1 Sorbonne Nouvelle UFR Arts et Médias Institut de la Communication et des Médias L’Homo novus de l’ère numérique ou l’imaginaire du Citoyen 2.0 EL HAJJAMI Anouar Master 1 Information & Communication Sous la direction de Mme Fanny GEORGES 15/05/2012
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Sorbonne Nouvelle
UFR Arts et Médias
Institut de la Communication et des Médias
L’Homo novus de l’ère numérique ou l’imaginaire du Citoyen 2.0
EL HAJJAMI Anouar
Master 1 Information & Communication
Sous la direction de Mme Fanny GEORGES
15/05/2012
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes ayant participé, directement ou
indirectement, à la réalisation de ce mémoire :
Messieurs Fabrice Epelboin, Pierre Guillou et Lucas Surel pour avoir
généreusement accepté de m’accorder des entretiens de qualité.
Madame Fanny Georges, qui a accompagné et enrichi de son expertise ce travail
de recherche du début jusqu’à la fin.
Monsieur Eric Maigret, qui a accepté de prendre en charge, avec Mme Georges,
la correction de ce travail de recherche.
Tous les internautes qui ont répondu au questionnaire sur les usages numériques,
et surtout, mes collègues, amis, famille et accointances, qui m’ont aidé à diffuser
massivement le questionnaire en question.
A toutes ces personnes, je présente mes sincères remerciements et assure que
leurs contributions ont été particulièrement appréciées.
3
Sommaire Introduction .................................................................................................................................................... 4
Cadre théorique et choix interdisciplinaires ............................................................................................... 6
Quelle pertinence dans la discipline des SIC ? ............................................................................................ 7
Quelques questions de recherche .............................................................................................................. 8
Etat de la recherche ...................................................................................................................................... 10
Corpus I : Théorie ...................................................................................................................................... 10
Le web comme dispositif complémentaire à l’espace habermassien ................................................... 10
World Wide Web : une révolution silencieuse ? .................................................................................... 13
Le nouveau citoyen de l’ère numérique ................................................................................................ 15
L’internet entre engagement politique et marchandisation de l’opinion ............................................. 18
Corpus II : Actions institutionnelles .......................................................................................................... 19
Les administrations françaises et la numérisation : un problème de compréhension .......................... 19
Partis politiques et « engagement faible » : cas du PS ......................................................................... 22
Les TIC et les partis politiques : rupture ou réappropriation ? .............................................................. 23
Corpus III : Actions citoyennes .................................................................................................................. 25
Le vote en ligne : un premier pas vers la démocratie électronique ? .................................................... 25
Empowerment citoyen entre remédiation, bricolage et participation ................................................. 27
Sur la « fracture numérique » et la population des non-usagers .......................................................... 31
Corpus IV : Ouvrages généraux ................................................................................................................. 33
Problématisation et hypothèses .................................................................................................................. 34
Méthodologie de travail ............................................................................................................................... 35
Exposé des méthodes de recherches et d’analyse retenues .................................................................... 36
Analyse des résultats .................................................................................................................................... 38
Bilan........................................................................................................................................................... 49
Critique méthodologique : représentativité, profilage et limites ............................................................. 50
Résultats de la 3ème partie du questionnaire (profilage) ........................................................................... 51
Entretiens qualitatifs et synthèse ................................................................................................................ 53
Une culture numérique insuffisante ..................................................................................................... 53
L’ « engagement faible » : une nouvelle force ...................................................................................... 54
Bibliographie ................................................................................................................................................. 56
Articles scientifiques ................................................................................................................................. 56
Ouvrages généraux ................................................................................................................................... 57
Annexes ......................................................................................................................................................... 58
4
Introduction
Tandis que l’année 2011 a vu échoir des dictatures jusque là jugées inébranlables1, de
nombreux pays démocratiques s’apprêtent à organiser leurs élections présidentielles, dans un
climat marqué par les crises. Crise économique d’une part, mais aussi crise idéologique (ou
crise démocratique) dont les prémices remontent à quelques dizaines d’années déjà2
.
Parallèlement aux débats politiques qui précèdent systématiquement toute période électorale,
un autre sujet se voit porté sur l’espace public, après avoir été longtemps cloisonné dans le
milieu de la recherche et dans certains cercles de connaisseurs et d’enthousiastes. En effet,
l’évocation de l’impact des nouvelles technologies sur la structure des régimes démocratiques
(système électoral-représentatif, pouvoirs du chef de l’exécutif, légitimité du vote etc.)
avaient lieu uniquement dans le cadre d’un dialogue binaire, entre deux antagonistes : les
Cyber-optimistes d’un côté et les Cyber-sceptiques de l’autre, limitant souvent la réflexion à
l’adhésion ou à la réfutation du discours de la société de l’information3. Depuis deux ou trois
années cependant, les discours scientifiques se diversifient et les travaux de vulgarisation, de
plus en plus nombreux, permettent aux citoyens d’avoir des opinions sur la question et de
faire des initiatives en ce sens.
L’objectif de cette recherche est moins de proposer une nouvelle théorie de la
communication que de sonder l’opinion publique sur les enjeux de l’émergence et de la
démocratisation des nouvelles technologies de l’information, et plus particulièrement du web,
qui demeure le moyen le plus utilisé par les internautes4. Il ne s’agit pas non plus de faire
l’éloge d’une quelconque nouvelle ère, encore moins de déclarer obsolètes les formes de
gouvernance démocratique actuellement en vigueur. Ce travail a pour ambition toutefois, de
mesurer le degré d’influence que pourraient avoir les usages des NTIC sur les pratiques
démocratiques, notamment lorsque les ‘lois’ et les habitudes du citoyen-internaute sur la
toile surgissent de la « boite-internet », si l’on considère la dimension spatio-temporelle
traditionnelle de ce média : un monde dont les frontières seraient matérialisées par les
1 Sur l’ « exception arabe » : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/02/04/vers-la-fin-de-l-exception-
arabe_1475187_3232.html 2 Lire à ce sujet : Pierre Rosanvallon, La légitimité démocratique, Impartialité, réflexivité, proximité, Editions du
Seuil, 2008 et Jacques Ion, La fin des militants, Editions de l’atelier, 1997. 3 Comme le souligne Laurence Monnoyer Smith dans un article qui sera utilisé dans cette recherche: Monnoyer-
Smith Laurence, « La participation en ligne, révélateur d'une évolution des pratiques politiques ? »,
Participations, 2011/1 N° 1, p. 156-185 4 Nous n’allons donc pas aborder d’autres systèmes de réseaux comme l’IRC ou le Peer to Peer dans cette
analyse.
5
contours de l’écran, entouré par un monde extérieur que l’on désigne par l’appellation
« IRL 5 ».
L’objet de cette recherche est donc principalement le web 2.06 dans sa dimension
citoyenne et politique. Le titre du mémoire est en ce sens, évocateur. Le terme latin Homo
novus, qui a une double signification (l’une historique, l’autre littérale) a été
intentionnellement choisi pour designer le citoyen-internaute à l’aube du XXIe siècle. Encore
faut-il que cette citoyenneté-là soit différente de celle qui la précède, d’où notre intérêt pour
l’« imaginaire »7 du Citoyen 2.0 et non pas pour sa définition même.
Pour revenir à notre expression latine, Homo novus (littéralement « Homme
nouveau ») a une signification particulière dans l’Antiquité Romaine, notamment sous la
République. Par homines novi, l’on désignait des citoyens de la Plèbe qui accédaient aux
hautes instances de l’Etat sans avoir d’aïeuls dans la fonction publique (aucune origine
nobiliaire), ce qui était une exception remarquable à l’époque8. Je cherchais donc, en utilisant
cette terminologie, à faire le lien entre la notion de capacitation (empowerment), et le
renouvellement de l’espace public, ou du moins sa diversification. Le web permettrait-il une
brèche que le citoyen « ordinaire » pourrait emprunter pour accéder à un espace public
originellement restreint ? Si la légitimité démocratique des hautes fonctions publiques est
justifiée par la possession d’un capital socio-culturel conséquent9, le fait qu’internet soit une
source quasi-inépuisable de connaissances, va-t-il remettre en question la légitimité de ces
institutions ? C’est en tout cas ce que semble suggérer, avec plus ou mois de nuances, les
travaux de ces dix dernières années : « [Internet] bouleverse notre conception et notre
pratique de la démocratie. Car Internet aiguillonne toutes les expériences visant à dépasser
la coupure entre représentants et représentés : délibération élargie, auto-organisation, mise
5 In Real Life, « dans la vraie vie » : terme argotique utilisé par les internautes pour qualifier le monde en dehors
de la toile. 6 L’appellation, datant de 2004, est de Sir Tim O’Reilly. L’auteur et consultant Don Tapscott préfère parler de
« Wikinomics » qui rend mieux le caractère collaboratif de ce nouveau web (« wiki » désigne des outils de
partage et de travail collaboratif en ligne) 7 L’objectif étant d’analyser la perception du citoyen-connecté et non pas de théoriser un nouveau type de
citoyenneté. 8 Leonhard A. Burckhardt, The Political Elite of the Roman Republic: Comments on Recent Discussion of the
Concepts "Nobilitas and Homo Novus", Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte, Bd. 39, H. 1 (1990), pp. 77-99 9 « Appartenant aux grands corps de l’Etat, issus de la nouvelle Ecole nationale d’administration (ENA) fondée
en 1945, ils ont érigé leur savoir, essentiellement économique, en instrument de pouvoir et de reconnaissance.
Leur service de l’Etat […] s’est également présenté comme ‘‘un hommage à la rationalité’’ » Pierre
Rosanvallon in. op. cit. p. 90
6
en place de collectifs transnationaux, socialisation du savoir, essor de compétences critiques,
etc. » écrit Dominique Cardon dans son livre La Démocratie Internet, promesses et limites10
.
Au vu du sujet étudié, cette recherche aurait aussi bien pu s’intituler : « Internet et
rapports de pouvoir : glissement de paradigme ? »
Cadre théorique et choix interdisciplinaires
La démarche envisagée dans cette recherche est à la fois philosophique, politique et
sociologique. Philosophique car les questions soulevées, du moins dans la première partie, ont
un caractère global qui va questionner, au-delà de la gestion des affaires de la cité, les valeurs
qui définissent les fondements d’une société. Les contextes historique et philosophique dans
lesquels internet a bourgeonné et évolué sont autant de champs à étudier avant d’envisager
une approche plus empirique consistant à sonder et à évaluer les pratiques sociologiques des
citoyens (par le biais de questionnaires et d’entretiens qualitatifs). La théorie politique sera
également évoquée dès la première partie de la recherche car méconnaitre le contexte
politique dans lequel le web a émergé empêcherait la juste évaluation du degré de
transformation de l’imaginaire citoyen, et de ses habitudes civiques à l’ère numérique.
En ce qui concerne le cadre théorique, la littérature est foisonnante autour du sujet choisi.
Aussi, au vu des objectifs de la recherche, qui consistent en une évaluation des usages de
l’internaute-citoyen dans une perspective politique, le cadre théorique se restreint aux travaux
de recherche les plus importants qui traitent de l’impact des NTIC sur les sociétés
démocratiques, et le choix des ressources à exploiter se fera sur le critère de positionnement
de ces travaux sur une échelle d’opinion allant d’une totale adhésion au discours techno-
optimiste à la critique la plus acerbe de ce discours. Cependant, il s’agit moins de schématiser
ces recherches de manière dichotomique (Pro-NTIC VS Anti-NTIC) que d’essayer de relever
des pistes nouvelles à explorer, en confrontant et en comparant les arguments exposés dans les
différents travaux qui s’opposent. Comme cela a déjà été évoqué précédemment, les études les
plus récentes sortent justement de ce schéma dichotomique, ce qui rend l’analyse comparative
plus complexe et plus intéressante.
Cette complexité exige toutefois un second critère de sélection : il s’agit cette fois-ci de
différencier les travaux de recherches selon trois catégories :
Dominique Cardon, La démocratie Internet, promesse et limites. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010, p.
8
7
1. Théories fondamentales : pour les travaux fondateurs définissant les contours d’une
théorie de base sur laquelle d’autres recherches se sont appuyées par la suite.
2. Actions institutionnelles : catégorie regroupant les différents travaux menés sur des
initiatives institutionnelles concrètes dans une démarche d’adaptation à la
« conversion numérique » et à l’avènement de la « démocratie 2.0 »
3. Actions citoyennes : il s’agit des recherches portant sur les initiatives citoyennes se
basant sur les nouveaux outils numériques (interfaces démocratiques alternatives,
dispositifs d’« empowerment » citoyen etc.)
Quelle pertinence dans la discipline des SIC ?
Bien que les sciences de l’information et de la communication soient un champ de
recherche pluridisciplinaire, l’ensemble de la recherche ne s’intéressera que de façon
périphérique à la dimension technique et aux sciences de l’ingénieur (télécommunications,
informatique…). Les usages étant l’objet d’analyse principal, la communication
intersubjective sera d’avantage décortiquée même si l’interface humain-machine devra
fatalement être élucidée pour comprendre la communication humaine à l’ère du numérique.
La question est de savoir si l’arrivée de ces nouvelles techniques de communication a un
effet amplificateur sur la communication interhumaine (d’où la notion d’empowerment ou de
technologies capacitantes11
) ou à l’inverse, un effet d’empêchement et de brouillage12
. La
sociologie et les sciences politiques sont, de ce fait, prégnantes et se rajoutent à la dimension
anthropologique de la communication.
De manière plus concise, la pertinence de ce travail de recherche dans la discipline des
SIC tient en deux points : le premier est l’hypothèse même qui s’inscrit dans la continuité
d’un ensemble de questionnements formulés par les chercheurs en SIC durant les vingt
dernières années13
, et le deuxième point concerne la procédure analytique empruntée (étude
des usages et des habitudes socioculturelles) qui sera appliquée sur un objet de recherche
ayant trait à la communication sur différents niveaux (interindividuelle, institutionnelle,
interface homme-machine, et sciences politiques).
11
Francis Pisani et Dominique Piotet, Comment le web change le monde : L'alchimie des multitudes. Village
mondial, 2008. 12
Cette position a été celle d’un certain nombre de sociologues et de philosophes français, communément
nommés les « postmodernes ». 13
Cf. Bibliographie
8
Enfin, la nature de l’objet étudié durant la seconde partie de ce mémoire14
(une interface
numérique), exige une méthodologie et des connaissances en ergonomie et en sémiotique des
interfaces, ce qui fait de ce domaine de recherche un quatrième champ disciplinaire en SIC à
prendre en considération dans l’élaboration de ce travail.
Quelques questions de recherche
Pour mettre encore plus en évidence la place considérable des SIC dans ce projet, nous
allons d’abord formuler des questions que la seconde partie du mémoire traitera de manière
plus acérée, en posant une problématique et des hypothèses précises.
En partant du plus général au plus particulier, la question la plus globale que l’on voudrait
bien se poser dans le cadre de ce mémoire est : Est-ce qu’internet altère les modèles de
gouvernance actuels ? La littérature traitant de près ou de loin, de cette question est
particulièrement généreuse, tandis que les théories les plus passionnées (et les plus
antagonistes) abondent depuis au moins une vingtaine d’années15
. Toutefois, l’intérêt des
travaux portant sur les NTIC aujourd’hui, n’est plus seulement de se demander si Internet
change le rapport des Hommes entre eux et avec le monde, mais c’est surtout d’étudier les
changements déjà en cours depuis l’avènement du web et en mesurer l’ampleur, afin
d’anticiper les transformations sociétales dans des domaines bien précis16
.
C’est la raison pour laquelle la problématique de ce mémoire a été recadrée, de manière à
ne contenir qu’un seul champ social à examiner : celui du lien entre le citoyen et la gestion de
la chose publique. Il s’agit d’un sujet qui a été, à plusieurs reprises, étudié sous un aspect
sociologique et politique, notamment après le rejet, par les citoyens Français, du traité
constitutionnel européen en 200517
, mais cela n’empêche pas de réaliser un travail qui va au-
delà de la simple synthèse des théories et des résultats obtenus jusqu’ici et de chercher à
vérifier sur le terrain les différentes hypothèses avancées dans ce domaine.
14
Dans un premier temps, il s’agira d’une présentation générale des fonctionnalités de l’objet étudié, l’analyse
complète est prévue pour la version développée de ce travail de recherche (Master 2) 15
Un exemple parmi d’autres : L’homme numérique de Nicholas Negroponte, 1994 16
Sujet de prédilection d’auteurs comme D.Cardon et P. Flichy (cf. Bibliographie) 17
Guilhem Fouetillou, « Le web et le traité constitutionnel européen. Ecologie d’une localité thématique
compétitive », Réseaux, n° 147, 2008, p. 229-257
9
Nous nous retrouvons alors devant un enchaînement de questions à traiter :
A l’ère du tout-numérique, quelle valeur le citoyen donne-t-il à des pratiques
démocratiques comme le passage à l’urne ?
Depuis l’avènement du web, une « culture numérique » s’est incontestablement
développée dans les sociétés connectées, modifiant les rapports et les habitudes
sociales des individus, quel impact a véritablement cette ‘expérience virtuelle’ sur
la perception citoyenne du processus démocratique ?
Si l’on considère des expériences de gouvernance alternative comme celle de
Wikipédia18
comme un véritable succès, devrait-on s’attendre à une remise en
question massive des systèmes de gouvernance démocratiques actuels (sphère
électorale-représentative, aspect régalien de la fonction présidentielle, mandat
quinquénaire etc.) ?
Si, a contrario, l’expérience du web démo-participatif n’est pas transposable à
l’espace public ‘réel’, quels sont les facteurs qui empêchent cette transposition et
quelles limites (techniques ou anthropologiques) relève-t-on dans ces
dispositifs (fracture numérique, réticence citoyenne, vulnérabilité des techniques
etc.) ?
Existe-t-il des initiatives citoyennes cherchant à transposer le modèle du web
démo-participatif sur l’espace public ? Si tel est le cas, quelles conclusions peut-on
dorénavant tirer de ces expériences inédites au vu de leurs premiers résultats ?
Comment les institutions accueillent-elles la conversion numérique en général et
les initiatives citoyennes en particulier ? S’agit-il d’une réaction de méfiance ou
plutôt d’adoption et d’appropriation ?
Peut-on parler de « crise des idéologies19
» et de « segmentation » du débat
politique ou s’agit-il d’une évolution logique de l’espace public dans un contexte
d’individualisation accélérée des sociétés contemporaines ? Dans un cas comme
dans l’autre, quel rôle joue exactement le web dans cette évolution ? (rôle de
substitution, catalyseur…?)
Enfin, et après analyse des résultats obtenus par une méthodologie empirique et
quelques éléments de réponse aux questions précédentes :
18
Dominique Cardon, Julien Levrel, « La vigilance participative. Une interprétation de la gouvernance de
Wikipédia », Réseaux, n° 154, 2009, p. 51-89. 19
In Philippe Breton, L'utopie de la communication, le mythe du « village planétaire », La Découverte, 2004
10
Peut-on réellement inscrire l’évolution du web politique dans le cadre des
grandes théories fondamentales qui ont été avancées durant les trente dernières
années ? (société de la communication, paradigme cybernétique, « autoroutes
de l’information », etc.)
Etat de la recherche
Corpus I : Théorie
Dix articles ont été minutieusement étudiés, chacun apportant des éléments nouveaux
à la réflexion autour des usages des NTIC par les citoyens-internautes. Quatre de ces articles
constituent le premier corpus que nous avons décrit comme « théorique-fondamental »,
s’agissant de travaux traitant de démocratie et d’internet en général sans pour autant analyser
d’objets particuliers (initiatives citoyennes ou institutionnelles), ou alors de manière très
périphérique.
Le web comme dispositif complémentaire à l’espace habermassien
Le premier de ces travaux est l’article de P. Flichy intitulé « La démocratie 2.0 », paru
dans la revue Etudes en 2010. Cet article commence par présenter, de manière concise et
plutôt critique, les résultats des travaux de recherche en sociologie et en sciences politiques
ayant pour objet les technologies numériques. Alors que l’espoir de renouveau, porté par
internet, avait atteint son paroxysme, les chantiers de réforme prédits au début de l’ère
numérique ne se sont que très partiellement réalisés, faisant basculer l’opinion des chercheurs
du plus grand optimisme au plus grand pessimisme.
Cela n’a toutefois pas remis en question les « vertus démocratiques »20
d’internet qui
consistent entre autres, en un égalitarisme quasi absolu dans les échanges entre internautes,
rendu possible par l’anonymat. Toutefois, P. Flichy rappelle les limites de ces débats en ligne
et leur caractère « succinct, exagérément critique ou laudatif », il utilise pour qualifier ces
échanges, l’expression du sociologue Michaël Dumoulin, les « monologues interactifs » et
évoquent la réalité du découragement des internautes à cause des guerres d’injures (flame
wars) qui caractérisent souvent ces débats.
20
L’expression est de Dominique Cardon. Cf. CARDON Dominique, « Vertus démocratiques de l’Internet », «
Réinventer la démocratie » (Grenoble, 9 mai 2009) La République des idées.
