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1 Sorbonne Nouvelle UFR Arts et Médias Institut de la Communication et des Médias L’Homo novus de l’ère numérique ou l’imaginaire du Citoyen 2.0 EL HAJJAMI Anouar Master 1 Information & Communication Sous la direction de Mme Fanny GEORGES 15/05/2012
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L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

Nov 09, 2022

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Page 1: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

1

Sorbonne Nouvelle

UFR Arts et Médias

Institut de la Communication et des Médias

L’Homo novus de l’ère numérique ou l’imaginaire du Citoyen 2.0

EL HAJJAMI Anouar

Master 1 Information & Communication

Sous la direction de Mme Fanny GEORGES

15/05/2012

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2

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier toutes les personnes ayant participé, directement ou

indirectement, à la réalisation de ce mémoire :

Messieurs Fabrice Epelboin, Pierre Guillou et Lucas Surel pour avoir

généreusement accepté de m’accorder des entretiens de qualité.

Madame Fanny Georges, qui a accompagné et enrichi de son expertise ce travail

de recherche du début jusqu’à la fin.

Monsieur Eric Maigret, qui a accepté de prendre en charge, avec Mme Georges,

la correction de ce travail de recherche.

Tous les internautes qui ont répondu au questionnaire sur les usages numériques,

et surtout, mes collègues, amis, famille et accointances, qui m’ont aidé à diffuser

massivement le questionnaire en question.

A toutes ces personnes, je présente mes sincères remerciements et assure que

leurs contributions ont été particulièrement appréciées.

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3

Sommaire Introduction .................................................................................................................................................... 4

Cadre théorique et choix interdisciplinaires ............................................................................................... 6

Quelle pertinence dans la discipline des SIC ? ............................................................................................ 7

Quelques questions de recherche .............................................................................................................. 8

Etat de la recherche ...................................................................................................................................... 10

Corpus I : Théorie ...................................................................................................................................... 10

Le web comme dispositif complémentaire à l’espace habermassien ................................................... 10

World Wide Web : une révolution silencieuse ? .................................................................................... 13

Le nouveau citoyen de l’ère numérique ................................................................................................ 15

L’internet entre engagement politique et marchandisation de l’opinion ............................................. 18

Corpus II : Actions institutionnelles .......................................................................................................... 19

Les administrations françaises et la numérisation : un problème de compréhension .......................... 19

Partis politiques et « engagement faible » : cas du PS ......................................................................... 22

Les TIC et les partis politiques : rupture ou réappropriation ? .............................................................. 23

Corpus III : Actions citoyennes .................................................................................................................. 25

Le vote en ligne : un premier pas vers la démocratie électronique ? .................................................... 25

Empowerment citoyen entre remédiation, bricolage et participation ................................................. 27

Sur la « fracture numérique » et la population des non-usagers .......................................................... 31

Corpus IV : Ouvrages généraux ................................................................................................................. 33

Problématisation et hypothèses .................................................................................................................. 34

Méthodologie de travail ............................................................................................................................... 35

Exposé des méthodes de recherches et d’analyse retenues .................................................................... 36

Analyse des résultats .................................................................................................................................... 38

Bilan........................................................................................................................................................... 49

Critique méthodologique : représentativité, profilage et limites ............................................................. 50

Résultats de la 3ème partie du questionnaire (profilage) ........................................................................... 51

Entretiens qualitatifs et synthèse ................................................................................................................ 53

Une culture numérique insuffisante ..................................................................................................... 53

L’ « engagement faible » : une nouvelle force ...................................................................................... 54

Bibliographie ................................................................................................................................................. 56

Articles scientifiques ................................................................................................................................. 56

Ouvrages généraux ................................................................................................................................... 57

Annexes ......................................................................................................................................................... 58

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4

Introduction

Tandis que l’année 2011 a vu échoir des dictatures jusque là jugées inébranlables1, de

nombreux pays démocratiques s’apprêtent à organiser leurs élections présidentielles, dans un

climat marqué par les crises. Crise économique d’une part, mais aussi crise idéologique (ou

crise démocratique) dont les prémices remontent à quelques dizaines d’années déjà2

.

Parallèlement aux débats politiques qui précèdent systématiquement toute période électorale,

un autre sujet se voit porté sur l’espace public, après avoir été longtemps cloisonné dans le

milieu de la recherche et dans certains cercles de connaisseurs et d’enthousiastes. En effet,

l’évocation de l’impact des nouvelles technologies sur la structure des régimes démocratiques

(système électoral-représentatif, pouvoirs du chef de l’exécutif, légitimité du vote etc.)

avaient lieu uniquement dans le cadre d’un dialogue binaire, entre deux antagonistes : les

Cyber-optimistes d’un côté et les Cyber-sceptiques de l’autre, limitant souvent la réflexion à

l’adhésion ou à la réfutation du discours de la société de l’information3. Depuis deux ou trois

années cependant, les discours scientifiques se diversifient et les travaux de vulgarisation, de

plus en plus nombreux, permettent aux citoyens d’avoir des opinions sur la question et de

faire des initiatives en ce sens.

L’objectif de cette recherche est moins de proposer une nouvelle théorie de la

communication que de sonder l’opinion publique sur les enjeux de l’émergence et de la

démocratisation des nouvelles technologies de l’information, et plus particulièrement du web,

qui demeure le moyen le plus utilisé par les internautes4. Il ne s’agit pas non plus de faire

l’éloge d’une quelconque nouvelle ère, encore moins de déclarer obsolètes les formes de

gouvernance démocratique actuellement en vigueur. Ce travail a pour ambition toutefois, de

mesurer le degré d’influence que pourraient avoir les usages des NTIC sur les pratiques

démocratiques, notamment lorsque les ‘lois’ et les habitudes du citoyen-internaute sur la

toile surgissent de la « boite-internet », si l’on considère la dimension spatio-temporelle

traditionnelle de ce média : un monde dont les frontières seraient matérialisées par les

1 Sur l’ « exception arabe » : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/02/04/vers-la-fin-de-l-exception-

arabe_1475187_3232.html 2 Lire à ce sujet : Pierre Rosanvallon, La légitimité démocratique, Impartialité, réflexivité, proximité, Editions du

Seuil, 2008 et Jacques Ion, La fin des militants, Editions de l’atelier, 1997. 3 Comme le souligne Laurence Monnoyer Smith dans un article qui sera utilisé dans cette recherche: Monnoyer-

Smith Laurence, « La participation en ligne, révélateur d'une évolution des pratiques politiques ? »,

Participations, 2011/1 N° 1, p. 156-185 4 Nous n’allons donc pas aborder d’autres systèmes de réseaux comme l’IRC ou le Peer to Peer dans cette

analyse.

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5

contours de l’écran, entouré par un monde extérieur que l’on désigne par l’appellation

« IRL 5 ».

L’objet de cette recherche est donc principalement le web 2.06 dans sa dimension

citoyenne et politique. Le titre du mémoire est en ce sens, évocateur. Le terme latin Homo

novus, qui a une double signification (l’une historique, l’autre littérale) a été

intentionnellement choisi pour designer le citoyen-internaute à l’aube du XXIe siècle. Encore

faut-il que cette citoyenneté-là soit différente de celle qui la précède, d’où notre intérêt pour

l’« imaginaire »7 du Citoyen 2.0 et non pas pour sa définition même.

Pour revenir à notre expression latine, Homo novus (littéralement « Homme

nouveau ») a une signification particulière dans l’Antiquité Romaine, notamment sous la

République. Par homines novi, l’on désignait des citoyens de la Plèbe qui accédaient aux

hautes instances de l’Etat sans avoir d’aïeuls dans la fonction publique (aucune origine

nobiliaire), ce qui était une exception remarquable à l’époque8. Je cherchais donc, en utilisant

cette terminologie, à faire le lien entre la notion de capacitation (empowerment), et le

renouvellement de l’espace public, ou du moins sa diversification. Le web permettrait-il une

brèche que le citoyen « ordinaire » pourrait emprunter pour accéder à un espace public

originellement restreint ? Si la légitimité démocratique des hautes fonctions publiques est

justifiée par la possession d’un capital socio-culturel conséquent9, le fait qu’internet soit une

source quasi-inépuisable de connaissances, va-t-il remettre en question la légitimité de ces

institutions ? C’est en tout cas ce que semble suggérer, avec plus ou mois de nuances, les

travaux de ces dix dernières années : « [Internet] bouleverse notre conception et notre

pratique de la démocratie. Car Internet aiguillonne toutes les expériences visant à dépasser

la coupure entre représentants et représentés : délibération élargie, auto-organisation, mise

5 In Real Life, « dans la vraie vie » : terme argotique utilisé par les internautes pour qualifier le monde en dehors

de la toile. 6 L’appellation, datant de 2004, est de Sir Tim O’Reilly. L’auteur et consultant Don Tapscott préfère parler de

« Wikinomics » qui rend mieux le caractère collaboratif de ce nouveau web (« wiki » désigne des outils de

partage et de travail collaboratif en ligne) 7 L’objectif étant d’analyser la perception du citoyen-connecté et non pas de théoriser un nouveau type de

citoyenneté. 8 Leonhard A. Burckhardt, The Political Elite of the Roman Republic: Comments on Recent Discussion of the

Concepts "Nobilitas and Homo Novus", Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte, Bd. 39, H. 1 (1990), pp. 77-99 9 « Appartenant aux grands corps de l’Etat, issus de la nouvelle Ecole nationale d’administration (ENA) fondée

en 1945, ils ont érigé leur savoir, essentiellement économique, en instrument de pouvoir et de reconnaissance.

Leur service de l’Etat […] s’est également présenté comme ‘‘un hommage à la rationalité’’ » Pierre

Rosanvallon in. op. cit. p. 90

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6

en place de collectifs transnationaux, socialisation du savoir, essor de compétences critiques,

etc. » écrit Dominique Cardon dans son livre La Démocratie Internet, promesses et limites10

.

Au vu du sujet étudié, cette recherche aurait aussi bien pu s’intituler : « Internet et

rapports de pouvoir : glissement de paradigme ? »

Cadre théorique et choix interdisciplinaires

La démarche envisagée dans cette recherche est à la fois philosophique, politique et

sociologique. Philosophique car les questions soulevées, du moins dans la première partie, ont

un caractère global qui va questionner, au-delà de la gestion des affaires de la cité, les valeurs

qui définissent les fondements d’une société. Les contextes historique et philosophique dans

lesquels internet a bourgeonné et évolué sont autant de champs à étudier avant d’envisager

une approche plus empirique consistant à sonder et à évaluer les pratiques sociologiques des

citoyens (par le biais de questionnaires et d’entretiens qualitatifs). La théorie politique sera

également évoquée dès la première partie de la recherche car méconnaitre le contexte

politique dans lequel le web a émergé empêcherait la juste évaluation du degré de

transformation de l’imaginaire citoyen, et de ses habitudes civiques à l’ère numérique.

En ce qui concerne le cadre théorique, la littérature est foisonnante autour du sujet choisi.

Aussi, au vu des objectifs de la recherche, qui consistent en une évaluation des usages de

l’internaute-citoyen dans une perspective politique, le cadre théorique se restreint aux travaux

de recherche les plus importants qui traitent de l’impact des NTIC sur les sociétés

démocratiques, et le choix des ressources à exploiter se fera sur le critère de positionnement

de ces travaux sur une échelle d’opinion allant d’une totale adhésion au discours techno-

optimiste à la critique la plus acerbe de ce discours. Cependant, il s’agit moins de schématiser

ces recherches de manière dichotomique (Pro-NTIC VS Anti-NTIC) que d’essayer de relever

des pistes nouvelles à explorer, en confrontant et en comparant les arguments exposés dans les

différents travaux qui s’opposent. Comme cela a déjà été évoqué précédemment, les études les

plus récentes sortent justement de ce schéma dichotomique, ce qui rend l’analyse comparative

plus complexe et plus intéressante.

Cette complexité exige toutefois un second critère de sélection : il s’agit cette fois-ci de

différencier les travaux de recherches selon trois catégories :

Dominique Cardon, La démocratie Internet, promesse et limites. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010, p.

8

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7

1. Théories fondamentales : pour les travaux fondateurs définissant les contours d’une

théorie de base sur laquelle d’autres recherches se sont appuyées par la suite.

2. Actions institutionnelles : catégorie regroupant les différents travaux menés sur des

initiatives institutionnelles concrètes dans une démarche d’adaptation à la

« conversion numérique » et à l’avènement de la « démocratie 2.0 »

3. Actions citoyennes : il s’agit des recherches portant sur les initiatives citoyennes se

basant sur les nouveaux outils numériques (interfaces démocratiques alternatives,

dispositifs d’« empowerment » citoyen etc.)

Quelle pertinence dans la discipline des SIC ?

Bien que les sciences de l’information et de la communication soient un champ de

recherche pluridisciplinaire, l’ensemble de la recherche ne s’intéressera que de façon

périphérique à la dimension technique et aux sciences de l’ingénieur (télécommunications,

informatique…). Les usages étant l’objet d’analyse principal, la communication

intersubjective sera d’avantage décortiquée même si l’interface humain-machine devra

fatalement être élucidée pour comprendre la communication humaine à l’ère du numérique.

La question est de savoir si l’arrivée de ces nouvelles techniques de communication a un

effet amplificateur sur la communication interhumaine (d’où la notion d’empowerment ou de

technologies capacitantes11

) ou à l’inverse, un effet d’empêchement et de brouillage12

. La

sociologie et les sciences politiques sont, de ce fait, prégnantes et se rajoutent à la dimension

anthropologique de la communication.

De manière plus concise, la pertinence de ce travail de recherche dans la discipline des

SIC tient en deux points : le premier est l’hypothèse même qui s’inscrit dans la continuité

d’un ensemble de questionnements formulés par les chercheurs en SIC durant les vingt

dernières années13

, et le deuxième point concerne la procédure analytique empruntée (étude

des usages et des habitudes socioculturelles) qui sera appliquée sur un objet de recherche

ayant trait à la communication sur différents niveaux (interindividuelle, institutionnelle,

interface homme-machine, et sciences politiques).

11

Francis Pisani et Dominique Piotet, Comment le web change le monde : L'alchimie des multitudes. Village

mondial, 2008. 12

Cette position a été celle d’un certain nombre de sociologues et de philosophes français, communément

nommés les « postmodernes ». 13

Cf. Bibliographie

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8

Enfin, la nature de l’objet étudié durant la seconde partie de ce mémoire14

(une interface

numérique), exige une méthodologie et des connaissances en ergonomie et en sémiotique des

interfaces, ce qui fait de ce domaine de recherche un quatrième champ disciplinaire en SIC à

prendre en considération dans l’élaboration de ce travail.

