétaitvide,bienquelalampesoittoujoursalluméeetl’ordinateurouvert.L’hommen’étaitdoncpasparti.Cependant,ellene
pouvaitpass’éterniser:elleallaitmettrelesbouchéesdoublesavantqu’ilnerevienne.Elleenlevaitlapoussièresurlesmeublesderangementquandl’hommeapparut.Elles’immobilisa,
intimidée.Ilétaitvraimenttrèsgrand,ettrèsélégantaussi—sansparlerdesesétonnantsyeuxgris,quiscintillaientcommedel’argentliquidedanssonbeauvisageauteintsombre.
—Jevousfaisdelaplace,dit-ilenavançantpourrécupérersonordinateur.Cefaisant, ilpassasiprèsd’ellequeRosieperçut leseffluvesdesoneaudetoilette :uneodeur
masculineetàpeinecitronnéequiluidonnauninstantlevertige.—Non,cen’estpaslapeine,jeferaiattention.Jevousdemandesimplementdemelaisserencore
cinqminutes.Rosieavaitlavoixmalassurée,etsesjouess’étaientembraséestantcethommelatroublait.S’efforçantdefaireviteetdesonmieux,elleremarquasoudainunephotosurlebureau:onyvoyait
unejolieblondequiserraitsursoncœurdeuxjeunesenfants.—Commeilssontmignons,murmura-t-elledanslesilenceunpeutendu.—Ilsnesontpasàmoi,rétorqual’inconnu.Jepartagecebureauavecuncollaborateur.Rosieledévisagea,surprise:iln’avaitpasl’airdugenreàpartagerquoiquecesoitavecquique
cesoit.Surquoisefondaitcetteimpression,ellen’auraitsuledire,maiselleenétaitsûre.Peut-êtreàcausedecetteprésencephysiquesiforte,ouencoredesonaird’autorité,quilaissaitpenserque,partoutoùilsetrouvait,ilétaitlechef.
—Pardonnez-moi,reprit-il,aimable.Jenemesuispasprésenté:jesuisAlexKolovos.—Enchantée,murmuraRosieaucombledel’embarras.Engénéral,lessalariés,danslesbureaux,neparlaientpasauxfemmesdeménage—saufàcelles
quiétaientassezâgéespourleurrappelerleurgrand-mèreoulesjeunettesqu’ilsessayaientdedraguer.AinsiZoe,quesescollèguesavaientsurnomméelaBombe,avaitreçu,danslecadredesontravail,lesavancesdeplusieursemployésséduitsparsonjolivisageetsesrondeursappétissantes.Maispersonne,jamaispersonnen’avaitdraguéRosiedanslecadreprofessionnel.AlorspourquoicetAlexKolovosluiadressait-il la parole ?Etait-ce parce que pour une fois, à cause de cemaudit élastique, ses cheveuxondulaientlibrementsursesépaules?
Elleserepritaussitôt.Ellequid’habitudesefiaitàsalogiqueavaitsoudaindespenséesstupides!Cethommeluiavaitparlé,certes,maisdelààenconclurequ’illadraguait…Ellebranchal’aspirateurdontlebruitemplitlapiècecommeuninvisiblerempartentreluietelle.Ilébauchaunegrimace,maisRosiepoursuivitsontravailpourn’arrêter l’appareilqu’aprèsl’avoirpasséavecminutiedanstoutelapièce.
—Merci,dit-ellealorsenenroulantlefil.Aprèsquoiellesortitdubureausansseretourner.Demeuré seul,Alexius seprit à réfléchir : engager la conversation avecune jeune femmen’était
doncpassifacilequandilsefaisaitpasserpourquelqu’und’ordinaire,quandonnesavaitpasqu’ilétaitmilliardaire.Unebonneleçond’humilité!CarnonseulementcetteRosieGrayn’avaitfaitaucuneffortpour être aimable, mais en outre elle avait filé au plus vite. Peut-être parce qu’elle était timide etréservée?Possible…Celanel’empêchaitpasd’être très jolie,etsonpetitcorpsandrogynepossédaitplusd’attraitsqueceuxdebiendesmannequinsrencontrésjusqu’ici.
***
A son retour chez elle, Rosie fut accueillie par les aboiements de Baskerville. Son chien avaitappartenu à Beryl, qui le lui avait confié avant demourir. Depuis qu’elle avait emménagé dans cettemaisoncommunautaire,Bass,commeonl’appelait,étaitdevenulamascottedetouslesrésidents,quine
cessaientdejoueraveclui.Ilenétaitravi—etRosieaussi,quiavaittoujourspeurqu’ils’ennuiequandelleétaitàsescoursouàsontravail.
Cesoir-là,ellepartageaunboldepotageavecdeuxdesescollègues,puisse fitunsandwichaufromageavantquetoutestroisneregardentlatélévisiondanslepetitsaloncommun,avecBassassoupiàleurspieds.
Rosiesecouchatôtets’endormitvite.Hélas,deviolentesnauséeslaréveillèrentenpleinenuitetelle dut se lever plusieurs fois. Le lendemain, le malaise était passé et elle put mener sa journéenormalement.Enrevanche,lesoirvenu,enarrivantausiègedeSTA,ellesesentaittrèsfatiguée.Delalumièreétait alluméedans lebureaud’AlexKolovos,mais ilne s’y trouvaitpas.Sansdoute s’était-ilabsentéunmoment…Surl’instant,elleenéprouvauneindicibledéception.Quelleidioteellefaisait!Detoute façon, puisqu’il était toujours dans les lieux, elle commencerait encore par la grande salle deréunionavantdefinirparsonbureau.
Cette fois, cependant, la salle n’était pas vide : quelqu’un y discutait au téléphone. Rosies’immobilisa sur le seuil, le cœurbattant.Elle aurait reconnuce timbre chaudet sensuel entremille :c’étaitlebelinconnuquiparlait,dansunelangueétrangère.
Ellerisquaunregarddans lapièce, tandisquesonpoulss’accéléraitsoudain : l’hommese tenaitprèsdelafenêtre,sonbeauvisagetournédanssadirection.Unfrissondeplaisirlaparcourut;plaisirdelerevoir,plaisiraussid’avoirsoudaintouslessensétrangementenalerte.
PourquoicetAlexKolovosprovoquait-ilenellepareilleréactionphysique?Ellesefaisaitl’effetd’uneadolescentevivantsespremiersémoisetnepouvaitdétourner lesyeuxdesasilhouette,fascinéeparsonvisage,saprésence,saprestance.
Envoyantlajeunefemmedeménagequireculaitpoursortir—sansdoutepournepasledérangerdavantage—,Alexiusluifitaussitôtunsigneimpérieuxdelamainpourqu’ellereste.
Ses cheveux, si somptueux hier, étaient ce soir retenus en arrière en queue-de-cheval, et elle neportaittoujoursaucunmaquillage.Pourtantl’attraitqu’elleexerçaitsurluin’avaitrienperdudesaforcedepuislaveille.Unseulregardàsonravissantpetitvisageetilavaiteuenviedelecouvrirdebaisers.Ilvoulaitgoûtercettebouchedivine,effleurercecorpsmenu,découvrirtoussessecrets…Ah,s’ilavaitpula prendre là, sur la grande table de réunion, plonger en elle tout en observant ses grands yeux sebrouillerdeplaisir!
Ilserralepoingavecviolence,s’enfonçantlesonglesdanslapaumepourfaireretombersafièvre.Voilà longtemps qu’une femme n’avait pas eu sur lui pareil effet érotique.Cette nuit, il avait rêvé deRosieGrayets’étaitréveilléhaletant,ensueuret…trèsexcité!Unedouchefroidel’avaitcalmé,maiscertespassatisfait.
Ilraccrochaetglissasontéléphoneportabledanssapoche.—Vouspouvezrester,j’aiterminé.—Vous…vousêtessûr?balbutiaRosie,dontlaboucheétaitsoudainsèche.—Puisquejevousledis,rétorquaAlexiusavecimpatience.Aumoment où il passait près d’elle pour sortir, il nota son trouble : ses yeuxverts scintillaient,
incertainsmaisimmenses,etelletremblaitunpeu.Ilconnutuninstantdetriomphe:l’attirancephysiquequ’iléprouvaitétaitpartagée!Ilallaitenprofiter:pourconnaîtrelajeunefemme,ilauraitdésormaisàsadispositiondesmoyensbeaucoupplusagréablesquedetraînerjusqu’àpointd’heuredansdesbureauxdéserts…
***
Unefoisseule,Rosieentrepritdenettoyeravecsoinlasallederéception.Ilfallaitqu’ellesecalme,quesarespirationreprenneunrythmenormal.AlexKolovoslatroublaittantqu’ellen’avaitplusaucun
contrôlesurelle-même.Absurde!Maispeut-êtreexpérimentait-elleenfincequ’éprouvaientjadissescopinesaucollègequandelles
sedisaientamoureuses.Elle-mêmen’avait jamaisrienressentidepareil,raisonpourlaquelle,àvingt-troisans,elleétaittoujoursvierge.Asadécharge,elleavaitdûquitterl’écoleavantlafindesesétudessecondairespours’occuperdeBeryl,dontlecancers’aggravait.Saviesociales’étaittrouvéeréduiteànéant.Puis, après lamort de samère adoptive, quand elle avait recouvré sa liberté, son inexpériencel’avaitrendueprudente—etmêmecraintive.
L’exempledesamèrenel’avaitguèreencouragéeàcultiverdesrelationsmasculines:JennyGrayavaitvécuau rythmedesespassions, toutesaussiviolentesqu’éphémères,qui,endéfinitive, l’avaientdétruite.Mêmesiellen’étaitqu’uneenfantàl’époque,combiendefoisRosieavait-elleentendusamèrelui lancer :« J’ai rencontréquelqu’unde formidable.L’hommedemes rêves. Jeparsavec lui.»Elledisparaissaitalorsdessemainesdurant,lalaissantseuledansl’appartement,sanschauffageninourritureniargent.C’était encoreplusdurquand l’amoureuxdumoment s’installait à lamaison :Rosien’avaitalorspasledroitdesortirdesachambre.Pendantcetemps,lecouplebuvaitetpassaitsesjournéesaulit,sansmêmepenseràlaconduireàl’école.Alafin, lesservicessociauxl’avaientretiréeàsamèrepourlaconfieràunfoyerd’accueil.
