Ecole des hautes études en sciences sociales Département de sociologie – mention « Genre, politique et sexualité » L’inversion du genre et les rapports de force au sein du couple : être père au foyer contribue-t-il à renverser les rapports de domination traditionnels au sein du couple ? Myriam Chatot Mémoire de master 1 Sous la direction de Marc Bessin Septembre 2012
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L’inversion du genre et les rapports de force au sein du couple : être père au foyer contribue-t-il à renverser les rapports de domination traditionnels au sein du couple ? -
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Ecole des hautes études en sciences sociales Département de sociologie – mention « Genre, politique et sexualité »
L’inversion du genre et les rapports de
force au sein du couple :
être père au foyer contribue-t-il à
renverser les rapports de domination
traditionnels au sein du couple ?
Myriam Chatot
Mémoire de master 1
Sous la direction de Marc Bessin
Septembre 2012
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Table des matières
Introduction p.3
1. L’homme est-il dominant dans le couple « traditionnel » ? p.12
1.1 La répartition des tâches ménagères et parentales se fait en défaveur des femmes, malgré de timides changements p.12
1.1.1 Ce constat d’une inégalité s’observe pour les tâches ménagères et parentales p.12 1.1.2 La composition du ménage et les caractéristiques socioprofessionnelles des membres du couple influencent la répartition des tâches p.14 1.1.3 Deux types de tâches : prise de décision et exécution d’une tâche p.20
1.2 Théories de l’organisation domestique p.21
1.2.1. Le poids des traditions p.21 1.2.2. Le poids des ressources p.22 1.2.3 La spécialisation des conjoints p.23 1.2.4 La répartition des tâches est-elle négociée entre les conjoints ? p.24
1.3 La répartition des tâches ménagères et parentales est-elle un moyen pertinent pour saisir les rapports de force au sein du couple ? p.29
1.3.1 Peut-on penser l’organisation domestique en termes de domination ? p.29 1.3.2 La mesure de l’organisation domestique est également problématique p.32
2. Rapports de force et domination dans le couple p.35
2.1 La pensée théorique de la domination p.35
2.2 La question du pouvoir dans le couple p.37
3. Devenir père au foyer p.41
3.1 Les caractéristiques socio-économiques des couples dont le père est au foyer p.41
3.1.1 Les caractéristiques socio-économiques des pères bénéficiaires de l’Allocation Parentale d’Education à taux plein p.41
3.1.2 Les caractéristiques socio-économiques des conjointes des pères bénéficiaires de l’Allocation Parentale d’Education à taux plein p.42
3.2 Un choix ? Les raisons avancées par les pères au foyer p.43
3.2.1 Les raisons organisationnelles et financières p.43 3.2.2 La question des valeurs p.43 3.2.3 Les raisons liées à la carrière p.44
3.2.4 Le rôle de la conjointe p.45
3.3 Le regard des autres et la question de l’identité masculine p.45
3.3.1 L’absence de reconnaissance et la stigmatisation p.45 3.3.2 La fierté ou la reconstruction d’une image positive de soi p.47
4. Devenir père au foyer ne suffit pas à inverser les rôles dans l’organisation domestique p.49
4.1 Un monopole ou un partage des tâches parentales p.49
4.2 Le refus d’endosser la totalité des tâches ménagères (à la différence des mères au foyer) : les tâches ménagères comme moyen de négocier son identité p.50
4.3 Les mécanismes de résistance de l’assignation à résidence : démontrer sa conformité à d’autres normes de la masculinité ou valoriser d’autres normes p.51 4.4 L’appréhension de soi en tant qu’individu genré p.51
Conclusion p.56
Annexe : Bibliographie p.58
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Introduction
La situation de père au foyer est relativement récente. En effet, le fait pour un homme de ne
pas être l’apporteur principal de ressources au sein du couple (hétérosexuel) n’a été rendu possible
qu’après plusieurs mutations historiques.
Tout d’abord, la distinction entre au foyer/au travail est liée à l’avènement du libéralisme
économique (qui passe en France en partie par le biais de la loi Le Chapelier de 1791, laquelle abolit
le système de corporatisme) et de la Révolution industrielle, dans la mesure où elle a induit une
dépossession par le travailleur des moyens de production et donc la séparation physique de l’habitat
et du lieu de travail (l’usine ou la manufacture par exemple) (Baverez, Reynaud, Salais, 1986).
Auparavant, la majorité de la production était réalisée dans le cadre domestique, que ce soit une
production agricole destinée essentiellement à l’autoconsommation ou un travail d’artisanat
(Stroobants, 2010 (1993)). Ainsi, bien que la femme soit traditionnellement assignée à l’entretien du
foyer depuis des siècles, ce n’est qu’à partir du XIXème qu’on peut parler de « femme au foyer » (par
opposition à une ouvrière). En effet, dans les années 1810, les manufactures de textile aux Etats-Unis
commencent à accueillir une main d’œuvre féminine : la femme n’est plus nécessairement au foyer,
elle peut être à l’usine (Fisher, 2008 (1992)).
Ensuite, au XIXème et au XXème siècles, les relations au sein de la famille ont changé. La
famille passe d’un espace d’autorité dans le cadre de la famille paternelle (le père travaillant
désormais à l’extérieur du foyer, la fonction de pilier du foyer passe du père à la mère (Castelin-
Meunier, 1997)) à un espace de relations interpersonnelles et d’affection mutuelle (Durkheim, 1975
(1892), repris par de Singly, 2009). Cela rend pensable un père prenant soin de ses enfants au même
titre que la mère. De plus, les enfants sont progressivement pensés comme étant au cœur de la
famille, les parents devant faire passer le bien-être de leur progéniture avant le leur (Ariès, 1960 ;
Zelizer, 1985).
L’arrivée des femmes sur le marché du travail dans l’entre-deux-guerres et surtout après la
seconde guerre mondiale a progressivement fait émerger un modèle de couple bi-actif : l’homme
n’est plus assigné au rôle de seul apporteur de ressources au sein du foyer et le travail des femmes
commence à être visible socialement, comme le démontre Sylvie Schweitzer (Schweitzer, 2002).
Cette évolution permet d’envisager le fait que si un parent veut ou doit rester au foyer, cela n’est pas
forcément la mère.
Enfin, le mouvement féminisme des années 1960 à nos jours a contribué à remettre en cause
la rigidité des rôles traditionnels de sexe et à promouvoir une libre définition de soi et de ses
attributions au sein du couple pour chacun des conjoints. Ainsi, le fait pour un homme d’endosser un
rôle traditionnellement féminin (la fonction de parent au foyer) devient concevable, à défaut d’être
légitime.
Ainsi, les deux mutations historiques qui font de l’enfant le centre de la famille
contemporaine d’une part et qui remettent en cause les rôles traditionnels de sexe d’autre part ont
permis l’émergence de la situation de « père au foyer ». Cependant, le parent inactif au sein du
couple est généralement la femme, du fait de la prégnance des rôles traditionnels de genre,
renforcée par des discours psychiatriques qui survalorisent le rôle maternel (Delforge, 2006 ; Garcia,
5
2011). Ainsi, 98% des parents bénéficiaires de l’Allocation Parentale d’Education (APE)1 (qui permet à
un parent qui s’arrête de travailler pendant un an à un trois ans de bénéficier d’une allocation) sont
des femmes (Boyer, Renouard, juin 2004). En ce qui concerne les allocations qui ont remplacé l’APE,
le complément de libre choix d’activité (CLCA)2 et le complément optionnel de libre choix d’activité
(COLCA)3, peu d’études ont été menées mais on sait néanmoins qu’en ce qui concerne le CLCA de
rang trois et plus à taux plein, les bénéficiaires comptent 98% de femmes et les bénéficiaires du
COLCA de rang trois et plus sont composés à 94% de femmes (il n’y a que 149 bénéficiaires hommes)
d’après Muriel Nicolas (Nicolas, 2008). Le fait d’être parent au foyer semble donc rester une situation
féminine.
Ce caractère marginal de la paternité au foyer (en termes de nombre de cas) contribue à une
absence de définition et de statut clairement défini du père au foyer. En dépit du fait que le terme
« père au foyer » ait été construit comme miroir du terme « mère au foyer » dont la définition est
relativement consensuelle4 ; le sens donné au terme « père au foyer » semble plus large. En effet, il
peut évoquer un père seul (un père séparé de sa conjointe ou un père célibataire c’est-à-dire qui a la
garde de ses enfants), un père ayant réduit son activité professionnelle (Laura Merla et Andrea
Doucet incluent en effet des hommes à temps partiel dans leurs échantillons de « pères au foyer »
(Doucet, 2004, Merla, 2006, 2007a, 2007b, 2010, Doucet et Merla, 2007)) voire simplement un père
se présentant comme le principal pourvoyeur de soins aux enfants. Ainsi, William R. Beer dans son
essai Househusbands : Men and Housework in Amercian Families utilise le terme « Househusband » -
littéralement « mari au foyer » - pour désigner les hommes qui partagent équitablement les tâches
domestiques5 avec leur conjointe (Beer, 1983).
1 Au moment où les enquêtes ont été réalisées, l’Allocation Parentale d’Education (APE) était une allocation
délivrée par la Caisse d’Allocation Familiale (CAF) ouverte aux parents ayant de deux enfants minimum (dont un a moins de trois ans) qui souhaitent réduire ou interrompre leur activité professionnelle, sous condition d’avoir travaillé 2 ans dans les 5 ans ayant précédés la demande d’allocation. Elle peut être souscrite jusqu’à trois ans. Au moment de l’enquête de Danielle Boyer et Sonia Renouard (Boyer, 2004 ; Boyer et Renouard, 2004), elle s’élevait à 493 euros à taux plein c’est-à-dire lorsque le parent interrompait totalement son activité professionnelle, et lors de celle d’Hélène Trellu (Trellu, 2007), elle était de 533 euros à taux plein. 2 Le complément de libre choix d’activité (CLCA) est une allocation de 385,59 euros en plus de l’allocation de
base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) (qui est de 182,43 euros) qu’on peut percevoir à condition d’avoir au moins un enfant de moins de trois ans à charge et de réduire ou de cesser son activité professionnelle (sous certaines conditions d’activité professionnelle antérieure). Son versement peut aller de six mois quand la personne n’a qu’un seul enfant et jusqu’au mois précédent les 3 ans du plus jeune enfant quand le bénéficiaire a deux enfants et plus. Les montants des allocations sont ceux de 2012. Une allocation de rang 1 désigne une personne qui a 1 enfant, une allocation de rang 2 une personne qui a 2 enfants, etc. L’allocation est délivrée à taux plein si la personne cesse totalement son activité professionnelle. 3 Le complément optionnel de libre choix d’activité (COLCA) est une allocation de 809,42 euros en plus de
l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). Elle peut être accordée si la personne a au moins trois enfants à charge (dont au moins un qui a moins de trois ans) et si elle cesse totalement son activité professionnelle. Son versement dure douze mois maximum. Le montant de l’allocation est celui de 2012. 4 La mère au foyer serait une femme ayant des enfants, en couple hétérosexuel, n’exerçant pas d’activité
professionnelle et consacrant la majorité de son temps au foyer ou à des activités ayant trait à l’entretien du foyer ou aux enfants. 5 Le terme « taches domestiques » sera utilisé dans cette analyse comme synonyme de « tâches domestiques
et parentales ».
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L’illégitimité de la situation de « père au foyer » peut contribuer à ce qu’elle ne fasse pas
l’objet d’un fort investissement identitaire. A ce titre, elle n’est pas perçue comme une situation de
long terme (par rapport à la situation de la mère au foyer), dont on peut tirer une fierté et qui peut
faire l’objet d’un investissement identitaire fort. Au contraire, elle est pensée comme une situation
ponctuelle, qui se confond avec le chômage.
Cette situation pose des problèmes de définition puisqu’elle présente les mêmes incertitudes
qui entourent la frontière entre activité et inactivité (c’est-à-dire les distinctions faites entre
travailleur, chômeur, inactif et éventuellement actif non-salarié). La représentation spontanée qu’on
se fait d’un père au foyer est celle d’un homme ayant choisi de cesser son activité professionnelle
pour s’occuper de ses enfants. Or, cette situation ne fait pas forcément suite à une rupture délibérée
avec l’emploi. Ainsi, elle peut s’imposer à certains pères du fait d’une longue période de chômage,
elle peut être un choix par défaut suite à une opportunité (par exemple, un père qui serait en
situation de chômage et qui déciderait de ne pas chercher un nouvel emploi pour s’occuper de ses
enfants) ou elle peut être le résultat d’un calcul coûts-avantages (prenant en compte les salaires
respectifs de chaque conjoint, le coût des modes de garde, les aides publiques dont ils peuvent
bénéficier si les deux conjoints continuent à travailler ou si l’un d’eux s’arrête, les bénéfices attendus
en termes de qualité de vie, le ressenti de chaque conjoint par rapport à sa carrière et l’emploi
exercé, …).
Un tel calcul vient relativiser une représentation spontanée du père au foyer qui s’inscrit
dans la continuité de la figure du « nouveau père » (défini par le Petit Robert comme un « père qui
s'occupe beaucoup de ses enfants et prend part aux soins du ménage »). Ainsi, le nouveau père ne
serait plus l’incarnation de l’autorité et du monde extérieur au sein de la cellule familiale, mais au
contraire serait impliqué émotionnellement et affectivement auprès de ses enfants et aiderait sa
conjointe dans les tâches ménagères et parentales (Brurgeilles, Sebille, 2010) : la situation de père au
foyer serait alors la conséquence de son parcours de vie ou la concrétisation d’un souhait mûrement
réfléchi.
Ce problème se redouble d’un problème de définition d’un point de vue statuaire, lié à son
caractère encore récent et marginal : les pères au foyer peuvent être étiquetés par des institutions
comme les organismes de recensement6, la caisse d’allocations familiales (CAF) ou Pôle Emploi
comme des chômeurs voire des chômeurs découragés (dans la mesure où on peut supposer que le
fait de se définir comme « père au foyer » va de pair avec un arrêt au moins temporaire de la
recherche d’emploi : cette situation suppose une présence au foyer de plusieurs mois, voire plusieurs
années), comme des inactifs, comme des bénéficiaires (salariés ou non) d’un congé parental. En
effet, les questionnaires proposant rarement la situation de « père au foyer » parmi les situations
professionnelles. Par exemple, Hélène Trellu souligne que dans les dossiers administratifs, la case
« femme au foyer » existe mais pas « homme au foyer » (Trellu, 2007).
De plus, la situation de ces pères par rapport à l’emploi n’est pas forcément clairement
définie : Laura Merla inclut dans son échantillon des travailleurs en libéral (par exemple, elle inclut un
père au foyer effectuant ponctuellement quelques heures d’enseignement et un père qui répare des
voitures anciennes (Merla, 2006)) et Andrea Doucet inclut dans son analyse des pères au foyer des
6 L’INSEE a cependant inclut en 2006 la catégorie de « femme ou homme au foyer » parmi les types d’activités
de son questionnaire de recensement, les distinguant des « autres inactifs »
7
pères travaillant à domicile (Doucet, 2004). Cette absence de relation clairement définie à l’emploi
n’est pas sans rappeler le « travail à côté » évoqué par Florence Weber (Weber, 1989) ou les activités
exercées par certaines mères au foyer. Ces activités, sans être un « travail » à part entière,
témoignent d’une volonté de maintenir un lien avec le monde du travail (volonté le plus souvent
inconsciente) et de participer à l’apport de ressources aux ménages (par des activités rémunérées
occasionnelles, des créations artistiques ou du bénévolat) (Dieu, Delhaye, Cornet, 2011). Si ces
activités ne sont pas nécessairement investies comme une activité professionnelle à part entière, on
ne peut exclure leur dimension rémunératrice. De même des artistes, des individus exerçant une
profession intellectuelle prenant la forme d’un télétravail comme journalistes ou écrivains ou des
étudiants peuvent se considérer ou être considérés comme des pères au foyer, alors même qu’ils
peuvent être définis comme étant dans l’emploi (ou du moins comme n’étant pas inactifs). Être père
au foyer ne signifie donc pas absence de d’activité rémunérée et absence d’activité rémunérée (ou
situation de chômage) ne signifie pas se sentir père au foyer.
De plus, ce terme peut comporter un caractère stigmatisant. D’une part, le statut
professionnel est une composante essentielle de l’identité, ce qui conduit les personnes au foyer à
être étiquetées comme déviantes par rapport à la norme actuelle (Baudelot, Gollac, 2003 ; Maison,
2007). D’autre part, dans les représentations sociales du masculin, l’homme est le pourvoyeur
principal de ressources du ménage : un père au foyer risque donc d’être stigmatisé comme un
homme entretenu, improductif, vivant aux crochets de sa conjointe. Cette dénomination peut donc à
ce titre être rejetée par les hommes au foyer, au profit d’une autre expression moins stigmatisante
(« en année sabbatique », « temporairement au chômage ») ou qui marque un lien avec le marché
du travail (Merla, 2010).
On peut donner une définition de la situation de père au foyer reposant sur des critères
« objectifs », comme le fait Laura Merla dans sa thèse Appréhension et présentation de soi et
transgression des normes de la division sexuelle du travail – le cas des pères au foyer : sont définis
comme pères au foyer les « hommes vivant en couple avec une femme active sur le plan
professionnel, et ayant vécu au ayant à la maison dans le but explicite de s’occuper de leur(s)
enfant(s) pour une durée minimale de six mois » (Merla, 2006)). Cependant, l’emploi de ce terme
n’est pas neutre, dans la mesure où il est souvent perçu par autrui comme une situation de
domination de l’homme par la femme (le père au foyer serait « victime » de sa compagne ; Merla,
2006 : 169) ou au contraire de domination de la femme par l’homme (lorsque le père au foyer est
accusé de « profiter de son épouse » ; Merla, 2006 : 169). Le terme « père au foyer » pourrait ainsi
être perçu comme une situation illégitime, donc qui ne devrait pas être revendiqué. L’emploi ou non
de ce terme par les pères sans emploi est à ce titre un enjeu : refuser de se définir comme un père au
foyer peut être un moyen de vouloir échapper à la stigmatisation qui pèse sur cette situation,
stigmatisation accentuée par l’absence de reconnaissance institutionnelle (Trellu, 2007).
La définition retenue dans cette analyse est la suivante : est défini comme père au foyer un
homme valide et en âge de travailler, vivant en couple avec une femme active professionnellement
et avec un ou plusieurs enfants, et n’ayant pas exercé ou n’ayant pas l’intention d’exercer d’activité
professionnelle rémunérée pendant au moins six mois (la durée retenue est en partie arbitraire, elle
a été choisie car c’est la durée maximale de versement du CLCA lorsque la personne n’a qu’un
enfant). Sont donc exclus les pères n’exerçant pas d’activité mais ne vivant pas avec leurs enfants
(pour cause de séparation avec leur conjointe par exemple), les individus exerçant une activité à
8
temps partiel et les pères à la retraite (dans la mesure où leur présence permanente au sein du foyer
tient moins d’un retrait inhabituel du marché du marché que du cours normal de la trajectoire de vie
à la fin d’une carrière). Peuvent être inclus en revanche des individus qui effectuent des missions
rémunératrices ponctuelles si la nature de ces missions a un caractère particulier (artistiques ou
intellectuelles notamment) ou les étudiants.
Dans son enquête, Laura Merla souligne que « presque tous les pères que nous avons
rencontrés ont une activité de loisirs (photographie, massages thérapeutiques, botanique, voitures
anciennes, coaching de l’équipe sportive d’un enfant, etc.), qu’ils considèrent ou présentent […]
comme des formes d’activités professionnelles » (Laura Merla, 2006 : 204). Dans cette perspective,
un père au foyer semble donc un homme qui n’appartient plus à la sphère salariale plutôt qu’un
homme qui a rompu ses relations avec la sphère productive rémunérée. En effet, Laura Merla a
mobilisé deux définitions lors du recrutement des pères au foyer : « soit il était fait appel à des pères
vivant en couple et ayant réduit leur investissement professionnel pour s’occuper de leur(s) enfant(s)
pendant au moins six mois ; soit il était fait appel à des « pères au foyer » vivant en couple avec une
partenaire ayant un emploi à plein temps » (Laura Merla, 2006 : 47). La première définition a certes
l’avantage de toucher des pères qui ne se reconnaissent pas dans l’appellation « père au foyer »,
mais elle présente l’inconvénient d’inclure des pères qui auraient réduit leur activité professionnelle
mais qui ne l’auraient pas suspendue (et de fait, Laura Merla n’exclut pas de son échantillon des
pères déclarant une activité rémunératrice, même si cette activité ne constitue pas une profession en
termes de volume de rémunération et de temps qui lui est consacré).
A la vue de ces difficultés, on pourrait être tenté de baser la définition du père au foyer sur
l’autodéfinition : serait père au foyer qui se déclare comme tel (puisque même si ce dernier exerce
une forme d’activité rémunératrice, s’il se définit comme père au foyer, cela signifierait qu’à ses yeux
son engagement au foyer est premier). Cependant, en se limitant à l’autodéfinition, on risque
d’exclure des individus qui pourraient être définis comme au foyer mais qui ne se reconnaissent pas
ou qui refusent cette appellation (parce qu’ils se considèrent comme au chômage ou parce que ce
terme leur parait stigmatisant). C’est pourquoi la définition retenue ici considère qu’un homme est
père au foyer lorsqu’il remplit un certain nombre de conditions.
En dépit d’avancées et d’assouplissement, les rôles de genre traditionnels (la femme au foyer
à s’occuper de la maison et des enfants et l’homme au travail et comme apporteur principal de
ressources) restent présents : les mères restent responsables de la plupart des tâches ménagères et
parentales, comme le soulignent les enquêtes réalisées sur la question (Algava, 2002 ; Bauer, 2007,
2006 ; Régnier-Loilier (coll.), 2010 ; de Singly, 2009 (2007)) et ce même lorsqu’elles travaillent (d’où la
situation de « double journée »7 (Ferrand, 2004) . Or, le travail professionnel rémunéré reste plus
valorisé que le travail domestique. De plus, lorsque les hommes prennent en charge des taches
domestiques, ce sont généralement parmi les tâches les plus valorisées socialement (comme la
7 Pour la sociologue Michèle Ferrand, la « double journée » ne serait pas seulement « l’addition de deux types
d’activités dans deux lieux différents » – c’est-à-dire les tâches professionnelles effectuées sur le lieu de travail et les tâches ménagères et parentales au foyer – mais aussi « l’intrication de deux charges de travail simultanées » –dans la mesure où la « charge mentale » (Haicault, 1984) c’est-à-dire l’organisation relative aux tâches liées au foyer et à la famille incombe largement aux femmes – (Ferrand, 2004).
9
cuisine ou les loisirs avec les enfants (Bauer, 2007 ; Brugeilles, Sebille, 2009, 2010 ; Régnier-Loilier,
Hiron, 2010)), au détriment des tâches les plus routinisées et celles qui ont trait au sale, à l’intime qui
sont généralement prises en charge par les femmes (Kaufmann, 2011 (1997)). Cette asymétrie dans
la répartition des tâches nous amène à faire l’hypothèse que l’homme reste dominant dans le couple
(hétérosexuel)8, malgré la légitimité qu’a acquise l’idée d’égalité homme-femme. Cependant, le père
au foyer se dégage d’une des sources principales de sa domination (le travail rémunéré), socialement
favorisé et codé socialement comme une caractéristique de l’homme, ce qui pourrait l’amener à être
dominé dans le couple. Ainsi, la question centrale qui guidera notre analyse est la suivante :
comment la domination exercée au sein du couple s’articule-t-elle lorsque le père est au foyer ?