11
Les vertus du réseau des réseaux demeurent toutefois importantes selon P. Flichy. Le
débat en ligne peut constituer un excellent espace d’apprentissage où le citoyen accède à des
ressources politiques lui permettant de tenir un discours argumentatif élaboré dans l’espace
public « réel ». De ce point de vue, internet serait moins un nouvel espace public menaçant de
remplacer l’espace public traditionnel qu’un dispositif complémentaire de débats organisés
dans un autre cadre. Pour illustrer ce propos, P. Flichy donne l’exemple de l’expérience du
parlement britannique, datant des années 2000, qui a permis à des citoyens qui n’avaient, pour
la plupart, aucun lien avec les partis, de se prononcer sur un certain nombre de questions
débattues au parlement, en se connectant sur la plateforme numérique crée à cet effet. Au
niveau local, l’exemple du débat autour de la construction du troisième aéroport parisien21
est
significatif : tandis que les participants aux débats organisés en salle sont majoritairement des
représentants d’associations ou de groupes constitués, les e-participants eux, sont pour la
plupart des citoyens sans aucune affiliation politique ou associative. P. Flichy en conclue que
l’internet favorise un nouveau type d’engagement politique basé sur le témoignage22
.
Cette participation ponctuelle au débat politique est à l’image du citoyen
contemporain : de la même manière que les conversations politiques se déroulent le plus
souvent dans des groupes limités (famille, travail), les écrits politiques sur Internet sont
d’abord adressés à quelques proches23
, puis prennent une dimension plus universelle quand un
événement porte le débat sur l’espace public24
. P. Flichy évoque à cet égard l’analyse d’André
Gunthert25
des attentats de métro de Londres en 2005, expliquant comment des photos prises
sur des téléphones portables pour des raisons d’abord personnelles (« réappropriation de
l’événement » par les citoyens, les aidant à diminuer le traumatisme) ont fait le tour du monde
via les plus grands médias internationaux.
Internet est donc un outil qui renforce la vigilance et la dénonciation citoyennes. P.
Flichy n’hésite pas à faire le parallèle avec le concept de « Contre-démocratie » développé par
21
Relaté par Laurence Monnoyer-Smith dans: Laurence Monnoyer-Smith, « Citizen Deliberation on the Internet
: an exploratory Study », International Journal of E-government Research, 2006, n° 2. 22
« Le premier mode d’expression sur internet est celui du témoignage. Le « journaliste-citoyen » a rarement
les moyens de mener des enquêtes originales. Il peut comparer et synthétiser les sources disponibles sur le web,
mais il peut aussi livrer son expérience, interroger les propositions politiques à la lumière de ce qu’il a vécu. » 23
« Expressivité » en « clair-obscur », pour utiliser les terminologies de F. Granjon et D. Cardon 24
Un exemple extérieur à l’article de P. Flichy, est celui d’Alisa Chiraponsge, connue sous le pseudonyme de «
aka gnarlykitty », pour avoir relaté les événements du putsch militaire de 2006 en Thaïlande, alors que son blog a
été initialement un espace d’échange « intimiste » entre copines. 25
André Gunthert « Tous journalistes ? Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs », dans Gianni
Haver (dir), La photo de presse : usages et pratiques, Lausanne, Antipodes, 2009
12
Pierre Rosanvallon dans son ouvrage au titre similaire26
. Cette vigilance citoyenne peut
prendre différentes formes : de la collection et de la circulation d’informations concernant les
droits des citoyens, avec pour objectif leur renforcement par un travail de pédagogie (il peut
d’ailleurs s’agir d’informations inédites, de nature confidentielle27
), comme de l’organisation
de mobilisation dans le monde réel ou sur internet à travers des envois massifs de mails ou des
pétitions en ligne28
Le web devient donc l’espace où les citoyens, de moins en moins consentants vis-à-vis
de la volonté des politiques à prendre des décisions majeures sans tenir compte des
individualités des citoyens, expriment leur désaccord. Flichy cite, à cet égard, Michel de
Certeau quand il parlait, il y a dèjà quarante ans, de la remise en question de cet abus de
savoir : « cette volonté de vouloir convertir la compétence en autorité »29
D’autre part, les institutions et les partis politiques traditionnels ne semblent pas
encore tout à fait en mesure de s’approprier le web de manière effective. Flichy donne
cependant l’exemple du Parti Radical Italien30
, qui semble être l’unique parti au monde à
délibérer des opérations les plus importantes du parti dans des espaces numériques où
l’ensemble des militants sont invités à faire des propositions.
En guise de conclusion, malgré les limites de la sphère numérique, qu’ils soient
d’ordre techniques ou anthropologiques, et les divers discussions piquantes autour de la place
que va prendre le web dans la vie démocratique dans les prochaines années, un constat
semble incontestable selon P. Flichy : « Le citoyen veut de moins en moins déléguer la prise
de décision aux élus et aux experts ». Cette affirmation est particulièrement intéressante dans
le cadre de ce mémoire puisque nous allons vérifier sa véracité dans notre enquête sur la
perception et les usages du citoyen-internaute. De manière générale, ce premier travail de
Patrice Flichy apporte déjà quelques nuances (le web ne remplace pas complétement l’espace
public mais s’y ajoute) qui nous éviteront de partir sur de fausses pistes.
26
Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie. La politique à l’age de la défiance, Le Seuil, 2006. 27
L’exemple de Wikileaks incarne parfaitement ce type d’activisme numérique. 28
Un des exemples récents les plus spectaculaires est celui de l’affaire « Trayvon Martin » qui a secoué les
Etats-Unis en mars 2012, avec une pétition en ligne atteignant les 50 000 signatures par jour. 29
Michel de Certeau, « Une culture très ordinaire », Esprit, octobre 1978, p. 9 30
Raphaël Kies, « Forum en ligne et partis poli-tiques. Analyse des Radicali italiani », Réseaux, 2008, n° 150.
13
World Wide Web : une révolution silencieuse ?
Le deuxième article clé de ce mémoire s’intitule « Internet, vers la démocratie
radicale ? » par Benjamin Loveluck31
. Dans ce travail de recherche, analysant les usages de
l’internet dans un contexte politique en pleine mutation depuis les années 1980 (crise de la
démocratie représentative et défiance citoyenne), B. Loveluck, au même titre que P. Flichy,
relève un lien intéressant entre l’arrivée de l’Internet et l’avènement de ce que P. Rosanvallon
appelle la Contre-démocratie. Selon ce dernier, la défiance citoyenne se manifesterait en trois
dimensions : le peuple-surveillant, le peuple-veto et le peuple-juge. Ces nouveaux pouvoirs
viendraient se « surimposer » au pouvoir plus traditionnel du peuple-électeur, assuré par le
contrat social.
Mais comment expliquer le succès de ce média « ultime » qu’est l’internet là où les
médias traditionnels n’ont pas tout à fait marqué de rupture considérable ? Loveluck donne un
premier élément de réponse en expliquant qu’internet est devenu le pivot des démocraties
libérales car « il renforce leur principe régulateur fondamental », à savoir les droits de
l’homme. Il cite, dans la suite de son raisonnement, le travail de Marcel Gauchet32
qui
décortique l’évolution des démocraties depuis l’effondrement de l’union soviétique et la fin
des grandes idéologies politiques. Selon Gauchet, nous aurions renoué, depuis la fin des
années 1980, avec l’ambition droit-de-lhommiste de 1789, une fois la phase intérimaire des
grandes idéologies issues du XIXème siècle dépassée. Internet viendrait alors, selon
Loveluck, « décupler, catalyser, accélérer les attentes suscitées par les démocraties
libérales ». Le rôle du réseau des réseaux serait «d’abolir toute forme de médiation […] d’en
finir avec la nature implicitement aristocratique33
de l’élection et de la représentation. ». Au
même titre que l’apport du premier article, cette affirmation sera particulièrement importante
dans l’élaboration de notre enquête puisqu’il s’agira d’analyser l’opinion publique sur des
sujets comme la légitimité du système électoral-représentatif.
L’auteur parle, justement, d’une nouvelle forme d’idéologie selon laquelle le régime
électoral-représentatif ne serait qu’une phase historique nécessaire mais transitoire, qui
31
Doctorant à EHESS et enseignant à Sciences Po. De formation en marketing et communication, B. Loveluck
s’intéresse à internet dans sa dimension politique : « L’objet de notre travail est de dessiner un cadre d’analyse
permettant d’appréhender internet dans sa dimension politique, en tant que mode d’être ensemble à la fois inédit
et enraciné dans l’histoire de la modernité politique et sociale. Nous nous intéressons tout particulièrement à la
proposition selon laquelle internet constitue « un système auto-organisé », au sein duquel on trouve « de l’ordre
sans contrôle ». http://cespra.ehess.fr/document.php?id=1231 32
Voir, notamment, «Quand les droits de l’homme deviennent une politique», in La Démocratie contre elle-
même, Paris, Gallimard, 2002. 33
Voir Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
14
laisserait place à une démocratie « réelle » et plus achevée, ceci grâce aux nouvelles
technologies numériques, et au réseau des réseaux. Ainsi, en se présentant comme un outil
d’abolition des médiations, Internet ne remet pas en cause la légitimité des représentants-élus
seulement, mais également tous les intermédiaires qui opèrent une certaine forme de
transmission (éducation, médiation culturelle) et de représentation (partis politiques,
associations, syndicats)34
. Ce basculement du rapport au pouvoir dans les sociétés
occidentales, Loveluck l’inscrit dans une longue évolution historique remontant jusqu’à
l’invention de l’écriture, qui aurait permis de « reprendre aux «maîtres de vérité35
» le savoir
dont ils étaient jusqu’alors les dépositaires exclusifs. Leur rôle était de rapporter et de
transmettre un enseignement provenant d’une source supérieure, transcendante. ». De la
même façon que l’invention de l’imprimerie aurait fait basculer les sociétés occidentales, de
sociétés hétéronomes « recevant leurs ordres de l’extérieur –les dieux, la tradition- » à des
sociétés autonomes, dont les connaissances et les représentations du monde sont produites de
manière personnelle et individualisée.
Cette « révolution silencieuse » en marche, l’auteur l’illustre en évoquant, à titre
d’exemple, les conflits idéologiques actuels sur la toile, autour de la notion de copyright. Il
donne comme exemple le manifeste de McKenzie Wark, A Hacker Manifesto, dans lequel
l’auteur soutient que « la notion de propriété intellectuelle est à l’origine d’une nouvelle lutte
des classes, opposant ce qu’il appelle les «vectorialistes» (ceux qui s’approprient
l’information, et qui ont la mainmise sur la distribution) aux hackers, qui sont les véritables
producteurs de savoir et de services. »
Aujourd’hui, nous serions en train de vivre une troisième rupture paradigmatique
importante, dont internet serait le déclencheur. Dans les termes de Benjamin Loveluck :
« C’est le passage de la «galaxie Gutenberg», selon l’expression de MacLuhan, à la «galaxie
Internet» décrite dès 2001 par Manuell Castells. ». Reste à savoir si cette
« révolution silencieuse » touche une grande partie de la population ou tout juste une élite
imprégnée de la culture « hacker » des premiers usagers de l’internet avant sa démocratisation
massive. Chose que nous ne tarderons pas à vérifier dans notre enquête.
34
Cette thématique sera d’ailleurs l’objet d’un ouvrage que nous allons également utiliser pour l’élaboration de
ce mémoire, à savoir : Patrice Flichy, Le sacre de l'amateur : Sociologie des passions ordinaires à l'ère
numérique. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010. 35
Selon l’expression de Marcel Detienne, désignant l’aède, le devin, le roi de justice chez les Grecs (Les Maîtres
de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, Maspero, 1967).
15
Le nouveau citoyen de l’ère numérique
Revenons un moment sur le travail de Patrice Flichy et un second article intitulé
« Internet et le débat démocratique » où l’auteur s’attarde davantage sur des objets concrets
pour analyser les débats politiques sur le web et définir ce qu’est un citoyen-internaute à l’ère
de l’internet généralisée.
Nous commençons tout d’abord avec le cas de Debian, une sous-communauté de
Linux qui a été analysée entre 2003 et 2005 par Nicolas Auray36
qui décrit une organisation
par cycle de correction et une élection directe des développeurs par les membres de la
communauté, au moyen de dispositifs de vote complexes. Un autre exemple parlant est celui
du projet Minnesota E-Democracy observé par Lincoln Dahlberg en 200137
, où il constate de
véritables délibérations en ligne et une alternative à l’espace public traditionnel réussie (dans
le respect des règles habermassiennes).
De ces deux études, P. Flichy conclut qu’un débat politique sur internet peut tout à fait
égaler en qualité les débats de l’espace public traditionnel à condition qu’un certain nombre
de règles soient respectées par les internautes. Le travail des modérateurs consisterait, dans ce
contexte-là, à recadrer le débat et prévenir les abus. Si, au contraire, internet est perçu comme
un espace hors-la-loi, où les règles de bon usage ne sont pas respectées et les intentions des
usagers pas tout à fait démocratiques (propagande, refus d’argumenter, attaques personnelles
etc.), les limites du web sont très vite atteintes et toute discussion devient impossible, comme
le montre bien Michael Schudson dans son article, cité par Flichy : « Why conversation is not
the soul of democracy »38
.
La deuxième partie de l’article est également intéressante pour notre réflexion
puisqu’elle s’intéresse au modèle socio-économique dans lequel les pratiques des internautes
ont émergé. Flichy cite alors Cass Sunstein39
, un vif critique du modèle « de la souveraineté
du consommateur » qui caractérise selon lui, la sphère numérique. Internet ne devrait pas être
considéré comme un espace politique, car l’opinion publique se construit par le débat,
36
AURAY N. (2003), « La régulation de la connaissance : arbitrage sur la taille et gestion aux frontières dans la
communauté Debian », Revue d’économie politique, mars, p. 74-99.
AURAY N. (2005), « Le sens du juste dans un noyau d’experts : Debian et le puritanisme civique », Proulx S.,
Massit-Folléa F. et Conein B. (dir.), Internet, une utopie limitée. Nouvelles régulations, nouvelles solidarités,
Québec, Les Presses de l’université Laval, p. 71-94. 37
DAHLBERG L. (2001), “Extending the Public Sphere through Cyberspace: The case of Minnesota E-
Democracy”, First Monday, vol. 6, n° 3, http://firstmonday.org/issues/issue6_3/dahlberg/index.html 38
SCHUDSON M. (1997), “Why Conversation is Not the Soul of Democracy”, Critical Studies in Mass
Communication, 1997, vol. 14, p. 297-309. 39
SUNSTEIN C. (2001), Republic.com, Princeton, Princeton University Press.
16
l’échange et la délibération, tandis que les choix pris sur internet sont souvent des choix
pragmatiques servant les intérêts individuels de l’internaute. Il faut donc, selon lui, faire la
distinction entre le citoyen et l’internaute-consommateur car « les citoyens ne pensent pas et
n’agissent pas comme des consommateurs »
Mais l’avis de Cass Sunstein n’est pas partagé par tout le monde, comme P.Flichy ne
tarde pas à le démontrer. David Johnson et David Post donnent une définition complétement
différente du citoyen-internaute qui se construit sur l’individualisme consumériste. « Dans le
monde de la communication en ligne, peut-on lire dans leur ouvrage40
, on ne peut pas
contrôler le pouvoir des opérateurs par le principe “une personne, une voix”, mais plutôt en
quittant le système. Et on peut penser que la combinaison de processus décentralisés résultant
d’une part de l’action unilatérale des opérateurs pour définir le monde en ligne et d’autre
part des décisions aussi unilatérales des usagers d’entrer ou de quitter ces espaces, arrivera
à bien répondre aux problèmes de l’action collective »41
. Nous passons donc d’une
citoyenneté basée sur les échanges et le consensus, à une citoyenneté basée sur le « vote par
clic ». Le citoyen-consommateur conforte ou dénonce une décision politique ou une
institution en acceptant ou en refusant de collaborer avec (ou la « consommer » si l’on puit
dire)
Dans la troisième partie de cet article, l’auteur revient sur le taux de participation de
l’internaute-citoyen et ses habitudes dans les espaces numériques. Ainsi, selon une enquête
américaine réalisée sur la campagne présidentielle de 2004, 48,5% des internautes américains
consultent les sites de grands médias comme CNN.com (qui fait à lui seul 20% de l’audience).
Cette enquête montre à quel point on ne peut considérer internet comme un espace parallèle
permettant de détourner les dominations médiatiques du monde réel. Une autre enquête
menée par Jennifer Stromer-Gallery auprès de petits groupes de discussions sur internet, dont
l’objectif est de mesurer l’homophilie des débats (regroupements d’individus idéologiquement
proches), a montré que les groupes les plus homogènes étaient ceux qui réunissaient des
individus dont l’entourage off-line (famille, travail etc.) ne partageait pas les idées. Internet
n’est donc considéré comme un espace de liberté discursive que lorsque le monde réel est
hostile à l’internaute. Mais la majorité des internautes cherchent, au contraire, à débattre avec
d’autres internautes dont les opinions sont différentes des leurs.
40
JOHNSON D. et POST D. (1998), “The New ‘civic virtue’ of the Internet”, First Monday, vol. 3, n° 1,
http://firstmonday.org/issues/issue3_1/johnson 41
JOHNSON D. et POST D. (1998), “The New ‘civic virtue’ of the Internet”, First Monday, vol. 3, n° 1,
http://firstmonday.org/issues/issue3_1/johnson
17
Dans la même perspective d’analyse des usages numériques, d’autres études ont
démontré, en France comme aux Etats-Unis, que la participation des internautes au débat
public en ligne n’est souvent pas intentionnelle. Il y aurait, en effet, 35% de commentaires en
plus dans des forums et des blogs dont la thématique principale n’est pas la politique (ex :
Doctissimo – site sur la santé- et Hardwarre – site sur sur l’informatique etc). Ce constat relaté
par P. Flichy, est particulièrement intéressant pour notre recherche car l’étude quantitative
lancée dans le cadre de ce mémoire cherche justement à relever ce genre de particularités dans
les habitudes des internautes. Nous aurons donc l’occasion de mettre en perspective les
résultats de cette étude avec ceux des enquêtes précédentes. Plus intéressant encore est de
découvrir, dans cet article, que les enquêtes sociologiques en ce domaine, reste très peu
nombreuses42
, et que les rares travaux, comme ceux de Pipa Norris démontre qu’au-delà
d’une « fracture numérique » entre usagers et non-usagers des NTIC, il y a également une
« fracture démocratique » qu’il serait tout autant intéressant d’étudier. En effet, avoir accès à
internet ne signifie pas systématiquement se l’approprier et en faire un outil
d’autonomisation citoyenne. Nous rencontrerons certainement dans les années à venir, une
terminologie que certains observateurs utilisent déjà pour qualifier cette « culture numérique »
dont la possession conditionne l’usage optimal du web43
.
Enfin, P. Flichy fait un constat qui reste fidèle à l’hypothèse développée dans son
article « Démocratie 2.0 » et plus ou moins en opposition avec le constat de Benjamin
Loveluck. Flichy considère, en effet, qu’internet ne remet pas en question la démocratie
électorale-représentative, mais sert plutôt comme moyen de surveillance (sousveillance44
?) et
de contre-expertise, ce qui nous ramène encore une fois au concept développé par Pierre
Rosanvallon, et c’est d’ailleurs ainsi que Patrice Flichy termine son article : « La démocratie
réticulaire est en somme une contre-démocratie ».
42
Comptant développer la recherche, dans les années à venir, autour des « usages » et des « non-usages » de
l’internet (« fracture numérique » et intérêt pour la chose publique), cette anecdote ne peut que m’encourager à
continuer sur cette voie. 43
Il s’agit de la notion de Digital literacy, maladroitement traduit par « alphabétisme digital » in PISANI
Francis, PIOTET Dominique, Comment le web change le monde : L'alchimie des multitudes. Village mondial,
2008. 44
Terminologie proposée par Steve Mann, en hommage à Jeremy Bentham et à Michel Foucault :
http://www.anonequity.org/weblog/archives/2006/01/exploring_equiv_1.php
18
L’internet entre engagement politique et marchandisation de l’opinion
Avant de passer aux articles traitant des « initiatives institutionnelles », nous allons
aborder, de façon concise, un dernier article de cette première catégorie. Il s’agit d’un acte de
colloque par Dominique Cardon, intitulé « Les vertus démocratiques d’internet »45
Les idées fortes de cet acte de colloque ont été notamment relatées dans un ouvrage
par le même auteur, qui est également étudié dans le cadre de ce mémoire46
. Il s’agit
principalement de l’imaginaire de l’internet et le rôle que celui-ci a joué dans l’avènement
d’une société de la mise à disposition des compétences (le modèle du « Wiki » en est la plus
grande consécration). Ce modèle de « coopérations faibles » a permis d’inverser le processus
d’organisation d’actions collectives, de l’Etat vers la société (haut en bas) à la société vers
l’Etat (de bas en haut). Cet inversement, dont les premières conséquences peuvent
sérieusement inquiéter les autorités47
n’a été possible que par l’émergence des NTIC qui ont
provoqué « une baisse drastique des coûts de mise en place de systèmes auto-organisées à
large échelle ». L’importance de ce nouveau type d’engagement sera d’ailleurs étudiée plus
en détail dans la partie analytique de ce mémoire, notamment grâce aux apports des
professionnels interviewés dans le cadre de l’enquête qualitative qui accompagne le
questionnaire sur les usages numériques des citoyens-internautes.
