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LA CHAMBRE DE SARTRE, OU LA FOLIE DE VOLTAIRE
Jean-Franois Louette
Le Seuil | Potique
2008/1 - n 153pages 41 61
ISSN 1245-1274
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http://www.cairn.info/revue-poetique-2008-1-page-41.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Pour citer cet article
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Louette Jean-Franois, La chambre de Sartre, ou la folie de
Voltaire , Potique, 2008/1 n 153, p. 41-61. DOI :
10.3917/poeti.153.0041--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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Jean-Franois LouetteLa chambre de Sartre,
ou la folie de Voltaire
Ebauche en 1935 ou 1936, termine au printemps 1937, la nouvelle
Lachambre parut dans la revue Mesures en janvier 1938, puis dans le
recueil Le Muren 1939. Soixante-dix ans plus tard, et venant aprs
des lecteurs attentifs et inspi-rs1, peut-on encore dire du neuf
sur ce texte ? Ce sera ici ma modeste prtention.
Lamateur de Sartre a appris rcemment que les nouvelles du Mur
nont pas ttrs bien accueillies par la famille de lauteur : son
beau-pre, Joseph Mancy, aprsavoir lu Lenfance dun chef , est outr,
et lui renvoie le livre ; quant sa mre,elle semble adopter le mme
point de vue, dans une lettre son fils, quelle gour-mande malgr ses
trente-trois ans : Je ne porte pas de jugement [sur Lenfancedun
chef ?] car je nai lu que Le mur et La chambre ; mais pourquoi
cris-tudes choses si inconvenantes ? [] Au revoir mon petit enfant,
tche de retrouverun peu de puret2. La chambre , en effet, fidle son
titre, parle de chosessexuelles. Une manire de la rsumer consiste y
voir lhistoire de deux couples :Mme Darbdat reoit dans sa chambre
son poux, quelle ne supporte plus gure,et qui, comme elle, sinquite
des relations de leur fille Eve avec son mari Pierre,malade quils
jugent atteint de folie, mais qui tiendrait sa femme par les
sens.M. Darbdat, rendant visite sa fille et son gendre, prend Eve
part pour tenter sans succs de la convaincre de faire interner son
mari. Dans la seconde sectionde la nouvelle, Eve pntre dans la
chambre de Pierre : tmoin de son dlire (desvisions et des
hallucinations auditives contre quoi il veut se dfendre avec son
ziuthre ), elle souhaite franchir le mur qui les spare en vain ;
aussi finit-elle parse jurer de tuer son mari avant que sa dmence
ne tourne lidiotie.
Pourtant, plus profondment, si La chambre a choqu Anne-Marie
ex-Sartredevenue Mancy, ne serait-ce point parce quelle y aurait
devin une transpositionet une mditation, dans la fiction, de la
situation familiale qua connue son fils ?Tel sera le problme auquel
jaboutirai. Il faudra alors se souvenir quAnne-Marieen 1939 tait dj
dans la position (quant au savoir possible sur la vie de Sartre)que
le lecteur natteindra au mieux quen 1963, aprs avoir lu et mdit
LesMots. Mais avant den arriver l, je voudrais proposer trois
lectures de La cham-bre . La premire, philosophique, aboutira la
notion dirralisable. La deuximerassemblera, sous le concept
damalgame, une thse psychopathologique reue deJaspers et la
pratique sartrienne de lintertextualit. La troisime enfin,
littraire, se
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centrera autour de la figure de Voltaire, que Pierre dessine,
sur un morceau de carton, rieuse avec des yeux plisss (p. 2553)
Voltaire au cur dun trangeprocessus de lapsus de glissement
gnralis.
Du mensonge lirralisable
La nouvelle a sembl ses meilleurs lecteurs traiter de faon
ambigu un exem-plum, un cas moral, qui se rsumerait dans une
question la fois trs simple et trsdifficile : peut-on comprendre la
folie ? Or, texte et paratexte suggrent deuxrponses contradictoires
: la folie apparat la fois incomprhensible et compr-hensible.
Incomprhensible, dans la mesure o, selon le texte mme de la
nouvelle,la folie ne se laisse saisir (G. Idt la montr) ni par le
positivisme ni par ce que jenommerais le potisme. Le positivisme la
folie est une maladie, plus ou moinshrditaire, et il faut enfermer
les fous entre eux se trouve dfendu par M. Dar-bdat, le beau-pre du
fou, et par le docteur Franchot. Le premier de ces person-nages est
disqualifi par divers ridicules, dont son rationalisme agressif et
born, le second par son patronyme (Franchot, franc sot), et travers
eux cest donc lalongue tradition du positivisme mdical qui est
conteste. Quant au potisme,cest la position dEve : refus de
linternement, la folie comme gnie. Rappelonsquen 1928 Breton voit
en Nadja un gnie libre4 . Ce potisme tait peu prscelui de Beauvoir
: Jaccordais une dignit mtaphysique la folie. Jy voyais unrefus et
un dpassement de la nature humaine , note Simone propos de
laffaireLouise Pierron une de ses collgues de lyce5. Naturellement,
on trouvera le po-tisme plus tentant que le positivisme. Mais il
mne lchec : Eve souffre dedemeurer trangre au monde de Pierre, elle
ne parvient aucunement entrer dansson dlire. De plus, de faon
gnrale, les positions surralistes sont critiques,dans Le Mur ; dans
La chambre est mentionn un sieur Bretonnel (p. 241),assez peu
potique, puisquil achte des hypothques la tante dEve, et quil
sestretir des affaires : le surralisme a fait son temps ?
Dailleurs, lorsquon lit le Prire dinsrer du recueil Le Mur, rdig
par Sartre,coup de thtre : Les fous, crit-il, sont des menteurs.
Mme si Eve a des doutestouchant Pierre, elle naurait certes pas t
ce point affirmative. La folie devien-drait ainsi comprhensible :
une simple espce du genre mensonge. Telle tait dj la courte ide du
docteur Franchot : tous les alins sont des menteurs (p. 256).Or
Franchot est aussi le Franais : travers lui, et en venant
soudainement ausecours de ses personnages les plus antipathiques,
cest donc au rationalisme cart-sien (et sa franchise ?) que Sartre
semble accorder son suffrage.
On aurait cependant tort de penser que le Prire dinsrer tranche
une hsita-tion. Il la complique plutt. On considrera ici dun il
critique la thse qui prtend dfinir la nouvelle par le monologisme6.
Dans La chambre en effet necessent de saffronter trois voix sur la
folie, et tout est fait pour quentre positi-visme, potisme (soutenu
par la sympathique et aimante Eve) et simulation le
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lecteur ne puisse dcider. Dautre part, cette hsitation na de
force que pourautant quelle sinscrit dans le personnage du fou
lui-mme. Ce qui lexprime alors,cest le thme de la farce, elle-mme
indcidable . Il se peut en effet (mais cenest pas sr) que Pierre
soit en train de jouer une farce gniale aux bourgeoisimbus desprit
de srieux, tel son beau-pre7. Le sourire de Pierre, son ironie ,son
air rjoui (p. 251-252) autant dindices, nots par Eve, qui vont en
cesens. Mais la farce cote si cher Pierre, elle semble susciter en
lui tant dangoisse,quon se demande si cen est vraiment une, et sil
lui est loisible de ne pas la jouer.Auquel cas il serait vraiment
malade ? On tourne en rond, comme le veut Sartre.
Pour achever ce rappel des lectures les mieux argumentes de la
nouvelle, disonsquau jeu problmatique de Pierre il y a trois enjeux
philosophiques forts. Pierresabrite derrire des formules magiques :
Hoffka paffka suffka (p. 252). Il sagi-rait pour lui de nier cette
absurdit [romance dans La Nause] au nom dun univers suprieur quil
se construira volontairement, coups darbitraire et de tricherie8 ;
plutt magicien et joueur mythomane que pris par labsurde
contin-gence. Ce qui justifierait le choix, pour la composition du
recueil, de la successionLe mur (exprience de labsurdit) La chambre
(dfense par la folie).
Le deuxime enjeu touche un point crucial de linterrogation
philosophique de Sartre : sil y a des fous authentiques, des fous
malgr eux, alors il y a desconsciences radicalement prives de
libert. Le pril est si grand quon conoit bien que Sartre ait t tent
par la solution rsume dans son Prire dinsrer :tous les fous sont
des simulateurs. Aprs tout, elle correspondait son
expriencepersonnelle : en fvrier 1935, dans le cadre de ses
recherches sur limaginaire,stant fait piquer la mescaline, un
hallucinogne, par son ami Lagache, devenumdecin psychiatre
Sainte-Anne, Sartre eut deffrayantes visions, en vint penserquil
commencait une psychose hallucinatoire chronique , se fit reprocher
parBeauvoir de produire ses terreurs et ses erreurs par une espce
de mauvaisevolont complaisante puis, lt 1935 venu, dit abruptement
quil en avaitassez dtre fou9 . Ainsi la folie relverait de la
dcision, leon que le fou phmrersumait ainsi : on est fou que si on
le veut bien10 . La maladie mentale commeexpression dun choix
existentiel : cest toute la question de la sincrit de Pierre.Son
prnom indique assez dans quel sens il a dcid, en croire un passage
de lEsquisse dune thorie des motions : exister, cest toujours
assumer son tre, cest--dire en tre responsable au lieu de le
recevoir du dehors comme le fait unepierre11 . Un homme nest jamais
une pierre, mais la folie serait fuite choisie danslirresponsabilit
de ltre-pierre. Lide peut paratre trs rude, mais peu
importeici.