Quelques questions de recherche

Pour mettre encore plus en évidence la place considérable des SIC dans ce projet, nous

allons d’abord formuler des questions que la seconde partie du mémoire traitera de manière

plus acérée, en posant une problématique et des hypothèses précises.

En partant du plus général au plus particulier, la question la plus globale que l’on voudrait

bien se poser dans le cadre de ce mémoire est : Est-ce qu’internet altère les modèles de

gouvernance actuels ? La littérature traitant de près ou de loin, de cette question est

particulièrement généreuse, tandis que les théories les plus passionnées (et les plus

antagonistes) abondent depuis au moins une vingtaine d’années15

. Toutefois, l’intérêt des

travaux portant sur les NTIC aujourd’hui, n’est plus seulement de se demander si Internet

change le rapport des Hommes entre eux et avec le monde, mais c’est surtout d’étudier les

changements déjà en cours depuis l’avènement du web et en mesurer l’ampleur, afin

d’anticiper les transformations sociétales dans des domaines bien précis16

.

C’est la raison pour laquelle la problématique de ce mémoire a été recadrée, de manière à

ne contenir qu’un seul champ social à examiner : celui du lien entre le citoyen et la gestion de

la chose publique. Il s’agit d’un sujet qui a été, à plusieurs reprises, étudié sous un aspect

sociologique et politique, notamment après le rejet, par les citoyens Français, du traité

constitutionnel européen en 200517

, mais cela n’empêche pas de réaliser un travail qui va au-

delà de la simple synthèse des théories et des résultats obtenus jusqu’ici et de chercher à

vérifier sur le terrain les différentes hypothèses avancées dans ce domaine.

14

Dans un premier temps, il s’agira d’une présentation générale des fonctionnalités de l’objet étudié, l’analyse

complète est prévue pour la version développée de ce travail de recherche (Master 2) 15

Un exemple parmi d’autres : L’homme numérique de Nicholas Negroponte, 1994 16

Sujet de prédilection d’auteurs comme D.Cardon et P. Flichy (cf. Bibliographie) 17

Guilhem Fouetillou, « Le web et le traité constitutionnel européen. Ecologie d’une localité thématique

compétitive », Réseaux, n° 147, 2008, p. 229-257

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9

Nous nous retrouvons alors devant un enchaînement de questions à traiter :

A l’ère du tout-numérique, quelle valeur le citoyen donne-t-il à des pratiques

démocratiques comme le passage à l’urne ?

Depuis l’avènement du web, une « culture numérique » s’est incontestablement

développée dans les sociétés connectées, modifiant les rapports et les habitudes

sociales des individus, quel impact a véritablement cette ‘expérience virtuelle’ sur

la perception citoyenne du processus démocratique ?

Si l’on considère des expériences de gouvernance alternative comme celle de

Wikipédia18

comme un véritable succès, devrait-on s’attendre à une remise en

question massive des systèmes de gouvernance démocratiques actuels (sphère

électorale-représentative, aspect régalien de la fonction présidentielle, mandat

quinquénaire etc.) ?

Si, a contrario, l’expérience du web démo-participatif n’est pas transposable à

l’espace public ‘réel’, quels sont les facteurs qui empêchent cette transposition et

quelles limites (techniques ou anthropologiques) relève-t-on dans ces

dispositifs (fracture numérique, réticence citoyenne, vulnérabilité des techniques

etc.) ?

Existe-t-il des initiatives citoyennes cherchant à transposer le modèle du web

démo-participatif sur l’espace public ? Si tel est le cas, quelles conclusions peut-on

dorénavant tirer de ces expériences inédites au vu de leurs premiers résultats ?

Comment les institutions accueillent-elles la conversion numérique en général et

les initiatives citoyennes en particulier ? S’agit-il d’une réaction de méfiance ou

plutôt d’adoption et d’appropriation ?

Peut-on parler de « crise des idéologies19

» et de « segmentation » du débat

politique ou s’agit-il d’une évolution logique de l’espace public dans un contexte

d’individualisation accélérée des sociétés contemporaines ? Dans un cas comme

dans l’autre, quel rôle joue exactement le web dans cette évolution ? (rôle de

substitution, catalyseur…?)

Enfin, et après analyse des résultats obtenus par une méthodologie empirique et

quelques éléments de réponse aux questions précédentes :

18

Dominique Cardon, Julien Levrel, « La vigilance participative. Une interprétation de la gouvernance de

Wikipédia », Réseaux, n° 154, 2009, p. 51-89. 19

In Philippe Breton, L'utopie de la communication, le mythe du « village planétaire », La Découverte, 2004

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10

Peut-on réellement inscrire l’évolution du web politique dans le cadre des

grandes théories fondamentales qui ont été avancées durant les trente dernières

années ? (société de la communication, paradigme cybernétique, « autoroutes

de l’information », etc.)

Etat de la recherche

Corpus I : Théorie

Dix articles ont été minutieusement étudiés, chacun apportant des éléments nouveaux

à la réflexion autour des usages des NTIC par les citoyens-internautes. Quatre de ces articles

constituent le premier corpus que nous avons décrit comme « théorique-fondamental »,

s’agissant de travaux traitant de démocratie et d’internet en général sans pour autant analyser

d’objets particuliers (initiatives citoyennes ou institutionnelles), ou alors de manière très

périphérique.

Le web comme dispositif complémentaire à l’espace habermassien

Le premier de ces travaux est l’article de P. Flichy intitulé « La démocratie 2.0 », paru

dans la revue Etudes en 2010. Cet article commence par présenter, de manière concise et

plutôt critique, les résultats des travaux de recherche en sociologie et en sciences politiques

ayant pour objet les technologies numériques. Alors que l’espoir de renouveau, porté par

internet, avait atteint son paroxysme, les chantiers de réforme prédits au début de l’ère

numérique ne se sont que très partiellement réalisés, faisant basculer l’opinion des chercheurs

du plus grand optimisme au plus grand pessimisme.

Cela n’a toutefois pas remis en question les « vertus démocratiques »20

d’internet qui

consistent entre autres, en un égalitarisme quasi absolu dans les échanges entre internautes,

rendu possible par l’anonymat. Toutefois, P. Flichy rappelle les limites de ces débats en ligne

et leur caractère « succinct, exagérément critique ou laudatif », il utilise pour qualifier ces

échanges, l’expression du sociologue Michaël Dumoulin, les « monologues interactifs » et

évoquent la réalité du découragement des internautes à cause des guerres d’injures (flame

wars) qui caractérisent souvent ces débats.

20

L’expression est de Dominique Cardon. Cf. CARDON Dominique, « Vertus démocratiques de l’Internet », «

Réinventer la démocratie » (Grenoble, 9 mai 2009) La République des idées.

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11

Les vertus du réseau des réseaux demeurent toutefois importantes selon P. Flichy. Le

débat en ligne peut constituer un excellent espace d’apprentissage où le citoyen accède à des

ressources politiques lui permettant de tenir un discours argumentatif élaboré dans l’espace

public « réel ». De ce point de vue, internet serait moins un nouvel espace public menaçant de

remplacer l’espace public traditionnel qu’un dispositif complémentaire de débats organisés

dans un autre cadre. Pour illustrer ce propos, P. Flichy donne l’exemple de l’expérience du

parlement britannique, datant des années 2000, qui a permis à des citoyens qui n’avaient, pour

la plupart, aucun lien avec les partis, de se prononcer sur un certain nombre de questions

débattues au parlement, en se connectant sur la plateforme numérique crée à cet effet. Au

niveau local, l’exemple du débat autour de la construction du troisième aéroport parisien21

est

significatif : tandis que les participants aux débats organisés en salle sont majoritairement des

représentants d’associations ou de groupes constitués, les e-participants eux, sont pour la

plupart des citoyens sans aucune affiliation politique ou associative. P. Flichy en conclue que

l’internet favorise un nouveau type d’engagement politique basé sur le témoignage22

.

Cette participation ponctuelle au débat politique est à l’image du citoyen

contemporain : de la même manière que les conversations politiques se déroulent le plus

souvent dans des groupes limités (famille, travail), les écrits politiques sur Internet sont

d’abord adressés à quelques proches23

, puis prennent une dimension plus universelle quand un

événement porte le débat sur l’espace public24

. P. Flichy évoque à cet égard l’analyse d’André

Gunthert25

des attentats de métro de Londres en 2005, expliquant comment des photos prises

sur des téléphones portables pour des raisons d’abord personnelles (« réappropriation de

l’événement » par les citoyens, les aidant à diminuer le traumatisme) ont fait le tour du monde

via les plus grands médias internationaux.

Internet est donc un outil qui renforce la vigilance et la dénonciation citoyennes. P.

Flichy n’hésite pas à faire le parallèle avec le concept de « Contre-démocratie » développé par

21

Relaté par Laurence Monnoyer-Smith dans: Laurence Monnoyer-Smith, « Citizen Deliberation on the Internet

: an exploratory Study », International Journal of E-government Research, 2006, n° 2. 22

« Le premier mode d’expression sur internet est celui du témoignage. Le « journaliste-citoyen » a rarement

les moyens de mener des enquêtes originales. Il peut comparer et synthétiser les sources disponibles sur le web,

mais il peut aussi livrer son expérience, interroger les propositions politiques à la lumière de ce qu’il a vécu. » 23

« Expressivité » en « clair-obscur », pour utiliser les terminologies de F. Granjon et D. Cardon 24

Un exemple extérieur à l’article de P. Flichy, est celui d’Alisa Chiraponsge, connue sous le pseudonyme de «

aka gnarlykitty », pour avoir relaté les événements du putsch militaire de 2006 en Thaïlande, alors que son blog a

été initialement un espace d’échange « intimiste » entre copines. 25

André Gunthert « Tous journalistes ? Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs », dans Gianni

Haver (dir), La photo de presse : usages et pratiques, Lausanne, Antipodes, 2009

Page 12: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

12

Pierre Rosanvallon dans son ouvrage au titre similaire26

. Cette vigilance citoyenne peut

prendre différentes formes : de la collection et de la circulation d’informations concernant les

droits des citoyens, avec pour objectif leur renforcement par un travail de pédagogie (il peut

d’ailleurs s’agir d’informations inédites, de nature confidentielle27

), comme de l’organisation

de mobilisation dans le monde réel ou sur internet à travers des envois massifs de mails ou des

pétitions en ligne28

Le web devient donc l’espace où les citoyens, de moins en moins consentants vis-à-vis

de la volonté des politiques à prendre des décisions majeures sans tenir compte des

individualités des citoyens, expriment leur désaccord. Flichy cite, à cet égard, Michel de

Certeau quand il parlait, il y a dèjà quarante ans, de la remise en question de cet abus de

savoir : « cette volonté de vouloir convertir la compétence en autorité »29

D’autre part, les institutions et les partis politiques traditionnels ne semblent pas

encore tout à fait en mesure de s’approprier le web de manière effective. Flichy donne

cependant l’exemple du Parti Radical Italien30

, qui semble être l’unique parti au monde à

délibérer des opérations les plus importantes du parti dans des espaces numériques où

l’ensemble des militants sont invités à faire des propositions.

En guise de conclusion, malgré les limites de la sphère numérique, qu’ils soient

d’ordre techniques ou anthropologiques, et les divers discussions piquantes autour de la place

que va prendre le web dans la vie démocratique dans les prochaines années, un constat

semble incontestable selon P. Flichy : « Le citoyen veut de moins en moins déléguer la prise

de décision aux élus et aux experts ». Cette affirmation est particulièrement intéressante dans

le cadre de ce mémoire puisque nous allons vérifier sa véracité dans notre enquête sur la

perception et les usages du citoyen-internaute. De manière générale, ce premier travail de

Patrice Flichy apporte déjà quelques nuances (le web ne remplace pas complétement l’espace

public mais s’y ajoute) qui nous éviteront de partir sur de fausses pistes.

26

Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie. La politique à l’age de la défiance, Le Seuil, 2006. 27

L’exemple de Wikileaks incarne parfaitement ce type d’activisme numérique. 28

Un des exemples récents les plus spectaculaires est celui de l’affaire « Trayvon Martin » qui a secoué les

Etats-Unis en mars 2012, avec une pétition en ligne atteignant les 50 000 signatures par jour. 29

Michel de Certeau, « Une culture très ordinaire », Esprit, octobre 1978, p. 9 30

Raphaël Kies, « Forum en ligne et partis poli-tiques. Analyse des Radicali italiani », Réseaux, 2008, n° 150.

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13

World Wide Web : une révolution silencieuse ?

Le deuxième article clé de ce mémoire s’intitule « Internet, vers la démocratie

radicale ? » par Benjamin Loveluck31

. Dans ce travail de recherche, analysant les usages de

l’internet dans un contexte politique en pleine mutation depuis les années 1980 (crise de la

démocratie représentative et défiance citoyenne), B. Loveluck, au même titre que P. Flichy,

relève un lien intéressant entre l’arrivée de l’Internet et l’avènement de ce que P. Rosanvallon

appelle la Contre-démocratie. Selon ce dernier, la défiance citoyenne se manifesterait en trois

dimensions : le peuple-surveillant, le peuple-veto et le peuple-juge. Ces nouveaux pouvoirs

viendraient se « surimposer » au pouvoir plus traditionnel du peuple-électeur, assuré par le

contrat social.

Mais comment expliquer le succès de ce média « ultime » qu’est l’internet là où les

médias traditionnels n’ont pas tout à fait marqué de rupture considérable ? Loveluck donne un

premier élément de réponse en expliquant qu’internet est devenu le pivot des démocraties

libérales car « il renforce leur principe régulateur fondamental », à savoir les droits de

l’homme. Il cite, dans la suite de son raisonnement, le travail de Marcel Gauchet32

qui

décortique l’évolution des démocraties depuis l’effondrement de l’union soviétique et la fin

des grandes idéologies politiques. Selon Gauchet, nous aurions renoué, depuis la fin des

années 1980, avec l’ambition droit-de-lhommiste de 1789, une fois la phase intérimaire des

grandes idéologies issues du XIXème siècle dépassée. Internet viendrait alors, selon

Loveluck, « décupler, catalyser, accélérer les attentes suscitées par les démocraties

libérales ». Le rôle du réseau des réseaux serait «d’abolir toute forme de médiation […] d’en

finir avec la nature implicitement aristocratique33

de l’élection et de la représentation. ». Au

même titre que l’apport du premier article, cette affirmation sera particulièrement importante

dans l’élaboration de notre enquête puisqu’il s’agira d’analyser l’opinion publique sur des

sujets comme la légitimité du système électoral-représentatif.

