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L'œil et les choses Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France Alexandru ȘULEAP Paris, 2010
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L'œil et les choses. Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

Jul 27, 2015

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Page 1: L'œil et les choses. Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

Alexandru ȘULEAP

Paris, 2010

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Table des matières

Introduction ...................................................................................................... 7

PREMIÈRE PARTIE : L'IMAGE VISUELLE ET SES POUVOIRS ..................... 14

I. L'État roumain et la panoplie de son image culturelle et franco

roumaine .............................................................................................. 14

A. Histoire graphique vivifiée par culture .............................................. 14

B. L'Ambassade de Roumanie et son crayon créateur. Un œuvre ......... 21

II. La profondeur spatiale - de l'impossibilité d'y échapper ................. 28

A. La galerie diffuse des signifiés ......................................................... 28

B. Le pouvoir hypnotique de l'itinéraire ............................................. 34

DEUXIÈME PARTIE : L'OEIL ET LES CHOSES .............................................. 38

I. Le masque et l'incarnation ............................................................... 38

A. Le jeu : acte ludique et action scénique .......................................... 38

B. Le privilège de l'œil ........................................................................ 45

II. Les visages de la distance : la Roumanie proche ............................. 50

A. Objectivité et subjectivité. Mémoire et sens .................................... 50

B. La construction de l'image du pays à l'étranger. Image et identité... 54

Conclusion ....................................................................................................... 57

Annexes ........................................................................................................... 60

Bibliographie .................................................................................................... 61

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

3

Introduction

Présentation du sujet

On ne sait pas si Platon fut ou non en Egypte. Tout ce qu'on

sait est que l'Egypte était devenu pour lui l'incarnation même du

prestige spirituel : s'il ne l'avait connu directement ou indirectement,

il l'aurait pu imaginer en tant que confirmation de toutes ses idées.

Cette petite histoire est la clé de voûte du mémoire qui prend la

Roumanie pour l'Egypte de Platon et Platon pour l'espace français

des idées à l'égard de la Roumanie. Bien entendu, on discutera d'une

image accessible dès que quelqu'un veuille la regarder ; non d'une

image généralement formée et rendue publique. Au milieu de ce

cheminement est l'Ambassade de Roumanie à Paris qui fait office de

pont relationnel entre la France et la Roumanie, qui a la vocation de

maintenir et développer leurs rapports séculaires.

On a utilisé ledit pont institutionnel comme milieu

d'observation1 du 8 juin jusqu'à fin août 2010. Tout au long de cette

1 Afin d'obtenir cette observation participante, je fus sur le site de l'Ambassade de

Roumanie où je suivis la procédure d'encadrement adressée aux stagiaires et

j'envoyai tous les documents qui m'ont été demandés : le curriculum vitae, une

lettre de recommandation de la part de M. Bruno Dourrieu et une lettre de

motivation. Suite à ma postulation, le secrétariat de l'Ambassade m'a appelé pour

qu'on puisse établir un rendez-vous avec le Ministre plénipotentiaire. Celui-ci m'a

accepté grâce à mes études (Licence en droit, Licence en relations publiques et

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Introduction

4

activité2, on a bénéficié de la chance et de la liberté d'être au sein du

personnel diplomatique et auxiliaire, de le voir dans plusieurs

endroits, circonstances et fonctions, sans qu'il sache qu'on est là

pour l'analyser, et on a également bénéficié d'une vue panoramique

sur l'ensemble de leurs activités. Cette perspective permit une

approche plus générale de la raison d'être de l'Ambassade qu'on a

toujours vue comme un être étrange qui se nourrisse avec des

regards, qui absorbe l'insaisissable en lui donnant uniquement de la

valeur, qui bâtit pour lui-même un royaume du regard des autres.

Créature allusive par excellence, l'Ambassade de Roumanie à Paris

est l'objet soumis aux impressions du public. Il est la poupée en

brick, l'androgyne plutôt matériel d'une réalité créée au sein d'une

réalité donnée. Toutes ces considérations développées au fur et à

mesure de mon observation participante feront l'objet de mon

mémoire.

En ayant à l'esprit le credo que chaque miroir doit s'écraser

pour que le regardeur puisse avoir accès à son image profonde,

j'essayerai par déconstruction et construction de mettre en avant

cette mise en miroir fracassé afin de voir, en fin de compte, l'image

communication et le Master en France orienté vers le monde politique aussi français

qu'internationale) et à mon projet professionnel orienté vers les activités

internationales.

2 Tout au long de l'observation participante effectuée jusqu'à présent, j'ai été

chargé, comme tous les autres stagiaires, de la revue de presse aussi nationale

qu'internationale, de l'organisation des événements culturels et sociaux développés

au sein de l'Ambassade, de l'actualisation du site web et du newsletter

conformément aux activités organisées et aux changement concernant le personnel

de l'Ambassade, de l'accueil des visitateurs et des personnes invitées à l'Ambassade.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

5

culturelle de la Roumanie telle qu'elle est construite à l'intérieur de

l'Ambassade de Roumanie à Paris. On reprend : on ne s'intéresse pas

à l'image généralement formée et rendue publique, mais à image

accessible dès que quelqu'un veuille la regarder.

Ce sujet relève deux dimensions essentielles : la construction

de l'image de la Roumanie dans un espace culturel différent et

étranger ; les événements culturels comme jeu professionnel.

D'abord, on ne va pas percevoir l'image comme un empire

autonome et reformé, un monde clos sans communication avec ce

que l'entoure. Les images - comme les mots, comme tout le reste - ne

sauraient éviter d'être prises dans les jeux du sens, dans les mille

mouvances qui viennent régler la signification au sein des sociétés.

Dès l'instant où la culture s'en empare - et elle est déjà présente dans

l'esprit du créateur d'images -, l'iconicité, comme tout texte, est offert

à l'impression de la figure et du discours. La sémiologie de l'image

ne se fera pas en-dehors d'une sémiologie générale. Ensuite,

l'événement ne fait pas simplement couler l'encre : il interpelle aussi

le regard de ces observateurs qui, représentations d'un art ou d'un

savoir-faire, ont pris graphite, pinceaux ou caméra pour rendre

compte d'une scène vécue ou héritée. Mais la représentation de

l'événement, fruit d'entreprises individuelles ou concertées,

s'émancipe vite de cette paternité pour venir alimenter la mémoire

collective.

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Introduction

6

Problématique et cadre théorique

Nous vivons toujours dans une époque visuelle. Depuis

l'Antiquité on étudie des impressions visuelles qui stimulent nos

émotions. « L'esprit est moins stimulé par l'ouïe que par le regard »,

écrit Horace dans son Art poétique, en comparant le théâtre et la

narration verbale. Les prédicateurs et les professeurs ont précédé les

publicitaires modernes par leur connaissance de la manière dont

l'image visuelle nous atteint, qu'on le veuille ou non. Les

représentations de fruits succulents, de nus séduisants, de caricatures

repoussantes, de scènes d'horreur effrayantes jouent sur nos

émotions et captent notre attention. Cette fonction stimulatrice de la

vision n'est pas seulement le fait des images. Certaines configurations

de lignes et de couleurs peuvent influencer nos émotions. Il suffit de

regarder autour de soi pour comprendre comment le pouvoir des

moyens d'expression visuels est utilisé, du signal rouge indiquant un

danger à la décoration calculée d'un restaurant cherchant à créer

une certaine ambiance. À eux seuls, ces exemples montrent le

pouvoir de stimulation des impressions visuelles.

Ce qu'on veut mettre en avant par ce bref descriptif de la

société des images outrepasse le caractère embêtant d'un compte

rendu du quotidien. Bien au contraire, une telle présentation nous

aide à prendre en considération un contexte qui nous rend sensibles

aux images. Rien d'étonnant à l'affirmation que nous sommes entrés

dans le royaume du signifiant où le signifié n'a plus d'assujettis, dans

le royaume où l'image est en train de supplanter l'écrit. Enfin, dans le

royaume de ce que Roland Barthes appelait, à l'égard du système des

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

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symboles au Japon, « signifiant vide »3. Ce constat oblige à clarifier

les fonctions potentielles de l'image dans la communication, de se

demander ce qu'elle ne peut pas accomplir mieux que le langage

écrit ou parlé. Proportionnellement à l'importance de cette question,

l'attention qui lui est portée reste d'une faiblesse décourageante.

La méfiance envers l’image, à la fois comme illustration et

comme source, s’expliquerait selon J.-P. Terrenoire4 par la présence

d’un « habitus scientifique » modelé par l’écriture et par le rapport au

texte. Dire que les énoncés ne peuvent être traduits en images laisse

souvent incrédule. Cependant, il est facile de démontrer le bien-

fondé de cette affirmation en demandant aux sceptiques d'illustrer la

proposition dont ils doutent. Il est tout aussi impossible de dessiner le

concept d'un énoncé que d'illustrer l'impossibilité de traduire

quelque chose. Le degré d'abstraction du langage n'est pas la seule

chose qui échappe au moyen d'expression visuelle ; la phrase d'un

manuel scolaire « l'homme est dans un immeuble » n'est pas

abstraite, mais si le manuel montre l'image d'un homme dans un

immeuble, on comprendra, après un moment de réflexion, que

l'image n'est pas l'équivalent de l'énoncé. Il nous est impossible de

montrer par l'image que nous parlons d'un homme (en tant

qu'individu) ou d'un homme (en tant que représentant, par exemple,

d'une couche sociale). Même si la phrase exprime l'une des

descriptions possibles de l'image, on peu proposer une infinité

3 Roland Barthes, L'Empire des Signes, Points, Paris, 2005. 4 Jean-Paul Terrenoire, « Images et sciences sociales : l'objet et l'outil », Revue

française de sociologie, XXVI, 1985, lu dans de Verdalle L. et Israël L., Image(s) des

sciences sociales (avant-propos), Terrains & Travaux 2002/1, N° 3, p. 7-13,

disponible sur www.cairn.info.

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Introduction

8

d'autres énoncés descriptifs ; par exemple, « l'homme a les mains

croisées » ou même « il n'y a pas d'éléphants autour de lui. »

De plus, A. Rouille nous rappelle que « l’information

délivrée sur un objet par une photographie est intimement mêlée aux

effets figuratifs des circonstances de réalisation de l’image, la

situation historique, l’auteur, le commentaire, la technique, le

public… »5. Loin d’une tradition marxiste qui a pu considérer l’image

comme reflet du réel, il s’agit de questionner l’effet de crédibilité que

produit l’image en fixant le réel6. Image produite, image construite,

les sciences sociales ont à leur disposition des instruments qui leur

permettent d’analyser ce regard situé, en prenant en compte aussi

bien des contextes sociaux et historiques que des ensembles de

contraintes techniques ou des phénomènes de « voisinage

iconographique »7. L’image en effet porte en elle toute une série de

choix (techniques, esthétiques) et ces choix « engagent (…) des

valeurs qui, d’une manière discrète ou ostensible, sont exhibées dans

les choses représentées et dans leurs relations »8. L’image réunit des

acteurs et des objets autour de sa production, de sa réception et de

son interprétation. Dans ce faisceau de processus, l’image opère

comme une sorte de traceur ou d’indice de tous les réseaux qu’elle

cristallise.

Dans ce contexte théorique et à partir de lui, on va chercher

5 Alain Rouille, « Le document photographique en question », L'Ethnographie, n°

109, 1991. 6 Voir par exemple Michel Peroni, « Quelle validité documentaire pour le matériau

photographique en sciences sociales ? Le cas de la photographie du travail », in Le

Travail photographié, Roux et Peroni (dir.), Presses du CNRS, 1996. 7 Jean-Paul Terrenoire, « Images et sciences sociales : l'objet et l'outil », Revue

française de sociologie, XXVI, 1985. 8 Ibid.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

9

la réponse à la question : Dans quelle mesure l'image de la

Roumanie est-elle construite étant données les activités culturelles

de l'Ambassade de Roumanie à Paris ? Bien entendu, cette question

développe une série de problèmes qu'on va traiter tout au long de ce

mémoire. D'abord, le problème du milieu dans lequel l'image est

fabriquée - quelle est sa spécificité et comment est-il utilisé ? Ensuite,

la méthode employée par l'ambassade est aussi un aspect très

important relevant le métier du diplomate et la raison pour laquelle

les invités de l'ambassade sont susceptibles de projeter une image de

la Roumanie. Enfin, le dernier problème est la nature de l'image

créée qui nous montre la différence entre l'identité de la Roumanie et

son image construite à l'ambassade.