Le troisime enjeu philosophique, on le devine, se nomme mauvaise
foi : cettenotion se dessine dj fugacement dans lEsquisse dune
thorie des motions, avantdtre thorise dans LEtre et le Nant. Le
choix de Pierre (faire le fou), si choix il y a, ne se pose jamais
pour lui comme tel ; il est vcu dans lopacit. Mais les troisautres
personnages de la nouvelle voluent eux aussi dans la mauvaise
foi12. Parexemple, cette notion est indispensable pour comprendre
toute la conversation,au dbut du texte, entre Mme Darbdat et son
mari, au sujet de leur fille et de leurgendre : Si deux
interlocuteurs se persuadent mutuellement quils dominent les
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vnements et les gens sur lesquels ils changent des confidences,
sous prtexte depratiquer la sincrit, ils se dupent13.
La chambre est ainsi une fiction (une nouvelle) sur une fiction
hypothtique(la folie, si elle est simulation). Elle se dploie dans
la possibilit du mensonge. Decette donne premire Sartre a tir avec
rigueur une consquence dordre littraire :si la folie est (peut-tre)
mensonge, alors elle suppose aussi un thtre. Cest l lethme central
du Henri IV de Pirandello, mont en 1925 Paris, que Sartre avaitvu
alors, et dont il se souviendra pour Les Squestrs dAltona ; mais
dans Lachambre , cest Phdre qui est mentionn. Eve, qui son
maquillage donne unmasque de tragdienne (p. 244), vit une folle
passion pour un fou qui semblefuir la sexualit tel le pur
Hippolyte. Songeant Phdre, mais aussi aux romansdialogus de Gyp,
que lit Mme Darbdat, Sartre organise sa nouvelle selon unmodle
thtral. Par-del une division en deux parties, le texte se compose
en fonc-tion des entres et sorties des personnages ; il propose une
alternance de mono-logues intrieurs et de dialogues ; on attend
lapparition du fou, tout comme cellede Tartuffe. Un tel modle
thtral permet donc dexprimer le problme du statutde la folie
(nest-elle quun thtre intime ?). Mais de plus il autorise deux
bn-fices. Dune part Sartre en use pour se conformer une loi du
genre, telle quilavait pu la lire formule par Thibaudet, dans lune
de ses chroniques de la NRF, du 1er novembre 1922 : dans la
nouvelle la composition, qui est tout, procde parconcentration, si
bien que la nouvelle se trouve dans la mme situation que lethtre,
savoir celle des arts auxquels le temps est mesur, do la
ncessitdutiliser un minimum de temps pour un maximum deffet14 .
Dautre part, lemodle thtral implique leffacement du narrateur ;
ainsi il soppose la nouvelleencadre la Maupassant, que Sartre juge
trop rationnelle, avec son narrateurprofessionnel de lexprience ,
si bien que laventure est un bref dsordre quisest annul15 . Le long
dsordre quest la folie demeure comme tel, dans Lachambre , et
notamment, je le rpte, parce que nest pas tranch le dbat entrefolie
comme maladie subie, et folie comme libert saffectant de mauvaise
foi.
Je me propose maintenant de complter cette lecture
traditionnelle par uneautre, qui sappuiera sur le concept
dirralisable. Le modle thtral rpond lide que la folie est mensonge.
Mais il indique aussi que la folie est inaccessible.Nous sommes
spars de la folie comme Eve lest de Pierre, et aussi comme la
sallelest de la scne, par une distance infranchissable16. La folie
nous est un irralisable.Ce concept, Sartre ne le dgage quen fvrier
1940, dans le onzime des Carnets de la drle de guerre, et je me
risque donc une lecture anachronique, ou par laval,de La chambre
.
Lirralisable, Sartre semble le dcouvrir en lisant le manuscrit
du roman deBeauvoir, LInvite. Un personnage, Elizabeth, sy plaint d
tre entoure dobjetsdont elle voudrait jouir et quelle ne peut pas
raliser , objets existants quenous pouvons penser de loin et dcrire
mais jamais voir , objets qui nous concer-nent, qui sont porte de
notre main et qui nous chappent pourtant. Telle est du moins la
manire dont Sartre prsente, dans le carnet XI, ce quil a
compris17.LInvite ne sera publi quen 1943. Jen extrais les deux
passages qui anticipent lemieux sur la notion dirralisable.
Elizabeth pntre dans la chambre de Franoise :
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[] ctait impossible dapprivoiser cette chambre ; avec une
vidence irrmdia-ble, elle apparaissait comme une chambre trangre.
Puis, beaucoup plus loindans le roman, alors quElizabeth se prpare
recevoir : Ce souper, ce ntaitquune imitation de souper, dans une
imitation de studio chic. Et elle ntaitquune vivante parodie de la
femme quelle prtendait tre. [] elle savait quenulle part, jamais,
elle natteindrait le modle authentique dont son prsent ntaitquune
copie [] elle changeait tout ce quelle touchait en carton-pte18.
Lais-sons de ct ce platonisme douloureux. Importe ici, tout dabord,
lenchanementdes textes dans le dialogue entre Sartre et Beauvoir.
Car cest, sans doute, en sesouvenant des sentiments dEve lgard de
la chambre de Pierre que Beauvoirdcrit ceux dElizabeth sur le point
dentrer dans la chambre de Franoise. Maisrciproquement, cest grce
la lecture du roman de Beauvoir que Sartre va dansson carnet
reformuler, sur un mode thorique, ce quil avait dcrit dans sa
nou-velle. En philosophe, il invente alors le mot et le concept, le
mot qui fait concept :irralisable. Et dans LEtre et le Nant19, il
reprendra la distinction entre limagi-naire (existant non rel) et
lirralisable (existant rel mais que je ne puis raliser).
Dans le onzime des Carnets, on voit Sartre chercher laborer le
concept et sa dfinition, travers trois exemples qui dterminent mon
sens deux versants de lirralisable. Dabord son versant immdiat ou
ontologique. Ainsi des espoirsde ma jeunesse : Tout ce que je
voulais dans ma jeunesse, note Sartre (toujoursdans la mme page),
je lai eu mais pas de la manire dont je lai voulu. Mesgrandes
esprances ont t la fois satisfaites et trompes. Mme ralises
ellesdemeurent irralisables. Pourquoi ? Parce quon ne peut vraiment
vivre le rapportde ce quon a t avec ce quon est . Du moi jeune au
moi adulte, il y aurait dis-continuit radicale ; le premier, avec
ses espoirs, est devenu un irralisable pour lesecond. Je peux me
reprsenter ce moi jeune, mais rien de plus : Les
irralisablespeuvent toujours tre reprsents mais ils ne peuvent tre
jouis20. Il mest certespossible de mesurer la ralisation de mes
espoirs, mais ce ne sont plus les espoirs-de-ma-jeunesse : celle-ci
est reste irrmdiablement en arrire, et avec elle la qualit juvnile
de ses espoirs. (Et cest ce qui fonde, et dit Flaubert, nos
plusgrandes dceptions.) Je dlaisse le deuxime exemple dirralisable
ontologique, savoir la question de savoir si je puis tre-dans
Paris21 . Et jen viens au secondversant ou aspect de lirralisable :
lirralisable mdi, cest--dire racont. Soldat,Sartre a vcu une
permission heureuse. Mais seul le rcit de cette permission
pour-rait la rendre prcieuse , en prsentant ces dix jours comme
contracts, resserrsde telle sorte que leur fin touche leur
commencement , bref comme une formepleine et ronde . Ce quil y a de
prcieux dans cette permission est un irralisable,qui ne peut pas
faire lobjet dune jouissance au prsent, cest--dire un existantdont
la nature est de napparatre quau pass travers le rcit quon en fait
. (Demme de la jeunesse ?) Ainsi, ajoute Sartre, si javais souci
dcrire une nouvelleintitule La Permission, je pourrais la composer,
cette permission, comme elleaurait d tre, avec sa nature pathtique
et prcieuse. Je pourrais faire en sorte quele lecteur la ralise
comme une mlodie coulant implacablement vers sa fin22 . Onvoit qu
un thme cher Brice Parain, et que dailleurs Sartre voque dans
larticlequen 1944 il lui consacre23, celui du silence du
permissionnaire ou du dmobilis,
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soppose ici la nouvelle que rdigerait le permissionnaire. Que
Sartre songe unenouvelle incite naturellement se demander si la
notion dirralisable ne savrepas rtrospectivement pertinente pour
les nouvelles du Mur (elles-mmes path-tiques et prcieuses). Or il
me semble que cest le cas, tant sur le plan thmatique,que sur celui
de la technique narrative.
Sur le plan thmatique, dans la nouvelle qui donne son titre au
recueil Le Mur,la mort est un irralisable ontologique. Rien nest
plus proche pour les rpubli-cains condamns tre fusills laube par
les franquistes et pourtant, se ditPablo, je ne ralisais pas encore
tout fait ; de mme, lhrosme apparatcomme un irralisable ontologique
: ce prisonnier obstin faire le hros questPablo veut mourir dans
une farce-dfi, mais il naboutit qu passer pour tratre24.Dans La
chambre , la folie dautrui est un irralisable ontologique : de mme
queje ne puis, g, tre-dans-les-espoirs-de-ma jeunesse, ou bien,
Parisien, tre-dans-Paris, de mme je (Eve) ne puis tre-dans-la-folie
de mon mari ; ni pleinementdans sa chambre. Je ne peux pas devenir
folle , pense Eve (p. 254) : jamais la foliede Pierre ne pourra tre
une modification essentielle de ltre dEve, mme si cestce quelle
veut ; jamais elle ne sera initie son monde. Aussi bien, Pierre est
dcritde lextrieur (aucune focalisation interne sur lui), sa
subjectivit chappe.