D’autre part, D. Cardon évoque le nouveau paradigme économique basé sur les
algorithmes de « filtrage collaboratif ». Bien que des sociétés comme Google avec son
nouveau moteur de recherche personnalisé et Facebook et son ambitieux projet de Graphe
Social48
, n’ont cesse de répéter que les algorithmes permettront un filtrage « neutre» de
l’information, basé uniquement sur les intérêts des internautes, nul doute que les intérêts
commerciaux n’épargneront pas ce nouveau terrain susceptible de rapporter des millions de
dollars et les déformations en conséquence de cette introduction des géants de l’économie ne
tarderont pas à se faire sentir. Des activistes du web ont déjà commencé à mettre en garde
45
CARDON Dominique, « Vertus démocratiques de l’Internet », « Réinventer la démocratie » (Grenoble, 9 mai
2009) La République des idées. 46
CARDON Dominique. La démocratie Internet, promesse et limites. Paris, Seuil, La République des Idées,
2010. 47
Les Flash mobs ou « foule éclair » sont des pratiques issues de la culture numérique qui consiste à se donner
rendez-vous sur les réseaux sociaux ou par messagerie téléphonique, pour se retrouver à un endroit précis dans
les heures qui suivent (voire dans la demi-heure) afin de créer un effet de surprise généralisée. Ces pratiques, si
elles sont inoffensives et à visée humoristique, peuvent se politiser et constituer une véritable action de défiance. 48
« L'importance du graphe social mis à la mode par Facebook est telle que Tim Berners-Lee suggère que
nous sommes en train de passer du world wide web au giant global graph, le GGG. Au départ l'internet reliait
des ordinateurs entre eux? Le web permet de relier les documents. » in PISANI Francis, PIOTET Dominique,
Comment le web change le monde : L'alchimie des multitudes. Village mondial, 2008.
19
contre cette passation du pouvoir des gate-keepers à des robots algorithmiques constituant des
« bulles filtrantes »49
.
Cette évolution idéologique et économique du réseau des réseaux est, selon D.
Cardon, symptomatique d’un nouvel internet, produit de l’arrivée massive des nouveaux
utilisateurs, plus jeunes et moins imprégnés de la culture libertaire des premières années du
web : « Une tension de plus en plus forte se fait ainsi jour entre les militants de l’Internet du
premier âge et leurs enfants, entre les partageux du wiki et les pokeurs de Facebook, entre les
codeurs de communautés et les « customiseurs » de page MySpace, etc. »
Corpus II : Actions institutionnelles
Les administrations françaises et la numérisation : un problème de compréhension
Nous allons à présent synthétiser le contenu des articles de la deuxième catégorie que
nous avons intitulé « actions institutionnelles », en commençant par l’article de David
Alcaud50
et Amar Lakel51
: « Les nouveaux visages de l’administration sur internet : pour une
évaluation des sites publics de l’Etat ». Ce travail de recherche remonte jusqu’aux premières
années de la « conversion numérique », quand le discours sur la « numérisation » a été repris,
pour la premières fois, par les politiques français. En effet, c’est en 1999 qu’une circulaire qui
confie la responsabilité d’évaluer les sites internet de l’Etat à la délégation interministérielle à
la réforme de l’Etat (DIRE) a été mise en application. Cinq années plus tard, en 2004, D.
Alcaud et A. Lakel, entament leur enquête en choisissant d’étudier l’évolution des sites
internet ministériels. Les chercheurs indiquent qu’ils souhaitent insister, dans le cadre de leur
article, sur la genèse du « modèle français » de gestion de l’information publique. D’où
l’intérêt pour notre mémoire de recherche, notamment concernant notre seconde hypothèse
qui aborde les initiatives institutionnelles, dont la tout récente mouvance de l’Open data52
(données ouvertes).
L’objet de l’article étudié ici est de présenter une « coupe » dans le processus de
mutation des institutions françaises, dans le cadre de ce qui est entendu comme une future
« République numérique ». Les auteurs ont établi une grille d’évaluation reposant sur cinq
49
Eli Pariser: Beware online "filter bubbles", lien:
http://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles.html 50
Docteur en science politique, David Alcaud est Vice-président de la Fondation interdisciplinaire pour la
Recherche comparative en sciences sociales. 51
Docteur en information & communication et maître de conférences à l’université de Bordeaux III (MICA). Ses
recherches tournent autour de la gouvernance de l’internet et de l’administration électronique. 52
Data.gouv.fr est en ligne depuis février 2011.
20
domaines : « la mise à disposition des données publiques, la facilitation de l’accès aux
données, la mise en place de téléprocédures, le développement d’une culture mettant l’usager
au cœur des échanges et enfin l’objectif consistant à rendre l’administration communicante ».
Une première critique de la manière dont les institutions françaises se sont appropriés
les nouvelles technologies numériques a été relatée dans des travaux d’analystes comme
Thierry Carcenac et Jean Paul Baquiast, qui ont vu dans l’adoption de l’internet par certaines
administrations un « nouvel outil de communication et de présentation (« sites vitrines ») à
condition qu’elles ne remettent pas en cause les habitudes de travail, les statuts et la culture
administrative de chacun ». Cela rejoint la première hypothèse émise par les auteurs de
l’article sur le déploiement des nouveaux réseaux comme une infrastructure en plus, qu’il
faudrait juste mettre en place et passer à autre chose, une affaire de « tuyaux » pour reprendre
l’expression des auteurs. Ce constat qui date d’une dizaine d’années, est particulièrement
intéressant pour la recherche que nous menons ici, puisqu’une partie importante des personnes
interrogés dans le cadre de ce mémoire, sont des spécialistes de la communication digitale des
administrations et des hommes politiques. Il sera donc l’occasion de vérifier si en 2012, ces
affirmations sont toujours d’actualité.
Dans les années 2000, Laurent Fabius, ministre de l’économie, des finances et de
l’industrie, relance le débat sur le numérique en en faisant, pour la première fois, une priorité
pouvant amener à un changement et à un renforcement de l’éthique démocratique. Trois ans
plus tard, Michel Sapin, en charge de l’administration électronique, lance le « service
personnalisé qui s’adapte à chaque citoyen » (mon.service-public.fr). Ceci constitue, selon les
auteurs de l’article, « le point ultime d’une réflexion sur la modernisation des administrations
qui s’appuie sur les téléservices53
»
Puisque l’étude se présente comme empirique, il serait utile de relever de cet article
quelques chiffres qui pourront constituer des repères dans l’ensemble du travail de recherche
mené. En 2001, selon la DIRE, 80% des sites web avaient une dimension institutionnelle,
mais seulement 14% proposaient un portail et 22% avait des rubriques par thématique. En
l’espace de 3 ans, le second chiffre a augmenté à 64% de portail et les sites catégorisés par
thématique à 60%. Les auteurs en concluent que les administrations ont dépassé la phase des
« sites vitrine » pour proposer un véritable service d’information et une base de données
53
« D’ici 2005, l’ensemble des services publics sera devenu des téléservices publics », Sapin (Michel), « La
deuxième étape de l’administration électronique commence à Hourtin », Hourtin, Université d’été de la
Communication, 21 août 2001.
21
publique accessible au plus grand nombre. Une critique, toutefois, concerne l’avancement des
sites de téléprocèdures, qui sont restés, sur le même laps de temps, au même niveau, c’est-à-
dire à très peu de chose. Les seuls sites institutionnels qui proposent ce genre de procédure
restent, en effet, ceux qui administrent la levée de l’impôt. Les auteurs ne se sont pas privé de
jeu de mots en craignant « la réduction de l’ « Etat cybernétique » à un « Etat Cash
Machine » »
D’autre côté, la part positive de cette ouverture progressive des données publiques
permet une transparence inédite qui consiste en une publication quasi en temps-réel de toutes
les activités administratives. Le citoyen peut aujourd’hui accéder à des données jusque-là
réservée aux experts. Bien que l’ouverture de ce genre de flux d’informations n’a pas de
conséquences immédiates, on pourrait très bien s’attendre à un fleurissement de nouveaux
secteurs de l’information, qui consisterait à mettre en lien ces différentes données et en faire
des informations utiles aux citoyens. Les auteurs rappellent, cependant, la lenteur
considérable de la diffusion de ces données, en comparaison avec les autres catégories de sites
administratifs comme ceux qui s’occupent de l’autopromotion institutionnelle. Le projet d’une
« hyper-République » semble encore avoir du chemin à faire, et les institutions françaises
n’arrive pas à rompre totalement avec cette vision très « fonctionnelle » des NTIC, les
considérant plutôt comme des techniques rentrant dans des services déjà en place (très
souvent ceux de la communication) plutôt que des terrains nouveaux et innovants, dans
lesquelles il faudrait dorénavant s’investir.
En conclusion, D. Alcaud et A. Lakel explique la difficulté qu’ont ces initiatives
institutionnelles à « mettre l’usager au cœur du processus de changement », ceci serait du à
l’architecture verticale des projets entrepris (réforme venant « d’en haut » et donc, préservant
une certaine hiérarchie), ce qui ne semble pas toujours fonctionner dans un internet réticulaire,
qui ne se laisse pas facilement dompter par les transpositions de hiérarchies du « monde
réel ». Et c’est par une citation très intéressante de Norbert Alter, que les auteurs bouclent leur
analyse : « C’est par la construction du sens, qu’une invention technique devient une
innovation sociale ». Les institutions actuelles ne sont peut-être plus aptes à créer du sens
autour de leurs initiatives, et c’est peut-être ce que l’on désigne aujourd’hui comme étant une
« crise idéologique ».
22
Partis politiques et « engagement faible » : cas du PS
Le deuxième article phare de cette catégorie consacrée aux institutions, est le travail de
Thierry Barboni54
et Eric Treille55
, intitulé : « L’engagement 2.0 : Les nouveaux liens
militants au sein de l’e-parti socialiste ». Il s’agit cetet fois-ci d’évaluer le degté d’implication
d’un parti dans le web politique et d’essayer de dresser un bilan analytique de l’engagement
du citoyen-internaute dans des partis politique ayant rejoint la mouvance numérique.
Cette mouvance qui est une réponse au besoin de renouvellement des formes de
l’engagement politique, selon les auteurs, a été évoquée dans des travaux de la fin des années
1990, qui démontrent effectivement une chute considérable du nombre d’adhérants aux partis
politique traditionnels dans les pays démocratiques.56
L’engouement pour le numérique serait
symptomatique d’une sphère politique ayant du mal à réformer ses structures face à un besoin
de « démocratisation » accru. Internet se présenterait en quelque sorte « comme l’ultime
moyen de rapprocher enfin els citoyens des partis.57
»
Le travail présenté ici a comme but d’examiner la corrélation entre les objectifs de
l’engagement partisan « réel » et ceux des usages partisans singuliers, rendus possible par les
technologies numériques. Le PS sera choisi comme terrain d’étude car il constitue, selon les
auteurs, un exemple concret de parti ayant profondément transformé le militanstisme de ses
membres dès le début des années 1990.58
Cette nouvelle forme d’engagement au sein du PS
permettrait de « faire cohabiter » les militants « réels », qui participent physiquement et les
adhérents « virtuels » qui ne s’engagent que par Internet et plus ponctuellement
physiquement » comme cela a été d’ailleurs clairement revendiqué par Benoît Thieulin, le
concepteur de la Coopérative politique (Coopol)59
.
T. Barboni et E. Treille parlent d’ « évolution sémantique » lorsqu’ils évoquent le
qualificatif « militant » dans le PS numérisé. Être militant au PS aujourdh’ui signifie faire
54
Thierry Barboni est doctorant et attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) en science
politique à l'université Paris I 55
Membre du Centre de recherches sur l'action politique en Europe (CRAPE), et du CNRS-IEP de Rennes-
Université (Rennes I) 56
Russel J. Dalton, Martin P. Wattenberg, Parties without Partisans. Political Change in Advanced Industrial
Democracies, Oxford, Oxford University Press, 2000.
Peter Mair, Ingrid Van Biezen, « Party Membership in the European Democracies, 1980-2000 », Party Politics,
(1), 2001, p. 5-21. 57
57
Matthew R. Kerbel, Netroots. Online Progressives and the Transformation of American Politics, Boulder,
Paradigm Publishers, 2009. 58
Rémi Lefebvre, « Le sens flottant de l'engagement socialiste. Usages et effets de la démocratisation interne au
PS », dans R. Lefebvre, A. Roger (dir.), op. cit., p. 115. 59
« Coopol est une membrane qui permet de “flouter” la frontière entre sympathisants et militants »
23
partie d’une « entreprise partisane » sans pour autant être adhérant « physique » au parti. Le
web serait ainsi devenu un outil de fluidification des rapports qui unissent le PS et tout
citoyen ayant des sensibilités proches du Parti. Il est désormais possible de participer à
l’élaboration de projets politiques au sein du PS sans se soumettre aux régles de l’engagement
« classique ». Nous évoquerons certainement la notion d’ « engagement faible » au cours de
ce mémoire, les auteurs de l’article, eux, parleront d’ « individualisation de différenciation »60
Cette évolution a permis au PS de développer un militantisme socialiste sur Internet, assez
conséquent.61
La Coopol serait, selon T. Barboni et E. Treille, un dispositif encourageant un certain
« empowerment militant » dont bénéficieraient à la fois les citoyens, allégés des contraintes
d’un engagement de type traditionnel, et les représentants du parti qui s’ouvrent à des
ressources militantes quasi infinies. Mais ceci est-il suffisant pour que les internautes
participent massivement à la vie politique par le biais du web ? Aucun chiffre sur l’utilisation
du web en tant que plateforme politique n’a été avancé dans cet article de recherche. Parmi les
questions posées dans l’enquête menée dans le cadre de ce mémoire auront donc comme
objectif d’évaluer le degré d’implication des citoyens-internautes dans des espaces politiques
rendus plus accessibles et moins nécessiteux en temps en engagement.
Les TIC et les partis politiques : rupture ou réappropriation ?
Dans la continuité des travaux traitant de l’utilisation des TIC par les partis politiques,
nous allons conclure cette catégorie en synthétisant le travail de Godefroy Beauvallet62
et
Maurice Ronai63
: « Vivre à temps réels : Le renouvelemment des pratiques militantes autour
des TIC est-il possible au sein des partis du gouvernement ? ».
L’une des principales hypothèses avancées par les auteurs de cet article est que l’essor
de l’internet serait en train de bousculer les organisations traditionnelles et participerait à une
60
« Une individualisation de différenciation est une affirmation des individus en tant qu'individus singuliers,
différenciés, irréductibles à autrui ni à aucun rôle social » : Christian Le Bart, L'individualisation, Paris, Presses
de Sciences Po, 2008, p. 26. 61
Comme le démontre encore la cartographie de la blogosphère politique française, donnant toujours le PS à la
tête du classement : http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/02/la-gauche-domine-le-
web-politique_1636754_1471069.html 62
Directeur de la stratégie et des affaires financières, Institut TELECOM, et chercheur associé à TELECOM
Paris Tech. http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-commando-de-la-matignon-valley_16206.html
63
Maurice Ronai est un homme politique, auteur de documentaires et ingénieur de recherche français. Délégué
national du Parti Socialiste pour les technologies de l'information, de 2003 à 2008, il était chargé, en 2006 et
2007, des questions numériques dans l'équipe de Ségolène Royal et, à ce titre, rapporteur du rapport Rocard
« République 2.0 ». http://www.ronai.org/
24
crise des partis politiques et des syndicats traditionnels, qui seraient réduits à des « coquilles
vides » (hypothèse qui se rapproche donc de celle avancée par Benjamin Loveluck dans
l’article que nous avons analysé précédemment). Cette tendance serait encore plus accentuée
par un second bouleversement paradigmatique qui, celui-ci, toucherait le fondement même du
combat politique : il s’agit des nouveaux objectifs des mobilisations politiques que Manuel
Castells résume en cette phrase : « prendre le pouvoir dans les têtes, pas dans l’Etat. »
Dans ce travail de recherche, G. Beauvallet et M. Ronai ont pour objectif de relever,
dans les partis politiques traditionnels, des comportements analogues à ce qui se fait
actuellement dans les nouveaux mouvements sociaux qui ont vu le jour, notamment grâces
aux NTIC. Ils ont choisi comme objet d’analyse Temps réels , la section virtuelle du Parti
Socialiste.
Les fondateurs de Temps réels s’étaient donné comme objectif la création d’un « parti-
réseaux » capable de mobiliser des compétences autour de problèmes précis. Militantisme
informationnel, ou « militantisme logiciel » selon l’appellation des auteurs, cette mobilisation
des ressources centrée sur la publication d’informations peut s’apparenter à un
« néomilitantisme » basé sur des liens d’ « engagement faible ». Mais « néomilitantisme » ne
signifie pas systématiquement un militantisme critique des forces idéologiques dominantes.
Comme le souligne encore une fois Manuel Castells64
: « toutes les actions collectives
conscientes d’elles-mêmes qui visent à transformer les valeurs et les institutions de la société,
se manifestent sur et par internet. ». Ce qui est intéressant à relever, ceci dit, c’est l’image de
puissance et de pro-activité constante sur les réseaux numériques, des idéologies peu
représentées dans l’espace médiatique traditionnelles, ce qui ne signifie nullement que les
groupes idéologiques en question sont mieux organisés ni plus importants en nombre. Internet
serait, in fine, l’espace qui rend plus visible, ceux qui demeurent invisibles sur l’espace public
traditionnel.
Les résultats des auteurs de cet article, sur l’examen des transformations des pratiques
militantes au sein des partis de gouvernement, tendent à infirmer l’hypothèse de départ : il est
certes factuel que les TIC sont plus favorables à des formes néo-partisanes étrangères aux
fonctionnements des partis politiques traditionnels. Toutefois, ces partis sont en train de
surmonter les blocages (techniques et organisationnels) et avancent considérablement dans
l’appropriation des technologies numériques et dans leur adaptation à de nouvelles formes
64
CASTELLS M. (2001) La Galaxie internet, Paris, Fayard.
25
d’activisme politique. Il reste qu’en introduisant ces nouvelles techniques, ils induisent des
transformations considérables dans les rapports de pouvoir au sein de ces partis, entre
« responsables de l’élaboration programmatique et de la communication médiatique d’une
part, et des instances de terrain responsables de la machine électorale (sélection des
candidats, par exemple) et des actions militantes de proximité, d’autre part. »
Corpus III : Actions citoyennes
Le vote en ligne : un premier pas vers la démocratie électronique ?
Maintenant que nous avons synthétisé les recherches qui ont porté sur les grandes
théories du web politique et sur quelques initiatives institutionnelles, nous allons désormais,
nous intéresser aux travaux portant directement sur les citoyens. Comment les citoyens-
internautes accueillent-ils les nouvelles possibilités offertes par les NTIC ? Un premier travail
de recherche, par Eric Maigret et Laurence Monnoyer-Smith aborde la question du vote en
ligne, un projet très discuté ces dix dernières années.
Cet article est d’un intérêt particulier pour la recherche menée dans ce mémoire, car il
apporte des éléments nouveaux qui n’ont pas été abordés dans les ouvrages généraux ni dans
les articles consultés jusqu’ici. Concernant le vote en ligne, E. Maigret et L. Monnoyer-Smith,
insistent sur la portée ambitieuse de ce projet : « Il ne s’agit pas seulement d’offrir une
technique de vote supplémentaire aux électeurs, mais de reconstruire une « Démocratie forte
» dans le sens que B. Barber donne à cette expression 65
». Un autre apport fort de cet article
est la dimension critique du discours techniciste. Les auteurs commencent par présenter des
travaux questionnant l’utilisation des TIC dans une perspective différente de celle qui consiste
à assigner à l’innovation technologique les mérites de toute (r)évolution sociale66
. Cette
approche rejoint certains travaux des années 1990, notamment ceux de Dominique Wolton67
.
Enfin, ce travail par E. Maigret et L. Monnoyer-Smith arrive suite à la nécessité de
« réfléchir aux implications politiques et symboliques de l’utilisation des NTIC dans les
65
« Promouvoir une culture civique plus proche des concepts de participation, de citoyenneté et d’interactivité
politique qui sont ses vertus essentielle » in BARBER B. (1997), Démocratie forte, Paris, Brouwer. 66
ARTERTON C. (2000), « La technique est-elle au service de la démocratie ? Extraits », Hermès, 26-27, p.
115-129. 67
« Tout le sens de mon travail de chercheur, dans la filiation d’une tradition certes minoritaire mais dynamique
sur le plan intellectuel et théorique, est d’essayer d’expliquer pourquoi l’essentiel, dans un système de
communication, n’est pas la technique. On retrouve avec les techniques de communication l’idéologie technique
qui a largement sévi depuis un siècle dans d’autres secteurs industriels, mais qui est ici particulièrement
prégnante. » in Internet, et après ?, D. Wolton
26
processus de vote », ce qui s’inscrit directement dans le questionnement global de ce
mémoire.
Cette étude commence par donner le bilan des dernières avancées en matière de vote
en ligne (jusqu’à la date de publication de l’article, en 2002). Toutes les recherches réalisées
jusqu’ici insistaient sur la nécessité d’envisager le vote en ligne en plusieurs phases et sans
que sa finalité soit le remplacement du vote traditionnel, mais plutôt de proposer une modalité
complémentaire de participation électorale. De nombreux pays ont déjà entamé des
procédures d’ « informatisation» du vote en commençant par créer un cadre légal adéquat.