Rosie redoublad’ardeur au travail pour chasser ces tristes souvenirs.Elle avait terminé tous lesbureaux quand elle se dirigea vers celui d’AlexKolovos. Il s’y trouvait toujours,mais il fallait bienqu’elleterminesabesogne.Aprèsavoirfrappétimidementàlaporterestéeouverte,elledemanda:
—Jepeuxfaireleménage?—Biensûr,vousnemedérangezpas,dit-ild’untonléger.Levantlesyeuxdesonordinateur,illuidécochaalorsunsouriresisensuel,sibeau,qu’ellesentit
unevaguedouceetchaudel’envahir.Denouveau,soncœurs’emballa.L’inconnuselevapours’approcher.—Voulez-vousquenousallionsboireunverrequandvousaurezterminé?Prisedecourt,Rosierefusatoutnet,parréflexe.Elletenaittropàsonjobpourrentrerdanscegenre
depetitflirt.D’ailleurs,qu’avaitàluioffrirunhommecommelui?Uneaventured’unsoir,riendeplus.Tousdeuxn’étaientpasdumêmemonde,n’avaientpaslamêmeéducation.Elletravaillaitdurpourpayersescoursdusoiretallerunjouràl’université,luisortaitsûrementd’unegrandeécoleprestigieuse.
Pourtant…Ouipourtant,quelbonheurc’eûtétésielleavaitpuaccepter!Legoûtamerdesregretsluiemplit
alorslabouche,intolérable.Raisondepluspourévitercethomme,murmuraenellelapetitevoixdelaraison.Sinon,gareauxennuis,queRosieavaittoujoursévitésavecsoin.AlexKolovosétaitcommeunefièvre:iltroublaitsespenséesetmenaçaitsonéquilibre.Plusviteelleguériraitdelui,mieuxelles’enporterait.
C’estaveccetteconvictionbienancréequ’enquittantlesbureauxdeSTAelledemandaàZoe:—Demain,j’aimeraisquetunettoiesmoncôtéducouloir,etjeferailetien.Zoefronçalessourcils.—Pourquoidonc?—L’hommequitravailletoujourstardlesoir…euh…j’ail’impressionqu’ilmefaitdesavances,
admitRosie.Çamemetmalàl’aise.—S’ilveutm’enfaire,ilestlebienvenu,rétorquasacollègueenriant.Ilestsublime,cegars!Je
medemandeparfoisoùtuaslatête,Rosie.Tuneseraispascontentedesortiraveclui?—Jenesaispas…Detoutefaçon,çanemèneraitnullepart.—Souventlesaventureslesplusexcitantestournentcourt,c’estvrai,maismoi,jenem’enpriverais
paspourunempire,fitvaloirZoe,avecletonamuséd’unefemmed’expérience.
***
Allongée dans son lit, lumière éteinte, Rosie réfléchissait depuis de longues minutes à samésaventure de la soirée.Qu’arriverait-il si demainAlexKolovos trouvaitZoe à son goût ?Elle duts’avouer qu’elle en serait assezmalheureuse.Au fond d’elle, la voix de la sagesse s’éleva aussitôt :«RaisondepluspourqueZoelerencontre.Aumoinstuneteposerasplusdequestions.»
Maislelendemainsoir,commetouteslesdeuxarrivaientchezSTA,Zoeluipritlebras.—Ah,aufait,pasquestiond’échangernosbureaux,Rosie.Jemesuis trouvéunnouveaucopain,
hiersoir.Sitonbelinconnutefaitencoredesavancesetqueçatedéplaît,tun’aurasqu’àleluidireenface.Ilfautunpeudecouragedanslavie!
Rosieneréponditrien,penaude.Elletravaillaplusvitequed’habitude.Onétaitvendredi,ellenereviendraitpasausiègedeSTApendantdeuxjours:cetteseulepenséeluidonnaitducœuràl’ouvrage.En passant devant le bureau d’Alex Kolovos, elle l’aperçut, beau, fier, concentré sur son ordinateur.Commelesautresfois,soncœursemitàbattrefrénétiquement,maiselleréussitàpassersonchemin,têtehaute. Elle nettoierait son bureau en dernier, elle commençait à en avoir l’habitude. Avec un peu dechance,ilpartiraitplustôtcesoir.
***
A 20 heures, la femme de ménage n’était toujours pas revenue dans son bureau et cette petitecomédie commençait à agacer Alexius. Il en avait assez d’attendre, et que cette Rosie l’évite ainsil’exaspérait.Seméfiait-elledelui?Danscecas,ellepossédaitunbonflair…
Aboutdepatience,ilfinitparpartiràsarecherche.Nonsansavoirdélibérémentlaissétombersoussonbureauquelquesbilletsdebanque:ceseraitl’occasiondevérifiersielleétaithonnête.
Il la trouva dans la kitchenette réservée au personnel. Elle buvait un thé, perchée sur un hauttabouret.
—Onsereposeunpeuavantdereprendreletravail?demanda-t-ilavecnonchalance.L’apparitiond’AlexKolovos troubla tantRosiequ’elle faillit renversersa tassede thé. Ilétait si
grand,siimposant!Ensaprésence,elleavaituneconscienceaiguëdesapetitetaille.Soudain,ellesemitàtremblersanspouvoirs’enempêcher;satassevacillaetunpeudethéserépanditsursablousedetravail.
Sonbelinterlocuteurlaluipritdesmainsavantdeluitendreuntorchon.—Vous…vousm’avezfaitpeur!balbutiaRosieentapotantlatachehumide.—Pardonnez-moi,etn’yvoyezaucuneintentiondemapart,murmural’homme,lafixantdesesyeux
grissilumineux.Ellerougit.Ellenevoulaitpasleregarder,maisquandbienmêmeaurait-ellefermélesyeux,elle
auraitpulevisualisertantsonimages’étaitimpriméeenelle.—Vous restez aussi tard tous les soirs ? s’enquit-elle pour rompre le silence inconfortable qui
s’étaitétablientreeux.—Oui.—Sansdouteavez-voustropdetravail,avança-t-elle.Oubliantsarésolution,ellecroisasonregard.Enplusdeleurcouleurmagnifique,sesyeuxétaient
ourlés de cils immenses et d’un noir de jais. Cet individu était la beauté faite homme. Jamais Rosien’avaitétéaussisensibleaucharmephysiqued’unreprésentantdusexefort.
—Envérité,j’adoremontravail,rétorquaAlexius,latêteailleurs.Il se faisait violence pour ne pas attirer cette jeune femme dans ses bras et l’embrasser, afin de
savoirsiseslèvresétaientaussidoucesqu’elleslesemblaient.
—Ahbon…Rosiebutunenouvellegorgéedethé,dévorantlittéralementduregardlebeauvisagedesonvis-à-
vis.Puis,toutàcoup,elleserepritet,glissantenhâtedutabouret,balbutiatrèsvite:—Ilfautquejeretourneàlatâchesinonjefiniraitroptard.Elledisparut,etbientôtAlexiusentenditdenouveaulebruitdel’aspirateur.Furieux d’avoir laissé échapper sa proie, il étouffa un juron. Cette fille était tropméfiante pour
répondreàsesavances.Oualorselleavaitpeur.Sansdouteavait-elleeuunemauvaiseexpérienceavecunhomme…Peut-êtremêmeavait-elleétéviolée?Alexiusserralesdents.CequiétaitarrivéàRosieGray n’était pas son affaire. Si elle prenait l’argent qu’il avait volontairement laissé traîner, il ne lareverraitplusjamais.Alorspourquoisepréoccuperdecequiavaitpuluiarriver?
***
Rosies’efforçaitdeterminerauplusviteleménagedanslebureaud’AlexKolovos,toutenveillantànepasbâclerletravail.Elleavaitenviederentreretqueleweek-endpuissecommencer.
Unbruitsingulierdansl’aspirateurlatiradesespensées:lemoteurpeinait,quelquechosesemblaitlegêner.Avecunsoupiragacé,ellel’arrêtaets’agenouillapourvoircequientravaitlefonctionnementdel’appareil.Asagrandestupeur,elledécouvritunbilletdecinquantelivresàdemicoincédansl’unedesbrossestournantes.Elletentadeledégager,faisantattentionànepasledéchirer,etlebordd’unautreapparutàsontour!N’encroyantpassesyeux,Rosieouvritalorslapartiesupérieuredel’aspirateur,parlaquelle on avait accès au sac à poussière. Le second billet s’y trouvait engagé et, visiblement,l’obstruait.Deplusenplusincrédule,ellevidalesac,récupéralesecondbillet,puisrefermal’appareiletsereleva.
C’est alors qu’elle repéra un troisième billet, encore sur la moquette. Elle le prit aussi et seprécipitahorsdubureau,espérantqu’AlexKolovosneseraitpasencoreparti.
Elle le trouva dans la salle de conférences, au téléphone. Cette fois, elle n’hésita pas àl’interrompre.
—C’estàvous?demanda-t-elleenluitendantlestroisbillets.Commeilcontinuaitàparlerdanssonportable,elleposal’argentsurlatabled’ungestesec.—Ilsétaientsurlamoquettedevotrebureau!lança-t-elled’untonvirulent.J’aifaillienaspirer
deux,etilsauraientpucasserl’aspirateur.Ilsl’ontcertainementabîmé,d’ailleurs.Alexiusraccrocha.Devantl’airoutrédelajeunefemme,ilfaillitéclaterderire.—Cetargentestàmoi,eneffet,admit-il.Mercibeaucoup.—Laprochaine fois, faitesplusattention, lui reprocha-t-elle.Sivous lesaviezperdus,onaurait
sansdouteaccusé lesfemmesdeménagede lesavoirvolés.Noussommessouventainsi incriminéesàtort,voussavez.