L’auteur parle, justement, d’une nouvelle forme d’idéologie selon laquelle le régime

électoral-représentatif ne serait qu’une phase historique nécessaire mais transitoire, qui

31

Doctorant à EHESS et enseignant à Sciences Po. De formation en marketing et communication, B. Loveluck

s’intéresse à internet dans sa dimension politique : « L’objet de notre travail est de dessiner un cadre d’analyse

permettant d’appréhender internet dans sa dimension politique, en tant que mode d’être ensemble à la fois inédit

et enraciné dans l’histoire de la modernité politique et sociale. Nous nous intéressons tout particulièrement à la

proposition selon laquelle internet constitue « un système auto-organisé », au sein duquel on trouve « de l’ordre

sans contrôle ». http://cespra.ehess.fr/document.php?id=1231 32

Voir, notamment, «Quand les droits de l’homme deviennent une politique», in La Démocratie contre elle-

même, Paris, Gallimard, 2002. 33

Voir Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

Page 14: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

14

laisserait place à une démocratie « réelle » et plus achevée, ceci grâce aux nouvelles

technologies numériques, et au réseau des réseaux. Ainsi, en se présentant comme un outil

d’abolition des médiations, Internet ne remet pas en cause la légitimité des représentants-élus

seulement, mais également tous les intermédiaires qui opèrent une certaine forme de

transmission (éducation, médiation culturelle) et de représentation (partis politiques,

associations, syndicats)34

. Ce basculement du rapport au pouvoir dans les sociétés

occidentales, Loveluck l’inscrit dans une longue évolution historique remontant jusqu’à

l’invention de l’écriture, qui aurait permis de « reprendre aux «maîtres de vérité35

» le savoir

dont ils étaient jusqu’alors les dépositaires exclusifs. Leur rôle était de rapporter et de

transmettre un enseignement provenant d’une source supérieure, transcendante. ». De la

même façon que l’invention de l’imprimerie aurait fait basculer les sociétés occidentales, de

sociétés hétéronomes « recevant leurs ordres de l’extérieur –les dieux, la tradition- » à des

sociétés autonomes, dont les connaissances et les représentations du monde sont produites de

manière personnelle et individualisée.

Cette « révolution silencieuse » en marche, l’auteur l’illustre en évoquant, à titre

d’exemple, les conflits idéologiques actuels sur la toile, autour de la notion de copyright. Il

donne comme exemple le manifeste de McKenzie Wark, A Hacker Manifesto, dans lequel

l’auteur soutient que « la notion de propriété intellectuelle est à l’origine d’une nouvelle lutte

des classes, opposant ce qu’il appelle les «vectorialistes» (ceux qui s’approprient

l’information, et qui ont la mainmise sur la distribution) aux hackers, qui sont les véritables

producteurs de savoir et de services. »

Aujourd’hui, nous serions en train de vivre une troisième rupture paradigmatique

importante, dont internet serait le déclencheur. Dans les termes de Benjamin Loveluck :

« C’est le passage de la «galaxie Gutenberg», selon l’expression de MacLuhan, à la «galaxie

Internet» décrite dès 2001 par Manuell Castells. ». Reste à savoir si cette

« révolution silencieuse » touche une grande partie de la population ou tout juste une élite

imprégnée de la culture « hacker » des premiers usagers de l’internet avant sa démocratisation

massive. Chose que nous ne tarderons pas à vérifier dans notre enquête.

34

Cette thématique sera d’ailleurs l’objet d’un ouvrage que nous allons également utiliser pour l’élaboration de

ce mémoire, à savoir : Patrice Flichy, Le sacre de l'amateur : Sociologie des passions ordinaires à l'ère

numérique. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010. 35

Selon l’expression de Marcel Detienne, désignant l’aède, le devin, le roi de justice chez les Grecs (Les Maîtres

de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, Maspero, 1967).

Page 15: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

15

Le nouveau citoyen de l’ère numérique

Revenons un moment sur le travail de Patrice Flichy et un second article intitulé

« Internet et le débat démocratique » où l’auteur s’attarde davantage sur des objets concrets

pour analyser les débats politiques sur le web et définir ce qu’est un citoyen-internaute à l’ère

de l’internet généralisée.

Nous commençons tout d’abord avec le cas de Debian, une sous-communauté de

Linux qui a été analysée entre 2003 et 2005 par Nicolas Auray36

qui décrit une organisation

par cycle de correction et une élection directe des développeurs par les membres de la

communauté, au moyen de dispositifs de vote complexes. Un autre exemple parlant est celui

du projet Minnesota E-Democracy observé par Lincoln Dahlberg en 200137

, où il constate de

véritables délibérations en ligne et une alternative à l’espace public traditionnel réussie (dans

le respect des règles habermassiennes).

De ces deux études, P. Flichy conclut qu’un débat politique sur internet peut tout à fait

égaler en qualité les débats de l’espace public traditionnel à condition qu’un certain nombre

de règles soient respectées par les internautes. Le travail des modérateurs consisterait, dans ce

contexte-là, à recadrer le débat et prévenir les abus. Si, au contraire, internet est perçu comme

un espace hors-la-loi, où les règles de bon usage ne sont pas respectées et les intentions des

usagers pas tout à fait démocratiques (propagande, refus d’argumenter, attaques personnelles

etc.), les limites du web sont très vite atteintes et toute discussion devient impossible, comme

le montre bien Michael Schudson dans son article, cité par Flichy : « Why conversation is not

the soul of democracy »38

.

La deuxième partie de l’article est également intéressante pour notre réflexion

puisqu’elle s’intéresse au modèle socio-économique dans lequel les pratiques des internautes

ont émergé. Flichy cite alors Cass Sunstein39

, un vif critique du modèle « de la souveraineté

du consommateur » qui caractérise selon lui, la sphère numérique. Internet ne devrait pas être

considéré comme un espace politique, car l’opinion publique se construit par le débat,

36

AURAY N. (2003), « La régulation de la connaissance : arbitrage sur la taille et gestion aux frontières dans la

communauté Debian », Revue d’économie politique, mars, p. 74-99.

AURAY N. (2005), « Le sens du juste dans un noyau d’experts : Debian et le puritanisme civique », Proulx S.,

Massit-Folléa F. et Conein B. (dir.), Internet, une utopie limitée. Nouvelles régulations, nouvelles solidarités,

Québec, Les Presses de l’université Laval, p. 71-94. 37

DAHLBERG L. (2001), “Extending the Public Sphere through Cyberspace: The case of Minnesota E-

Democracy”, First Monday, vol. 6, n° 3, http://firstmonday.org/issues/issue6_3/dahlberg/index.html 38

SCHUDSON M. (1997), “Why Conversation is Not the Soul of Democracy”, Critical Studies in Mass

Communication, 1997, vol. 14, p. 297-309. 39

SUNSTEIN C. (2001), Republic.com, Princeton, Princeton University Press.

Page 16: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

16

l’échange et la délibération, tandis que les choix pris sur internet sont souvent des choix

pragmatiques servant les intérêts individuels de l’internaute. Il faut donc, selon lui, faire la

distinction entre le citoyen et l’internaute-consommateur car « les citoyens ne pensent pas et

n’agissent pas comme des consommateurs »

Mais l’avis de Cass Sunstein n’est pas partagé par tout le monde, comme P.Flichy ne

tarde pas à le démontrer. David Johnson et David Post donnent une définition complétement

différente du citoyen-internaute qui se construit sur l’individualisme consumériste. « Dans le

monde de la communication en ligne, peut-on lire dans leur ouvrage40

, on ne peut pas

contrôler le pouvoir des opérateurs par le principe “une personne, une voix”, mais plutôt en

quittant le système. Et on peut penser que la combinaison de processus décentralisés résultant

d’une part de l’action unilatérale des opérateurs pour définir le monde en ligne et d’autre

part des décisions aussi unilatérales des usagers d’entrer ou de quitter ces espaces, arrivera

à bien répondre aux problèmes de l’action collective »41

. Nous passons donc d’une

citoyenneté basée sur les échanges et le consensus, à une citoyenneté basée sur le « vote par

clic ». Le citoyen-consommateur conforte ou dénonce une décision politique ou une

institution en acceptant ou en refusant de collaborer avec (ou la « consommer » si l’on puit

dire)

Dans la troisième partie de cet article, l’auteur revient sur le taux de participation de

l’internaute-citoyen et ses habitudes dans les espaces numériques. Ainsi, selon une enquête

américaine réalisée sur la campagne présidentielle de 2004, 48,5% des internautes américains

consultent les sites de grands médias comme CNN.com (qui fait à lui seul 20% de l’audience).

Cette enquête montre à quel point on ne peut considérer internet comme un espace parallèle

permettant de détourner les dominations médiatiques du monde réel. Une autre enquête

menée par Jennifer Stromer-Gallery auprès de petits groupes de discussions sur internet, dont

l’objectif est de mesurer l’homophilie des débats (regroupements d’individus idéologiquement

proches), a montré que les groupes les plus homogènes étaient ceux qui réunissaient des

individus dont l’entourage off-line (famille, travail etc.) ne partageait pas les idées. Internet

n’est donc considéré comme un espace de liberté discursive que lorsque le monde réel est

hostile à l’internaute. Mais la majorité des internautes cherchent, au contraire, à débattre avec

d’autres internautes dont les opinions sont différentes des leurs.

40

JOHNSON D. et POST D. (1998), “The New ‘civic virtue’ of the Internet”, First Monday, vol. 3, n° 1,

http://firstmonday.org/issues/issue3_1/johnson 41

JOHNSON D. et POST D. (1998), “The New ‘civic virtue’ of the Internet”, First Monday, vol. 3, n° 1,

http://firstmonday.org/issues/issue3_1/johnson

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17

Dans la même perspective d’analyse des usages numériques, d’autres études ont

démontré, en France comme aux Etats-Unis, que la participation des internautes au débat

public en ligne n’est souvent pas intentionnelle. Il y aurait, en effet, 35% de commentaires en

plus dans des forums et des blogs dont la thématique principale n’est pas la politique (ex :

Doctissimo – site sur la santé- et Hardwarre – site sur sur l’informatique etc). Ce constat relaté

par P. Flichy, est particulièrement intéressant pour notre recherche car l’étude quantitative

lancée dans le cadre de ce mémoire cherche justement à relever ce genre de particularités dans

les habitudes des internautes. Nous aurons donc l’occasion de mettre en perspective les

résultats de cette étude avec ceux des enquêtes précédentes. Plus intéressant encore est de

découvrir, dans cet article, que les enquêtes sociologiques en ce domaine, reste très peu

nombreuses42

, et que les rares travaux, comme ceux de Pipa Norris démontre qu’au-delà

d’une « fracture numérique » entre usagers et non-usagers des NTIC, il y a également une

« fracture démocratique » qu’il serait tout autant intéressant d’étudier. En effet, avoir accès à

internet ne signifie pas systématiquement se l’approprier et en faire un outil

d’autonomisation citoyenne. Nous rencontrerons certainement dans les années à venir, une

terminologie que certains observateurs utilisent déjà pour qualifier cette « culture numérique »

dont la possession conditionne l’usage optimal du web43

.

Enfin, P. Flichy fait un constat qui reste fidèle à l’hypothèse développée dans son

article « Démocratie 2.0 » et plus ou moins en opposition avec le constat de Benjamin

Loveluck. Flichy considère, en effet, qu’internet ne remet pas en question la démocratie

électorale-représentative, mais sert plutôt comme moyen de surveillance (sousveillance44

?) et

de contre-expertise, ce qui nous ramène encore une fois au concept développé par Pierre

Rosanvallon, et c’est d’ailleurs ainsi que Patrice Flichy termine son article : « La démocratie

réticulaire est en somme une contre-démocratie ».

42

Comptant développer la recherche, dans les années à venir, autour des « usages » et des « non-usages » de

l’internet (« fracture numérique » et intérêt pour la chose publique), cette anecdote ne peut que m’encourager à

continuer sur cette voie. 43

Il s’agit de la notion de Digital literacy, maladroitement traduit par « alphabétisme digital » in PISANI

Francis, PIOTET Dominique, Comment le web change le monde : L'alchimie des multitudes. Village mondial,

2008. 44

Terminologie proposée par Steve Mann, en hommage à Jeremy Bentham et à Michel Foucault :

http://www.anonequity.org/weblog/archives/2006/01/exploring_equiv_1.php

Page 18: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

18

L’internet entre engagement politique et marchandisation de l’opinion

Avant de passer aux articles traitant des « initiatives institutionnelles », nous allons

aborder, de façon concise, un dernier article de cette première catégorie. Il s’agit d’un acte de

colloque par Dominique Cardon, intitulé « Les vertus démocratiques d’internet »45

Les idées fortes de cet acte de colloque ont été notamment relatées dans un ouvrage

par le même auteur, qui est également étudié dans le cadre de ce mémoire46

. Il s’agit

principalement de l’imaginaire de l’internet et le rôle que celui-ci a joué dans l’avènement

d’une société de la mise à disposition des compétences (le modèle du « Wiki » en est la plus

grande consécration). Ce modèle de « coopérations faibles » a permis d’inverser le processus

d’organisation d’actions collectives, de l’Etat vers la société (haut en bas) à la société vers

l’Etat (de bas en haut). Cet inversement, dont les premières conséquences peuvent

sérieusement inquiéter les autorités47

n’a été possible que par l’émergence des NTIC qui ont

provoqué « une baisse drastique des coûts de mise en place de systèmes auto-organisées à

large échelle ». L’importance de ce nouveau type d’engagement sera d’ailleurs étudiée plus

en détail dans la partie analytique de ce mémoire, notamment grâce aux apports des

professionnels interviewés dans le cadre de l’enquête qualitative qui accompagne le

questionnaire sur les usages numériques des citoyens-internautes.