Sur le plan de la technique narrative, et pour compenser cette
double impossibi-lit saisir la mort ou la folie, Sartre a-t-il
souci de crer une forme pleine etronde ? De donner limpression dune
mlodie coulant implacablement vers safin ? Oui, puisque dans Le mur
, entre la premire et la dernire phrase, un mot( yeux ) assure
leffet de bouclage, avec le mme effet de passivit pour le sujet :
mes yeux se mirent cligner les larmes me vinrent aux yeux .
Passivitemblmatique puisque dans cette nouvelle le sujet (Pablo)
narrive pas jouirdune libert qui soit matrise, ou matriser assez
ses yeux pour voir la mort enface. Dans La chambre , le mot de
lvres figure la fois au dbut, dans la deuxime phrase ( Mme Darbdat
tenait un rahat-loukoum entre ses doigts.Elle lapprocha de ses
lvres avec prcaution), et la fin, dans la dernire phrase(Eve se
pencha sur la main de Pierre et y posa ses lvres : Je te tuerai
avant ). Etles deux situations sont trs proches, puisque si le dbut
exprime symboliquementla sparation, en particulier physique, entre
Mme Darbdat et son mari25, la finindique linluctable rupture entre
Eve et son mari (faute de pouvoir laimer, elle le tuera), dailleurs
rduit, sur le plan rotique, la peu raide efficacit du
rahat-loukoum.
Certes, cest sans doute la structure mme du texte-nouvelle qui
engage lcri-vain sur cette pente, celle de la forme pleine et ronde
. Pourtant, il apparat bienque la folie dans La chambre est un
irralisable, dans les deux sens du terme :ontologique, et narratif.
La folie est un espace inaccessible pour les personnagesautres que
Pierre ( Jai besoin de vivre l-bas, de lautre ct de ce mur. Mais
l-bas, on ne veut pas de moi , dit Eve, p. 250), et la fois un
monde pourtantcommuniqu au lecteur, qui se rend compte de cet
irralisable, le ralise par la lecture de cette forme ronde quest la
nouvelle. Pour le dire autrement, dun ct,un mur infranchissable se
dresse entre la folie et la raison : sparation, sommetoute,
rassurante. Mais dun autre ct, comme le suggre lexprience du
lecteur,
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qui nest, par hypothse, pas fou, et qui accde quant lui dune
certaine manire ce monde de Pierre, la nouvelle dfait lopposition
entre raison et folie en mmetemps quelle la manifeste.
Amalgame et agalma
Trouble situation, quavait bien vue Genevive Idt26 ; La chambre
, si on la lit de prs, laisse le lecteur sur une question non
rsolue : o passe le partage entreraison et folie ? Cest ce que
montre le plus rapide examen des personnages. AM. Darbdat, qui se
pose en parangon de la normalit, sont appliqus le substantif fureur
(p. 235), et ladjectif furieux (p. 238) ; cest un vieil homme qui
croit son ternelle jeunesse, figure carnavalesque du senex puer ;
il rejette son gendrecomme fou, mais smerveille dune petite fille
qui dans la rue stonne devant unappareil de TSF, sans voir que tous
deux, Pierre et la fillette, ont pour lui aussi peu de logique ; de
plus il admet chez cette fillette la fascination (pour ce quelle
necomprend pas) dont il refuse le droit sa propre fille. Mme
Darbdat sinterprtepar sa proximit avec Pierre : lun et lautre sont
reclus, replis sur leur pass, etvivent dans un univers o
limaginaire et le rel se distinguent peu ; aussi bien,M. Darbdat se
demande o situer sa femme : Avec ma pauvre Jeannette, il fautbien
lavouer, cest un peu la mme chose (p. 244). Quant Eve, dont sonpre
admirait la clart desprit, voil quelle se dispose, selon la chute
de la nou-velle, devenir meurtrire.
Sartre, en un sens, retrouve telle phrase clbre de Nadja, o
Breton, dissimulantle paradoxe derrire la fausse vidence, voque
labsence bien connue de frontireentre la non-folie et la folie27 .
Le trouble fonctionnement de La chambre vri-fierait aussi une thse
gnrale que lon a pu proposer sur la nouvelle moderne,qui montrerait
une disqualification du systme moral , une confusion desvaleurs28.
Je parlerais quant moi de maladie de Voltaire : maladie de
lordonnan-cement, qui apparat lorsque le rationalisme devient
incapable de dissocier et declasser. Elle se lit sur les traits de
la belle Eve : dans ce visage autrefois si raisonna-ble et
transparent, il y avait maintenant quelque chose de brouill et
dopaque (p. 244). Elle affecte aussi la chambre de Pierre, avec son
paisse odeur dencens,et son dsordre. Ce qui rgne alors, dans la
chambre de Pierre et dans La cham-bre de Sartre, cest lamalgame :
un dsordre amass, entass. Mais nentendonspas ici la moindre
dprciation. Lamalgame se prsente la fois comme chaos etcomme
richesse. Lamalgame est aussi agalma : soit, en grec, ornement,
parure.
Cet amalgame donne en effet une partie de sa profondeur la
nouvelle, en tantquil fonctionne sur les deux plans de la
psychopathologie et de lintertextualit. Sila question de la nature
de la folie (maladie ou mensonge) demeure, lissue de lalecture de
la nouvelle, non tranche, il y a cependant une thse, mais implicite
ettrs dissimule, dans La chambre , et cela, que Sartre en ait eu
conscience ounon, conformment la tradition du genre29. Cette thse
implicite de La cham-
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bre serait quil savre impossible dtiqueter avec prcision la
folie. Non pointpar manque dtiquettes nosographiques, mais en
raison de lexcs de leur nombre,et de la concurrence quelles se
font.
Quelles tiquettes mdicales appelle le cas de Pierre dans La
Chambre ? Aumoins celles de schizophrnie, de psychose
hallucinatoire et de paranoa. De laschizophrnie, Sartre crit dans
LImaginaire que cest un monde pauvre et mti-culeux, o les mmes
scnes se rptent inlassablement, jusquau moindre dtail,accompagnes
du mme crmonial o tout est rgl lavance30 ; la correspon-dance avec
le comportement de Pierre est vidente. Elle va jusqu ce trait :
Leschizophrne sait fort bien que les objets dont il sentoure sont
irrels : cest mmepour cela quil les fait apparatre31 ; de mme
Pierre ne croit qu demi sesvisions, comme lindique telle rponse Eve
qui veut entrer dans son jeu : Tuexagres (p. 260). De plus, dans
son article sur Giraudoux, publi en mars 1940,Sartre, propos des
malades qui souffrent de schizophrnie, voque leur raideur,leurs
efforts pour nier le changement [], leur gomtrisme31 . Or voici
Pierre : il marchait petits pas, sur la pointe des pieds, en
serrant les coudes contre leshanches, pour occuper le moins de
place possible (p. 256) ; ou encore : il setenait tout raide (p.
258). Autre tiquette possible, la psychose
hallucinatoire.LImaginaire examine la question de lobsession chez
les psychasthniques et leshallucins ; trait commun, cest la crainte
mme de lobsession qui la fait rena-tre ; et Sartre prcise que l on
[] peut mme se demander si, bien souvent, lemalade ne sait pas quel
moment de la journe se produira lhallucination : il doitlattendre
et elle vient parce quil lattend33 . Or Eve se demande, au sujet
dePierre et des statues volantes dont il redoute lapparition, si ce
nest pas lui qui lesattire (p. 255). Les obsessions de Pierre
saccompagnent de ce que LImaginairenomme un syndrome dinfluence :
on me parle, on me fait voir ; de mme Pierresemble Eve envahi malgr
lui par un foisonnement malsain de penses et devisions (p. 255). Le
diagnostic selon LImaginaire serait alors celui de
psychosehallucinatoire chronique34 . Mais, pour finir, difficile de
ne pas reprer chez Pierredes traits de paranoa35. Laissons de ct le
Prsident Schreber des Cinq Psychana-lyses (1935). Et empruntons
Elias Canetti une description sommaire de la para-noa, qui se
caractriserait extrieurement par la dissimulation pousse lextrme(si
bien que lon narrive pas savoir, dans beaucoup de cas, jusqu quel
point un paranoaque est paranoaque), et par le fait de passer tout
son temps dmas-quer des ennemis , qui, partout, guettent et
surveillent36. Or Pierre simagineobserv, laide dun cran, par de
mystrieux ils , ou par une arme dyeuxrouges (p. 257), et mme lgard
dEve il prouve de la dfiance. De faon sym-bolique, sur le damier de
son jeu dchecs il na laiss que les pions noirs : les enne-mis
quenfin il peut manipuler ?
Schizophrnie, psychose hallucinatoire, paranoa : lexcs se
retourne en dfaut.Le discours mdical, avec ses diverses tiquettes,
ne rend pas compte de la folie : de l, entre autres raisons, le
caractre dirralisable de cette exprience extrme.Point de diagnostic
juste et unique : quest-ce qui fonde chez Sartre ce refus des
tiquettes nosographiques ? Moins linfluence de Bergson, comme on
pourrait le penser, que celle de Karl Jaspers. Telle est du moins
lhypothse que je voudrais
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avancer. Rappelons en effet que Sartre et Nizan avaient mis au
point le manuscritde la traduction franaise, parue en 1927, de la
Psychopathologie gnrale. Ilsavaient aussi particip la correction
des preuves de cet ouvrage (dont la premiredition allemande datait
de 1913). Sartre avait d apprcier lattitude non pas hos-tile mais
rserve de Jaspers lgard de Freud37. Mais voici le point essentiel.