Pour conclure, il faut préciser que celui qui analyse les

images a la tâche difficile de parler d'un monde qui ne parle pas, qui

ne parle pas par lui même. La seule rhétorique propre à ce monde est

son mystère : il se construit devant nos yeux capable de jouir avant

de comprendre. Par rapport à la tension inexprimable entre le monde

visible et l'œil qui le perçois, l'intervention du mot n'est que

secondaire et amorphe. Cette écriture essayera toutefois comprendre

ce que le mot peut dire à l'égard de ce rendez-vous entre le monde

institutionnalisé, grandement crypté et le regard - la rencontre de

l'œil avec les choses.

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Introduction

10

Méthodologie

Privilégiant des méthodes de travail principalement

empruntées à la sociologie, sémiologie, anthropologie et à la critique

de l'art, on a choisi de procéder de façon empirico inductive. Au lieu

de partir d'un modèle théorique devant être vérifié par l'empirique,

on a préféré construire les hypothèses puis le cadre théorique au fur

et à mesure qu'on avançait sur le terrain. Ainsi, ce travail a été fait

par des allers-retours continuels entre empirie et théorie pour

permettre de formuler, préciser et adapter cette dernière par étapes

consécutives. Bien que plus laborieuse que l'approche déductive,

l'approche qu'on a choisi semble être plus respectueuse des

dynamiques microsociales et plus adaptées à ce travail qui se

construit en grande partie sur des interactions institutionnelles et

sociales à l'intérieur de l'Ambassade de Roumanie à Paris. Une des

conséquences de ce choix a irrémédiablement été un cadre

théorique en chantier constant.

Analyser n'importe quelle image, c’est s’interroger sur leur

production et sur les acteurs qui se mobilisent pour les créer et pour

leur donner sens, mais c’est aussi pour le chercheur en sciences

sociales un enjeu fort9. Il s’agit en effet de se tourner vers de

nouveaux matériaux, moins orthodoxes, souvent encore difficiles à

légitimer. Le chercheur, en passant lui-même à l’image, se trouve

confronté à de nouvelles questions méthodologiques et

9 Nous nous appuyons ici sur une note de synthèse rédigée par Alice Brunot dans le

cadre du magistère d'humanités modernes (ENS de Cachan/Paris X) : Alice Brunot, «

Réflexion méthodologique. L'usage de la photographie en sciences sociales : État

des lieux », mai 1998.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

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épistémologiques qui imposent aux sciences sociales un retour sur

leur propre démarche. L’image s’inscrit toujours dans une dynamique

(de production, de réception, d’interprétation) que les sciences

sociales, malgré leurs réticences, peuvent prendre pour objet. Un

objet qui pose le problème de la réflexivité et de la représentation,

du regard et du point de vue. L’utilisation de l’image comme

matériau scientifique exploitable passera nécessairement par

l’analyse de ses contextes de production et de réception. On a établi

une règle empirique, mais efficace, consistant à respecter trois

moments dans l'analyse : la description, la recherche des contextes

et l'interprétation. Il faut noter que ces trois moments, d'après

l'expérience accumulée, sont en fait indissociable (exemple : décrire,

c'est déjà interpréter).

Pour atteindre les objectifs de cette étude, on a recueilli des

données variées de façon à approfondir la connaissance des

fonctions de travail. Une démarche documentaire a été faite portant

sur une série d'événements choisis pour leur diversité que ce soit en

termes de genre artistique, d’inscription dans l’agenda culturel,

d’ampleur et de place dans la politique culturelle de l'Ambassade de

Roumanie. Compte tenu du peu de données secondaires disponibles

sur le sujet, l’approche méthodologique retenue repose

essentiellement sur la collecte d’information auprès du personnel de

l'Ambassade de Roumanie à Paris.

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Introduction

12

Les outils de l'enquête

Le principal instrument de travail a été le petit carnet noir de

terrain intentionnellement choisi pour ne pas attirer l'attention et

pour qu'on puisse l'utiliser dès qu'on observait quelque chose

d'important à noter. Parfois, lorsqu'on était devant l'ordinateur du

secrétariat et le contexte ne permettait pas de sortir le carnet de

terrain, on notait dans un document Word toutes les information

qu'on trouvait parlantes à l'égard du sujet de mémoire et

simplement à l'égard des relations au sein de l'Ambassade qui

pourraient faire sens au fur et à mesure de l'observation. De plus,

lorsqu'on sentait que la quantité du travail et les tensions afférentes

ne permettront pas d'utiliser soit le carnet de terrain, soit l'ordinateur

du secrétariat, on se servait du magnétophone, disponible sur

iPhone, qui tournait librement quand on participait aux activités dont

on fut chargé. L'appareil photo a également été très utile parce qu'on

a pu prendre des photos personnelles qui étaient bien différentes et

plus détaillées par rapport à celles officielles prises par le personnel

de l'Ambassade. Tous ces outils ont rendu possible l'enregistrement

de presque tous les faits qu'on a pus observer dans tous les contextes

de l'observation participante du début jusqu'à la fin. Par conséquent,

on peut affirmer que l’étendue et la diversité des données recueillies

permettent d’atteindre les objectifs de l’étude.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

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Corpus

Le mémoire est structuré en deux grandes parties, chaque partie

contient deux chapitres et chaque chapitre deux sous-chapitre. Au fur et

à mesure de la première, s'intitulant « L'image visuelle et ses pouvoirs »

on verra que la création de l'image de la Roumanie, à traves toutes les

activités de l'Ambassade de Roumanie à Paris, prend sens, comme un

triptyque, grâce à trois récits : le passé, le présent et le future. Bien

entendu, on ne veut pas et on ne peut pas dérouler le fil de l'histoire

comme une diapositive, comme une galerie d'images parlantes.

D'abord, on va montrer le cadre relationnel des relations diplomatiques

franco roumaines ayant une longue histoire, une actualité et un avenir.

L'histoire est donnée et acquise, l'actualité est l'histoire présente et,

quant à l'avenir, il reste une simple conséquence. En raison de tout cela,

on verra tout au long de cette section l'historie des relations

diplomatiques franco roumaines et leur montée jusqu'à présent. Bref,

quelle est la dimension graphique des relations franco roumaines.

Ensuite, ayant à l'esprit le credo que la mémoire, qu'elle soit proche ou

lointaine, s'appuie en grande partie sur des images qu'on arrive à

développer relative aux objets, on va essayer de montrer quelles sont les

image-leitmotives qui pourraient prendre forme et grâce à quel contexte

et à quelle méthode de communication ces images créent des

expériences du côté du public qui participe aux événement qui se

déroulent à l'Ambassade de Roumanie à Paris. La deuxième partie,

s'intitulant « L'œil et les choses », présentera d'abord la dimension

théâtrale et la dimension ludique du processus de création de l'image de

la Roumanie, processus tout au long duquel les invités et le personnel

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Introduction

14

de l'ambassade prennent leurs rôles. Enfin, on va s'interroger sur

l'objectivité, le sens et la nature de l'image créée.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

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PREMIÈRE PARTIE : L'IMAGE VISUELLE ET SES POUVOIRS

I. L'État roumain et la panoplie de son image culturelle et

franco roumaine

A. Histoire graphique vivifiée par culture

Les relations franco roumaines, qu`il s`agisse du niveau

politique, administratif ou économique, ont été fondées et développées

à partir et dans le contexte tout à fait privilégié des relations culturelles.

L`essence même de cette réalité se retrouve, relevée d`une façon

prégnante dans ce que Pompiliu Eliade écrivait dans son ouvrage « De

l`influence française sur l`esprit public en Roumanie au dix-neuvième

siècle » : « Rarement l`action d`un peuple sur un autre fut plus

complète, plus envahissante, plus enveloppante que l`influence

française en Roumanie. On la reconnaît dans toutes les manifestations

de l`esprit roumain, en politique aussi bien qu`en législation, dans la

littérature aussi bien que dans la conception administrative ou dans la

vie sociale.» En s'ayant appuyé sur cette réalité, Charles Drouhet affirma

dans l'ouvrage « La culture française en Roumanie » : « S`il existe un

pays où le voyageur français ne se sent pas dépaysé, c`est bien la

Roumanie ».

L'histoire de ces relations franco roumaines, et tout

particulièrement celle des rapports culturels, est placé sous le signe

magique d'un pont de latinité qui a uni, à travers les âges, la Roumanie

à la France. L'amitié, la solidarité et la fraternité ont toujours caractérisé

ces rapports. Comme le soulignait le général de Gaulle, « depuis

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L'image visuelle et ses pouvoirs

15

toujours, au cours des drames où, au cours des siècles, furent jetés

Roumains et Français, jamais, quoi qu'il soit arrivé, ils ne se sont

considérés autrement qu'avec beaucoup d'estime et de sympathie ». Cet

attachement réciproque plonge ses racines dans leur héritage latin qui a

conduit la Roumanie et la France à se retrouver, tout naturellement ;

dans les domaines de la pensée, des lettres et des arts.

Si l'on remonte aux sources, on arrive à l'époque des Croisés,

en 1396, lorsque les chevaliers de Jean de Nevers, fils du roi de

Bourgogne, se sont trouvés côte à côte avec les combattants du prince

valaque Mircea Cel Bàtrîn (Mircea le Vieux). Au XVI>e siècle, on

remarque la présence, à la cour d'Henri III et de Catherine de Médicis,

du futur prince de la Moldavie, Petre Cercel (Pierre Boucle d'Oreille).

Pendant les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, les relations franco

roumaines se sont amplifiées et diversifiées. Notons l'exemple d'un

certain capitaine valaque, Màràcine, venu lutter au service du roi

Philippe VI de Valois, et qui fut l'ancêtre du poète Pierre Ronsard. Les

vers du poème « Ode à Cassandre » témoigne de l'origine roumaine du

célèbre poète.

Tout au long des siècles XVIII et XIX les relations culturelles

entre les deux pays sont vivantes grâce à la circulation, à double sens,

des idées politiques et artistique. Si au début ce fut la France qui a le

plus donné dans cet échange, au cours du XXème siècle la Roumanie

commença à restituer, plus particulièrement à travers les créateurs

roumains intégrés dans l`espace de la culture française. La France

retrouva les bénéfices des «ses investissements roumains» en assimilant

à son patrimoine culturel une quantité impressionnante de créateurs

roumains amenés à s`établir sur son territoire pour des raisons les plus

divers. Les écrivains sont les plus nombreux: Marthe Bibescu, Anne de

Noailles, Panaït Istrati, Tzara, Voronca, Fondane, Gherasim Luca, Emil

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

16

Cioran, Eugène Ionesco, Mircea Eliade – pour ne citer que les

personnalités les plus connues de tout un échelon auquel s`ajouteront

un peu plus tard les noms des victimes du communisme. Les comédiens

ensuite, avec pour tête de liste Elvire Popescu, mais aussi Marie Ventura,

de Max, Yonnel ou Mlle Nisan, sociétaires de la Comédie française. Les

artistes ne furent pas non plus moins nombreux, de même que les

musiciens, les philosophes. On peut compter parmi ceux-là les noms

inoubliables de: Brancusi, Enesco, Lupascu, Matilda Ghyka. À son tour,

Bucarest, mis au goût de la modernité sous l`influence de l`architecture

parisienne, avec sa vie sociale et artistique très riche en culture

française, prendra le surnom de « Petit Paris ». Des professeurs français

de grande notoriété vont enseigner dans les universités roumaines;

certains parmi eux, tel Henri Jacquier, s`établiront définitivement en

Roumanie.

La Roumanie et la France s`attachent à promouvoir dans chacun

des deux pays la culture et l`image de l`autre en organisant des

manifestations d`envergure dont la visibilité et l`impact sur de larges

publics sont susceptibles de contribuer à établir et à maintenir des liens

durables dans les domaines de la vie intellectuelle et artistique. Un

programme de recherches très connu dans le domaine de l`archéologie

est « Nicolae Iorga » ou « Les belles Etrangères », destiné à favoriser les

traductions et à promouvoir la littérature contemporaine roumaine et

française.

À l'époque des Lumières et beaucoup plus intensément à

l'époque romantique, un grand nombre de Roumains ont fait leurs

études en France, ce qui permit des contacts culturels des plus divers, et,

en même temps, une grande pénétration de la littérature française dans

la conscience culturelle roumaine. À partir du XVIIIe siècle, les œuvres

des classiques français circulaient en version originale dans les pays

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L'image visuelle et ses pouvoirs

17

roumains. On lisait Bossuet, Racine, Corneille, La Fontaine, Boileau,

Molière. Lors de la Révolution et de l'Empire, l'intérêt de la France pour

les principautés danubiennes et l'influence française dans les pays

roumains, surtout sur le plan social et culturel, se sont intensifiés. Ainsi

le Premier consul de la République française, Émile Gaudin, est arrivé à

Bucarest en 1792. La Révolution française et celle de 1848 ont marqué

d'une manière déterminante le développement de la nation et de l'État

roumain.