D’autre part, D. Cardon évoque le nouveau paradigme économique basé sur les

algorithmes de « filtrage collaboratif ». Bien que des sociétés comme Google avec son

nouveau moteur de recherche personnalisé et Facebook et son ambitieux projet de Graphe

Social48

, n’ont cesse de répéter que les algorithmes permettront un filtrage « neutre» de

l’information, basé uniquement sur les intérêts des internautes, nul doute que les intérêts

commerciaux n’épargneront pas ce nouveau terrain susceptible de rapporter des millions de

dollars et les déformations en conséquence de cette introduction des géants de l’économie ne

tarderont pas à se faire sentir. Des activistes du web ont déjà commencé à mettre en garde

45

CARDON Dominique, « Vertus démocratiques de l’Internet », « Réinventer la démocratie » (Grenoble, 9 mai

2009) La République des idées. 46

CARDON Dominique. La démocratie Internet, promesse et limites. Paris, Seuil, La République des Idées,

2010. 47

Les Flash mobs ou « foule éclair » sont des pratiques issues de la culture numérique qui consiste à se donner

rendez-vous sur les réseaux sociaux ou par messagerie téléphonique, pour se retrouver à un endroit précis dans

les heures qui suivent (voire dans la demi-heure) afin de créer un effet de surprise généralisée. Ces pratiques, si

elles sont inoffensives et à visée humoristique, peuvent se politiser et constituer une véritable action de défiance. 48

« L'importance du graphe social mis à la mode par Facebook est telle que Tim Berners-Lee suggère que

nous sommes en train de passer du world wide web au giant global graph, le GGG. Au départ l'internet reliait

des ordinateurs entre eux? Le web permet de relier les documents. » in PISANI Francis, PIOTET Dominique,

Comment le web change le monde : L'alchimie des multitudes. Village mondial, 2008.

Page 19: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

19

contre cette passation du pouvoir des gate-keepers à des robots algorithmiques constituant des

« bulles filtrantes »49

.

Cette évolution idéologique et économique du réseau des réseaux est, selon D.

Cardon, symptomatique d’un nouvel internet, produit de l’arrivée massive des nouveaux

utilisateurs, plus jeunes et moins imprégnés de la culture libertaire des premières années du

web : « Une tension de plus en plus forte se fait ainsi jour entre les militants de l’Internet du

premier âge et leurs enfants, entre les partageux du wiki et les pokeurs de Facebook, entre les

codeurs de communautés et les « customiseurs » de page MySpace, etc. »

Corpus II : Actions institutionnelles

Les administrations françaises et la numérisation : un problème de compréhension

Nous allons à présent synthétiser le contenu des articles de la deuxième catégorie que

nous avons intitulé « actions institutionnelles », en commençant par l’article de David

Alcaud50

et Amar Lakel51

: « Les nouveaux visages de l’administration sur internet : pour une

évaluation des sites publics de l’Etat ». Ce travail de recherche remonte jusqu’aux premières

années de la « conversion numérique », quand le discours sur la « numérisation » a été repris,

pour la premières fois, par les politiques français. En effet, c’est en 1999 qu’une circulaire qui

confie la responsabilité d’évaluer les sites internet de l’Etat à la délégation interministérielle à

la réforme de l’Etat (DIRE) a été mise en application. Cinq années plus tard, en 2004, D.

Alcaud et A. Lakel, entament leur enquête en choisissant d’étudier l’évolution des sites

internet ministériels. Les chercheurs indiquent qu’ils souhaitent insister, dans le cadre de leur

article, sur la genèse du « modèle français » de gestion de l’information publique. D’où

l’intérêt pour notre mémoire de recherche, notamment concernant notre seconde hypothèse

qui aborde les initiatives institutionnelles, dont la tout récente mouvance de l’Open data52

(données ouvertes).

L’objet de l’article étudié ici est de présenter une « coupe » dans le processus de

mutation des institutions françaises, dans le cadre de ce qui est entendu comme une future

« République numérique ». Les auteurs ont établi une grille d’évaluation reposant sur cinq

49

Eli Pariser: Beware online "filter bubbles", lien:

http://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles.html 50

Docteur en science politique, David Alcaud est Vice-président de la Fondation interdisciplinaire pour la

Recherche comparative en sciences sociales. 51

Docteur en information & communication et maître de conférences à l’université de Bordeaux III (MICA). Ses

recherches tournent autour de la gouvernance de l’internet et de l’administration électronique. 52

Data.gouv.fr est en ligne depuis février 2011.

Page 20: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

20

domaines : « la mise à disposition des données publiques, la facilitation de l’accès aux

données, la mise en place de téléprocédures, le développement d’une culture mettant l’usager

au cœur des échanges et enfin l’objectif consistant à rendre l’administration communicante ».

Une première critique de la manière dont les institutions françaises se sont appropriés

les nouvelles technologies numériques a été relatée dans des travaux d’analystes comme

Thierry Carcenac et Jean Paul Baquiast, qui ont vu dans l’adoption de l’internet par certaines

administrations un « nouvel outil de communication et de présentation (« sites vitrines ») à

condition qu’elles ne remettent pas en cause les habitudes de travail, les statuts et la culture

administrative de chacun ». Cela rejoint la première hypothèse émise par les auteurs de

l’article sur le déploiement des nouveaux réseaux comme une infrastructure en plus, qu’il

faudrait juste mettre en place et passer à autre chose, une affaire de « tuyaux » pour reprendre

l’expression des auteurs. Ce constat qui date d’une dizaine d’années, est particulièrement

intéressant pour la recherche que nous menons ici, puisqu’une partie importante des personnes

interrogés dans le cadre de ce mémoire, sont des spécialistes de la communication digitale des

administrations et des hommes politiques. Il sera donc l’occasion de vérifier si en 2012, ces

affirmations sont toujours d’actualité.

Dans les années 2000, Laurent Fabius, ministre de l’économie, des finances et de

l’industrie, relance le débat sur le numérique en en faisant, pour la première fois, une priorité

pouvant amener à un changement et à un renforcement de l’éthique démocratique. Trois ans

plus tard, Michel Sapin, en charge de l’administration électronique, lance le « service

personnalisé qui s’adapte à chaque citoyen » (mon.service-public.fr). Ceci constitue, selon les

auteurs de l’article, « le point ultime d’une réflexion sur la modernisation des administrations

qui s’appuie sur les téléservices53

»

Puisque l’étude se présente comme empirique, il serait utile de relever de cet article

quelques chiffres qui pourront constituer des repères dans l’ensemble du travail de recherche

mené. En 2001, selon la DIRE, 80% des sites web avaient une dimension institutionnelle,

mais seulement 14% proposaient un portail et 22% avait des rubriques par thématique. En

l’espace de 3 ans, le second chiffre a augmenté à 64% de portail et les sites catégorisés par

thématique à 60%. Les auteurs en concluent que les administrations ont dépassé la phase des

« sites vitrine » pour proposer un véritable service d’information et une base de données

53

« D’ici 2005, l’ensemble des services publics sera devenu des téléservices publics », Sapin (Michel), « La

deuxième étape de l’administration électronique commence à Hourtin », Hourtin, Université d’été de la

Communication, 21 août 2001.

Page 21: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

21

publique accessible au plus grand nombre. Une critique, toutefois, concerne l’avancement des

sites de téléprocèdures, qui sont restés, sur le même laps de temps, au même niveau, c’est-à-

dire à très peu de chose. Les seuls sites institutionnels qui proposent ce genre de procédure

restent, en effet, ceux qui administrent la levée de l’impôt. Les auteurs ne se sont pas privé de

jeu de mots en craignant « la réduction de l’ « Etat cybernétique » à un « Etat Cash

Machine » »

D’autre côté, la part positive de cette ouverture progressive des données publiques

permet une transparence inédite qui consiste en une publication quasi en temps-réel de toutes

les activités administratives. Le citoyen peut aujourd’hui accéder à des données jusque-là

réservée aux experts. Bien que l’ouverture de ce genre de flux d’informations n’a pas de

conséquences immédiates, on pourrait très bien s’attendre à un fleurissement de nouveaux

secteurs de l’information, qui consisterait à mettre en lien ces différentes données et en faire

des informations utiles aux citoyens. Les auteurs rappellent, cependant, la lenteur

considérable de la diffusion de ces données, en comparaison avec les autres catégories de sites

administratifs comme ceux qui s’occupent de l’autopromotion institutionnelle. Le projet d’une

« hyper-République » semble encore avoir du chemin à faire, et les institutions françaises

n’arrive pas à rompre totalement avec cette vision très « fonctionnelle » des NTIC, les

considérant plutôt comme des techniques rentrant dans des services déjà en place (très

souvent ceux de la communication) plutôt que des terrains nouveaux et innovants, dans

lesquelles il faudrait dorénavant s’investir.

En conclusion, D. Alcaud et A. Lakel explique la difficulté qu’ont ces initiatives

institutionnelles à « mettre l’usager au cœur du processus de changement », ceci serait du à

l’architecture verticale des projets entrepris (réforme venant « d’en haut » et donc, préservant

une certaine hiérarchie), ce qui ne semble pas toujours fonctionner dans un internet réticulaire,

qui ne se laisse pas facilement dompter par les transpositions de hiérarchies du « monde

réel ». Et c’est par une citation très intéressante de Norbert Alter, que les auteurs bouclent leur

analyse : « C’est par la construction du sens, qu’une invention technique devient une

innovation sociale ». Les institutions actuelles ne sont peut-être plus aptes à créer du sens

autour de leurs initiatives, et c’est peut-être ce que l’on désigne aujourd’hui comme étant une

« crise idéologique ».

Page 22: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

22

Partis politiques et « engagement faible » : cas du PS

Le deuxième article phare de cette catégorie consacrée aux institutions, est le travail de

Thierry Barboni54

et Eric Treille55

, intitulé : « L’engagement 2.0 : Les nouveaux liens

militants au sein de l’e-parti socialiste ». Il s’agit cetet fois-ci d’évaluer le degté d’implication

d’un parti dans le web politique et d’essayer de dresser un bilan analytique de l’engagement

du citoyen-internaute dans des partis politique ayant rejoint la mouvance numérique.

Cette mouvance qui est une réponse au besoin de renouvellement des formes de

l’engagement politique, selon les auteurs, a été évoquée dans des travaux de la fin des années

1990, qui démontrent effectivement une chute considérable du nombre d’adhérants aux partis

politique traditionnels dans les pays démocratiques.56

L’engouement pour le numérique serait

symptomatique d’une sphère politique ayant du mal à réformer ses structures face à un besoin

de « démocratisation » accru. Internet se présenterait en quelque sorte « comme l’ultime

moyen de rapprocher enfin els citoyens des partis.57

»

Le travail présenté ici a comme but d’examiner la corrélation entre les objectifs de

l’engagement partisan « réel » et ceux des usages partisans singuliers, rendus possible par les

technologies numériques. Le PS sera choisi comme terrain d’étude car il constitue, selon les

auteurs, un exemple concret de parti ayant profondément transformé le militanstisme de ses

membres dès le début des années 1990.58

Cette nouvelle forme d’engagement au sein du PS

permettrait de « faire cohabiter » les militants « réels », qui participent physiquement et les

adhérents « virtuels » qui ne s’engagent que par Internet et plus ponctuellement

physiquement » comme cela a été d’ailleurs clairement revendiqué par Benoît Thieulin, le

concepteur de la Coopérative politique (Coopol)59

.

T. Barboni et E. Treille parlent d’ « évolution sémantique » lorsqu’ils évoquent le

qualificatif « militant » dans le PS numérisé. Être militant au PS aujourdh’ui signifie faire

54

Thierry Barboni est doctorant et attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) en science

politique à l'université Paris I 55

Membre du Centre de recherches sur l'action politique en Europe (CRAPE), et du CNRS-IEP de Rennes-

Université (Rennes I) 56

Russel J. Dalton, Martin P. Wattenberg, Parties without Partisans. Political Change in Advanced Industrial

Democracies, Oxford, Oxford University Press, 2000.

Peter Mair, Ingrid Van Biezen, « Party Membership in the European Democracies, 1980-2000 », Party Politics,

(1), 2001, p. 5-21. 57

57

Matthew R. Kerbel, Netroots. Online Progressives and the Transformation of American Politics, Boulder,

Paradigm Publishers, 2009. 58

Rémi Lefebvre, « Le sens flottant de l'engagement socialiste. Usages et effets de la démocratisation interne au

PS », dans R. Lefebvre, A. Roger (dir.), op. cit., p. 115. 59

« Coopol est une membrane qui permet de “flouter” la frontière entre sympathisants et militants »

Page 23: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

23

partie d’une « entreprise partisane » sans pour autant être adhérant « physique » au parti. Le

web serait ainsi devenu un outil de fluidification des rapports qui unissent le PS et tout

citoyen ayant des sensibilités proches du Parti. Il est désormais possible de participer à

l’élaboration de projets politiques au sein du PS sans se soumettre aux régles de l’engagement

« classique ». Nous évoquerons certainement la notion d’ « engagement faible » au cours de

ce mémoire, les auteurs de l’article, eux, parleront d’ « individualisation de différenciation »60

Cette évolution a permis au PS de développer un militantisme socialiste sur Internet, assez

conséquent.61

La Coopol serait, selon T. Barboni et E. Treille, un dispositif encourageant un certain

« empowerment militant » dont bénéficieraient à la fois les citoyens, allégés des contraintes

d’un engagement de type traditionnel, et les représentants du parti qui s’ouvrent à des

ressources militantes quasi infinies. Mais ceci est-il suffisant pour que les internautes

participent massivement à la vie politique par le biais du web ? Aucun chiffre sur l’utilisation

du web en tant que plateforme politique n’a été avancé dans cet article de recherche. Parmi les

questions posées dans l’enquête menée dans le cadre de ce mémoire auront donc comme

objectif d’évaluer le degré d’implication des citoyens-internautes dans des espaces politiques

rendus plus accessibles et moins nécessiteux en temps en engagement.

Les TIC et les partis politiques : rupture ou réappropriation ?

Dans la continuité des travaux traitant de l’utilisation des TIC par les partis politiques,

nous allons conclure cette catégorie en synthétisant le travail de Godefroy Beauvallet62

et

Maurice Ronai63

: « Vivre à temps réels : Le renouvelemment des pratiques militantes autour

des TIC est-il possible au sein des partis du gouvernement ? ».

L’une des principales hypothèses avancées par les auteurs de cet article est que l’essor

de l’internet serait en train de bousculer les organisations traditionnelles et participerait à une

60

« Une individualisation de différenciation est une affirmation des individus en tant qu'individus singuliers,

différenciés, irréductibles à autrui ni à aucun rôle social » : Christian Le Bart, L'individualisation, Paris, Presses

de Sciences Po, 2008, p. 26. 61

Comme le démontre encore la cartographie de la blogosphère politique française, donnant toujours le PS à la

tête du classement : http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/02/la-gauche-domine-le-

web-politique_1636754_1471069.html 62

Directeur de la stratégie et des affaires financières, Institut TELECOM, et chercheur associé à TELECOM

Paris Tech. http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-commando-de-la-matignon-valley_16206.html

63

Maurice Ronai est un homme politique, auteur de documentaires et ingénieur de recherche français. Délégué

national du Parti Socialiste pour les technologies de l'information, de 2003 à 2008, il était chargé, en 2006 et

2007, des questions numériques dans l'équipe de Ségolène Royal et, à ce titre, rapporteur du rapport Rocard

« République 2.0 ». http://www.ronai.org/

Page 24: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

24

crise des partis politiques et des syndicats traditionnels, qui seraient réduits à des « coquilles

vides » (hypothèse qui se rapproche donc de celle avancée par Benjamin Loveluck dans

l’article que nous avons analysé précédemment). Cette tendance serait encore plus accentuée

par un second bouleversement paradigmatique qui, celui-ci, toucherait le fondement même du

combat politique : il s’agit des nouveaux objectifs des mobilisations politiques que Manuel

Castells résume en cette phrase : « prendre le pouvoir dans les têtes, pas dans l’Etat. »

Dans ce travail de recherche, G. Beauvallet et M. Ronai ont pour objectif de relever,

dans les partis politiques traditionnels, des comportements analogues à ce qui se fait

actuellement dans les nouveaux mouvements sociaux qui ont vu le jour, notamment grâces

aux NTIC. Ils ont choisi comme objet d’analyse Temps réels , la section virtuelle du Parti

Socialiste.