—Votrehonnêtetévoushonore.Ilseditqu’ilpourraitentouteconscienceassureràSocratesquesapetite-filleétaitintègre.Ace
moment, la jeunefemmeredressa lementon,posasespoings ferméssurseshancheset ledéfiadesessplendidesyeuxverts,quiétincelaientderage.
—Qui êtes-vouspourmeparler sur ce ton supérieur ? s’exclama-t-elle, furieuse. Jene suis pasriche, certes, mais les pauvres ne sont pas plus malhonnêtes que les nantis. Vous en avez, de cespréjugés!Desvoleurs,onentrouvedanstouteslesclassesdelasociété.
Lesangd’Alexiusnefitqu’untour.Allait-ilselaisseragresserdelasorteparunepetiteemployéedenettoyage?Dequeldroitprenait-elleuntonpareilaveclui?Ilposasurelleunregardglacial.
—Vousm’avezditcequevousaviezsurlecœur,etjerespectevotrefranchise,déclara-t-ild’unevoixtranchante.Maisjen’appréciepasvotrefaçondemeparler.Veuillezsortir,àprésent,j’aidescoups
detéléphoneàdonner.Le changement qui s’était opéré chez son interlocuteur laissaRosie sans voix. Certes, elle avait
perdu son flegme et avait parlé de façon trop vive quand elle aurait pu dire la même chose pluscalmement.Maisdelààlarabrouerainsi!Ellesemorditlalèvre.Lemalétaitfait,àprésent;inutiledes’excuser,ceseraitdutempsperdu.Leregardd’AlexKolovoss’étaitfaitsifroid,ill’avaittraitéeavectantdeméprisquejamais,ellelesavait,ilneluipardonneraitsonéclat.
Tantpis…Elletournalestalonspourretournertravailler,n’ayantplusqu’uneenvie:rentrerenfinchezelle.
***
—Tuessûrequejepeuxprendrelacamionnettepourleweek-end?luidemandaunenouvellefoisZoe.
Rosierefermalaportedulocalderangementdanslequelsacollègueetellevenaientderangerleurschariotsdenettoyage.
—Oui,jetel’aidit,jevaisrentrerenbus,répliquaRosie,latêteailleurs.—Tuesvraimentunamour!Mamann’apasvusasœurdepuisdeslustres.Sij’ailacamionnette,je
peuxlaconduirechezmatantedemainmatinetallerlachercherdimanchesoir.—N’oublie pas :Vanessa est d’accord pour que tu la prennes à condition que tu la ramènes en
tempsetenheurelundimatin,rappela-t-elleàZoe.Celle-cis’apprêtaitàs’installerauvolant,maiselleinterrompitsonmouvement.—Tuasl’airabattue,Rosie.Ils’estpasséquelquechoseavectonbelhommequitravailletardle
soir?—Nonrien,mentit-elle,s’efforçantdeparaîtredétachée.Etd’ailleurs,ilnes’étaitrienpassé,serépéta-t-ellepeuaprès,enregardantsonamiedémarrerla
camionnettedel’entreprise.Elleavaitrencontréunhommequiluiplaisait,latroublaitau-delàdesmots,et leschosesenétaient restées là.C’étaitbienainsi.Maisellen’oublierait jamais le regardméprisantqu’ilavaitabaissésurelledans lasalledeconférences.Unregardqui l’avaitblesséeauplusprofondd’elle,carelles’étaitsentiecommeunemoins-que-riensouscesyeuxgrisimplacables—etpourtantsibeaux
Prenant ladirectionde l’arrêtdebus,Rosiepoussaun longsoupir, commepourchasser le lourdnuagenoirquisemblaitstationnerau-dessusdesatête.
2.
Rosies’étaitàpeinemiseenroutequ’unesilhouettemassivesurgissaitdel’ombre,lahélantavecuneagressivitémêléedereproche:
—Voilàuneéternitéquejet’attends,Rosie!Tuenasmisdutemps!Elle se figea en reconnaissant Jason, le petit ami de Mel, avec laquelle elle partageait un
appartementetquil’avaitproprementmiseàlaporteunesemaineplustôt.Jason,grandadeptede lamusculation,possédaitunphysiquemenaçant.Qu’ilsoitvenu l’attendre
aprèssontravailneprésageaitriendebon,surtoutqu’elleluiavaitdéjàsignifié,avantqu’ilsorteavecMel,qu’ilnel’intéressaitpas.
—Quefais-tuici?demanda-t-elleavecmauvaisehumeur.—Jeveuxteparler.Mêmesiellen’enmenaitpaslarge,Rosietâchadenepasselaisserimpressionner.—Moi,jen’airienàtedire.Surcesmots,ellefitminedepoursuivresonchemin,maisJasonl’avaitdéjàsaisieparlebras.—J’ailedroitdeteparler,non?gronda-t-il.Rosiecommençaitàs’énerver:Jasonluiavaitcauséassezd’ennuiscommeça!—Avecmoi,tun’asaucundroit!s’exclama-t-elle,tentantdesedégager.Acausedetoi,j’aiperdu
unecopineetmesuistrouvéeàlarue.Çasuffit!Jasonpritunairfanfaron.—Net’énervepas,Rosie.Justement,jevoulaistedirequeMeletmoi,onn’estplusensemble.Je
suislibre,voilàpourquoijet’attendais.—Çanem’intéressepas!s’écria-t-elle,gagnéeparlapanique.Lâche-moi!C’estalorsqu’unevoixmasculinebasseetmenaçanteretentit:—Laissez-latranquille!Jasonpivota,entraînantRosieaveclui.Elleavaitreconnulavoixd’AlexKolovosavantmêmedele
voir.—Quiquevoussoyez,mêlez-vousdevosaffaires,lançaJasonavecviolence.—N’intervenezpas,jevousenprie,gémitRosieenlançantunregardimplorantàceluiquiessayait
delasauver.Mais,commes’ilnel’avaitpasentendue,Kolovosrépéta,intraitable:—Lâchez-laouvousaurezaffaireàmoi.Jasonfulminait:—Cequisepasseentrenousnevousregardepas ! rugitJason,écumantderage.Fichez-nous la
paix,sinonvousleregretterez!
—Quandunminablemalmèneunejeunefemme,çameregarde!Jasonpoussaunaffreux juronavantde lancerun terriblecoupdepoingendirectiondeKolovos.
Celui-ciesquiva,puis,aveclavitessedel’éclair,réponditparunuppercutimparablequiatteignitJasondans l’estomac. Sonné, celui-ci vacilla. Il se retourna en unmouvement brutal, prit du recul et voulutassenerunnouveaucoup.Danssonélan,ilbousculaalorsRosie,quifutprojetéesurlesolavecviolence.Uncridesouffranceluiéchappa,noyéparunrugissementsauvagesuivid’unbruitdecourse.
Déjà,AlexKolovoss’agenouillaitauprèsd’elle.—Nebougezpas,luiordonna-t-il.Vousvousêtespeut-êtrecasséquelquechose.—Jenecroispas,non,murmura-t-elle.Jesuisunpeuendolorie,c’esttout.Elles’étaitsansdouteécorchée,carsoncoudeetsongenou lui faisaientmal,maiscen’étaitpas
grave,elleenétaitsûre.Son compagnon, qui s’était relevé, parlait dans son téléphone portable, à présent. Elle ne
comprenaitpascequ’ildisaitcarils’exprimaitdansunelangueétrangère,maisletonétaitpressant.—Jevousconduischezunmédecin,annonça-t-ilaprèsavoirraccroché.—Cen’estpasnécessaire.Rosievoulutseredressermaisunhorriblevertigeluifaisaittournerlatête.Elleavaitmalaucœur.
Elleétaitfaible…sifaible…Ellefermalesyeux.Quandellelesrouvrit,lemalaisesemblaitpassé,maisellesesentaitencoremalenpoint.—OùestJason?demanda-t-elled’unevoixhésitante.—Ayanttrouvéplusfortquelui,ilaprissesjambesàsoncou,ricanaAlexKolovos.Unevoitures’immobilisaàleurhauteur.Unhommeensortitenhâtepourouvrirlaportièrearrière.
Pendantcetemps,sonsauveurl’avaitsoulevéeavecd’infiniesprécautions;ill’étenditsurlabanquettepuiss’installaàcôtéd’elle.Lavoiturerepartit.
Toujourssonnée,Rosielevalesyeuxsurceluiquil’avaitdéfendue.Illafixaitavecuneexpressionquilamitenémoi.Quandillaregardaitainsi,ellenecontrôlaitplusnisoncœur—quibattaitfollement—nisaraison!Elles’envoulaitterriblementdecemanquedemaîtrise.
Poursecalmer,elleregardaleluxueuxintérieurduvéhicule.—Aquiappartientcettevoiture?—Amoi.Undemesamisàquijel’avaisprêtéeetquin’habitepasloinmel’arapportée.Jeluiai
demandédegarder levolantpourm’installerauprèsdevous.CeJasonvousamalmenée, il fautqu’unmédecinvousexamine.
— Il ne vous a pas faitmal, aumoins ? demanda-t-elle, soudain anxieuse. Il est costaud, il faitbeaucoupdemusculation.
Kolovospritunairamusé.—Moi, jenecultivepasmamusculature,maisj’étaisdansl’équipedeboxeàl’université.Votre
Jasonavitecomprisàquiilavaitaffaire.—Jesuistellementdésolée,soupiraRosie.J’ignoraisqu’ilm’attendait,jepensaisneplusjamaisle
revoir.—C’estunancienpetitami?—Dieuduciel,non!Jamaisjenemeseraisintéresséeàuntypepareil.Ilsortaitavecunedemes
copines.Alexius se demanda si elle disait la vérité. Peut-être avait-elle donné des espoirs à cette brute
épaisse.Entoutcas,elleétaitbienjolie,abandonnéeainsisurlabanquette!Sonravissantvisageétaitunpeupâleetsesgrandsyeuxvertssemblaientencorecraintifs.Elleétaitsimenue,semblaitsiperdue,sivulnérablequ’ilavaitenviedel’attirercontreluipourlarassurer.