L'unification de la Moldavie et de la Valachie (principautés

roumaines) en 1859 a été soutenue par des personnalités françaises

telles Jules Michelet et Edgar Quinet et elle s'est accomplie avec l'aide

de Napoléon III. L'indépendance des pays roumains a été réalisée en

1877, toujours avec l'aide de la France. Pendant la première Guerre

mondiale, la mission militaire française conduite par le général Henri

Matthias Berthelot a joué un rôle essentiel qui a contribué effectivement

à la reconstruction de l'armée roumaine.

La Grande Roumanie s'est formée en 1918, par le rattachement

de la Transylvanie - troisième principauté roumaine - qui connut

cependant la domination de l'Autriche-Hongrie. Cette union historique

qui réalisait les aspirations nationales légitimes du peuple roumain a été

soutenue, sur le plan diplomatique, par la France. Dans cette

Transylvanie, où la formation avait été jusque-là principalement

allemande, on a implanté le français, grâce à une mission culturelle, qui

a fait venir de France un grand nombre de professeurs. Une formation

classique, solide et durable, de la jeunesse de la région est la marque de

cette action. Après la domination austro-hongroise, le français a été une

formule d'émancipation, d'autant plus qu'il rappelait l'appartenance à la

latinité des Roumains et des Français.

Au début de notre siècle, Bucarest était appelé « le petit Paris ».

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

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L'influence française était ressentie même dans l'architecture de la ville.

Paul Morand évoque, dans un livre écrit lors de son séjour diplomatique

en Roumanie, en 1920, l'atmosphère sociale et politique de Bucarest du

début de siècle : on parlait français dans les familles aristocratiques, on

connaissait l'histoire et la littérature de la France, on lisait les journaux

français, on pouvait acheter les dernières parutions littéraires mêmes

dans les librairies des villes de province.

Si Bucarest était un miroir éloigné de Paris, Paris est devenu une

patrie pour les talents roumains. Leur contribution à l'essor de la culture

française est reconnu : Constantin Brâncusi, grand précurseur de la

sculpture moderne ; Marthe Bibesco, avec son fameux salon du

faubourg Saint-Germain ; Anne de Noailles, née Bràncoveanu, première

femme commandeur de la légion d'honneur ; le compositeur George

Enescu ; les actrices Maria Ventura et Elvira Popescu ; les écrivains

Panaït Istrati et Tristan Tzara, fondateur du mouvement « dada » ; les

poètes Ion Vinea et Gherasim Luca ; les ingénieurs Traian Vuia et Henri

Coandà ; Eugène Ionesco, membre de l'Académie Française, créateur du

théâtre de l'absurde ; Mircea Eliade grand historien des religions ; Emil

Cioran, jugé par les critiques littéraires français comme le plus grand

styliste de la langue française du XXe siècle.

Ces interférences culturelles franco roumaines se sont

accentuées tout au long du XXe siècle, même à travers les décennies

durant lesquelles la Roumanie fut soumise au régime totalitaire. La

francophonie représentait une forme de résistance intellectuelle. On

avait de plus en plus de mal à se procurer les livres français, mais on se

les passait des uns aux autres. Dans les dernières années du

communisme, la fréquentation du Centre Culturel français de Bucarest,

unique source de livres français, était un acte de courage, vu les

recommandations aux accents xénophobiques des autorités officielles.

Page 20: L'œil et les choses. Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

L'image visuelle et ses pouvoirs

19

Pour les Roumains, au cours de leur histoire, le français a été la langue

formatrice de l'intellectualité et on ne saurait négliger sa contribution

dans l'identité nationale roumaine.

Les événements de décembre 1989 (La Révolution roumaine

contre le régime communiste) ont été suivis d'une explosion de

contacts, projets communs et relations de collaborations franco-

roumaines dans tous les domaines. François Mitterand a été le premier

chef d'État à visiter la Roumanie après la chute du communisme.

Jacques Chirac a été, à son tour, le premier chef d'État à être reçu

officiellement à Bucarest après l'élection en novembre 1996 de la

coalition démocrate et du président Emil Contantinescu. La Roumanie

compte sur la France pour soutenir efficacement ses efforts d'intégration

euro-atlantique.

Cette relation séculaire a rendu la Roumanie l'un des pays

parmi les neuf ayant plusieurs millions d'élèves et étudiants en français,

avec le Zaïre, le Royaume-Uni, le Canada, l'Algérie, le Maroc,

Madagascar, le Cameroun et la Belgique. Aujourd'hui 2 250 000 élèves,

soit presque 51% de la population scolaire l'apprennent à l'école.

Toutefois, la langue française garde en Roumanie l'image austère d'une

langue de culture, ce qui nuit, actuellement, à sa diffusion plus large

dans la jeunesse. Pour les professeurs et les élèves, des contacts directs

avec la France d'aujourd'hui seraient nécessaires pour changer cette

image.

Un rôle important dans la diffusion de la langue et de la culture

française en Roumanie est détenu par un dense réseau d'établissements

culturels français, sous la tutelle du Service culturel de l'ambassade de

France à Bucarest, et par le réseau d`enseignement du français qui

compte à cette heure 55 lycées bilingues et 16 universités où

fonctionnent des filières francophones. Grâce à cela, quelques centaines

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

20

de jeunes roumains étudiants partent chaque année en France. Il y a

trois Centres culturels français créés en 1990 : à Cluj, à Iasi et à

Timisoara. Il y a ensuite les cinq Alliances françaises, présidées par des

personnalités roumaines à Constansa, Craiova, Brasov, Pitesti et Ploiesti.

Il y a enfin, l'Institut français de Bucarest, pièce maîtresse de l'action

culturelle française en Roumanie. Au centre du pays, site culturel et

économique ancien et puissant, Brasov est, avec ses 350 000 habitants,

une des principales grandes villes de Roumanie. On y trouve une faculté

de français à l'université et un lycée bilingue français/roumain. Dans la

ville, il y a 452 professeurs de français. L'organisation d'une

bibliothèque française à Brasov en 1990 a voulu répondre à la demande

des lecteurs et renouer avec la tradition de l'ancien institut français, qui

a fonctionné dans la ville, durant l'entre-deux guerres. Filiale de la

Bibliothèque départementale de Brasov, la bibliothèque française a

réuni les livres reçus de France et de Belgique, à la suite des événements

de 1989. Les Services culturels de l'ambassade nous ont aidés, surtout

au début, par un envoi de 200 livres parmi lesquels des dictionnaires,

des encyclopédies, des atlas, des anthologies, des albums, qui

n'existaient pas parmi les dons reçus de l'étranger.

En guise de conclusion, soulignons que la France et la

Roumanie peuvent se féliciter pour leurs liens culturels «

multiséculaires» privilégiés, noués dans la latinité et resserrés dans la

Francophonie. Obligée, ces dernières années à affronter un raz de

marée américain, la Roumanie tâche d'organiser la « résistance » devant

ces manifestations de « sous-culture ». Beaucoup de Roumains sont

d'accord avec Alexandre Papeologu, ambassadeur de la Roumanie post-

communiste à Paris : « Si la Roumanie perd son français, mon pays

restera sans mémoire ». Espérons que les relations réciproques franco

roumaines, accompagnées de mouvements de cœur, mais aussi de

raison vont s'amplifier pour ne pas contredire le mots de Nicolae

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L'image visuelle et ses pouvoirs

21

Titulescu, le plus brillant représentant de la diplomatie roumaine, qui,

en parlant de l'histoire des rapports franco roumains l'appelait «

l'histoire d'une amitié non assombrie et d'une entente non interrompue

».

B. L'Ambassade de Roumanie et son crayon créateur. Un œuvre

On vient de voir que la Roumanie et la France bénéficient d'une

relation-cadre créée, développée et soutenue par culture. L'Ambassade

de Roumanie à Paris est l'institution héritière de cette histoire et en

raison de cela on doit réserver cette section à la spécificité des activités

qui s'y déroulent.

Tout d'abord, on peut affirmer franchement que la vocation des

ambassades est la représentation de leurs gouvernements. Rien à

prouver. Rien à démontre sociologiquement. En raison de cela, on peut

avancer en disant que les deux figures de la représentation (agir « à la

place de » et « en tant que ») se combinent dans la défense de la bonne

image du pays, qui est à la fois un axe central du mandat donné à

l’ambassadeur et une conséquence de son rôle d’incarner son pays. Le

travail de représentation, trop souvent associé de façon restrictive à «

l’exercice de la coupe de champagne » lors des cocktails et autres

événements, passe aussi par un investissement important pour

promouvoir, par différents types de manifestations (salons, expositions,

conférences, etc.), la culture, les valeurs et les produits roumain avec

une finalité politique. Il permet de favoriser la diffusion des idées et de

la langue roumaine, mais aussi de défendre les intérêts des ressortissants

et des entreprises nationales quand ceux-ci ne sont pas traités avec

équité par les autorités locales. Plus généralement, il s’agit d’entretenir

la réputation de la Roumanie à l’étranger parce que toute action de

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

22

l’ambassade peut potentiellement agir sur l’image que se font de la

Roumanie les ressortissants du pays d’accréditation, mais, dans le même

temps, cette image est le résultat de dynamiques historiques,

économiques, culturelles qui peuvent échapper à l’ambassade. La

Roumanie bénéficie d’un certain capital d’image et de sympathie, mais

pâtit également de nombreux stéréotypes et des problèmes qu’il n’est

pas facile de faire changer.

Plus généralement, la promotion de l’image du pays, davantage

encore que les autres dimensions de la fonction de représentation,

requiert de la part des diplomates, et en premier lieu des chefs de poste,

la mobilisation de qualités de coordinateur ou d’animateur. Au-delà de

la question de leur choix, la réalisation d’actions diverses pour

améliorer, consolider ou renforcer l’image du pays d’origine dans celui

d’accréditation, nécessite souvent, en amont comme en aval, le travail

collectif de plusieurs services. Ainsi, répartir les objectifs de chacun,

susciter des initiatives, valoriser les compétences en présence, assurer la

cohérence de la mise en adéquation des actes individuels, voire

sanctionner aux différents stades des projets les erreurs commises pour

les corriger, sont autant de tâches que le diplomate est également amené

à effectuer dans le cadre de sa mission de représentation. Néanmoins,

ces dernières renvoient directement à une autre de ses grandes

fonctions, qui est celle d’organiser, soulignant la récurrence de leur

extrême interdépendance.

C’est la raison pour laquelle le travail de représentation, dans sa

dimension d’incarnation d’une présence, est une entreprise de long

terme dont les effets immédiats sont souvent peu visibles. Pourtant, lors

de moments importants, de crises ou de démarches singulières, la

mobilisation des contacts patiemment cultivés dans le pays

d’accréditation peut s’avérer déterminante. Cette « démarche réflexe »

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L'image visuelle et ses pouvoirs

23

d’entretenir des réseaux de proximité divers et variés, prenant des

formes multiples en termes d’investissements de ressources, est une

dimension singulière de l’activité diplomatique de l'Ambassade de

Roumanie à Paris.