L’Allemagne, la Suède et la Finlande autorisent, par exemple, le vote par correspondance68
.
La Belgique, depuis 1985, utilise un vote électronique off-line pour des besoins de décompte
(grâce à un système d’urne électronique sans impact réel sur le vote en lui-même). Au Brésil,
le système de carte magnétique permettant un décompte sécurisé, existe depuis 199669
.
L’expérience la plus célèbre en ce domaine demeure toutefois celle des élections primaires du
Parti Démocrate en Arizona en mars 200070
, où l’augmentation de 600% du nombre de
votants a marqué un succès retentissant.
De manière générale, la mise en place d’un système de vote en ligne suit plusieurs
étapes dont on peut notamment retenir le passage d’un vote électronique avec déplacement
(Poll-Site Internet Voting) à un vote électronique entièrement à domicile (Remote Internet
Voting). En Europe, plusieurs projets d’expérimentation du vote en ligne sont en cours, dont
on peut citer les projets E-POLL71
, EUROCITI72
, et CYBERVOTE73
Les deux problématiques du vote en ligne, relevées par les auteurs de l’article, sont
d’une part, l’évaluation du degré de sécurité des dispositifs mis en place (ce qui pose la
question de la confiance accordée à la fois à la technique et aux institutions responsables de la
gestion de ces dispositifs) et d’autre part, la nature même du « citoyen numérique » et de
l’acte citoyen dans une société démocratique numérisée. C’est surtout cette deuxième
problématique qui nous intéresse au vu des hypothèses avancées dans ce mémoire de
recherche. La question telle qu’elle a été posée par les auteurs de l’article est la suivante :
68
20 % des électeurs de Hambourg et 30 % de ceux de Munich ont voté par correspondance lors des élections
législatives de 1998. 69
« 57 % des électeurs ont ainsi voté par voie électronique. On comprend ici l’intérêt d’une telle technologie :
elle évite les pratiques de bourrage d’urnes trop fréquentes au goût des élus brésiliens.» 70
Mohen J. et Glidden J., “The Case for Internet Voting: the Arizona Democratic Presidential Preference
Primary”, disponible sur www. election.com. 71
www.e-poll-project.net 72
www.euro-city.org 73
www.eucybervote.org
27
« Dans quelle mesure le développement du vote par l’internet à distance fait peser une
menace sur l’un des symboles républicains les plus fondamentaux de la démocratie
représentative ? ». Cette question est d’autant plus intéressante que les études sociologiques
portant sur l’appréciation du citoyen de ces nouvelles techniques demeurent minoritaires,
comme le souligne les auteurs à juste titre : « Si la recherche de solutions techniques
concentre aujourd’hui l’essentiel des efforts, aucun travail sociologique n’a encore été mené
auprès des usagers afin de comprendre comment ils appréhendent la fiabilité du système.
Seront-ils trop suspicieux pour confier leur vote à une technologie sur laquelle ils n’ont
aucun moyen de contrôle ? » Ce mémoire de recherche a justement l’ambition de sonder
cette opinion publique dont aucune technique ne peut, in fine, fonctionner sans sa
collaboration consentante.
Parmi les inquiétudes relevées par E. Maigret et L. Monnoyer-Smith et qui seront
étudiées durant l’enquête quantitative qui sera conduite dans le cadre de ce mémoire, figurent
la question de la confidentialité du vote (« une vieille crainte européenne dont on comprend
aisément l’origine ») ainsi que les risques de pression au sein des familles (absence de
l’isloir). Enfin, et en dehors des considérations technologiques, la dimension symbolique du
vote se retrouve également questionnée par l’émergence de ces nouvelles possibilités
techniques. Toutes ces potentielles causes de réticence des citoyens vis-à-vis des NTIC seront
reprises dans notre enquête, mais nous prendrons également le soin de chercher d’autres
éléments dans les témoignages recueillis chez les personnes sondées.
Empowerment citoyen entre remédiation, bricolage et participation
Pour comprendre davantage ces mutations sociales, un second article par Laurence
Monnoyer-Smith vient apporter, neuf ans après la publication du premier, quelques éléments
de réponse.
Dans son travail intitulé « La participation en ligne, révélateur d’une évolution des
pratiques politiques ?» L. Monnoyer-Smith revient sur la notion de « culture participative »
en questionnant l’engagement politique et l’affirmation selon laquelle celui-ci serait en déclin
dans les pays démocratiques. Internet est bien évidemment l’élément central de cette
réflexion : tandis que les cyber-optimistes voient en ce nouvel espace « un médium de
diffusion de l’information rapide, peu cher, alternatif aux grands médias et dont le contrôle
par les pouvoirs économiques ou politiques est, sinon impossible, du moins difficile à mettre
en œuvre sur le long terme», les cyber-réalistes mettent surtout le doigt sur l’existence d’un
28
fossé numérique au sein de la population qui est loin d’être connectée dans sa totalité, ainsi
que la soumission du web à une nouvelle fragmentation faisant de nouveaux leaders d’opinion
et de nouveaux délaissés juste comme dans les médias traditionnels. Des auteurs comme M.
Hindman remettent donc en question les supposés vertus démocratiques de la blogosphère :
« Parler des blogs comme donnant du pouvoir aux citoyens ordinaires repose sur une double
erreur lorsque les top-bloggeurs sont plus éduqués, majoritairement masculins et
culturellement moins divers que l’élite des médias pourtant largement critiqués par ces
mêmes blogs74
. »
Mais au-delà d’une comparaison des littératures optimistes et moins optimistes vis-à-
vis des NTIC, cet article a pour vocation d’étudier la notion même de « participation
politique » dans une multitude d’espaces d’expression en continuelles mutations. Il s’agit dans
un premier temps de définir la « culture numérique » avant de s’attarder sur les trois courants
qui, selon l’auteur, constituent le web politique : le courant contre-hégémonique, le courant
expressiviste et le courant constructiviste ou post-dialogique.
L. Monnoyer-Smith parle donc d’émergence d’un nouveau système de valeurs, que le
milieu de la recherche essaye de saisir depuis des décennies dèjà. Que l’on parle d’
Information culture75
, Free culture76
, Remix culture77
, Cyberculture78
, Interface culture79
,
Internet culture80
, Digital culture81
, Convergence culture82
…Les nouvelles formes
d’engagement politique à l’ère numérique restent difficiles à théoriser. L’un des travaux les
plus proéminents sur le sujet, est celui de M. Deuze sur le blogging et le journalisme en ligne
(dit aussi Indymedia), qui définit la culture numérique comme « un système de valeurs
émergentes et un ensemble d’attentes particulièrement exprimées par les producteurs et les
usagers des médias d’information, alors que je comprends les pratiques mises en œuvre dans
le cadre de la culture numérique comme une expression de l’individualisation, du
postnationalisme et de la globalisation83
». Ces définitions sont particulièrement intéressantes
pour notre recherche puisque nous évoquerons la notion de « culture numérique » dans notre
74
Hindman M., The Myth of Digital Democray, Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 133. 75
Manovich L., The Language of New Media, Cambridge/Londres, MIT Press, 2001. 76
Lessig L., Free culture. 77
Lessig L., Remix: Making Art and Commerce Thrive in the Hybrid Economy, Londres, Bloomsbury Academic,
2008. 78
Lévy P., Cyberculture, Paris, Odile Jacob, 1997. 79
Johnson S., Interface culture, New York, Preseus Books, 1997. 80
Castells M., La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2002. 81
Deuze M., « Collaboration, participation and the media », New Media and Society, 8(4), 2006, p. 691-698. 82
Jenkins H., Convergence Culture: Where Old and New Media, New York, New York University Press, 2006. 83
Deuze M., « Collaboration, participation and the media », p. 2.
29
analyse des usages citoyens du web aussi bien que dans nos entretiens avec des professionnels
autour de l’adaptation des institutions et des hommes politiques à la culture du web.
D’autres part, dans une démarche proche de celle conduite par les détracteurs du
discours « techniciste »84
, Jenkins donne une définition de la convergence numérique,
fortement marquée par les mutations anthropologiques et sociales : « la convergence ne se
produit pas par le biais de technologies médiatiques, aussi sophistiquées puissent-elles
devenir. La convergence se situe dans le cerveau des consommateurs individuels et à travers
leurs interactions sociales avec les autres. Chacun de nous construit sa propre mythologie à
partir de bribes d’information extraites du flux médiatique, se transformant en véritables
ressources à travers lesquelles nous donnons du sens à nos vies quotidiennes85
. Ces concepts
de base nous seront fort utiles dans l’élaboration de nos outils d’enquête sociologique, les
usages et les pratiques individuelles des internautes étant un élément central dans l’examen
des nouvelles formes d’engagement politique. Ainsi, nous pouvons désormais parler des
nouvelles formes qui définissent la culture numérique : la remédiation (comprise comme un
composite sémiotique – ou remix – entre anciens et nouveaux médias), le bricolage («
création d’objets à partir de matériaux accessibles en ligne, réutilisant des artefacts existants
pour en incorporer certains éléments »86
) et la participation. ». C’est trois points seront
abordés durant la phase d’observation de ce mémoire (questionnaires).
L. Monnoyer-Smith évoque ensuite, les travaux qui traitent des insuffisances
institutionnelles vis-à-vis de cette culture numérique émergente qui se divisent en trois
courants majeurs. Le premier, qualifié par D. Cardon et F. Granjon de « courant activiste
contre-hégémonique »87
dénonce la domination symbolique exercée par des médias de masse
engrangés dans une boucle d’autoproduction des idées dominantes. Internet serait alors,
depuis les années 1980, cet ultime espace qui va permettre la diffusion de discours alternatifs
et contre-hégémoniques, de manière quasi exponentielle.
Le deuxième courant dit « expressiviste », largement diffusé en France par Laurence
Allard et Olivier Blondeau88
, définit la culture numérique comme un « capital capacitant »89
,
84
Cf. les travaux de P. Breton et de D. Wolton cités dans la bibliographie du présent mémoire. 85
Jenkins H., « Introduction: Worship at the Altar of Convergence», Médiamorphoses, 21, 2007, p. 35. 86
Hartley J., Communication, cultural and media studies, Londres, Routledge, 2002, p. 22. 87
Cardon D., Granjon F., Médiactivistes, p. 13 et s. Voir également l’article des mêmes auteurs, qui est étudié
dans le cadre de ce mémoire : « Peut-on se libérer des formats médiatiques ? Le mouvement alter-mondialisation
et l'Internet », Mouvements, 2003/1 no25 88
Allard L., « L’impossible politique des communautés à l’âge de l’expressivisme digital », Sens Public, 7-8,
2008, p. 105-126 ; Allard L., « Britney Remix ».
30
puisqu’elle « fournit aux amateurs éclairés la possibilité d’explorer et de se construire une
identité à partir des éléments de contenus qui sont rendus disponibles en ligne. » Il s’agit
donc moins de contrer une domination idéologique que de construire son propre discours et de
le diffuser auprès d’une large audience. L’empowerment citoyen retrouve ici toute sa
signification : « Le public à qui on a donné le pouvoir de s’exprimer grâce à ces nouvelles
technologies et qui occupe désormais un espace à l’intersection des anciens et des nouveaux
médias exige de participer à cette culture90
. » La réaction des institutions vis-à-vis de cette
« autonomisation citoyenne » est critiquable selon L. Allard et O. Blondeau qui voient dans le
déploiement de toutes sortes d’initiatives institutionnelles de « grosses machineries, sortes de
cathédrales, développées naguère par les pouvoirs publics et les promoteurs de débat public
pour expérimenter une e-democracy conçue comme un deus ex machina » Il est intéressant de
mettre en perspective ces critiques avec les constats d’autres chercheurs ayant travaillé sur ces
interfaces (voir la conclusion de l‘article de D. Alcaud et A. Lakel, cité quelques lignes plus
haut) ainsi que les témoignages recueillis durant l’enquête menée dans le cadre de ce
mémoire.
Le dernier courant enfin, désigné par L. Monnoyer-Smith comme « post-dialogique »
(« dans le sens où il endosse la critique du dialogisme tant habermassien que latourien »
explique l’auteur), considère la « révolution internet » moins comme une montée massive
d’actions citoyennes « réelles » médiées par ordinateur, que la naissance d’une nouvelle
« expérience continue d’échanges discursifs, d’actes et d’engagement plus ou moins
militants. » P. Dahlgren en donne une définition intéressante, qui met en évidence le degré de
« politicité » des usages quotidiens du citoyen-internaute : « à travers ces pratiques civiques
performatives, le non-politique peut devenir proto-politique, qui à son tour peut se développer
et devenir proprement politique. Le politique peut alors à son tour se convertir en décisions
politiques plus formelles91
». Nous aurons l’occasion d’évaluer la prégnance de ces pratiques
performatives dans les habitudes numériques des citoyens connectés. Le terme « proto-
politique » sera d’ailleurs utilisé plus que les autres terminologies proposées pour définir cet
ensemble de pratiques liées au web (mèmes, bricolages, etc.)
C’est sur ce troisième et dernier courant que L. Monnoyer-Smith conclue son article
en rappelant combien la dimension anthropologique reste déterminante dans l’usage des
89
L’expression n’est pas des auteurs. 90
Jenkins H., « Introduction: Worship at the Altar of Convergence », Médiamorphoses, 21, 2007, 35, p. 36. 91
Dahlgren P., Media and Political Engagement. Citizen, Communication and Democracy, Cambridge,
Cambridge University Press, 2009.
31
techniques aussi révolutionnantes soient-elles. Ce constat rejoint d’autres travaux de
recherche démontrant les limites du discours techniciste92
. La question à poser selon L.
Monnoyer-Smith ne serait plus : « est-ce que l’internet va changer la participation ? », mais
plutôt « comment la participation politique va-t-elle se reconfigurer dans un environnement
médiatique qui se restructure et s’articule de façon inédite ? ».
Sur la « fracture numérique » et la population des non-usagers
Nous allons maintenant revenir sur la notion des usages et des non-usages, puisque
cette catégorie du corpus traite des « initiatives citoyennes ». Nous ne pouvons, en effet,
négliger l’importance de ce que l’on désigne comme une « fracture numérique »93
dans la
compréhension des engagements citoyens à l’ère de l’internet. L’article d’Annabelle Boutet94
et de Jocelyne Trémenbert95
, intitulé « Mieux comprendre les situations de non usages des
TIC : Le cas d’Internet et de l’informatique » nous donne une réflexion méthodologique très
intéressante sur les indictaurs de cette « exclusion dite numérique ».
Cet article présente une enquête empirique menée auprès d’une population de « non-
usagers » avec comme vocation la restitution des facteurs potentiels de l’exclusion numérique.
Il est aujourd’hui évident que la « fracture numérique » ne peut être abordée uniquement en
termes d’accessibilité aux technologies de l’information. Les récents travaux sur les situations
de non-usage, comme l’indique à juste titre les auteurs de cet article, démontrent en effet une
multitude de facteurs à la fois socio-économiques et culturels, qu’il convient de décortiquer
d’avantages.96
Après avoir mené un travail de méta-analyse sur les outils d’observation utilisés
(limites et risques de surévaluation due à ces méthodes) pour sonder une population de non-
usagers particulièrement difficile d’accès, A. Boutet et J. Trémenbert vont présenter les
premiers statistiques de leur enquête. Par une logique d’inversement des chiffres entre
usagers et non-usagers, les auteurs constatent une relation entre des critères
92
Cf. Jeanneret Yves, Souchier Emmanuël. La communication médiatisée est-elle un « usage » ? in
Communication et langages. N°132, 2ème trimestre 2002. pp. 5-27. 93
L’ouvrage de Fabien Granjon et Julie Denouel, Communiquer à l'ère numérique. Regards croisés sur la
sociologie des usages, a été consulté sur cet aspect-là de la conversion numérique. 94
Enseignant Chercheur au département LUSSI de Télécom Bretagne, membre du Conseil Scientifique du Gis
M@rsouin et Docteur en Sciences Politiques, Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence 95
Responsable des enquêtes de l’observatoire OPSIS (Observatoire et prospective sur la société de l’information
et ses services) 96
Ce type d’enquête est d’autant plus primordial qu’il concerne une frange importante de la société : 32,8% de la
population française n’a toujours pas d’accès à internet, en décembre 2011. Source :
http://www.internetworldstats.com/stats4.htm
32
sociodémographiques, socio-économiques et l’usage des NTIC. En effet, 7% des non-usagers
ont entre 12 et 17 ans, 91% ont 70 ans et plus, 4 personnes sur 5 sont non-diplômées, etc.
Afin de mieux élucider les résultats de leur enquête menée dans le quartier de
Kérourien à Brest, A. Boutet et J. Trémenbert vont utiliser une classification proposée par
Lenhart lors d’une enquête sur les usages d’internet, débutée en 2003 aux Etats-Unis97
. La
typologie des non-usagers est comme suit : 1. Les ‘evaders’ – que nous traduirons par « ceux
qui se dérobent » – 2. les ‘dropouts’ – « ceux qui renoncent », autrement dit les
abandonnistes – 3. Les ‘intermittent users’ – « intermittents de l’usage » – et 4. Les ‘truly
unconnected’ – pour nous « non-usagers absolus ».
L’étude de Kérourien, qui débuta en 2006, avait pour objectif de « faire émerger les
freins, les représentations et les attentes à la fois de ceux qui avaient une pratique déjà
ancienne, des néophytes et des non-usagers ». Une deuxième étude complémentaire sera
menée par les deux chercheuses en 2007-2008 avec une dimension beaucoup plus interactive.
La vocation de cette observation participante est de récolter des informations sur les non-
usages en mobilisant à cet égard les habitants, qui seront eux-mêmes aptes à mener une
enquête dans leur quartier.
L’un des résultats les plus intéressants concerne ce que les auteurs appellent les
« proxies »98
. L’enquête a, en effet, démontré que les chances de passer d’un statut de non-
usager à un statut d’usager, dépendaient largement de la présence de ces « proxies » dans
l’entourage proche des personnes consultées. Les non-usagers n’évoluent donc pas forcément
dans un environnement dénué de technologies, mais sont pour la plupart « en retrait » par
rapport aux acteurs dont les pratiques numériques sont foisonnantes.
Le constat global de cette étude a mené les auteurs à considérer une seconde hypothèse
qu’il conviendrait de traiter postérieurement : « De même que l’usager construit sa pratique,
le non-usager construit sa non-pratique à travers des comportements (rejet, contournement,
médiation, etc), des attitudes et des représentations ». Les moyens employés pour mener à
bien une future enquête dans ce sens, devront selon les auteurs, s’inscrire dans une démarche
anthropologique, « c’est-à-dire une description du quotidien tel qu’il est augmenté ou pas par
97
Lenhart A., Horrigan G, Rainee L., Allen K., Boyce A., Madden M., O’Grady E., The ever-shifting internet
population. A new look at internet access and the digital divide., Washington, The Pew internet and American
life project, april 16, 2003. 98
« Les proxies sont ces personnes qui apportent une aide ou agissent en lieu et place d’une autre pour
accomplir des actions sur internet ».
33
les artefacts ». Une remarque très utile, autant que les éléments fournis par cette enquête et
qui seront d’une très grande aide dans l’élaboration de mon mémoire de M2, la continuité du
présent travail de recherche et qui traitera justement de la question des non-usages.
Corpus IV : Ouvrages généraux
La sélection des ouvrages généraux s’est faite sur trois critères déterminants. Le premier
étant un critère de généralité : les ouvrages choisis traitent de manière universelle de
l’avènement du web et de ses impacts (économiques, politiques, sociales etc.), chacun d’un
point de vue différent : pragmatique dans le cas de L’Homme numérique de N. Negroponte et
Comment le web change le monde (F. Pisani), plutôt théorico-fondamental en ce qui concerne
les ouvrages de P. Breton et de D. Wolton, et analytico-discursif pour P. Flichy, D. Cardon et
F. Granjon. Enfin, l’ouvrage de Pierre Rosanvallon est une référence incontournable pour
saisir les grands concepts de la théorie politique (définition de la démocratie, entre autres).
Le second critère concerne le positionnement des auteurs entre techno-optimisme et
techno-scepticisme. En effet, il est important d’avoir un corpus représentatif des différents
points de vue et relatifs aux attentes que l’on pouvait avoir par rapport à l’émergence des
NTIC. Ainsi, les travaux de P. Breton et de D. Wolton se situent plutôt dans la mouvance
sceptique tandis que L’Homme numérique de N. Negroponte peut s’apparenter à une vision
plus ou moins « prophétique ». Enfin, les travaux les plus récents ont l’avantage d’être plus
descriptif et beaucoup moins catégoriques, signant ainsi la fin des positionnements figés qui
ont marqué le tournant des années 1990.
Le troisième critère est d’ordre chronologique. En sélectionnant la moitié des ouvrages
dans les publications les plus récentes (une à 2 années) et l’autre moitié dans des publications
datant d’il y a cinq années et plus, le corpus constitué a l’avantage de donner une vision
générale du développement des théories de la communication, et permet une analyse
progressive de ces hypothèses à mesure que les NTIC évoluent dans le temps. D’autre part,
cette division entre ouvrages récents et ouvrages moins récents, révèle une singularité
intéressante : plus on avance dans le temps, plus les travaux sur le web et les NTIC
s’intéressent aux usages individuels, s’éloignant ainsi des grandes théories universelles des
années 1990 (Autoroutes de l’information, « village global » etc.)