Ilserepritvite.Avait-iljamaisdesavierassuréunefemme?Lesfemmes,c’étaitpourlesexe,riend’autre.Etcelle-cin’échapperaitpasà la règle. Il avaitenvied’elle,donc il l’aurait.D’autantquesa
décisionétaitprise:ildiraitàSocratesqu’ilpouvaitentouteconfiancefairevenirsapetite-filleauprèsdelui.Désormais,ilétaitlibre:soncontratétaitrempli
***
Lavoitures’immobilisadevantunebellemaisondestylegeorgien.AlexKolovossortitetesquissalemouvementdeprendreRosiedanssesbras.
—Jepeuxmarcher,protesta-t-elle.Maisdites-moi,oùsommes-nous?Jepensaisquenousallionsauxurgencesdel’hôpital?
—Pouryattendredesheures?Non.LeDrDimitriVakrosestunami.Jel’aiappelé,ilestprêtàvousrecevoir.
UnecharmanteinfirmièrelesaccueillitetconduisitRosiedansunepetitepièce,oùellel’aidaàsedéshabiller.Puisellel’introduisitdanslasalledeconsultationdumédecin,quil’invitaàs’allongersurlatabled’examen.
Illuiconfirmaqu’ellen’avaitriendegrave.Seulementdescontusionsetdesplaiessuperficiellesaucoudeetaugenou.Illesnettoyaavantdelespanser,etRosieputserhabiller.
—Vousavezétéchoquée, luiditnéanmoins lemédecin, il fautvousreposeretvousdétendre.Siquelquechosen’allaitpas,revenezmevoir.
Rosie le remercia,etelle leprécédapour rejoindresonchevalier servantd’unsoirdans la salled’attente.
—Jevousl’avaisdit,toutvabien!lança-t-elleenréponseàsamineinterrogative.Lemédecins’adressaàsontouràAlexKolovos,ettousdeuxparlèrentengrec—Rosiereconnutla
languecettefois,identifiantcertainsmotsqu’elleavaitapprisautrefois.—Sijecomprendsbien,leDrVakrosaunesortedecliniqueprivée,fit-elleobserveralorsqu’ils
quittaientleluxueuximmeuble.—Eneffet.—J’espèrequ’ilnevousadresserapasunenoted’honoraires?—Non,c’estunamidelonguedate.—Vousmerassurez.Elles’arrêtaetsetournaverslui.—Entoutcas,mercipourtout.Jevaisrentrerchezmoi,maintenant.—Certainementpastouteseule!s’exclamasoncompagnon.Jevousraccompagneenvoiture.Ils’adressaengrecàl’hommequiattendaitauprèsduvéhicule.Celui-ciluienremitlesclés.—C’estinutile,voyons,tentadeprotesterRosie.Jevousaidéjàfaitperdrebienassezdetemps!Illuilançaunregardpleind’autorité.—Jenevousdemandepasvotreavis.Jetiensàvousraccompagner.Rosierestauninstantinterdite.Pourquoicethommesedonnait-iltantdemalpourelle?Parcequ’il
avaitl’âmed’unBonSamaritainouparcequ’elleluiplaisait?Danscederniercas,quediablepouvait-illui trouver?Ellesesavaitàl’opposédesfemmesqu’aimaientleshommes,avecsapetitetailleetsoncorpsandrogyne.
Malàl’aise,nesachantcommentparaîtrenaturelle,elleseglissatoutefoissurlesiègepassageretbouclasaceinturedesécurité.
Au bout d’un moment, jetant un regard distrait par la vitre de la portière, elle s’aperçut qu’ilsn’allaientpasvraimentdansladirectiondesonquartier.Etpourcause,elleavaitoubliédedonnersonadresseàsonchauffeur—quinelaluiavaitpasdemandée:était-ilaussiperturbéqu’elle?s’interrogea-t-elle.
Unefoiscetoubliréparé,elleleguidadesonmieux:àl’évidence,ilconnaissaitmalcettepartiepopulairedeLondres.
***
—Voilà,c’estici,fitRosiequandilsatteignirentenfinsonimmeuble.Elledébouclasaceintureettenditlamainàsonsauveur.—Mercimillefoispourtoutcequevousavezfaitpourmoi,monsieurKolovos.—Alex.Rosiehochadoucementlatête.—Alorsmerci,Alex.—Quediriez-vousdedîneravecmoi?L’inattenduepropositionlapritdecourt.Ellejetaunregardcraintifàl’hommequiluisouriait,les
mainstranquillementposéessurlevolant.—Toutescesémotionsvousontcertainementouvertl’appétit,poursuivit-il.Entoutcas,moi,oui.Rosierougit.Malàl’aisedenouveau,guindée,elleperdaitsonnatureletenétaitexaspérée.Mais
pourquoirefuseruneinvitationquisemblaitsispontanée?Celanesignifiaitpasobligatoirementquecethomme avait une idée derrière la tête. Et puis ici, à quelquesmètres de chez elle, que pouvait-il luiarriver?…
—J’aifaim,eneffet,admit-elle.Jeconnaisunpetitrestaurantjusteaucoindelarue.L’endroitn’estpastrèschic,maislanourritureestbonne.
—Çam’iratrèsbien.Alexiusgara lavoiture le longdu trottoir, assezcontentde lui. Il avait enviedepasser la soirée
avecRosieGray,voireplussiaffinités.Qu’elleacceptecedînerétaitdebonaugure…L’établissementétaitunsimpleself-service,quiavaitl’avantagederesterouverttrèstardlesoir.Il
accueillait une clientèle modeste mais nombreuse, dans ce quartier d’ouvriers et de petits employés.RosieprécédaAlex, allant toutdroit prendreunplateau.Se retournant, elle levit promenerun regardsurprisautourdelui.
—Onsesertsoi-même?demanda-t-il,fronçantlessourcils.Rosiesecontentadelui tendreunplateauavantdesemettredanslafiledesclients.Aunetable,
trois jeunes femmes ne quittaient pas son superbe compagnon des yeux,mais lui ne semblait pas s’enrendrecompte.Ilnepassaitpasinaperçu,etpeut-êtreétait-iltropbeaupourêtrehonnête.Maiscesoir,Rosies’enmoquait.Elleneputs’empêcherdesouriredecontentement:cethommeétaitl’idéalmasculinincarné, toutes les femmes le dévoraient du regard, et c’est avec elle qu’il était ! Une étrange fiertél’envahit,luichauffantlecœur.
Alacaisse,lorsqu’ellevoulutrégler,ils’emportapresque:— Avec moi, une femme ne paie jamais, déclara-t-il avec hauteur tout en sortant un billet de
cinquantelivres.Rosien’aimaitpasqu’onluiimposesaconduite,maisellesecontentadeserrerlesdents.—Pourquoiteniez-vousàpayervotrerepas?demanda-t-ilalorsqu’ilsvenaientdes’attabler.—C’estmonhabitude,quandjesuisavecungarçon.Ainsi,onévitelesmalentendus.Alexiusneputréprimerunsourire:cettejeunefemmeplairaitàSocrates,ilendoutaitdemoinsen
moins.—Parlez-moideceJason.Quiest-ce?—Pendantplusieursmois,j’aipartagéunappartementavecunecopine,Melanie,expliquaRosie.Il
étaitsonpetitami.Unsoir,ilaessayédem’embrasser,etMelanieestarrivéejusteàcemoment.Rosielevalesyeuxaucielausouvenirdecettehorriblescène,avantdepoursuivre:
—Furieuse,Mel a prétendu que c’étaitmoi qui avais essayé de séduire Jason et que, dans cesconditions,jedevaisquitterl’appartement.Jesuisalléemecoucher,pensantqu’ellesecalmerait,mais,aupetitmatin,elleestentréedansmachambresansmêmefrapper,m’atraitéedetouslesnomsavantdemeflanquerdehors.
—EtJason?insistaAlexius,ahuridevoirlajeunefemmedévorersonhachispaysancommesiellen’avaitpasmangédepuisunesemaine.
— Mel lui a pardonné tout de suite, du moins j’imagine. Mais ce soir, il m’attendait pourm’annoncerqu’ilavaitrompu.
Rosiebutunegorgéed’eauavantdeconclure:—Celam’estbienégal:jen’airienàfaireaveclui.—Vusoncomportement,onpeutvouscomprendre.Ilsmangèrentquelquesinstantsensilence,puiselledemandaàbrûle-pourpoint:—Vous êtes grec ? J’ai reconnu quelquesmots quand vous parliez avec lemonsieur qui nous a
conduitschezlemédecin.Alexiussetendit.—Parcequevousparlezgrec?—Non,justeassezpourdemandermonchemin,sid’aventurej’allaislà-bas.Et,devantleregardinterrogateurd’Alex,elleprécisa:—Unjour,j’aieuenvied’apprendrecettelangueetmesuisinscriteàdescours.Celademandait
tropdetravail,jen’avaispasletemps.C’estunelangueplusdifficilequ’iln’yparaît.—Pourquoivouliez-vousparlergrec?Rosie ne répondit pas tout de suite. Elle le dévisageait, incapable de détourner les yeux de son
visage parfait : sa barbe commençait à repousser et une ombre foncée soulignait l’angle de sonmaxillaire, le rendant encore plus viril. Décidément, jamais elle n’avait rencontré un homme aussidésirable…
—J’avaisenvied’apprendrecettelangue,expliqua-t-elleenfin,parcequemonpèreétaitgrec.Maisjenel’aijamaisconnu.Ilarompuavecmamèreavantmanaissanceetestmortpeuaprès.