À partir de tous ces découverts, on peut préciser que le système

de travail de l'ambassade est système d’efficacité. La nature est toujours

transformée en donnée culturelle, en terrain d’alliance et d’action pour

une société ou un groupe donnés, dans une époque elle-même

délimitée. Les différentes facettes de l’activité diplomatique peuvent se

résumer en quatre verbes, souvent utilisés par les diplomates eux-mêmes

lorsqu’ils parlent de leur travail : représenter, informer, négocier,

organiser. Prises séparément, ces activités ne fondent pas un métier

spécifique, mais c’est leur combinaison, la présence constante de ces

quatre dimensions qui donne une tonalité particulière au travail

diplomatique. Une activité particulière regroupe et met en œuvre les

quatre grands types d’activités qui structurent le travail de l'Ambassade

de Roumanie : l’organisation et la gestion des visites officielles au cours

desquelles sont mises en scène les relations bilatérales, finalisées

certaines négociations et qui donnent lieu, en amont et en aval, à un

important travail d’information. Les contacts de plus en plus fréquents

entre dirigeants, loin de réduire la charge de travail des diplomates ont

au contraire pour effet de l’augmenter. Les rencontres, négociations et

visites doivent être préparées, gérées et prolongées (informations

préalables, mise en évidence des points d’accord et remontée des seuls

points de désaccord, résolutions des « détails techniques » de plus en

plus nombreux et importants). Les diplomates jouent en outre un rôle de

synthèse politique visant à produire une position, à garder une

cohérence, à construire un discours ; d’où la répétition des éléments de

langage (un point qui n’est pas repris dans un discours officiel pourrait

être perçu comme le « signe » que le sujet n’est plus considéré comme

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

24

important par le ministère). Tous les propos tenus durant les visites

officielles sont cadrés par des travaux préliminaires servant à déterminer

les sujets à aborder et à écarter les développements indésirables. Ce

travail de mise en forme permet d’isoler les thématiques, de les

valoriser, en se libérant de tout ce qui ne rentre pas dans le ton de

l’échange. Au-delà d’une rencontre et d’un problème technique

particulier, il s’agit de faire perdurer la relation bilatérale. Le pays

d'accréditation avec ses spécificités géographiques et culturelles, en lien

avec l’ambassade roumaine, détermine la liste des thèmes à aborder et

des personnes à rencontrer, reprise dans une note de cadrage. Des

échanges préalables avec le cabinet du ministre et d’autres ministères

éventuellement intéressés par la visite sont réalisés, afin de lister et de

coordonner les différentes demandes éventuelles. Au sein de

l’ambassade, les conseillers techniques sont invités à rédiger à

l’intention du chef de poste des fiches techniques sur les thèmes

susceptibles d’être liés à la visite et qui l’aideront pour la rédaction des

télégrammes diplomatiques et l’organisation de la visite. De même,

l’ambassadeur et son équipe sont souvent amenés à rédiger les discours

officiels qui seront prononcés par le responsable politique. La

préparation et la négociation minutieuse des programmes, des thèmes

abordés (et de ceux que l’on souhaite éviter), des éléments logistiques,

jusqu’à l’éventuel échange de cadeaux, ont pour objectif de limiter tous

les imprévus et de désamorcer à l’avance tout risque de friction, toute

tension ou malaise entre les personnalités. L’objectif de la visite n’est

pas tant de régler les problèmes en suspens, ce qui sera fait en amont ou

en aval de la visite par les diplomates ou les experts concernés, mais

d’afficher symboliquement une bonne entente, d’affirmer une volonté

politique de coopération. Cela permet en outre d’augmenter la

confiance et l’estime réciproque entre décideurs, donc de faciliter les

relations à venir. Chaque rencontre ou chaque coup de téléphone entre

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L'image visuelle et ses pouvoirs

25

dirigeants est l’occasion de la rédaction de documents pour le

responsable politique roumain (président, ministre ou parlementaire) :

biographie des homologues rencontrés, note de cadrage (ce qu’on

attend de l’entretien), note d’entretien (on se renseigne à l’avance sur les

sujets dont les responsables veulent parler).

Les décideurs politiques ne pouvant être en permanence avisés

de tous les problèmes et se concentrant sur les dossiers de crise, les

diplomates doivent être à jour de chaque dossier potentiellement

critique et développer une « attente active » pour être prêt quand

surviendra une crise qui entraînera le déplacement d’un décideur.

L’influence des diplomates dépend donc de leur capacité à fournir au

« bon moment » les éléments qui répondront aux enjeux tels que les

perçoivent les politiques. La capacité à faire évoluer le cadre qui

structure la définition même de ces enjeux est, quant à elle, plus limitée,

du fait de l’existence de « lignes rouges », de grandes tendances dans les

rapports entre États et des arbitrages entre divers intérêts tant internes

qu’externes. Changer progressivement le cadre suppose un travail

constant et continu. Une secrétaire précise : « On essaye d’irriguer en

permanence des gens qui comptent en informations, en petites notes, en

bullet points. Notre travail, c’est de jouer les rabat-joie. D’introduire de

la complexité, de rappeler que les choses ne sont pas si simples. Mais la

complexité, pour qu’elle ne soit pas mal prise par les décideurs qui ont

des millions de choses à lire, il faut qu’elle soit exposée clairement dans

des notes courtes et synthétiques. Si nous voulons être lus, il faut essayer

de dire clairement des choses compliquées. » Il s’agit d’anticiper les

problèmes pour avoir les éléments suffisants en cas de besoin ou pour

prévenir les problèmes avant qu’ils ne se transforment en « crise ». Le

diplomate « médiateur », comme s'appelait l'un des diplomates

roumains, doit intérioriser la posture politique afin de pouvoir innover

tout en restant « dans la ligne », conforme aux positions définies

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

26

collectivement. Le risque alors, pour être écouté des décideurs, est de ne

présenter que les analyses et les solutions qui seront acceptables ou

attendues par les décideurs politiques.

Il y a également parfois une certaine concurrence avec les

membres des cabinets ministériels qui peuvent avoir la tentation, pour

garder le contrôle de leur domaine spécialisé, de négliger les

informations apportées par les diplomates. Mais les diplomates ont la

connaissance des réseaux, des personnes qui ont l’information adaptée

pour l’action, pour arbitrer, faire la synthèse entre les positions

différentes quand un ministre « technique » vient négocier un dossier

relevant de son portefeuille, mais pouvant avoir des implications plus

larges qu’il ne maîtrise pas forcément.

La diversité des formes des événements culturels organisés à

l'ambassade permet de dégager des caractéristiques propres, voire des

catégories correspondant à des objectifs. On a ainsi trouvé quelques

critères applicables aux événements organisés par l'Ambassade de

Roumanie, critères qu'on a développés à partir des préoccupations du

personnel de l'ambassade quand il préparait les événements. Le critère

artistique permet de définir la création comme constitutive de

l’événementiel culturel – et d’exclure l’événementiel non culturel du

champ. La création s’avère plus ou moins présente selon les

événements, dans des formes traditionnelles ou explorant des formes

nouvelles (un événement organisé autour d’une thématique, le

métissage des genres artistiques, etc.). Selon le critère du public,

plusieurs types de publics peuvent être distingués, plus ou moins visés

ensemble ou exclusivement selon les événements : grand public, public

culturel amateur ou averti et public professionnel ; au-delà du public

physiquement présent dans la diversité de ses segments, il faut prendre

en compte le public touché par la médiatisation inhérente à

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L'image visuelle et ses pouvoirs

27

l’événement. Public visé et médiatisation sont ainsi liés car

l’élargissement du public n’est pas possible sans une médiatisation de

l’événement. Le critère de lieu s'explique par l'importance du lieu où

l'événement se déroule. L’événementiel se construit ainsi sur une unité

de lieu et une concentration dans l’espace, même si le territoire investi

peut être plus ou moins large. L’essentiel est que l’événementiel s’inscrit

toujours dans un territoire choisi et contrôlé par le personnel de

l'ambassade. Le critère de temps s'explique à son tour par l’unité de

temps. L’événementiel suppose la concentration dans le temps et

construit sa propre unité de temps. Enfin, grâce au critère de rareté; le

personnel est attentif au caractère exceptionnel de l'événement. Ce

critère peut aller jusqu’au caractère unique et non renouvelable de

l’événement créé. Paradoxalement, malgré leur caractère éphémère, la

plupart des événements cherchent cependant à s’inscrire dans la durée

par leur réitération.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

28

II. La profondeur spatiale - de l'impossibilité d'y échapper

A. La galerie diffuse des signifiés

Comme tous les établissements représentatifs qui

communiquent leur présence symbolique à l'espace extérieur, au

monde, l'Ambassade de Roumanie bénéficie d'un très bon

emplacement à Paris, Rue de l'Exposition, 75007, et d'un bâtiment très

spécial, l’Hôtel de Béhague (voir annexes : photo 1). L’écrivain Henri

de Régnier qualifia cet hôtel d’être « l’un des plus beaux palais de

notre ville ». La grand-mère de Martine de Béhague avait acheté en

1863 le terrain où se trouve aujourd’hui l’ambassade. Elle demanda à

Gabriel Hippolyte Alexandre Destailleur (1822-1893), restaurateur de

Courances et de Vaux-le-Vicomte, d’y édifier un hôtel de style Louis

XV afin de correspondre aux collections du XVIIIème siècle qu’il

devait abriter. L’architecte possédait une renommée internationale et il

fut lié à la famille impériale et travailla en particulier pour les

Rothschild de Vienne. Destailleur possédait une impressionnante

collection de dessins d’architecture et d’ornements. Cette

connaissance aiguë lui permettait de s’inspirer pour ses œuvres des

décors anciens. Il avait aussi coutume de réemployer d’anciennes

boiseries et éléments de décor mis sur le marché au moment des

reconstructions d’Haussmann. Ce lieu fut vendu le 27 mars 1939 à

l’Etat Roumain qui y transféra son ambassade étant auparavant à

l’hôtel de Pomar, avenue de Wagram.

Au fil des années, cet endroit a acquis une identité propre et

représentative pour l'État roumain et ses relations avec l'État français.

En l'occurrence, il offre à l'activité diplomatique une légitimité

historique et culturelle, il lui offre le support nécessaire, l’appui pour

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L'image visuelle et ses pouvoirs

29

les nouvelles manifestations qui s’y déroulent derrière les grandes

portes en bois de l'ambassade qui s'ouvrent aux invités. Dès qu'ils y

entrent, les invités changent le volume de leurs voix, vérifient leurs

vêtements, précisent aux enfants entrent : (« on est dans l'ambassade.

» «Attention les enfants ! »; « Silence ! »; « Portez-vous bien ! » ; «

nous ne sommes plus chez nous »). Même les adultes se corrigent

entre eux quand ils ont l'impression que leur tenue n'est pas d'une

manière ou d'autre adéquate. L'attention et la précision sont les effets

du costume. Il doit être respecté. Le jeu peut commence dès que tous

les détails sont à leur place pour que le costume puisse afficher sa

valeur emblématique. Le costume n'est pas du tout passif, il contamine

la personne qui le porte et il pousse cette personne vers la

théâtralisation de soi-même, vers un rôle joué naturellement, qu'il le

veuille ou qu'il ne le veuille pas. Le costume peut modifier l'état

intérieur, les attitudes d'une personne bravant apparemment. À

l'entrée, les invités sont accueillis à la porte de l'Ambassade par le

Ministre plénipotentiaire Roxana IFTIME, le Premier secrétaire Eugen

ROŞCA chargé de culture et communication, le Conseiller Maria

Niara IBRAM chargé de Francophonie, presse et communication. Ils se

serrent la main pour quelques instants, s'adressent quelques mots de

politesse, des sourires chaleureux et tout de suite le Ministre

plénipotentiaire commence à expliquer aux invités le plus importants

l'architecture et l'histoire du bâtiment, les noms des pièces, les

grandes personnalités roumaines et françaises qui ont contribué à la

décoration et à l'organisation de l'intérieur de l'Hôtel de Béhaque. Par

exemple, Ministre plénipotentiaire précise chaque fois que la

bibliothèque de l'ambassade a été rangée par Paul Valéry. On emploie

même de petites anecdotes pour détendre la relation entre eux. Le

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

30

personnel1 utilise très souvent le mot « Roumanie » en faisant, il me

semblait, toutes les liaisons possibles et parlantes. Le personnel et les

invités survolent, ils tournent en rond à petits pas les salons, la

bibliothèque, les couloirs de ce royaume des regards. Ils se dépêchent

et ils retardent comme s'il est leur espace de promenade,

d'admiration, de travail et de repos. En même temps, ils s'adressent

des questions qui nous montrent que les gens ont le sentiment qu'ils

participent à quelque chose de spécial où les critères2 d'entrer créent

un cadre exclusiviste et structuré : « Commet vous avez pris

connaissance de cette soirée ? »; « Est-ce que vous êtes invité à tous

les événements ?! »; « Qui vous invite ?! »). Il faut préciser très vite que

tous les évènements organisés par l'Ambassade, dans son bâtiment

fastueux, sont toujours gratuits et que les participants doivent s'y

inscrire soit sur le site web de l'Ambassade, soit par téléphone. De

plus, tout le monde entre dans l'Ambassade après leurs cartes

d'identité ont été vérifiées. Tout le bâtiment fait office de bureau où

l'invité et le personnel changent leurs places dans un milieu plain

1 Le personnel de l'Ambassade est composé de dix-huit personnes dont sept femmes

et onze hommes. En l'occurrence, après la nomination de l'ancien ambassadeur au

poste de Ministre des Affaires Etrangères, l'Ambassade de Roumanie à Paris est

conduite par une femme qui a le titre de Ministre plénipotentiaire. Le personnel est

aidé au fil de ses activités par des stagiaires sélectés pour une période d'environ six

moins.