Les fondateurs de Temps réels s’étaient donné comme objectif la création d’un « parti-

réseaux » capable de mobiliser des compétences autour de problèmes précis. Militantisme

informationnel, ou « militantisme logiciel » selon l’appellation des auteurs, cette mobilisation

des ressources centrée sur la publication d’informations peut s’apparenter à un

« néomilitantisme » basé sur des liens d’ « engagement faible ». Mais « néomilitantisme » ne

signifie pas systématiquement un militantisme critique des forces idéologiques dominantes.

Comme le souligne encore une fois Manuel Castells64

: « toutes les actions collectives

conscientes d’elles-mêmes qui visent à transformer les valeurs et les institutions de la société,

se manifestent sur et par internet. ». Ce qui est intéressant à relever, ceci dit, c’est l’image de

puissance et de pro-activité constante sur les réseaux numériques, des idéologies peu

représentées dans l’espace médiatique traditionnelles, ce qui ne signifie nullement que les

groupes idéologiques en question sont mieux organisés ni plus importants en nombre. Internet

serait, in fine, l’espace qui rend plus visible, ceux qui demeurent invisibles sur l’espace public

traditionnel.

Les résultats des auteurs de cet article, sur l’examen des transformations des pratiques

militantes au sein des partis de gouvernement, tendent à infirmer l’hypothèse de départ : il est

certes factuel que les TIC sont plus favorables à des formes néo-partisanes étrangères aux

fonctionnements des partis politiques traditionnels. Toutefois, ces partis sont en train de

surmonter les blocages (techniques et organisationnels) et avancent considérablement dans

l’appropriation des technologies numériques et dans leur adaptation à de nouvelles formes

64

CASTELLS M. (2001) La Galaxie internet, Paris, Fayard.

Page 25: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

25

d’activisme politique. Il reste qu’en introduisant ces nouvelles techniques, ils induisent des

transformations considérables dans les rapports de pouvoir au sein de ces partis, entre

« responsables de l’élaboration programmatique et de la communication médiatique d’une

part, et des instances de terrain responsables de la machine électorale (sélection des

candidats, par exemple) et des actions militantes de proximité, d’autre part. »

Corpus III : Actions citoyennes

Le vote en ligne : un premier pas vers la démocratie électronique ?

Maintenant que nous avons synthétisé les recherches qui ont porté sur les grandes

théories du web politique et sur quelques initiatives institutionnelles, nous allons désormais,

nous intéresser aux travaux portant directement sur les citoyens. Comment les citoyens-

internautes accueillent-ils les nouvelles possibilités offertes par les NTIC ? Un premier travail

de recherche, par Eric Maigret et Laurence Monnoyer-Smith aborde la question du vote en

ligne, un projet très discuté ces dix dernières années.

Cet article est d’un intérêt particulier pour la recherche menée dans ce mémoire, car il

apporte des éléments nouveaux qui n’ont pas été abordés dans les ouvrages généraux ni dans

les articles consultés jusqu’ici. Concernant le vote en ligne, E. Maigret et L. Monnoyer-Smith,

insistent sur la portée ambitieuse de ce projet : « Il ne s’agit pas seulement d’offrir une

technique de vote supplémentaire aux électeurs, mais de reconstruire une « Démocratie forte

» dans le sens que B. Barber donne à cette expression 65

». Un autre apport fort de cet article

est la dimension critique du discours techniciste. Les auteurs commencent par présenter des

travaux questionnant l’utilisation des TIC dans une perspective différente de celle qui consiste

à assigner à l’innovation technologique les mérites de toute (r)évolution sociale66

. Cette

approche rejoint certains travaux des années 1990, notamment ceux de Dominique Wolton67

.

Enfin, ce travail par E. Maigret et L. Monnoyer-Smith arrive suite à la nécessité de

« réfléchir aux implications politiques et symboliques de l’utilisation des NTIC dans les

65

« Promouvoir une culture civique plus proche des concepts de participation, de citoyenneté et d’interactivité

politique qui sont ses vertus essentielle » in BARBER B. (1997), Démocratie forte, Paris, Brouwer. 66

ARTERTON C. (2000), « La technique est-elle au service de la démocratie ? Extraits », Hermès, 26-27, p.

115-129. 67

« Tout le sens de mon travail de chercheur, dans la filiation d’une tradition certes minoritaire mais dynamique

sur le plan intellectuel et théorique, est d’essayer d’expliquer pourquoi l’essentiel, dans un système de

communication, n’est pas la technique. On retrouve avec les techniques de communication l’idéologie technique

qui a largement sévi depuis un siècle dans d’autres secteurs industriels, mais qui est ici particulièrement

prégnante. » in Internet, et après ?, D. Wolton

Page 26: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

26

processus de vote », ce qui s’inscrit directement dans le questionnement global de ce

mémoire.

Cette étude commence par donner le bilan des dernières avancées en matière de vote

en ligne (jusqu’à la date de publication de l’article, en 2002). Toutes les recherches réalisées

jusqu’ici insistaient sur la nécessité d’envisager le vote en ligne en plusieurs phases et sans

que sa finalité soit le remplacement du vote traditionnel, mais plutôt de proposer une modalité

complémentaire de participation électorale. De nombreux pays ont déjà entamé des

procédures d’ « informatisation» du vote en commençant par créer un cadre légal adéquat.

L’Allemagne, la Suède et la Finlande autorisent, par exemple, le vote par correspondance68

.

La Belgique, depuis 1985, utilise un vote électronique off-line pour des besoins de décompte

(grâce à un système d’urne électronique sans impact réel sur le vote en lui-même). Au Brésil,

le système de carte magnétique permettant un décompte sécurisé, existe depuis 199669

.

L’expérience la plus célèbre en ce domaine demeure toutefois celle des élections primaires du

Parti Démocrate en Arizona en mars 200070

, où l’augmentation de 600% du nombre de

votants a marqué un succès retentissant.

De manière générale, la mise en place d’un système de vote en ligne suit plusieurs

étapes dont on peut notamment retenir le passage d’un vote électronique avec déplacement

(Poll-Site Internet Voting) à un vote électronique entièrement à domicile (Remote Internet

Voting). En Europe, plusieurs projets d’expérimentation du vote en ligne sont en cours, dont

on peut citer les projets E-POLL71

, EUROCITI72

, et CYBERVOTE73

Les deux problématiques du vote en ligne, relevées par les auteurs de l’article, sont

d’une part, l’évaluation du degré de sécurité des dispositifs mis en place (ce qui pose la

question de la confiance accordée à la fois à la technique et aux institutions responsables de la

gestion de ces dispositifs) et d’autre part, la nature même du « citoyen numérique » et de

l’acte citoyen dans une société démocratique numérisée. C’est surtout cette deuxième

problématique qui nous intéresse au vu des hypothèses avancées dans ce mémoire de

recherche. La question telle qu’elle a été posée par les auteurs de l’article est la suivante :

68

20 % des électeurs de Hambourg et 30 % de ceux de Munich ont voté par correspondance lors des élections

législatives de 1998. 69

« 57 % des électeurs ont ainsi voté par voie électronique. On comprend ici l’intérêt d’une telle technologie :

elle évite les pratiques de bourrage d’urnes trop fréquentes au goût des élus brésiliens.» 70

Mohen J. et Glidden J., “The Case for Internet Voting: the Arizona Democratic Presidential Preference

Primary”, disponible sur www. election.com. 71

www.e-poll-project.net 72

www.euro-city.org 73

www.eucybervote.org

Page 27: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

27

« Dans quelle mesure le développement du vote par l’internet à distance fait peser une

menace sur l’un des symboles républicains les plus fondamentaux de la démocratie

représentative ? ». Cette question est d’autant plus intéressante que les études sociologiques

portant sur l’appréciation du citoyen de ces nouvelles techniques demeurent minoritaires,

comme le souligne les auteurs à juste titre : « Si la recherche de solutions techniques

concentre aujourd’hui l’essentiel des efforts, aucun travail sociologique n’a encore été mené

auprès des usagers afin de comprendre comment ils appréhendent la fiabilité du système.

Seront-ils trop suspicieux pour confier leur vote à une technologie sur laquelle ils n’ont

aucun moyen de contrôle ? » Ce mémoire de recherche a justement l’ambition de sonder

cette opinion publique dont aucune technique ne peut, in fine, fonctionner sans sa

collaboration consentante.

Parmi les inquiétudes relevées par E. Maigret et L. Monnoyer-Smith et qui seront

étudiées durant l’enquête quantitative qui sera conduite dans le cadre de ce mémoire, figurent

la question de la confidentialité du vote (« une vieille crainte européenne dont on comprend

aisément l’origine ») ainsi que les risques de pression au sein des familles (absence de

l’isloir). Enfin, et en dehors des considérations technologiques, la dimension symbolique du

vote se retrouve également questionnée par l’émergence de ces nouvelles possibilités

techniques. Toutes ces potentielles causes de réticence des citoyens vis-à-vis des NTIC seront

reprises dans notre enquête, mais nous prendrons également le soin de chercher d’autres

éléments dans les témoignages recueillis chez les personnes sondées.

Empowerment citoyen entre remédiation, bricolage et participation

Pour comprendre davantage ces mutations sociales, un second article par Laurence

Monnoyer-Smith vient apporter, neuf ans après la publication du premier, quelques éléments

de réponse.

Dans son travail intitulé « La participation en ligne, révélateur d’une évolution des

pratiques politiques ?» L. Monnoyer-Smith revient sur la notion de « culture participative »

en questionnant l’engagement politique et l’affirmation selon laquelle celui-ci serait en déclin

dans les pays démocratiques. Internet est bien évidemment l’élément central de cette

réflexion : tandis que les cyber-optimistes voient en ce nouvel espace « un médium de

diffusion de l’information rapide, peu cher, alternatif aux grands médias et dont le contrôle

par les pouvoirs économiques ou politiques est, sinon impossible, du moins difficile à mettre

en œuvre sur le long terme», les cyber-réalistes mettent surtout le doigt sur l’existence d’un

Page 28: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

28

fossé numérique au sein de la population qui est loin d’être connectée dans sa totalité, ainsi

que la soumission du web à une nouvelle fragmentation faisant de nouveaux leaders d’opinion

et de nouveaux délaissés juste comme dans les médias traditionnels. Des auteurs comme M.

Hindman remettent donc en question les supposés vertus démocratiques de la blogosphère :

« Parler des blogs comme donnant du pouvoir aux citoyens ordinaires repose sur une double

erreur lorsque les top-bloggeurs sont plus éduqués, majoritairement masculins et

culturellement moins divers que l’élite des médias pourtant largement critiqués par ces

mêmes blogs74

. »

Mais au-delà d’une comparaison des littératures optimistes et moins optimistes vis-à-

vis des NTIC, cet article a pour vocation d’étudier la notion même de « participation

politique » dans une multitude d’espaces d’expression en continuelles mutations. Il s’agit dans

un premier temps de définir la « culture numérique » avant de s’attarder sur les trois courants

qui, selon l’auteur, constituent le web politique : le courant contre-hégémonique, le courant

expressiviste et le courant constructiviste ou post-dialogique.

L. Monnoyer-Smith parle donc d’émergence d’un nouveau système de valeurs, que le

milieu de la recherche essaye de saisir depuis des décennies dèjà. Que l’on parle d’

Information culture75

, Free culture76

, Remix culture77

, Cyberculture78

, Interface culture79

,

Internet culture80

, Digital culture81

, Convergence culture82

…Les nouvelles formes

d’engagement politique à l’ère numérique restent difficiles à théoriser. L’un des travaux les

plus proéminents sur le sujet, est celui de M. Deuze sur le blogging et le journalisme en ligne

(dit aussi Indymedia), qui définit la culture numérique comme « un système de valeurs

émergentes et un ensemble d’attentes particulièrement exprimées par les producteurs et les

usagers des médias d’information, alors que je comprends les pratiques mises en œuvre dans

le cadre de la culture numérique comme une expression de l’individualisation, du

postnationalisme et de la globalisation83

». Ces définitions sont particulièrement intéressantes

pour notre recherche puisque nous évoquerons la notion de « culture numérique » dans notre

74

Hindman M., The Myth of Digital Democray, Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 133. 75

Manovich L., The Language of New Media, Cambridge/Londres, MIT Press, 2001. 76

Lessig L., Free culture. 77

Lessig L., Remix: Making Art and Commerce Thrive in the Hybrid Economy, Londres, Bloomsbury Academic,

2008. 78

Lévy P., Cyberculture, Paris, Odile Jacob, 1997. 79

Johnson S., Interface culture, New York, Preseus Books, 1997. 80

Castells M., La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2002. 81

Deuze M., « Collaboration, participation and the media », New Media and Society, 8(4), 2006, p. 691-698. 82

Jenkins H., Convergence Culture: Where Old and New Media, New York, New York University Press, 2006. 83

Deuze M., « Collaboration, participation and the media », p. 2.

Page 29: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

29

analyse des usages citoyens du web aussi bien que dans nos entretiens avec des professionnels

autour de l’adaptation des institutions et des hommes politiques à la culture du web.