—Etvotremère?—J’avaisseizeansàsondécès.Elleétaitdiabétiqueetrefusaitdesesoigner.Unecrisecardiaque
l’aemportée.Jen’aiplusaucunefamillemaintenant.Rosiemarquauntempsd’arrêt,étonnéequ’Alexsembleluiporterdel’intérêt.—Etvous,vousavezdelafamille?demanda-t-elleàsontour.Ilsecoualatête.—Non.Mesparentsonttrouvélamortdansunaccidentdevoitureilyadixans,etj’étaisenfant
unique.Apartquelquescousinséloignés,jesuisseulaumonde—etnem’enportepasplusmal!—Pourquoi?demandaRosie,surprise.—Lafamilleest souventsourced’ennuis,déclaraAlex, sabellebouchesensuelleébauchantune
mouedésenchantée.Iln’avaitpastort :elle-mêmeavaiteudesrelationsdifficilesavecsamère.Cependant,ellen’en
avaitgardéaucuneamertume,alorsqueletond’Alexlaissaitpenserqueluiavaitvécudesexpériencespéniblesquil’avaientmarqué.
—Peut-être,oui,admit-elle.Néanmoins,unefamilleestaussiparfoisunesourcedejoie,etc’estrassurant. Jem’en suis aperçueavecunedemes famillesd’accueil.De toute façon, j’ai toujours rêvéd’avoirunefamille.
—C’estpourcelaquevousavezvouluapprendrelegrec?— Non. Je ne connais personne en Grèce, mais je m’imaginais que, ayant du sang grec,
j’apprendraislalangueavecplusdefacilité.
Rosieéclataderire.—Ilnem’apasfallulongtempspourcomprendremonerreur!conclut-elleavecunepetitegrimace.Alexius avait l’esprit ailleurs. Il n’arrivait pas à quitter la jeune femme des yeux et essayait de
comprendrecequienellel’attiraitavecautantdeforce.Sonravissantvisage?Sesgrandsyeuxtoujoursunpeutristes,maissiexpressifs?Quandelleriait,elles’illuminait.Etpuiselleétaitsinaturelleaveclui ! Quand elle n’était pas d’accord, comme sur le sujet de la famille, elle n’hésitait pas à le dire.Alexiusn’avaitpasl’habitudedetantdefranchise:lesfemmesleflattaienttoujourset,pourluiplaire,nelecontredisaientjamais.
Danslesilencequis’étaitétabli,Rosieavaituneconscienceaiguëduregardd’Alexposésurelle.Un regardqui la troublait infiniment : elle avait chaud, son cœurbattait tropvite, sous sablouse, sesseinssetendaient,presquedouloureux,tandisqu’unfeuintenseflambaitdanssonbas-ventre.Elledevaitserendreàl’évidence:ledésirs’étaitemparéd’elle.Detoutsoncorpsetdetoutsoncœur,elledésiraitAlexKolovos—quepourtantelleconnaissaitàpeine!
C’étaitdangereux.Trèsdangereux…—Jevaisrentrerchezmoi,déclara-t-ellealors,essayantd’écoutersaraisonquiluihurlaitdefuir.Carelleavaitpeur.Sahantisedetoujourslareprenait:sielledésiraitunhomme,c’estqu’elleavait
héritéducaractèrevolagedesamère.OrJennyGrayn’avaitconnuquedesdésillusions;pourrienaumonde,Rosienevoulaitsuivrelemêmechemin.
Elleseleva;Alexl’imita.Alasortiedurestaurant,ils’engageadanslarueavecelle.—Vouspouvezmelaisser,àprésent:j’habiteàquelquesdizainesdemètresd’ici.Sansrépondre,ilcontinuaàlasuivre.Lorsque,parvenuedevantlaportedesonimmeuble,ellese
retournapour lui dire au revoir, il lui prit lebras.Son regard croisa lesyeuxgris argent et son cœuraussitôts’emballa.Elleavaitdumalàrespirer.
Alors,Alexl’attiraàluiet,inclinantlatête,pritseslèvres.
***
Rosies’immobilisa,éperdue,ettoutaussivitefonditentresesbras.Ledésirfusaitenellecommeunelanguedefeumenaçantdelaconsumertoutentière.Musparleurproprevolonté,sesbrassenouèrentautourducoudel’hommequil’embrassaitavectantdefougue.Unejoieimmensel’envahit.Leursdeuxlanguesdansaientunballet insensé, affolé, si exquisqu’elle en tremblait.Ellevoulait cet hommeplusétroitementencore,plusintimementcontreelle,enelle…
Quand,quelquesinstantsaprès,ellerepritsonsouffle,ellefrémissaitdetoutesachairtandisqu’uneseulepenséel’habitait:resteravecAlex,nepaslequitter.
—Entrezprendreuncafé,s’entendit-elleproposer,d’unevoixqu’ellereconnutàpeine.Etsavieilleterreurlarepritaussitôt:offriruncaféàunhommesignifiaitl’inviteràpasserlanuit,
toutlemondelesavait.Quecherchait-elle?Adevenircommesamère?Saraisonluiavaittoujoursditd’éviter la passion, le désir ; le sexe, surtout.Or que faisait-ellemaintenant avec ce quasi-inconnu ?Quandillalaisserait,elleéprouveraitunsentimentdeperteirréparable.
Etpourtant,l’idéequ’ils’enailleluiétaitintolérable,invivable,inacceptable…Alexius la suivit dans l’immeuble délabré. A peine la porte de l’appartement ouverte, un chien
minusculebonditsurRosie,sautantetjappantdejoie.Ellelepritdanssesbraspourlecaressercommeonlefaitavecunepeluche.Lechiensecalmaaussitôt.
—JevousprésenteBaskerville,déclaraRosieensetournantverslui.Maistoutlemondel’appelleBass.
Acetinstantapparutunefemme,sortantdupetitsalon.—Bonsoir,Martha!
—Ilétaittempsquetureviennes,Rosie!LepauvreBasstournaitenronddevantlaporte,guettantlemoindrebruitdansl’escalier.
RosievitleregarddeMarthaseposersurAlex.Sacolocataireouvritdegrandsyeuxronds.—Oh!tun’espasseule!Danscecas,laisse-moiBass,dit-elleenluiprenantlechiendesbras.Il
metiendracompagnie.Surcesmots,elleseretira.DemeuréeseuleavecAlex,Rosiefutsoudainparalysée.Elleéprouvaitunetensiontellequ’ellene
pouvaitpasleregarder.Etpuiselleavaitpeur…C’estalorsque,brusquement, sanspouvoir s’expliquerpourquoi, elle sut auplusprofondd’elle-
même que c’en était fini de vivre dans la hantise de commettre lesmêmes erreurs que samère. Elles’empêchaitdevivre,alorsqu’ilfallaitallerdel’avant!
—Jevousprépareuncafé?réussit-elleàarticuler.—Non,jen’aipasenviedecafé.C’estvousquejeveux,déclaraAlexius,lavoixunpeurauque.Sansattendre,ill’attiraàluipourl’étreindreavecfougue,toutenprenantsabouche.Rosieluirenditsonbaiser,éperdue,offerte.Ledésirl’embrasaitdenouveauet,enunmouvement
instinctif,ellesecabrapourmieuxsentir l’excitationd’Alexcontresonventre,éprouvantà lafoisuneforcedevieintenseetunefaiblessequilafaisaittrembler.
—Oùesttachambre?chuchotaAlex,abandonnantsaboucheuninstant.Enunultimesursaut,Rosiesedégageapourposersurluiunregardmalassuré.—Jenesuispasainsi,d’habitude,balbutia-t-elle.Je…jen’invitepaslesgarçonsàlamaison.—Avecmoi,cen’estpaspareil,molimou,répliquaAlexavecsonsourireirrésistible.Alors,leprenantparlamain,ellel’entraînadanslecouloir.
3.
Rosies’immobilisa,intimidée,devantlaportedesachambre.Lasoulevantdanssesbras,Alexiuspritdenouveauseslèvres.Jamaisilneselasseraitdecettebouche,surtoutquandellerépondaitàsesbaisersavecautantdefièvre.Ilnevoulaitpasquecesinstantss’arrêtent,voulaitl’embrasserencoreetencore,commes’iln’yavaitpasdelendemain…
Quand elle se dégagea pour reprendre son souffle, il ouvrit la porte et, trouvant l’interrupteur,éclaira lapiècepourdéposer la jeunefemmesur lemodeste litàuneplace.Sansyprêterattention, ilenregistra combien la chambre était pauvrement meublée mais en ordre parfait. Puis son attention sereportavitesurRosie,étenduesur lepetit lit.Elleétait sibelle, sidésirable,avecsesbeauxcheveuxéparpillés sur l’oreiller et ses grands yeux verts, à la fois craintifs et étonnés… Il était temps de ladéshabiller—ilrêvaitdepuissilongtempsdelavoirnue!
QuandAlexentrepritd’ouvrirsablouse,Rosieseredressasuruncoudeetvoulutl’aider.Ilécartasamain.Ellen’insistapas:peut-êtreétait-ceainsiquecelasepassaitentreunhommeetunefemme…Toutàcoupelleeutpeurdesonignorance.
—Jen’aipasbeaucoupd’expérience,aussin’enattendspastropdemoi.—Ceseramerveilleux,jelesais,larassuraAlexius.Tuesunefemmepassionnée,jelelisdanstes
yeux.Parunréflexedetimidité,Rosiefermaaussitôtlespaupières,toutenbalbutiant:—Jenesaispas…—Jetedésiredepuislepremierinstantoùjet’aivue.Rosie n’avait pas oublié cette première fois et l’entendre la lui rappeler la rassura : l’attirance
qu’elleéprouvaitpourluiétaitréciproque.Alexius lui enleva son pantalon. Il contempla tout à loisir ses jambes parfaites. Elle était
merveilleusementbienfaite,proportionnéeàlaperfection.Ceconstatfouettasondésir.Quand il se redressapourdénouersacravate,Rosievoulutencore l’aider.Cette fois, il la laissa
faire.Puiselleglissalesmainssoussavestedecostumepourcaressersontorse.Elleeutl’impressionexquise que la chaleur de ses muscles d’acier la brûlait à travers la fine étoffe de la chemise. Elles’immobilisapourplongerlesyeuxdanslessiens,s’imprégnantavecbonheurdel’intensitépassionnéequ’elleylisait.