2 Les événements organisés par l'Ambassade sont communiqués par des invitations

personnalisées et envoyés à l'adresse des invités, par téléphone et sur le site web.

Cette procédure, comme on le verra, crée toujours le sentiment à ceux y présents

qu'ils participent à quelque chose d'important, à quelque chose d'exclusiviste qui

renforce leurs raisons d'y prendre part.

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L'image visuelle et ses pouvoirs

31

d'insignes nationaux. Dans l'ambassade, toutes les personnes délivrent

un message, verbal ou gestuel. Ce message est renforcé par le

symbolisme des vêtements qu'ils portent et de tous les objets qui se

trouvent à l'intérieur. « Les objets parlent à leur manière. »3

Dans l'ambassade aucun objet n'est jamais muet, mais il faut

parfois une analyse assez minutieuse, pour en décrypter tout le

message particulier. L'ordre de l'Ambassade fait partie des actifs de

légitimité et, par conséquent, d'autorité. Le personnel est le maître de

son espace et l'invité le sait. Les invités spéciaux sont accueillis à la

porte de l'Ambassade par le Ministre plénipotentiaire Roxana IFTIME,

le Premier secrétaire Eugen ROŞCA chargé de culture et

communication, le Conseiller Maria Niara IBRAM chargé de

Francophonie, presse et communication. Ils se serrent la main pour

quelques instants et tout de suite le Ministre plénipotentiaire

commence à leur expliquer l'architecture, l'histoire du bâtiment, les

noms des pièces et même de petites anecdotes pour détendre la

relation entre eux. Par exemple, lors d'un événement, l'écrivain

Andreea ANDREESCU a rappelé la beauté légendaire d'Aurora

CORNU (l'invitée spéciale) et son effet sur ses collègues écrivains de

Bucarest et de Paris quand elle participait aux réunions artistiques («

Elle était ravissante et belle. Toute le mode le savait. »). De plus, le

personnel utilise très souvent le mot Roumanie en faisant, il semblait,

toutes les liaisons possibles et parlantes. Leur itinéraire est fractionné.

Parfois, le personnel est situé tout seul devant le drapeau roumain

animé et illuminé grâce à une seule fenêtre bien ouverte (voir les

annexes : photo 2), qui est à peu près la seule source de lumière dans

la pièce, tandis que toutes les autres personnes occupent un espace

3 Catsiapis Hélène. Les objets au théâtre. In: Communication et langages. N°43, 3ème

trimestre 1979. pp. 59-78, disponible sur www.persee.fr.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

32

destiné aux spectateurs qui semblent participer à une cérémonie

grandement théâtrale, voire iconique. Cette fois-ci, l'invité et tout le

personnel de l'Ambassade ne survolent plus l'espace indéfini et

librement partageable comme au début du rendez-vous, mais un

espace structuré et défini où tout le monde occupe sa place. Parfois,

l'ambiance n'est plus marquée par l'iconicité du drapeau roumain, par

la mise en scène théâtrale des symboles nationaux et par un espace

structuré devant leurs yeux. Cette situation arrive surtout à la fin des

moments centraux des soirées quand les invités se replient

discrètement autour du buffet suédois y organisé. Ils commencent à

discuter à voix basse, lorsque ils nous donnent l'impression que

personne ne peut y intervenir, que toute intervention serait une vraie

violation des règles, ils font des plaisanteries et parfois ils se tutoient.

Même si tous ce comportements sont en quelque sorte paradoxaux, on

peut ressentir une sorte de complicité, un clin d'œil masquant le secret

de leurs rôles : on est tous acteurs et on le sait.

Tout ce périple et sa fin sont intentionnellement établis par le

personnel de l'Ambassade pour que l'invité puisse voir le beau

bâtiment et pour qu'il puisse, comme le Ministre plénipotentiaire le

disait, s'accommoder à l'ambiance. De plus, beaucoup de salariés

disent très souvent qu'on doit leur créer une atmosphère en même

temps chaleureuse, respectueuse et familière, qu'on était là pour être

sincère et cette sincérité doit être transmise au niveau institutionnel.

Pour appréhender ces aspects des événements culturels et leur

image, on peut s’appuyer sur la vieille règle du théâtre (on le verra

plus tard), en l’adaptant quelque peu, et affirmer qu’un événement

culturel s’appuie sur l’unité de temps, de lieu et d’action. Son

émergence nécessite en effet que soient réunis sur une période courte,

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L'image visuelle et ses pouvoirs

33

dans un lieu choisi pour le sens qu’il donne à la manifestation, une

action et un public, tous deux intimement liés. Des synergies qui se

développent sur ce triptyque de base dépend l’inscription dans la

durée de la manifestation, son retentissement et ses effets à court,

moyen et long terme, directs ou induits.

L'image de l'État y existe et elle est d'autant plus puissante

pendant le déroulement des événements parce que le champ

imaginaire qu'elle crée est un cadre qui laisse oublier qu'il est aussi un

cadrage (un recadrage, surcadrage, voire un décadrage) tout à la fois

spatial et temporel. Enfin, parce qu'elle est l'image de l'image. De

plus, le réel n’est jamais une donnée brute, un univers matériel

immuable, plus ou moins bien décodé selon les regardeurs. Les

sciences sociales montrent en abondance l’absence d’unanimité sur

une définition précise de la réalité. Ni le vrai, ni le faux ne sont des

catégories aptes à juger de ces visions du monde. La culture, ou plutôt

l’imaginaire social, n’est jamais une décoration de peu d’incidence, un

ornement quelque peu superflu, revêtant une nature objective et

incontestable, claire aux yeux des sciences occidentales, et obscure

aux autres sociétés à la suite d’erreurs d’observation ou des

insuffisances d’une mentalité prélogique marquée par « une

application erronée des lois de la causalité » (A. Van Gennep). Il n’y a

ni vérité ni erreur mais seulement des univers symboliques en

équation donnée face à leur environnement et qui enchevêtrent la vie

quotidienne des acteurs, rendant possible le lien social, potentialisant

des énergies, animant le milieu où ils existent et le rendant propice à

accueillir une entreprise humaine donnée.

L'ambassade est un endroit où la différence entre le fond la

forme est indescriptible. Les deux jouent en même temps et

contribuent à la création de l'image de la Roumanie. Bien entendu,

Page 35: L'œil et les choses. Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

34

l'image d'une Roumaine qui n'est pas du tout complète, qui ne couvre

qu'une petite dimension culturelle.

B. Le pouvoir hypnotique de l'itinéraire

À la fin des soirées, quand les invités se préparent à partir,

on entend à plusieurs reprises que l'événement a été une « soirée

roumaine très réussite au milieu de Paris », qu'elle a été « une vraie

soirée franco roumaine » ou une phrase tout à fait parlante à l'égard

du sujet de mémoire : « quelle belle image de la Roumanie culturelle

! » Une implication imprévue, une expérience émotive plus forte, un

effet qui influence ou un message qui nous pousse à réfléchir – en

quelques mots, la sensation de se retrouver spectateurs attentifs et

émus qui vivent leur ancien rôle avec une intensité surprenante,

voire fatigante (voir les annexes : photo 3). Ce sont précisément les

cas où il n’est plus question de spectateurs, mais de supporters, de

fans, de dévots, de mordus et le spectacle à son tour prend le nom

d’événement extraordinaire, vision merveilleuse, chef-d’œuvre

absolu dans un envol vers les superlatifs qui ne correspondent pas

tant au jugement qu’au besoin de signaler un vrai succès – à la lettre,

la réussite d’un vrai spectacle, c’est-à-dire d’une exception qui pour

une fois ne confirme pas la règle. Certes, c’est l'événement et non le

spectateur qui doit accomplir le miracle. Mais toujours, devant le

miracle et dans le miracle, réapparaît la composante relationnelle qui

s’avère décisive pour son succès, et incisive dans la transformation

du spectateur. Qu'est-ce que produit ces exclamations pleines

d'émotion. Qu'est-ce qui se passe jusqu'à ce point-là ?! Il y a

quelque chose qui s'y impose. Un pouvoir.

Page 36: L'œil et les choses. Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

L'image visuelle et ses pouvoirs

35

On le sait bien, les faits sociaux ne sont jamais des faits de

nature, c'est-à-dire de simples rapports de force. Les faits sociaux

sont des faits de communication et de langage, des faits symboliques

qui cachent un intérêt conjoncturel, en nous rappelant le lien qui

unit intimement pouvoir et spectacle. À cet égard, Georges Balandier

écrivait dans son ouvrage « Pouvoir sur scène » qu'il n'y a pas de

pouvoir - jamais et nulle part - qui n'implique une théâtralisation,

une mise en scène, un apparat ; qu'il n'y a pas de pouvoir nu et

muet. Le « théâtre » l'accompagne. L'effet du pouvoir résulte de la

théâtralisation elle-même. La théâtralisation est le fonctionnement

même du politique. Cette théâtralisation n'est pas un instrument

entre les mains habiles d'un metteur en scène (individu, groupe ou

classe) qui serait au dehors. Il n'y pas d'en dehors de la mise en

scène et il n'y a pas de metteur en scène. Aussi, plutôt que

théâtralisation, il vaut mieux parler de théâtrocratie, c'est-à-dire du

gouvernement par les apparences, par le jeu des acteurs, par la

dramatisation et par la relation spectacle. Prenons comme exemple

la décoration du professeur le professeur Bernard Miège (voir les

annexes : photo 1), l'invité spécial, quand on a réalisé que la

prépondérance de l'État roumain a occupé toute la scène en raison

de la mise en place de l'événement, des symboles nationales et de

l'économie de l'espace. Il semblait que tous les invités n'étaient que

des guignols animés par le personnel de l'ambassade qui a tout

organisé et dirigé. Ainsi, on ne sait pas et on ne peut pas savoir s’il

arrive en premier le résultat de l’émotion ou le processus de la

relation : le miracle d’un spectacle qui implique et émeut met en

lumière et en action ce tourbillon d’attentes et de surprises où le

spectateur est contraint de jouer son rôle. En effet, c’est dans les

situations où le rapport avec le spectacle est direct – ou lorsque le

spectateur est physiquement présent dans le même lieu et temps où

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

36

agit l’acteur – que la relation s’impose également comme cause et

non seulement comme effet de l’éventuel miracle du spectacle.

Dans son article, « Art comme procédé »4 publié en 1917,

Chklovski nous donne une grille de lecture très révélatrice sur le

pouvoir hypnotique de n'importe quel itinéraire artistique. Il favorise

une critique immanente qui se propose d’expliquer le

fonctionnement des signes à l’intérieur d’une structure fermée. « Le

but de l’art, affirme Chklovski, c’est de donner une sensation de

l’objet comme vision et non pas comme reconnaissance ; le procédé

de l’art est le procédé de singularisation des objets et le procédé qui

consiste à obscurcir la forme, à augmenter la difficulté et la durée de

la perception » (Chklovski). La notion de la « perception artistique »

devient pour Chklovski l’élément constitutif de la littérature. Pour

l'Ambassade de Roumanie à Paris, la notion de « perception

artistique » est l'élément le plus important de son activité. Chklovski

insiste dans ses premiers écrits sur la relation étroite entre littérature

et lecteur. L'ambassade, à son tour, insiste sur la relation étroite entre

ses invités et la Roumanie, relation développée grâce à la «

défamiliarisation » des invités. Cette « défamiliarisation » fonctionne

tout comme dans dans « Khlostomer » où Tolstoy « défamiliarise » la

narration en faisant parler un cheval et, dans Guerre et Paix, il

représente les scènes de batailles sous un éclairage étrange pour

intensifier la réaction du lecteur. L'éclairage étrange et le cheval de

Tolstoy sont remplacés à l'Ambassade de Roumanie à Paris par sa

bâtisse, par les visites de l'ambassade aux débuts des événements,

par le cadre spécifique de l'ambassade, plein de symboles nationaux,

qui atteste une histoire culturelle au-delà de chaque expérience

4 Viktor Borisovitch Chklovski, « Art comme procédé » ,Allia, Paris, 2008.

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L'image visuelle et ses pouvoirs

37

individuelle, au-delà des histoires personnelles des invités. La «

défamiliarisation » est à cet égard très proche du concept de «

distanciation ». Les symboles d’État, qui ne sont pas intéressants en

soi, se concrétisent dans leur fonction de « défamiliarisation »

perceptif auprès de ses récepteurs. Le pouvoir s'impose par son

abondance et par son caractère particulier - tous les deux créant un

cadre puissant et propre pour la création de l'image de la Roumanie.