On peut faire plusieurs hypothèses quant à l’articulation d’une relation dominant/dominé au
sein du couple. Tout d’abord, on pourrait considérer que si la situation de père au foyer est pensée
comme temporaire et si les rôles traditionnels de genre sont prégnants dans un couple, l’homme
conserve sa position de dominant. On peut au contraire faire l’hypothèse que le choix de devenir
père au foyer est révélateur d’une position de dominé antérieure à ce choix (par exemple, du fait que
l’homme a un salaire inférieur à celui de sa conjointe, est plus jeune, est issu d’un milieu social moins
favorisé ou était au chômage, dans ce cas le fait de ne plus être apporteur de ressource l’aurait
déchu de sa position de dominant dans le couple). La situation de père au foyer serait alors soit
stigmatisante (et perçue comme dominée) lorsque la situation professionnelle du père était déjà
fragilisé. Elle pourrait au contraire être valorisée lorsqu’elle prend la place d’une carrière réussie.
Cependant, on peut également faire l’hypothèse que le fait d’être au foyer peut contribuer à faire du
père le conjoint dominant si la source de légitimité dans le couple est le fait d’éduquer les enfants
(dans la mesure où la famille serait une valeur centrale dans ces couples).
Ensuite, on pourrait faire l’hypothèse que cette relation s’articule différemment selon
l’appartenance sociale du couple. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que dans les classes populaires, la
représentation du père comme apporteur de ressources est encore très prégnante et que pour les
pères au foyer issu de ce milieu social, cette situation ferait suite à une entrée dans le chômage ou à
un rapport conflictuel dans leur précédent travail (elle serait donc subie plutôt que choisie). Cette
situation de père au foyer serait vécue comme une situation où l’homme est dominé, dans la mesure
où renvoie à la situation de dominée de la femme. A l’inverse, pour les couples appartenant aux
classes moyennes, l’importance accordée dans ce milieu social à l’éducation pourrait contribuer à ce
que l’entrée dans la paternité au foyer soit plus souvent négociée entre les partenaires et soit moins
vécue par l’homme comme une situation de domination. On pourrait même imaginer que dans les
classes supérieures, l’accès à d’autres ressources que le salaire (notamment des revenus liés au
patrimoine) permettrait au père au foyer de cumuler la position de principal apporteur de ressources
et principal donneur de soins, ce qui ne ferait que maintenir la position de domination du père que
l’homme a traditionnellement dans le couple. On peut même faire l’hypothèse que dans certains
8 Dans la mesure où on tente ici d’étudier l’influence de la variable genre dans l’organisation domestique, les
unions entre personnes de même sexe ne sont pas incluses dans cette analyse, bien qu’il serait intéressant d’étudier des couples homosexuels (si possible ayant des enfants) dont un des conjoints est inactif, afin d’observer si la répartition des tâches ménagères et parentales fait plus l’objet de négociations qu’au sein des couples hétérosexuels (dans la mesure où les couples homosexuels seraient moins dépendants des rôles traditionnels de genre) et de disposer d’un « échantillon témoin » pour tester l’importance de la variable « genre » dans les ressorts de la domination. A ce titre, le terme « couple » lorsqu’il apparaitra dans l’analyse désignera les couples hétérosexuels, cohabitants, unis par une relation affective institutionnalisée ou non par un mariage.
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ménages, le choix de devenir père au foyer serait imposé à la conjointe, ce qui semblerait révéler que
l’homme est dominant dans ces couples.
L’intérêt des pères au foyer pour la sociologie et les études de genre est leur caractère
transgressif par rapport aux normes de genre : ils permettent d’étudier les investissements
identitaires en termes de genre par des individus qui ne s’inscrivent pas dans les rôles de genre
traditionnels, la trajectoire et les caractéristiques des individus qui expliquent cette transgression, la
stigmatisation qui pèse sur ceux qui transgressent les normes de genre non du point de vue de la
concordance entre sexe et genre (comme les personnes transsexuelles) ou des pratiques sexuelles
(comme les personnes homosexuelles) mais du point de vue des comportements. La situation de
père au foyer permet également dans une certaine mesure d’étudier l’effet des politiques publiques
et des allocations (notamment par le biais des allocations de la CAF en France) et la répartition des
tâches ménagères et parentales dans le cas d’un couple « hors norme » du point de vue des normes
de genre. C’est plus particulièrement cette dernière dimension qui va nous intéresser, bien que les
autres soient également évoquées. Cette analyse s’intéresse donc à l’organisation domestique (ce
terme désigne la répartition des tâches ménagères, parentales, organisationnelles, administratives et
financières entre les deux membres d’un couple) et le processus de décision et de négociations au
sein du couple où le père est au foyer.
Rappelons que le fait pour ces pères de se définir ou non comme père au foyer représente un
enjeu vis-à-vis de la problématique : refuser cette appellation, en se présentant comme « entre deux
emplois » ou « en année sabbatique » peut être un moyen de se soustraire au stigmate de l’homme
inactif et réalisant des tâches étiquetées comme « féminines », alors qu’au contraire la revendiquer
peut être vu comme une volonté d’inverser le stigmate : être un père au foyer, c’est affirmer le fait
que l’on est un « bon » père parce qu’on s’occupe de ses enfants (selon la typologie de Marks et
Palkovitz qui distingue quatre « types » de père9) (Marks et Palkovitz, 2004, citée par Fisher, 2010).
Cette analyse s’inspire de trois types de travaux. Tout d’abord, on s’appuiera sur les
recherches sur les pères au foyer réalisées à l’étranger, notamment l’enquête que Laura Merla a
réalisée auprès de 21 pères au foyer belges, qui porte sur les représentations de ces pères, la
manière dont ils se situent dans l’interaction avec autrui et la manière dont ils présentent leur
situation par rapport aux rôles de genre (Merla, 2006, 2007a, 2007b, 2010 ; Merla, Doucet, 2007) et
sur celle d’Andrea Doucet réalisée au Canada (Doucet, 2004 ; Merla, Doucet, 2007). Ensuite, on
s’intéressera également aux travaux sur les pères bénéficiaires de l’APE, de Danielle Boyer, Sonia
Renouard et Hélène Trellu (Boyer, 2004 ; Boyer et Renouard, 2004 ; Trellu, 2007). Ces recherches
analysent notamment les particularités socio-économiques de ces couples (profession, niveau de
revenu et diplôme du père et comparaison avec la mère), les liens que ces pères entretiennent avec
l’emploi et la répartition des tâches ménagères et parentales au sein du couple. Enfin, on mobilisera
les travaux de sociologie de la famille portant sur la répartition des tâches parentales et ménagères,
notamment les travaux de Jean-Claude Kaufmann et de François de Singly (Kaufmann, 1997 (1992),
9 Type 1 : les pères jugés bon parce qu’ils s’occupent de leurs enfants. Type 2 : les pères jugés bons car ils
apportent à leur famille des ressources économiques. Type 3 : les pères jugés mauvais parce qu’ils sont absents physiquement et/ou mentalement de la vie de leurs enfants. Type 4 : les pères jugés mauvais parce qu’ils ne s’intéressent pas à leur rôle de père.
11
2011 (1997), 2008 (2007) ; de Singly, 2009 (2007)) et les analyses s’appuyant sur les enquêtes
statistiques ayant portées sur les tâches ménagères et parentales comme le questionnaire du
laboratoire Modélisation appliquée des trajectoires institutionnelles et des stratégies socio-
économiques (MATISSE), les enquêtes « Emploi du temps » de l’INSEE et l’enquête « études des
relations familiales et intergénérationnelles » (EFRI) de l’INSEE et l’Ined (Algava, 2002 ; Burgeilles et
Sebille, 2011 ; Méda, Cette et Dromel, 2004 ; Régnier-Loilier Arnaud (coll.), 2010 ; de Singly, 2009
(2007)).
L’analyse s’inspire plus particulièrement de trois travaux en ce qui concerne l’articulation
entre la réalisation des tâches domestiques (c’est-à-dire l’ensemble des tâches liées au foyer, à son
fonctionnement ou liées aux enfants vivant dans le foyer) et la question de la domination. Tout
d’abord, on s’inspirera des écrits ayant conceptualisés la « division sexuelle du travail »,qui les
premiers ont pensé l’inégalité dans la répartition des tâches au sein du couple comme la marque
1. L’homme est-il dominant dans le couple « traditionnel »10 ?
Historiquement, l’homme a été dominant dans le couple hétérosexuel, domination qui se
manifestait en partie par la division sexuelle du travail, c’est-à-dire le fait d’une part de distinguer
des activités comme étant féminines d’activités définies comme masculines et d’autre part de faire
valoir les secondes comme plus valorisantes qui les premières dans les représentations (Kergoat,
2001) (nous y reviendrons dans la deuxième partie). Les mouvements féministes qui ont mis au jour
l’existence de cette domination ont contribué à rendre légitime le principe d’égalité entre hommes
et femmes, tant dans l’emploi (en permettant aux femmes d’accéder à toutes les professions et à un
salaire égal à celui d’un homme) qu’au foyer (en répartissant les tâches ménagères et parentales
entre les deux conjoints). De plus, la légitimité de l’amour romantique entre les conjoints devrait
valoriser le partage de ces tâches au détriment de l’assignation d’une partie d’entre elles à l’un des
conjoints. Idéalement, aucun conjoint ne devrait pouvoir se prévaloir d’une domination sur l’autre.
Or, le changement dans les mentalités ne semble pas avoir permis de révolution dans les
pratiques. La sociologie peine à construire une théorie qui permettrait de rendre compte de la
répartition actuelle des tâches domestiques entre les conjoints, malgré une connaissance
relativement précise de l’effet des caractéristiques socio-économiques des conjoints sur les
modalités de cette répartition. On peut alors se demander s’il est pertinent de penser la répartition
des tâches domestiques comme le révélateur des rapports de force entre les conjoints.
1.1 La répartition des tâches ménagères et parentales se fait en défaveur des femmes, malgré
de timides changements
Les enquêtes étudiant l’organisation domestique montrent que la répartition des tâches
ménagères et parentales se fait encore aujourd’hui en défaveur des femmes, malgré de timides
évolutions dans le sens d’une répartition plus égalitaire.
Pour les données quantitatives, on se basera principalement sur les grandes enquêtes ayant
porté sur les tâches domestiques et parentales (le questionnaire du laboratoire MATISSE, groupe
division familiale du travail de 1999 ; les enquêtes « Emploi du temps » de l’INSEE et l’enquête
« études des relations familiales et intergénérationnelles » (ERFI) de l’INSEE et l’Ined). Ces enquêtes
présentent néanmoins le défaut de se concentrer sur les tâches ménagères et parentales. Pour
appréhender les tâches organisationnelles ou financières et pour compléter ces enquêtes
quantitatives, on s’appuiera sur des enquêtes qualitatives comme celles de Jean-Claude Kaufmann
sur les tâches domestiques (Kaufmann, 1997 (1992), 2011 (1997), 2008 (2007)), de Caroline Henchoz
sur l’argent dans le ménage (Henchoz, 2009 ; Belleau, Henchoz, 2008) ou de Yasmine Siblot sur les
tâches administratives (Siblot, 2006). Un autre point aveugle de la plupart des enquêtes est la prise
en charge des tâches par quelqu’un d’autre que les conjoints : un membre de la famille (comme les
enfants ou les grands-parents) ou un employé.
1.1.1 Ce constat d’une inégalité s’observe pour les tâches ménagères et parentales
La prise en compte d’une répartition sexuée des tâches domestiques entre les membres du
couple dans les enquêtes statistiques ne va pas de soi, comme le montre l’article « Hommes et
10
Le couple traditionnel est entendu ici comme les couples où l’homme est actif et la femme est active ou inactive, sans autre référence aux rôles sexués, de la situation matrimoniale des conjoints, etc.
13
femmes en ménage statistique : une valse à trois temps » de Thomas Amossé et Gaël de Peretti : les
premières enquêtes budget-temps dans l’après-guerre ont pour objectif de déterminer combien de
temps les femmes consacrent aux tâches domestiques. Il s’agit en effet de savoir si elles ont
suffisamment de « temps libre » pour servir de main d’œuvre d’appoint (cette enquête ne s’adresse
donc qu’aux femmes). Il faudra attendre l’enquête de 1975 pour voir l’apparition d’une dénonciation
de la répartition des tâches ménagères entre hommes et femmes et celle de 1985-1986 pour que les
deux conjoints soient interrogés séparément lorsque le ménage est un couple. C’est donc seulement
à partir du moment où les enquêtes statistiques s’intéressent aux individus plutôt qu’aux ménages
qu’on a pu relever les inégalités de la répartition des tâches domestiques entre conjoints, dans les
années 1970 (Amossé, de Peretti, 2011).
L’organisation domestique des ménages est aujourd’hui encore largement inégalitaire au
sein du couple : les femmes prennent en charge près de 80% des tâches domestiques, à l’exception
du bricolage (plus de 75% des hommes le prennent en charge seuls (Bauer, 2007)) et du jardinage
(Dumontier et al., 2002). Certaines tâches sont réparties au sein du couple plus égalitairement que
d’autres : dans 46% des ménages, l’homme et la femme se répartissent égalitairement la vaisselle et
dans 37% d’entre eux le passage de l’aspirateur. A l’inverse, la part des ménages où la femme
prendrait systématiquement ou le plus souvent en charge le repassage est 80% et la cuisine de 71%.
On remarque de plus que les ménages où les hommes se chargent le plus souvent ou exclusivement
d’une tâche sont rares : le repassage, la préparation du repas, les courses alimentaires, le passage de
l’aspirateur et la vaisselle sont prises en charge exclusivement ou le plus souvent par les hommes
dans 7% des ménages en moyenne (sources : enquête ERFI réalisée en 2008, chiffres cité par
Régnier-Loilier et Hiron, 2010). Le fait que les femmes soient seules responsables d’une part
significative des tâches parentales et domestiques fait de plus peser sur elles une « charge mentale »
dans la mesure où la supervision (autrement dit la gestion, l’organisation et la planification) des
tâches domestiques serait une responsabilité féminine (Haicault, 1984, 2000).
Seule la tenue des comptes est un peu plus souvent prise en charge par les hommes (ils s’en
occupent toujours ou la plupart du temps dans 22% des ménages) (sources : enquête ERFI réalisée en
2008, chiffres cité par Régnier-Loilier et Hiron, 2010). On peut cependant constater une dichotomie
au sein des tâches financières : la prise en charge des dépenses courantes (la planification et les
achats liés aux besoins courants comme l’alimentation et l’entretien) sont plutôt féminines, tandis
que le contrôle des dépenses et du budget est plutôt masculin (Henchoz, 2009).
Les tâches fortement marquées sexuellement (comme le linge) font encore l’objet d’une
répartition inégalitaire tandis que les tâches « intermédiaires » ou « négociables » (comme le
ménage, faire les courses ou la cuisine, ou mettre le couvert) tendent à être réparties de manière
relativement plus égalitaire (par rapport à la moyenne plus qu’en valeur absolue) (Zarca, 1990 ;
Régnier-Loilier et Hiron, 2010). Plusieurs typologies des différents modes d’organisation
domestique ont été établies en fonction de la répartition des tâches entre hommes et femmes, plus
ou moins fines. On retiendra ici celle de Denise Bauer : les femmes ont un rôle exclusif ou essentiel
dans 57% des ménages, les rôles sont plus égalitaires dans 30% des ménages et dans 23% d’entre
eux, l’homme assume une part significative de la charge domestique et éducative (Bauer, 2007).
Le partage des tâches parentales est clivé en fonction de la nature des tâches : on peut
distinguer les tâches de « maternage » (du domaine des soins) et les tâches quotidiennes
14
« contraintes » (proches du travail domestique) des « activités ludiques, affectives et de
"sociabilité" » (Brugeilles, Sebille, 2009) (les plus valorisées socialement). Les premières sont
assurées majoritairement par les mères et les secondes sont plus partagées. Ainsi, dans plus de la
moitié des familles, les mères prennent en charge exclusivement ou le plus souvent l’habillage des
enfants, l’aide aux devoirs scolaires et le coucher des enfants tandis que les hommes investissent
plus facilement les activités de loisirs avec les enfants, c’est-à-dire fortement valorisantes et à fort
potentiel affectif et relationnel et qui sont également les plus susceptibles d’être réalisées en fin de
journée ou en fin de semaine. En effet, les femmes ont tendance à assurer les tâches parentales
effectuées dans le courant de la journée et les hommes celles hors de la journée de travail, c’est-à-
dire le soir et le week-end (Bauer, 2007 ; Brugeilles, Sebille, 2010, 2011).
La répartition des tâches domestiques se fait donc plutôt en défaveur des femmes, surtout
en ce qui concerne les tâches les plus routinisées et les moins agréables (le linge, les tâches de
« maternage »). Cependant, l’ampleur de cette inégalité dans la répartition varie d’un ménage à
l’autre selon les caractéristiques socio-économiques des conjoints et la composition du ménage.
1.1.2 La composition du ménage et les caractéristiques socioprofessionnelles des membres
du couple influencent la répartition des tâches
Cette inégalité de la répartition des tâches est modulée selon les ménages selon de
nombreux facteurs, comme l’arrivée d’un enfant dans le ménage, la taille et la composition de la
fratrie, leur situation matrimoniale (mariage, PACS ou union libre), leur activité professionnelle (ou
leur inactivité), leurs revenus respectifs, leurs niveau de diplôme, la durée du trajet entre le domicile
et le lieu de travail, etc.
L’arrivée d’un enfant dans un couple contribue soit à une persistance de l’organisation
précédente soit à une réorganisation de l’organisation domestique : les rôles deviennent plus
spécialisés et souvent plus traditionnels. En effet, la femme prend plus souvent en charge des tâches
comme la préparation des repas, les courses alimentaires ou le passage de l’aspirateur et les tâches
parentales et elle les prend plus souvent en charge seule, tandis que l’homme accroit son
investissement professionnel. Plus rarement l’homme accroit sa participation dans une perspective
égalitaire (Régnier-Loilier et Hiron, 2010 ; Brugeilles, Sebille, 2011). En effet, l’arrivée d’un enfant est
cause d’une part d’un accroissement de la masse des tâches ménagères et parentales : le temps
consacré par les mères aux tâches parentales est très élevé quand le dernier enfant est très jeune et
il décroit lorsque l’enfant grandit (Algeva, 2002). De plus elle s’accompagne d’une plus grande
mobilisation, car elle donne un sens aux actions et l’envie d’assurer soi-même les tâches (Kaufmann,
2011 (1997)). L’attitude des pères vis-à-vis de ce bouleversement semble variable. Guido De Ridder,
Benoît Ceroux et Sylvie Bigot distinguent trois types de comportements de la part des pères lorsqu’ils
reprennent leur activité professionnelle après un congé paternel : les pères « revendicateurs » qui
affirment fortement leur place de père et qui semblent donc plus enclins à prendre en charge une
partie des tâches parentales ; les « pères-relais » qui s’occupent du bébé en alternance avec la mère
et les pères « peu impliqués » qui se contentent de jouer un rôle d’assistance auprès de la mère (De
Ridder, Ceroux, Bigot, 2004).
La composition et la taille de la fratrie jouent dans la répartition, selon trois modalités : le
sexe des enfants (les parents ont tendance à s’investir plus auprès des enfants du même sexe) et le
fait que la fratrie soit mixte ou non (les hommes sont plus susceptibles de s’occuper de l’habillage
15
des garçons que celui des filles), l’âge des enfants (qui influe sur la nature des tâches parentales et le
temps qu’il faut y consacrer) et le nombre d’enfants (qui influe sur la quantité de tâches parentales à
réaliser mais qui peut aussi induire des dynamiques internes à la fratrie : par exemple les filles ainées
peuvent être sollicitées pour prendre soin des plus jeunes) (Brugeilles, Sebille, 2009, 2010)
La situation matrimoniale (mariage, PACS ou union libre) peut également un effet sur la
répartition. Dans les ménages qui se marient sans cohabitation préalable (« mariage direct ») et ceux
en union libre (définis comme étant en couple depuis un an si cohabitants ou depuis deux ans si non-
cohabitants dans l’analyse d’Arnaud Régnier-Loilier, 2010), 80% ou plus des tâches sont effectuées
par la femme dans au moins un tiers des ménages. Dans les ménages où le mariage a été célébré
après au moins un an de cohabitation ou bien où les conjoints sont pacsés, cette situation n’a lieu
que dans 26% et 17% des cas respectivement (Rault, Letrait, 2010).
La notion de « disponibilité » (c’est-à-dire le temps pendant lequel les conjoints sont
susceptibles d’être au foyer et disponibles pour réaliser les tâches ménagères en raison de leurs
horaires professionnels) semble jouer un rôle important dans la répartition des tâches domestiques.
Ainsi, si un des conjoints a une activité professionnelle et que l’autre est inactif ou chômeur, la
répartition des tâches change par rapport à la moyenne : lorsque la femme est au foyer et que
l’homme est actif, la femme a trois fois plus de probabilité d’assumer la quasi-totalité des tâches
ménagères (notamment la préparation des repas, la vaisselle, le repassage et le ménage (Bauer,
2007)) et de prendre en charge plus de tâches parentales (notamment les activités de soin et de
transport) par rapport à un ménage où les deux conjoints sont actifs. Par contre, les tâches les plus
valorisées comme l’éducation et le temps de loisirs ne sont pas affectées par le fait que la femme soit
en activité ou non. A l’inverse, lorsque l’homme est au foyer et que la femme est active, l’homme a
dix fois plus de probabilité de s’occuper totalement de certaines tâches. Dans ces couples, on
n’assiste cependant pas à un renversement des rôles traditionnels, puisque la femme prend toujours
en charge plus de tâches parentales que son conjoint alors que sa participation aux autres tâches
devient minoritaire. A l’inverse, le fait que la femme soit au foyer semble renforcer les rôles
traditionnels (Pailhé, Solaz, 2004 ; Bauer, 2010). Le chômage implique une hausse du temps
domestique total (mais il n’implique pas une augmentation significative du temps parental).
La répartition dépend aussi de la durée consacrée à l’activité professionnelle : lorsque la
femme travaille à temps plein, il est plus fréquent que l’homme assure un certain nombre de tâches,
partiellement ou totalement, même si l’écart demeure important entre les deux conjoints (Pailhé,
Solaz, 2004 ; Ponthieux et Schreiber, 2006 ; Bauer, 2010). De même, les pères ayant bénéficié de la
mesure de Réduction du Temps de Travail (RTT) en France ont accru leur participation aux tâches
ménagères (aux courses, au rangement de la maison, au ménage et à la préparation des repas
surtout, le linge restant encore une fois une prérogative féminine) et surtout aux tâches parentales.