DslIntroduction de son livre, Jaspers crit ceci : Plusieurs
concepts de maladie peuvent en principe tre dfinis avec prcision,
mais en fait doivent admettre deslimites et des transitions. Et
plus loin : En psychiatrie diagnostiquer consistesouvent tourner
dans un cercle vide o les phnomnes entrent peu. Ouencore : la
terminologie nosographique nest pas satisfaisante, parce que
lesconcepts stables, universellement adopts, manquent encore38 .
Lavant-dernierchapitre, intitul La synthse des maladies , raffirme
la mme position : il ny apas dunits morbides qui soient isolables
de manire absolue, pas de maladies net-tement dlimites.
De l Jaspers tire deux consquences, qui clairent La chambre . La
premireest quil ne faut pas violer le chaos des phnomnes , mais
plutt sentir, com-prendre ce qui se passe en ralit dans lme
humaine39 . Il convient ds lors de complter lErklrung (explication
par les causes) par le Verstehen (la capacitdinterpntration
psychologique et affective ou Einfhlen, laptitude pntrerlesprit
dautrui ou Einfhlung). Cette opposition, Sartre et Beauvoir lont
reprise leur compte, et par l ils se dmarquent nettement du
positivisme mdical40 ;comprendre, nest-ce pas ce quen vain cherche
Eve face Pierre ? Nest-ce pas aussilattitude qui est requise du
lecteur ? Nest-ce pas surtout ce qui et ce que permetlcriture dune
nouvelle sur la folie ? De la notion de synthse des maladies,
Jasperstire une deuxime consquence. Chaque cas doit tre tudi pour
lui-mme : Cequi importe en phnomnologie, cest moins ltude de cas
innombrables que lacomprhension intuitive et profonde de quelques
cas particuliers ; aussi, pourlheure, une collection de biographies
soigneuses des malades est le besoin le pluspressant de la
psychiatrie41 . Ces tudes de cas, au plus prs de chaque
malade,doivent bien sr tre conduites en pensant que les traits de
plusieurs syndromespeuvent se runir dans ltat individuel42 . Ainsi
La chambre pourrait se lirecomme ltude dun cas fictif, dans lequel
plusieurs lignes nosographiques se croi-sent et se synthtisent.
Or, le coup de gnie de Sartre, cest de doubler cet embrouillage
de lignes danslordre de la psychopathologie, qui nest que la ranon
de lattention au concretdun cas, par sa propre pratique de
lintertextualit : laquelle, en effet, multiplie les rcritures,
mettant le lecteur face un nouvel amalgame (et agalma), esth-tique
pour le coup43. Dans La chambre , la confusion mentale de Pierre,
et laconfusion nosographique du discours mdical possible, sajoute,
voire rpond la confusion intertextuelle.
Je dcris ce phnomne, par le biais dun inventaire rapide. Sartre
sappuie lafois sur un document et sur une littrature de la folie.
Touchant le document, jepasse vite ; Robert Brasillach, dans son
compte rendu du Mur pour LAction fran-aise, le 13 avril 1939, avait
dj vu ce que La chambre devait La Squestre de Poitiers, que Gide
avait publie en 1930. En commun, les menaces inscrites sur
La chambre de Sartre, ou la folie de Voltaire 49
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les murs, les mots de la folie (mon cher grand fond Malampia
pour la sques-tre, hoffka paffka suffka , ou ziuthre chez Pierre),
et la peur des objets :Mademoiselle Bastian ne voulait du reste pas
se servir de fourchette , tmoigneune bonne de la squestre, et cest
aussi dune fourchette que Pierre se mfie, yvoyant des pinces .
Sartre rcrit surtout toute une littrature de la folie : Phdre,on la
dit, mais aussi le Hamlet spectral de Jules Laforgue44, qui donne
certains deses traits au personnage de Pierre, ou encore
Maupassant. On ny a pas assezinsist, alors que cest une grande
passion de lecture de Sartre, comme le marquentLes Mots. Tout le
jeu autour de la fourchette semble inspir dune nouvelle
deMaupassant, Un fou ? , qui met en scne un homme travers par un
puissantmagntisme, si bien que les objets lui obissent, par exemple
un couteau. Demme la fourchette ne quitte pas les doigts de M.
Darbdat, qui par mgarde lem-porte de la chambre de Pierre au salon
: ce trou dans son rationalisme porte uneffet satirique vident.
Linquitant hros de Un fou ? cache toujours ses mains(dans ses
poches, etc.), car elles ont le pouvoir dhypnotiser les vivants et
danimerles objets. Et de mme Pierre ; alors que les autres
empoignent les objets, lui lesattire : il prenait les pions dans
ses mains et ils paraissaient sanimer dune viesourde entre ses
doigts (p. 253). Quant au talisman verbal de Pierre, Hoffkapaffka
suffka , il prsente lintrt dorienter vers des intertextes non
franais. Jylis en effet une synthse des mots Hoffmann ; pas
(ngation, refus) ; suffit (commea) ; et surtout : Kafka. Car dans
le monde de Pierre, comme chez Kafka, rgneune Loi toute
particulire, que Sartre dcrira ainsi en 1943 : Elle vous
enserre,elle vous accable, vous la violez quand vous croyez la
suivre et lorsque vous vousrvoltez contre elle, vous vous trouvez
lui obir votre insu. Nul nest cens ligno-rer et pourtant personne
ne la connat45 ce qui fait une partie essentielle dudrame de Pierre
et aussi dEve, toujours vous au faux pas.
Pour clore cet inventaire, arrtons-nous un instant sur la
frappante apparitiondes statues volantes dans la chambre de Pierre.
On est dabord tent dy voir unmotif surraliste : soit pictural
(mlant les statues inquitantes de Chirico teltableau de Magritte
peint en 1929, intitul Le Temps menaant, qui reprsente unbuste de
femme dans le ciel), soit littraire, puisque Nadja, visitant
lappartementde Breton, y voit des statues qui leffraient sans
oublier cette statue de femme du muse Grvin, qui rattache sa
jarretelle, et dont Breton dit quelle est la seule avoir des yeux :
ceux mmes de la provocation46 . Cependant Sartre se souvientaussi
de trois textes fort classiques. Soit : 1. Le Don Juan de Molire,
et sa statue duCommandeur (avec une inversion, puisque si Eve vaut
comme Elvire sductrice,Pierre refuse le sexe, au rebours du grand
seigneur mchant homme, et a peur destatues qui ne sont plus
masculines mais fminines). 2. Le sonnet de Baudelaire,La Beaut, qui
commence ainsi : Je suis belle, mortels ! comme un rve depierre ;
toute la description de la chambre elle-mme est sature de thmes
bau-delairiens. 3. Enfin et surtout, La Vnus dIlle de Mrime. Dans
les deux nou-velles, le hros est confront une statue mchante, aux
yeux blancs inquitants ;statue anime, qui marche chez Mrime, vole
chez Sartre ; une fois fondue, la statue du texte de Mrime devient
une cloche nfaste, cependant que dans lanouvelle de Sartre, les
statues bourdonnent , comme des mouches, mais aussi
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comme des bourdons, i. e. de grosses cloches, et quune cloche
menace Pierre(p. 252). Dans les deux cas, on lit une curieuse
histoire damour : la statue deMrime impose son mortel amour celui
quelle estime tre son mari, puisquillui a mis sa bague au doigt ;
Pierre refuse lamour jusque dans les statues, comme ilrefuse lamour
charnel de celle quil a renomme, pour la ptrifier et la
purifier,Agathe.
On pourrait ajouter que cette nouvelle ce point charge
dintertextes est la fois, si lon rflchit partir de la typologie
propose par Michel Viegnes47, unenouvelle histoire (sa chute est
marque), une nouvelle-portrait (elle peint quatrepersonnages
tonnamment fouills, que lon noublie pas), et une nouvelle
des-criptive (comme lannonce son titre). Lentassement de rfrences
savre aussi, enun sens, gnrique. Mais quel est le sens que lon peut
donner un tel procd ? Il me semble dabord quen faisant, mme trs
allusivement, rfrence Hoffmannou Kafka, il sagit, pour Sartre,
denregistrer et de soutenir une certaine interna-tionalisation de
la littrature franaise. De mme dans Le mur , o linfluencedes
romanciers amricains se joint celle de Cline. Cest suggrer que
Voltaire nedomine plus le monde des lettres : la rpublique
littraire a cess de se centrer sur laFrance, Thibaudet y insiste
plus dune fois dans ses chroniques de la NRF48. Maisdautre part, et
surtout, cet excs de rfrences (possibles) atteste dune forme
defolie propre lcriture sartrienne. Folie certes dpourvue de toute
tiquette mdi-cale connue aussi ai-je ailleurs propos de la nommer
libricit49, monstre tri-lingue o le grec hybris et le latin liber
se composent avec libre et lubricit, pourdsigner la folle envie de
conqurir une libert dcrivain en parodiant tous leslivres. Mais
folie claire par la nouvelle suivante, Erostrate , place non
sansintention au centre du recueil. Du hros ainsi nomm, Sartre
dira, dans des notesprparatoires aux Mots, quil tait la limite
brutale de moi-mme50 , ce queconfirmerait lonomastique, si lon peut
lire Erostrate comme une approxima-tion pour hros-Sartre . Ds lors
apparat lune des composantes du projet dcri-vain de Sartre : mettre
le feu sinon au temple dArtmis Ephse, du moins, par larcriture
parodique, la bibliothque universelle.