D’autres part, dans une démarche proche de celle conduite par les détracteurs du

discours « techniciste »84

, Jenkins donne une définition de la convergence numérique,

fortement marquée par les mutations anthropologiques et sociales : « la convergence ne se

produit pas par le biais de technologies médiatiques, aussi sophistiquées puissent-elles

devenir. La convergence se situe dans le cerveau des consommateurs individuels et à travers

leurs interactions sociales avec les autres. Chacun de nous construit sa propre mythologie à

partir de bribes d’information extraites du flux médiatique, se transformant en véritables

ressources à travers lesquelles nous donnons du sens à nos vies quotidiennes85

. Ces concepts

de base nous seront fort utiles dans l’élaboration de nos outils d’enquête sociologique, les

usages et les pratiques individuelles des internautes étant un élément central dans l’examen

des nouvelles formes d’engagement politique. Ainsi, nous pouvons désormais parler des

nouvelles formes qui définissent la culture numérique : la remédiation (comprise comme un

composite sémiotique – ou remix – entre anciens et nouveaux médias), le bricolage («

création d’objets à partir de matériaux accessibles en ligne, réutilisant des artefacts existants

pour en incorporer certains éléments »86

) et la participation. ». C’est trois points seront

abordés durant la phase d’observation de ce mémoire (questionnaires).

L. Monnoyer-Smith évoque ensuite, les travaux qui traitent des insuffisances

institutionnelles vis-à-vis de cette culture numérique émergente qui se divisent en trois

courants majeurs. Le premier, qualifié par D. Cardon et F. Granjon de « courant activiste

contre-hégémonique »87

dénonce la domination symbolique exercée par des médias de masse

engrangés dans une boucle d’autoproduction des idées dominantes. Internet serait alors,

depuis les années 1980, cet ultime espace qui va permettre la diffusion de discours alternatifs

et contre-hégémoniques, de manière quasi exponentielle.

Le deuxième courant dit « expressiviste », largement diffusé en France par Laurence

Allard et Olivier Blondeau88

, définit la culture numérique comme un « capital capacitant »89

,

84

Cf. les travaux de P. Breton et de D. Wolton cités dans la bibliographie du présent mémoire. 85

Jenkins H., « Introduction: Worship at the Altar of Convergence», Médiamorphoses, 21, 2007, p. 35. 86

Hartley J., Communication, cultural and media studies, Londres, Routledge, 2002, p. 22. 87

Cardon D., Granjon F., Médiactivistes, p. 13 et s. Voir également l’article des mêmes auteurs, qui est étudié

dans le cadre de ce mémoire : « Peut-on se libérer des formats médiatiques ? Le mouvement alter-mondialisation

et l'Internet », Mouvements, 2003/1 no25 88

Allard L., « L’impossible politique des communautés à l’âge de l’expressivisme digital », Sens Public, 7-8,

2008, p. 105-126 ; Allard L., « Britney Remix ».

Page 30: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

30

puisqu’elle « fournit aux amateurs éclairés la possibilité d’explorer et de se construire une

identité à partir des éléments de contenus qui sont rendus disponibles en ligne. » Il s’agit

donc moins de contrer une domination idéologique que de construire son propre discours et de

le diffuser auprès d’une large audience. L’empowerment citoyen retrouve ici toute sa

signification : « Le public à qui on a donné le pouvoir de s’exprimer grâce à ces nouvelles

technologies et qui occupe désormais un espace à l’intersection des anciens et des nouveaux

médias exige de participer à cette culture90

. » La réaction des institutions vis-à-vis de cette

« autonomisation citoyenne » est critiquable selon L. Allard et O. Blondeau qui voient dans le

déploiement de toutes sortes d’initiatives institutionnelles de « grosses machineries, sortes de

cathédrales, développées naguère par les pouvoirs publics et les promoteurs de débat public

pour expérimenter une e-democracy conçue comme un deus ex machina » Il est intéressant de

mettre en perspective ces critiques avec les constats d’autres chercheurs ayant travaillé sur ces

interfaces (voir la conclusion de l‘article de D. Alcaud et A. Lakel, cité quelques lignes plus

haut) ainsi que les témoignages recueillis durant l’enquête menée dans le cadre de ce

mémoire.

Le dernier courant enfin, désigné par L. Monnoyer-Smith comme « post-dialogique »

(« dans le sens où il endosse la critique du dialogisme tant habermassien que latourien »

explique l’auteur), considère la « révolution internet » moins comme une montée massive

d’actions citoyennes « réelles » médiées par ordinateur, que la naissance d’une nouvelle

« expérience continue d’échanges discursifs, d’actes et d’engagement plus ou moins

militants. » P. Dahlgren en donne une définition intéressante, qui met en évidence le degré de

« politicité » des usages quotidiens du citoyen-internaute : « à travers ces pratiques civiques

performatives, le non-politique peut devenir proto-politique, qui à son tour peut se développer

et devenir proprement politique. Le politique peut alors à son tour se convertir en décisions

politiques plus formelles91

». Nous aurons l’occasion d’évaluer la prégnance de ces pratiques

performatives dans les habitudes numériques des citoyens connectés. Le terme « proto-

politique » sera d’ailleurs utilisé plus que les autres terminologies proposées pour définir cet

ensemble de pratiques liées au web (mèmes, bricolages, etc.)

C’est sur ce troisième et dernier courant que L. Monnoyer-Smith conclue son article

en rappelant combien la dimension anthropologique reste déterminante dans l’usage des

89

L’expression n’est pas des auteurs. 90

Jenkins H., « Introduction: Worship at the Altar of Convergence », Médiamorphoses, 21, 2007, 35, p. 36. 91

Dahlgren P., Media and Political Engagement. Citizen, Communication and Democracy, Cambridge,

Cambridge University Press, 2009.

Page 31: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

31

techniques aussi révolutionnantes soient-elles. Ce constat rejoint d’autres travaux de

recherche démontrant les limites du discours techniciste92

. La question à poser selon L.

Monnoyer-Smith ne serait plus : « est-ce que l’internet va changer la participation ? », mais

plutôt « comment la participation politique va-t-elle se reconfigurer dans un environnement

médiatique qui se restructure et s’articule de façon inédite ? ».

Sur la « fracture numérique » et la population des non-usagers

Nous allons maintenant revenir sur la notion des usages et des non-usages, puisque

cette catégorie du corpus traite des « initiatives citoyennes ». Nous ne pouvons, en effet,

négliger l’importance de ce que l’on désigne comme une « fracture numérique »93

dans la

compréhension des engagements citoyens à l’ère de l’internet. L’article d’Annabelle Boutet94

et de Jocelyne Trémenbert95

, intitulé « Mieux comprendre les situations de non usages des

TIC : Le cas d’Internet et de l’informatique » nous donne une réflexion méthodologique très

intéressante sur les indictaurs de cette « exclusion dite numérique ».

Cet article présente une enquête empirique menée auprès d’une population de « non-

usagers » avec comme vocation la restitution des facteurs potentiels de l’exclusion numérique.

Il est aujourd’hui évident que la « fracture numérique » ne peut être abordée uniquement en

termes d’accessibilité aux technologies de l’information. Les récents travaux sur les situations

de non-usage, comme l’indique à juste titre les auteurs de cet article, démontrent en effet une

multitude de facteurs à la fois socio-économiques et culturels, qu’il convient de décortiquer

d’avantages.96

Après avoir mené un travail de méta-analyse sur les outils d’observation utilisés

(limites et risques de surévaluation due à ces méthodes) pour sonder une population de non-

usagers particulièrement difficile d’accès, A. Boutet et J. Trémenbert vont présenter les

premiers statistiques de leur enquête. Par une logique d’inversement des chiffres entre

usagers et non-usagers, les auteurs constatent une relation entre des critères

92

Cf. Jeanneret Yves, Souchier Emmanuël. La communication médiatisée est-elle un « usage » ? in

Communication et langages. N°132, 2ème trimestre 2002. pp. 5-27. 93

L’ouvrage de Fabien Granjon et Julie Denouel, Communiquer à l'ère numérique. Regards croisés sur la

sociologie des usages, a été consulté sur cet aspect-là de la conversion numérique. 94

Enseignant Chercheur au département LUSSI de Télécom Bretagne, membre du Conseil Scientifique du Gis

M@rsouin et Docteur en Sciences Politiques, Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence 95

Responsable des enquêtes de l’observatoire OPSIS (Observatoire et prospective sur la société de l’information

et ses services) 96

Ce type d’enquête est d’autant plus primordial qu’il concerne une frange importante de la société : 32,8% de la

population française n’a toujours pas d’accès à internet, en décembre 2011. Source :

http://www.internetworldstats.com/stats4.htm

Page 32: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

32

sociodémographiques, socio-économiques et l’usage des NTIC. En effet, 7% des non-usagers

ont entre 12 et 17 ans, 91% ont 70 ans et plus, 4 personnes sur 5 sont non-diplômées, etc.

Afin de mieux élucider les résultats de leur enquête menée dans le quartier de

Kérourien à Brest, A. Boutet et J. Trémenbert vont utiliser une classification proposée par

Lenhart lors d’une enquête sur les usages d’internet, débutée en 2003 aux Etats-Unis97

. La

typologie des non-usagers est comme suit : 1. Les ‘evaders’ – que nous traduirons par « ceux

qui se dérobent » – 2. les ‘dropouts’ – « ceux qui renoncent », autrement dit les

abandonnistes – 3. Les ‘intermittent users’ – « intermittents de l’usage » – et 4. Les ‘truly

unconnected’ – pour nous « non-usagers absolus ».

L’étude de Kérourien, qui débuta en 2006, avait pour objectif de « faire émerger les

freins, les représentations et les attentes à la fois de ceux qui avaient une pratique déjà

ancienne, des néophytes et des non-usagers ». Une deuxième étude complémentaire sera

menée par les deux chercheuses en 2007-2008 avec une dimension beaucoup plus interactive.

La vocation de cette observation participante est de récolter des informations sur les non-

usages en mobilisant à cet égard les habitants, qui seront eux-mêmes aptes à mener une

enquête dans leur quartier.

L’un des résultats les plus intéressants concerne ce que les auteurs appellent les

« proxies »98

. L’enquête a, en effet, démontré que les chances de passer d’un statut de non-

usager à un statut d’usager, dépendaient largement de la présence de ces « proxies » dans

l’entourage proche des personnes consultées. Les non-usagers n’évoluent donc pas forcément

dans un environnement dénué de technologies, mais sont pour la plupart « en retrait » par

rapport aux acteurs dont les pratiques numériques sont foisonnantes.

Le constat global de cette étude a mené les auteurs à considérer une seconde hypothèse

qu’il conviendrait de traiter postérieurement : « De même que l’usager construit sa pratique,

le non-usager construit sa non-pratique à travers des comportements (rejet, contournement,

médiation, etc), des attitudes et des représentations ». Les moyens employés pour mener à

bien une future enquête dans ce sens, devront selon les auteurs, s’inscrire dans une démarche

anthropologique, « c’est-à-dire une description du quotidien tel qu’il est augmenté ou pas par

97

Lenhart A., Horrigan G, Rainee L., Allen K., Boyce A., Madden M., O’Grady E., The ever-shifting internet

population. A new look at internet access and the digital divide., Washington, The Pew internet and American

life project, april 16, 2003. 98

« Les proxies sont ces personnes qui apportent une aide ou agissent en lieu et place d’une autre pour

accomplir des actions sur internet ».

Page 33: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

33

les artefacts ». Une remarque très utile, autant que les éléments fournis par cette enquête et

qui seront d’une très grande aide dans l’élaboration de mon mémoire de M2, la continuité du

présent travail de recherche et qui traitera justement de la question des non-usages.

Corpus IV : Ouvrages généraux

La sélection des ouvrages généraux s’est faite sur trois critères déterminants. Le premier

étant un critère de généralité : les ouvrages choisis traitent de manière universelle de

l’avènement du web et de ses impacts (économiques, politiques, sociales etc.), chacun d’un

point de vue différent : pragmatique dans le cas de L’Homme numérique de N. Negroponte et

Comment le web change le monde (F. Pisani), plutôt théorico-fondamental en ce qui concerne

les ouvrages de P. Breton et de D. Wolton, et analytico-discursif pour P. Flichy, D. Cardon et

F. Granjon. Enfin, l’ouvrage de Pierre Rosanvallon est une référence incontournable pour

saisir les grands concepts de la théorie politique (définition de la démocratie, entre autres).

Le second critère concerne le positionnement des auteurs entre techno-optimisme et

techno-scepticisme. En effet, il est important d’avoir un corpus représentatif des différents

points de vue et relatifs aux attentes que l’on pouvait avoir par rapport à l’émergence des

NTIC. Ainsi, les travaux de P. Breton et de D. Wolton se situent plutôt dans la mouvance

sceptique tandis que L’Homme numérique de N. Negroponte peut s’apparenter à une vision

plus ou moins « prophétique ». Enfin, les travaux les plus récents ont l’avantage d’être plus

descriptif et beaucoup moins catégoriques, signant ainsi la fin des positionnements figés qui

ont marqué le tournant des années 1990.

Le troisième critère est d’ordre chronologique. En sélectionnant la moitié des ouvrages

dans les publications les plus récentes (une à 2 années) et l’autre moitié dans des publications

datant d’il y a cinq années et plus, le corpus constitué a l’avantage de donner une vision

générale du développement des théories de la communication, et permet une analyse

progressive de ces hypothèses à mesure que les NTIC évoluent dans le temps. D’autre part,

cette division entre ouvrages récents et ouvrages moins récents, révèle une singularité

intéressante : plus on avance dans le temps, plus les travaux sur le web et les NTIC

s’intéressent aux usages individuels, s’éloignant ainsi des grandes théories universelles des

années 1990 (Autoroutes de l’information, « village global » etc.)

Page 34: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

34

Problématisation et hypothèses

Dans la continuité des questions de recherche qui ont été formulées durant la première

partie de ce mémoire, la problématique devra les contenir de façon concise afin que les

hypothèses émises puissent répondre, de manière complète, aux questionnements initiaux.

La problématique a été formulée de la manière suivante :

L’émergence des NTIC - et plus particulièrement du web 2.0 - modifie-t-elle la

perception qu’a le citoyen de la démocratie ?

Hypothèse 1 : Le citoyen connecté baigne dans un environnement numérique (culture

participative), dont les mécanismes sophistiqués (démocratie directe) rendent le système

institutionnel du monde « réel » (système électoral-représentatif), en partie ou totalement,

obsolète à ses yeux.

Sous-hypothèse A : Le citoyen-internaute se détourne des affaires de la « cité réelle », lui

préférant l’environnement d’une « cité virtuelle » (Cas de résignation) : La « culture

numérique » (L. Monnoyer Smith) devient une culture d’isolement par rapport au monde réel.

Sous-hypothèse B : Le citoyen-internaute tente de superposer les normes de la « cité

virtuelle », jugées plus démocratiques, sur la « cité réelle » (Cas de défiance) :

L’empowerment citoyen (« remédiation, bricolage, participation » selon Monnoyer-Smith) se

développe de manière exponentielle (activités « proto-politique »99

devenant hyper-politique)

jusqu’à aboutir à une « révolution » sociale de grande envergure.