Unvertigelasaisit,etsoncœurbattaitsivitequelesouffleluimanquait.Alexpritsonvisageentresesmainspourl’embrasseravecfièvre.Toutàsonémoi,ellen’étaitconscientequedel’hommequiluidonnaittantdeplaisir,oublieusedurestedumonde.Pourtant,quelquesinstantsplustard,ellesefigea,sentantunemainseglissersoussablouseouverte.
Elleavaitdesseinssipetitsqu’ellen’avait jamaiséprouvé lebesoindeporterdesoutien-gorge.Alex allait découvrir qu’elle manquait cruellement de ces rondeurs qui plaisent tant aux hommes.Commentréagirait-il?
Sansmarquer aucune surprise, il posa la paume sur l’un des seins pour en caresser du pouce lapointe dressée. Rosie tressaillit, éprouvant un plaisir si violent qu’elle eut l’impression d’en êtretranspercéedelatêteauxpieds.
AlexiusinterrompituninstantsacaressepourdébarrasserRosiedesablouse.Lasentantsetendre,illaregardaavecattentionavantdedemander:
—Pourquoies-tusinerveuse?—Je…jesuisgênée.Ilsemitàrire.—Pourquoi?J’aimetoncorps,jeveuxlevoir.—Maismoi…Illafittaired’unbaiseravantdesedégagerpourôtersachemise.Quandelle levit torsenu,Rosiecrutdéfaillir :Alexpossédait leplusbeaucorpsdontonpuisse
rêver!Largesépaules,pectorauxmusclés,etcettepeaudorée,parseméed’unduvetdruetnoir!Dans la foulée, il avait enlevé son pantalon ; le regard de Rosie descendit plus bas. Son boxer
moulant dessinait une saisissante érection. Elle déglutit avec difficulté. Ce sexe impressionnant, ceslonguescuisses,ceshanchesétroitesetcespuissantesépaules:Alexétaitl’essencemêmedelavirilité!
Comme,avecunnaturelconfondant,ilsedébarrassaitmaintenantdesonboxer,Rosiedétournalesyeux, prise d’une timidité soudaine.Mais quand il s’allongea auprès d’elle et qu’elle sentit son sexeeffleurersapeau,unevaguedebonheurlasubmergea.Elleallaitenfinconnaîtreceplaisirdont tout lemondeparlait.Elleétaitprêteàfranchirlepas!
Elle frissonna quandAlex l’attira dans ses bras pour l’embrasser, la caresser.Alors la fièvre lareprit, l’embrasant tout entière, et, à demi inconsciente, elle rendit baiser pour baiser, caresse pourcaresse.Sesmainsagissaientdeleurproprechef,ellen’étaitquedésir,ardeur,toutedansl’anticipationduplaisir.
***
AlexiussentaitRosiesiexcitéequ’ildutlutterpoursecontenir.Ilnefallaitpasallertropvite;elleétait si petite, si fragile, il ne voulait pas lui faire mal. Etendue, abandonnée, avec ses grands yeuxétonnésmaisconfiants,elleavait l’airvulnérable, innocente…Ildevait secalmeravantde laprendrelentement,àsonrythme.
Il laissaglissersamaindelongduventreplatet l’immobilisasurletriangleboucléàlajonctiondescuisses.Rosiepoussaunpetitcriétrangléetseraidit.Iljouaalorsquelquesinstantsaveclesbouclessoyeuses,letempsqu’ellesedétende.Ellegémissaitdoucement,àprésent.
Quand il trouva son clitoris, ses gémissements s’accrurent. Rosie se tordait, se cabrait sous sescaresses.
Secontenantdesonmieux,ill’excitaencoreetencore,jusqu’àcequ’ellelâche,dansunhalètementérotiqueendiable:
—Oh!s’ilteplaît!Jet’enprie…Rosieignoraitpourquoiellelesuppliaitainsi;ellesavaitseulementqu’illuienfallaitplus,qu’il
devaitlaremplir,lacombler,sinonellemourrait.—Tuprendslapilule?luidemanda-t-ilalorsdansunsouffle.Elle hocha la tête et, malgré son excitation, bénit le médecin qui, à la suite de maux de ventre
récurrents,laluiavaitprescritepourmieuxrégulersescycles.
N’ytenantplus,Alexiuss’allongeasurelle.Ilglissalesmainssoussesreinsetlasoulevaàdemi,tandisquesonsexedressécherchaitl’entréedesaféminité.
Illapénétralentement,guettantsesréactions.—Tuessiétroite,chuchota-t-il.Ondiraitpresquequ’iln’yaeupersonneavant…Ellevoulutluidirequeoui,qu’ilnesetrompaitpas,qu’ilétaitlepremier,maisaucunsonnesortit
desagorge.Elleétaittropoccupéeparcecequiseproduisaitenelle,ettropemportéeparlessensationsmerveilleuses qui s’épanouissaient dans son ventre. Alex s’enfonçait peu à peu en elle, toujours plusavant,illaremplissait,etsonétroitfourreaus’élargissait,s’adaptaitpourl’accueillir.
Soudain,avecungrondementsauvage,âpre,ilplongeaenelled’uncoupdereins.Ladouleuraiguë,commeilforçaitlafinemembranedesoninnocence,arrachaunpetitcriàRosie.
Ils’immobilisa,tendu.—Jetefaismal?—J’auraisdûteledire,murmura-t-elle,semaudissantd’avoircrié.—Tuesvierge?Il ladévisageait, incrédule.Ellesecontentadehocher la tête,avantd’ajouter,d’unevoixàpeine
audible:—Tun’asrienàtereprocher.Jel’aivoulu.Sansrépondre,Alexiusplongeadenouveauenelle:elleétaitsidouce,sichaude…Ilréfléchiraità
lasituationplustard.Pourl’instant,ilavaittropenvied’elle!Rosie s’abandonna de nouveau : elle avait eu si peur que sonmerveilleux amant ne veuille pas
continuer!Ilallaitetvenaitenelle,àprésent,toujoursplusvite.Sonexcitationrenaissait,plusviolenteencore,ledésirladévastait,ellevoulaitplusdeluienelle,auraitvouluqu’ilentretoutentierdanssonventre…Levantlesjambes,ellelesnouaautourdesesreinspourmieuxl’accueillirencore.
Le plaisir la terrassa avec une violence qui secoua son être tout entier et la laissa anéantie,émerveillée,aucombledubonheur.
Lasentantjouir,Alexiuseutunfrémissementsauvage,avantdes’abandonnerenunorgasmed’uneviolencequ’iln’avaitencorejamaisconnue.
Puis,ilglissasurlecôtépournepasl’écraserdesonpoids.—Çava,molimou?demanda-t-ilaprèsdelonguesminutesdélicieusementlanguides.Tun’aspas
mal?Ilavaitprononcécesmotsavecuneétrangedouceurtoutenl’attirantcontrelui.Pourdissimulersa
gêne, Rosie enfouit le visage au creux de son épaule, heureuse et légère, mais aussi délicieusementépuisée.
—Non.Jenepeuxpasallermieux.Sansrépondre,Alexiusl’attiraplusétroitementcontrelui.Quelquesminutesplustard,ilentendaitsarespirationsefairelente,régulière,etsutqu’elles’était
endormie.Alors,ilglissaunejambehorsdulit,puisl’autre,etseleva.IltiralacouettepourbiencouvrirRosie,s’habillaenvitesseetfilasansbruit.Ilprendraitunedouchechezlui.
***
Rosieseréveillatard.Elledutsehâterpourarriveràl’heureàsoncoursdemaths.Absorbéeparsajournée et les occupations du quotidien, ce ne fut qu’en fin d’après-midi qu’elle put réfléchir aucomportement d’Alex : il était parti en pleine nuit sans lui dire au revoir, nimême lui demander sonnumérodetéléphoneouluilaisserunmot.Parsesamies,ellesavaitqueceschoses-làarrivaientparfois,maislorsqu’elleeutbienintégréqu’elleavaitfaitl’amouravecluiàleurpremièrerencontreoupresque,etqu’ilavaitdisparusanslaisserd’adresse,sonmorals’effondra.Mêmedanslesjournauxféminins,on
disait que coucher le premier soir donnait une mauvaise impression aux hommes, qu’ils vousconsidéraientensuitecommeunefemmefacile.
Evidemment,Alexpensaitpeut-êtrequ’illareverraitlelundisoir,chezSTA.Ellecompritqu’elleessayaitdeserassurer,tantl’idéedenepluslerevoirluiétaitinsupportable.
L’arrivéed’uncoursieravecunénormebouquetdefleurs,endébutdesoirée, lui redonnaespoir.Des fleurs magnifiques, somptueuses, comme Rosie n’en avait vu que dans les vitrines des grandsfleuristes.Ellesétaientaccompagnéesd’unecarteportant lasimple lettreA.Alexn’auraitpas faitunedépense pareille s’il n’avait pas eu l’intention de la revoir, songea-t-elle, rassérénée. Ils se verraientdonclundisoir.Rosietrouvaunvaseetmitlesfleursdanslepetitsalon,prèsdelatélévision,pourquesescolocatairesenprofitentaussi.
Mais le lundi soir, au siègedeSTAIndustries, lebureauquepartageaitAlexétaitdésert.Etait-ilpartienvoyaged’affaires?Peut-être,et,danscecas,inutiledesetourmenter.
Hélas,àmesurequelasemaines’écoulaitetqu’AlexKolovosdemeuraitinvisible,Rosienesavaitplusquepenser.Etsi,toutsimplement,ill’évitait?Cettepenséelamortifia,etpourtant…Ilétaitsansaucun doute un cadre supérieur, haut placé dans la hiérarchie, et il avait couché avec une modesteemployéedenettoyage:peut-êtreenavait-ilhonte?