34
Problématisation et hypothèses
Dans la continuité des questions de recherche qui ont été formulées durant la première
partie de ce mémoire, la problématique devra les contenir de façon concise afin que les
hypothèses émises puissent répondre, de manière complète, aux questionnements initiaux.
La problématique a été formulée de la manière suivante :
L’émergence des NTIC - et plus particulièrement du web 2.0 - modifie-t-elle la
perception qu’a le citoyen de la démocratie ?
Hypothèse 1 : Le citoyen connecté baigne dans un environnement numérique (culture
participative), dont les mécanismes sophistiqués (démocratie directe) rendent le système
institutionnel du monde « réel » (système électoral-représentatif), en partie ou totalement,
obsolète à ses yeux.
Sous-hypothèse A : Le citoyen-internaute se détourne des affaires de la « cité réelle », lui
préférant l’environnement d’une « cité virtuelle » (Cas de résignation) : La « culture
numérique » (L. Monnoyer Smith) devient une culture d’isolement par rapport au monde réel.
Sous-hypothèse B : Le citoyen-internaute tente de superposer les normes de la « cité
virtuelle », jugées plus démocratiques, sur la « cité réelle » (Cas de défiance) :
L’empowerment citoyen (« remédiation, bricolage, participation » selon Monnoyer-Smith) se
développe de manière exponentielle (activités « proto-politique »99
devenant hyper-politique)
jusqu’à aboutir à une « révolution » sociale de grande envergure.
Hypothèse 2 : La mise en œuvre d’une démocratie « augmentée » est rendue possible grâce à
l’émergence des NTIC, qui permettent de corriger les dysfonctionnements et les abus dans
l’exercice du pouvoir. D’une part, les citoyens utilisent les technologies de l’empowerment
pour exiger plus de transparence, et d’autre part, les institutions réagissent en lançant des
chantiers de réforme importants (Possibilité de consensus) : Adaptation des partis politique
(cf. G. Bonvallet et M. Ronai) et occupation massive des espaces de parole par les citoyens-
internautes (D. Cardon).
99
Cf.citation de P. Dahlgren dans l’article de Laurence Monnoyer-Smith étudié antécédemment.
35
Méthodologie de travail
Au vu des hypothèses présentées ci-dessus, plusieurs méthodes ont été retenues pour
mener à bien ce projet. Il s’agit, pour l’hypothèse n° 1 de procéder à une étude quantitative
auprès des citoyens-internautes afin de mesurer avec plus ou moins d’exactitude l’impact réel
des NTIC sur leur perception de l’exercice démocratique. Pour ce, le moyen le plus adapté est
le questionnaire : un échantillon variable selon le degré d’évolution de la recherche100
,
permettra de dresser un premier bilan avant d’aller plus loin dans la réflexion. Si les chiffres
confrontent effectivement, cette première hypothèse en révélant un sentiment de décalage
dans la société, entre ce que les citoyens-internautes attendent des institutions et ce qui a lieu
en réalité101
, nous pourrons seulement continuer à explorer l’hypothèse en envisageant les
différentes sous-hypothèses (résignation/défiance). Dans le cas contraire, nous passerons
directement à la seconde hypothèse après avoir synthétisé les résultats infirmatifs et rédigé
une conclusion probante.
La seconde hypothèse exige des méthodes de recherche différentes (« La mise en
œuvre d’une démocratie « augmentée » est rendue possible grâce à l’émergence des NTIC,
qui permettent de corriger les dysfonctionnements et les abus dans l’exercice du pouvoir.
D’une part, les citoyens utilisent ces technologies de l’empowerment pour exiger plus de
transparence, et d’autre part, les institutions réagissent en lançant des chantiers de
réforme. »). Il s’agira cette fois-ci de mener des entretiens qualitatifs auprès de citoyens ayant
été à l’origine d’initiatives considérées comme capacitantes (ou autonomisantes), mais
également avec des journalistes et des représentants d’institutions ayant une opinion sur le
sujet. D’autre part, nous procéderons parallèlement à l’analyse sémiotique102
d’une interface
numérique représentative de ce que les citoyens peuvent faire avec les nouvelles technologies
dans l’objectif de démocratiser davantage les instituions qui les gouvernent103
. Cette analyse
permettra de dégager les éventuelles limites de ces expérimentations, que la méthode du
questionnaire entamée en amont, n’aurait pas réussi à relever.
100
Dans un premier temps quelques centaines de personnes, ensuite un millier, quand il s’agira de développer ce
travail de recherche dans le cadre d’un Master 2. 101
Il s’agit des décalages produits par l’évolution des technologies numériques, nous prendrons le soin de poser
des questions très précises sur les usages numériques et leur impact sur la vie citoyenne. 102
Il s’agira plutôt, dans ce mémoire de M1, d’une présentation de l’objet d’analyse en question. L’analyse en
elle-même sera réalisée durant le développement du mémoire de M2. 103
Le choix s’est porté sur www.reforme.ma pour des raisons que je ne tarderai pas à expliquer dans la
troisième partie de ce travail.
36
Exposé des méthodes de recherches et d’analyse retenues
Comme cela a été évoqué précédemment, les méthodes retenues pour ce travail de recherche
sont les suivantes :
1. Un questionnaire sur les usages numériques des citoyens-internautes, qui sera diffusé
auprès d’un échantillon de 200 personnes. Les questions seront divisées en trois
catégories : la première évaluera le degré de fréquentation des plateformes numériques
pouvant avoir un potentiel « proto-politique » (susceptible d’engager une action
politique dans un contexte donné), la deuxième catégorie interrogera la perception
qu’ont les citoyens de l’émergence du web (existe-il, selon eux, un impact réel sur
leurs habitudes citoyennes ?) et la dernière partie, pour des besoins statistiques,
demandera aux participants de renseigner un maximum d’informations sur leur statut
social et leur rapport au web (âge, CSP, durée d’utilisation du web etc.)
2. Une demi-douzaine d’entretiens semi-directifs à l’adresse de citoyens ayant été à
l’origine d’initiatives innovantes, ainsi que des responsables de projets institutionnels.
Parmi les interviewés (liste non-définitive) :
- Pierre Guillou, fondateur du journal Elus 2.0 sur les élus, la politique et Internet,
et de la société Ideose qui accompagne le secteur public et privé dans
l’appropriation des nouveaux usages numériques (Web 2.0, réseaux sociaux,
accessibilité du Web…). Ideose intervient en particulier dans le monde politique
en proposant conseils et formations aux élus.
- Fabrice Epelboin, entrepreneur et spécialiste du web social, notamment fondateur
de Fhimt.com et de l'Association Tunisienne des Libertés Numériques.
- Etienne Chouard, blogueur français ayant notamment participé à la campagne
numérique contre le Traité Constitutionnel Européen en 2005. Il propose depuis,
l’élaboration d’une nouvelle constitution par le biais d’internet (Plan C)
- Tarik Nesh-Nash, ingénieur en informatique et co-fondateur de la plateforme
reforme.ma, une interface inédite qui invitent les citoyens marocains à délibérer
des textes constitutionnels et de faire des propositions d’articles de loi sur internet.
37
- Emmanuel Brizard, fondateur de la plateforme WikiRépublique.fr, un espace
collaboratif de propositions législatives et de réformes institutionnelles.
- Alexandre Piquard, journaliste et chef adjoint du service politique du Monde et du
Monde.fr.
- Romain Lacombe, chargé de l'innovation et du développement du projet Etalab et
data.gouv.fr, service rattaché au cabinet du Premier Ministre.
- Lucas Surel, attaché parlementaire au Parlement Européen, membre d’Europe
Ecologie les Verts et assistant-chargé de mission au Sénat.
3. Une analyse sémiotique d’une interface numérique innovante : l’objet de cette analyse
est le site www.reforme.ma. Cette plateforme participative a en effet attiré plus de
52 000 visiteurs uniques en 2 semaines104
et a suscité des débats qui n’ont jamais surgi
sur l’espace public traditionnel, auparavant. L’analyse sémiotique et ergonomique de
cet objet permettra de définir les bases d’une interface qui a pour vocation la
participation du plus grand nombre, et nous fera relever les limites qui pourront
empêcher ce genre d’initiatives de se faire une place plus importante sur la scène
politique actuelle, en France comme ailleurs.
Dans le cadre de ce mémoire de M1, nous allons seulement faire une première
interprétation des résultats de l’enquête quantitative (questionnaires) ainsi qu’une courte
analyse d’un, ou deux entretiens semi-directifs. L’ensemble du corpus (réponses complètes
aux questionnaires + entretiens + objet d’analyse) sera décortiqué de manière plus développée
dans le cadre du mémoire de M2.
(Les méthodes de recherche décrites ci-dessus, ainsi que leurs résultats, sont consultables
dans la partie « annexes »)
104
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20110419183722/
38
Analyse des résultats
Nous allons, dans cette troisième partie de la recherche, analyser les résultats du
questionnaire sur les usages numériques des citoyens-internautes, diffusé auprès de 200
personnes (toutes usagères du web) par des canaux que nous ne tarderons pas à aborder dans
la partie correspondante.
Le questionnaire a été organisé en trois parties : la première (questions 1 à 8) cherche à
dresser un bilan sur les habitudes des internautes en les interrogeant sur la manière dont ils
utilisent le web et les canaux sur lesquels ils diffusent la plus grande partie de leur contenu.
Pour ce faire, les premières questions porteront sur l’utilisation des réseaux sociaux et
d’autres plateformes d’échanges (forums, blogs publics). Toujours dans cette première partie,
des questions d’affinement nous serviront à cibler les contenus à caractère politique, nous
permettant ainsi d’avoir des résultats exclusifs sur les usages politiques du web.
La seconde partie (questions 9 à 12) aura pour objectif de prospecter l’opinion
publique autour d’enjeux comme l’« e-démocratie » en interrogeant les internautes sur leur
ressenti vis-à-vis des utilisations faites (ou susceptibles d’être faites) des NTIC dans la gestion
des affaires publiques. Quant à la dernière partie (questions 13 à 17), elle sert principalement
au profilage des personnes interrogées, dans l’objectif de faire un bilan critique de la
méthodologie utilisée.
Tout d’abord, les résultats
concernant l’utilisation des réseaux sociaux
sont unanimes : seulement 6% des
participants ne sont inscrits sur aucun réseau
social tandis que 86% ont un profil
Facebook (figure 1). Il convient de
considérer ce dernier comme la plateforme
la plus couramment utilisée par les
internautes, notamment lorsqu’il s’agit de
participer d’une manière ou d’une autre, à
Figure 1
39
une activité dite « proto-politique »105
(nous y reviendront dans la suite de l’analyse). Twitter
vient en seconde place avec 46% d’utilisateurs tandis que 38% des participants sont inscrits
sur Google+, un taux plutôt considérable au vu de la toute récente naissance du dernier des
SNS. Les principaux réseaux professionnels, LinkedIn (international) et Viadeo
(majoritairement Français) font respectivement 35 et 25% d’utilisateurs. D’autres réseaux ont
été mentionnés, dont les plus récurrents sont Pinterest (7%) et Diaspora (4%).
Concernant la consultation des forums et des blogs publics, une majorité relative
d’utilisateurs (54%) déclarent se
rendre sur ces plateformes au moins
une fois par jour, dont 35% qui y vont
plus d’une fois par jour (figure 2).
Toutefois, cette utilisation régulière
des plateformes ne signifient pas une
participation systématique aux
échanges, comme nous le verrons dans
les résultats suivants. Mais ce
pourcentage reste un important
indicateur du degré de diffusion de
l’information sur internet. Nous pouvons considérer, en effet, qu’une information (tous
domaines confondus) diffusée sur ces canaux peut atteindre au moins la moitié de la
population connectée en l’espace de 24h pourvu que le canal utilisé ait une visibilité
suffisante. Cette rapidité de circulation constitue l’un des arguments avancés par les adeptes
de la « révolution numérique »106
. D’autre part, 5% des utilisateurs déclarent ne jamais
105
L’expression est de Peter Dahlgren in Media and Political Engagement. Citizen, Communication and
Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2009. Cité par L. Monnoyer-Smith : « « La participation
civique s’envisage ici dans sa dimension pragmatique et vécue, de sorte que la citoyenneté s’apprécie moins à
travers la réalisation des grands actes citoyens qui rythment la vie des démocraties, que par l’expérience
continue d’échanges discursifs, d’actes et d’engagements plus ou moins militants. Ainsi que le résume P.
Dahlgren, « à travers ces pratiques civiques performatives, le non-politique peut devenir proto-politique, qui à
son tour peut se développer et devenir proprement politique. Le politique peut alors à son tour se convertir en
décisions politiques plus formelles. » 106
L’avènement de l’internet est souvent comparé à l’invention de l’imprimerie et comme cette dernière a
modifié les gouvernances quasi instantanément à sa diffusion, certains penseurs soutiennent qu’une rupture
paradigmatique accélérée serait en train de se produire avec l’émergence des NTIC (cf. Bernard Stiegler). Mais
ce n’est pas l’avis de tout le monde : « Ce n’est pas l’imprimerie qui, en soi, a bouleversé l’Europe, c’est le
lien entre l’imprimerie et le profond mouvement de remise en cause de l’Eglise catholique. C’est la Réforme
qui a donné son sens à la révolution de l’imprimerie, et non l’imprimerie qui a permis la Réforme. De même à
la radio, puis la télévision n’ont eu cet impact que parce qu’elles étaient liées au profond mouvement en faveur
Figure 2
40
consulter de forums ni de blogs
publics, ce qui n’est pas tout à fait
inintéressant à relever car cela induit
une utilisation de l’internet qui sort du
schéma habituel caractérisant les
médias informatisés (une
combinaison médium de
l’information / espace de
discussion). Les usagers visitant les
forums et les blogs publics au moins une fois par mois représentent 9% de l’échantillon tandis
que 12% déclarent s’y rendre moins d’une fois par mois, probablement pour des requêtes
ponctuelles (recherche d’une information précise). Enfin 22% des personnes sondées
déclarent se rendre sur ces plateformes au moins une fois par semaine, ce qui peut
s’apparenter à une utilisation complémentaire à d’autres médias de l’information (presse
papier, médias de masse, livres etc.)
La tendance s’inverse quand il s’agit de la participation des internautes sur les forums
et les blogs qu’ils visitent. En effet, 36% déclarent ne jamais poster de messages lors de leurs
visites des sites en question tandis que 38% déclarent le faire rarement (moins d’une visite sur
deux) (figure 3). Les usagers qui participent systématiquement à chaque fois qu’ils visitent un
forum ou un blog public constituent seulement 2% de l’échantillon, ce qui confirme en
quelque sorte un constat avancé par divers chercheurs du web (dont D. Cardon) consistant à
définir le web (et plus particulièrement les listes de diffusions et les forums) comme un espace
collaboratif avec une base de supporters silencieuse et une minorité productrice de contenu
très active107
. Enfin 14% des internautes déclarent quand même participer, au moins une fois
sur deux visites et 11% plus d’une fois sur deux, ce qui constitue, en somme, une part
considérable de participation régulière ou semi-régulière. Par un croisement du taux de
consultation des forums et blogs publics (54%) et de celui de la participation régulière ou de la démocratie de masse. » in Dominique Wolton, Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux
médias. 1999.
107 Un schéma dont les origines remontent au tout début de l’internet, avec l’émergence des premières
communautés promotrices du freeware et des licences libres. Les développeurs constituent une minorité active
tandis que la majeure partie des inscrits sont des « bêta-testeurs » et des internautes peu actifs, mais dont la
présence en nombre considérable consolide la communauté. in CARDON Dominique. La démocratie Internet,
promesse et limites. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010.
Figure 3
41
semi-régulière (27%), nous obtenons le chiffre de 14,5% de producteurs de contenu réguliers
ou semi-réguliers sur l’ensemble des internautes sondés. Par le même procédé, nous
constatons que 6% de l’ensemble des internautes participent occasionnellement, en postant
des messages et/ou des commentaires sur les sites visités (consultent au moins une fois par
semaine et participent au moins une visite sur deux). Les participants rares (moins d’une
participation sur deux visites) constituent 20,5% des visiteurs quotidiens (au moins une fois
par jour) et 8,3% des visiteurs semi-réguliers (au moins une fois par semaine)
Figure 4
Nous avons vu qu’une majorité écrasante des usagers du web utilisent au moins un
réseau social numérique (94%) et consultent massivement forums et blogs publics (95% dont
54% à fréquence quotidienne). Les résultats de la question n°4 nous donnent des informations
sur les usages dits « proto-politiques » de ces plateformes. En réponse à cette question :
« Consultez-vous, via les réseaux sociaux/forums/blogs ou autres, des sujets traitant de
politique et/ou de citoyenneté ?108
Et à quelle fréquence ? » 18% ont répondu « Plus d’une
fois par jour » et 16% « au moins une fois par jour » (figure 4). Cela fait 34% de
consultations quotidiennes de sujets à caractère politique et/ou citoyen, tandis que 8% ont
répondu ne jamais consulter les sites en question. Les utilisateurs déclarant s’y rendre « au
moins une fois par semaine » sont de l’ordre de 28% tandis que 17% déclarent s’y rendre « au
moins une fois par mois » et 14% moins d’une fois par mois.
108
Avec en astérisque la mention suivante : « Que ce soit au niveau local, régional, national ou international.
Exemples : élections législatives ou présidentielles, projets de quartier, initiatives citoyennes, secteur associatif
etc »
42
Quant à la participation aux
sujets politiques via les réseaux
sociaux, les forums et les blogs,
seulement 3% des personnes sondées
ont déclaré le faire systématiquement
(au moins un message/commentaire
par visite), tandis qu’une quasi-
majorité (47%) déclare n’y jamais
participer. Comme 8% des utilisateurs seulement affirment ne pas consulter les sujets en
question, cela signifie que 39% des utilisateurs consultent des sujets politiques via les réseaux
sociaux, les forums et les blogs, sans poster de messages ou de commentaires (figure 5). Un
taux intéressant à relever et à mettre en perspective avec les discours sur l’interactivité de
l’internet en opposition aux médias traditionnels et leur diffusion à sens unique.
Pour les internautes qui participent aux débats, 6% déclarent le faire à fréquence
régulière (plus d’une visite sur deux), 14% à fréquence occasionnelle (au moins une fois sur
deux), et 32% laissent des messages et/ou des commentaires moins d’une fois sur deux.
À la question « Avez-vous déjà diffusé ou partagé, via les réseaux
sociaux/forums/blogs ou autres, des
produits d’internautes109
au contenu
satirique, contestataire ou militant ?
Et à quelle fréquence ? » 69% des
internautes ont répondu positivement,
dont 29% à fréquence faible (moins
d’une fois par mois), 18% à fréquence
moyenne (au moins une fois par
mois), 16% à fréquence semi-régulière
(au moins une fois par semaine), et seulement 7% à fréquence quotidienne (dont 2% plus
d’une fois par jour). Cette donnée, comparée aux résultats précédents, modifie
considérablement l’hypothèse selon laquelle les habitudes politiques des citoyens se seraient
109
Avec, en astérisque, la mention suivante : « Images dérivées, caricatures, reproduction de sites web, vidéos et
sources audio recombinées, affiches détournées etc. Exemple: combinaison de vidéos servant à comparer les
discours d'un homme politique à des moments différents de son parcours ("fact-checking") »
Figure 5
Figure 6
43
transformées avec l’utilisation du web : pratiques décalées, détournement et humour politisé,
en remplacement d’une approche plus directe de la politique (débat Habermassien). En effet,
tandis que 39% de la population connectée se rends sur des plateformes (blogs publics,
forums) traitant de sujets politiques, dont 63% qui participent en postant des messages (22% à
une fréquence occasionnelle à régulière), le taux de participation régulière à la diffusion de
produits satiriques ou contestataires (« proto-politique ») est de l’ordre de 23% (figure 6). Le
pourcentage de participation à des sujets directement politiques sur des plateformes de débats
publics (forums, blogs publics) équivaut donc au pourcentage de participation à des activités
dites proto-politiques, cela induit deux possibilités110
:
- Soit il s’agit d’une même composante sociale politisée qui, en plus des pratiques
« traditionnelles », se met également aux nouvelles formes de participation
politique (détournement d’images etc.)
- Soit il s’agit de deux parts distinctes d’internautes, l’une participant activement à
des débats politiques dont la configuration s’approche de l’espace
habermassien et l’autre s’intéressant davantage à la critique des politiques
publiques avec des formes d’expression nouvelles.
Dans un cas comme dans l’autre, ces pourcentages demeurent insuffisants pour que
l’on puisse parler de transformation radicale des pratiques politiques ou de regain d’intérêt
pour la chose publique grâce à l’émergence du web. En effet, ce taux de participation peut
aussi bien s’apparenter à une population préalablement politisée, et pour qui internet est un
moyen de plus pour exprimer sa passion pour la politique. La notion d’ « empowerment » est
à redéfinir dans ce cas-là, puisqu’il s’agira plutôt de l’« augmentation » d’un intérêt citoyen
déjà présent et non pas de la politisation d’une population originellement désintéressée des
affaires publiques.