Le reste – ou ce qui reste après le spectacle – n’est pas

matière à discussion ou à rejet : il y aura sûrement un butin riche, un

patrimoine incroyable, un fruit pédagogique, politique, moral de

haut niveau. Mais ce « reste » ne restera que dans la mémoire

ordinaire de celui qui a déjà été un spectateur exceptionnel. De toute

façon, le “ reste ” n’a rien à voir avec le spectacle. « Le reste est

silence », dit Hamlet, et ne regarde plus le spectacle, qui nous a

enchantés tout le temps. Pendant tout le temps où les formes et les

significations de l’œuvre, l’histoire et les personnages, les actions et

les paroles, les sons et les couleurs, étaient transcendés et détournés

par leur propre spectacle.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

38

DEUXIÈME PARTIE : L'OEIL ET LES CHOSES

I. Le masque et l'incarnation

A. Le jeu : acte ludique et action scénique

On disait plus tôt que l'appréhension des activités culturelles

organisées par l'Ambassade de Roumanie à Paris doit s’appuyer sur

la vieille règle du théâtre selon laquelle tout événement culturel est

circonscrit par l’unité de temps, de lieu et d’action. Des synergies

(gestes, mouvements, sonorités, corps, objets, espace etc.) qui se

développent sur ce triptyque de base dépend l’inscription dans la

durée de la manifestation, son retentissement et ses effets à court,

moyen et long terme, directs ou induits. À ce cadre fort théâtralisé,

on a retenu l'idée de Johan Huizinga, développée tout au long de

l'ouvrage Homo ludens, selon laquelle la compétition et la

représentation précèdent la culture. Le jeu en collectif, indicateur

lourd, a un caractère antithétique. Il se joue entre deux acteurs.

Rappelons-nous l'ajustement de la tenue des invités et du personnel

de l'ambassade qui arrive au début de l'événement. Rappelons-nous

également les moments principaux des événements quand le

personnel, les invités et le public réagissent à l'unisson comme deux

armés japonaises qui savent que l'uniforme est une exigence

infranchissable (voir annexes : photos 3 et 4), d'où on peut dégager

deux grandes caractéristiques du jeu à l'ambassade : la tension et

l'incertitude. De plus, on a trouvé que l'origine de l'acte ludique est

l'impulse qui prend dimension à l'intérieur de l'acteur, le diplomate,

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L'œil et les choses

39

(appelons-le l'inné professionnel). À cet égard, beaucoup de salariés

disent très souvent qu'on doit leur créer une atmosphère en même

temps chaleureuse, respectueuse et familière, qu'on était là pour être

sincère et cette sincérité doit être transmise au niveau institutionnel.

Ainsi, on peut voir que l'acte est l'impulse d'une genèse intérieure,

d'une responsabilité et connaissance professionnelles.

La corrélation entre tous les éléments signifiants est d'autant

mieux observable que l'on étudie alors un système dynamique, c'est-

à-dire en mouvement, en transformation, en progression. Le jeu est le

fondement même de l'activité de l'Ambassade de Roumanie à Paris,

le lieu d'émergence de la signification. On analyse alors les figures

scéniques des acteurs, figures qui se construisent à partir de

programmes gestuels censés leur donner cohérence, lisibilité et,

surtout, contribuant à établir leurs fonctions actantielles. Les

déplacements, les gestes, la mimique, le port de tête, tout participe à

ces figures scéniques. Les programmes gestuels, évidemment,

dépendent de l'esthétique globale du spectacle, comme ils y

contribuent. Ainsi le programme gestuel d'un personnage naturaliste

restera-t-il toujours dans le registre du vraisemblable. Il n'en va pas

de même, toutefois, d'une gestuelle stylisée qui veut souligner

l'empreinte du social sur l'individu.

Espace

Parler de l'espace de l'ambassade en tant que scène exige

d'abord qu'on en distingue quatre types : le lieu théâtral qui reçoit le

spectacle et dont l'architecture influence les conditions

d'énonciation; l'espace scénographique qui est l'organisation spatiale

de l'intérieur de la salle où a lieu le spectacle et qui se divise en deux

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

40

zones, l'une pour le jeu, l'autre pour le public — cette organisation

instaure les rapports entre le spectacle et ses récepteurs, et crée

chaque fois des conditions particulières d'émission et de réception

du discours; l'espace scénique, c'est-à-dire l'espace créé par la

rencontre dynamique des signes scéniques — décor, accessoires,

mouvements et déplacements des personnages — constituant le lieu

même de la représentation de l'espace dramatique. Afin de pouvoir

percevoir correctement la spécificité du milieu analysé, il faut

préciser que l'espace matériel est doublé par un autre inné qui abrite

les réactions physiologiques, émotives et affectives, un sentiment, un

souvenir.

Corps

Notre époque est présentée comme celle du triomphe du

corps de la femme mais aussi de l'homme, du corps dévoilé, exhibé

et glorifié. Gavard-Perret Jean-Paul montre1 qu'en réalité, c'est

l'inverse qui se produit. Le corps est morcelé, atrophié, ridiculisé,

déshumanisé. Il appuie sa démonstration sur les productions de l'art

moderne mais aussi sur l'exemple de la haute couture et ses modèles

anorexiques.

Comme tout acteur qui prête à Hamlet ou à Tartuffe sa

propre apparence physique, donnant au rêve du poète une réalité et

à l’imaginaire du spectateur une pâture, le diplomate prête son corps

intime à son corps professionnel. Il devient personnage. « Il

1 Gavard-Perret Jean-Paul. L'idée du corps, l'image du moins. In: Communication et

langages. N°113, 3ème trimestre 1997. pp. 57-66, disponible sur www.persee.fr.

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L'œil et les choses

41

s’incorpore son personnage, il est « habité » par lui »2. Il imprime à

son interprétation un rythme qui correspond à celui de son corps et

qui se manifeste dans ses mouvements comme dans sa gestuelle. Ce

tempo qui lui est propre détermine un ensemble de traits

comportementaux qui seront perçus comme caractéristiques du

personnage. A peine l’acteur est-il entré en scène et avant même

qu’il ait ouvert la bouche, son corps affirme une symbolique en

fonction du rapport fantasmatique que le spectateur établit avec lui.

Tout parle : sa corpulence ou sa sveltesse, sa beauté ou sa difformité

- sont les matériaux bruts dont il doit tirer parti.

Qu’est-ce que la présence officielle du personnel de

l'ambassade et des invités, sinon ce coefficient de sympathie que

provoque sa corporéité ? Il existe sans doute de bons physiques de

théâtre, et longtemps, les comédiens ont été recrutés selon des

conventions sans rapport avec leur talent : pour jouer la tragédie, il

fallait une certaine stature ; pour interpréter une ingénue, une

« beauté éclatante ». Il semble que les participants aux événements

de l'Ambassade de Roumanie à Paris savent et respectent

l'importance cruciale de la tenue. Indépendante de leurs qualités, la

puissance fantasmatique du physique d’un acteur provoque une

fascination difficile à codifier – en ce domaine les critères sont

variables et imprévisibles – ce qui rappelle à tout instant que dans

l'univers théâtral de l'ambassade comme dans la révélation

freudienne, c’est le corps qui parle.

2 Roland Barthes, paru dans la revue Théâtre d’ Aujourd’hui, mars-avril 1958],

disponible sur http://www.archithea.org/article-16759470.html, le 12 aout 2010.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

42

Objets

L'Ambassade de Roumanie est par excellence l'endroit des

objets qui ont appris à raconter le vécu de la relation franco

roumaine. Tout le reste est passager, momentané : le personnel, les

invités et les événements. Les objets existants à l'ambassade ne

parlent pas seulement de cette rencontre séculaire ; ils renforcent la

signification du message ; ils jouent, suivant les pièces, un rôle plus

ou moins actif qu'il convient d'analyser. Rappelons-nous la scène

(voir les annexes : photo 2) passée lors de la décoration du professeur

Bernard Miège quand le personnel était situé tout seul devant le

drapeau roumain animé et illuminé grâce à une seule fenêtre bien

ouverte (voir la photo), qui est à peu près la seule source de lumière

dans la pièce, tandis que toutes les autres personnes occupent un

espace destiné aux spectateurs qui semblent participer à une

cérémonie grandement théâtrale, voire iconique. Quelle simplicité

décorative aurait été sans le drapeau roumain avivé par le vent et

cadré par la lumière naturelle devant les yeux attentifs du public et

derrière les acteurs ! Quel changement de sens !

Certains objets, par leur seule présence, déclenchent

l'action: ce sont des catalyseurs. Ces objets n'agissent pas, mais sans

eux, l'intrigue ne peut pas se dérouler, les sentiments ne peuvent ni

se révéler ni évoluer. Le drapeau roumain, qui se trouve dans les

pièces les plus importantes, est, certes, le symbole de l'autorité

politique, institutionnelle et de la légitimité ; mais il est surtout l'objet

indispensable, ce catalyseur qui provoque et maintient tout le

déroulement de l'action. Sans ce drapeau il n'y a pas d'intrigue,

puisque l'interlocuteur n'apparaîtra jamais à l'événement. L'image de

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L'œil et les choses

43

l'État y existe et elle est d'autant plus puissante pendant le

déroulement des événements parce que le champ imaginaire qu'elle

crée est un cadre qui laisse oublier qu'il est aussi un cadrage (un

recadrage, surcadrage, voire un décadrage) tout à la fois spatial et

temporel. Enfin, parce qu'elle est l'image de l'image. Les objets

catalyseur sont nombreux dans l'ambassade. Que d'intrigues nouées

grâce à un objet unique ! Sans lui, la pièce non seulement s'effondre,

mais elle n'a plus sa raison d'être.

Il faut entendre par « objet » tout ce qui sert au jeu : le décor

comme tel, les accessoires et les costumes, mais aussi l'éclairage.

Tous ces signes remplissent de nombreuses fonctions qui vont de la

fonction purement esthétique à la fonction proprement signifiante, ou

référentielle, en passant par des fonctions spatiales, quand ils

déterminent des espaces de jeu, ludiques, quand ils servent

ostensiblement au jeu (une balançoire dans la cour intérieure, par

exemple). Les objets à l'ambassade, à la fois présence et signe,

constitue un terrain privilégié pour observer les modes de

signification du signe théâtral (métaphore, métonymie et autres

tropes), et pour remarquer l'extraordinaire puissance de référence et

la mobilité du signe théâtral.

Quand le spectateur voit un objet sur scène, il ne s'interroge

guère sur sa valeur d'usage, mais il voit immédiatement, et s'il ne

voit pas, il cherche plus ou moins consciemment le ou les systèmes

de signifiance auxquels se rattache l'objet ; ainsi un objet très simple

peut prendre une série de sens au long de la représentation, selon les

personnages, les autres objets ou les idées avec lesquels il entre en

relation.

Pour décrypter le message véritable d'une pièce de théâtre,

le spectateur doit d'abord décoder le sens, souvent évident mais

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

44

aussi parfois caché, des objets qui se trouvent sur la scène. La somme

des sens qui se raccrochent à un signe dans le contexte précis où on

le trouve : un sens que lui accordent un code fixe s'il y en a un, et

toutes les associations mentales, les pensées qu'il déclenche dans

l'esprit du récepteur ; ce peut être aussi, moins précisément, les effets

que le signe produit chez le récepteur : une réaction physiologique,

une réaction émotive ou affective, un sentiment, un souvenir, un

rappel d'un détail d'un produit culturel perçu antérieurement (un

livre, un film, une publicité, un spectacle). Par exemple, lors d'une

Soirée littéraire (voir les annexes : photo 5) dédiée à l'écrivain Aurora

Cornu, qui a eu lieu dans la salle de bal néo-rocaille, appelée aussi

Salon d’Or, qui servait jadis de bureau et de salon de réception,

l'écrivain Andreea ANDREESCU a rappelé la beauté légendaire

d'Aurora CORNU et son effet sur ses collègues écrivains de Bucarest

et de Paris quand elle participait aux réunions artistiques (« Elle était

ravissante et belle. Toute le mode le savait. »). Certains objets ont

une telle importance qu'ils donnent à la pièce toute sa signification

(voir le drapeau, la fenêtre) et toute sa portée, qu'ils en résument à

eux seuls le message. Si le jeu génère de la beauté et s'il fait preuve

de méthode, alors sa valeur culturelle prend corps.