Voltaire et le lapsus
Cette folie reste cependant, dans une certaine mesure, matrise.
Jen voudraispour indice le fait que ce type dcriture (par
amalgame-agalma) est signal commetel dans la nouvelle. Et par
lobjet le plus intriguant du texte, savoir le ziuthre de Pierre,
dcrit comme un ensemble de morceaux de carton [] colls (p. 255).
Carton, carta, papier, cest tout un : ensemble dintertextes, donc.
Le col-lage est aussi bien le mode de formation du mot ziuthre
lui-mme, mot-valise silen est51. Amusons-nous proposer quelques
hypothses pour dplier ce terme.Dans ziuthre, on pourrait dabord
entendre une dformation de truc : il est le trucde Pierre pour se
dfendre52. Ou encore une rcriture de hutre, symbole de lexis-
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tence de Pierre, enferm dans sa coquille et produisant sa folie
comme lhutrefabrique sa perle (de mme Frantz, le fou des Squestrs
dAltona, vit entour decoquilles dhutres). Le ziuthre ressemble une
araigne et il pend piteuse-ment : Jean Bellemin-Nol en concluait
quil figure les deux sexes la fois, mar-quant la rgression de
Pierre en de de la diffrence sexuelle53 et donc ziuthre =zizi +
utrus ? Poussons encore plus loin le dlire : pourquoi ne pas unir
zyeux + zut(Rimbaud, Album zutique) + zutre, mot de Jarry54 ?
Pierre veut dire zut et zutre cette arme dyeux rouges qui le
surveille. Mais aux motifs de la vision menaanteet de la drision
sajouterait si lon place luth (constell, la Nerval ?) au cur
deziuthre celui de la cration littraire.
Le ziuthre est en effet comprendre en fonction la fois du
personnage et delauteur. Cest la marotte du fou mais aussi le
sceptre de lcrivain. Dun ct, ilforme une image de Pierre lui-mme,
la fois comme collection de maladies etcomme volont de recoller les
morceaux pars de sa personnalit. Dun autre ct,il permet un
autoportrait parodique de lcrivain en fou assembleur de morceauxde
carton, cest--dire aussi bien dtiquettes mdicales, que
dintertextes. Et tousles lments de la description du ziuthre
prennent sens sur ces deux plans la fois.Globalement, il est
compar, on la vu, une araigne : certes, elle attrape lesmouches (il
le faut bien, puisque les statues bourdonnent), mais de plus elle
figurePierre, qui a des membres semblables des organes rtractiles
(p. 256), et unearaigne dans le plafond55 ; enfin ce charmant
animal est une mtaphore usuelle de lcrivain, qui lui aussi tisse
des fils (voir dj chez Ovide, au livre VI des Mta-morphoses, et
encore chez Valry). Quant aux trois inscriptions portes sur les
cartons assembls, on peut en faire la mme analyse en double
registre. Pouvoirsur lembche indique la paranoa de Pierre, sa
crainte de lembuscade, du pige,mais aussi, peut-tre, son vu davoir
pouvoir sur len-bche, len bois, limpuis-sance sexuelle face Eve ;
le tout en dsignant encore la puissance de lcriture face la folie
ou labsurdit du monde (thme essentiel de La Nause, qui
expliquepourquoi Roquentin dcide dcrire). Noir sapplique la magie
noire laquellerecourt Pierre pour lutter contre sa mlancolie et
contre latmosphre funbre danslaquelle baignent et lui-mme et sa
chambre ; mais cest aussi la couleur de lencre,utilise pour
explorer les limites tnbreuses de lhumain. Enfin, sur le
troisimecarton figure la tte de Voltaire. Emblme du rationalisme,
donc moyen de dfensecontre la folie, on sen doute. Tte rieuse ,
comme Pierre est rieur, lui qui peut-tre nest quun farceur : que le
fou convoque Voltaire, mme titre de conjura-tion, laisse une fois
de plus quelque peu douter de sa folie. Mais quel rapport de
ceVoltaire avec Sartre ? Plus loin, on lit : Pierre dormait, il
avait un demi-sourirecandide (p. 75). Pourquoi cette insistance sur
Voltaire ?
Mon hypothse est que Sartre lui-mme a son demi-sourire
voltairien, fait sonrieur. Tentons une premire microlecture qui
nous le montre samusant glisser dela folie dans la lettre de sa
nouvelle56 en jouant du nom Voltaire lui-mme. Maiscomme je vais
formuler ici une conjecture anagrammatique qui semblera peut-treun
peu rude, un mot de mthode. Je vois mon entreprise trois cautions.
Dunepart, un article de la thorie indigne (avec laquelle on nest
certes pas forc detomber daccord) : dans Quest-ce que la littrature
?, Sartre affirme orgueilleuse-
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ment qu aussi loin que le lecteur puisse aller, lauteur est all
plus loin que lui.Quels que soient les rapprochements quil tablisse
entre les diffrentes parties dulivre entre les chapitres ou entre
les mots , il possde une garantie : cest quilsont t expressment
voulus , puisque crer, ce serait substituer au hasard ou lacausalit
un ordre des fins qui informe luvre de part en part. Ainsi les
beautsqui paraissent dans le livre ne sont jamais leffet de
rencontres ; il faut donc tou-jours, dans la lecture critique, qui
est elle-mme audace ( induction, interpola-tion, extrapolation),
faire un crdit maximal lhabile libert de lcrivain : cestune affaire
de gnrosit57 , avec la part de risque implique par cette
attitude.Une deuxime caution possible serait la prilleuse et belle
rverie de Saussure surles hypogrammes dans les littratures
anciennes, par exemple chez Virgile, Pline ou Csar : il supposait
un mot-thme latent dont la dcomposition inspiraitlcrivain et le
menait souligner ce terme en svertuant en rpter les syllabes dans
un groupe-rpondant de vers ou de lignes, et donc de mots58.
Maiscomme je naurai pas besoin dtre aussi hardi que lui, il me
suffira (ultime caution) dinvoquer un point dhistoire littraire :
Sartre, trs attentif au surra-lisme, fut un lecteur fascin du
Glossaire jy serre mes gloses de Leiris59 ; la profon-deur potique
des jeux sur les mots ne lui est pas chose trangre.
Revenons donc au mot-thme , ici explicite (comme chez Leiris),
Voltaire :aprs lavoir introduit (p. 255), Sartre me semble le
diviser en deux parties, pourles exploiter dans trois paragraphes
dcisifs dune seule page (p. 258). On lit eneffet : La consigne est
de se taire, cria-t-il [Pierre]. De se taire. Puis, toujoursdans la
mme page : les statues se mirent voler (rcit), Elles volent
(pensesdEve). (Et p. 259, Les statues volaient bas. ) De mme que,
par les ennemis de Pierre (ceux qui le rendent fou), le ziuthre a t
invers (p. 255), de mme,par lcrivain, sont inverses dans cette page
rpondante les parties du nom deVoltaire60.
Distinguons nettement les deux plans du personnage et de
lcrivain. A Pierre, leziuthre, tant quil ntait pas invers,
permettait de conjurer les statues (p. 255) :de faire taire leur
vol bourdonnant, en les chassant. Attention, ici, la syllepse :par
le ziuthre Pierre se dfend contre le vol (fly) des statues mais
aussi contre le vol (theft) dont menacent ces statues fminines,
celui quimplique le contact charnel avec le deuxime sexe. Que ce
second sens soit prsent, la preuve (je crois)sen lit dans Erostrate
: Je nai jamais eu de commerce intime avec une femme :je me serais
senti vol61. De Sartre, montreur de marionnettes dont on devine
iciles doigts, lide mme dinversion conduit reprer le jeu avec la
raison (Voltaire)et la folie (taire-vol). Le ziuthre invers
renverrait une plume inverseuse. Laquelleinscrirait au cur de cette
nouvelle sur la folie ce renversement ludique du ratio-nalisme, par
lequel, non sans paradoxe et amalgame, la folie deviendrait la
foisvoltairienne (selon la figure dessine sur le ziuthre), et
taire-volienne (selon la fonc-tion de ce talisman). Sartre
dfinirait-il ainsi son propre rationalisme : non pas tantironique
quhumoristique ? Rationalisme potique aussi, si la posie ne va pas
sansjeu sur et avec le signifiant. Dans linversion des parties de
Voltaire (comme dans lasyllepse), la suppose transparence de la
prose se brouille. Si Pierre refuse la jouis-sance sexuelle,
Sartre, lui, dun coup de ziuthre inverseur, jouit du mot Voltaire :
tel
La chambre de Sartre, ou la folie de Voltaire 53
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un fou, un enfant et un pote (quil enrageait de ne pas tre,
dira-t-il dans les Carnets de la drle de guerre).
Peut-tre suis-je, malgr lappui de Quest-ce que la littrature ?,
trop hardi en spculant sur lintentio auctoris. Il suffirait de
souligner que le lecteur qui se rendattentif ces jeux est fortement
dstabilis voire affol ? Mais il est bien tentantde deviner en ce
Voltaire ainsi jou dans son nom mme un autoportrait paro-dique de
lcrivain. Sartre : un Voltaire qui, ayant lu Leiris, aurait appris
parfoisjouer et jouir du langage comme un surraliste ? Glossaire :
jy serre mes gloses Voltaire : il fait taire le vol.