Plus généralement, les pères qui s’occupent le plus de leurs enfants sont souvent ceux qui travaillent
moins de quarante-cinq heures par semaine (Boyer, Nicolas, 2006 ; Méda, Cette, Dromel, 2004). De
plus, lorsque la mère travaille à des horaires atypiques, les pères sont plus nombreux que les autres à
s’investir dans l’éducation de leurs enfants, signe que l’implication paternelle semble liée à la
« disponibilité » de leur conjointe (Boyer, Nicolas, 2006).
16
Cette disponibilité peut aussi prendre en compte les temps de trajet : si le temps de trajet
entre le lieu de travail et le domicile est plus long pour la femme que pour l’homme, les hommes
participent plus (Bauer, 2007). De même, lorsque la femme travaille moins (en termes de volume
horaires) que l’homme, elle prend en charge plus souvent le transport des enfants, alors que si elle
travaille plus que lui, on observe plus souvent une situation de partage des trajets (Motte-Baumvol,
Belton-Chevalier, Shearmu, 2011).
La catégorie socioprofessionnelle (CSP) des conjoints influence également la répartition :
« les ouvriers et les indépendants participent moins aux tâches domestiques, surtout lorsque leur
partenaire est dans une position professionnelle moins favorable ou qu’elle collabore à l’entreprise
familiale. Les hommes cadres partagent davantage le travail domestique, notamment si leur
conjointe est également cadre (Dumontier et al., 2003) » (Régnier-Loilier et Hiron, 2010). De même,
les hommes travaillant dans le secteur public ou dans les professions intermédiaires participent plus
que les autres aux tâches domestiques (Bauer, 2007) et les exploitants agricoles y participent moins
(Zarca, 1990). Plus largement, la possession d’un diplôme de l’enseignement supérieur pour les
hommes implique un investissement plus grand dans les tâches parentales (Pailhé, Solaz, 2004 ;
Burgeilles, Sebille, 2011). La profession de la femme influence aussi cette répartition : dans les
ménages composés de deux cadres ou deux individus exerçant une profession intermédiaire,
l’homme participe plus aux tâches parentales que dans ceux formés par deux ouvriers ou deux
employés. Dans le cas d’une hypergamie (par exemple, lorsque la femme est cadre ou travaille dans
les professions intermédiaires et que son conjoint est ouvrier ou employé), le partage est plus
égalitaire (Algava, 2002). De même, le niveau de diplôme a une importance : « plus le niveau de
diplôme de l’homme ou de la femme est élevé, plus l’homme prend en charge de tâches féminines
ou négociables » (Zarca, 1990). En effet, l’instruction permettrait de prendre du recul sur sa propre
conformité aux rôles traditionnels de sexe (Zarca, 1990). Ainsi, les hommes appartenant à la
catégorie des classes moyennes sont ceux qui participent le plus aux tâches domestiques (féminisées
ou négociables). Par exemple, ceux qui travaillent dans des professions plutôt féminisées
(instituteurs, assistants sociaux, infirmiers) ou de la fonction publique en catégorie B sont ceux qui
réalisent le plus de tâches féminines. Il y aurait cependant un « effet seuil » lié à la hiérarchie
professionnelle : les ingénieurs, les cadres du secteur privé et les hommes en catégorie A de la
fonction publique participent moins aux tâches domestiques. En effet, dans les classes supérieures,
on observerait une persistance des rôles traditionnels de sexe afin de faciliter la transmission du
patrimoine (du père au fils) (Ledoux, Thullier, 2006).
Plus largement, on peut aussi raisonner en termes d’appartenance sociale. Par exemple, dans
le cas des tâches administratives, elles sont plus souvent prises en charge par les femmes dans les
milieux populaires, pour deux raisons. D’une part, les femmes prennent en charge en général les
« écritures domestiques », comme les comptes ou la liste de course, d’après Bernard Lahire (Lahire,
1995, cité par Siblot, 2006). D’autre part, certains parents (souvent les pères) tentent de transmettre
à leurs enfants (et en particulier aux filles) des compétences administratives, en les emmenant avec
eux lors de rendez-vous avec les services administratifs ou en leur montrant comment remplir
certains formulaires (Siblot, 2006). De plus, le modèle de partage des tâches se transmet
partiellement aux enfants, et ce d’autant plus que les conjoints sont souvent homogames, ce qui
favorise la reproduction des rôles : les hommes salariés participent moins aux tâches domestiques
17
lorsqu’ils sont issus d’un milieu d’indépendants et inversement les hommes participent aux tâches
féminines et négociables lorsque les deux conjoints sont salariés et sont issus d’une famille où le père
était salarié (Zarca, 1990).
Quand il y a peu d’écart de revenus entre les conjoints, le partage des tâches domestiques
est plus fréquent (Bauer, 2010). Plus largement, plus l’écart de revenu est grand entre les conjoints,
plus celui qui a le salaire le plus élevé détient de pouvoir par rapport à l’autre. Ainsi, lorsque l’écart
de salaire est en faveur de la femme, elle pourra « négocier » une répartition moins inégalitaire des
tâches. A l’inverse, plus le salaire de l’homme est élevé, plus il aura tendance à privilégier son
investissement professionnel au détriment de ses obligations familiales (Ponthieux, Schreiber, 2006 ;
Bauer, 2007 ; Boyer, Nicolas, 2006). Ainsi, « dans les familles où il y a plusieurs enfants, le rôle de
« principal pourvoyeur de ressources » semble permettre à celui qui le détient de se dédouaner
d’une partie des tâches quotidiennes » (Brugeilles, Sebille, 2009).
En ce qui concerne l’affectation du salaire des conjoints, Delphine Roy dans son enquête sur
« l’argent des ménages » souligne que dans certains des ménages où les conjoints ont deux comptes
séparés, le salaire de la femme est considéré comme un « salaire d’appoint » par rapport au salaire
de l’homme. Cela conduit ces femmes à prendre en charge les dépenses relatives au ménage (budget
« courses » et budget « enfants ») avec la totalité de leur salaire et une somme d’appoint transférée
par leur conjoint sur le compte, destinée uniquement à compléter la différence. Le « petit » salaire
féminin sert de base pour établir le budget du ménage et constitue une économie pour le conjoint,
qui conserve son autonomie en matière de dépenses personnelles avec son « gros » salaire (Roy,
2006). Caroline Henchoz fait le même constat en Suisse : dans certains couples, la totalité du revenu
de la femme st consacré dans les frais domestiques sans que le conjoint en soit conscient. Le conjoint
se contente souvent de compléter le budget, sans laisser un peu « d’argent de poche » à sa conjointe
(Henchoz, 2009). Notons cependant que ce modèle est loin d’être le seul adopté par les ménages.
Plus généralement, Caroline Henchoz souligne que parmi les couples interrogés, les femmes
ont le plus souvent la charge des dépenses quotidiennes, tandis que les hommes se chargent plutôt
des factures ou de la gestion des comptes du ménage (Henchoz, 2009). Ainsi, il semble que « en
matière de partage des tâches et des décisions concernant les usages de l’argent, on retrouve la
même partition entre les conjoints que pour d’autres tâches domestiques : les femmes ont la
responsabilité des tâches les plus banalisées et les plus répétitives, alors que les hommes semblent
se réserver les tâches les plus prestigieuses et/ou les plus importantes (gestion de l’épargne,
relations avec le conseiller clientèle de la banque) » (Lazuech, 2012 : 42).
La distinction faite ici entre catégorie socioprofessionnelles et revenu peut sembler
artificielle dans la mesure où appartenir à une CSP comme cadre va généralement de pair avec un
salaire élevé. Souvent, ces différents facteurs se combinent : les hommes qui ont réduit leur temps
de travail à l’arrivée d’un enfant (donc susceptibles de réaliser plus de tâches domestiques,
notamment parentales) étaient plus souvent cadres ou travaillant dans les professions libérales, à
hauts revenus, étant diplômés du supérieur et appartenant à un couple bi-actif. Pourtant, ils
semblent avoir un effet contradictoire : un salaire élevé de l’homme contribue à diminuer sa
18
participation aux tâches domestiques, tandis qu’un plus fort niveau d’instruction de l’homme
l’augmente (Ledoux, Thullier, 2006). Finalement, le facteur le plus déterminant en termes de
répartition semble moins les caractéristiques de l’homme en tant que telles que l’écart qu’il peut
exister entre l’homme et la femme, que ce soit en matière de revenus ou d’appartenance à une CSP.
Plus cet écart se fait dans le sens d’une hypergamie féminine, plus le partage des tâches entre
conjoints a de chances d’être égalitaire. On notera de plus que si le niveau de diplôme, le revenu et la
CSP ont une influence importante sur du temps consacré aux tâches domestiques, ils en ont moins
pour les activités parentales (Pailhé, Solaz, 2004).
L’âge des conjoints peut intervenir de plusieurs façons sur la répartition des tâches. Tout
d’abord, l’appartenance générationnelle est susceptible d’influencer leurs représentations en termes
de répartition légitime des tâches entre les conjoints. Ensuite, l’écart d’âge entre les conjoints peut
jouer sur les rapports de pouvoir dans le couple et donc sur la répartition des tâches. Par exemple,
on peut supposer qu’un homme nettement plus âgé que sa conjointe sera généralement plus avancé
dans sa carrière professionnelle et donc aura un salaire plus élevé qu’elle. Cette variable ne semble
pas avoir été un objet d’investigation pour le moment. Cependant, pour les tâches parentales, la
différence d’âge entre conjoints ne semble pas avoir d’effet significatif (Pailhé, Solaz, 2004). En ce qui
concerne l’effet de l’âge sur la prise en charge des tâches domestiques par les hommes, la réalisation
des tâches domestiques négociables (notamment les courses) augmente lorsqu’on passe de la
catégorie des hommes en couple de 30 à 60 ans à celle des hommes en couples de 60 ans à 75 ans.
Cela semble lié à un effet « cycle de vie » : le fait d’être à la retraite augmente la disponibilité des
hommes, ce qui leur permet de s’implique davantage dans les tâches domestiques négociables. On
peut également constater un effet de génération, les 16 à 30 ans ont une vision plus égalitaire du
travail domestique, ce qui fait qu’ils participent peut-être plus, du fait qu’ils sont plus éduqués
(Ledoux, Thullier, 2006).
5% des ménages disent bénéficier d’une aide de leur entourage et 10% des interrogés
déclarent payer quelqu’un pour s’occuper de la maison (Bauer, 2010). D’une manière général,
quelques soit leurs revenus, les couples ont moins recours à une aide marchande pour les tâches
parentales que pour les tâches domestiques (Pailhé, Solaz, 2004). L’effet revenu joue évidemment un
rôle important dans l’emploi d’un employé de service. Dans les milieux les plus défavorisés, les
femmes sont plus souvent au foyer : il reviendrait plus cher de déléguer le travail salarié que de le
réaliser soi-même. A l’inverse, les ménages les plus fortunés sont plus susceptibles d’avoir un
employé à domicile. Les classes moyennes quant à elles semblent peu recourir à la délégation du
travail domestique (Ledoux, Thullier, 2006 ; Kaufmann, 1999 (1993)). Jean-Claude Kaufmann se
demande pourquoi le travail domestique est si peu délégué. Pour lui, plusieurs facteurs y
concourent : la honte d’être mal jugé puisqu’un employé domestique serait le signal d’une incapacité
de la femme, le fait que cela demande un haut niveau d’organisation (par exemple, pour déléguer le
repassage, il faut que la lessive soit faite) et que les pratiques de l’employé ne soient pas forcément
les mêmes que celle du ménage employeur, que cela représente une intrusion dans l’intimité du
couple et que la femme peut se sentir « remplacée » (notamment si le couple engage une nounou) et
que la dépense est mise en relation avec l’organisation actuelle plutôt qu’avec les avantages qu’elle
permet d’obtenir (Kaufmann, 2011 (1997)). Caroline Henchoz souligne que le fait d’engager
quelqu’un pour faire le ménage à domicile peut priver les femmes de leur accès « légitime » (légitime
19
dans le cadre de la division sexuelle traditionnelle du travail) aux revenus du conjoint (Henchoz,
2009).
Le recours aux services à domicile ou le fait de confier la garde des enfants à des personnes
extérieures au domicile semblent en effet lié à la femme (et à son revenu) plus qu’à l’homme, dans la
mesure où elle est considérée dans les représentations comme la « gardienne du foyer » : c’est parce
que ces services peuvent être perçus comme un gain net de temps libre pour la femme (qui semble
être employé à augmenter son investissement parental pour les mères : « le recours à une aide-
ménagère […] augmente [le temps parental] de la mère » (Pailhé, Solaz, 2004)) qu’ils sont plutôt
employés par des femmes ayant des ressources financières ou symboliques. De fait, les entretiens
menés dans le cadre d’une enquête sur « l’argent des ménages » montrent que le salaire de
l’employé à domicile est « déduit » du salaire de la femme (Roy, 2006).
De plus, le volume des tâches domestiques n’est pas un « stock » immuable d’un ménage à
l’autre : il varie selon la composition du ménage (le nombre, l’âge et les liens qui unissent les
cohabitants) et la taille du logement. Selon les exigences du couple en termes de propre et de ranger,
les individus peuvent décider de réaliser ou non certaines tâches (comme le repassage des torchons
par exemple) et d’y consacrer un temps plus ou moins important. Kaufmann souligne par exemple
qu’après une séparation ou lorsque les enfants quittent le « nid » familial, les femmes ont tendance à
revoir leurs exigences en termes d’ordre à la baisse (Kaufmann, 2011 (1997)).
« Le rôle domestique masculin n’est pas donné une fois pour toutes, mais se redéfinit à des
moments essentiels du cycle de vie, tels que la mise en couple, l’arrivée des enfants ou le passage à
la retraite. D’autres facteurs peuvent contrebalancer « l’effet couple », comme « l’effet enfant »,
« l’effet occupation » ou « l’effet diplôme ». » (Ledoux, Thullier, 2006). En effet, la participation des
hommes au travail domestique continue à être pensée comme un rôle d’appoint, de complément au
rôle féminin, notamment pour les tâches « négociables », voire pour les tâches féminines. La
différence de prise en charge par les hommes et les femmes des tâches domestiques est à la fois
quantitatifs et qualitatifs. En effet, les femmes consacrent deux fois plus de temps aux tâches
domestiques que les hommes (Algava, 2002). De plus, les hommes ne prennent pas en charge les
mêmes tâches, et celles prises en charge par les femmes se caractérisent par leur pénibilité et leur
répétitivité, tandis que les tâches masculines sont plus occasionnelles, moins contraignantes,
impliquant moins de responsabilités et plus de satisfactions, sans compter qu’elles se traduisent plus
souvent par la réalisation d’objets durables (Brousse, 1999).
Plusieurs facteurs semblent susceptibles d’accentuer le caractère inégalitaire de la
répartition. Tout d’abord, la division des tâches risque d’être d’autant plus inégalitaire que la femme
est dominée par rapport à son conjoint (parce qu’elle gagne un salaire nettement inférieur ou qu’elle
a cessé son activité professionnelle) et qu’elle est pensée comme « disponible » (parce qu’elle
travaille moins professionnellement en termes de volume horaire). De plus, plus la masse des tâches
domestiques est grande (du fait de la présence d’enfants dans le ménage), plus la femme est
susceptible d’en prendre en charge une part importante. Enfin, si le couple s’inscrit dans une
institution traditionnelle (le mariage), il est d’autant plus enclin à adopter des rôles de genre
traditionnels. A l’inverse, un diplôme élevé (de l’un ou l’autre des conjoints ou des deux) semble
favoriser une répartition plus égalitaire. Cependant, l’hypergamie (en termes de salaire ou de CSP) ne
suffit pas à inverser les rôles.
20
1.1.3 Deux types de tâches : prise de décision et exécution d’une tâche
Jusque-ici, on a considéré les tâches ménagères et parentales comme un monolithe, les
intitulés (comme « faire la vaisselle » ou « les activités de soin auprès des enfants ») étant perçus
comme suffisamment bien définis pour éviter d’en préciser le contenu. C’est d’ailleurs le parti-pris de
la plupart des articles s’intéressant à la répartition des tâches domestiques : le contenu donné aux
différentes tâches est supposé suffisamment clair dans l’esprit du lecteur pour ne pas avoir à les
expliciter. Pourtant, ce présupposé conduit à ne pas prendre en compte dans l’analyse la question de
la prise de décision, en se focalisant sur l’exécution de la tâche. Or, certaines décisions peuvent être
considérées comme une forme de tâche domestique, dans la mesure où elle implique du temps, d’y
consacrer de l’énergie. Par exemple, la décision d’acheter un appareil d’équipement demande a
priori du temps pour chercher les modèles disponibles et comparer leurs avantages et inconvénients
respectifs, réfléchir où on va placer cet équipement, de l’énergie pour le transporter et
éventuellement déplacer des objets ou des meubles, etc..
Comme le soulignent François de Singly et Michel Glaude, le clivage fait entre prise de
décision et réalisation d’une tâche est en partie arbitraire dans la mesure où toute activité comporte
une part de décision, tout comme toute décision implique une certaine tâche d’exécution. En ayant
conscience de cette limite, on choisit cependant de retenir cette distinction, car elle permet à nos
yeux de proposer la typologie la plus fine, bien qu’elle présente le défaut de ne pas prendre en
compte les tâches parentales. En effet, l’enquête sur laquelle les deux auteurs se sont appuyés pour
construire cette typologie ne comportait pas de question sur les enfants (à part en ce qui concerne
l’achat de leurs vêtements). Ils distinguent ainsi quatre formes d’organisation. La première, la
« structure majoritaire » se caractérise par le fait que les « grandes » décisions (comme l’achat d’un
appartement ou l’avenir des enfants) sont partagées entre les conjoints, les femmes se chargent de
l’approvisionnement et du ménage, les hommes se chargent de l’entretien (le bricolage), et les
tâches administratives sont prises en charge soit par l’un soit par l’autre selon les couples. Le modèle
« femmes égalitaires » est un modèle où l’homme se charge le plus souvent seul de l’entretien, mais
où toutes les autres tâches sont effectuées par les deux conjoints. Le troisième est le modèle de la
femme dominée : le seul domaine dont elle se charge exclusivement est celui de la cuisine, son
conjoint intervient dans tous les autres. Enfin, les « femmes ménagères » se chargent seules du
domaine du ménager et de l’approvisionnement et peuvent être amenées à s’occuper également de
manière exclusive d’autres domaines de l’organisation domestique (Glaude, de Singly, 1986).
La répartition des tâches domestiques semble donc se caractériser dans la plupart des
ménages par une double domination des femmes par les hommes. D’une part, elles sont dominées
parce qu’elles sont généralement exclues de la prise de décision ou des tâches d’orchestration. Par
exemple, la capacité à prendre des décisions unilatérales impliquant des sommes d’argent
importantes semblent être un privilège masculin (Collavechia, 2008). Ainsi, si une femme se voit
déléguer de l’autorité dans certains domaines, ce serait parce que l’homme se réserve le droit de
prendre des décisions sur des sujets plus importants. De plus, certaines responsabilités
organisationnelles prises en charge par les femmes ne sont pas nécessairement considérées comme
vectrices de pouvoir car elles sont vécues comme des corvées (Tichenor, 2008). D’autre part elles
sont dominées parce qu’elles se voient imposées la majorité des tâches d’exécution (souvent les
moins valorisantes et les plus pénibles).
21
Bien que la répartition égalitaire des tâches domestiques entre les membres du couple soit
aujourd’hui souvent considérée comme légitime, dans les pratiques la répartition se fait plutôt en
défaveur de la femme, qui assure en général la majorité de l’entretien domestique. Les pratiques
évoluent cependant dans le sens d’une répartition plus égalitaire, surtout dans les couples où les
femmes peuvent être considérées comme égales ou supérieures aux hommes du point de vue des
ressources (du fait d’une activité professionnelle ou d’un revenu supérieur). Cependant, les clivages
sexués demeurent. Ainsi, une partie seulement des tâches est « négociable » entre les conjoints, le
linge et les tâches maternantes restant une prérogative presque exclusivement masculine et le
bricolage une prérogative masculine. De plus, les situations d’inversion des rôles, c’est-à-dire les
couples où l’homme prend en charge une majorité des tâches domestiques, sont rares
De plus, les tâches prises en charge par les femmes sont codées dans les représentations ou
du fait de leur pénibilité comme peu valorisantes (parce qu’elles sont répétitives ou que ce sont des
tâches d’exécution et non d’orchestration). L’enquête de Yasmine Siblot sur la répartition des tâches
administratives en milieu populaire semble même montrer que c’est moins la nature de la tâche que
le genre de la personne qui la prend en charge qui définit sa valeur symbolique (Siblot, 2006), ce qui
montre bien la persistance de la domination masculine qui parvient à se réserver les tâches les plus
valorisées socialement (ou à les définir comme telles).
1.2 Théories de l’organisation domestique
Malgré l’abondance de la littérature sur l’inégalité de la répartition des tâches domestiques
au sein de couple, on parvient difficilement à expliquer pourquoi cette inégalité persiste en dépit de
l’affaiblissement des rôles traditionnels. De plus, ces explications ne permettent pas de rendre
compte de l’influence observées empiriquement des facteurs qui font varier la répartition.
1.2.1. Le poids des traditions
La persistance d’une répartition inégalitaire des tâches pourrait s’expliquer tout d’abord par
le poids des traditions, notamment dans les milieux populaires. L’éducation pourrait jouer un rôle.
Ainsi, la transmission des rôles de genre par les femmes à leurs filles pourrait inculquer à ces
dernières qu’il est de leur devoir de prendre en charge les tâches domestiques. Ainsi, dès l’enfance,
les filles consacrent plus de temps à ces tâches que les garçons, et ce d’autant que la fratrie est
grande (Brousse, 1999). De plus, l’éducation contribuer à inculquer aux filles un plus grand sens de
l’altruisme, par exemple par le biais des jouets (Zegaï, 2008, 2010). Enfin, les professionnels de la
petite enfance contribueraient à inculquer de façon plus ou moins consciente aux femmes qu’elles
sont responsables du foyer et donc de sa bonne tenue, et des enfants (Kaufmann, 1997 (1992), 2011
(1997) ; Delforge, 2006 ; Garcia, 2011 ; Gojard, 2010). En effet, comme le souligne Caroline Henchoz,
les conjoints se répartissent les tâches en fonction des cadres prédéfinis en fonction de leur genre et
de leur statut d’individus mariés et parents, ce qui fait que leurs actions et leurs intérêts leur
paraissent naturels (Henchoz, 2009).
Cependant, si les traditions peuvent expliquer la persistance de l’inégalité de la répartition et
notamment le quasi-monopole des femmes sur la prise en charge du linge et celui des hommes sur le
bricolage ou le lavage de la voiture, et ce dans tous les ménages indépendamment de l’appartenance
22
sociale ; elle ne permet pas d’expliquer les évolutions de la répartition et surtout la grande variabilité
que l’on peut constater en fonction d’un certain nombre de facteurs évoqués précédemment.