110
Il est malheureusement impossible de vérifier si les acteurs actifs dans les forums sont les mêmes qui
participent à des activités dites proto-politiques. Cela sera pris en compte dans l’élaboration des méthodes
quantitatives pour le mémoire de M2.
44
En revanche, les résultats de la question n° 7 confortent une idée très longtemps
remise en question ou du moins relativisée, par les détracteurs de la théorie de la « révolution
digitale ». A la question « Consultez-vous les actualités sur internet ? Et à quelle fréquence
? » 98% ont répondu positivement,
dont 41% plusieurs fois par jour, 30%
au moins une fois par jour et 20% au
moins une fois par semaine (figure 7).
S’il y a une chose à retenir de cette
enquête sur les usages numériques,
c’est que le web a totalement
bouleversé le marché médiatique.
Bien que ces pourcentages
s’approchant des 100% ne signifient
pas un abandon systématique de la presse papier, ces chiffres demeurent sans appel : la
nécessité de réfléchir à un nouveau modèle économique pour les industries médiatiques
devient une urgence, particulièrement pour la presse papier. Cela est d’autant plus vrai que les
résultats de la question suivante rajoutent un second élément d’importance capitale : A la
question « Utilisez-vous, à titre personnel, un agrégateur de flux RSS ou un service d’alertes
par mots-clés ? (ex : Google alertes) » 40% des personnes interrogées ont répondu
positivement, ce qui démontre une individuation importante du rapport des citoyens à
l’actualité (figure 8). Les consommateurs de l’information exigent dorénavant une actualité
conforme à leurs centres d’intérêts personnels, d’où l’utilisation de filtres qui discriminent les
informations ne figurant pas dans ces intérêts, moyennant un système de mots-clés111
. Les
impacts d’un tel changement dans les habitudes ne tarderont pas à se faire ressentir à fur et à
mesure que l’utilisation des flux RSS se généralise et les services d’alertes se perfectionnent.
Figure 8
111
Cf. l’intervention d’Elie Pariser sur les « Bubble-filters » à TED :
http://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles.html
Figure 7
45
Après l’analyse des usages numériques des internautes, arrive la partie du
questionnaire consacrée à la perception, par l’opinion publique, de la place donnée aux
technologies numériques dans le processus démocratique.
A l’affirmation suivante : « Internet m’a
permis d’être au courant de l'actualité politique plus
qu’auparavant », 47% déclarent être tout à fait
d’accord (figure 9) et 26% sont plutôt d’accord, ce
qui fait une majorité imposante d’avis favorable
(73%) contre 12% de personnes en désaccord (dont
4% pas du tout d’accord). Cela rejoint le constat fait
précédemment sur la place prépondérante de
l’internet dans la diffusion de l’information, y
compris politique.
Aussi, le citoyen-internaute ne perçoit pas les
technologies numériques seulement comme un outil
médiatique puisqu’à l’affirmation « Internet et les
technologies numériques devront jouer un rôle plus important
dans la gestion des affaires publiques », 60% des personnes
interrogés ratifient (dont 35% tout à fait d’accord), tandis que
27% déclarent être « plus ou moins d’accord » et seulement
15% affirment être en désaccord avec cette sentence dont 4%
en désaccord total (figure 10). Ces déclarations démontrent une certaine bienveillance envers
les NTIC en général et un espoir d’un « renforcement » démocratique provoqué par lesdites
technologies.
Sur la manière dont ces technologies devront êtres utilisées dans la gestion du
processus démocratique, la question du vote en ligne a été abordée, dans la continuation des
travaux de recherche analysés dans les premières parties de ce mémoire112
. A la question
suivante : « Le vote en ligne devrait-être envisagé dès que 100% de la population aura eu
112
Laurence Monnoyer-Smith et Eric Maigret, cf. bibliographie.
Figure 9
Figure 10
46
accès à internet et que des systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes, auront
été mis en place », les réponses recueillies mettent en évidence deux groupes distincts, l’un
approbateur, l’autre critique de l’adoption du vote en ligne,
tandis qu’une part modeste de l’opinion (15%) déclare être
« plus ou moins d’accord ». Le taux d’usagers se prononçant
pour la considération d’une mise en place du vote en ligne
atteint les 44% (dont 27% « tout à fait d’accord ») tandis que
42% se prononcent « Contre », dont 32% « pas du tout
d’accord » (figure 11). Le taux du rejet fort est légèrement
inférieur à celui de l’acceptation enthousiaste. Ce clivage en part égales devrait nous inciter à
envisager des méthodes plus qualitatives dans l’appréciation de l’opinion publique, afin de
connaitre les motivations et les réticences des citoyens vis-à-vis des NTIC113
.
C’est dans cette perspective que la question n° 12 a été élaborée. Et bien que la
participation qualitative a été plutôt minoritaire (seul 14% des personnes interrogées ont
rempli la case « Précisez ») les réflexions des internautes ont été particulièrement
enrichissantes, voire inédites.
En effet, à la question : « Dans le cas d’un taux de pénétration de l’internet atteignant
100% de la population et la disponibilité de systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité
des votes ; quels sont, selon vous, les éléments qui pourront empêcher l’adoption du vote en
ligne ? », 84% pensent que le premier facteur est la « Vulnérabilité des dispositifs114
» et 65%
ont cité la « Complexité de la technologie pouvant exclure certaines populations115
» (figure
12). Le risque de pressions familiales dues à l’absence de l’isoloir vient en troisième place
(44%) tandis que le facteur d’ « atteinte au symbole républicain (rite du bulletin dans
l’urne) » n’est cité que par 33% des personnes interrogées.
113
Les entretiens avec les citoyens et les observations participantes sont envisagés dans le cadre du mémoire de
M2. 114
Failles exploitables, pannes imprévues, détournements etc. 115
Problématique de la « fracture numérique » et de l’ « alphabétisation digitale » (« digital literacy »)
Figure 11
47
Figure 12
Les témoignages récoltés via l’option « Autres (précisez) » font ressortir des facteurs
nouveaux dont certains s’approchent des facteurs proposés par le questionnaire116
tandis que
d’autres se révèlent totalement inédits. Ces témoignages peuvent regroupés dans cinq
ensembles différents :
- Le premier ensemble de témoignages met en cause la faible volonté des hommes
politiques actuels, qu’il estime être un frein potentiel à toute réforme du processus
électoral, permettant une quelconque amélioration de l’efficacité démocratique.
Les hommes actuellement à la tête des institutions étatiques sont donc considérés
comme des éléments d’empêchement.
Propos retranscrits : « Blocage politique : un tel système de vote pourrait
permettre la démocratie liquide ou des systèmes de votes alternatifs (vote de
valeur), ce qui n'est pas dans l'intérêt des partis majeurs. »
« Les politiques actuels ».
« Impossibilité de tricher ».
- Le deuxième ensemble évoque le facteur du handicap117
comme étant un frein
considérable à la généralisation de nouveaux dispositifs de vote électronique. Il est
indispensable que les concepteurs de tels mécanismes anticipent ces enjeux et
mettent en place des solutions, en amont à toute mise en service.
Propos retranscrits : « Handicap ».
« Aveugles-mal voyants, personnes âgées ».
116
Ces facteurs ont été élaborés autour des résultats d’enquêtes cités par Laurence Monnoyer-Smith et Eric
Maigret, dans leur article qui constitue le noyau du corpus de ce mémoire (cf. Bibliographie) 117
Thématique abordée durant la World Wide Web 2012, la mythique conférence organisé par Tim Berners Lee,
cette année à Lyon ; Numérique & Handicap : conception universelle et spécifique [table ronde], in WWW2012,
du 16 au 20 avril 2012. http://yfrog.com/ke3llolj
48
- Le troisième ensemble s’approche relativement de l’un des choix multiples
proposés (« Atteinte au symbole républicain du vote »), mais s’intéresse davantage
à la valeur d’engagement du vote. Les personnes interrogées estiment
effectivement que l’acte de voter implique un engagement et un intérêt pour la
chose publique, qui risqueront de s’étioler par la mise en place d’un système
réduisant le vote à « quelques cliques », en quelques secondes.
Propos retranscrits : « Le vote engage. Rendre le vote sur internet s'apparenterait à
la réponse à un sondage ou un test psycho, il perdrait de son importance ».
« Voter demande un petit investissement pour aller aux urnes ou voter par bulletin
papier, ce qui n'est plus le cas en quelques clics ! Le taux de participation serait
probablement accru mais au détriment d'une réelle motivation. »
« Le fait de diminuer le sérieux du vote avec pour risque principal que des
personnes qui ne se sentent pas vraiment concernées votent sans réfléchir. Le fait
de se déplacer crée déjà une séparation entre ceux que le vote intéresse et ceux qui
ne font même pas le déplacement. »
- Les opinions ne sont pas toutes sceptiques concernant le développement du vote en
ligne dans le moyen-terme comme ce quatrième ensemble de réponses le
démontre. Ces usagers estiment, en effet, qu’aucun élément ne pourrait (ni
devrait) sérieusement entraver la mise en place de tels dispositifs, au contraire,
ceux-ci devront être envisagés dans les plus brefs délais au vu de la valeur
corroborative qu’ils auront sur les motivations citoyennes.
Propos retranscrits : « Je pense que le vote sur internet permettrait de motiver plus
de gens à voter (notamment la part de la population qui s'abstient alors qu'elle
pourrait voter blanc) »
« Aucun ».
« Aucun ».
- Enfin, le dernier ensemble de témoignages, regroupe des remarques critiquant le
système de vote en lui-même (plus précisément le système électoral-représentatif),
soit parce que celui-ci est jugé pas assez démocratique (« Voter pour un candidat
est aristocratique. Un citoyen vote des lois. ») soit parce que celui-ci est considéré
comme non-conforme à un idéal de gouvernance particulier [technocratie?] (« Le
système démocratique étant à remettre en cause, un vote virtuel ou réel ne peut
avoir qu'une bien piètre qualité et/ou réconfort. »)
49
Bilan
En récapitulant, voici ce qui ressort de cette enquête quantitative sur les usages
numériques des citoyens-internautes :
Les réseaux sociaux sont la principale interface numérique utilisée par les internautes
Français (94% d’utilisateurs). Leur progression est considérable comme le démontre
l’adoption rapide de Google+, le plus récents des SNS (38% d’utilisateurs en moins d’un an).
La consultation des forums et des blogs publics est plutôt importante (54% de visiteurs
quotidiens) ce qui fait de ces interfaces un important relais de l’information. Toutefois, la
majorité de ces visiteurs ne diffusent pas de contenu (36% ne le font jamais, et 6%
uniquement de manière occasionnelle) tandis qu’une minorité active canalise la production de
contenu (14,5% de producteurs réguliers ou semi-réguliers).
Concernant les sujets à caractère politique et/ou citoyen (tous types d’interfaces
numériques confondus) moins de la moitié des internautes déclarent en consulter de manière
quotidienne (34%) tandis que 39% des visiteurs de ces sujets, ne postent ni messages ni
commentaires. Le taux de producteurs de contenus à caractère politique et/ou citoyen atteint
22% à des fréquences régulières ou semi-régulières. Quant aux activités que l’on pourrait
qualifier de « proto-politique 118
», 69% des internautes ont déclaré avoir déjà diffusé ou
partagé un contenu de ce type sur réseaux sociaux, forums et blogs publics confondus. 7%
le font à fréquence quotidienne tandis que le taux de participation régulière (d’une fois par
jours à une fois par semaine) atteint 23%.
La consultation des actualités sur internet est devenue un réflexe pour l’internaute qui
souhaite s’informer : 98% des personnes interrogées sont concernés dont 41% qui le font
plusieurs fois par jour et 30% au moins une fois par jour. Les internautes ayant un flux RSS
personnalisé ou un système d’alertes leur permettant de trier/recevoir des informations en
temps réel représentent 40% de l’échantillon. Cette utilisation généralisée des nouveaux outils
de l’information se reflète sur la perception qu’ont les internautes du web. En effet, une
majorité écrasante d’utilisateurs estime qu’internet leur a permis d’être au courant de
l’actualité politique plus qu’auparavant (73% dont 47% « Tout à fait d’accord »). Aussi, 60%
118
« Images dérivées, caricatures, reproduction de sites web, vidéos et sources audio recombinées, affiches
détournées etc. Exemple: combinaison de vidéos servant à comparer les discours d'un homme politique à des
moments différents de son parcours ("fact-checking")
50
des internautes estiment qu’internet et les technologies numériques en général, devront jouer
un rôle plus important dans la gestion des affaires publiques.
Toutefois, le vote électronique demeure un sujet qui divise l’opinion : 44% sont pour
sa mise en place tandis que 42% se prononcent contre. Pour l’ensemble des participants, les
raisons qui pourraient empêcher l’application d’un tel dispositif, sont d’abord d’ordre
technique (« Vulnérabilités des dispositifs », facteur évoqué à 84%) et social (« ‘fracture
numérique’ excluant une partie de la population » évoquée à 65%).
D’autres éléments ont été également mentionnés dont les plus récurrents sont la
volonté des politiques actuels, jugé insuffisante voire hostile à l’égard de ces innovations, le
facteur du handicap qui pourrait discriminer des citoyens en difficulté face à ces technologies,
et enfin la valeur d’engagement que suscite l’acte de voter, que les citoyens craignent de voir
s’éroder par la mise en place d’un système de vote virtuel.
Critique méthodologique : représentativité, profilage et limites
Il convient de dire un mot sur la représentativité de l’échantillon élaboré dans le cadre
de cette enquête ainsi que le contexte de diffusion des questionnaires. Comme je l’ai précisé
au début de l’analyse, le questionnaire a été distribué sur internet majoritairement par voie de
courriels. Une vingtaine de personnes a été sollicité en premier lieu (Distance 1) qui, après y
avoir répondu, ont à leur tour diffusé le questionnaire par courriels et/ou via les réseaux
sociaux, incitant ainsi d’autres personnes (Distance 2) de faire de même et ainsi de suite. Ce
mode de diffusion viral et réticulaire, a l’avantage de toucher des cibles diverse de façon quasi
aléatoire (il a été demandé aux collaborateurs de Distance 1 de ne pas faire de tri sélectif dans
le choix de leurs destinataires). Par ailleurs, le questionnaire a été également diffusé un réseau
social professionnel et un forum de discussion. Mais la circulation par ces deux médiums a été
volontairement circonscrite pour ne pas biaiser les résultats des premières questions portant
justement sur l’utilisation de ces plateformes.
Il est bien entendu convenu que cette enquête cible exclusivement les citoyens
connectés (71% de la population française). La problématique du non-usage sera abordée dans
le mémoire de Master 2 et l’échantillon sera préparé en conséquence119
.
119
Il est prévu de prospecter l’équivalent de 30% de l’échantillon en dehors de la toile, auprès de personnes
choisies à l’avance pour leur non-usage de l’internet. (Pour 700 personnes connectés, 300 personnes non-
connectés)
51
Le choix de cibler une population connectée a mis en évidence quelques limites à
l’intention de représentativité de l’échantillon. En effet, 53% des personnes interrogées
appartiennent à la même catégorie socioprofessionnelle (Etudiants) et la tranche d’âge la plus
représentée reste, sans surprise, celle des 18-25 ans (la moyenne d’âge des participants étant
26 ans). Ces limites peuvent être dépassées par un ciblage en plusieurs tranches (une forme de
quotas par âge et par CSP) qui correspondrait davantage au paysage démographique et social
du pays étudié.
Résultats de la 3ème
partie du questionnaire (profilage)
Homme
109 55%
Femme
91 46%
52
*60% Suisse, 12% Espagne, 7% Belgique, 5% Russie, et 2% pour chacun des pays
restants : Allemagne, Grèce, Chine, Canada, Japon, Etats-Unis. A noter que mis pour la
Suisse et la Belgique, les autres participants sont des Français résidents à l’étranger.
« Depuis quand êtes-vous
usager d’internet ? »
53
Entretiens qualitatifs et synthèse
Une culture numérique insuffisante
Les résultats obtenus par l’enquête sur les usages numériques se confirment, en partie,
par les propos des professionnels du web politique, interviewés dans le cadre de cette
recherche. Ainsi, concernant la volonté politique des élus actuels - pointée du doigt par un
certain nombre d’internautes- Pierre Guillou120
nous donne un témoignage intéressant qui
explique la réticence des hommes politiques vis-à-vis des NTIC, par des carences dans ce
qu’il appelle une « culture numérique ». Les hommes politiques seraient ainsi imprégnés
d’une culture hiérarchique verticale qui les empêcherait de penser le web 2.0 autrement
qu’une simple interface communicationnelle, faisant complétement fi de sa dimension
d’échange et de débats démocratiques :
« Les règles de la communication en général ont été jusqu’ici, très verticales […] Quand le web
social est apparu, ses règles ont changé puisque, sur internet aujourd’hui, bien communiquer c’est
non pas produire de l’information mais plutôt mettre en place un environnement de dialogue sur un
thème qui peut vous intéresser et s’enrichir de ce que vont dire les autres, ce qui va quelque part
créer votre communication en tant qu’homme politique. J’ai remarqué que les élus qui étaient
persuadés qu’il fallait investir le web, dès qu’il y avait un dialogue qui ne leur plaisait pas, ils
demandent à ce qu’on ferme les commentaires, et pour certains, à ce qu’on ferme complètement la
page. Et la raison de cela, c’est que malheureusement, comme ils n’intègrent pas que ce commentaire
est une chance et non pas un problème, ils mettent fin au dialogue. Une chance, parce qu’ils ont en
face d’eux une vraie personne, avec de vraies informations sur un profil facebook, et c’est donc un
potentiel électeur et l’élu a la possibilité d’entamer un dialogue avec lui. La personne n’était pas
d’accord certes, mais le rôle de la campagne électorale, c’est justement de convaincre, et pour
convaincre il va bien falloir expliquer et entrer dans le débat ! Il se trouve que la vision biaisée de cet
élu (vision d’une communication traditionnelle à la verticale) l’empêche de profiter pleinement des
possibilités offertes par le web. »
Pour Fabrice Epelboin, la réticence des hommes politiques à mettre en place de
véritables structures informatiques permettant une réelle transparence dans les institutions,
s’expliquent d’abord par le refus de changer des habitudes qui, si publicisées à grande échelle,
compromettront les institutions en question :
120
Pierre Guillou, fondateur du journal Elus 2.0 sur les élus, la politique et Internet, et de la société Ideose qui
accompagne le secteur public et privé dans l’appropriation des nouveaux usages numériques (Web 2.0, réseaux
sociaux, accessibilité du Web…). Ideose intervient en particulier dans le monde politique en proposant conseils
et formations aux élus.
54
« Officiellement, vous pouvez aller dans votre mairie demander à consulter tout document
cadastral. Sur internet, ce ne sera jamais le cas, et pour cause : prenez toutes les
autorisations de permis de construire de ronds points ces 30 dernières années, mappez les sur
une cartographie, faites dérouler le temps et vous observerez une périodicité de 6 ans, avec
des autorisations données pile poil dans l'année qui précède les municipales. Vous avez dit
corruption de la part des grands acteurs du BTP ? LOL »
Ces différentes affirmations, qui correspondent à certains discours relevés dans l’état
de recherche121
et qui se retrouvent dans les propos d’un nombre d’internautes, soutiennent
notre deuxième sous-hypothèse122
qui présente les technologies numériques comme le
catalyseur, sinon l’amplificateur, d’un sentiment de « défiance » envers une élite politique
incapable de s’adapter aux nouvelles réalités sociales de ce début du XXIème siècle
(transformation voire abolition de certains types d’hiérarchie, rapports sociaux de forme
réticulaire à l’image du web, désacralisation de la fonction politique, revendication de
transparence totale des institutions etc.)