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L'œil et les choses

45

B. Le privilège de l'œil

« C’est le spectateur, et non la vie,

que l’art reflète réellement. »

George Orwell

« Le monde entier est un spectacle » est une phrase et une

réalité aussi anciennes qu’inoffensives. Tandis que la phrase dite par

l'un des diplomates de l'Ambassade de Roumanie avant le début

d'un événement : « tout le monde est leur spectacle » est par contre

une affirmation plus forte, qui est en rapport avec l'importance du

spectateur. Il semble que ces mots sont les péristyles de toutes les

activités de l'Ambassade en ce qui concerne les événements et la

construction de l'image de la Roumanie. De plus, ces mots nous

révèlent l'existence du spectateur comme préoccupation du

diplomate. Être spectateur de tout, parce que « tout le monde est leur

spectacle » implique une sorte de omniprésence, ne veut pas dire

contempler à l’occasion et dans l’humilité les diverses merveilles de

la création, mais commencer à renverser le rapport entre le moi qui

regarde et ce qui se passe, jusqu’à cultiver le goût et l’illusion qu’au

fond tout nous a été destiné comme spectacle. On se souvient, à titre

d'exemple, le moment amusant où un jeune invité français se cache

derrière le drapeau roumain (voir les annexes : photos 6).

Il est également important de prendre l’exemple du théâtre,

puisque c’est encore là, dans la confrontation physique avec l’acteur

et dans le rapport concret qu’il y a avec l'espace scénique (marqué

toujours par les loges, la garde-robe, le foyer, le fumoir, etc.), que

l’identité du spectateur se confirme et se renforce. Prenons comme

exemple une scène dont le personnel de l'Ambassade et les invités

spéciaux occupés une partie de la pièce où l'événement se déroulait

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

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et les autres invités l'autre partie. C’est de toute façon au théâtre que

cette identité a pris naissance et s’est développée. Comme on le sait

bien, dans la société de ce temps, les « lieux d’où l’on voit » sont

nombreux : tous réinventés ou remodelés à l’image et à la

ressemblance du théâtre, les balcons, les promenades ouvertes ou

sous galerie, les cercles des hommes et les cafés sont autant

d’occasions pour manifester le prestige et entraîner le goût de cette

activité passive équivalant à « prendre tout comme un spectacle ».

En français – comme dans bien d’autres langues – l’activité

passive d’un spectateur se dit directement jouir (et s’oppose à jouer,

action plus fatigante de l’acteur). Ceci résume bien le sens de ce

plaisir de se mettre hors du monde pour le considérer comme à notre

disposition.

Le statut de spectateur se mesure non nécessairement par sa

présence au spectacle, mais dans la modification substantielle et

consciente de son processus de réception parce qu'il nourrit le jeu, le

travail de l’artiste de ses réactions (rires, silence, émoi, échanges en

fin de spectacle avec l’artiste) ; il alimente ses réactions par une

analyse a priori ou a posteriori de ce qu’il a perçu, en cherchant à

comprendre (la construction chorégraphique, scénographique), à

traduire (avec son propre filtre culturel) ; il décortique, il en parle, il

échange et, le plus important, il se modifie. Prenons, à cet égard,

quelques exemples prouvant les effets sur les spectateurs. Il y a des

personnes qui disent à la fin des événement : « une soirée roumaine

très réussite au milieu de Paris », « une vraie soirée franco roumaine

» ou « quelle belle image de la Roumanie culturelle ! ». Il y a

également des moments quand les invités vérifient leurs vêtements,

changent le volume de leur voix, etc. Bien entendu, ces réactions ne

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L'œil et les choses

47

sont pas acquises d’emblée, elles demandent un travail. L’œil du

public se structure, se cultive. Trois ingrédients nous paraissent

nécessaires pour éveiller le regard du spectateur : la pratique (vivre

corporellement les choses) ; la culture (assister à des spectacles

variés) ; la mise en scène (approche de la chorégraphie).

Il vaut la peine de souligner la différence entre émetteur et

récepteur, car notre culture est une culture de la communication,

dans le sens qu’elle s’évertue depuis des années à tout ordonner et

interpréter sous la forme et à la manière d’une communication : le

schéma élémentaire qui oppose et combine le pôle émetteur au pôle

récepteur (se passant des messages entre eux) est devenu d’abord le

résumé et ensuite la métaphore à laquelle on soumet chaque

domaine ou phénomène culturel. On s’est ainsi habitué à traduire en

information chaque expérience, à chercher le signifié dans chaque

symbole, à extraire le contenu de chaque forme : c’est dans ce sens

que travaille l'invité à l'ambassade, qui trouve enfin sa définition et

sa satisfaction dans le rôle de récepteur.

On éprouvera, avec un certain trouble, que tout ce qui reste

– après cette relation ou cet enchantement – ne ressemble pas au

phénomène traversé et vécu pendant le spectacle. Ce qui reste est

peut-être le souvenir du spectateur et le récit de l’acteur, mais la

mémoire et l’histoire n’ont pas un rôle central ou vital pendant

l’expérience de l'invité. On se rendra compte que cette expérience

ne pourra être recueillie ou définie sans recourir à des termes

ambigus et exagérés, comme par exemple l’imaginaire ou la

créativité de l'invité. Mieux encore, il faudra parler de l’art de

l'invité, non pour exalter son imperceptible travail artisanal ou son

minuscule effort poétique, mais seulement à cause de la nécessité de

faire rentrer sa réaction à l’intérieur de la même liminaire où

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

48

d’habitude naît l’événement spectaculaire. Finalement, l'invité

s’engage dans un rôle d’interface avec la créativité de l’auteur et de

l’acteur. Enfin, on dira que c’est un art – ou bien c’est dans l’art –

tout ce qui se passe dans une relation spectaculaire exceptionnelle,

en faisant abstraction des différences (énormes) et des responsabilités

(très différentes) qui séparent le diplomate de l'invité, l’œuvre de

l’écoute, l’événement du regard.

Le privilège de l'invité ne consiste pas dans ce cas dans un

savoir faire, même si c’est important et difficile de savoir regarder,

écouter, imaginer. Avant tout cela, ce qui compte est la capacité de

rester dans l’art, c’est-à-dire une pratique de l’implication et une

théorie de la complicité avec l'ambassade qui nous arrive sous forme

de spectacle. Il s’agit d’affronter sans dominer, de mesurer sans

comprendre, de toucher sans voir, les zones sombres et les

sensations indéchiffrables qui ont rendu heureuse la relation et ont

produit l’enchantement du spectacle. En somme, dans l’obscurité et

l’indéfini de la rencontre avec le spectacle, avant la compréhension

normale, se trouve valorisée la situation exceptionnelle d’être pris

par le spectacle. Les événements de l'ambassade sont alors le règne

exclusif de l'invité.

Le spectateur se tient dans ce point. À partir de ce point se

forme sa plus authentique (et réellement primordiale) identité. Et son

art (s’il existe) consiste essentiellement dans le fait de rester le plus

longtemps possible en ce point. Le devoir et le désir du spectateur est

de se maintenir dans l’équilibre précaire d’une jouissance confuse,

sachant s’abandonner à l’événement mais sachant également profiter

du vent qui souffle à partir de là : plus fort ou plus faible, soutenu ou

à soutenir, le dialogue avec le spectacle est difficile et

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L'œil et les choses

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l’enchantement peut mourir. Ceci aussi est mis au compte d’une

relation qui pourra se révéler décevante ou défaillante, mais qui ne

sera jamais négligée ou niée.

Par ailleurs, il est inutile de retenir pour soi – ou de

thésauriser pour après - un moment magique à réduire à raison, à

consigner dans la mémoire : pour le spectateur valent mieux

l’abandon confiant et la poursuite loyale de l’effet spectaculaire,

jusqu’à la limite du possible, donc de la jouissance.

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L'œil et les choses

50

II. Les visages de la distance : la Roumanie proche

A. Objectivité et subjectivité. Mémoire et sens

Une pipe de type billard courbe sous laquelle figure une

légende : « ceci n’est pas une pipe ». Trahison des images : tel est le

nom donné par le peintre belge René Magritte à l’une de ses toiles les

plus célèbres. Le paradoxe de l’œuvre est d’autant plus fort, d’autant

plus choquant pour le spectateur, que cette pipe est représentée de

façon particulièrement réaliste. Si elle était déformée, réinterprétée par

l’artiste, presque méconnaissable en regard de son modèle, elle n’en

serait pas plus étrangère à celui-ci que la première. L’une et l’autre

demeureraient identiques par leur nature : des images d’une pipe. Le

message est simple, lumineux : une représentation de la réalité n’est pas

la réalité. Imaginons-nous, dans le cadre du sujet traité, le texte suivant

sur les mûrs de l'Ambassade de Roumanie à Paris : celle-ci est l'image

de la Roumanie. Elle n’en restera qu’une représentation. Par conséquent,

au-delà de cette représentation immédiate, l'image pourrait prendre

maintes formes. En tant que telle, elle acquiert cependant une réalité qui

lui est propre et emporte des effets. Toute représentation doit donc être

considérée comme telle, indépendamment de la réalité dont elle entend

rendre compte. L'image culturelle et accessible de la Roumanie à travers

les événements de l'ambassade est une réalité en tant que telle. Elle

« Les images sont des

représentations construites de la

réalité. Qu’elles soient subjectivement

vraies, partiellement exactes ou

fausses importe peu. Elles sont une

partie de la réalité telle qu’elle est

perçue. »

Pierre Verluise

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

51

existe parce qu'elle est construite pour qu'elle soit vue.

Quant à la Roumanie, comme tout pays, est insaisissable. On ne

peut pas voir la Roumanie ou sa population de ses propres yeux, on ne

peut visualiser, entendre, toucher ou sentir les rapports sociaux ni les

valeurs que partage une communauté. Qu’il s’agisse de réalités

matérielles ou immatérielles, un pays ne peut pas être appréhendé. Ces

réalités sont obligatoirement retranscrites, formalisées, interprétées,

appréciées, c’est-à-dire construites. Autre point fondamental, précisé par

l'un des diplomates de l'ambassade : « l’image ne se dégage que

rarement d’un travail que l’on conduit soi-même ». De même que l’on

évoque la « relecture » pour signifier la connaissance que l’on acquiert

au travers de commentaires et d’analyses qui en sont faits d’œuvres que

l’on n’a pas lues, les pays sont vus le plus souvent au travers du regard

que d’autres portent ou ont porté sur eux. Ces médiateurs peuvent être

des journalistes, chroniqueurs, écrivains, cinéastes qui brossent le

portrait des pays visités et des populations côtoyées par induction, tirant

des conclusions générales de leur appréciation partielle des choses.

Cette vision, que l’on pourrait dire de seconde main, prête le flanc à

toutes les approximations, mais aussi à toutes les propagandes et toutes

les manipulations.

Quel que soit l’objet auquel elle se rapporte, l’image est

toujours plus ou moins la résultante de ce que l’on pense et de ce que

l’on ressent à son propos. Peter Berger et Thomas Luckman nous disent

que « la vie se présente elle-même comme une réalité interprétée par

les hommes et possédant pour ces derniers un sens de manière

subjective, en tant que monde cohérant. »1 Rationnel et irrationnel se

1 Peter Berger et Thomas Luckman, La construction de la réalité, Armand Colin, 2008,

p. 70.

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L'œil et les choses

52

mêlent dans une alchimie complexe ; les réalités tangibles, mesurables,

voisinent avec les charges symboliques et les références affectées à cet

objet. Cette construction est d’autant plus difficile à cerner que sa forme

varie en fonction de qui l’élabore. Les variables contextuelles sont en

effet nombreuses : pays, milieu professionnel, appartenance sociale,

pratiques culturelles. Cette subjectivité est avant tout culturelle. Elle

résulte à la fois d’un destin personnel et collectif, immanent et

transcendant. C’est-à-dire qu’aux prismes de ses milieux d’origine et

d’appartenance au travers desquels chaque individu filtre et décrypte les

messages, s’ajoute celui placé par le pays lui-même, par volonté

politique ou tradition culturelle. Chaque personne appréhende son pays

et les autres en fonction de ses propres critères, de son niveau

d’instruction et de sa curiosité intellectuelle, mais aussi des critères

dominants de sa famille, de son milieu social, politique, économique,

religieux, local, bref de la culture dans laquelle il vit.