1.2.2. Le poids des ressources
La théorie la plus connue en matière de répartition des tâches au sein du couple est la
théorie des ressources de Blood et Wolfe, selon laquelle « la distribution du pouvoir conjugal dépend
des contributions fournies par chaque conjoint. Le partenaire qui dispose du plus de ressources
socialement valorisées, comme le revenu ou le statut social, aura plus de pouvoir dans la prise de
décisions conjugales. » (Blood, Wolfe, 1960, cité par Henchoz, 2009). Ce pouvoir est d’autant plus
grand que le conjoint « se sent une dette à son égard pour ce qu’il a déjà reçu et dépendant pour ce
qu’il recevra à l’avenir » (Blood, Wolfe, 1960, cité par Coenen-Huther, 2001). Par exemple, dans le
cas de la répartition des tâches ménagères au sein du couple, elle serait moins déterminée par une
socialisation traditionnaliste qu’un arbitrage prenant en compte les ressources professionnelles, le
temps « disponible » et le degré de qualification pour l’exercice d’une tâche de chaque conjoint.
Ainsi, les hommes seraient généralement dominants au sein du couple parce qu’ils ont un salaire plus
élevé et un emploi plus valorisé que ceux de leur compagne.
Cette théorie a été critiquée sur de nombreux points. Ainsi, Constantina Safilios-Rothschild
souligne que les ressources comparées doivent être pondérées par l’importance des alternatives
(relationnelles ou non) au mariage (Safilios-Rothschild , 1976). Boyd Rollins et Stephen Bahr quant à
eux remettent en cause le caractère objectif des ressources telles qu’elles sont présentées par Blood
et Wolfe, celles-ci n’étant révélées que lorsqu’il y a conflit entre les conjoints (Rollins, Bahr, 1976) :
n’est une ressource que ce qui est perçu comme tel par les conjoints. En effet, la définition des
ressources pertinentes représente une des faiblesses de cette théorie. De nombreux sociologues ont
pu faire valoir que d’autres ressources pourraient être mobilisées dans le cadre de l’attribution du
pouvoir au sein du couple. Pour Constantina Safilios-Rothschild, cette théorie ne prend pas en
compte les ressources « relationnelles » que peuvent faire valoir les conjoints, comme l’amour, le
compagnonnage ou la sexualité (Safilios-Rothschild, 1970, 1976). Ronald Cromwell et David Olson
soulignent pour leur part que des ressources normatives (c’est-à-dire les droits que les conventions
sociales donnent à la personne), charismatiques, d’expertise ou de gratification et coercition (c’est-à-
dire la possibilité pour un des membres du couple de contrôler les sanctions) (Cromwell, Olson, 1975)
pourraient être incluses dans l’analyse.
Cette théorie peut également être remise en cause car elle semble surestimer le rôle des
ressources en termes de salaire (et dans une moindre mesure de statut professionnel) : l’accès de la
femme à la salarisation ne suffit pas à inverser les rôles. Bernard Zarca souligne que plus le revenu de
la femme est élevé par rapport à celui de son conjoint, plus l’homme prend en charge des taches
féminines ou négociables, mais que c’est le niveau de formation de chacun des conjoint qui a
l’impact le plus fort sur la répartition des tâches (Zarca, 1990). En effet, si l’entrée des femmes sur le
marché du travail leur a permis d’obtenir des relations de couple plus égalitaires, même les femmes
gagnant plus que leur conjoint ne « prennent pas le pouvoir » au sein du couple (par exemple, en
faisant valoir un « droit de veto »). Au contraire, ces dernières élaborent des stratégies qui leur
permettent de préserver leur couple (par exemple, en consultant leur mari avant de prendre une
décision) plutôt que de favoriser leur propre pouvoir de décision (Henchoz, 2009 ; Tichenor, 2008).
Ainsi, si Blood et Wolfe postulent que les ressources des membres du couple sont équivalentes, les
23
hommes semblent disposer en plus des pouvoirs latent et invisible (Lukes, 2005 (1974)) qui
contribuent à perpétuer leur suprématie au sein du couple (on reviendra sur le pouvoir latent et le
pouvoir invisible dans la deuxième partie).
On peut également souligner que les membres du couple peuvent ne pas percevoir certaines
ressources jugées pertinentes par le sociologue comme entrant en compte dans le rapport de force
conjugal. Josette Conen-Huther, dans son analyse des rapports de pouvoir au sein d’une soixantaine
de couples suisses, montre ainsi que la théorie des ressources ne suffit pas à rendre compte du
pouvoir de chaque époux au sein du couple. Selon elle, il faut également prendre en compte les
valeurs du couple, des interactions au sein du couple et des handicaps dont peut souffrir un des
conjoints. Par exemple, dans le cas des couples « tradition » de sa typologie, l’homme est dominant
dans le couple non seulement du fait de son revenu, de l’écart d’âge en sa faveur, de son réseau
familial, mais aussi du fait que dans le cas d’unions tardives, la femme peut être enceinte ou être
divorcée, ce qui accroit la domination de son conjoint sur elle. De même, le fait de valoriser l’amour
peut conduire les femmes des couples « compagnonnage » à donner la priorité à la carrière de leur
mari et à faire plus de concessions (Coenen-Huther, 2001).
En conclusion, la théorie des ressources de Blood et Wolfe a eu l’avantage d’aborder un
domaine peu étudié (les raisons de la persistance de la distribution inégalitaire des tâches) mais
constitue une analyse unidimensionnelle et mécaniste, qui semble de plus ne pas comporter une
réflexion sur la nature même du pouvoir dans le couple et l’éventuelle diversité de ses formes
(Kellerhals, Troutot et Lazega, 1984). Cependant, les critiques qui lui ont été apportées, si elles ont
contribué à faire valoir une pluralité de sources de la domination dans le couple, montrent
également l’impossibilité pour le sociologue de dresser une typologie exhaustive des ressources
potentielles de domination dans le couple.
1.2.3 La spécialisation des conjoints
La persistance de la répartition inégalitaire pourrait également s’expliquer par une forme de
spécialisation de chaque conjoint dans certains types de tâches, selon une perspective rationnelle : le
fait de réaliser régulièrement une tâche permet de la réaliser de façon plus rapide et plus efficace. En
effet, le système du « chacun son tour » qui se met généralement en place dans les jeunes couples
est contraignant dans la mesure où il faut sans cesse « tenir les comptes » de la participation de
chacun, ce qui amène progressivement la mise en place de "territoires personnels" (Kaufmann, 1999
(1993)). Jean-Claude Kaufmann souligne à ce titre que les femmes peinent à se décharger de
certaines tâches sur leur conjoint parce qu’elles jugent que la manière de les réaliser de ce dernier
n’est "pas la bonne" (c’est-à-dire n’est pas la leur) ou n’est pas assez bien au regard de leurs
exigences de propre et de rangé (Kaufmann, 1997 (1992), 2011 (1997)). Or, les femmes étant
généralement socialisées par leurs mères pour apprendre à réaliser un certain nombre de tâches
ménagères, voire de tâches parentales (si leur mère leur avait confié leurs frères et sœurs cadets, par
exemple), il est plus efficace à l’échelle du couple que ce soit elles qui les prennent en charge plutôt
que leur conjoint (Kaufmann, 1997 (1992), 2011 (1997)). De même, pour les tâches de bricolage par
exemple, on peut faire l’hypothèse que les menues réparations font l’objet d’une transmission père-
fils.
La spécialisation peut également être liée aux goûts de chaque conjoint, dans la mesure où
certaines tâches peuvent faire l’objet d’un intérêt de la part d’un conjoint et d’un relatif désintérêt
24
par l’autre, ce qui contribue à une définition de zones de compétences (Henchoz, 2009 ;
Costechareire, 2011) ou du moins, chaque conjoint prendrait en charge les tâches qui le rebutent le
moins parmi les tâches « négociables » (Zarca, 1990). Kaufmann souligne ainsi que les femmes
peuvent tirer du plaisir de l’accomplissement des tâches ménagères : un sentiment de satisfaction
voire de fierté d’avoir réalisé une tâche ménagère et d’avoir fait preuve de dévouement vis-à-vis de
sa famille, de plaisir esthétique face à une maison bien rangée, voire de plaisir sensuel (par exemple
lié à l’odeur du linge propre ou fraichement repassé) et parfois un désir de se « retirer du monde »
en exécutant sans y penser des tâches exécutées sur un mode « automatique » (Kaufmann, 2011
(1997)). Enfin, certaines tâches ne peuvent être réduites à un « travail domestique » dans la mesure
où elles peuvent être perçues comme récréatives (comme la décoration, la couture ou même la
cuisine) (Kaufmann, 2011 (1997)) ou dans le cas des tâches parentales, elles peuvent être
socialement valorisées et gratifiantes affectivement. Ainsi, les hommes qui s’investissent dans
certaines tâches domestiques peuvent le faire en raison de leur "capital de manière" (Kaufmann,
1999 (1993)) : Kaufmann prend l’exemple d’un goût hérité du milieu familial pour les arts de la table,
qui pourrait inciter l’homme à s’investir dans la cuisine puis en amont (les courses) et en aval (la
vaisselle) (Kaufmann, 1999 (1993)).
De plus, en cantonnant chaque conjoint dans des zones de compétences spécifiques, on
limite les conflits potentiels : ce serait en effet dans les domaines de compétences "conjoints" que les
conflits seraient les plus fréquents (Scanzoni, 1979). Or, les conflits sont coûteux émotionnellement.
L’inégalité de la répartition des tâches entre les conjoints peut donc être perçue moins
comme une prescription que comme une spécialisation des conjoints, adoptée au nom de l’efficacité
ou négociée en fonction des goûts et des compétences de chacun. Cependant, cette théorisation de
l’organisation domestique suppose une concertation entre conjoints, pensée sur le mode de la
négociation. Cela traduirait l’essor de la pensée rationnelle au sein même de la famille, pourtant
censée être unie par des liens affectifs (les affects étant pensés traditionnellement comme opposés à
la rationalité). L’amour empêche-t-il les négociations dans le couple ?
1.2.4 La répartition des tâches est-elle négociée entre les conjoints ?
La question des négociations au sein du couple est peu prise en compte dans la sociologie de
la famille en France, qui s’est principalement développée autour de la conception durkheimienne de
la famille (c’est-à-dire « une communauté naturelle fondée sur la solidarité, le partage des biens et
l’affection » d’Emile Durkheim (Durkheim , 1975 (1892)). Cette définition semble occulter la question
des négociations en partant du principe que la famille est une unité harmonieuse, où chacun des
membres a des intérêts et des valeurs convergents11. Depuis, du fait de l’influence des analyses
féministes en termes d’organisation domestique, les enquêtes déjà évoquées12 sur la division
sexuelle du travail au sein du couple ont d’abord cherché à mettre en évidence une division sexuelle
du travail domestique injuste (de Singly, 2009 (2007)). La question des arrangements éventuels entre
11
C’est d’ailleurs l’hypothèse de Becker lorsque la pensée néo-classique en économie s’est intéressée à l’allocation des ressources au sein du ménage : la fonction d’utilité du ménage c’est-à-dire les préférences du ménage en matière de dépenses des revenus serait celle d’un seul acteur, celle d’un chef de ménage altruiste qui prendrait en compte les préférences des membres de sa famille dans ses propres préférences (Becker, 1981). 12
les enquêtes « Emploi du temps » ou « Etude des relations familiales et intergénérationnelles » de l’INSEE ou l’enquête du groupe division du travail familial du laboratoire MATISSE
25
conjoints, sur le mode d’une répartition négociée des tâches entre les conjoints, n’est donc pas
abordée dans ces enquêtes, jusqu’à l’enquête Emploi du temps de 2009-2010 du moins. Cette
dernière comprend un module « décision dans les couples » et cherche à évaluer la mise en commun
de ressources entre conjoints et à comprendre les facteurs qui jouent dans la prise de décision
(Amossé, de Peretti, 2011) (dans le prolongement des interrogations de Glaude et de Singly à partir
de l’enquête sur les budgets familiaux de 1979).
Pourtant, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail dans la deuxième moitié du
XXème siècle (ce qui a contribué à accroitre leur pouvoir décisionnel au sein de la cellule familiale
selon la théorie des ressources (Blood, Wolfe, 1960), ce qui semble vérifié empiriquement), la remise
en cause de la division traditionnelle du travail au sein du ménage notamment sous la pression des
mouvements féministes et la transformation des relations de couple13 ont fait évoluer les
représentations légitimes en matière de répartition entre conjoints de tâches ménagères et
parentales. Ainsi, la plupart des couples se déclarent favorables à une répartition égalitaire (comme
le souligne par exemple l’enquête ERFI de l’Ined et l’Insee de 2005). On pourrait donc s’attendre à ce
que les négociations soient désormais décisives pour structurer la vie en commun au sein du couple.
Par exemple, certaines tâches sont considérées par comme « négociables », parce qu’elles peuvent
être effectuées par l’un ou l’autre conjoints dans une proportion significativement supérieure à celle
des tâches encore marquées comme sexuées (Zarca, 1990).
Cependant, le terme de négociation lorsqu’il s’applique au couple pose un double problème
de définition et de pertinence.
Tout d’abord, comme le soulignent Lars Eversston et Charlott Nyman dans « Difficultés liées
à la négociation dans la recherche sur la famille : un regard sur l’organisation financière des couples
suédois » (Eversston , Nyman ,2005) et Caroline Henchoz dans Le couple, l’amour et l’argent
(Henchoz, 2009), la définition même de « négociation » ne fait pas l’objet d’un consensus : « Certains
considèrent la négociation comme une forme particulière d’interaction qui peut et devrait être
différenciée des autres formes d’interaction (Johansson, 1997). D’autres accordent à la négociation
un sens plus large et la perçoivent comme un échange social. Selon ces derniers, presque tout ordre
social serait issu de la négociation. » (Eversston, Nyman, 2005). A ce titre, la négociation n’est pas
forcément explicite14 mais au contraire peut être implicite : « Certaines négociations peuvent être
brèves, conclues sans échange verbal ou geste manifeste; néanmoins, les parties peuvent être
parfaitement conscientes de "ce qu’elles font". Elles n’y voient peut-être pas de transaction
négociée, mais en considèrent certainement le résultant comme une sorte d’entente conclue.
13
Dans la mesure où elle serait désormais une « relation pure » libérée des « critères externes » comme le théorise Giddens dans Modernity and self-identity. Self and society in the late moderne age (Giddens, 1991) et où le couple serait désormais le lieu de l’épanouissement de l’individu plus qu’une institution assignant des rôles, comme l’analyse François de Singly dans Le Soi, le couple et la famille (de Singly, 2000 (1996)) 14
On pourrait définir la négociation explicite comme un dialogue où les individus échangent des arguments et des opinions dans le but de parvenir à un accord, de régler un conflit, en rendant compatibles des intérêts contradictoires par des concessions mutuelles
26
D’autres négociations peuvent être implicites à tel point que les parties respectives ne seront pas
entièrement conscientes de s’être engagées dans une transaction négociée ni de l’avoir conclue. »
(Strauss, 1978 : 224-225 ; cité par Eversston, Nyman, 2005). Le caractère partiellement « invisible »
des négociations, leur inscription dans l’interaction conjugale et l’idéologie amoureuse du don et du
désintérêt incite donc les conjoints à ne pas penser les rapports conjugaux en termes d’inégalités ou
d’asymétries. Cela a pour conséquence que les mécanismes qui articulent les négociations au sein du
couple sont difficiles à appréhender par les sociologues, d’où une absence de consensus théorique
sur ces mécanismes.
Ensuite, il n’est pas sûr que les couples aient recours à la négociation : Lars Eversston et
Charlott Nyman déclarent n’avoir trouvé que « peu de preuves de l’existence de la négociation chez
les couples » lors de leur enquête auprès de couples suédois (Eversston, Nyman, 2005).
D’une part, si un membre du couple décide de (ou se résigne à) prendre en charge une partie
des tâches domestiques, parce qu’il estime que c’est son devoir (par exemple, certaines femmes au
foyer pensent que leur situation fait qu’il est de leur devoir d’aller chercher leurs enfants à la sortie
de l’école dès la fin des cours (Dieu et al., 2011)), parce qu’il s’estime plus compétent ou parce qu’il
pense que son conjoint ne le fera pas ou mal ; alors cette répartition ne ferait pas l’objet d’une
discussion entre les conjoints, mais se « sédimenterait » progressivement15 (Kaufmann (1997 (1992),
2008 (2007), 2011 (1997) ; Swinnen, 2007). Il peut également vouloir faire plaisir à son conjoint en le
déchargeant de certaines tâches dans un idéal de don de soi dans la relation amoureuse (Henchoz,
2009).
D’autre part, le recours à la négociation ne va pas de soi : il exige la possession de certaines
ressources (relationnelles et affectives, langagières, voire financières) et il est coûteux pour plusieurs
raisons. Tout d’abord, il nécessite de prendre conscience qu’on subit une situation que l’on ne trouve
pas satisfaisante, ce qui produit un désenchantement et de l’instabilité (puisque la négociation remet
en cause les habitudes). De plus, recourir à la négociation, c’est aller à l’encontre des normes tacites
qui régissent la famille (Evertsson, Nyman, 2005) et risquer de remettre en cause la répartition des
tâches dans d’autres domaines que celui qui fait initialement l’objet de la négociation (Costechareire,
2011). Plus significativement, le recours à la négociation représente un coût d’une part parce qu’il
suppose le fait de recourir à une logique de « calcul » incompatible avec l’idéologie amoureuse du
don et du désintérêt (Henchoz, 2009) et d’autre part parce qu’il peut avoir un coût émotionnel et
affectif (dans le cas où elles entrainent des disputes, voire des ruptures) (Evertsson, Nyman, 2005).
Les couples tenteraient alors probablement de « maintenir la stabilité de leur relation et d’éviter tout
ce qui pourrait avoir des répercussions négatives sur elle (Askham, 1984; Benjamin, Sullivan, 1999) »
(Eversston, Nyman, 2005). Ainsi, l’entente entre conjoints serait moins le résultat d’un consensus
qu’un effort stratégique pour maintenir la paix (Hahn, 1991). Etudier les négociations qui ont lieu
dans le couple reviendrait alors dans une certaine mesure à étudier les moyens par lesquels les
couples les évitent : en se définissant des zones de compétences exclusives, tout en revendiquant un
15
On peut cependant faire l’hypothèse qu’avant la mise en place de cette organisation, les conjoints ont négocié sinon le partage des tâches en tant que tel, au moins certains de ses aspects. Ainsi, « même si l’on est porté à croire que ce type de négociation est plus courant aux débuts de la relation, on estime généralement qu’il est moins fréquent chez les couples établis (Ahrne et Roman, 1997; Daly, 2002; Finch et Mason, 1993) » (Eversston, Nyman, 2005).
27
« droit de regard » important (Osmond, 1978), en mobilisant un pouvoir latent ou invisible (Lukes,
2005 (1974)), etc. Par exemple, Caroline Henchoz souligne plusieurs « obstacles » à la négociation.
Ainsi, le fait de disposer de revenus propres permet au conjoint moins bien doté de ne pas entrer
dans la négociation en recourant à ses propres ressources monétaires. De même, le fait de passer
sous silence certaines informations comme l’existence de comptes bancaires personnels permet de
soustraire certaines ressources aux négociations puisque le conjoint ignore leur existence ou cacher
des dépenses. Le recours au do est également un bon moyen d’imposer une pratique de
consommation ou une dépense au conjoint, puisqu’il fait contracter au conjoint qui reçoit le don une
forme de dette symbolique (Henchoz, 2009 ; Belleau, Henchoz, 2008). Enfin, les couples ne voient
pas forcément l’utilité du recours à la négociation : « puisqu’ils estiment que chacun connait
suffisamment l’autre, les discussions de ce genre ne paraissent pas nécessaires. » (De Ridder, Ceroux,
Bigot, 2004).
La notion de négociation suppose par ailleurs que l’organisation conjugale est très structurée
et que cette structure est objectivable. C’est également l’hypothèse que font les enquêtes par
questionnaire qui analysent la répartition des tâches ménagères et parentales au sein des couples.
Or, comme le soulignent Isabelle Clair dans « Dire à deux dans le mariage » (Clair, 2009 (2007)) et
Kaufmann dans ses analyses des tâches ménagères (1997 (1992), 2005, 2011 (1997)), la répartition
des tâches ne fait le plus souvent pas l’objet de répartition explicite (basées sur des négociations ou
une assignation) et les conjoints n’ont pas forcément conscience de cette répartition. Cela se
manifeste notamment par les divergences de déclaration selon le sexe du conjoint quant à leur
participation aux tâches ménagères et parentales, étudiées dans « Dire à deux dans le ménage »
d’Isabelle Clair, (Clair, 2009 (2007)) et « Mise en scène de la vie quotidienne. Dit-on la même chose
en présence de son conjoint ? » d’Arnaud Régnier-Loilier et Nelly Guisse, (Régnier-Loilier, Guisse,
2010)). On peut donc faire l’hypothèse que la répartition des tâches ménagères et parentales n’a pas
la permanence dans le temps que les enquêtes lui prêtent, c’est-à-dire que ce qui est observable au
moment de l’enquête ou ce qui disent les acteurs est en partie arbitraire ou n’est valable que pour
une échelle de temps très courte16. Caroline Henchoz souligne également l’importance du don dans
l’organisation financière du ménage, plus en accord avec l’idéologie amoureuse (Henchoz, 2008,
2009). Or, le don ne peut pas être considéré comme un dû, il serait donc par nature ponctuel et
échapperait à la vision de l’organisation du ménage comme une structure figée.
Enfin, les négociations ne sont pas forcément observables par le sociologue. En effet, la
négociation est une action ponctuelle qui se déroule dans la sphère intime du couple, qui est de
courte durée aux dires des enquêtés de Caroline Henchoz, et que ces derniers oublient rapidement.
De plus, dans les entretiens, les désaccords sont souvent minimisés ou relativisés, du fait que les
conjoints défendent la « face » (au sens de Goffman) de leur couple (Henchoz, 2009 ; Clair, 2009
(2007)).
16
Cependant, les enquêtes de Kaufmann semblent indiquer le contraire (Kaufmann, 1997 (1992), 2011 (1997), 2008 (2007)
28
La négociation serait une pratique genrée, puisque ce sont le plus souvent les femmes qui y
ont recours lors de la construction familiale (Henchoz, 2009). En effet, comme elles subissent
généralement une répartition inégalitaire des tâches, elles ont moins à perdre en entrant la
négociation si elle ne tourne pas en leur faveur. De plus, elles entreraient dans la négociation
(notamment pour accéder aux ressources économiques) parce qu’elles n’ont pas les ressources
nécessaires pour y échapper et agir indépendamment de leur conjoint ou lui imposer leurs choix.
Dans les styles de négociation, elles feraient de plus preuve de subtilité afin que le partenaire ne
rompe pas la négociation en exerçant un droit de veto (Tichenor, 2005 ; Gottman, Notarius, 2000 ;
cité par Henchoz, 2009). A l’inverse, les hommes auraient plus tendance à recourir à l’autorité ou à
mettre leur conjointe « au pied du mur » (ce qui constitue de fait une forme d’évitement ou du
moins un moyen de couper court à la négociation). Cependant, dans leur article sur les « pères sur le
tard », Marc Bessin et Hervé Levilain soulignent que les femmes aussi peuvent avoir recours à ce
genre de stratégies en ce qui concerne la décision d’avoir un enfant. Ainsi, « parler de négociations
ne doit pas conduire à voir une production rationnelle et froide des décisions partagées. Elles
prennent aussi souvent la forme de rapports de force, de décisions imposées ou arrachées. » (Bessin,
Levilain, 2004).