Levendredi,Vanessaleurannonça,àZoeetàelle,qu’àpartirdelasemainesuivanteellesseraientaffectées àdenouveauxbureaux.STAavait résilié le contratdenettoyagede son siège,mais enavaitsouscritunplusimportantpourunedesesfiliales.
Duranttoutleweek-end,Rosieruminasonamèredéception:elleneverraitplusAlexKolovos.Illui avait envoyé des fleurs pour s’acheter une bonne conscience, sans doute, mais n’avait jamais eul’intentiondelarevoir.
Cet abandon était si douloureux qu’elle devait sans cesse se sermonner pour ne pas éclater ensanglots:elleavaitfaitconfianceàunhommequ’elleconnaissaitàpeine,tantpispourelle!Cettetristeaffaireluiserviraitdeleçonàl’avenir.
DeuxsemainesaprèssonaventureavecAlex,Rosieavaitquelquepeureprisledessus.Cependant,elle commença à s’inquiéter d’un retard dans son cycle, elle qui d’habitude était réglée comme unehorloge.Heureusement,elleprenaitlapiluleetn’avaitdoncaucuneraisondesetracasser.Pourtant,àlafindelatroisièmesemaine,ellesedécidaàconsultersonmédecin,quiluifitaussitôtuneprisedesangetluidonnaunrendez-vousdeuxjoursplustard.Lorsqu’elles’yrendit,elleavaitéchafaudétoutessortesd’hypothèses:carenceenvitamines,dérèglementhormonaldûaustress,etc.
Elles’attendaitàtoutsaufàs’entendredirequ’elleétaitenceinte…
***
—Maisjeprendslapilule,s’exclama-t-elle.Cen’estpaspossible!Lemédecin,unhommetrèscompréhensif,luiposadesquestionsprécises.Ellesesouvintalorsde
cettenuitoù,prisedenausées,elleavaitdûseleverplusieursfois.Unaffreuxpressentimentl’assaillit,etelleexpliqualasituationaumédecin.
—Vousavezsansdouterenduvotrepilulecettenuit-là,luidit-il.Vousauriezdûprendreunautrecontraceptifjusqu’àlafindevotrecycle.
Rosiequittalecabinetconsternée,abasourdie,incapabledecroirecequiluiarrivait.Unbébé!serépétait-elle,avec l’impressionque touts’effondraitautourd’elle.Comments’ensortirait-elleavecunbébé,quandelleavaitdéjàdumalàsubveniràsespropresbesoins?C’était tropinjuste:attendreunenfantparcequ’onavait,unefoisetuneseule,déviédudroitchemin!
Mais elle n’était pas la seule fautive : Alex Kolovos l’était tout autant. Il aurait pu utiliser unpréservatif,aulieudesecontenterdesavoirqu’elleprenaitlapilule!Aussipourquoipoursuivrait-ilsa
vietranquille,sanssavoirqu’ilavaitconçuunenfant,quandsonexistenceàelleseraitbouleverséedefondencomble?
Elle avait prévu d’intégrer l’université à l’automne, sous réserve qu’elle réussisse ses examens,prévusdanstroissemaines.Maiscommentferait-elleavecunbébé?Sanscompterquecepauvrepetit,conçuparhasardetsansêtredésiré,avaitpeudechancesd’êtreheureux…
Non,pluselleréfléchissaitàlasituation,plusilluisemblaitimpensabledenepasmettreAlexaucourant. Nul doute que la nouvelle ne l’enchanterait pas, mais tant pis. Elle estimait ne pas avoir àsupporterseulelesconséquencesd’unmomentd’égarementcommun.
Le lendemain, avant d’avoir eu le temps de se raviser, Rosie se rendit en bus au siège de STAIndustries.Alacharmanteréceptionnistequil’accueillit,elledemandaàvoirAlexKolovos.
—Nousn’avonspersonnedecenom,luirépondit-elle.Etjeconnaistouslesgensquitravaillentici.
Effondrée, Rosie se laissa tomber dans l’un des confortables canapés en cuir du grand halld’accueil.Alexluiavait-ilmentienluidonnantunfauxnom?Danscecaspourquoi?Parcequ’ilétaitmarié?Quellehorreur!Cettesimplehypothèseluidonnaitlanausée.Ellesesouvintdelaphoto,danslebureau qu’il occupait lors de leur première rencontre. Il lui avait dit que c’était la famille de soncollègue.Ellel’avaitcru,maispeut-êtreluiavait-ilmentiàcesujetégalement?…
Levantlatête,Rosies’aperçutalorsquelaréceptionnisteparlaitautéléphoneenlaregardantavecattention.Etait-ellelesujetdelaconversationoubiendevenait-elleparanoïaque?
Non:aprèsavoirraccroché,lajeunefemmeselevapours’approcherd’elle.—J’aitrouvéquelqu’unquisaitpeut-êtrequivouscherchez.Rosie reprit un peu d’espoir. Quelques minutes plus tard, un homme en costume déboucha d’un
ascenseuretvintverselle.—MlleGray?Rosielevavivement.—Sivousvoulezbienmesuivre,mademoiselle,M.euh…Alexvousattend.Elle ne se le fit pas dire deux fois, et suivit l’homme dans une partie des bureaux qu’elle ne
connaissaitpas.Là, au fondd’uncouloir, se trouvaitunegrosseporte àdoublesbattantsque l’hommeouvritavantd’annonceravecdéférence:
—MlleGray,monsieur.Rosiepénétradansunvastebureauaux largesbaiesvitrées,meubléavecun luxe inouï.Derrière
l’imposantetabledetravailsetenait,debout,unindividutrèsgrand,aveccebeauvisagedontelleavaitrêvépresquetouteslesnuitsdepuisplusdetroissemaines.
Laporteserefermaderrièreelleet,dansunsilencegêné,tousdeuxseregardèrentdelongsinstants.—Alex,chuchotaRosie,incrédule.Ilavançad’unpasdanssadirection.— Je m’appelle Alexius Kolovos Stavroulakis, déclara-t-il, avec cette pointe d’accent qui lui
plaisait.Pourresterdiscret,j’avaisabrégémonnom.Heureusementpourtoi,Tito,undemesgardesducorps,setrouvaitnonloindelaréceptionquandtuasparléaveclasecrétairedel’accueil.
«Stavroulakis»?C’était leSdeSTA,Rosiel’avait luquelquepartsansyprêterattention.Alexn’étaitdoncpasunemployé,maislepatrondeceténormeconglomérat—parconséquentunhommericheetpuissant.Ill’avaitdélibérémenttrompéesursonidentité!Lechocétaitterrible,siterriblequetoutsemitàtournerautourd’elle.
—Stavroulakis ? balbutia-t-elle, comme si son esprit refusait de comprendre.Mais… qu’est-cequ’unhommecommevousatrouvéàunefillecommemoi?
Elleétaitblanchecommeun linge, sesgrandsyeuxécarquillésd’effroi.Alexius lavitvacilleretbondit. Pas assez vite pour la rattraper toutefois : elle s’effondra mollement sur le sol avec un petit
gémissement.Ilsepenchapourlasouleverdanssesbras.PourquoiRosies’était-ellemiseàsarechercheaubout
detroissemaines?Ilnevoyaitqu’uneseuleraison.Ets’ilnesetrompaitpas,c’étaitbiencequipouvaitluiarriverdepire.
4.
Alexius avait étenduRosie encore évanouie sur le canapéendaim.Elle était simenue, si petite,qu’on l’aurait prise pour une adolescente. Et ses vêtements ordinaires, sans la moindre recherche,accentuaientencorecetteimpressionjuvénile:jeanpropremaisusé,chandailrayéetdeschaussuresdetoileplatesquiavaientvudesjoursmeilleurs!Cettepauvrefillen’étaitdécidémentpasdesonmonde!Dansquelpétrins’était-ilfourréencouchantavecelle?Ilavaitdûperdrelatête!
Ellerevenaitàelle,àprésentet,guettantsursonvisagedessignesdeconscience,ilfutdenouveaufrappédelatrouversijolie.Unnezparfait,dehautespommettesquireprenaientcouleur,etcettebouchemerveilleuse,pulpeuse,sensuelleàrendrefou.C’étaitcettebouchequil’avaitséduitenpremierlieu…etle reste ne l’avait pas déçu ! Car s’il avait été inconscient de lui faire l’amour, il en conservait unsouvenir qui l’excitait encore ! D’ailleurs, il rêvait d’elle à peu près toutes les nuits depuis troissemaines, se réveillant furieux contre lui-même, contraint d’aller prendre une douche froide pour secalmer.
Unautresouvenirne lequittaitpas : l’expressiondeRosie,après l’orgasme.Elle l’avait regardéavec émerveillement, confiance, et,même s’il ne comprenait pas pourquoi ni comment, il en avait ététouché. Bouleversé,même ! Une première pour lui qui, avec les femmes, n’éprouvait que du plaisir,jamaisd’émotion.
Rosiebattitdespaupièrespuis,dèsqu’elleleput,promenalesyeuxautourd’elle.Alexétaitassisdansun fauteuilàcôtéducanapé ;pardegrandes fenêtres, la lumièreentrait enabondancedanscettepiècequ’ellen’avaitjamaisvue.Oùsetrouvait-elle?Ellevoulutseredresser,maisunvertigelasaisitdenouveauetelledutfermerlesyeux.
—Oùsommes-nous?demanda-t-elled’unevoixlasse.—Chezmoi.J’habiteau-dessusdemonbureauetjet’aitransportéeicipourquenousparlionssans
êtredérangés.Son ton détaché, clinique, presque professionnel, choqua Rosie. Comment pouvait-il se montrer
aussiindifférent,comptetenudescirconstances?Ellesesouvintalorsqu’elleneluiavaitencoreparléderienetl’angoissel’étreignit.