Hypothèse 2 : La mise en œuvre d’une démocratie « augmentée » est rendue possible grâce à

l’émergence des NTIC, qui permettent de corriger les dysfonctionnements et les abus dans

l’exercice du pouvoir. D’une part, les citoyens utilisent les technologies de l’empowerment

pour exiger plus de transparence, et d’autre part, les institutions réagissent en lançant des

chantiers de réforme importants (Possibilité de consensus) : Adaptation des partis politique

(cf. G. Bonvallet et M. Ronai) et occupation massive des espaces de parole par les citoyens-

internautes (D. Cardon).

99

Cf.citation de P. Dahlgren dans l’article de Laurence Monnoyer-Smith étudié antécédemment.

Page 35: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

35

Méthodologie de travail

Au vu des hypothèses présentées ci-dessus, plusieurs méthodes ont été retenues pour

mener à bien ce projet. Il s’agit, pour l’hypothèse n° 1 de procéder à une étude quantitative

auprès des citoyens-internautes afin de mesurer avec plus ou moins d’exactitude l’impact réel

des NTIC sur leur perception de l’exercice démocratique. Pour ce, le moyen le plus adapté est

le questionnaire : un échantillon variable selon le degré d’évolution de la recherche100

,

permettra de dresser un premier bilan avant d’aller plus loin dans la réflexion. Si les chiffres

confrontent effectivement, cette première hypothèse en révélant un sentiment de décalage

dans la société, entre ce que les citoyens-internautes attendent des institutions et ce qui a lieu

en réalité101

, nous pourrons seulement continuer à explorer l’hypothèse en envisageant les

différentes sous-hypothèses (résignation/défiance). Dans le cas contraire, nous passerons

directement à la seconde hypothèse après avoir synthétisé les résultats infirmatifs et rédigé

une conclusion probante.

La seconde hypothèse exige des méthodes de recherche différentes (« La mise en

œuvre d’une démocratie « augmentée » est rendue possible grâce à l’émergence des NTIC,

qui permettent de corriger les dysfonctionnements et les abus dans l’exercice du pouvoir.

D’une part, les citoyens utilisent ces technologies de l’empowerment pour exiger plus de

transparence, et d’autre part, les institutions réagissent en lançant des chantiers de

réforme. »). Il s’agira cette fois-ci de mener des entretiens qualitatifs auprès de citoyens ayant

été à l’origine d’initiatives considérées comme capacitantes (ou autonomisantes), mais

également avec des journalistes et des représentants d’institutions ayant une opinion sur le

sujet. D’autre part, nous procéderons parallèlement à l’analyse sémiotique102

d’une interface

numérique représentative de ce que les citoyens peuvent faire avec les nouvelles technologies

dans l’objectif de démocratiser davantage les instituions qui les gouvernent103

. Cette analyse

permettra de dégager les éventuelles limites de ces expérimentations, que la méthode du

questionnaire entamée en amont, n’aurait pas réussi à relever.

100

Dans un premier temps quelques centaines de personnes, ensuite un millier, quand il s’agira de développer ce

travail de recherche dans le cadre d’un Master 2. 101

Il s’agit des décalages produits par l’évolution des technologies numériques, nous prendrons le soin de poser

des questions très précises sur les usages numériques et leur impact sur la vie citoyenne. 102

Il s’agira plutôt, dans ce mémoire de M1, d’une présentation de l’objet d’analyse en question. L’analyse en

elle-même sera réalisée durant le développement du mémoire de M2. 103

Le choix s’est porté sur www.reforme.ma pour des raisons que je ne tarderai pas à expliquer dans la

troisième partie de ce travail.

Page 36: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

36

Exposé des méthodes de recherches et d’analyse retenues

Comme cela a été évoqué précédemment, les méthodes retenues pour ce travail de recherche

sont les suivantes :

1. Un questionnaire sur les usages numériques des citoyens-internautes, qui sera diffusé

auprès d’un échantillon de 200 personnes. Les questions seront divisées en trois

catégories : la première évaluera le degré de fréquentation des plateformes numériques

pouvant avoir un potentiel « proto-politique » (susceptible d’engager une action

politique dans un contexte donné), la deuxième catégorie interrogera la perception

qu’ont les citoyens de l’émergence du web (existe-il, selon eux, un impact réel sur

leurs habitudes citoyennes ?) et la dernière partie, pour des besoins statistiques,

demandera aux participants de renseigner un maximum d’informations sur leur statut

social et leur rapport au web (âge, CSP, durée d’utilisation du web etc.)

2. Une demi-douzaine d’entretiens semi-directifs à l’adresse de citoyens ayant été à

l’origine d’initiatives innovantes, ainsi que des responsables de projets institutionnels.

Parmi les interviewés (liste non-définitive) :

- Pierre Guillou, fondateur du journal Elus 2.0 sur les élus, la politique et Internet,

et de la société Ideose qui accompagne le secteur public et privé dans

l’appropriation des nouveaux usages numériques (Web 2.0, réseaux sociaux,

accessibilité du Web…). Ideose intervient en particulier dans le monde politique

en proposant conseils et formations aux élus.

- Fabrice Epelboin, entrepreneur et spécialiste du web social, notamment fondateur

de Fhimt.com et de l'Association Tunisienne des Libertés Numériques.

- Etienne Chouard, blogueur français ayant notamment participé à la campagne

numérique contre le Traité Constitutionnel Européen en 2005. Il propose depuis,

l’élaboration d’une nouvelle constitution par le biais d’internet (Plan C)

- Tarik Nesh-Nash, ingénieur en informatique et co-fondateur de la plateforme

reforme.ma, une interface inédite qui invitent les citoyens marocains à délibérer

des textes constitutionnels et de faire des propositions d’articles de loi sur internet.

Page 37: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

37

- Emmanuel Brizard, fondateur de la plateforme WikiRépublique.fr, un espace

collaboratif de propositions législatives et de réformes institutionnelles.

- Alexandre Piquard, journaliste et chef adjoint du service politique du Monde et du

Monde.fr.

- Romain Lacombe, chargé de l'innovation et du développement du projet Etalab et

data.gouv.fr, service rattaché au cabinet du Premier Ministre.

- Lucas Surel, attaché parlementaire au Parlement Européen, membre d’Europe

Ecologie les Verts et assistant-chargé de mission au Sénat.

3. Une analyse sémiotique d’une interface numérique innovante : l’objet de cette analyse

est le site www.reforme.ma. Cette plateforme participative a en effet attiré plus de

52 000 visiteurs uniques en 2 semaines104

et a suscité des débats qui n’ont jamais surgi

sur l’espace public traditionnel, auparavant. L’analyse sémiotique et ergonomique de

cet objet permettra de définir les bases d’une interface qui a pour vocation la

participation du plus grand nombre, et nous fera relever les limites qui pourront

empêcher ce genre d’initiatives de se faire une place plus importante sur la scène

politique actuelle, en France comme ailleurs.

Dans le cadre de ce mémoire de M1, nous allons seulement faire une première

interprétation des résultats de l’enquête quantitative (questionnaires) ainsi qu’une courte

analyse d’un, ou deux entretiens semi-directifs. L’ensemble du corpus (réponses complètes

aux questionnaires + entretiens + objet d’analyse) sera décortiqué de manière plus développée

dans le cadre du mémoire de M2.

(Les méthodes de recherche décrites ci-dessus, ainsi que leurs résultats, sont consultables

dans la partie « annexes »)

104

http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20110419183722/

Page 38: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

38

Analyse des résultats

Nous allons, dans cette troisième partie de la recherche, analyser les résultats du

questionnaire sur les usages numériques des citoyens-internautes, diffusé auprès de 200

personnes (toutes usagères du web) par des canaux que nous ne tarderons pas à aborder dans

la partie correspondante.

Le questionnaire a été organisé en trois parties : la première (questions 1 à 8) cherche à

dresser un bilan sur les habitudes des internautes en les interrogeant sur la manière dont ils

utilisent le web et les canaux sur lesquels ils diffusent la plus grande partie de leur contenu.

Pour ce faire, les premières questions porteront sur l’utilisation des réseaux sociaux et

d’autres plateformes d’échanges (forums, blogs publics). Toujours dans cette première partie,

des questions d’affinement nous serviront à cibler les contenus à caractère politique, nous

permettant ainsi d’avoir des résultats exclusifs sur les usages politiques du web.

La seconde partie (questions 9 à 12) aura pour objectif de prospecter l’opinion

publique autour d’enjeux comme l’« e-démocratie » en interrogeant les internautes sur leur

ressenti vis-à-vis des utilisations faites (ou susceptibles d’être faites) des NTIC dans la gestion

des affaires publiques. Quant à la dernière partie (questions 13 à 17), elle sert principalement

au profilage des personnes interrogées, dans l’objectif de faire un bilan critique de la

méthodologie utilisée.

Tout d’abord, les résultats

concernant l’utilisation des réseaux sociaux

sont unanimes : seulement 6% des

participants ne sont inscrits sur aucun réseau

social tandis que 86% ont un profil

Facebook (figure 1). Il convient de

considérer ce dernier comme la plateforme

la plus couramment utilisée par les

internautes, notamment lorsqu’il s’agit de

participer d’une manière ou d’une autre, à

Figure 1

Page 39: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

39

une activité dite « proto-politique »105

(nous y reviendront dans la suite de l’analyse). Twitter

vient en seconde place avec 46% d’utilisateurs tandis que 38% des participants sont inscrits

sur Google+, un taux plutôt considérable au vu de la toute récente naissance du dernier des

SNS. Les principaux réseaux professionnels, LinkedIn (international) et Viadeo

(majoritairement Français) font respectivement 35 et 25% d’utilisateurs. D’autres réseaux ont

été mentionnés, dont les plus récurrents sont Pinterest (7%) et Diaspora (4%).

Concernant la consultation des forums et des blogs publics, une majorité relative

d’utilisateurs (54%) déclarent se

rendre sur ces plateformes au moins

une fois par jour, dont 35% qui y vont

plus d’une fois par jour (figure 2).

Toutefois, cette utilisation régulière

des plateformes ne signifient pas une

participation systématique aux

échanges, comme nous le verrons dans

les résultats suivants. Mais ce

pourcentage reste un important

indicateur du degré de diffusion de

l’information sur internet. Nous pouvons considérer, en effet, qu’une information (tous

domaines confondus) diffusée sur ces canaux peut atteindre au moins la moitié de la

population connectée en l’espace de 24h pourvu que le canal utilisé ait une visibilité

suffisante. Cette rapidité de circulation constitue l’un des arguments avancés par les adeptes

de la « révolution numérique »106

. D’autre part, 5% des utilisateurs déclarent ne jamais

105

L’expression est de Peter Dahlgren in Media and Political Engagement. Citizen, Communication and

Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2009. Cité par L. Monnoyer-Smith : « « La participation

civique s’envisage ici dans sa dimension pragmatique et vécue, de sorte que la citoyenneté s’apprécie moins à

travers la réalisation des grands actes citoyens qui rythment la vie des démocraties, que par l’expérience

continue d’échanges discursifs, d’actes et d’engagements plus ou moins militants. Ainsi que le résume P.

Dahlgren, « à travers ces pratiques civiques performatives, le non-politique peut devenir proto-politique, qui à

son tour peut se développer et devenir proprement politique. Le politique peut alors à son tour se convertir en

décisions politiques plus formelles. » 106

L’avènement de l’internet est souvent comparé à l’invention de l’imprimerie et comme cette dernière a

modifié les gouvernances quasi instantanément à sa diffusion, certains penseurs soutiennent qu’une rupture

paradigmatique accélérée serait en train de se produire avec l’émergence des NTIC (cf. Bernard Stiegler). Mais

ce n’est pas l’avis de tout le monde : « Ce n’est pas l’imprimerie qui, en soi, a bouleversé l’Europe, c’est le

lien entre l’imprimerie et le profond mouvement de remise en cause de l’Eglise catholique. C’est la Réforme

qui a donné son sens à la révolution de l’imprimerie, et non l’imprimerie qui a permis la Réforme. De même à

la radio, puis la télévision n’ont eu cet impact que parce qu’elles étaient liées au profond mouvement en faveur

Figure 2

Page 40: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

40

consulter de forums ni de blogs

publics, ce qui n’est pas tout à fait

inintéressant à relever car cela induit

une utilisation de l’internet qui sort du

schéma habituel caractérisant les

médias informatisés (une

combinaison médium de

l’information / espace de

discussion). Les usagers visitant les

forums et les blogs publics au moins une fois par mois représentent 9% de l’échantillon tandis

que 12% déclarent s’y rendre moins d’une fois par mois, probablement pour des requêtes

ponctuelles (recherche d’une information précise). Enfin 22% des personnes sondées

déclarent se rendre sur ces plateformes au moins une fois par semaine, ce qui peut

s’apparenter à une utilisation complémentaire à d’autres médias de l’information (presse

papier, médias de masse, livres etc.)

La tendance s’inverse quand il s’agit de la participation des internautes sur les forums

et les blogs qu’ils visitent. En effet, 36% déclarent ne jamais poster de messages lors de leurs

visites des sites en question tandis que 38% déclarent le faire rarement (moins d’une visite sur

deux) (figure 3). Les usagers qui participent systématiquement à chaque fois qu’ils visitent un

forum ou un blog public constituent seulement 2% de l’échantillon, ce qui confirme en

quelque sorte un constat avancé par divers chercheurs du web (dont D. Cardon) consistant à

définir le web (et plus particulièrement les listes de diffusions et les forums) comme un espace

collaboratif avec une base de supporters silencieuse et une minorité productrice de contenu

très active107

. Enfin 14% des internautes déclarent quand même participer, au moins une fois

sur deux visites et 11% plus d’une fois sur deux, ce qui constitue, en somme, une part

considérable de participation régulière ou semi-régulière. Par un croisement du taux de

consultation des forums et blogs publics (54%) et de celui de la participation régulière ou de la démocratie de masse. » in Dominique Wolton, Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux

médias. 1999.

107 Un schéma dont les origines remontent au tout début de l’internet, avec l’émergence des premières

communautés promotrices du freeware et des licences libres. Les développeurs constituent une minorité active

tandis que la majeure partie des inscrits sont des « bêta-testeurs » et des internautes peu actifs, mais dont la

présence en nombre considérable consolide la communauté. in CARDON Dominique. La démocratie Internet,

promesse et limites. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010.