Il semble qu’il soit moins pertinent de parler de négociation que de prise de décision. D’une
part, même si le pouvoir permet d’éviter la négociation, l’organisation du ménage révélera le rapport
de force dans le couple (puisque le pouvoir peut être un moyen de donner du poids à son point de
vue dans une négociation mais aussi d’inciter l’autre conjoint à accepter une organisation telle
qu’elle était désirée par le conjoint). D’autre part les négociations sont difficilement observables en
tant que telles par le sociologue. Ainsi, s’intéresser à la prise de décision au sein du couple semble
un moyen pertinent de saisir les rapports de domination dans le couple puisque c’est la capacité à
imposer ses préférences qui semble l’indicateur le plus pertinent pour saisir les pouvoirs que
détiennent les conjoints.
L’organisation domestique semble donc principalement déterminée par les rôles sexués
traditionnels qui expliquent que la répartition des tâches domestiques et parentales reste
défavorable aux femmes. Ces rôles sexués demeurent prégnants du fait de la socialisation genrée des
enfants et de la « naturalisation » des compétences des femmes en matière parentale par certains
discours d’experts (notamment les psychologues mais aussi certains biologistes ou certains
éthologues par exemple). Si la théorie des ressources permet de rendre compte de la mise en place
de ces rôles sexués avant que les femmes n’accèdent massivement au travail salarié et en partie des
évolutions dans la répartition qui ont eu lieu depuis, le cas des femmes qui gagnent plus que leurs
conjoints (Tichenor, 2008) montre bien que la répartition des tâches domestiques n’est pas
réductible aux ressources des conjoints (à moins peut-être d’inclure dans les ressources le poids de la
tradition, mais cela suppose y inclure symétriquement l’idéal d’égalité entre les conjoints). Quant à
l’hypothèse d’une spécialisation des conjoints, elle semble pertinente si on considère que les
compétences respectives des conjoints voire même la formation des goûts sont liées à la socialisation
genrée des conjoints. Cette dernière conceptualisation expliquerait la persistance des rôles
traditionnels mais aussi les évolutions, puisque on pourrait faire valoir que cela peut être la
29
formation d’un goût pour l’art culinaire qui peut conduire l’homme au sein d’un couple à prendre en
charge la cuisine, voire les courses et la vaisselle. Cependant, il semble que ce qui permet réellement
d’expliquer l’organisation domestique, c’est la notion de pouvoir : puisque la répartition des tâches
n’est pas forcément négociée entre les conjoints de façon à tendre à l’égalité (puisque le fait de
mettre en place une répartition explicite qui prendrait en compte le temps passé, la pénibilité, les
coûts, … est contraire à l’idéologie amoureuse du don et du désintérêt (Belleau, Henchoz, 2008 ;
Henchoz, 2009) qui disqualifie une approche trop comptable du quotidien) et que les ressources
respectives des conjoints ne sont pas mobilisées uniquement lors de négociations explicites ou de
conflit, c’est finalement la confrontation entre les aspirations de chaque conjoint et les pratiques au
sein du couple, et les modalités de la prise de décision qui permettent de comprendre comment se
fait la répartition, en fonction du pouvoir de chaque conjoint. On peut se demander dans quelle
mesure cette répartition permet de révéler le pouvoir respectif des conjoints.
1.3 La répartition des tâches ménagères et parentales est-elle un moyen pertinent pour saisir
les rapports de force au sein du couple ?
On a considéré jusqu’ici que l’organisation domestique résultait en grande partie des rapports
de force au sein du couple. Or, comme on l’a déjà vu, cette organisation n’est pas forcément perçue
comme une contrainte par celle qui semble subir ce rapport inégalitaire (la conjointe). De plus, le fait
de prendre un indicateur pour évaluer les rapports de domination pose nécessairement des
problèmes de mesure de cet indicateur, que ce soit dans la répartition effective des tâches, la prise
de décision au sein du couple ou les négociations qui ont lieu en son sein.
1.3.1 Peut-on penser l’organisation domestique en termes de domination ?
Tout d’abord, la prise en charge de certaines tâches par un conjoint n’est pas forcément
vécue comme l’exercice d’une domination. Cette idée de domination est une conceptualisation
promue par le champ féministe, mais cela ne signifie pas que les membres du couple la réinvestissent
et réinterprètent leur expérience en tant que telle. De plus, l’affaiblissement des rôles traditionnels
et la légitimité des représentations d’égalité de la répartition des tâches dans le couple (à l’exception
peut-être des générations plus âgées ou des couches populaires) au sein du couple et la montée de
l’individualisme (Giddens, 1991 ; de Singly, 2000 (1996)) contribuent sans doute à ce que les
membres du couple se représentent la répartition des tâches comme librement consentie. Ainsi, la
répartition peut être perçue comme la simple résultante de considérations pratiques : la
disponibilité, les compétences de chacun ou le goût.
Ensuite, la répartition ne fait pas forcément système : Kaufmann montre dans ses analyses
sur les tâches ménagères qui si les femmes en viennent à endosser la majorité du ménage et de
l’entretien du linge, c’est moins du fait d’une prescription par le conjoint ou de négociations avec lui
que de « l’agacement » (l’idée que « quelque chose doit être fait ») qui survient plus tôt ou de façon
plus intense chez elles que chez leurs partenaires du fait de leur socialisation et des injections
sociales qui continuent à peser sur les femmes en ce qui concerne la « bonne tenue » du foyer
(Kaufmann, 1997 (1992), 2011 (1997), 2008 (2007)). Il n’y aurait pas de répartition, mais seulement
des prises en charge ponctuelles qui s’accumulent et se « sédimentent ». Cette forme du partage des
tâches domestiques semble d’autant plus crédible que la plupart des tâches ont un caractère
routinier, « un peu tous les jours », qui pourraient amener les individus à sous-estimer leur volume
horaire total. De plus, la répartition peut être pensée sur le mode de l’alternance (par exemple : « si
30
mon conjoint fait la cuisine, je fais la vaisselle ») et donc de l’échange, ce qui peut occulter le
caractère déséquilibré de cette répartition, et ce d’autant si certaines tâches ne sont pas pensées
dans cette logique d’échange (par exemple, les soins aux enfants pourraient ne pas être perçus
comme de même nature que les « corvées » domestiques). On pourrait également faire l’hypothèse
que si les conjoints raisonnent sur le mode de l’échange, ils ne le définissent pas forcément dans les
mêmes termes (par exemple, si un des conjoints conçoit l’échange comme « si mon conjoint fait la
cuisine, je fais la vaisselle » et l’autre le conçoit comme « si mon conjoint cuisine pour le déjeuner, je
cuisine pour le dîner » mais qu’il n’inclut pas la vaisselle dans l’échange, il est probable que le
premier conjoint doive plus souvent se charger de la vaisselle).
Enfin, la prise en charge de tâches domestiques peut être inscrite dans une stratégie visant à
acquérir un pouvoir. En faisant l’hypothèse que ce soit la femme qui choisisse de s’effacer devant les
désirs et les bénéfices de l’homme, cela ne constitue pas forcément une domination pour autant,
dans la mesure où la femme peut le faire pour en tirer des bénéfices : un accès aux ressources du
conjoint légitimé par une division sexuelle du travail, des bénéfices symboliques17 ou en termes de
« points » marqués au sein du couple et de reconnaissance de la part du conjoint du fait de
l’idéologie amoureuse de la réciprocité et de l’équilibre des échanges. En effet, la norme égalitaire
valorise la réciprocité. Ainsi, la femme pourrait prendre en charge une part plus importante des
tâches domestiques que l’homme afin d’obtenir de celui-ci qu’il cède sur d’autres points de
l’organisation domestique, par exemple pour obtenir qu’il accepte un achat d’équipement au
bénéfice de la femme (Henchoz, 2009), ou pour s’approprier un pouvoir d’exécution (par exemple, si
une femme prend en charge la préparation du repas, elle gagne une capacité à pouvoir choisir le
menu) voire d’orchestration (du fait qu’elle serait devenue "spécialiste" d’une tâche, elle serait la
mieux placée pour prendre les décisions qui la concerne) (Glaude, de Singly, 1968).
Ensuite, l’assignation à certaines tâches n’est pas forcément visible. Par exemple, Steven
Lukes dans sa typologie du pouvoir distingue trois dimensions18 : le pouvoir manifeste (« le pouvoir
sur »), le pouvoir latent (le conjoint dominé fait ou ne fait pas certaine choses car il anticipe une
réaction négative) et le pouvoir invisible (c’est-à-dire quand les intérêts du conjoint dominant sont
perçus comme étant des intérêts généraux) (Lukes, 2005 (1974) ; cité par Henchoz, 2009). Le
partenaire dominant peut donc amener le partenaire dominé à adopter certains comportements
sans les lui imposer. Ainsi, comme le montre Caroline Henchoz, l’idéologie amoureuse du don et du
désintérêt incite les conjoints à faire passer leurs intérêts individuels au second plan, au profit de leur
partenaire ou de la relation (Henchoz, 2009).
Le fait que la prise en charge de tâches domestiques puisse être source de pouvoir montre
l’ambivalence entre organisation domestique et pouvoir. De plus, même dans des cas de répartitions
basées en théorie sur la disponibilité, des compétences ou le goût, le pouvoir n’est pas forcément
absent de ces configurations. On prendra un exemple par "justification pratique" de la répartition.
Prenons le cas de la disponibilité liée à l’activité professionnelle (source de prestige par le statut et
17
En effet, une maison « bien tenue » est valorisée socialement et est attribuée à l’action de la femme, qui serait une « bonne maitresse de maison » : la femme peut donc prendre en charge plus de tâches ménagères au sein du foyer afin de construire une image d’elle positive auprès de sa famille, de ses proches et de ses voisins 18
Cette conceptualisation a été adaptée à la sphère conjugale par Aafke Komter (Komter, 1989)
31
les ressources monétaires qu’il procure). On peut faire l’hypothèse que dans un couple où le conjoint
a un meilleur emploi que sa conjointe, ce n’est pas parce que l’homme est moins disponible (en
terme de volume horaire) qu’il prend en charge moins de tâches ménagères mais que c’est parce
qu’il avait du pouvoir qu’il a imposé son implication professionnelle à sa conjointe, au prix d’un
désinvestissement de la sphère domestique. Si on prend le cas de la justification par les
compétences, le fait qu’aujourd’hui la majorité des individus des jeunes générations vivent seuls un
temps avant de cohabiter avec leur conjoint suppose qu’ils ont dû acquérir un minimum de
compétences domestiques, indifféremment du genre, compétences qu’ils pourraient exploiter dans
la vie conjugale. Or, comme le souligne Kaufmann, les hommes oublient vite qu’ils savaient faire le
ménage (Kaufmann, 1997 (1992), 2011 (1997)). Si la répartition est justifiée par les goûts des
conjoints, la spécialisation pourrait dépendre moins des préférences respectives (les conjoints font
ce qu’ils aiment) que des dégoûts des conjoints (les conjoints prennent en charge ce qu’ils savent que
l’autre ne fera pas).
Cette dernière hypothèse semble confirmée par le fait que dans les pratiques la femme
assure en général les tâches les plus routinières et les moins valorisées, comme les courses ou les
activités de soin des enfants. La domination masculine semble donc se manifester par la capacité de
l’homme à se réserver les activités les plus valorisées (comme les activités de loisirs avec les enfants).
On peut donc faire l’hypothèse qu’il y aurait donc une répartition "quantitative" des tâches (les
conjoints se répartiraient effectivement les tâches entre eux) mais pas de répartition "qualitative".
En effet, l’homme parviendrait à s’accaparer les tâches les plus prestigieuses voire fait valoir les
tâches qu’il prend en charge comme les plus prestigieuses, comme semble le suggérer la valeur
différentiée accordée aux tâches administratives dans les classes populaires selon le genre de la
personne qui les prend en charge, présentées comme prestigieuses quand l’homme les prend en
charge et dévalorisées quand elles sont prises en charge par la femme (Siblot, 2006). L’assignation à
certaines tâches se manifesterait alors moins du volume des tâches réparties que de la nature des
tâches imposées et de la perception de ces tâches en termes de pénibilité ou de responsabilité.
La domination peut donc être cherchée en partie dans la pénibilité perçue des tâches ou le
sentiment d’injustice dans la répartition que peut ressentir un des conjoints (notamment la femme).
Ces ressentis contribuent à rendre visibles l’assignation à une tâche. Ainsi, repasser ou nettoyer les
vitres est perçu comme une corvée par les hommes comme pour les femmes, tandis que faire les
courses est considéré comme une activité plutôt agréable par les hommes comme pour les femmes
et la cuisine est perçue comme une activité agréable plus souvent par les hommes que par les
femmes19 (Zarca, 1990). En ce qui concerne le marquage sexué des tâches, hommes comme femmes
seraient plus fréquemment insatisfaits d’effectuer une tâche portant la marque du sexe opposé
(Zarca, 1990). D’une façon générale, 35% des femmes estiment que le partage des tâches ménagères
est injuste pour elles (Lennon, Rosenfielf, 1994, cité par de Singly, 2009 (2007)). Or, le sentiment de
justice repose sur une comparaison intra-sexe plus que sur une comparaison inter-sexe20 et sur l’idée
19
On peut cependant faire l’hypothèse qu’il ne s’agit pas de la même cuisine : par exemple, on pourrait faire l’hypothèse que les femmes se chargent des repas du soir, préparés rapidement après être rentré du travail et qui laisse peu de place à la créativité et à l’élaboration, tandis que les hommes prendraient en charge la cuisine le week-end, comme une activité de loisirs, à laquelle ils pourraient consacrer du temps 20
Par exemple, quand on interroge les femmes sur leur sentiment par rapport à la répartition des tâches, elles parlent d’autres femmes qui subissent un rapport plus inégalitaire qu’elles (Thibaut, Kelley, 1959 ; Letrait, Mougel, 2010)
32
que la distribution est « inégale, mais juste » (de Singly , 2009 (2007)), ce qui peut contribuer à
minimiser la perception de l’inégalité dans la répartition. En effet, les femmes comparent leur
situation à d’autres répartitions inégalitaires et non à la répartition objective. De plus, lorsqu’elles
jugent la répartition, elles prennent en compte des composantes affectives et cognitives21, des
compétences et/ou des exigences plus élevées (Kaufmann, 1997 (1992), 2011 (1997), 2008 (2007) ;
Henchoz, 2009). Les femmes considéreraient alors la répartition juste si elles estiment qu’elles
peuvent se décharger d’une partie des tâches sur leur conjoint ou si elles ont le sentiment que leur
conjoint les soutient (de Singly, 2009 (2007)). A l’inverse, l’inégalité de la répartition peut être perçue
comme insupportable quand le conjoint participe peu alors qu’il est « disponible » ou qu’il dispose de
plus de temps libre qu’elles (Zarca, 1990), qu’il ne contribue pas financièrement au ménage. De
même, lorsque l’inégalité sort de l’intimité conjugale et qu’elle devient visible aux yeux des autres
(par exemple quand il y a des invités et que la femme est contrainte de tout faire) et surtout quand
cette inégalité ne fait pas l’objet de compensation, elle est d’autant moins acceptée (Letrait, Mougel,
2010).
L’hypothèse de la répartition des tâches domestiques comme le résultat d’un rapport de
force semble à première vue disqualifiée dans la mesure où les tâches sont prises par l’un ou l’autre
des conjoints de manière volontaire. En effet, la prise en charge des tâches dépendrait des
compétences, de la volonté d’un conjoint de faire plaisir à l’autre en le déchargeant de certaines
tâches ou parce qu’elles seraient source de pouvoir (par exemple, en termes d’accès aux ressources
monétaires de l’autre conjoint pour celui qui a le salaire le moins élevé) ou de satisfactions. Pourtant,
le sentiment d’injustice ne suffit pas à révéler les rapports de pouvoir dans le couple : le pouvoir
invisible ou latent d’un des conjoints (souvent l’homme), liés aux rôles sexués traditionnels ou aux
ressources permet une « assignation douce » des tâches à l’un des conjoints (souvent la femme).
L’amour et la socialisation genrée (en tant qu’elle modèle les compétences et les goûts) pourraient
alors être perçus comme des facteurs permettant d’occulter la domination et de faire percevoir la
répartition domestique comme le résultat d’une négociation ou d’une spécialisation librement
consentie entre les conjoints. De plus, l’amour rend d’autant plus coûteux la remise en cause de la
répartition, ce qui peut amener les femmes à subir une répartition qui ne les satisfait pas mais
qu’elles n’osent pas contester pour éviter des disputes, voire une séparation. De plus, l’objectivation
par le sociologue de la répartition des tâches pose également problème.
1.3.2 La mesure de l’organisation domestique est également problématique
Tout d’abord, ce qu’on définit comme tâche appartenant à l’organisation domestique est
variable. Les enquêtes statistiques n’incluent généralement que les tâches ménagères et parentales,
parfois la tenue des comptes. Pourtant, on peut également inclure les tâches administratives, comme
l’a fait Yasmine Siblot (Siblot, 2006) et des événements ponctuels mais essentiels à la vie de famille
comme le fait d’aller à la banque ou de remplir la déclaration d’impôt, la prise de décision (par
exemple une décision d’achat ou une décision en rapport avec l’éducation), la prise en charge de la
décoration, la couture, l’organisation de la vie de famille (notamment la vie sociale du couple)
(Glaude, de Singly, 1986). En ce qui concerne les tâches parentales, on pourrait s’intéresser à l’aide
aux devoirs (enquête Emploi du temps 1985-1986), le fait d’acheter des vêtements ou les transports
concernant les enfants (Motte-Baumvol, Belton-Chevalier, Shearmur, 2011). De plus, les enquêtes
21
Par exemple, elles peuvent penser la prise en charge des tâches domestiques comme un « don » qu’elles font à leur conjoint.
33
peinent à définir le statut de la co-présence : l’enquête du Matisse l’inclut dans les tâches parentales,
tandis que l’enquête Emploi du temps de l’INSEE de 1998-1999 donne une définition restrictive au
temps parental en ne comptant que le temps actif passé avec les enfants (Pailhé, Solaz, 2004 ;
Algava, 2002).
De même, la mesure de la répartition pose problème : le sociologue ne peut pas avoir la
certitude que la répartition déclarée est la répartition réelle. En effet, les hommes et les femmes sur-
déclarent leur participation quand on les interroge, d’autant que déclarer une répartition égalitaire
parait plus conforme aux représentations légitimes qui entourent la vie de famille aujourd’hui
(Guisse, Régnier-Loilier, 2010 ; Clair, 2009 (2007))). De même, la participation déclarée par la
méthode du carnet (où les participants des enquêtes déclarent leurs activités pendant une journée
toutes les dix minutes) peut ne pas être représentative d’une journée « typique ». De plus, le fait
qu’il existe deux types de mesure de la répartition (en volume de temps ou en fréquence de la prise
en charge) pose la question du critère le plus pertinent. Enfin, les individus n’ont pas forcément
conscience du temps qu’ils passent ou de la fréquence exacte de leur prise en charge d’une tâche, ce
qui fait que les déclarations qu’ils font aux enquêteurs sont peut-être inexactes. On peut également
souligner que même si le conjoint a la charge d’une tâche, il peut se faire ponctuellement aider par
l’autre : cette tâche serait donc réalisée par les deux conjoints mais leur implication dans cette
activité ne serait pas la même. L’organisation peut être beaucoup plus volatile et fluctuante que ce
que les enquêtes croient le déceler (même si les enquêtes qualitatives tendent à infirmer cette
hypothèse).
Enfin, on peut se demander dans quelle mesure le fait d’évaluer les tâches domestiques en
volume horaire ou en termes de fréquence de sa prise en charge par un des partenaires est
pertinent, puisque comme on l’a déjà évoqué d’une part d’autres acteurs peuvent intervenir dans
cette répartition et d’autre part les tâches domestiques comportent aussi un versant « qualitatif »,
qui pourrait lui aussi être retenu comme indicateur (par exemple, la pénibilité d’une tâche,
l’investissement mental qu’elle nécessite en plus de sa réalisation effective, etc.).
Comme tout objet empirique, les tâches ménagères et parentales posent donc des
problèmes de mesure pour le sociologue, tant parce qu’il est difficile de mesurer de façon exhaustive
toutes les tâches et de prendre en compte toutes leurs dimensions (volume horaire, répartition
exacte entre les conjoints, charge mentale qu’elles impliquent, ambivalence entre orchestration et
exécution, pénibilité, etc.) que parce que les représentations qu’en ont les acteurs ne coïncident pas
nécessairement avec les pratiques (ou qu’ils ne sont pas prêts à les révéler à l’enquêteur du fait de la
légitimité d’une répartition égalitaire dans les représentations). Cependant, ces difficultés ne doivent
pas disqualifier un travail sur la répartition des tâches ménagères, puisque tout objet social excède le
discours que la sociologie peut produire sur lui : il faut donc avoir conscience de ces difficultés et
tenter de trouver des moyens de les dépasser.
La répartition des tâches domestiques peut donc sembler un indicateur pertinent de la
domination dans le couple, dans la mesure où ces tâches sont généralement perçues comme une
charge voire comme une corvée. Le fait qu’un individu puisse y prendre du plaisir ne signifie pas qu’il
n’y a pas de domination, puisqu’on pourrait faire valoir par exemple que la socialisation qui lui a
appris à apprécier la réalisation d’une tâche est une sorte de système invisible d’occultation de la
34
domination. De plus, toutes les tâches ne se valent pas (par exemple, les tâches parentales de loisirs
avec les enfants sont plus valorisées que la prise en charge de la vaisselle par exemple). Ce serait
alors le pouvoir qu’un individu a dans le couple qui lui permettrait de prendre en charge des tâches
qui lui plaisent et de se décharger de celles qui ne lui plaisent pas sur son conjoint. Il faudrait donc
prendre en compte le ressenti des individus par rapport à une tâche mais aussi les mécanismes
(habitude, désir de décharger son conjoint, agacement, négociations …) qui l’ont conduit à la prendre
en charge pour évaluer dans quelle mesure il y a prescription ou au contraire accaparement. De plus,
le rôle de la prise en charge d’une tâche dans la révélation ou le maintien d’une domination est
ambigu. Cependant, affirmer qu’il y a domination dans le couple ne suffit pas : il faut aussi élucider
l’origine du pouvoir d’un conjoint.
35
2. Rapports de force et domination dans le couple
La pensée de la domination au sein du couple est relativement récente puisqu’elle date des
années 1970, sous l’impulsion des mouvements féministes. Cette conceptualisation théorique qui
conçoit l’homme comme imposant une domination à la femme dans l’ensemble du champ social et
en particulier dans le champ domestique et dans le champ du travail a permis l’émergence de
travaux sociologiques s’intéressant à la façon dont le pouvoir est modulé entre les conjoints.
2.1 La pensée théorique de la domination
La vision de la division sexuelle du travail au sein du couple comme une marque de la
domination que les hommes exercent sur les femmes date du courant féministe matérialiste. Ce
courant voit dans cette inégalité un exemple de l’oppression des femmes, voire son fondement (« la
division sexuelle du travail est au cœur du pouvoir que les hommes exercent sur les femmes »
(Kergoat, 1998 : 95)). Ce courant, ainsi que les mouvements féministes traditionnels (formés par des
femmes au foyer et/ou des collaboratrices dans l’entreprise familiale) qui militent pour la
valorisation économique et sociale des biens et des services produits par la femme dans le cadre du
foyer, contribue à faire valoir les tâches domestiques comme un travail, le travail domestique (Laure
Bereni et ali., 2008).