Ce Voltaire-Leiris sait donc glisser de la folie dans lcriture
de sa nouvelle.Notamment en recourant la figure verbale du
glissement : le lapsus. Et ce sera laseconde microlecture. Je cite
: Il avana rapidement la main et lui effleura loreille.Ma belle
dmone ! Tu me gnes un peu, tu es trop belle : a me distrait. Sil
nesagissait pas de rcapitulation / Il sarrta et regarda Eve avec
surprise : / Cenest pas ce mot-l Il est venu il est venu, dit-il en
souriant dun air vaguejavais lautre sur le bout de la langue (p.
260). De ce lapsus proposons cinq lec-tures (rapides).
1. Sur le plan de la digse, il a une valeur proleptique : il
annonce le sombreavenir de Pierre, la perte de sa raison,
lincapacit de matriser son langage, le deve-nir idiot-qui-bave
(songeons lidiot Gagou dans Colline de Giono, 1929).
2. Sur le plan philosophique, ce glissement singulier suggre une
vrit gnraledu langage, qui sera explicite dans LEtre et le Nant :
mon langage est toujoursun phnomne incomplet de fuite hors de moi62
, puisque, ds que je parle, lesens de mon propos glisse de ma
bouche vers la tte dautrui. Toute parole est uneamorce de
lapsus.
3. Dun point de vue psychanalytique, il va de soi que
rcapitulation dit le dsirde retrouver une tte (perdue dans la
folie), et donc, les quivalences freudiennestant ce quelles sont,
un sexe mle. Le contexte est bien celui du dsir pour Eve,dont
Pierre effleure loreille : on sait ce que reprsente celle de la
Vierge Marie dansles Annonciations. Si lon suit la logique
paradigmatique, la rcapitulation vautcomme lenvers de la
dcapitation, quavait voque M. Darbdat racontant la mort dun enfant
dcapit par laile avant dune automobile (p. 245), et doncpeut-tre de
la castration, mais aussi comme un correctif de la prcipitationde
Pierre (p. 237). Sartre me semble ici stre amus introduire tant un
lapsusparfaitement orthodoxe, que les moyens de son
dchiffrement63.
4. Malheureusement pour Pierre (et pour Eve), le mot se
substitue la chose(sexuelle). Loin de retrouver ses moyens
physiques, Pierre connat en effet, en pro-nonant rcapitulation, un
vritable orgasme verbal. Un mauvais esprit pouvaitsinterroger dj
sur la rptition de lexpression Il est venu, dans le texte
cit64,voire sur le substantif bout . Mais quand on lit, dans le
dernier paragraphe de la nouvelle, propos de rcapitulation : [] le
mot avait coul hors de sabouche, long et blanchtre (p. 260) Et quon
se souvient alors dune notationantrieure : Il y avait des mots []
qui sortaient de sa bouche comme une subs-tance molle et informe
(p. 257) Comme de juste, aprs cet orgasme verbal,Pierre sendort.
Certes, on la dit, son ziuthre pendait piteusement au bout de
ses
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doigts (p. 69). Mais il a eu du plaisir dans et par le langage.
Do le glissementdune lecture rotique
5. une lecture mtatextuelle. On peut en effet extrapoler,
puisquon a vu quel point les inscriptions du ziuthre renvoyaient
lcriture : Pierre recouvre Sartre ; le fou, cest lcrivain, celui
qui jouit du langage. (Et voil certes qui pou-vait choquer
Anne-Marie.) Celui qui, par exemple, prfre, telle femme qui
seprnommerait Florence, le mot Florence, la fois femme et ville et
fleuve et fleur,or et dcence (selon la glose la manire de Leiris
quon lit dans Quest-ce que la littrature ?). Celui qui, dans LIdiot
de la famille, sextasie comme Flaubert du motCalcutta , ou comme
Sartre du mot Amboise , qui enveloppe framboise, bois,ambroisie,
etc. Le lapsus semble donc calcul pour dire la vrit de lcrivain :
leglissement du plaisir dans le verbe. Peut-tre un tel calcul
signale-t-il aussi cetteeuphorie de la matrise quon sentait dans la
page cite de Quest-ce que la littra-ture ? : lcrivain serait, aux
yeux de Sartre, celui qui a le pouvoir de rcapituler, detenir tous
les fils comme laraigne-ziuthre.
Ainsi La chambre , ne en un sens des hallucinations conscutives
la prise demescaline de fvrier 1935, reprsenterait lexprience de la
folie que fait Sartre :soit son preuve, sa traverse, et aussi la
sortie hors de son champ. Ny a-t-il pascependant, dans la nouvelle,
comme une revanche de la folie ? Au moins un grainde folie qui
djouerait ce rationalisme rieur ? Chasse-t-on Freud aussi
facilement,mme quand on sappelle Sartre ? Jean Bellemin-Nol avait
tir dun livre de Sho-shana Felman, La Folie et la Chose littraire,
des questions difficiles : La chambre est-elle une nouvelle sur la
folie ou de la folie ? Peut-on parler (crire) de la foliesans la
dnier ? Il faudrait que la folie scrive dans le texte, sinsinue
travers lelangage, en vinant tout sujet qui matriserait le sens. Il
sagirait alors non plus desavoir si Sartre glisse de la folie dans
son texte, mais comment de la folie se glisse-rait delle-mme dans
lcriture.
Lavantage dun tel questionnement serait de faire pntrer dans
cette zone incer-taine que ne connat pas, disait Freud, un mchant
auteur , celui qui exprime-rait de faon consciente tout ce quil
veut nous communiquer et se trouverait alorsface notre intelligence
qui, froide et libre de ses mouvements, rend impossible
unapprofondissement de lillusion65 . Son inconvnient radical rside
cependant enceci : de lintention de lauteur, il est difficile de
juger aussi bien positivement (il avoulu ceci) que ngativement (il
na pas pens cela). Aussi, pour faire un pas de plus dans la pnombre
de la nouvelle (celle aussi bien de la chambre de Pierre),je
prendrai le parti de me laisser guider par le fait (textuel) quelle
se termine(presque) sur le lapsus de Pierre. Celui-ci dfinissait le
phnomne : un mot sestmis [l]a place dun autre (p. 260). Jen dduirai
par extrapolition quun desprincipes de linventio de la nouvelle
consiste dans la mise la place de uneespce de lapsus gnralis, qui
saccompagne loccasion (plume inverseuseoblige) dun jeu
dinversion.
En quel domaine sexerce ce glissement ? La rfrence Phdre invite
bien sr chercher du ct de sombres histoires de famille.
Linconvenance qui scandalisaitMme Anne-Marie Mancy tiendrait la
transposition de la situation familiale de Poulou66. Cette lecture
a t amorce par Jacques Lecarme, qui notait que le
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couple Darbdat [] ressemble beaucoup au couple des
grands-parents Schweitzerdans Les Mots67 . Essayons de construire
un systme de transpositions, qui jetteune autre lumire sur les
quatre personnages, par ordre dapparition.
1. Mme Jeannette Darbdat est mise la place de la grand-mre
Louise Schweitzer.Son type de lectures, son got du demi-mot (p.
238), son effroi devant son maritrop encombrant, tout concorde avec
la Mamie des Mots. Dplacement ou clindil, son prnom est attribu une
tante dEve, la tante Louise (p. 241).
2. Charles Darbdat est une figure composite, un amalgame. Il a
dun ct biendes traits du Charles Schweitzer des Mots : ainsi il se
flatte dtre rest jeune, et deplaire encore. Son attitude
rationaliste lgard de Pierre transpose la conduite du grand-pre qui
se dfiait de la vocation inquitante de Poulou pour lcriture de son
zut-luth, de son ludisme rvolt. Mais dun autre ct, Charles
Darbdatest aussi le beau-pre de Pierre : donc la fois le pre dune
pouse (Eve) aux yeuxdun gendre (Pierre) et, pour un enfant, le
deuxime mari dune mre. On pres-sent alors que si Pierre demande Eve
de le protger contre son beau-pre(M. Darbdat), une telle requte
pourrait bien transposer et voiler la demande dePoulou sa mre :
protge-moi contre mon beau-pre, Joseph Mancy, ce positivistequi est
bien prs de me tenir pour fou (parce que jcris). Et voil encore
dequoi scandaliser Anne-Marie.
3. Dautant quen effet Eve ressemble trs nettement Anne-Marie. La
transpo-sition implique ici une inversion des valeurs (bibliques),
celle qui sauve (Marie)devenant celle qui perd (Eve). Sur le plan
de lonomastique, certes, domine lecamouflage : comment deviner,
derrire la premire des pcheresses (Eve), la saintepar excellence
(Marie) et sa mre (Anne) ? Oui, mais le prnom de Marie
passeailleurs dans le texte, attribu une femme de mnage (p. 258) :
la femme dumnage ? Rduite au mnage ? Quoi quil en soit (de ce jeu
de mots), Eve et Anne-Marie ont dabord en partage la beaut. De
plus, le pre dEve la traite exactementcomme le grand-pre Schweitzer
a trait sa fille la mort de son poux : tureviendras chez nous (p.
247), aprs avoir plac Pierre en clinique (ou Jean-Bap-tiste Sartre
dans sa tombe). En troisime lieu, de mme quAnne-Marie a
poussuccessivement deux ingnieurs polytechniciens, de mme Eve
devrait selon sonpre tre marie un ingnieur chez Simpson (p. 240),
ce qui dans lesprit de Sar-tre quivaut un bien triste sort68.
Enfin, tout comme Anne-Marie fut, durant lespremires annes de
Sartre, amoureuse dun mort, Jean-Baptiste dfunt, Eve, qui a
dailleurs une mine de dterre (p. 236), aime enPierre un demi-mort.