—Tum’asmentiennemedisantpasquituétais,murmura-t-ellepourgagnerdutemps.—Non,sedéfenditAlexius,j’aiseulementomisdetedonnermonnomtoutentier.—Tusaistrèsbiencequejeveuxdire!Elleréussitàseredresser;ledécorautourd’elleoccupaalorssonattentionquelquesinstants.Elle
n’enrevenaitpas:toutétaitsibeau!Mobiliermoderne,sobre,degrandluxe;somptueuxtableauxauxmurs;beauxtapissurunparquetmagnifique.Ellesetrouvaitdansunmondederiches,pasdanslesien.Maisl’importantn’étaitpaslàet,s’obligeantàseconcentrersurcequ’elleavaitàdire,ellereprit:
—J’aimeraissavoiràqueljeutuasjouéavecmoi.—Cen’étaitpasunjeu.Tongrand-père…—Jen’enaipas,lecoupa-t-elle,ettulesais!Pourquoimementirencore?—Jetedislavérité:tuasungrand-pèrequivitenGrèce.Ils’appelleSocratesSeferides.C’estle
pèredetonpère.—Mamèrem’atoujoursditquemonpèren’avaitpasdefamille,s’obstinalajeunefemme.—Elleconnaissaitpourtantl’existencedeSocrates;ellel’amêmesollicitépourqu’illuienvoiede
l’argentquandtonpèrel’aabandonnéeenceinte.Ill’afaitpendantdesannéesRosieavaitpâli.—Jenel’aijamaissu,murmura-t-elle.— Je te crois. Je sais que tu as grandi dans des familles d’accueil ; pourtant, ton grand-père
envoyaitrégulièrementàtamèredequoiassurertasécuritéettonconfort.Stupéfaite,Rosiedemeuramuettecommeluirevenaientcertainssouvenirs:desphotosdesamère
surdesplagesexotiquesetensoleilléesqui,à l’époqueavaientenflamméson imaginationd’enfant.Ouencore Jenny allant voir sa fille dans sa famille d’accueil, habillée commeune princesse : robes trèsélégantes,chaussuresà talonsvertigineux,bijoux…CommeRosie la trouvaitbelle,alors !Et lapetitefillequ’elleétaitn’avaitjamaischerchéàcomprendrecommentsamèrepouvaitsepayerdesvoyagesoudebeauxvêtements.Alalumièredesrévélationsd’Alex,toutdevenaitlimpide:samèreutilisaitl’argentqu’envoyaitSocratesSeferidesàdes fins toutespersonnelles.Onpouvaitalorscomprendrequ’elleaitcachéàsafillel’existencedecegrand-père…
—Dis-moi,demanda-t-elle,traverséeparuneinterrogationsubite,commentes-tuaucourantdecegrand-pèreetdecequ’ilditavoirfaitpourmoi?
—Socratesestmonparrain,etuntrèsvieilamiaussi.Ilm’ademandéd’entrerencontactavectoietd’essayerdeteconnaîtrepourluidonnermonavissurtoi.
Rosieécarquilladegrandsyeuxincrédules.—Pourquoi,grandsdieux?— Parce qu’il aimerait que tu ailles faire sa connaissance enGrèce.Mais avant de t’inviter, il
voulaitsavoirsi tuétaisquelqu’undebien.Je l’aidéjà informéqu’ilpouvait t’accueillirsanscrainte,quetuétaisunejeunefemmedontilpouvaitêtrefier.
—Voilàpourquoituasvouluengagerlaconversationquandjefaisaisleménagedanslesbureaux,soufflalentementRosie.Etc’estaussipourcelaquetuasmisJasonenfuite.Tujouaislacomédie.Tunet’esjamaisintéresséàmoi,tuétaisenservicecommandé!
Elleétaiteffondrée,humiliée,mortifiée.Quellebécasseelleavaitété,sinaïveetcrédule!Ellemitdelonguessecondesàdigérer.
—Quandtum’asfait l’amour,demanda-t-elleenfind’unevoixmorne,celafaisaitaussipartiedetonplanpourmeconnaître?
—Biensûrquenon!s’écriaAlex.J’aiprofitédetacandeur,etj’aieutort!
***
Rosieavait les larmesauxyeuxtantsoncœurluifaisaitmal.Elleétaitblesséeà lafoisdanssessentimentsetdanssonamour-propre.Ilavaitprofitédesacandeur…Quelledéception!Commelavieétaithorrible,parfois.Direquecethommeluiavaitdonnétantdebonheur,etelle,idiote,quiavaitcruqu’il s’intéressait à elle…Ellen’avait étéqu’un simplemoyende remplir l’objectifqu’il s’était fixé.Quoideplushumiliant?
Danssadétresse,undétailluirevint,quiprenaitàprésenttoutesonimportance.
—Cesbilletsdebanquequitraînaientsurlamoquettedubureau,unsoir, tulesavaisfait tomberexprès?C’étaitpourvérifierquejen’étaispasunevoleuse?
—Ton grand-pèrem’avait demandé dem’assurer de ton honnêteté, se défendit Alexius. Je n’aijamaiseul’intentiondeterabaisserdequelquemanièrequecesoit,Rosie,jetelepromets.Jevoulaisseulementrendreserviceàunamitrèscher.Veux-tuquejeteparledelui,puisquec’esttongrand-père?
LevisagedeRosieseferma.Sisesbeauxyeuxavaientputuer,ilauraitdéjàétéréduitencendressurletapisdepuisbellelurette.
—Jeneveuxriensavoirdelui!C’estunhommequiapréférédemanderàquelqu’undemejugerplutôtquedefairel’effortdemeconnaître.Jenetrouvepasçacorrect!
Alexiusfronçalessourcils.Ilnes’étaitpasattenduàuneréactionpareille.Ilessayadesemontrerconciliant:
—Ne jugepassanssavoir,Rosie.Tongrand-pèreaété trèsmalade,etpeut-êtrecomprendras-tumieuxsadémarchesitulerencontres.
—Iln’enestpasquestion! rétorquala jeunefemme.Mavieestdéjàassezcompliquéesansquej’ailleenGrècefairelaconnaissanced’unvieilhommequiveutmevoirseulementparcequ’onluiaditquej’étaisunebravefille.
—TureportessurSocratesl’acrimoniequetuascontremoiparcequejet’aidupée.Cen’estpaséquitable.Jesuisprêtàteconduireauprèsdelui.Nerefusepas:ceseraitstupideettuleregretterais.
AlexavaitprononcécettedernièrephraseavecuneduretéquidéplutàRosie.Elleselevaetgagnala fenêtre :onydécouvraitunesaisissantevuepanoramiquede laville.Commec’étaitbeau !Ellesegorgeaquelquesinstantsdupaysage,puisseretourna.Sonamantd’unsoiravaitbraquésesmagnifiquesyeuxgrissurelle;ilsbrillaientd’unéclattumultueux,commeuncieljusteavantl’orage.
—Situesencolèrecontremoiparcequejerefused’allerenGrèce,tunemanquespasdetoupet!lança-t-elled’untonâpre.
—Cen’estpascontretoiquejesuisirrité,maiscontremoi,quiaitoutgâché,aupointquetuenveuxdésormaisàtongrand-père.Lepauvrehommen’apasméritéça!
Rosieréfléchitquelquesinstants.—Non, je ne lui en veux pas, finit-elle par admettre. Je suis sûre que c’est un vieuxmonsieur
charmant,maisjen’aipasenviedeleconnaître.Et,surtout,jeneveuxpasallerlà-basavectoi.Niouquecesoit,d’ailleurs!Enparticuliermaintenantquejesaisquitues.
—Qu’ai-jedesirepoussant?voulutironiserAlexius.Elle lui tournait ledosàprésent,et il luttaitpournepas regarder ses fesses ravissantesmoulées
danssonvieuxjean. Iladoraitcecorpspresquejuvénile,qui luiavaitdonnétantdeplaisirau lit…Acettepensée,ilsentitledésirnaîtreaucreuxdesesreinsetdutsefaireviolencepoursemaîtriser.
—Tun’asrienderepoussant,maisnousn’avonsrienencommun,réponditRosiesanssetroubler.D’ungesteample,elleindiqualapièceautourd’elle.—Tuestrèsriche,reprit-elle.Tuasreçuunebonneéducation,faitdelonguesétudes;moi,jen’ai
niargentniéducationetjemebatspourentreràl’universitél’annéeprochaine.Mais,plusgrave,jenepeuxplustefaireconfianceparcequetum’asdéjàmenti.
Labellebouchesensuelled’Alexiusébauchal’ombred’unsourire.—Sicelapeut te rassurer, je teprometsdene tediredésormaisque lavérité,mêmes’il arrive
qu’elletedéplaise.—Jepréfèrecela.Alorsréponds-moientoutefranchise:es-tuvraimenttrèsriche?Alexiussecontentadehocherlatête.Mais,voyantlaminedeRosies’allonger,peinaàdissimuler
sonimpatience.—Jesuisriche,eneffet,expliqua-t-il.Parcequej’aihéritédemesparents,quiétaientissustousles
deuxdefamillestrèsfortunées.Celam’apermisderéussirenaffaires.
Rosie ne se pardonnerait jamais d’avoir été aussi stupide. Quelle pauvre idiote ! Dire qu’ellel’avaitprispourunemployé!Cadrepeut-être,maisemployétoutdemême.Commentavait-ellepunepasremarquer la luxueuse montre en or à son poignet, les chemises blanches immaculées, les costumescoupésàlaperfectiondontilchangeaittouslesjours?Fallait-ilqu’elleaitétéaveugle…ouaveugléeparlaséductionqu’ilexerçaitsurelle!
— Pourquoi es-tu venue me revoir aujourd’hui, Rosie ? demanda-t-il soudain, la tirant de sespenséesamères.
Ellesetournapourleregarderdroitdanslesyeux,lecœurserré.Lemomentétaitvenud’avouerlavérité.
—Parcequejesuisenceinte,déclara-t-ellesansche