Penser la division sexuelle du travail qui s’appliquerait à l’ensemble de la société suppose de
penser la société en termes de rapports sociaux c’est-à-dire des "tensions" qui traversent la société
(Kergoat, 2001). Ces tensions « produisent et reproduisent, par la médiation des enjeux, les pratiques
sociales lesquelles en retour agissent sur les tensions que sont les rapports sociaux » (Kergoat, 2001)
et « servent à comprendre les pratiques observées » (Kergoat, 2001) : la division sexuelle du travail
est un enjeu des rapports sociaux de sexe. Pour la sociologie, il s’agissait de cesser de penser la
sociologie de la famille qui s’intéressait au comportement "reproductif" des femmes dans l’univers
domestique d’une part et la sociologie du travail qui étudiait les caractéristiques du travail
professionnel (des hommes) d’autre part afin de montrer le caractère transversal (dans l’univers
domestique et public) de la division du travail entre les sexes, ce qui a été permis par le travail de
Danièle Kergoat dans les années 1970 (Hirata, 1993).
Pour certains anthropologues, la division sexuelle du travail est une invention sociale qui
« sépare les sexes pour les obliger à coopérer » afin de les obliger à vivre ensemble et à procréer
(Tahon, 2004). Margaret Mead a contribué à faire valoir que la division sexuée du travail n’était pas
liées à des dispositions « naturelles » et « innées » des femmes et des hommes puisque ce marquage
des tâches comme féminines ou masculines varie d’une société à l’autre (Mead, 1966). Cette division
est donc socialement construite et elle repose sur deux principes organisateurs : le principe de
séparation c’est-à-dire qu’il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes et le principe
hiérarchique c’est-à-dire qu’un travail d’homme « vaut » plus qu’un travail de femme (Kergoat,
2001). Or, les tâches les plus valorisées socialement et les plus prestigieuses sont dévolues aux
hommes, comme les fonctions à « forte valeur sociale ajoutée » (Kergoat, 2001) c’est-à-dire les
fonctions politiques, religieuses et militaires (Héritier, 1996 ; Kergoat, 2001). Or, comme le souligne
Paola Tabet, les femmes sont tenues à l’écart des outils les plus performants et des armes, ce qui
permet de dominer physiquement les femmes (qui sont désarmées) et de les tenir à l’écart des
activités politiques et culturelles du fait du temps qu’elles consacrent à leurs activités de production
matérielles considérées comme peu prestigieuses (temps d’autant plus long qu’elles n’ont pas accès
36
aux outils de pointe) (Tabet, 1998). Plus généralement Maurice Godelier souligne que la division
sexuelle du travail s’inscrit dans un ensemble de procédés imaginaires et symboliques qui
contribuent à magnifier les hommes au détriment des femmes et à donc légitimer la domination des
premiers sur les secondes (Godelier, 1996, 2004 ; cité par Laufer, 2005). Les hommes construiraient
un système social qui les place comme dominants du fait de la capacité des femmes à enfanter, qu’ils
veulent contrôler (Héritier, 1996).
Christine Delphy souligne que l’invisibilité du « travail domestique » n’est pas liée à la nature
des tâches, puisqu’elles ont des équivalents marchands et parce que le travail des femmes reste
gratuit même lorsque leur production est échangée sur le marché comme dans le cas de l’agriculture
et de l’artisanat. Elle n’est pas liée non plus à la personne qui le produit, puisque si ce service était
produit dans un autre ménage que le sien propre, cette personne serait rémunérée. En s’appuyant
sur la comparaison avec la production agricole destinée à l’autoconsommation (qui est comptée
comme une production dans la comptabilité nationale)22, elle en déduit que la raison pour laquelle le
travail ménager n’est pas considéré comme productif est qu’il est effectué gratuitement. En effet,
selon elle, la différence essentielle entre le mode de production capitalistique et le mode de
production domestique est que dans le premier cas, le travailleur est rémunéré, alors que dans le
second cas il est entretenu. Or, cet entretien est non garanti (en termes de quantité et en termes de
durée). En effet, cet entretien est variable selon les ressources et la bonne volonté du mari (puisque
contrairement à la sphère productive, la division des tâches dans le ménage ne dépend pas d’un
contrat23). Les femmes ne peuvent donc pas accroitre leurs ressources en offrant de meilleurs
services (à moins d’offrir leurs services à un homme plus riche, ce qui n’est pas aisé puisque on ne
change pas de mari comme on change d’employeur) (Delphy, 1997). L’approche de Delphy a été un
apport décisif dans la conceptualisation de la domination dans le ménage, mais elle présente deux
limites : d’une part, elle ne s’intéresse qu’aux femmes dites « au foyer » c’est-à-dire qui n’exercent
pas d’activité professionnelle et d’autre part, elle ne lie la domination de l’homme sur la femme
qu’au statut de cette dernière d’épouse, et pas de mère (Tahon, 2004).
Danielle Chabaud-Rychter, Dominique Fougeyrollas-Schwebel et Françoise Sonthonnax
considèrent que le travail domestique doit être considéré comme un ensemble de pratiques qui
fonctionnent comme un système : il place les femmes dans une « relation de service » qui suppose
une disponibilité infinie et permanente de la femme au service de la famille, et qui est gratuite
(Chabaud-Rychter, Fougeyrollas-Schwebel, Sonthonnax, 1985). En effet, l’absence de contrat
implique que les femmes ne disposent ni de congés ni de salaire (Guillaumin, 1992). Le mariage
suppose donc l’appropriation de l’épouse par l’époux : appropriation de son temps, des produits de
son corps (notamment ses enfants) et de son corps lui-même (c’est-à-dire des relations sexuelles
qu’elle peut avoir24). Cette appropriation est invisibilisée dans la mesure où on ne considère que la
forme contractuelle du rapport entre les conjoints (le mariage) mais pas la réalité du rapport social
22
Ann Chadeau et Annie Fouquet ont montré le poids considérable du travail domestique dans l’économie française en appliquant aux activités ménagères les règles d’évaluation du travail marchand (Chadeau, Fouquet, 1981a, 1981b) 23
Cette absence de contrat a également pour conséquence d’impliquer dans la production domestique d’autres femmes que l’épouse du groupe de parenté, comme les mères, les sœurs, les tantes… des deux époux (Guillaumin, 1992). 24
Comme l’illustre le fait que l’absence de relations sexuelles peut être la cause de l’annulation d’un mariage. De même, le fait pour une femme de commettre un adultère peut être cause de divorce (Guillaumin, 1992).
entre ces derniers et notamment « l’appropriation d’une classe de sexe par l’autre » (Guillaumin,
1992 : 36). Cette appropriation est permise par l’arsenal juridique, le droit coutumier et la violence
physique (et la contrainte sexuelle) qui permet à l’homme de contrôler la femme, y compris dans son
accès au travail (notamment lorsque les femmes devaient demander l’autorisation à leur conjoint
pour pouvoir travailler) et de la confiner dans l’espace domestique (Guillaumin, 1992).
L’intervention des hommes dans la famille élargie dépend de leurs compétences (par
exemple, de leur activité professionnelle) (Chabaud-Rychter, Fougeyrollas-Schwebel, Sonthonnax,
1985), ce qui signifie en creux que les pratiques des femmes ne sont pas considérées comme
mobilisant des compétences. Au contraire, la réalisation de ces pratiques nécessiteraient des
dispositions naturelles ; notamment en ce qui concerne les tâches parentales et plus largement les
pratiques de soins, que les femmes seraient plus aptes à prendre en charge du fait de leur « instinct
maternel », de leur sensibilité, de leur altruisme et de leur empathie « naturels » (Guillaumin, 1992).
La domination masculine se manifeste également par la définition d’emplois comme étant
féminins, qui sont restreints à certains secteurs (notamment le secteur des services et des soins à la
personne, par exemple le commerce, la restauration, les entreprises de nettoyage, etc.), à des
horaires discontinues, en temps partiel et sous-qualifiés (Barrère-Maurisson et al., 1984 ; cité par
Tahon, 2004) et un écart structurel de salaires entre hommes et femmes, en défaveur de ces
dernières (Tahon, 2004). Cette spécification repose sur la division sexuelle du travail, d’autant qu’elle
se base sur les qualités définies comme « féminines » comme le « sens pratique » ou la « capacité
d’entrer en relation avec les autres » (Tahon, 2004) : « la qualification masculine, individuelle et
collective, est construite socialement ; les qualités féminines renvoient à l’individu ou au genre
féminin (ou plutôt au genre tel qu’il s’incarne dans chaque individu) » (Kergoat, 2001 : 91). En effet,
« c’est la valeur socialement attribuée à un travail qui fonde en partie la qualification » (Kergoat,
2001, citant Naville, 1956).
La qualification des tâches domestiques comme un travail par le mouvement féministe a
donc permis la conceptualisation de la division sexuelle du travail (Kergoat, 1998) et de faire valoir
que cette division est un construit social. Montrer que d’une part cette répartition ne découle pas
d’un ordre naturel et que d’autre part elle manifeste la domination masculine a permis la remise en
cause de cette division traditionnelle dans les représentations légitimes, mais aussi de s’interroger
sur les pouvoirs et les rapports sociaux qui traversent le couple.
2.2 La question du pouvoir dans le couple
Une réflexion sur la domination au sein du couple est inséparable d’une réflexion sur le
pouvoir25 : qui le détient dans le couple ? quels types de pouvoir peut-on y trouver ? quelles sont ses
sources ?
Jean Kellerhals, Pierre-Yves Troutot et Emmanuel Lazega dans leur ouvrage soulignent le
caractère pluridimensionnel du pouvoir : ils distinguent le pouvoir d’allocation des ressources
(matérielles, de temps ou d’effort), le pouvoir de détermination (c’est-à-dire la fixation du montant
des ressources, par exemple le temps professionnel de chaque conjoint, que les hommes semblent
25
On reprend ici la définition mobilisée par Jean Kellerhals, Pierre-Yves Troutot et Emmanuel Lazega : le pouvoir est « l’aptitude, potentielle ou actuelle, d’un acteur à orienter le comportement d’autrui dans une direction désirée, avec ou sans son consentement » (Kellerhals, Troutot, Lazega, 1984 : 63).
détenir quasiment intégralement), le pouvoir d’orchestration et le pouvoir d’exécution (le premier
concernerait les décisions ponctuelles importantes, qui concerneraient la vie de toute la cellule
familiale mais qui ne demanderaient pas nécessairement d’investissement en temps ou en effort, et
le second serait la mise en œuvre de ces décisions) (Kellerhals, Troutot, Lazega, 1984). Aafke
Komter propose pour sa part une typologie différente, qui s’inspire de celle de Lukes (Lukes, 2005
(1974) ; cité par Henchoz, 2009) et qui porte moins sur les domaines d’application du pouvoir que sur
ses modalités d’exercice. Il distingue le pouvoir manifeste qui est exercé « de manière directe […]
observable dans les négociations, les conflits », le pouvoir latent qui permet d’éviter les
négociations26 et le pouvoir invisible, qui fait que « les inégalités ne sont pas remises en question ,
mais au contraire, justifiées par des rôles et des compétences » (Komter, 1989 ; cité par Henchoz,
2009)27. Dans les deux derniers cas (pouvoirs latent et invisible), l’ordre des choses (et dans le cas qui
nous intéresse, l’organisation du couple) ne fait pas l’objet de négociations.
Ainsi, l’idéologie amoureuse du don et du désintérêt peut être pensée comme un moyen de
dissimuler les inégalités et la domination masculine (de Singly, 2002 ; cité par Henchoz, 2008) ou elle
contribue à reproduire cette dernière (Throne, 1982 ; cité par Henchoz, 2008). En effet, elle peut par
exemple être source de pouvoir invisible pour les hommes (Henchoz, 2009), dans la mesure où elle
invite les femmes à faire preuve de générosité en donnant à leur partenaire du temps libre (en
prenant en charge une part plus importante des tâches ménagères et parentales) mais également du
pouvoir dans la relation (par exemple en leur laissant un plus grand contrôle dans la prise de
décisions familiales ou dans le contrôle des finances (Tichenor, 2008)).
Pour Scanzoni (Scanzoni, 1979), « le pouvoir se définit essentiellement par la détermination
des rapports de productions, plutôt que par la simple allocation des ressources » (Jean Kellerhals,
Pierre-Yves Troutot et Emmanuel Lazega, 1984). Dans cette perspective, ce serait le pouvoir qui
détermine les modalités de la négociation, en produisant la structure des termes de l’échange.
Le pouvoir invisible des hommes se manifeste par exemple dans la capacité de définir les
activités qui leur sont dévolues comme valorisées et inversement pour les activités « féminines ».
Danièle Kergoat évoque par exemple le poste de pontonnier dans une entreprise de métallurgie.
Avant l’automatisation, il était tenu uniquement par des hommes. L’assignation des hommes à ce
poste été justifié par le fait qu’il était fatiguant, à haute responsabilité et nécessitant une attention
constante. Avec l’automatisation, il s’est ouvert aux femmes et est désormais décrit comme « un
travail de femmes » qui laisse beaucoup de temps libre. Ce poste était désormais considéré comme
nécessitant beaucoup moins de qualifications (Kergoat, 2005). De même, le travail des clavistes
(féminin) et celui des correcteurs (masculin) dans le domaine de l’édition étaient rigoureusement
identiques, mais les femmes étaient recrutées comme des employées non qualifiées, travaillaient
dans des conditions moins avantageuses (moins de pauses, terminant à heures fixes, les travailleuses
étaient très encadrées), alors que les hommes avaient des salaires supérieures, des conditions plus
favorables (plus de pauses, rentrant chez eux une fois leur travail terminé, ils n’étaient pas
26
Puisque la personne sur laquelle il s’exerce anticipe les besoins ou les désirs de l’individu le plus puissant et renonce à ses envies ou à ses projets s’il anticipe une réaction négative, les négociations sont évitées. 27
Ces compétences et ces rôles semblent effectivement au cœur de la répartition des tâches domestiques (Kaufmann (1997 (1992), 2008 (2007), 2011 (1997) ; Swinnen, 2007)
39
commandés) et leur travail est plus valorisé dans les discours (Tahon, 2004). On retrouve la même
dichotomie dans les tâches domestiques, comme on a pu le voir dans le cas des tâches
administratives (Siblot, 2006).
Cependant, François de Singly et Michel Glaude soulignent dans leur article qu’on peut faire
l’hypothèse que toutes les activités domestiques sont sources de pouvoir, d’orchestration et/ou
d’exécution (Safilios-Rothschild, 1970, 1976). Ils émettent de plus les hypothèses suivantes : d’une
part, le pouvoir d’orchestration est hiérarchiquement plus important que le pouvoir d’exécution et
d’autre part le cumul des deux ne permet pas forcément de détenir un pouvoir plus grand dans le
couple, dans la mesure où la position de pouvoir la plus forte est celle où un conjoint détient un
pouvoir d’orchestration suffisant pour ne pas juger utile de s’approprier également le pouvoir
d’exécution (Glaude, de Singly, 1986). C’est par exemple ce qui a été observé dans le cas de la prise
en charge des tâches administratives dans les classes populaires, comme on l’a déjà évoqué : lorsque
ce sont les femmes qui s’en chargent, les compétences mobilisées pour remplir « les papiers » sont
souvent occultés ou euphémisées, ces tâches sont perçues comme routinières et elles ne permettent
pas de détenir une forme d’autorité. A l’inverse, quand c’est l’homme qui en est chargé, cette tâche
est valorisée (Siblot, 2006).
On pourrait cependant faire l’hypothèse que l’exercice du pouvoir (manifeste) a un coût (par
exemple, un coût en termes d’affection), lorsque le pouvoir est exercé d’une façon jugée illégitime
par le conjoint, qui inciterait le conjoint qui le détient à en limiter l’usage.
L’existence de ressources normatives (Cromwell, Olson, 1795) souligne donc l’influence du
social (le cadre juridique qui régit les relations conjugales, les normes en matière d’égalité ou de
rôles traditionnels au sein du couple, …), ne serait-ce que parce que le niveau de satisfaction (et
donc, dans une certaine mesure, l’incitation à entrer sur le terrain de la négociation parce qu’on
estime que ses propres intérêts ne sont pas suffisamment pris en compte au sein du couple) est
déterminé en partie en comparaison avec d’autres ménages (Thibaut, Kelley, 1959 ; Letrait, Mougel,
2010).
On peut cependant souligner la faiblesse de cette définition du pouvoir, réduite aux seules
interactions entre les conjoints : les enfants, les parents des conjoints, les autrui significatifs peuvent
également jouer dans les rapports de pouvoir (par exemple, dans une famille recomposée, on peut
supposer que le parent biologique des enfants issus d’une précédente union a plus de pouvoir dans
les décisions éducatives qui les concerne que le beau-parent). Les discours jugés comme légitimes
(par exemple, les ouvrages de psychologie valorisant le rôle du père auprès des enfants) peuvent
également être mobilisés par un conjoint et donner du poids à ses revendications.
Le sociologue semble manquer d’indicateurs de la domination, en grande partie parce qu’elle
est euphémisée par les conjoints par l’idéologie amoureuse du don et du désintérêt (Henchoz, 2008,
2009) et parce qu’elle se déroule au sein de la sphère intime : le sociologue ne pourrait observer que
le résultat des rapports de domination, notamment par la répartition des tâches domestiques.
Cependant, on peut faire l’hypothèse que de nombreux critères contribuent à donner un pouvoir au
40
conjoint au sein du couple : la domination au sein du couple ne serait pas alors une relation
d’opposition entre un dominant ou un dominé, mais une relation pluridimensionnelle, où un conjoint
serait dominant dans un certain domaine (par exemple, le conjoint qui a le salaire le plus élevé est
dominant en ce qui concerne les dépenses du ménage) mais dominé dans un autre (par exemple,
l’éducation des enfants). Le pouvoir qu’un conjoint détient dans le couple pourrait donc être
appréhendé par la mise au jour des interactions et de la prise de décision dans le couple et de la
manière dont les conjoints la justifient, des ressources en termes de revenus et de positionnement
social, de la socialisation et des compétences de chaque conjoint et des représentations qu’ils ont de
la répartition des tâches et des processus de prise de décision.
La pensée de la domination au sein du couple a donc été permise par la conceptualisation
des tâches domestiques comme un travail, effectué dans un cadre particulièrement injuste pour les
femmes : leur rémunération ne dépend pas d’un salaire et de la qualité de leurs services mais du bon
vouloir de leur mari, elles ne bénéficient pas de congés, il suppose d’elles une disponibilité
permanente, il est difficile pour elles de se tourner vers un autre employeur si elles subissent une
situation trop inégalitaire et ce travail n’est pas valorisé socialement (puisque sa réalisation dépend
de compétences « naturelles »). Le rapport homme/femme est d’autant plus injuste qu’il permet à
l’homme l’appropriation du corps de la femme et de ses produits (notamment ses enfants). Le fait
que les femmes aient accès au marché du travail salarié a permis de réduire cette domination, mais
pas totalement : d’une part, les hommes ont cantonné les femmes à certains emplois définis comme
« féminins » (peu valorisés en termes de statut social ou de rémunération) et d’autre part, le poids
de la domination masculine est tel que le pouvoir des hommes ne reposent pas seulement sur leurs
ressources, mais aussi sur la tradition, ce qui fait que même dans les couples où la femme a plus de
ressource que son conjoint, elle n’en profite pas pour « prendre le pouvoir » dans le couple
(Tichenor, 2008). A ce titre, il est donc intéressant d’étudier les pères au foyer : si leur position fait
qu’ils ne peuvent tirer leur pouvoir de leurs ressources (puisqu’ils sont définis comme n’étant pas
dans l’emploi), il est possible que le poids de la domination masculine leur permette de conserver
leur pouvoir dans le couple.
41
3. Devenir père au foyer
Comme on l’a vu en introduction, la représentation spontanée qu’on se fait du père au foyer
est celle d’un homme qui abandonne sa carrière professionnelle pour se consacrer à ses enfants
(donc a priori un homme qui renonce à ses ressources et donc à sa domination). Pourtant, le
matériau empirique montre que cette situation est souvent le résultat d’arbitrages ou
d’opportunités, voire subie (c’est parce que l’homme était au chômage qu’il devient père au foyer).
Dans le cas des pères bénéficiaires de l’APE, ils semblent porteurs de caractéristiques sociales
particulières qui expliquent le choix de ce mode de vie en raison d’un arbitrage qui vient minimiser le
caractère « dominé » de leur situation par rapport à celui de leur conjointe dans la mesure où c’est
une décision de couple. Cependant, le stigmate qui pèse sur eux semble définir socialement leur
position comme dominée, même s’ils tentent de retourner ce stigmate.
3.1 Les caractéristiques socio-économiques des couples dont le père est père au foyer
Selon l’INSEE, 55 347 hommes se déclaraient « hommes au foyer » en 2008 (et 2 198 135
femmes se définissaient comme « femmes au foyer »). Cependant, on sait peu de choses de ces
hommes, si ce n’est que la majorité d’entre eux a plus de 25 ans (environ 96%)28. Du fait de cette
absence de données, on présentera ici les caractéristiques socio-économiques des pères
bénéficiaires de l’APE, tout en ayant conscience qu’ils ne sont peut-être pas représentatifs de la
population des pères au foyer en France.
3.1.1 Les caractéristiques socio-économiques des pères bénéficiaires de l’Allocation
Parentale d’Education (APE) à taux plein
Les hommes qui choisissent de bénéficier de l’APE en moyenne ont 36 ans, ils sont
légèrement plus âgés que leur conjointe et ont 2 ou 3 enfants à charge (Trellu, 2007). Ils optent
majoritairement29 pour une allocation à taux plein (Boyer, 2004). La majorité des hommes ayant
bénéficié de l’APE à taux plein était en emploi l’année précédant l’arrêt de l’activité (seul 1/5 d’entre
eux était au chômage) et en CDI (81% des pères bénéficiaires) (Boyer, Renouard, 2004). Du point de
vue de la composition des pères bénéficiaires par rapport à la population des pères éligibles, les
premiers se distinguent essentiellement par le secteur d’activité ou le type de métier qu’ils
exerçaient avant la prise de l’APE, puisque la majorité d’entre eux était ouvriers ou employés (80%)
et d’une façon général peu qualifiés. Plus spécifiquement, un grand nombre d’entre eux travaillait
dans le secteur du commerce (surtout dans l’hôtellerie) notamment comme vendeurs ou caissiers ou
dans des métiers de la santé comme agents hospitaliers ou aides soignants, de l’éducation ou de
l’action sociale (Boyer, Renouard, 2004 ; Boyer 2004), ce qui induit que la plupart étaient soumis à
des volumes horaires de travail importants et à des horaires atypiques (Boyer, 2004).