Suffisent lindiquer et la prdilection de ce dernier pour lacouleur
noire69, et (surtout), ce mot de M. Darbdat au sujet de sa fille :
Je laconsidrais comme veuve (p. 239), ce qui fait aussi de la folie
une mort vivante.
4. Il faut maintenant se hasarder dans le tournoiement de
significations possiblesque produit la dernire transposition. On la
vu : Pierre se glisse la place de Sartre. Que signifie alors lamour
entre Eve et Pierre ? Il rsumerait deux relations la fois. Tout
dabord celle dAnne-Marie avec lofficier de marine dfunt,
Jean-Baptiste Sartre. Lamour pour le fou vaudrait lamour pour un
mort. De l lomni-prsence des signes de la mort dans la chambre,
sombre caveau de Pierre, o lonpntre par un long corridor sombre (p.
50). Ensuite lamour entre Anne-Marie
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et son fils. Eve, Pierre la rebaptise Agathe : or cest chez
Baudelaire le nom de lasur-pouse, au vert paradis des amours
enfantines70 . De mme Poulou selonLes Mots considrait Anne-Marie
plus comme sa sur que comme sa mre. Maisqui dit sur dit inceste
chez Sartre, comme lindique la premire des rares notes debas de
page des Mots. Entre Eve et Pierre, il y a de fait des rapports []
louches (p. 243), tout comme entre Anne-Marie et Poulou ; aussi
bien, Pierre dit avoirsoulev Eve un marin danois (p. 257, je
souligne). On peut alors revenir surlallusion Phdre. Elle se
comprend doublement. Dun ct, par cet autre fragmentde la nouvelle :
Pendant les premiers temps du mariage dEve, Mme Darbdat netpas
demand mieux que davoir un peu dintimit avec son gendre (p.
237).Dautre part, dun coup de ziuthre inverseur : la belle(-)mre
(Phdre-Eve) quidsire son beau-fils (Hippolyte-Pierre, les purs)
dissimulerait la trop belle mre(Anne-Marie) qui est dsire par son
laid fils (Sartre). Pierre prfre faire le fouplutt que davoir
considrer son pouse comme un tre sexu ; ainsi que le suggrent sa
voix enfantine et la faon dont elle veille sur son sommeil (p.
260),il se constitue en fils de sa femme. Il traite Eve comme une
mre plus que commeune femme. Attitude quil faudrait inverser pour
approcher ce qui, du ct de Sartre, sesquisserait dans la pnombre :
le dsir de traiter sa mre comme unefemme, comme sa femme. La
nouvelle suivante, Erostrate , ne manquera pasdclairer la chose :
cette dame mre stait mise toute nue sur mon ordre , et enla
quittant jtais joyeux comme un enfant71 .
Mais si la relation entre Eve et Pierre transpose la fois celle
dAnne-Marie avecJean-Baptiste, et celle de la mme Anne-Marie avec
Jean-Paul, une consquencelogique simpose : le personnage de Pierre
reprsenterait la fois Poulou devenucrivain et son pre mort.
Identification fantasmatique de Sartre un mort, quientretient
dobscures relations avec sa vocation : Lapptit dcrire enveloppe
lerefus de vivre (Les Mots).
Je demande au lecteur un dernier effort : car ce qui complique
encore la donne,cest lhistoire que raconte Charles Darbdat sa fille
(p. 245), pour la convaincreque son amour pour Pierre la conduit
vers la folie. Rduite son pure, elle reposesur une analogie : 1.
Une jeune mre se refusait croire que son jeune fils ft mort(dcapit
par une automobile), si bien quil a fallu linterner. 2. De mme
unejeune femme (Eve) ne veut pas croire que son mari est comme
ananti par la folie.On pourrait ds lors saisir un double
glissement. Pour restituer ce dont parle enprofondeur la nouvelle,
il faudrait une fois encore inverser (intervertir) et lordredes
propositions de lanalogie, et les sujets des propositions
compltives. Onobtient alors : 2. Si une jeune femme (Anne-Marie) ne
veut pas croire que sonmari (et non son fils) est mort, alors 1. en
tant que jeune mre elle ne voit pas enmme temps que son fils (et
non pas son mari) est ananti par la folie. Par quoiSartre dirait sa
mre : tant que tu tobstinais songer au pre mort, tu rendais lefils
fou ? Et cest ainsi que tu mas vou au culte de lirrel et du
nant.
Tout cela savre bien sombre. Les Squestrs dAltona (III, 4) donne
lire cet change entre Johanna et son mari : Les fous disent la
vrit, Werner. Vrai-ment. Laquelle ? Il ny en a quune : lhorreur de
vivre72 Beauvoir ne dira gure
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autre chose en rpondant La chambre (et en mme temps Erostrate ),
danslexcellente nouvelle de La Femme rompue (1967) qui sintitule
Monologue , oune folle (Murielle, dlaisse comme Eve) parle
longuement et amrement.
Par ailleurs, il serait vain de vouloir savoir, comme nos
enfants et nos tudiants,si Sartre a vraiment pens tout cela (et pas
non plus si Anne-Marie la compris).Son texte est la pnombre qui
offre la possibilit de cette lecture. Et il se peut bien que le
genre de la nouvelle se prte tout particulirement ce
clair-obscur.Faisons confiance sur ce point Dominique Aury, qui, en
juin 1950, crivait : Il ya quelque chose de fulgurant, de
foudroyant dans la brivet de la nouvelle, quidonne au lecteur le
sentiment du danger, comme on lprouve la nuit quand desclairs ou
des projecteurs font une brusque troue dans lombre73. Mais dans
lecas dune nouvelle place dans un recueil, les clairs se
compliquent dchos. LisantErostrate aprs La chambre on passera du
fou vu du dehors (Pierre) au fou vudu dedans (Paul Hilbert) ; du
fou qui se fait du mal (si la farce de Pierre se tourneen pige pour
lui-mme) au fou qui fait du mal ; etc. Sur ce jeu dchos il existe
unbeau texte, trop peu connu, de Blanchot, dont je citerai pour
finir un extrait74, enprenant la libert de remplacer le nom de M.
Arland : [] Lune des difficultspropres de la nouvelle, cest quelle
est close et parfaite en elle-mme et que cepen-dant elle prend
gnralement place dans un recueil dont lunit doit tre vritable.[]
Lune des perfections des nouvelles de M. [Sartre], cest quelles
sont ind-pendantes et quelles forment une suite qui ne peut se
rompre. Chacune dellesexprime tout louvrage, elle est elle-mme et
tout ce quelle deviendra en se com-posant avec toutes les autres.
On en entend la voix unique et on pressent lharmo-nie quelle doit
former dans un chur encore absent. Lcho est comme antrieurau son
primitif []. Cette continuit mystrieuse entre des moments que
lappa-rence spare nous parat tre un des charmes singuliers des
recueils de nouvelles, et il nous semble difficile den accepter
loubli. []
Universit Paris-IV
NOTES
1. Genevive Idt, Le Mur de Jean-Paul Sartre. Techniques et
contexte dune provocation, Paris, Larousse,1972 ; Jean
Bellemin-Nol, Derrire La Chambre. La fabrique dun dlire , Les Temps
modernes, n 531-533 : Tmoins de Sartre, octobre-dcembre 1990, p.
665-683.
2. Lettre cite par Beauvoir crivant Bost, le 7 fvrier 1939,
Correspondance croise 1937-1940, Paris,Gallimard, 2004, p. 239.
3. Dans toute cette tude, les indications de page entre
parenthses renvoient au texte de La chambre dans les uvres
romanesques de Sartre, dition tablie par M. Contat et M. Rybalka,
Paris, Gallimard,Bibliothque de la Pliade , 1981.
4. uvres compltes, Paris, Gallimard, Bibliothque de la Pliade ,
t. I, 1988, p. 714.5. Qui, entre autres signes indubitables de son
dsquilibre mental, avait offert sa virginit Andr
Malraux, voir La Force de lge, Gallimard, 1960, p. 185.
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6. Voir Florence Goyet : la nouvelle est monologique : refusant
toute polyphonie, elle ne laisse respirerquune seule vrit, quune
seule voix (La Nouvelle 1870-1925, Paris, PUF, 1993, quatrime de
couver-ture). Il est vrai cependant que lauteur(e) nentend dfinir
que la nouvelle quelle dit classique , dans songe dor (la fin du
XIXe sicle).
7. L encore, voir G. Idt, op. cit., p. 49.8. Claude-Edmonde
Magny, Essai sur les limites de la littrature. Les Sandales
dEmpdocle, 1945, Paris,
rd. Payot, 1967, p. 112.9. La Force de lge, op. cit., p. 217,
220, 228.10. Propos de Sartre rapport par Beauvoir dans une lettre
Bost du 15 mai 1939, Correspondance croise.
1937-1940, op. cit., p. 360.11. Hermann, 1939, p. 9.12. Voir
Michael Issacharoff, La chambre ou les squestrs de Sartre , 1974,
repris dans LEspace et la
Nouvelle, Corti, 1976.13. La Force de lge, op. cit., p. 29.14.
La composition dans le roman, Rflexions sur le roman, Paris,
Gallimard, 1938, p. 185-186.15. Quest-ce que la littrature ?, dans
Situations, II, Paris, Gallimard, 1948, rd. 1980, p. 180-181.16.
Voir Le style dramatique , Un thtre de situations, Paris,
Gallimard, Folio / essais , 1992, p. 25 :
entre scne et salle, une distance absolue .17. Carnets de la
drle de guerre, Paris, Gallimard, 1995, p. 422.18. Paris,
Gallimard, 1943, p. 77 et 237.19. Paris, Gallimard, 1943, rd. 1971,
p. 610-614.20. Carnets de la drle de guerre, op. cit., p. 424.21.