L’ « engagement faible » : une nouvelle force
Sur la question des pratiques « proto-politiques » (P. Dahlgren cité par Monnoyer-
Smith) et de la « culture participative » de l’internet (L. Monnoyer-Smith), notre enquête
qualitative nous démontre l’importance de ce phénomène et sa relative « politicité » (69% de
diffuseurs de contenus et 22% de producteurs de contenu à caractère politique), cette tendance
serait en hausse depuis quelques années et pourrait avoir, dans un avenir proche, des
répercussions considérables sur la vie politique ; comme en témoigne Fabrice Epelboin,
créateur de la plateforme Fhimt.com et spécialiste des mouvements contestataires sur le web
tunisien, qui ont participé à la chute du régime Ben Ali :
« L'engagement faible, c'est la possibilité pour chacun de participer à une "Op" (pour « opération »)
sous la forme d'une petite action : un retweet, une petite traduction, quelque chose qui ne demande
pas un engagement phénoménal, mais qui, fait par des millions de personne, peut faire une énorme
différence. Pour OpTunisia, sans les traductions faites par des volontaires de cette façon,
l'information n'aurait jamais été disponible en temps réel pour le monde anglo-saxon, ça a été très
utile. De la même façon, une attaque DDoS par les Anonymous procède de l'engagement faible de
121
« Certaines administrations ont adopté l’internet comme nouvel outil de communication et de présentation («
sites vitrines ») à condition qu’elles ne remettent pas en cause les habitudes de travail, les statuts et la culture
administrative de chacun » Thierry Carcenac et Jean Paul Baquiast, cité par L. Monnoyer-Smith. 122
« Le citoyen-internaute tente de superposer les normes de la « cité virtuelle », jugées plus démocratiques, sur
la « cité réelle » (Cas de défiance) »
55
masse. Par rapport aux anciennes formes d'engagements militant, la 'barrière à l'entrée' est bien plus
faible, et ça change radicalement les choses. Déclencher une opération revient de plus en plus à faire
du community management et du webmarketing. L'opération Kony2012123
procède précisément de
l'engagement faible de masse, avec une maitrise totale de la dimension marketing. […] Si on se
focalise sur le seul mouvement Anonymous, le fait qu'il n'y ai pas de leader, pas de chef, pas de porte-
parole, fait qu'il ne peut y avoir de corruption ni de récupération. Des écueils que n'a pas su éviter le
syndicalisme, par exemple, et encore moins les partis politiques »
Les résultats recueillis semblent nous éloigner de l’hypothèse de la résignation124
, et
nous rapprochent de celle de la défiance. Comme Laurence Monnoyer-Smith l’a souligné
dans son article sur la participation en ligne : l’engagement politique des citoyens n’est pas en
déclin, mais est plutôt en phase de mutation. Serions-nous pour autant, en mesure de parler de
technologies « révolutionnantes » ? Ce n’est pas ce qu’affirment les observateurs du monde
politique en France et outre-Atlantique, qui constatent déjà une individualisation (voire
marchandisation) des usages de l’internet : « Les questions du copyright, du piratage, de la
protection de la vie privée (quoique dans une moindre mesure) sont désormais plus souvent évoquées
que les « vertus démocratiques » que l’on prête aux NTIC. Voyez l’actualité autour de MegaUpload et
de sa fermeture par le FBI ; voyez aussi les projets de loi SOPA (devant la Chambre des
Représentants) et PIPA (devant le Sénat), aujourd’hui ajournés », fait remarquer Lucas Surel,
conseiller politique en « Affaires européennes » et chargé de mission au bureau du Sénateur
des Hauts de Seine. Ce même observateur qui s’intéresse de très près à l’élection
présidentielle aux Etats-Unis nous rappelle, à juste titre, les limites du discours promotionnel
des technologies numériques : « Notons tout de même que les principaux promoteurs des NTIC
comme outils de rénovation de la politique en sont aussi…les principaux acteurs (du type La
Netscouade en France). Cela a pu amener à exagérer leur rôle. Déconnectées de tout travail de
terrain ou de toute réflexion de fonds, elles restent un outil comme un autre, leur force transformatrice
devient quasi inexistante. Il faut savoir ce qu’on veut en faire ! Ce qu’a d’ailleurs très bien illustré la
campagne d’Obama en 2008. ». Voilà une mise en garde qui rejoint celle que nous avons pu
rencontrer dans des travaux de recherche précédents125
et qui nous rappelle qu’aucune
technique ne peut provoquer un changement sans que la dynamique sociale ne l’ait voulu
intentionnellement.
123
http://fr.wikipedia.org/wiki/Kony_2012 124
« Le citoyen-internaute se détourne des affaires de la « cité réelle », lui préférant l’environnement d’une
« cité virtuelle » (Cas de résignation) » 125
Dominique Wolton, internet et après ? 1999
56
Bibliographie
Articles scientifiques
- FLICHY Patrice, « La démocratie 2.0 », Etudes, 2010/5 Tome 412, p. 617-626.
- FLICHY Patrice, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008/4 n° 150, p.
159-185.
- LOVELUCK Benjamin, « Internet, vers la démocratie radicale ? », Le Débat, 2008/4
n° 151, p. 150-166.
- BOUTET Annabelle et TREMENBERT Jocelyne, « Mieux comprendre les situations
de non-usages des TIC. Le cas d'internet et de l'informatique » Réflexions
méthodologiques sur les indicateurs de l'exclusion dite numérique, Les Cahiers du
numérique, 2009/1 Vol. 5, p. 69-100.
- MONNOYER-SMITH Laurence, « La participation en ligne, révélateur d'une
évolution des pratiques politiques ? », Participations, 2011/1 N° 1, p. 156-185.
- MAIGRET Éric et MONNOYER-SMITH Laurence, « Le vote en ligne », Réseaux,
2002/2 n° 112-113, p. 378-394.
- CARDON Dominique et GRANJON Fabien, « Peut-on se libérer des formats
médiatiques ? Le mouvement altermondialisation et l'Internet », Mouvements, 2003/1
no25, p. 67-73.
- BARBONI Thierry et TREILLE Éric, « L'engagement 2.0 » Les nouveaux liens
militants au sein de l'e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010/6
Vol. 60, p. 1137-1157.
- BEAUVALLET Godefroy et RONAI Maurice, « Vivre a temps réels » Le
renouvellement des pratiques militantes autour des TIC est-il possible au sein des
partis de gouvernement ?, Réseaux, 2005/1 n° 129-130, p. 275-309.
- ALCAUD David et LAKEL Amar, « Les nouveaux « visages » de l'administration sur
Internet : pour une évaluation des sites publics de l'état », Revue française
d'administration publique, 2004/2 no110, p. 297-313.
57
Ouvrages généraux
- GRANJON Fabien, DENOUEL Julie, Communiquer à l'ère numérique. Regards
croisés sur la sociologie des usages. Paris, Presses des mines, 2011.
- CARDON Dominique. La démocratie Internet, promesse et limites. Paris, Seuil, La
République des Idées, 2010.
- FLICHY Patrice. Le sacre de l'amateur : Sociologie des passions ordinaires à l'ère
numérique. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010.
- ROSANVALLON Pierre, La légitimité démocratique. Paris, Seuil, 2008
- PISANI Francis, PIOTET Dominique, Comment le web change le monde : L'alchimie
des multitudes. Village mondial, 2008.
- MAIGRET Eric. Sociologie de la communication et des médias. Paris, Armand Colin,
2006.
- BRETON Philippe, L'utopie de la communication, le mythe du « village planétaire ».
La Découverte, 2004.
- WOLTON Dominique, Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux médias.
1999.
- NEGROPONTE Nicholas, L'Homme numérique. Robert Laffont, Paris, 1995.
58
Annexes Résultats détaillées du questionnaire
Total = 200 participations
1. Êtes-vous inscrit(e) sur l’un des réseaux sociaux suivants ?
Facebook 172 86%
Twitter 91 46%
LinkedIn 70 35%
Google+ 75 38%
Viadeo 50 25%
Aucun 11 6%
Other 16 8%
Les utilisateurs peuvent cocher plusieurs cases, donc les pourcentages peuvent être supérieurs à 100 %
.
2. Consultez-vous des forums de discussions ou des blogs publics* ? Et à quelle fréquence ?
Plus d’une fois par jour 69 35%
Au moins une fois par jour 37 19%
Au moins une fois par semaine 44 22%
Au moins une fois par mois 18 9%
Moins d’une fois par mois 23 12%
Jamais 9 5%
59
3. Postez-vous des messages ou des commentaires, lors de vos passages sur ces forums ou blogs
publics ? Et à quelle fréquence ?
Systématiquement (au moins un message ou commentaire par visite) 4 2%
Régulièrement (plus d’une fois sur deux visites) 21 11%
Occasionnellement (au moins une fois sur deux) 28 14%
Rarement (moins d’une fois sur deux) 76 38%
Jamais 71 36%
4. Consultez-vous, via les réseaux sociaux/forums/blogs ou autres, des sujets traitant de politique
et/ou de citoyenneté** ? Et à quelle fréquence ?
Plus d’une fois par jour
35 18%
Au moins une fois par jour
32 16%
Au moins une fois par semaine
57 28%
Au moins une fois par mois
33 17%
Moins d’une fois par mois
28 14%
Jamais
15 8%
60
5. Postez-vous des messages ou des commentaires lors de vos consultations des sujets traitant de
politique et/ou de citoyenneté ? Et à quelle fréquence ?
Systématiquement (au moins un message ou commentaire par visite) 3 2%
Régulièrement (plus d’une fois sur deux visites) 12 6%
Occasionnellement (au moins une fois sur deux) 28 14%
Rarement (moins d’une fois sur deux) 64 32%
Jamais 93 47%
6. Avez-vous déjà diffusé ou partagé, via les réseaux sociaux/forums/blogs ou autres, des produits
d’internautes*** au contenu satirique, contestataire ou militant ? Et à quelle fréquence ?
Plus d’une fois par jour
3 2%
Au moins une fois par jour
9 5%
Au moins une fois par semaine
32 16%
Au moins une fois par mois
36 18%
Moins d’une fois par mois
58 29%
Jamais
62 31%
61
7. Consultez-vous les actualités sur internet ? Et à quelle fréquence ?
Plusieurs fois par jour
81 41%
Au moins une fois par jour
60 30%
Au moins une fois par semaine
40 20%
Au moins une fois par mois
8 4%
Moins d’une fois par mois
8 4%
Jamais
3 2%
8. Utilisez-vous, à titre personnel, un agrégateur de flux RSS ou un service d’alertes par mots-clès ?
(ex : Google alertes)
Oui
79 40%
Non
121 61%
62
9. « Internet m’a permis d’être au courant de l'actualité politique plus qu’auparavant »
1 - Pas du tout d'accord 7 4%
2 - Plutôt pas d’accord 16 8%
3 - Plus ou moins d’accord 32 16%
4 - Plutôt d’accord 51 26%
5 - Tout à fait d'accord 94 47%
10. « Internet et les technologies numériques devront jouer un rôle plus important dans la gestion des
affaires publiques »
1 - Pas du tout d'accord 8 4%
2 - Plutôt pas d’accord 21 11%
3 - Plus ou moins d’accord 53 27%
4 - Plutôt d’accord 49 25%
5 - Tout à fait d'accord 69 35%
63
11. « Le vote en ligne devrait-être envisagé dès que 100% de la population aura eu accès à internet et
que des systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes, auront été mis en place »
1 - Pas du tout d'accord 63 32%
2 - Plutôt pas d’accord 20 10%
3 - Plus ou moins d’accord 30 15%
4 - Plutôt d’accord 33 17%
5 - Tout à fait d'accord 54 27%
12. Dans le cas d’un taux de pénétration de l’internet atteignant 100% de la population et la disponibilité
de systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes. Quels sont, selon vous, les éléments qui
pourront empêcher l’adoption du vote en ligne ?
Vulnérabilité des dispositifs (failles exploitables, pannes imprévues, détournements etc.)
167 84%
Risques de pressions (familiales ou autres) dus à l’absence de l’isoloir
87 44%
Atteinte au symbole républicain du vote (rite du bulletin dans l’urne)
66 33%
Complexité de la technologie pouvant exclure certaines populations ("analphabétisme digital",
"fracture numérique") 129 65%
Other
27 14%
Les utilisateurs peuvent cocher plusieurs cases, donc les pourcentages peuvent être supérieurs à 100 %.
64
13. Vous êtes ?
Homme
109 55%
Femme
91 46%
14. Moyenne d’âge : = 26 ans
15. Localisation :
*60% Suisse, 12% Espagne, 7% Belgique, 5% Russie, et 2% pour chacun des pays restants :
Allemagne, Grèce, Chine, Canada, Japon, Etats-Unis. A noter que mis pour la Suisse et la
Belgique, les autres participants sont des Français résidents à l’étranger.
65
16. Quelle est votre catégorie socioprofessionnelle?
Agriculteurs exploitants
0 0%
Artisans, commerçant et chefs d’entreprises
8 4%
Cadres, professions intellectuelles supérieures
44 22%
Professions intermédiaires (professeur des écoles, infirmière, assistante sociale par
exemple) 4 2%
Employés
35 18%
Ouvriers
3 2%
Retraités
0 0%
Scolarisé (collégiens, lycéens, étudiants)
106 53%
17. Depuis quand êtes-vous usager d'internet ?
Moins d'un an
0 0%
Entre 1 et 2 ans
0 0%
Entre 2 et 5 ans
6 3%
Entre 5 et 10 ans
80 40%
Plus de 10 ans
113 56%
66
Question 12 (suite) : Dans le cas d’un taux de pénétration de l’internet atteignant 100% de la population et
la disponibilité de systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes. Quels sont, selon vous, les
éléments qui pourront empêcher l’adoption du vote en ligne ?
Other
(27) 14%
- « Blocage politique, un tel système de vote pourrait permettre la démocratie liquide ou des systèmes
de votes alternatif (vote de valeur), ce qui n'est pas dans l'intérêt des partis majeurs. »
- « Les politiques actuels »
- « Handicap »
- « Le vote engage. rendre le vote sur internet s'apparenterait à la réponse à un sondage ou un test
psycho, il perdrait de son importance »
- « Infractions diverses »
- « Fraude »
- « Le système démocratique étant à remettre en cause, un vote virtuel ou réel ne peut avoir qu'une bien
piètre qualité et/ou réconfort. »
- « Je pense que le vote sur internet permettrait de motiver plus de gens à voter (notamment la part de
la population qui s'abstient alors qu'elle pourrait voter blanc) »
- « Aucun »
- « Risques de fraudes, même sur des système "fiables et anonymes" (du déjà-vu). »
- « Impossibilité de tricher »
- « (facteurs) économiques »
- « Aucun »
- « Voter demande un petit investissement pour aller aux urnes ou voter par bulletin papier. ce qui n'est
plus le cas en quelques clics! Le taux de participation serait probablement accru mais au détriment
d'une réelle motivation. »
- « Le fait de diminuer le sérieux du vote avec pour risque principal que des personnes qui ne se sentent
pas vraiment concernées votent sans réfléchir. Le fait de se déplacer crée déjà une séparation entre
ceux que le vote intéresse et ceux qui ne font même pas le déplacement. »
- « Aveugles-mal voyants, personnes âgées. »
- « Voter pour un candidat est aristocratique. Un citoyen vote des lois. »
67
Entretiens qualitatifs
INTERVIEW 1 : Fabrice Epelboin, entrepreneur.
1. Fabrice Epelboin, vous êtes entrepreneur et spécialiste du web social, notamment
fondateur de Fhimt.com et de l'Association Tunisienne des Libertés Numériques.
Pouvez-vous présenter brièvement ces deux structures et tout autre projet similaire sur
lequel vous travaillez actuellement ?
Fhimt.com est un "pure player" Tunisien francophone, qui est pour l'essentiel une plateforme
d'expérimentation journalistique. On y pratique aussi bien le datajournalisme à outrance (près
de 50 dataviz publiées à ce jour sur un site dédié, en partenariat avec plusieurs institutionnels
tunisiens), le hackjournalisme (Fhimt.com est un 'cousin' de Reflets.info, la référence
mondiale en terme de hack journalisme, beaucoup de texte (dont pas mal de traductions) sur
l'openGov et l'openData... C'est également un média militant, qui participe aux enquêtes de
Reflets et Telecomix telles que OpSyria.
l'ATLN est une ONG Tunisienne consacrée aux libertés sur internet, c'est une plateforme de
projets qui sert à mettre en ouvre des projets en tant que tels - comme Ch9alek.com,
Yezzi.info, de la formation, etc, ou qui apporte un soutien - le plus souvent sous la forme de
réalisation d'un site ou service web - à des projets citoyens...
2. Lors de la conférence "Engagement à l'ère politique" organisée dans le cadre de la
SMW à Paris, vous avez parlé du rôle important qu'a tenu "l'engagement faible" durant
la révolution tunisienne. Pouvez-vous définir ce type d'engagement et expliquer en quoi
il peut renforcer l'activisme citoyen ?
L'engagement faible, c'est la possibilité pour chacun de participer à une "Op" sous la forme
d'une petite action : un retweet, une petite traduction, quelque chose qui ne demande pas un
engagement phénoménal, mais qui, fait par des millions de personne, peut faire une énorme
différence. Pour OpTunisia, sans les traductions faites par des volontaires de cette façon,
l'information n'aurait jamais été disponible en temps réel pour le monde anglo-saxon, ça a été
très utile. De la même façon une attaque DDoS par les Anonymous procède de l'engagement
faible de masse.
Par rapport aux anciennes formes d'engagements militant, la 'barrière à l'entrée' est bien plus
faible, et ça change radicalement les choses. Déclencher une opération revient de plus ne plus
à faire du community management et du webmarketing .L'opération Kony2012 procède
précisément de l'engagement faible de masse, avec une maitrise totale de la dimension
marketing.
3. Vous avez également évoqué une montée considérable du taux de mobilisation
citoyenne sur internet sans que l'on puisse, pour autant, parler de groupes sociaux
organisés. En quoi ces nouveaux militants peuvent-ils constituer un contre-pouvoir plus
efficace que ce que l'on a connu jusqu'ici ? (syndicats, partis d'opposition, associations
etc)
Si on se focalise sur le seul mouvement Anonymous, le fait qu'il n'y ai pas de leader, pas de
chef, pas de porte-parole, fait qu'il ne peut y avoir de corruption et de récupération. Des
68
écueils que n'a pas su éviter le syndicalisme, par exemple, et encore moins les partis
politiques.
4. L’État français se montre de plus en plus ouvert à la conversion numérique en lançant
des projets d'ouverture des données publiques comme etalab et data.gouv.fr. Quel regard
portez-vous sur ces initiatives et voyez-vous des limites à ces dispositifs, en matière
d'efficacité ? (l'objectif étant une plus grande transparence et l'empowerment citoyen)
C'est de la com', l'Etat Français est terriblement en retard et ne peut pas avancer sur cette voie.
L'histoire classique que je sors à tout bout de champ est la suivante : le cadastre devrait faire
partie des tous premiers datasets ouverts. Officiellement, vous pouvez aller dans votre mairie
demander à consulter tout document cadastral. Sur internet, ce ne sera jamais le cas, et pour
cause : prenez toutes les autorisations de permis de construire de ronds points ces 30 dernières
années, mappez les sur une cartographie, faites dérouler le temps et vous observerez une
périodicité de 6 ans, avec des autorisations données pile poil dans l'année qui précède les
municipales. Vous avez dit corruption de la part des grands acteurs du BTP ? LOL.
5. Où en sont, selon vous, les institutions françaises en matière de numérisation et de
transparence, en comparaison avec d'autres vieilles démocraties comme les États-Unis,
ou encore de toutes jeunes démocraties comme la Tunisie ?
Incroyablement en retard par rapports aux démocraties anglo-saxonnes, en avance par rapport
à la Tunisie, mais il existe un mouvement populaire très puissant en Tunisie qui pousse à la
transparence. Par ailleurs, la lutte contre la corruption a un soutien massif de la population en
Tunisie mais pas en France, donc les choses devraient évoluer de façon très différente...
Il est à noter que le souci n'est pas la numérisation, tout en France est déjà sous forme
numérique, le problème c'est la mise à disposition et ce dans un format réutilisable et ouvert.
69
INTERVIEW 2 : Lucas Surel, conseiller politique.
1. Bonjour Lucas Surel, vous êtes Conseiller politique « Affaires européennes » chargé
de mission au bureau du Sénateur des Hauts de Seine, et vous vous intéressez de près
aux élections présidentielles américaines, avez-vous noté un emploi plus important des
nouvelles technologies de l'information et de la communication dans les campagnes des
différents candidats, en comparaison avec les élections de 2008 par exemple ?
Difficile à dire. La campagne à proprement parler a tout juste commencé aux Etats-Unis, nous
n’en sommes qu’aux prémisses, les primaires républicaines ne sont toujours pas terminées.
Ensuite, on a du mal à imaginer qu’une articulation numérique/ campagne de terrain encore
plus efficace que ce qui a été mis en place en 2008 autour de Barack Obama puisse voir le
jour.
Par rapport à 2004, 2008 était sur bien des points plus un approfondissement, un
perfectionnement et une généralisation de méthodes testées au préalable qu’une véritable
révolution. 2012 devrait s’inscrire dans le même mouvement. A noter qu’en 2008, les
démocrates avaient trouvé leur « inspiration » tout autant chez des stratèges républicains
comme Karl Rove que chez des politiques démocrates comme Howard Dean. Dean est
souvent considéré comme le premier politicien d’envergure à avoir su utiliser Internet à bon
escient (même si sa candidature aux primaires de 2004 a fini par retomber comme un
soufflé) ; la toute jeune agence sur laquelle il s’appuyait, Blue State Digital, avait été fondée
par certains de ses proches comme Joe Rospars. BSD comme Rospars se sont ensuite mis au
service d’Obama, et le sont toujours en 2012.
L’évolution la plus marquée en termes de méthodes de campagne « NTIC » cette année se
trouvera donc peut-être davantage du côté républicain : ils n’avaient pas réussi en 2008 à
mettre au point une machine aussi efficace que celle d’Obama, ils avaient un candidat dont le
rapport aux NTIC n’était pas le point le plus fort… Cette année, le favori de la droite Mitt
Romney et son équipe semblent bien plus à l’aise avec ces méthodes-là. Reste à savoir
comment ils les utiliseront, et dans quels buts (fundraising ? mobilisation ? etc.).
2. Nous avons connu ces deux dernières années, en France, l'émergence de discours sur
les "vertus démocratiques" de l'internet et des NTIC en général, nous expliquant
comment ces technologies vont "renforcer" le citoyen (empowerment) et le rendre plus
engagé politiquement. Ces discours ont toutefois disparu de l'espace public dès le début
de la période électorale. Ces débats sont-ils plus abordés dans la campagne présidentielle
américaine ? Et où en est le "cyberoptimisme" américain dix ans après les fameuses
"autoroutes de l'information" d'Al Gore ?