La population des pères bénéficiaires de l’APE semble donc très différente de celle des pères
au foyer observée par Laura Merla en Belgique car sur son échantillon (de 21 pères), la majorité
d’entre eux appartenaient aux classes moyennes et supérieures et ils étaient presque tous diplômés
du supérieur (à part deux)30. La majorité d’entre eux avait entre 30 et 39 ans et ils avaient tous deux
ou trois enfants (sauf un père qui n’avait qu’un enfant). Du point de vue de la situation qui entoure
De plus, 80% des hommes bénéficiaires de l’APE qui avaient un emploi avant de souscrire
l’APE sont employés ou ouvriers : pour ces hommes, « le faible montant forfaitaire de l’APE ne remet
pas en cause l’équilibre budgétaire du ménage » (Boyer, 2004). Sonia Renouard et Danielle Boyer
soulignent également que de nombreux pères bénéficiaires de l’APE et leurs conjointes étaient
soumis à des horaires atypiques, ce qui rendait impératif le fait qu’un des conjoints s’arrête de
travailler pour s’occuper des enfants (Renouard, Boyer, 2004).
Les pères au foyer adoptent donc cette situation du fait que, au regard des économies qu’ils
peuvent réaliser du fait de cette situation (en termes de mode de garde, de transport ou de
rénovation du foyer) et de l’investissement professionnel de leur conjointe, le fait de se retirer du
marché du travail était avantageux en termes de ressources conjugales. A ce titre, le fait de devenir
père au foyer peut être perçu comme l’acceptation d’une situation de domination de la conjointe sur
l’homme (parce qu’elle dispose de ressources monétaires et professionnelles supérieures).
3.2.2 La question des valeurs
Ensuite, les pères au foyer mettent en avant des valeurs éducatives où le père doit être
proche de ses enfants, et leur volonté de s’occuper de leurs enfants eux-mêmes et d’établir une
relation privilégiée avec leur(s) enfant(s) (Boyer, Renouard, 2004 ; Merla, 2007a). Ils soulignent
44
également leur volonté de prodiguer une meilleure qualité de vie aux membres de la maison, leur
présence au foyer facilitant par exemple la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale de
leur conjointe (Merla, 2006).
Dans l’enquête de Laura Merla, les pères évoquent le fait qu’à leurs yeux, la présence des
parents est considérée comme un élément important du développement de l’enfant (Merla, 2006).
Andrea Doucet et Laura Merla soulignent également la volonté de ces pères d’être plus proches de
leurs enfants que ne l’était leur propre père et de ne pas reproduire la relation qu’ils ont eu avec lui
(volonté également présente chez les pères bénéficiaires de l’APE (Trellu, 2007)) (ou plus rarement
de reproduire une bonne relation qu’ils ont eu avec un de leur parent, généralement la mère), ou
d’être aussi proche d’eux que leur conjointe, volonté à laquelle peut s’ajouter les attentes de la
conjointe en termes d’implication du père dans le partage des tâches domestiques (Merla, 2006,
Merla, 2007a, 2007b 2010 ; Merla, Doucet, 2007). Certains pères ont souligné également que leur
investissement professionnel leur semblait incompatible avec leurs valeurs (Merla, 2007b).
Ainsi, le fait de devenir père au foyer peut ici être perçu comme une tentative pour un père
en situation de dominé par rapport à sa femme de reconquérir du pouvoir dans le couple en
abandonnant une source de pouvoir insuffisante (un emploi peu valorisé et peu rémunérateur) au
profit du soin aux enfants qui peut être une source de légitimité étant donné les normes actuelles qui
favorisent le bien-être de l’enfant et de pouvoir d’orchestration et d’exécution.
3.2.3 Les raisons liées à la carrière
Enfin, des raisons liées à la carrière sont présentées par ces pères. D’une part, une partie des
pères seraient dans une situation professionnelle peu satisfaisante. Par exemple, dans le cas des
pères interrogés par Laura Merla, ils évoquent un parcours professionnel instable ou peu satisfaisant
(Merla, 2006, 2007a, 2007b, 2010)31. De même, il y a une surreprésentation de chômeurs parmi les
hommes souscrivant à l’APE par rapport aux hommes éligibles à cette allocation, tout comme chez
les mères de deux enfants qui choisissant de souscrire à cette allocation (Boyer, Renouard, 2004).
Certains pères évoquent également leur volonté de se reconvertir professionnellement (Boyer,
2004 ; Boyer, Renouard, 2004 ; Doucet, 2004) ou d’approfondir certaines compétences qu’ils
pourront valoriser plus tard sur le marché du travail (par exemple, des compétences relationnelle
dans le cas d’un père qui fait des massages thérapeutiques) (Merla, 2006). A l’inverse, certains pères
au foyer se seraient retiré du marché du travail parce qu’ils avaient le sentiment d’avoir atteint le
sommet de leur carrière (Merla, 2006, 2007a, 2007b, 2010).
Par ailleurs, dans le cas des pères bénéficiaires de l’APE, le fait de devenir père au foyer ne
signifie pas forcément se couper du monde du travail : « 86,4 % d’entre eux associent à la prestation
une ouverture des droits à un congé parental d’éducation […] S’arrêter de travailler est moins risqué
pour eux parce qu’ils associent à L’APE un dispositif leur garantissant un retour à l’emploi » (Boyer,
Renouard, 2004). De plus, ces emplois occupés par les hommes bénéficiaires sont généralement
considérés comme « typiquement féminins » (caissiers, vendeurs, aides soignants), ce qui amène ces
hommes à évoluer dans un environnement professionnel fortement féminisé. Leurs employeurs et
leurs collègues sont donc susceptibles donc à être sensible aux compromis à adopter en matière de
31
A l’inverse, dans les enquêtes sur les pères bénéficiaires de l’APE, ce facteur est considéré comme le moins déterminant (Boyer, Renouard, 2004).
45
conciliation de vie familiale et vie professionnelle ou à rendre plus acceptable aux yeux des
employeurs le fait de se retirer de l’emploi pour s’occuper de ses enfants (Boyer, 2004).
Devenir père au foyer peut alors être un moyen d’échapper à une position de dominé sur le
marché du travail (et ce d’autant que de nombreux pères bénéficiaires de l’APE travaillaient dans des
emplois féminins, qui sont généralement peu valorisés) soit pour préparer un retour sur le marché du
travail dans une position plus valorisée (reconversion professionnelle) soit de cumuler des bénéfices
symboliques auprès de la conjointe en lui donnant du temps libre (par la prise en charge temporaire
des enfants) et en prévoyant un retour rapide sur le marché du travail (ce qui permet de conserver
ses ressources).
3.2.4 Le rôle de la conjointe
La conjointe a un rôle à jouer dans le fait que le père reste au foyer, apparemment moins
comme prescriptrice de comportement (bien que certaines puissent exercer une pression pour que
l’homme reste au foyer (Merla, 2006, 2007a, 2007b ; Doucet, Merla, 2007)) que comme condition de
possibilité du fait de rester au foyer : c’est parce que la femme exerce une profession, souvent mieux
rémunérée que celle de l’homme, et qu’elle désire s’y investir que le père peut se permettre de
rester au foyer. D’après les recherches menées par Danielle Boyer et Sonia Renouard, le fait que la
conjointe ne souhaite pas interrompre son activité professionnelle voire soit qu’elle soit dans une
carrière ascendante (Trellu, 2007) serait une des principales raisons avancées par les pères pour
justifier leur choix de souscrire à l’APE (Boyer, Renouard, 2004).
Les conjointes des pères bénéficiaires de l’APE semblent donc dominantes dans le couple (du
fait qu’elles ont des ressources supérieures) mais elles n’usent pas de ces ressources pour prendre le
pouvoir dans le couple (puisque la souscription à l’APE est négociée entre conjoints). Toutefois, si les
conjoints ont des comptes bancaires séparés, on peut supposer que cette situation va donner du
pouvoir à la conjointe puisque le père sera relativement dépendant d’elle pour accéder aux
ressources. Cependant, le caractère négocié de la souscription à l’APE et la mise en place d’arbitrages
entre les conjoints semble dénoter une bonne entente entre les conjoints et donc laisse supposer
une mise en commun partielle ou totale des ressources.
3.3 Le regard des autres et la question de l’identité masculine
Les pères au foyer expriment leur difficulté à se construire une identité et à affronter le
regard des autres. Ils mettent alors en place des « stratégies » d’une part dans le discours par des
justifications et des arguments pour valoriser leur choix et d’autre part pour se reconstruire une
identité masculine.
3.3.1 L’absence de reconnaissance et la stigmatisation
Les pères au foyer souffrent des réactions négatives de leur entourage amical et familial, de
leur milieu professionnel et des institutions (Trellu, 2007), qui remettent notamment en cause leur
légitimité à s’occuper des enfants (sous forme de boutades, d’ironie) ou qui expriment du
scepticisme quant à la durée de leur engagement au foyer (Merla, 2006). Laura Merla souligne que la
situation de père au foyer est perçue comme illégitime car elle est doublement transgressive. Tout
d’abord, le soin aux enfants est pensé comme une prérogative féminine : des individus rencontrés
demandent « pourquoi ce n’est pas votre femme qui a pris le congé ? », la famille des conjoints ne
46
trouve pas logique que ce ne soit pas la femme qui s’arrête et leur reproche de réaliser des tâches
marquées comme traditionnellement féminines (Trellu, 2007), et des professionnels de l’enfance
doutent des compétences d’un homme à réaliser des tâches parentales ou s’adressent en priorité à
la mère, voire qui s’inquiètent de son absence (Merla, 2006). Ensuite, l’homme est censé être le
principal pourvoyeur de revenus du ménage et le travail professionnel est pensé être une
caractéristique essentielle de l’identité masculine : la situation est perçue comme anormale voire
comme un gaspillage (par les parents qui ont investi dans l’éducation de leur fils), on soupçonne
même l’homme de « vivre aux crochets de sa femme » (Merla, 2006) et d’être « fainéant » (Trellu,
2007), « paresseux », de « se la couler douce » par rapport aux hommes qui travaillent (à moins que
au contraire la conjointe ne soit perçue comme une femme « castratrice » qui impose à son conjoint
de rester au foyer) (Merla, 2006). Enfin, leur travail au foyer ne serait pas reconnu par leur
entourage. Par exemple, leurs victoires sportives sont relativisées dans les propos des autres joueurs
par le fait qu’eux sont fatigués et que le père au foyer a toute la journée pour s’entrainer. De même,
certains membres de leur entourage considèrent les pères au foyer comme disponibles en
permanence. Même par leurs conjointes, qui ont généralement été un moteur dans le choix de
devenir père au foyer, ne valorisent pas suffisamment le travail accompli au foyer aux yeux des pères
au foyer (Merla, 2006).
Ce sentiment de manque de légitimité est renforcé par l’absence de reconnaissance
institutionnelle, en lien avec une absence de reconnaissance de la paternité au foyer dans les
représentations. Les pères au foyer sont « classés » dans diverses catégories, comme chômage,
travail indépendant, inactivité, bénéficiaire de l’APE dans le cas français, pause-carrière ou crédit-
temps dans le cas belge (Merla, 2006). Ils soulignent d’ailleurs leur difficulté parfois à remplir des
papiers administratifs du fait que l’institution ne reconnait pas le statut de « père au foyer » ou
« d’homme au foyer » (alors même que la case « mère au foyer » existe parfois) (Merla, 2006 ; Trellu,
2007). L’absence de statut clairement défini fait qu’ils ne connaissent pas toujours leurs droits (en
termes d’allocation ou de sécurité sociale) (Merla, 2006).
De même, le fait que dans les lieux publics destinés aux enfants pendant la journée (le centre
commercial, les clubs de loisirs qui organisent des services de garde d’enfants (Smith, 1998), les
plaines de jeux et les parcs, les entrées et sorties d’école (Merla, 2006)) sont occupés quasiment
exclusivement par des femmes, ce qui renforce ce sentiment de manque de légitimité ressenti par les
pères au foyer. Cette exclusion des pères des lieux publics adressés aux enfants est particulièrement
visible dans le cas de la table à langer, souvent située uniquement dans les toilettes des femmes. La
présence d’un homme dans ces espaces en journée, seul ou avec ses enfants, étonne voire suscite la
méfiance (Merla, 2006). De nombreux pères expriment leur sentiment de « ne pas être à leur place »
(Trellu, 2007).
Cette stigmatisation exclut alors doublement les hommes des réseaux de sociabilité,
puisqu’ils ne sont pas admis (ou avec appréhension) dans les réseaux de mères au foyer. De plus, ils
peinent à s’intégrer dans les réseaux masculin (organisés autour d’une pratique sportive ou d’un
hobby) du fait de leur transgression de la norme « un homme doit travailler ». Par exemple, les pères
au foyer disent qu’ils ont parfois du mal à discuter avec les autres hommes, parce que leurs
conversations sont souvent centrées sur leur activité professionnelle (Merla, 2006).
47
Les pères au foyer souffrent donc du poids du regard des autres, puisque leur situation est
encore très marginale (donc peu entrée dans les mentalités et qu’ils connaissent peu de pairs dans
une situation semblable) et ce d’autant plus qu’ils vont à contre-courant par rapport aux normes de
genre. Ils ne peuvent donc se prévaloir de ressources en termes de légitimité.
3.3.2 La fierté ou la reconstruction d’une image positive de soi
Les réactions ne sont pas unanimement négatives. Les femmes voient généralement la
situation de père au foyer sous un jour positif, parce qu’elles aimeraient que leur propre conjoint
s’implique davantage dans l’éducation des enfants (Trellu, 2007). De même, l’entourage valorise
dans certains cas le nouvel équilibre sexué mis en place par cette situation, et la relation entre le
père et ses enfants (Trellu, 2007). Laura Merla souligne que les pères rapportent également des
réactions positives, comme de l’admiration (voire d’envie) face à leurs compétences éducatives ou
leur capacité à s’organiser, du soutien d’un cercle amical de pères impliqués dans l’éducation de leur
enfant voire pères au foyer eux-mêmes. Les mères qui viennent chercher leurs enfants à la sortie de
l’école sont généralement enthousiastes vis-à-vis de cette situation. Certains professionnels de
l’enfance ou des personnes extérieures au cercle familial et amical qui valorisent leur investissement
auprès de leurs enfants réagissent également de façon positive (Merla, 2006). Cependant, cette
acceptation peut être en partie liée à la capacité du père à faire valoir ses « compétences », à réussir
une série de « tests » (comme la préparation de pâtisseries à l’école) (Smith, 1998, cité par Merla,
2007b).
Andrea Doucet souligne que les pères parviennent à se re-créer des réseaux de sociabilité en
s’investissant dans des activités en lien avec l’école (comme du volontariat dans la salle de classe ou
lors de voyages scolaires, ou en s’investissant dans les conseils scolaires) ou en s’impliquant dans des
pratiques sportives comme le coaching de l’équipe sportive d’un enfant ou plus largement en lien
avec la communauté (Doucet, 2004, Merla, 2006). Leur implication dans des activités
communautaires serait alors un moyen pour ces pères de faire valoir que leur identité ne se résume
pas à celle d’un homme au foyer mais qu’ils ont également une action positive sur la société.
Enfin, les pères au foyer mettent en place des stratégies pour atténuer les critiques dont ils
font l’objet et pour produire un discours positif sur eux. Ainsi, certains évitent de parler de leur
situation et lorsqu’ils y sont contraints, ils emploient des formulations vagues comme « je suis mon
propre patron » (Trellu, 2007) ou « je suis en années sabbatique » (Merla, 2010). D’autres valorisent
la persistance de leur lien avec le monde du travail de façon directe, en évoquant le fait qu’ils
effectuent des missions ponctuelles rémunérées ou des activités de loisirs qui peuvent faire l’objet
d’une rémunération comme la réparation de voitures anciennes, ou que leur situation de père au
foyer leur permet de développer des compétences qu’ils pensent pouvoir valoriser sur le marché du
travail. Cette persistance peut être indirecte par une reprise d’études. Certains au contraire
présentent le travail domestique comme un vrai travail (Doucet, 2004 ; Merla, 2006 ; Trellu, 2007) ou
soulignent le fait qu’ils prennent soin des leurs en rénovant le foyer (Doucet, 2004 ; Merla, Doucet,
2007 ; Trellu, 2007). D’autres valorisent la singularité de leur situation, qui s’inscrirait dans la
continuité de la singularité de leur parcours de vie (nombreux voyages par exemple) ou les avantages
que procurent leur situation à leur conjointe et à leurs enfants et la relation qu’ils ont développée
avec cs derniers (Merla, 2006). Hélène Trellu souligne également que les pères bénéficiaires de l’APE
se disent fiers de leur choix hors norme (Trellu, 2007).
48
Les pères au foyer parviennent donc à renverser le stigmate qui pèse sur eux en faisant valoir
les compétences qu’ils ont acquises en tant que pères au foyer, en s’impliquant dans la communauté
ou en se présentant sous un jour « héroïque » du fait qu’ils transgressent les normes de genre en
prenant soin de leurs enfants et de leur conjointe. Ils peuvent également faire valoir le prestige
symbolique qu’ils ont aux yeux de certaines personnes de leur entourage.
La situation de père au foyer semble donc souvent liée à une situation de domination de
l’homme par la femme du fait d’une situation d’emploi peu valorisée voire du fait qu’ils sont au
chômage32, position de dominé renforcée par le stigmate qui pèse sur eux. Pourtant, le fait de
devenir père au foyer peut également être un moyen de gagner du pouvoir dans le couple du fait du
« don » que le père fait à sa conjointe et de valeurs qui légitiment la présence des parents auprès de
leurs enfants.
32
Le fait de se définir comme père au foyer serait donc un moyen d’éviter le stigmate qui pèse sur les chômeurs.
49
4. Devenir père au foyer ne suffit pas à inverser les rôles dans l’organisation domestique
Les femmes au foyer prennent en charge les courses, l’entretien de la maison, l’éducation et
les soins aux enfants et la conduite des enfants à l’école (Méda, 2000, citée par Dieu et al., 2011) : la
division sexuelle du travail traditionnelle semble très prégnante dans les couples où la femme est
inactive. Qu’en est-il pour les pères au foyer : le fait d’être au foyer a-t-il pour effet que les pères
assument un rôle de « principal donneur de soins » jusqu’au bout (c’est-à-dire jusqu’à prendre en
charge la quasi-totalité des tâches domestiques) ?
Danielle Boyer et Sonia Renouard font état d’une répartition très égalitaire des tâches
qu’elles soient domestiques ou parentales dans le cas des pères bénéficiaires de l’APE (Boyer,
Renouard, 2004 ; Boyer, 2004), ce qui corrobore les observations d’Elisabeth Algava33. Cependant,
comme l’avait constaté Bernard Zarca, les rôles ne s’inversent pas lorsque l’homme est inactif et que
la femme est active : cette situation augmente de 83,5% la probabilité qu’une tâche masculine (le
jardinage, le bricolage, le lavage de la voiture) soit prise en charge par l’homme, de 37,4% celle
qu’une tâche négociable (la cuisine, le ménage, la vaisselle, les courses) soit prise en charge par lui,
mais elle n’augmente que de 7,6% la probabilité qu’une tâche féminine (c’est-à-dire les activités en
lien avec le linge) soit prise en charge par l’homme (Zarca, 1990). Les enquêtes sur les hommes
bénéficiaires de l’APE semblent corroborer les résultats de ces deux enquêtes.
4.1 Un monopole ou un partage des tâches parentales
70% des interrogés dans le cadre de l’enquête de Sonia Renouard et Danielle Boyer sur les
pères bénéficiaires de l’APE déclarent effectuer à deux les tâches parentales. Les tâches en rapport
avec les enfants comme jouer, les nourrir, changer leurs couches ou les habiller, ou les emmener
dans les lieux d’accueil semblent effectuées indifféremment par les deux membres du couple (Boyer,
Renouard, 2004 ; Boyer, 2004). De plus, quand elles ne sont pas partagées équitablement, les tâches
parentales semblent le plus souvent effectuées par les pères34. A l’inverse, le fait de donner le bain
aux enfants ou s’en occuper quand ils pleurent la nuit ne fait pas l’objet d’une assignation au père
quand ces tâches ne sont pas partagées35. C’est peut-être lié au fait que ces tâches peuvent être
effectuées après la journée de travail de la mère (elle profiterait ainsi de sa présence au foyer pour
assurer elle-même quelques tâches parentales), ou qu’elles sont traditionnellement prises en
charges par la mère (Boyer, 2004). En effet, les hommes de l’enquête semblent moins s’investir dans
les tâches parentales proches du « maternage » que dans les tâches parentales plus
« organisationnelles », ce qui les rapproche des pères en activité (Boyer, Renouard, 2004 ; Boyer,
2004). De même, Hélène Trellu souligne que si ces pères prennent en charge plus de tâches
parentales que dans les couples où le père est en activité, elle parle de « paternité conditionnelle »
(Modak, Palazzo, 2002), dans la mesure où les pères sélectionneraient les tâches auxquelles ils
participent (Trellu, 2007).
33
Les couples où l’homme est inactif et où la femme est active auraient une répartition plus égalitaire des tâches que dans les autres couples (Algava, 2002) 34
Notamment les tâches comme nourrir les enfants, changer leurs couches ou les habiller, ou les emmener dans les lieux d’accueil, qui ne sont prises en charge par la mère exclusivement que dans un faible nombre des couples interrogés (Boyer, 2004). 35
Dans les couples interrogés, lorsqu’elles sont prises en charge par un membre du couple exclusivement, il y a presque autant de couples où il s’agit de la mère que de couples où il s’agit du père.
50
Laura Merla fait le même constat d’un partage des tâches parentales, qui prend la forme
d’un monopole par les pères dans la journée : à part dans trois couples, le soin des enfants36 est du
ressort principal des pères au foyer de son échantillon. La répartition des tâches parentales se fait
soit dans le sens d’une alternance (le soir, la mère prend en charge la totalité des soins, ce qui est lié
soit à une volonté de la part de la mère de laisser au père un temps de repos, soit une volonté de la
part du père que la mère puisse avoir un moment exclusif avec les enfants) soit dans le sens d’un
partage (lorsque les deux parents sont présents, ils prennent en charge les tâches parentales de
façon indifférenciée) (Merla, 2006).
La situation de père au foyer ne se traduit pas par une inversion des rôles parentaux, ce qui
peut s’expliquer soit par le fait que les pères au foyer refusent d’endosser totalement une situation
« féminine » soit par le fait que la mère n’est pas prête à abandonner totalement le rôle qui lui est
traditionnellement attribué.
4.2 Le refus d’endosser la totalité des tâches ménagères (à la différence des mères au foyer) :
les tâches ménagères comme moyen de négocier son identité
Si les hommes bénéficiaires de l’APE semblent effectuer plus de tâches domestiques que la
plupart des pères (puisqu’ils se chargent essentiellement de préparer les repas, faire les courses, le
ménage et la vaisselle) (Boyer, Renouard, 2004 ; Boyer, 2004), leurs conjointes se chargent des
tâches les plus marquées comme « féminines » (le lavage et le repassage (Boyer, Renouard, 2004 ;
Trellu, 2007)). De même, Hélène Trellu souligne que si les hommes au foyer participent
incontestablement aux tâches, ils n’ont pas l’impression de s’y investir davantage que leurs
conjointes et ils cherchent une répartition équitable (en d’autres termes, ils n’acceptent pas
forcément de prendre en charge plus de tâches domestiques sous prétexte qu’ils sont au foyer)
(Trellu, 2007).