Me trouvant Paris, puis-je raliser Paris pour moi, ou la ville
demeure-t-elle par essence un irra lisa-
ble ? Paris peut-il mtre donn comme une modification plus ou
moins essentielle de mon tre et traverscette modification ?
Beauvoir, aprs avoir lu Paris, mythe moderne de Caillois (Le Mythe
et lHomme,1938), pensait que non : on na jamais affaire qu un
mythe. Plus optimiste, Sartre pensait alors que oui. Enpossession
de la notion dirralisable, il dira, dans LEtre et le Nant, que non
: Paris demeure un irralisable,nous le touchons et il est
insaisissable.
22. Carnets de la drle de guerre, op. cit., p. 425, 422, 423.23.
Voir Aller et retour , Situations, I, Paris, Gallimard, 1947, rd.
1978, p. 182-184.24. Le mur , uvres romanesques, op. cit., p. 217
et p. 232.25. Chez telle femme hideuse dun rcit du jeune Flaubert,
note Sartre qui a lu son Freud, le got
immodr des ptisseries est un substitut, par dplacement, dun dsir
sexuel qui ne peut tre assouvi(LIdiot de la famille, Paris,
Gallimard, 1971, t. 1, p. 310).
26. Op. cit., p. 43-44.27. Op. cit., p. 741. Notons que Breton
ncrit pas la raison.28. Thierry Ozwald, La Nouvelle, Hachette,
2003, p. 22.29. Issue de lexemplum, du conte moral et du fabliau,
la nouvelle gardera pendant longtemps une fonc-
tion dargument : cest un cas particulier qui sert confirmer ou
rfuter une thse , crit Antonia Fonyi(Nouvelle, subjectivit,
structure. Un chapitre de lhistoire de la thorie de la nouvelle et
une tentative dedescription structurale , Revue de littrature
compare, oct.-dc. 1976, p. 367).
30. Paris, Gallimard, 1940, p. 190.31. Ibid., p. 191.32.
Situations, I, op. cit., p. 76.33. Op. cit., p. 199-200.34. Ibid.,
p. 206.35. Cl.-Ed. Magny, Essai sur les limites de la littrature.
Les Sandales dEmpdocle, op. cit., p. 112.36. Masse et puissance,
1960, trad. fr. Gallimard, 1966, p. 401.37. Certes, crit Jaspers,
Freud fait poque dans la psychiatrie (Alcan, rd. de 1933, p. 454),
mais il
considre la thorie de Freud [sur linterprtation des rves] pour
une bonne partie comme une construc-tion dextraconscient qui, ne
pouvant tre vrifie, na pas dintrt (p. 312 ; on songe Karl Popper
sou-levant la question de la falsifiabilit de la psychanalyse) ;
dautre part, il est abusif de ramener [] peuprs toute la vie
psychique la sexualit prise dans un sens trs large (p. 460).
38. Op. cit., p. 3, 22, 38.39. Ibid., p. 23.40. Voir La Force de
lge, op. cit., p. 47, et les Cahiers pour une morale : expliquer
cest claircir par les
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causes, comprendre cest claircir par les fins (Gallimard, 1983,
p. 287), cest--dire saisir comment desdonnes de situation sont
dpasses par une libert, celle dun malade, par exemple, qui pose ses
propres finsdans sa maladie mme.
41. Psychopathologie gnrale, op. cit., p. 49 et 510.42. Ibid.,
p. 523.43. On songe Baudelaire, notant, propos des Paradis
artificiels et de lanalyse mle de rflexions
personnelles quil y donne du Mangeur dopium (Thomas de Quincey)
: Jai fait un tel amalgame que jene saurais y reconnatre la part
qui vient de moi [] (uvres compltes, Paris, Gallimard, Bibliothque
dela Pliade , t. 1, 1975, p. 519).
44. Voir G. Idt, op. cit., p. 137.45. Situations, I, op. cit.,
p. 123.46. Nadja, uvres compltes, op. cit., p. 727 et 748.47.
LEsthtique de la nouvelle franaise au XXe sicle, Peter Lang, 1988,
chap. II, p. 57 sqq.48. Voir par exemple celle du 1er juillet 1923,
Autour de Roland (reprise dans Rflexions sur la littra-
ture, op. cit.), contre le nationalisme littraire , ou celle du
1er avril 1929, Pour la gographie littraire (reprise dans Rflexions
sur la littrature, II, Gallimard, 1940), o on lit notamment : En
moyenne et engros, le type franais qui a eu jusquau XIXe sicle,
dans lEurope littraire, la plus grande force de circulationsemble
bien avoir t Voltaire, manire de systme mtrique ou de code Napolon
littraire. Mais il nen vaplus de mme au XXe sicle.
49. Voir Jean-Paul Sartre, Hachette, 1993, chap. 2.50. Cahier
Lutce (1954), manuscrit indit, transcrit par Philippe Lejeune,
ITEM/CNRS, p. 45.51. En tant quobjet, et non que mot, le ziuthre
voque ceux que Breton dans Nadja dit chercher aux
Puces de Saint-Ouen, fragments, inutilisables, presque
incomprhensibles, pervers enfin au sens o jelentends et o je laime.
Plus prcisment, il nest pas si diffrent de ce demi-cylindre blanc
irrgulier dont une photographie est donne dans Nadja, et quon
pourrait aussi dcrire comme un assemblage demorceaux de papier
portant des inscriptions (op. cit., p. 678).
52. Voir LImaginaire, op. cit., p. 193 : une activit systmatise
dans le domaine du rel semble exclureles hallucinations. Cest ce
qui donne, semble-t-il, une certaine efficacit aux trucs employs
par lesmalades pour empcher les hallucinations .
53. Article cit, p. 680. De mme les statues sont de femmes et de
pierre (et de Pierre).54. Pour Jarry, voir la note de M. Rybalka,
uvres romanesques, op. cit., p. 1839.55. Baudelaire, dans le
dernier des pomes intituls Spleen (Les Fleurs du mal ) : Quand la
vaste pluie
talant ses immenses tranes /Dune vaste prison imite les barreaux
/Et quun peuple muet dinfmes arai-gnes /Vient tendre ses filets au
fond de nos cerveaux /Des cloches tout coup sautent avec furie /Et
lancentvers le ciel un affreux hurlement , etc. L encore, des
cloches
56. Cest la leon que Sartre a retenue, selon Les Mots, de sa
grand-mre Schweitzer : Glissez, mortels,nappuyez pas (Folio, 1991,
p. 13 et 206).
57. Situations, II, op. cit., p. 103-105.58. Jean Starobinski,
Les Mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Sausssure,
Paris, Gallimard,
1971, p. 31 et 123.59. Il mentionne ce titre dans Quest-ce que
la littrature ?, chap. I. Le livre de Leiris ne parut quen 1939
mais trois sries de gloses avaient t publies en 1925 (avril et
juillet) et 1926 (mars) dans La Rvolutionsurraliste. Leiris ne
proposait pas de glose pour Voltaire
60. J. Bellemin-Nol avait relev, dans une note (p. 682), que les
statues volent et quon aimerait lesfaire taire , mais sans
remarquer le jeu de linversion, dont on va voir quil est
capital.
61. uvres romanesques, op. cit., p. 264.62. Op. cit., p. 442.63.
Lequel demeure plus ouvert quil ny pourrait paratre, puisque, par
exemple, J. Bellemin-Nol, qui lit
dans rcapitulation une association de capitulation avec
dcapitation, soutient que si Pierre na pas accd ltape de la
discrimination des sexes, il ne peut gure connatre le fantasme de
castration (op. cit., p. 679-680).
64. Ce verbe a dj son sens sexuel dans Les Onze Mille Verges
dApollinaire (1907), par ex. au chap. 3.65. Quelques types de
caractres dgags par le travail psychanalytique, LInquitante
Etranget et autres
essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 145.66. J. Bellemin-Nol
sinterdisait par principe cette exploration, refusant de faire
appel lauteur des
textes mis en lecture , pour tudier ce qui se passe lintrieur de
la relation entre inconscient du texte etinconscient du lecteur
(Vers linconscient du texte, Paris, PUF, 1979, rd. Quadrige, 1976,
p. 4).
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67. De La valise vide (Drieu) aux nouvelles du Mur , Sartre
crivain, J.-F. Louette d., Paris, Eurdit,2005, p. 85.
68. Selon Beauvoir, pour nous comme pour Barrs, lingnieur
reprsentait ladversaire privilgi : ilemprisonne la vie dans le fer
et le ciment , etc. (La Force de lge, op. cit., p. 37).
69. Vtu de noir , il a peint le socle de sa lampe en noir, veut
mettre des tentures noires , etc.70. Msta et errabunda , Les Fleurs
du Mal.71. uvres romanesques, op. cit., p. 266-267.72. Ce
rapprochement formait dj la conclusion de larticle de John K.
Simon, Madness in Sartre :
Sequestration and the Room, Yale French Studies, n 30,
1962-1963, p. 67.73. Dfense de la nouvelle , Bulletin de la Guilde
du Livre, Lausanne, n 6, juin 1950, p. 103.74. Lart de la nouvelle
, repris dans Maurice Blanchot, Chroniques littraires du Journal
des dbats ,
avril 1941 aot 1944, Gallimard, 2007, p. 431 (21 juillet
1943).
La chambre de Sartre, ou la folie de Voltaire 61
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