Les débats autour d’internet sont toujours vifs aux Etats-Unis – mais comme en France, ils
évoluent, leur angle d’attaque principal n’est plus nécessairement le même. Les questions du
copyright, du piratage, de la protection de la vie privée (quoique dans une moindre mesure)
sont désormais plus souvent évoquées que les « vertus démocratiques » que l’on prête aux
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NTIC. Voyez l’actualité autour de MegaUpload et de sa fermeture par le FBI ; voyez aussi les
projets de loi SOPA (devant la Chambre des Représentants) et PIPA (devant le Sénat),
aujourd’hui ajournés.
Un exemple pour montrer tout de même qu’elles conservent un rôle tout à fait particulier et
intéressant sur le plan politique : les outils – applications portables et autres – développés pour
faciliter le suivi de la campagne US. Le New York Times par exemple fait de ce point de vue
un immense travail, avec une section entière de son site internet (accessible sur abonnement)
dédiée à la campagne : articles factuels, analyses, « opinions » et éditos, suivi des sondages,
prévisions, fonds accumulés par les candidats, fonds dépensés par leurs soutiens, « Delegates
tracker » (pour suivre le nombre de délégués engrenés par les candidats républicains à la
candidature…). Toutes ces informations ou presque étant également reprises sur une
application iPhone/ iPad spécialement développée pour l’occasion. On est encore loin en
France et en Europe de disposer d’objets aussi exhaustifs !
Notons tout de même que les principaux promoteurs des NTIC comme outils de rénovation de
la politique en sont aussi… les principaux acteurs (type La Netscouade en France). Cela a pu
amener à exagérer leur rôle. Déconnectées de tout travail de terrain ou de toute réflexion de
fonds, elles restent un outil comme un autre, leur force transformatrice devient quasi
inexistante. Il faut savoir ce qu’on veut en faire ! Ce qu’a d’ailleurs très bien illustré la
campagne d’Obama en 2008.
3. Lors de votre intervention à Paris III, vous avez évoqué la place importante que
prend la réflexion sur la notion de démocratie aux États-Unis, pouvez-vous donner
quelques exemples de cet engouement des citoyens américains pour la chose publique ?
L’engouement des citoyens américains pour la chose publique n’est pas nécessairement plus
fort qu’ailleurs dans le monde. La participation électorale par exemple n’a rien pour nous faire
envie : autour de 40% de participation au moment des mid-terms (41.5% en 2010), autour de
60% max au moment des élections générales (soit quand on élit le Président, 61.6% en 2008).
On assiste bien à des mouvements de contestation à l’ampleur parfois inédite (le Tea Party,
Occupy ! etc.) mais il ne faut pas en exagérer l’importance, il y a toujours eu des franges
protestataires aux Etats-Unis – à droite comme à gauche.
Les Américains et les Européens n’ont tout simplement pas les mêmes références ni les
mêmes cultures politiques et militantes. Ils ne manifestent pas pour les mêmes choses. Par
ailleurs, s’il y a bien un « trait de caractère » qui semble plus fort chez les citoyens américains
que chez les citoyens français, c’est leur attachement à l’idée de patrie, de nation. Les Etats-
Unis, pays très jeune, c’est encore dans l’esprit de beaucoup une terre d’élection – un endroit
où ils (ou leur famille) se sont rendus par choix, parfois pour fuir des pays où ils étaient
persécutés. Ajoutez à cela une primauté absolue donnée à la notion de liberté individuelle, et
vous obtenez chez certain une sorte de révérence pour l’idée même des Etats-Unis : à la fois
un havre et une garantie d’opportunités personnelles. Difficile pour des pays européens vieux
de plusieurs siècles d’en faire autant, en dépit de certains penchants nationalistes.
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Mais là où il y a une vraie différence, c’est dans la façon avec laquelle la réflexion sur l’idéal
démocratique est menée. Aux Etats-Unis, cette recherche paraît bien plus vivante qu’en
France ; et surtout, bien plus pragmatique, pratique, concrète. Prenez par exemple les travaux
de Bruce Ackerman, professeur de droit et de sciences politiques à Yale, qui avec James
Fishkin (le père des « sondages délibératifs ») a proposé la mise en place d’un « Deliberation
Day » durant lequel la nation toute entière, réunie sur une base volontaire et rémunérée, aurait
la possibilité de fixer collaborativement les thèmes majeurs de la campagne présidentielle – ce
qui aurait en réalité pour effet d’approfondir le degré de connaissance et d’échange sur les
sujets donnés, chez l’ensemble des citoyens. Non seulement l’idée – qui a évidemment ses
inconvénients – n’a suscité que peu d’intérêt et de débat en France, mais elle n’y a même
jamais été testée : la première tentative de sondage délibératif/ jour de la Délibération à
l’échelle locale en France aura justement lieu cette semaine, les 14 et 15 avril, à la Saline
Royale.
4. Comment expliquez-vous le fait que ce genre de réflexions restent cantonnés dans le
milieu de la recherche en France (ex. travaux de Pierre Rosanvallon) tandis qu'elles
prennent une dimension plus "participatives" aux États-Unis ? (manque de volonté
politique, forte culture de la représentativité, persistance du régime régalien...?)
Il n’y a tout de même pas que Pierre Rosanvallon : vous avez aussi Yves Sintomer, Loïc
Blondiaux, Bernard Manin, Philippe Urfalino, Jon Elster… Mais c’est vrai que l’aspect
« participatif », concret, pragmatique – dans la lignée de l’école de la démocratie délibérative
notamment – est plus développé aux Etats-Unis qu’en France.
D’abord, les réflexions d’un Habermas ou d’un Rawls y ont peut-être été davantage diffusées.
Ensuite, et c’est évidemment lié, parce que l’approche qu’ont les américains de la chose
politique est bien plus pragmatique et utilitariste que l’approche française et européenne. En
France, dans la continuation par exemple de Rousseau, l’idée de nation et de politique est
inextricablement liée avec celle d’universalisme. Pour résumer à l’extrême, pas de place pour
les particularismes ! Même s’il faudrait évidemment nuancer.
De la même façon, le centralisme et l’étatisme (par opposition au fédéralisme, au
régionalisme, à une vision du contrat social qui donnerait une plus grande autonomie à la
société civile…) ont largement étouffé jusque-là toute velléité de « réformes participatives »
ou délibératives. Au total, les discours, les réflexions, les recherches sur la notion de
démocratie non seulement ne circulent pas des masses dans la société française, mais ils
restent à un niveau très général, s’inscrivent dans une tradition philosophique qui est soit trop
monolithique, soit trop abstraite (alors qu’on voit mal ce qu’il y a de plus concret que
l’organisation de la communauté…), et souvent les deux à la fois.
Aux Etats-Unis, même si la nation excède évidemment les groupes (d’intérêt, sociaux etc) qui
peuvent l’habiter, ces groupes sont bel et bien là. La politique assume parfaitement leur
existence, et ne rechigne pas à les utiliser. Les majorités, les élections procèdent de la
construction de coalitions, qu’on construit en mobilisant tel ou tel groupe sur tel ou tel sujet
donné. De même, la relation à l’argent est totalement décomplexée, la liberté d’expression se
veut totale… La politique est une sorte de « marché » au sens économique du terme, en tout
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cas une activité qu’on peut étudier tout autant qu’une autre. Elle est une valeur en soi – mais
la forme qu’elle prend, tant qu’elle s’inscrit dans une tradition libérale, demeure le champ
d’une multitude d’expérimentations. La liberté et la démocratie sont deux valeurs phares ; le
gouvernement ne l’est pas tout à fait, il peut être aisément critiqué, agencé de diverses façons.
La distinction est fine, mais en l’occurrence elle est assez féconde. Or en France, nous
peinons à l’opérer, on verse facilement dans le tout ou rien.
Pensez aussi à des métiers qui n’existent qu’aux Etats-Unis – comme les « community
organizers ». Ils illustrent également cette différence d’approche, de préconception de la
démocratie, de l’intérêt général, et même de la réflexion sur ces idéaux. Les méthodes du
« community organizing », qui sont très concrètes et s’appliquent à des « causes » locales
précises, ont ainsi été développées par un penseur et intellectuel – Saul Alinsky – qui les
mettait lui-même en pratique, et qui a ensuite inspiré tant Barack Obama, lequel a commencé
sa carrière professionnelle dans les quartiers de Chicago comme community organizer,
qu’Hillary Clinton, auteur d’un mémoire quand elle était étudiante sur… Saul Alinsky. En
France, l’œuvre maitresse d’Alinsky, Rules for Radicals, a été traduite une première fois en
1971 avant de retomber dans l’oubli jusqu’à être retraduite cette année ; et les premières
véritables discussions et expérimentations autour de ces thèses et méthodes n’ont lieu que
depuis quelques années.
Un autre facteur d’explication possible, déjà évoqué plus haut, tient à la « jeunesse » des
Etats-Unis par rapport aux vieux Etats-nations. Les Etats-Unis peuvent encore avoir un
rapport enthousiaste (au sens étymologique du terme) à la politique. Les vieux Etats-nations
sont déjà beaucoup plus fatigués de ce point de vue… Et plus ils sont « vieux », plus ils sont
« démocratiques » depuis longtemps, moins ils ont envie de réfléchir sur cette idée de
démocratie. Prenez l’Allemagne ou l’Espagne : ces deux pays confrontés récemment au
totalitarisme et à la dictature ont une culture démocratique et parlementaire bien plus forte
qu’en France. A l’occasion, l’Espagne peut même se montrer formidablement « indignée »…
En France, à l’inverse, nous nous reposons très largement sur certains de nos mythes
fondateurs (Révolution) et sur d’autres « mythes » plus récents (la France, toute
entière Résistante (ou presque) de De Gaulle) pour nous épargner semblables rénovations
intellectuelles.
Cela dit, l’approche purement utilitariste que les Etats-Unis peuvent avoir de la politique a
aussi des défauts considérables. Il n’y a qu’à voir les dérives qu’elle entraîne afin de mobiliser
des camps d’électeurs contraires (surenchère permanente…), ou encore la place de l’argent
dans la compétition électorale, pour s’en persuader…
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INTERVIEW 3. : Pierre Guillou, fondateur de la plateforme Elus 2.0
1. Pouvez-vous présenter votre parcours ainsi que la plateforme Elus 2.0 ?
J’ai travaillé dans les années 2000, dans le monde des agences internet sur Paris,
ensuite j’ai crée une association qui est devenue Accessiweb (en France, la marque de gestion
des normes d’accessibilité à l’internet : possibilité à n’importe qui, en particulier les
personnes handicapées, d’accéder au web), d’ailleurs aujourd’hui il y a une obligation légale
en France, qui oblige le secteur publique d’être numériquement accessible, en plus d’être
physiquement accessible- donc j’ai dirigé cette association pendant 7 années, et en 2009, j’ai
crée ma société de conseil en stratégie numérique qui s’appelle Idéose, et en 2010, j’ai lancé
le site Elus 2.0 dans l’idée d’investir le champ du web politique. Elus 2.0 ayant une vocation
initiale toute simple qui était de créer une base de connaissances et de mettre en avant les élus
qui utilisent internet pour une activité politique. Base de connaissances leur permettant
d’approfondir leurs sujets et bien sûr de commencer de nouvelles activités sur le web.
2. Vous-avez déjà un certain nombre de collaborateurs ou vous fonctionnez plutôt
en partenariats avec d’autres prestataires ?
C’est une petite initiative pour l’instant, nous sommes trois associés à Idéose, nous
avons des partenaires techniques sur les applications iPhone, sur l’Open data mais pour
l’instant on ne communique pas. Pour l’instant notre business sur Elus 2.0 est très simple :
tout est gratuit, c’est un média sur le web politique qui reprend, en les filtrant, différentes
sources d’informations qui traitent de ce sujet en France et aux Etats-Unis. On commence à
recevoir des demandes de prestations, que ce soit des conseils en stratégie ou des formations
en développement d’applications spécifiques et c’est là où nous agissons comme une
plateforme d’intermédiation, c’est-à-dire avec des partenaires, qui vont répondre très
précisément à telle ou telle demande sachant que chaque sujet relatif au web demande une
compétence bien particulière. Donc on agit en intermédiation entre les élus, en tout cas le
monde politique, et les agents techniques spécialisés du web
3. Votre site propose d'évaluer les taux d'activité des politiques sur internet. Est ce
qu'on peut considérer aujourd’hui le web comme un espace de conquêtes
politiques à part ?
Elus 2.0 n’évalue pas vraiment le taux d’activité, les objectifs du site sont bien définis, le
premier est de permettre à tout élu d’avoir son profil et donc de mettre en avant lui-même son
activité sur le web, bien sûr nous validons son affiche, mais on ne fait rien d’autres. Ensuite, il
y a les classements que l’on fait de ces profils, la seule définition qu’on leur donne, c’est le
nombre de followers et le nombre de fans, après, nous on attribue pas plus que ça. J’ai déjà
vu qu’il y avait des articles du genre « non, l’e-réputation, ce n’est pas ça etc. », mais nous on
avait jamais dit qu’on définissait l’influence ou quoi que ce soit, on donne juste des chiffres
qu’on reprend automatiquement, chaque jour, grâce aux applications Twitter et Facebook,
mais on ne fait pas plus que ça. Après, c’est un autre débat de savoir ce que ça veut dire ces
chiffres, on peut tenter deux ou trois explications, mais il faut rester très vigilant et très
honnête sur la puissance d’avoir tel chiffre de followers, ça ne signifie pas pour autant que le
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candidat va être élu, loin de là. Donc voilà, on donne la possibilité aux élus de se présenter et
de présenter leurs activités et on mesure chaque jour le nombre de nouveaux followers. Par
contre, cela n’empêche pas de faire parfois des études. Quand on a sorti l’étude sur les
députés et internet en septembre dernier, et on va bientôt sortir la V2, là on pousse un peu
plus, mais en ce moment, notre projet principal est d’étudier les usages des députés sur
internet.
4. A ce propos, quelle analyse pouvez-vous faire de la façon dont les hommes
politiques utilisent le web ? S'agit-il pour eux, d'un "espace parallèle" qu'il
convient de rallier, ou tout simplement d'un outil de communication
supplémentaire servant surtout à influer sur l'espace public réel ?
Moi à travers mon activité de conseiller de députés locaux (maires, municipaux etc.),
notamment à travers la société Idéose, j’ai en effet une certaine appréciation sur les usages
numériques des élus. L’élément qui me vient à l’esprit par rapport à cette question, c’est qu’il
y a une grande différence entre le propos et l’action : il y a un certain nombre d’élus qui
essaient de s’auto-persuader eux-mêmes de leurs propos, mais après il y a une très grande
différence entre ce qu’ils disent et comment ils utilisent le web. Le propos qu’on entend
souvent, c’est « oui oui, le web fait partie du quotidien, un grand nombre de citoyens y ont
maintenant accès, ils font tout dessus, ils parlent, ils achètent des choses et donc ça fait partie
de la vie quotidienne, et moi en tant qu’élu, je dois y être et je dois gérer ça comme un canal
réel de la vie réelle et non pas faire mon autopromotion ». Ca c’est le discours. Après la
réalité est différente, mais il faut comprendre pourquoi. C’est quoi la réalité : alors bien sûr, il
y a quelques électrons minoritaires qui sont très bons dans les usages du web, et ceux-là on va
les mettre de côté, d’abord parce qu’ils sont vraiment une toute petite minorité, et en plus ils
sont intégrés au monde du web non pas parce qu’ils sont politiques, mais parce qu’ils ont
toujours utilisé le web avant d’être élus. Maintenant, la majorité essaie de se persuader que le
web est un média de dialogue parce qu’ils ont entendu ça à la télé, parce qu’on leur rabâche
« le web social, c’est l’avenir etc. » ils le disent réellement, certains en semblent convaincus,
mais en fait ce que j’ai remarqué, c’est qu’une fois qu’ils sont dessus, eh bien très rapidement,
leurs habitudes, leur éducation politique traditionnelle prend le dessus. C’est-à-dire que c’est
des gens, ainsi que leur entourage, qui ont vécu la politique, les règles de la communication
politique avant que le web social ne fasse son apparition. Donc, les règles de communication
– et d’ailleurs pas seulement la communication politique, mais la communication tout court-
ont été très verticales : En gros, je diffuse une pub à la télé, je mets une pub dans le journal
local, je distribue un tract sur un marché, je mets un panneau dans la rue, je suis content de
moi, j’ai bien réfléchi, la campagne est bien réalisée. Alors certes, j’ai très peu de moyen de
vérifier sur le terrain les retombées de cette campagne, mais peu importe, j’ai fait ce qu’il
fallait faire. Quand le web social est apparu, on comprend bien que les règles de la
communication ont changé puisque sur internet aujourd’hui, bien communiquer c’est non pas
produire de l’information mais c’est mettre en place un environnement de dialogue sur un
thème qui peut vous intéresser, rebondir et s’enrichir de se que vont dire les autres, ce qui va
quelque part créer votre communication en tant qu’homme politique. Et j’ai remarqué que très
rapidement, les élus qui étaient persuadés qu’il fallait investir le web, et bien dès qu’il y avait
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un dialogue qui ne leur plaisait pas, ils vont demander, pour certains, de fermer la
page…d’abord ils vont demander à fermer les commentaires, puis de fermer complétement la
page. Et la raison de ça, c’est que bien évidemment, il y a eu des commentaires qui ne
plaisaient pas à l’élu, et qu’il n’avait pas intégré que ce commentaire était une chance et non
pas un problème. Une chance, parce que ça y est, il avait en face de lui une vraie personne,
avec de vraies informations sur un profil facebook, et donc c’était un potentiel électeur et l’élu
avait la possibilité d’entamer un dialogue avec lui. La personne n’était pas d’accord certes,
mais le rôle de la campagne électorale, c’est justement de convaincre, et pour convaincre il va
bien falloir expliquer et entrer dans le débat ! Il se trouve que la vision biaisée de cet élu
(vision d’une communication traditionnelle à la verticale) l’a empêché de profiter pleinement
des possibilités offertes par le web. Donc voilà, on aura beau leur dire que le web est un
espace de dialogue direct avec des citoyens-électeurs, eh biens ils croient qu’ils sont
confrontés à la réalité d’antan, dès qu’un commentaire ne convient pas, on revient au réflexe
de contrôle, de maîtrise, de peur que ce qu’a dit l’autre impacte leur image car ils sont
vraiment dans une gestion de l’image et de la parole qui est très classique, très ancienne, et là
il va falloir faire une évolution de leur culture communicante. A la limite, la question n’est
même pas politique, mais il n’y a pas qu’eux ! Il y a aussi leur entourage et ça c’est un point
sur lequel j’insiste régulièrement, c’est-à-dire qu’on met le focus sur les politiques et leurs
déphasages sur les usages et la compréhension du web social, c’est en effet la réalité, que je
viens juste d’expliquer, mais il y a aussi leur entourage, qui est constitué de personnes qui
bloquent l’usage du web, et qui ont d’ailleurs comme argument : il faut qu’on protège notre
élu, il faut filtrer, il faut réfléchir beaucoup avant de transmettre une parole au public , il faut
faire attention etc. c’est-à-dire qu’ils fonctionnent avec des normes et des habitudes de travail
où le rôle de l’entourage est justement de « protéger » l’élu. Et donc le fait que l’élu soit en
dialogue direct avec les citoyens sur Twitter ou Facebook les inquiète, et surtout ne rentre pas
dans leur inconscient professionnel, et moi j’ai été frappé par la réaction des étudiants en
science politiques, lors d’une conférence dans laquelle j’ai intervenu, j’étais très frappé du fait
que les élèves de Master sciences politiques, il n’y en avait aucun qui avait un compte
Twitter ! Il n’y en avait aucun qui utilisait Google Alertes ! Et il n’y avait pas de cours sur la
restriction de l’impact du web sur la démocratie et sur la société. Quand je dis donc
entourage, j’inclus aussi les jeunes générations. J’étais très frappé par le cas de ces jeunes – et
moi j’y allais pour une heure et demi d’intervention vous voyez, donc ce n’est pas en ce laps
de temps que j’allais les transformer en cadors du web politique – qui faisaient pourtant
partie d’une école qui normalement traitait du domaine politique, et bien les usages
professionnels du web n’y étaient pas enseignés. Donc, comment voulez-vous que cet
entourage puisse accompagner le mouvement et aider l’élu à intégrer le web dans son
quotidien si eux-mêmes n’ont pas les bases ? On est là dans un mouvement de fond qui va
prendre du temps et je pense qu’il y a un décalage entre les usages du citoyen et les usages du
politique qui va prendre du temps à se rééquilibrer du fait qu’il n’y a pas que l’élu qui est
concerné mais aussi l’entourage, le processus, l’état administratif -allez dire à n’importe quel
service de la mairie qu’ils devront répondre sur Twitter etc. - ça met en branle toute
l’organisation ! Il y a tout un environnement politique, un écosystème qui va devoir muter
avec l’approche du web, et où l’élu se retrouve obligé d’évoluer, mais pas plus vite ni plus
lentement que cet entourage dans lequel il se trouve.