Laura Merla fait un constat plus nuancé de la participation des pères aux tâches domestiques,
dont elle dresse une typologie : il y aurait les « exécuteurs et superviseurs exclusifs » c’est-à-dire des
pères qui « tiennent à ce que leur partenaire n’ait plus rien à faire le soir venu » (Merla, 2006 : 111)
(mais ils ne prendraient pas en charge le repassage) ; les « exécuteurs sous supervision » (qui
exécutent tout ou une partie des tâches sous la direction de leur épouse) ; les « co-exécuteurs et co-
responsables », où « certaines tâches demeurent du ressort exclusif ou principal de l’un des
partenaires et d’autres qui sont indifféremment exécutées » (Merla, 2006 : 116) et les « aidants
ponctuels, sans responsabilité » qui « réparent les petits dégâts ménagers provoqués par les enfants
(ils nettoient la table, ramassent les miettes tombées sur le sol) » (Merla, 2006 : 121) mais toutes les
autres tâches domestiques sont du ressort exclusif de leur conjointe (Merla, 2006). Cependant, le
faible échantillon sur lequel elle a travaillé et le fait que la mesure de la répartition des tâches
domestiques est basée sur la déclaration des seuls pères empêchent une généralisation de cette
typologie. Elle semble néanmoins montrer que dans la majorité des cas (19 sur 21, puisque seuls
deux pères entrent dans la dernière catégorie), les tâches domestiques font l’objet d’une répartition
relativement égalitaire voire inégalitaire en défaveur du père.
36
« les nourrir, les changer, leur donner le bain, les habiller, préparer leurs affaires, les conduire à l’école, assurer le suivi de leur travail scolaire » (Merla, 2006 : 125)
51
Les pères au foyer refusent de prendre en charge l’intégralité des tâches ménagères, au même
titre que l’intégralité des tâches parentales, contrairement à la situation de mère au foyer qui se
caractérise par un rapport très inégalitaire dans la répartition des tâches domestiques. Ce refus d’en
faire plus pourrait être perçu comme le fait que ces pères se sentent dominés dans le couple parce
qu’ils ne sont plus apporteurs de ressources. Ils refuseraient donc d’adopter dans leurs pratiques une
position de dominé en étant le seul conjoint en charge des tâches domestiques. Cependant, cette
asymétrie peut également être perçue comme une résistance des conjointes à « céder leur place » :
en effet, Hélène Trellu souligne que les conjointes des pères bénéficiaires de l’APE restent très
engagées dans la vie familiale, du point de vue logistique, par exemple par la gestion des emplois du
temps ou des menus (Trellu, 2007 ; Boyer, 2004).
4.3 Les mécanismes de résistance de l’assignation à résidence : démontrer sa conformité à
d’autres normes de la masculinité ou valoriser d’autres normes
Hélène Trellu souligne la tension qui parcourt les conjoints d’un couple où l’homme est au
foyer : d’un côté, ils désirent dépasser les rôles traditionnels de sexe mais d’un autre, ils ne désirent
pas s’en écarter trop. Un de ses enquêtés souligne par exemple qu’il ne « prend pas le rôle de [s]a
femme [mais que c’est] moitié, moitié » (Trellu, 2007).
L’implication des pères au foyer dans des activités de bricolage, de jardinage et des travaux en
lien direct avec le logement (évoquée précédemment) est un moyen pour les pères de montrer une
forme de conformité aux représentations de la masculinité (Merla, 2006, 2007a, 2007b ; Doucet,
2004 ; Doucet, Merla, 2007) mais aussi de se distinguer des mères au foyer (Trellu, 2007).
L’implication dans des activités extra-domestiques (comme le coaching d’une équipe sportive
d’enfants) voire dans des activités (semi-)professionnelles (comme la réparation de voitures
anciennes) peut également être un moyen pour ces pères de reconquérir une identité masculine,
d’une part par la prise en charge d’activités étiquetées comme masculines (en lien avec une pratique
sportive ou de bricolage) et d’autre part parce qu’elles peuvent revêtir un caractère professionnel
(dans la mesure où la masculinité serait indissociable d’une activité professionnelle) (Doucet, 2004 :
Doucet, Merla, 2007, Merla, 2006, 2007a, 2007b).
De plus, le refus d’effectuer les tâches ménagères les plus marquées comme féminines (en
rapport avec le linge) et les tâches parentales les plus « maternantes » (donner le bain) (Boyer, 2004 ;
Boyer, Renouard, 2004 ; Trellu, 2007) peuvent également être comprises comme un refus de
s’assimiler à une femme.
Les pères au foyer mettent donc en place des stratégies pour ne pas être assignés à une
position de dominé dans le couple, en valorisant la persistance de leur lien avec le marché du travail,
en cherchant à réaliser des tâches socialement valorisées (refus des tâches les plus « maternantes »),
notamment du point de vue de la masculinité (rénovation du logement) mais également pour
renverser le stigmate qui pèse sur eux.
4.4 L’appréhension de soi en tant qu’individu genré
Les pères développent plusieurs discours pour justifier que bien qu’ils soient toujours au
foyer, ils n’en restent pas moins des hommes, soit qu’ils valorisent le fait qu’ils apportent à leurs
52
enfants une éducation différente de celle d’une femme, soit qu’ils considèrent que le partage
traditionnel des rôles est dépassé.
Ils peuvent considérer leur investissement comme une forme « alternative » de masculinité
par rapport au modèle dominant, en soulignant que la « fibre maternelle » est quelque chose qui
s’acquière en s’impliquant dans le soin des enfants. L’un des interrogés de Laura Merla souligne que
dans certaines sociétés animales, le mâle peut être amené à s’occuper des petits lorsque la mère ne
peut pas le faire ou s’en occuper autant que la femelle. Sa propre implication parentale est donc
« naturelle » car présente dans la « nature ». Certains considèrent à l’inverse que les mères sont plus
compétentes « naturellement » que les pères pour s’occuper des enfants, mais que cela ne signifie
pas que les pères sont inaptes à pratiquer cette activité (Merla, 2006, 2010). Au contraire, d’autres
peuvent souligner que le soin des enfants est un ensemble de gestes techniques, qui s’apprennent et
qui peuvent donc être pratiqués aussi bien par la mère que par le père (Merla, 2006, 2010). La prise
en charge de tâches « maternantes » est donc relativisée dans le discours de certains pères au foyer :
elle est soit appréhendée comme quelque chose de féminin (mais cela n’empêche pas les hommes
de pouvoir les prendre en charge de façon ponctuelle) soit comme quelque chose qui ne va pas à
l’encontre de la masculinité puisqu’elle est naturelle ou à l’inverse qu’il s’agit d’une compétence
acquise et non innée37.
Certains affirment que « les normes ont changé », en soulignant le caractère historique de la
construction des rôles, et que désormais, le père et la mère doivent assumer ensemble l’apport des
ressources et la bonne tenue du foyer, y compris en ce qui concerne le soin des enfants ou que
l’important, c’est de vivre en conformité avec ses propres valeurs (Merla, 2006, 2010). Leur
transgression des rôles de genre est donc minimisée dans la mesure où aujourd’hui ces rôles
n’existeraient plus.
Ils peuvent également souligner qu’ils ont beau réaliser des tâches « maternantes », ils
restent des pères pour leurs enfants. Ainsi, ils soulignent ce qu’ils considèrent comme la spécificité
de l’éducation masculine : en représentant l’autorité dans la famille, en socialisant les garçons à la
masculinité et en apprenant aux enfants des prérogatives masculines comme les activités sportives
ou la conduite, ou en leur apprenant à prendre des risques. Ces pères rempliraient les mêmes
fonctions qu’une mère mais d’une manière différente, masculine (Doucet, 2004 ; Merla, 2006).
Certains pères évoquent même le fait que le fait d’être père au foyer est un moyen
d’exprimer leur « polarité féminine », ce qui n’empêche pas leur « polarité masculine » de se
manifester par la conformité à d’autres normes masculines (un lien avec le travail professionnel ou
les activités de loisirs, la rénovation de la maison, en étant une incarnation de l’autorité aux yeux des
enfants) (Doucet, 2004 ; Merla, 2006, 2010). Un des pères interrogés par Laura Merla se définit
même comme un individu « féminin », qui ne parvient pas à s’identifier à ses pairs. Un autre rejette
l’appartenance de genre comme un élément structurant de l’identité38 (Merla, 2006, 2010).
37
On pourrait alors faire l’hypothèse que les pères qui parlent des tâches parentales comme devant passer par un apprentissage de normes techniques valoriseraient en quelque sorte leur capacité d’apprentissage et d’adaptation 38
Il exprime néanmoins un besoin de maintenir un contact avec des hommes, indice du fait qu’il tente de maintenir une identité « masculine »
53
Les pères au foyer semblent donc tenter de maintenir leur identité genrée, soit en relativisant
l’importance des rôles de genre et le poids des compétences « naturelles » prêtées aux femmes en
ce qui concerne les enfants ; soit en soulignant la persistance de leur identité masculine, par la
réalisation de tâches masculines ou parce qu’ils offrent à leurs enfants une éducation différente de
celle donnée par une femme.
Ainsi, si les pères au foyer se distinguent des autres pères dans la mesure où ils prennent
davantage en charge de tâches domestiques et parentales que dans les couples où l’homme est actif
professionnellement, ces couples restent marqués par la persistance des rôles de genre. Cela se
manifeste d’une part par le fait que ces pères opèrent une « paternité conditionnelle » (Modak,
Palazzo, 2002) (puisqu’ils investissent peu les tâches de linge et les tâches proches du « maternage »
comme le bain) et qui valorisent leur implication dans des travaux de force (donc en conformité avec
des valeurs masculines) (Boyer, 2004 ; Boyer, Renouard, 2007 ; Trellu, 2007). Ils soulignent
également le caractère masculin de l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants, par la valorisation de
la pratique sportive et de la prise de risque, voire par une socialisation masculine des garçons
(Doucet, 2004 ; Doucet, Merla, 2007). D’autre part les mères peinent à « céder leur place »,
contrairement aux pères investis professionnellement qui ont tendance à se désinvestir du foyer
(Boyer, 2004 ; Trellu, 2007). Sonia Renouard et Danielle Boyer constatent cependant une répartition
égalitaire des tâches ménagères et parentales, et ce quelque soit la situation précédente du père au
foyer du point de vue de l’emploi, la catégorie sociale, le nombre d’enfants et la disposition des
conjoints à s’occuper des enfants. Ainsi, même les pères bénéficiaires de l’APE qui étaient au
chômage39 ont des pratiques égalitaires. « La situation « d’homme au foyer » semble [donc]
déboucher sur des pratiques égalitaires de répartition des tâches au sein des couples » (Boyer,
Renouard, 2004 : 31). Il n’y a donc pas inversion des rôles, mais partage plus égalitaire. Cette
réparition montre la persistance de la domination de l’homme dans le couple : bien que la conjointe
bénéficie de la majorité des ressources, elle n’impose pas une répartition des tâches inégalitaires en
leur faveur mais obtient simplement un partage relativement égalitaire40, soit qu’elle ne puisse pas
renverser le rapport de force au sein du couple, soit qu’elle ne le désire pas (grâce à la possession par
l’homme de pouvoirs latents ou invisibles ?).
39
Donc les pères qui se trouvent dans la situation « d’homme au foyer » « parce qu’il[s y ont] certainement trouvé un intérêt financier immédiat à échanger une indemnité de chômage contre l’APE [et donc] a priori pas impliqué dans une démarche particulière d’investissement auprès de son (ses) enfants ou d’égalitarisme au sein du couple » (Boyer, Renouard, 2004 : 31) 40
A ce titre, les couples où le père est au foyer se rapprochent des couples où la femme gagne plus que son conjoint
54
Conclusion
Malgré les évolutions historiques qui ont conduit à remettre en cause la domination des
hommes sur les femmes au sein de la société et plus particulièrement au sein du couple, les
pratiques ont peu changés en ce qui concerne la division sexuelle du travail. En effet, en dépit de
l’accès massif des femmes au travail salarié, elles restent les principales exécutrices des tâches
domestiques et parentales, ce qui est en partie lié au fait que les femmes ont des salaires inférieurs
et des activités professionnelles généralement moins prestigieuses que les hommes. Ainsi, qu’on s’en
réfère à la théorie des ressources (Blood, Wolfe, 1960), ou qu’on considère que la répartition des
tâches domestiques soit la conséquence des traditions ou de spécialisation entre les conjoints, les
hommes semblent bénéficier de pouvoirs latent et invisible (par exemple par le biais de l’idéologie
amoureuse (Belleau, Henchoz, 2008 ; Henchoz, 2009)). Ces pouvoirs permettent aux hommes
d’imposer un partage inégalitaire des tâches aux femmes sans qu’il soit vécu comme l’exercice d’une
domination, et ce malgré que ce partage assigne généralement aux femmes les tâches jugées les plus
pénibles ou les moins valorisées (considérées comme des corvées) et réserve les tâches plus
prestigieuses aux hommes. La possession par les hommes de ces pouvoirs explique par exemple la
faible place des négociations dans le couple, alors qu’elles pourraient permettre aux femmes de
mettre en avant leurs propres ressources (par exemple, en termes de salaire) pour négocier
l’organisation domestique entre conjoints.
Ces pouvoirs expliquent également que les rapports de force ne soient pas inversés dans les
couples où la femme gagne plus que son conjoint (Tichenor, 2008) ou dans les couples où l’homme
est au foyer. En effet, bien que les couples où l’homme est au foyer semblent souvent se caractériser
par une situation de domination initiale de la femme sur l’homme41, il n’y a pas de renversement des
rôles traditionnels du point de vue de l’organisation domestique dans ces couples. En effet,
contrairement à la plupart des mères au foyer qui estiment que puisqu’elles sont au foyer, elles
doivent prendre en charge la majorité des tâches ménagères et parentales (Dieu et al., 2011) ; les
pères au foyer semblent plutôt se caractériser par une « paternité conditionnelle » (Modak, Palazzo,
2002). La domination masculine semble donc se manifester par la capacité des pères au foyer à
imposer une organisation domestique où ils se déchargent de certaines tâches. Cependant, les
discours que ces pères tiennent sur leur identité genrée ou la mise en valeur dans leur discours de
leur implication dans la rénovation du foyer semble montrer que leur identité masculine (et donc de
dominant) est fragilisée. Le fait que les femmes ne parviennent pas à renverser le rapport de force au
sein du couple peut également s’expliquer par la difficulté qu’elles ont à céder leur place,
notamment en matière de tâches parentales, ou par le fait qu’elles désirent éviter les conflits. En
effet, il est possible qu’elles ne désirent pas imposer à leur conjoint une position de dominé
(contraire à l’identité masculine) du fait de l’idéologie amoureuse. Cette idéologie peut ainsi inciter
les femmes à donner du temps (en prenant en charge plus de tâches domestiques) à leur conjoint.
L’idéologie amoureuse permettrait donc d’invisibiliser la domination masculine en incitant les
femmes à accepter une répartition inégalitaire des tâches domestiques (ou du moins inégalitaire du
point de vue de la disponibilité puisque le fait que les pères au foyer n’aient pas d’activité salariée
devrait les inciter à prendre en charge la quasi-totalité des tâches domestiques). Cette absence de
41
Au moins du point de vue des ressources, puisque l’homme avait souvent une situation professionnelle peu satisfaisante, voire était au chômage et que la femme semble avoir généralement un salaire, un métier et un diplôme supérieurs à celui de leur conjoint, au moins dans le cas des pères bénéficiaires de l’APE
55
renversement dans la répartition des tâches domestiques pourrait également être due à une
persistance de la répartition antérieure, qui aurait entraîné un développement différencié des
compétences mobilisées dans la réalisation des tâches. De plus, le fait de se retirer du marché du
travail pour s’occuper de ses enfants peut également être un moyen pour les pères au foyer de
gagner du pouvoir dans le rapport de force conjugal, du fait du « sacrifice » qu’ils ont fait de leur
carrière, d’autant plus important que le fait d’être au foyer est stigmatisé pour un homme. Ce
pouvoir pourrait être d’autant plus grand que ces pères prennent en charge des enfants, or les
tâches parentales sont les plus valorisantes et les plus valorisées socialement (le bien-être des
enfants étant considéré comme centrale dans les représentations actuelles). Cependant, la
stigmatisation qui pèse sur ces pères les prive de ressources symboliques qui pourraient accroitre
leur pouvoir au sein du couple, ce qui explique qu’ils mobilisent d’autres normes en déclarant que les
identités genrée ont changé ou au contraire en montrant leur conformité aux normes de la
masculinité (en prenant en charge les travaux de force).
Cependant, les données manquent pour analyser précisément les rapports de force au sein des
couples dont le père est au foyer. En effet, la domination d’un conjoint sur l’autre n’est pas
forcément unilatérale42 : la définition de zones de compétence peuvent permettre à chacun des
conjoints de s’approprier des zones de décision où ils ont le pouvoir. Il faudrait donc mener une
enquête qui analyse les ressources dont disposent les conjoints dans cette situation (le salaire, mais
aussi les diplômes, les ressources symboliques qui peuvent être liées aux valeurs de ces couples ou le
regard de leur entourage, l’aide éventuelle d’un membre de la famille d’un des conjoints, etc.), la
répartition des tâches domestiques et le ressenti des conjoints par rapport à cette répartition et la
manière dont ils la justifient43, la prise de décision au sein de ces couples44 et l’organisation financière
dans ces couples45.
Dans le cas des couples où le père est au foyer, on observe une disjonction entre les enquêtes :
d’une part, les enquêtes de Laura Merla et d’Andrea Doucet qui s’intéressent à l’identité de ces pères
du point de vue du genre46 (Doucet, 2004 ; Merla, Doucet, 2007 ; Merla, 2006, 2007a, 2007b, 2010)
mais ne mettent pas l’accent sur les rapports entre les conjoints (y compris du point de vue de
l’organisation domestique)47 et mettent peu en lien leurs discours avec leurs caractéristiques sociales
et économique et d’autre part les enquêtes sur les pères bénéficiaires de l’APE (Boyer, 2007, Boyer,
Renouard, 2004, Trellu, 2007) qui s’attardent longuement sur les caractéristiques socio-économiques
42
Par exemple, la prise en charge de tâches d’orchestration voire d’exécution peuvent fournir au conjoint qui les assure des informations qui lui donnent du pouvoir dans la prise de décision et dans l’organisation domestique 43
Demander à ces pères de justifier la répartition des tâches peut permettre d’observer les rapports de force qui ont conduit à cette répartition mais aussi les mécanismes qui l’occultent comme l’idéologie amoureuse 44
Dans la mesure où on peut faire l’hypothèse que c’est lors de conflits ou de mobilisations conjugales (par exemple pour réaliser un achat important) que se révèlent les rapports de pouvoir 45
L’argent et sa circulation dans le couple semble un révélateur crucial de la domination au sein du couple, comme le montrent les analyses de Caroline Henchoz (Belleau, Henchoz, 2008 ; Henchoz, 2009) et de Veronika Tichenor (Tichenor, 2008) 46
Par exemple, comment ils présentent leur identité du point de vue du genre et la façon dont dans leurs pratiques ils montrent leur conformité aux normes de la masculinité et le regard que leur entourage porte sur cette situation 47
Les conjointes sont peu évoquées dans ces enquêtes et elles n’ont pas fait l’objet d’entretiens.
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des deux conjoints des couples où l’homme est bénéficiaire de l’APE mais qui ne laissent que peu de
place à leur discours (de plus, ces enquêtes ne s’intéressent qu’à une partie des pères au foyer). En
caricaturant, on pourrait dire que les enquêtes de Laura Merla et d’Andrea Doucet ne s’intéressent
qu’aux représentations des pères et celles de Sonia Renouard et de Danielle Boyer, et d’Hélène Trellu
ne s’intéressent qu’aux pratiques. Il serait donc souhaitable de mener une enquête qui articule ces
deux dimensions.
L’idéal serait pouvoir de mettre en place une enquête statistique pour connaitre les
caractéristiques socio-économiques des couples dont le père est au foyer, car il n’y a absolument
aucune donnée sur eux, mais l’absence de statut institutionnel de ces pères semble disqualifier toute
recherche de grande ampleur. L’enquête devrait donc prendre la forme d’une enquête par
entretiens, si possible avec un échantillon diversifié du point de vue de l’appartenance sociale et
comptant autant des pères bénéficiaires de la CLCA et de la COLCA et des pères dans d’autres
situations institutionnelles (au chômage, inactif) afin de comparer ces deux « types » de pères au
foyer et de mesurer l’effet des allocations et des politiques publiques sur le fait de devenir père au
foyer.
Il s’agirait de collecter de façon la plus exhaustive possible les ressources auxquelles chaque
conjoint a accès (en termes de salaire et de ressources symboliques en lien avec leur situation
matrimoniale, les caractéristiques sociales, économiques et en termes de valeurs et de
représentations de chaque conjoint). L’entretien permettrait de mettre en lumière de nombreux
aspects de la vie de ces pères, afin d’élucider les rapports de domination à l’œuvre dans ces couples.
Il pourrait ainsi d’appréhender la trajectoire qui a amené ces pères à devenir père au foyer, les
pratiques en termes d’organisation domestique (y compris financière, et les prises de décision et les
négociations au sein de ces couples), la façon dont le changement de situation du ménage (avec
l’entrée du père dans la paternité au foyer) a influencé cette organisation, et les compétences qu’ils
ont acquis lors de leur socialisation. Il mettrait également au jour les ressentis des conjoints (par
exemple, quelles tâches ils aiment faire ou non, quelles tâches ils aimeraient faire et quelles tâches
ils refusent de faire, la façon dont ils justifient l’organisation domestique, etc.). Enfin, l’entretien
explorerait également les modèles et les valeurs qui leur ont été transmis par leur socialisation et par
les prescripteurs de normes comme les experts de la petites enfance et les médias afin d’essayer
d’appréhender l’exercice des pouvoirs latent et invisible à l’œuvre dans ces couples et la façon dont
ils s’articulent avec les ressources des conjointes. Il pourrait plus particulièrement révéler les normes
de genre ou les discours que les membres du couple mobilisent pour justifier cette situation où le
père est au foyer. Il permettrait également d’interroger la façon dont les pères se définissent (les
éléments qu’ils jugent pertinent pour définir leur identité : les raisons pour lesquelles ils sont
devenus père au foyer en plus de la volonté de s’occuper de ses enfants : se consacrer à une activité
artistique ou d’auto-entrepreneuriat, mettre en œuvre une reconversion professionnelle ou rénover
le logement par exemple), la façon dont ils se présentent c’est-à-dire comme un père au foyer ou au
contraire comme étant « en année sabbatique », ou par rapport à leur statut d’activité antérieur),
afin d’appréhender les ressources symboliques qu’ils tentent de mettre en avant pour préserver ou
gagner du pouvoir dans les rapports de force conjugaux.
Le but de l’enquête serait donc d’étudier au plus près les couples où le père est au foyer afin
d’étudier la façon dont les rapports de force s’exercent dans les interactions conjugales et
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l’organisation domestique afin d’analyser comme s’articulent les différentes sources de domination
au sein des couples où le père est au foyer.
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