Il n’existe pas de définition unique de l’image d’un pays. De

multiples sont proposées selon l’approche qu’on en a. Dans sa plus

simple expression, l’image d’un pays est la représentation que l’on se

fait de lui. Du point de vue de l’émetteur, cette représentation résulte

pour partie de l’image qu’il donne ou se donne suivant qu’il adopte une

attitude passive ou active. Du point de vue du récepteur, c’est celle qu’il

perçoit s’il est acteur ou qu’il reçoit s’il est seulement spectateur. Dans

le premier cas l’image est une construction de l’esprit que l’on façonne à

partir de données diverses, dans le second c’est une représentation

induite par des tiers, plus ou moins éloignée de la réalité en fonction du

but poursuivi par les émetteurs. La propagande représente l’avatar le

plus orienté et le plus radical de cette forme de communication.

Toute image est composée de traits plus ou moins dominants en

fonction des critères sur lesquels elles se fondent (niveau de

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

53

développement économique, régime politique, conception des libertés

publiques, modèle social, qualité de vie, protection de l’environnement,

action internationale...), des traits de caractère dominants attribués à

leurs habitants (accueillant/renfrogné, rigoureux/désinvolte,

laborieux/indolent...) ou encore des traditions dans lesquelles on pense

qu’ils s’inscrivent. Bref, l'image est plurielle.

L’image peut ainsi, selon les pays, être plutôt économique,

culturelle, politique, sociale, écologique, sportive, festive. Tous les

facteurs pouvant se conjuguer pour former une image composite qui se

décline dans le temps et l’espace, d’où la difficulté à dégager une image

cohérente lorsque les traits dominants peuvent apparaître

contradictoires. Ce dernier aspect est tout à fait redondant dans les

discours du personnel de l'ambassade, surtout lorsqu'ils parlent des

effets faibles de leur travail.

En dépit d’un fort effet d’hystérésis de certains traits dominants,

relevé par tous les spécialistes, l’image d’un pays reste variable. Jamais

tout à fait figée, elle demeure sensible aux événements, aux

transformations du pays et à son environnement. Le rôle des politiques

est bien sûr important à cet égard, mais celui des médias, du monde

économique et le comportement des habitants le sont tout autant. Les

événements ne commandent donc pas seuls les évolutions de l’image.

Le jeu entre inertie et mouvement est ainsi permanent. On se souvient à

cet égard ce qu'a dit l'un des diplomates de l'Ambassade de Roumanie à

Paris : « Nos tâches sont très importantes mais en même temps il faut le

savoir que tout peut être en vain ». Illustrant les possibilités d’évolution,

ce même diplomate témoigne d’un changement d’image survenu en une

quinzaine d’années suite à une amélioration de la production : « Un bel

exemple de redressement d’image est fourni par le Japon. Dans les

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L'œil et les choses

54

années soixante, il était réputé pour ses copies de mauvaise qualité. On

parlait de la camelote japonaise. Le Japon est devenu le pays de la haute

technologie et de la fiabilité. » Dans ce cas, il aura suffi que la qualité

des produits évolue pour que l’image du pays soit modifiée.

B. La construction d'image du pays à l'étranger. Image et

identité

On a vu tout au long des parties précédentes que la Roumanie

et la France ont une histoire culturelle capable de soutenir leur relation

actuelle, capable de renforcer à la fois l'identité de la Roumanie et son

image à l'étranger. Puisque deux termes existent, il faut bien s’attendre à

ce qu’ils rendent compte de deux réalités différentes, même appliqués à

un objet unique : l’identité de la Roumanie n’est pas l’image de la

Roumanie. Un examen cursif de la question suffit à percevoir que

l’identité nous construit en ceci qu’elle est à la fois personnelle et

collective. Elle repose sur un partage de signes, de codes et de valeurs

qui fondent implicitement notre solidarité comme membres d’une même

collectivité. En tant que le système référentiel, l’identité participe de la

culture et s’en nourrit si l’on retient la définition qu’en donne

l’anthropologue américaine Margaret Mead : « un système de

signification que les membres d’un groupe connaissent et utilisent dans

« La prospérité d’un État

dépend du respect qu’il inspire, du

prestige qui lui est accordé, de

l’autorité qu’il impose, du crédit

dont il jouit dans le monde. »

François d’Orcival de l’Institut

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

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leurs interactions. » Consubstantielle d’un sentiment d’appartenance,

l’identité est immédiate, intuitive et désintéressée. On ne peut guère s’en

dessaisir comme d’une défroque sans ipso facto s’exclure. De plus,

l'identité de la Roumanie se manifeste de manière générale, sens tenir

compte de variables géographiques ou bilatérales. La relation

diplomatique de la Roumanie avec la France n'est pas du tout

l'emblème statutaire et absolu de l'identité de l'État roumain. L'identité

est la somme de toutes les relations diplomatiques de la Roumanie avec

les autres pays. Elle est une valeur complexe et innée. Bref, elle ne peut

pas être réduite à l'une de ses parties.

En regard de ces caractéristiques brossées à grands traits,

l’image apparaît plus superficielle. Elle nous est davantage extérieure.

Elle suppose une distanciation. Vivre une image, c'est être impliqué au

fond d'un univers virtuel. Le ministre plénipotentiaire dit une fois que

l'identité n'a pas de racines pour le grand public français et en raison de

cela on doit créer une image de la Roumanie qui pourrait être

compréhensible pour ceux qui ne réclament pas la même identité

nationale. On doit rendre accessible ce qui est lointain et étranger par la

mise en place des ponts de communication propres à l'identité

roumaine et à l'identité française parce que entre ce deux entité

culturelle naisse la vraie image de la Roumanie. Celle-ci a été la réponse

lorsqu'on a adressé la question : Pourquoi vous invitez des personnes

qui ne sont plus aujourd'hui les figures les plus importantes de la culture

roumaine, qui en quelque sorte ne sont pas connues en Roumanie ?

L'image culturelle de la Roumanie construite à travers les

activités de l'ambassade peut être partagée ou non avec d’autres sans

que cela porte à conséquences. En même temps, elle est objet de débats

et de confrontations. Les idées et les arguments échangés s’inscrivent

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L'œil et les choses

56

alors dans un cadre discursif soit neutre soit personnel. Qu’une

discussion sur l’image réunisse des habitants d’un même pays ou y

associe des étrangers n’induit aucune différence : schématiques ou non,

ne s’y confrontent que des appréciations critiques et des analyses. On se

situe bien là dans l’ordre du discours et non de la culture au sens

précédemment défini. Dans ce sens, l'image accessible de la vraie

Roumanie en France est l'activité soutenue de l'Ambassade de

Roumanie à Paris parce que l'ambassade est celle qui choisit les

couleurs, les personnages, les thèmes et les lumières pour les mettre sur

sa propre scène. Par-dessus tout, l’image que l’on se fait de quelque

chose ou de quelqu’un, voire d’un pays, y compris du sien, peut

changer suite à des événements ou sous l’effet d’informations ou

d’expériences nouvelles sans entraîner de grandes conséquences. Il

s’agit d’un simple changement d’appréciation. Souvenons-nous les

exclamations qu'on a notées plus tôt : « une vraie soirée franco

roumaine », « soirée roumaine très réussite au milieu de Paris » ou «

quelle belle image de la Roumanie culturelle ! »

Ces différences de nature entre identité et image font que

l’image que nous avons de notre pays peut être confrontée à celle des

autres. Bien entendu, lorsque il y a des ponts de communication

déterminés par une histoire culturelle partagée et par une activité

institutionnelle soutenue. L’identité, en revanche, n’est pas négociable

avec l’extérieur. Elle n’est d’ailleurs pas objet de négociation. Si elle

peut susciter la controverse, elle ne se prête pas à appréciation. Les

concepts d’identité et d’image renvoient tous deux au monde immatériel

des valeurs et des représentations mentales. Celles-ci sont

nécessairement empreintes d’une certaine subjectivité et véhiculent de

l’idéologie. Les appréciations portées sur une même réalité par les uns et

les autres peuvent varier dans le temps et l’espace mais aussi en fonction

de locuteurs.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

57

Conclusion

On commençait le mémoire par la petite histoire de Platon

qui, en raison de toutes ses idées, voyait l'Egypte comme

l'incarnation même du prestige spirituel. On disait également que

cette histoire est la clé de voûte de l'étude qui prend la Roumanie

pour l'Egypte de Platon et Platon pour l'espace français des idées à

l'égard de la Roumanie. Ensuite, on a choisi comme sujet l'image

culturelle de la Roumanie telle qu'elle est construite à l'intérieur de

l'Ambassade de Roumanie à Paris. L'image dont on a parlé n'est pas

celle généralement formée et rendue publique, mais celle accessible

dès que quelqu'un veuille la regarder. Enfin, on s'est laissé guidé par

la question : dans quelle mesure l'image de la Roumanie est-elle

construite étant données les activités culturelles de l'Ambassade de

Roumanie à Paris ?

En suivant cette question, on a prioritairement traité le

problème du milieu dans lequel l'image est fabriquée. On a

découvert que le système de travail de l'ambassade est système

technique et d’efficacité dans lequel tout produit est toujours

transformé en donnée culturelle, en terrain d’alliance et d’action afin

de remplir les tâches précises envers le soutient et le développement

de l'image de la Roumanie en France. De plus, on a trouvé quelques

critères applicables aux événements organisés par l'Ambassade de

Roumanie, critères qu'on a développés à partir des préoccupations

du personnel de l'ambassade quand il préparait les événements. Le

critère artistique permet de définir la création comme constitutive de

l’événementiel culturel – et d’exclure l’événementiel non culturel du

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Conclusion

58

champ ; selon le critère du public, plusieurs types de publics peuvent

être distingués, plus ou moins visés ensemble ou exclusivement selon

les événements : grand public, public culturel amateur ou averti et

public professionnel ; le critère de lieu s'explique par l'importance

du lieu où l'événement se déroule. Le critère de temps s'explique à

son tour par l’unité de temps ; enfin, grâce au critère de rareté; le

personnel est attentif au caractère exceptionnel de l'événement.

L’essentiel est que l’événementiel s’inscrit toujours dans un territoire

choisi et contrôlé par le personnel de l'ambassade. On a vue qu'un

autre aspect important à l'égard du milieu dans lequel l'image de la

Roumanie est fabriquée concerne le bâtiment de l'ambassade, siège

de l'image de l'État roumain en France, qui, au fil des années, a

acquis une identité propre et représentative pour l'État roumain et ses

relations avec l'État français. Ce bâtiment offre à l'activité

diplomatique une légitimité historique et culturelle, il lui offre le

support nécessaire, l’appui pour les nouvelles manifestations qui s’y

déroulent derrière les grandes portes en bois de l'ambassade qui

s'ouvrent aux invités.

Ensuite, la même question a découvert l'importance de la

méthode employée par l'ambassade pour construire l'image

culturelle de la Roumanie. La méthode est fort liée au métier du

diplomate et elle est également la raison pour laquelle les invités de

l'ambassade sont susceptibles de projeter une image culturelle de la

Roumanie. La théâtralité, les mouvements, les sonorités, les corps, les

objets, et l'espace garantissent le jeu en collectif de la culture. Le jeu

est le fondement même de l'activité de l'Ambassade de Roumanie à

Paris, le lieu d'émergence de la signification. De plus, on a trouvé

que l'origine de l'acte ludique est l'impulse qui prend dimension à

l'intérieur du diplomate.

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L'œil et les choses

Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

59

Enfin, le dernier problème traité est la nature de l'image

créée qui nous montre la différence entre l'identité de la Roumanie et

son image construite à l'ambassade. On ne peut pas voir la

Roumanie ou sa population de ses propres yeux, on ne peut

visualiser, entendre, toucher ou sentir les rapports sociaux ni les

valeurs que partage une communauté. Qu’il s’agisse de réalités

matérielles ou immatérielles, un pays ne peut pas être appréhendé à

l'étranger. Ces réalités sont obligatoirement retranscrites, formalisées,

interprétées, appréciées, c’est-à-dire construites. Autre point

fondamental : l’image ne se dégage que rarement d’un travail que

l’on conduit soi-même. L'identité est la somme de toutes les relations

diplomatiques de la Roumanie avec les autres pays. Elle est une

valeur complexe et innée. Bref, elle ne peut pas être réduite à l'une

de ses parties.

La relation diplomatique de la Roumanie avec la France

n'est pas du tout l'emblème statutaire et absolu de l'identité de l'État

roumain. Toutefois, le desideratum du personnel de l'Ambassade de

Roumanie à Paris est la création d'une image ayant le pouvoir de

transmettre au public français et roumain la dimension culturelle et

franco roumaine de la Roumanie dans un cadre complexe, crypté et

très professionnel.

Page 61: L'œil et les choses. Sociologie de la construction de l'image de la Roumanie en France

61

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