Figure 3

Page 41: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

41

semi-régulière (27%), nous obtenons le chiffre de 14,5% de producteurs de contenu réguliers

ou semi-réguliers sur l’ensemble des internautes sondés. Par le même procédé, nous

constatons que 6% de l’ensemble des internautes participent occasionnellement, en postant

des messages et/ou des commentaires sur les sites visités (consultent au moins une fois par

semaine et participent au moins une visite sur deux). Les participants rares (moins d’une

participation sur deux visites) constituent 20,5% des visiteurs quotidiens (au moins une fois

par jour) et 8,3% des visiteurs semi-réguliers (au moins une fois par semaine)

Figure 4

Nous avons vu qu’une majorité écrasante des usagers du web utilisent au moins un

réseau social numérique (94%) et consultent massivement forums et blogs publics (95% dont

54% à fréquence quotidienne). Les résultats de la question n°4 nous donnent des informations

sur les usages dits « proto-politiques » de ces plateformes. En réponse à cette question :

« Consultez-vous, via les réseaux sociaux/forums/blogs ou autres, des sujets traitant de

politique et/ou de citoyenneté ?108

Et à quelle fréquence ? » 18% ont répondu « Plus d’une

fois par jour » et 16% « au moins une fois par jour » (figure 4). Cela fait 34% de

consultations quotidiennes de sujets à caractère politique et/ou citoyen, tandis que 8% ont

répondu ne jamais consulter les sites en question. Les utilisateurs déclarant s’y rendre « au

moins une fois par semaine » sont de l’ordre de 28% tandis que 17% déclarent s’y rendre « au

moins une fois par mois » et 14% moins d’une fois par mois.

108

Avec en astérisque la mention suivante : « Que ce soit au niveau local, régional, national ou international.

Exemples : élections législatives ou présidentielles, projets de quartier, initiatives citoyennes, secteur associatif

etc »

Page 42: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

42

Quant à la participation aux

sujets politiques via les réseaux

sociaux, les forums et les blogs,

seulement 3% des personnes sondées

ont déclaré le faire systématiquement

(au moins un message/commentaire

par visite), tandis qu’une quasi-

majorité (47%) déclare n’y jamais

participer. Comme 8% des utilisateurs seulement affirment ne pas consulter les sujets en

question, cela signifie que 39% des utilisateurs consultent des sujets politiques via les réseaux

sociaux, les forums et les blogs, sans poster de messages ou de commentaires (figure 5). Un

taux intéressant à relever et à mettre en perspective avec les discours sur l’interactivité de

l’internet en opposition aux médias traditionnels et leur diffusion à sens unique.

Pour les internautes qui participent aux débats, 6% déclarent le faire à fréquence

régulière (plus d’une visite sur deux), 14% à fréquence occasionnelle (au moins une fois sur

deux), et 32% laissent des messages et/ou des commentaires moins d’une fois sur deux.

À la question « Avez-vous déjà diffusé ou partagé, via les réseaux

sociaux/forums/blogs ou autres, des

produits d’internautes109

au contenu

satirique, contestataire ou militant ?

Et à quelle fréquence ? » 69% des

internautes ont répondu positivement,

dont 29% à fréquence faible (moins

d’une fois par mois), 18% à fréquence

moyenne (au moins une fois par

mois), 16% à fréquence semi-régulière

(au moins une fois par semaine), et seulement 7% à fréquence quotidienne (dont 2% plus

d’une fois par jour). Cette donnée, comparée aux résultats précédents, modifie

considérablement l’hypothèse selon laquelle les habitudes politiques des citoyens se seraient

109

Avec, en astérisque, la mention suivante : « Images dérivées, caricatures, reproduction de sites web, vidéos et

sources audio recombinées, affiches détournées etc. Exemple: combinaison de vidéos servant à comparer les

discours d'un homme politique à des moments différents de son parcours ("fact-checking") »

Figure 5

Figure 6

Page 43: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

43

transformées avec l’utilisation du web : pratiques décalées, détournement et humour politisé,

en remplacement d’une approche plus directe de la politique (débat Habermassien). En effet,

tandis que 39% de la population connectée se rends sur des plateformes (blogs publics,

forums) traitant de sujets politiques, dont 63% qui participent en postant des messages (22% à

une fréquence occasionnelle à régulière), le taux de participation régulière à la diffusion de

produits satiriques ou contestataires (« proto-politique ») est de l’ordre de 23% (figure 6). Le

pourcentage de participation à des sujets directement politiques sur des plateformes de débats

publics (forums, blogs publics) équivaut donc au pourcentage de participation à des activités

dites proto-politiques, cela induit deux possibilités110

:

- Soit il s’agit d’une même composante sociale politisée qui, en plus des pratiques

« traditionnelles », se met également aux nouvelles formes de participation

politique (détournement d’images etc.)

- Soit il s’agit de deux parts distinctes d’internautes, l’une participant activement à

des débats politiques dont la configuration s’approche de l’espace

habermassien et l’autre s’intéressant davantage à la critique des politiques

publiques avec des formes d’expression nouvelles.

Dans un cas comme dans l’autre, ces pourcentages demeurent insuffisants pour que

l’on puisse parler de transformation radicale des pratiques politiques ou de regain d’intérêt

pour la chose publique grâce à l’émergence du web. En effet, ce taux de participation peut

aussi bien s’apparenter à une population préalablement politisée, et pour qui internet est un

moyen de plus pour exprimer sa passion pour la politique. La notion d’ « empowerment » est

à redéfinir dans ce cas-là, puisqu’il s’agira plutôt de l’« augmentation » d’un intérêt citoyen

déjà présent et non pas de la politisation d’une population originellement désintéressée des

affaires publiques.

110

Il est malheureusement impossible de vérifier si les acteurs actifs dans les forums sont les mêmes qui

participent à des activités dites proto-politiques. Cela sera pris en compte dans l’élaboration des méthodes

quantitatives pour le mémoire de M2.

Page 44: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

44

En revanche, les résultats de la question n° 7 confortent une idée très longtemps

remise en question ou du moins relativisée, par les détracteurs de la théorie de la « révolution

digitale ». A la question « Consultez-vous les actualités sur internet ? Et à quelle fréquence

? » 98% ont répondu positivement,

dont 41% plusieurs fois par jour, 30%

au moins une fois par jour et 20% au

moins une fois par semaine (figure 7).

S’il y a une chose à retenir de cette

enquête sur les usages numériques,

c’est que le web a totalement

bouleversé le marché médiatique.

Bien que ces pourcentages

s’approchant des 100% ne signifient

pas un abandon systématique de la presse papier, ces chiffres demeurent sans appel : la

nécessité de réfléchir à un nouveau modèle économique pour les industries médiatiques

devient une urgence, particulièrement pour la presse papier. Cela est d’autant plus vrai que les

résultats de la question suivante rajoutent un second élément d’importance capitale : A la

question « Utilisez-vous, à titre personnel, un agrégateur de flux RSS ou un service d’alertes

par mots-clés ? (ex : Google alertes) » 40% des personnes interrogées ont répondu

positivement, ce qui démontre une individuation importante du rapport des citoyens à

l’actualité (figure 8). Les consommateurs de l’information exigent dorénavant une actualité

conforme à leurs centres d’intérêts personnels, d’où l’utilisation de filtres qui discriminent les

informations ne figurant pas dans ces intérêts, moyennant un système de mots-clés111

. Les

impacts d’un tel changement dans les habitudes ne tarderont pas à se faire ressentir à fur et à

mesure que l’utilisation des flux RSS se généralise et les services d’alertes se perfectionnent.

Figure 8

111

Cf. l’intervention d’Elie Pariser sur les « Bubble-filters » à TED :

http://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles.html

Figure 7

Page 45: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

45

Après l’analyse des usages numériques des internautes, arrive la partie du

questionnaire consacrée à la perception, par l’opinion publique, de la place donnée aux

technologies numériques dans le processus démocratique.

A l’affirmation suivante : « Internet m’a

permis d’être au courant de l'actualité politique plus

qu’auparavant », 47% déclarent être tout à fait

d’accord (figure 9) et 26% sont plutôt d’accord, ce

qui fait une majorité imposante d’avis favorable

(73%) contre 12% de personnes en désaccord (dont

4% pas du tout d’accord). Cela rejoint le constat fait

précédemment sur la place prépondérante de

l’internet dans la diffusion de l’information, y

compris politique.

Aussi, le citoyen-internaute ne perçoit pas les

technologies numériques seulement comme un outil

médiatique puisqu’à l’affirmation « Internet et les

technologies numériques devront jouer un rôle plus important

dans la gestion des affaires publiques », 60% des personnes

interrogés ratifient (dont 35% tout à fait d’accord), tandis que

27% déclarent être « plus ou moins d’accord » et seulement

15% affirment être en désaccord avec cette sentence dont 4%

en désaccord total (figure 10). Ces déclarations démontrent une certaine bienveillance envers

les NTIC en général et un espoir d’un « renforcement » démocratique provoqué par lesdites

technologies.

Sur la manière dont ces technologies devront êtres utilisées dans la gestion du

processus démocratique, la question du vote en ligne a été abordée, dans la continuation des

travaux de recherche analysés dans les premières parties de ce mémoire112

. A la question

suivante : « Le vote en ligne devrait-être envisagé dès que 100% de la population aura eu

112

Laurence Monnoyer-Smith et Eric Maigret, cf. bibliographie.

Figure 9

Figure 10

Page 46: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

46

accès à internet et que des systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes, auront

été mis en place », les réponses recueillies mettent en évidence deux groupes distincts, l’un

approbateur, l’autre critique de l’adoption du vote en ligne,

tandis qu’une part modeste de l’opinion (15%) déclare être

« plus ou moins d’accord ». Le taux d’usagers se prononçant

pour la considération d’une mise en place du vote en ligne

atteint les 44% (dont 27% « tout à fait d’accord ») tandis que

42% se prononcent « Contre », dont 32% « pas du tout

d’accord » (figure 11). Le taux du rejet fort est légèrement

inférieur à celui de l’acceptation enthousiaste. Ce clivage en part égales devrait nous inciter à

envisager des méthodes plus qualitatives dans l’appréciation de l’opinion publique, afin de

connaitre les motivations et les réticences des citoyens vis-à-vis des NTIC113

.

C’est dans cette perspective que la question n° 12 a été élaborée. Et bien que la

participation qualitative a été plutôt minoritaire (seul 14% des personnes interrogées ont

rempli la case « Précisez ») les réflexions des internautes ont été particulièrement

enrichissantes, voire inédites.

En effet, à la question : « Dans le cas d’un taux de pénétration de l’internet atteignant

100% de la population et la disponibilité de systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité

des votes ; quels sont, selon vous, les éléments qui pourront empêcher l’adoption du vote en

ligne ? », 84% pensent que le premier facteur est la « Vulnérabilité des dispositifs114

» et 65%

ont cité la « Complexité de la technologie pouvant exclure certaines populations115

» (figure

12). Le risque de pressions familiales dues à l’absence de l’isoloir vient en troisième place

(44%) tandis que le facteur d’ « atteinte au symbole républicain (rite du bulletin dans

l’urne) » n’est cité que par 33% des personnes interrogées.

113

Les entretiens avec les citoyens et les observations participantes sont envisagés dans le cadre du mémoire de

M2. 114

Failles exploitables, pannes imprévues, détournements etc. 115

Problématique de la « fracture numérique » et de l’ « alphabétisation digitale » (« digital literacy »)

Figure 11

Page 47: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

47

Figure 12

Les témoignages récoltés via l’option « Autres (précisez) » font ressortir des facteurs

nouveaux dont certains s’approchent des facteurs proposés par le questionnaire116

tandis que

d’autres se révèlent totalement inédits. Ces témoignages peuvent regroupés dans cinq

ensembles différents :

- Le premier ensemble de témoignages met en cause la faible volonté des hommes

politiques actuels, qu’il estime être un frein potentiel à toute réforme du processus

électoral, permettant une quelconque amélioration de l’efficacité démocratique.

Les hommes actuellement à la tête des institutions étatiques sont donc considérés

comme des éléments d’empêchement.

Propos retranscrits : « Blocage politique : un tel système de vote pourrait

permettre la démocratie liquide ou des systèmes de votes alternatifs (vote de

valeur), ce qui n'est pas dans l'intérêt des partis majeurs. »

« Les politiques actuels ».

« Impossibilité de tricher ».

- Le deuxième ensemble évoque le facteur du handicap117

comme étant un frein

considérable à la généralisation de nouveaux dispositifs de vote électronique. Il est

indispensable que les concepteurs de tels mécanismes anticipent ces enjeux et

mettent en place des solutions, en amont à toute mise en service.

Propos retranscrits : « Handicap ».

« Aveugles-mal voyants, personnes âgées ».

116

Ces facteurs ont été élaborés autour des résultats d’enquêtes cités par Laurence Monnoyer-Smith et Eric

Maigret, dans leur article qui constitue le noyau du corpus de ce mémoire (cf. Bibliographie) 117

Thématique abordée durant la World Wide Web 2012, la mythique conférence organisé par Tim Berners Lee,

cette année à Lyon ; Numérique & Handicap : conception universelle et spécifique [table ronde], in WWW2012,

du 16 au 20 avril 2012. http://yfrog.com/ke3llolj

Page 48: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

48

- Le troisième ensemble s’approche relativement de l’un des choix multiples

proposés (« Atteinte au symbole républicain du vote »), mais s’intéresse davantage

à la valeur d’engagement du vote. Les personnes interrogées estiment

effectivement que l’acte de voter implique un engagement et un intérêt pour la

chose publique, qui risqueront de s’étioler par la mise en place d’un système

réduisant le vote à « quelques cliques », en quelques secondes.

Propos retranscrits : « Le vote engage. Rendre le vote sur internet s'apparenterait à

la réponse à un sondage ou un test psycho, il perdrait de son importance ».

« Voter demande un petit investissement pour aller aux urnes ou voter par bulletin

papier, ce qui n'est plus le cas en quelques clics ! Le taux de participation serait

probablement accru mais au détriment d'une réelle motivation. »

« Le fait de diminuer le sérieux du vote avec pour risque principal que des

personnes qui ne se sentent pas vraiment concernées votent sans réfléchir. Le fait

de se déplacer crée déjà une séparation entre ceux que le vote intéresse et ceux qui

ne font même pas le déplacement. »

- Les opinions ne sont pas toutes sceptiques concernant le développement du vote en

ligne dans le moyen-terme comme ce quatrième ensemble de réponses le

démontre. Ces usagers estiment, en effet, qu’aucun élément ne pourrait (ni

devrait) sérieusement entraver la mise en place de tels dispositifs, au contraire,

ceux-ci devront être envisagés dans les plus brefs délais au vu de la valeur

corroborative qu’ils auront sur les motivations citoyennes.

Propos retranscrits : « Je pense que le vote sur internet permettrait de motiver plus

de gens à voter (notamment la part de la population qui s'abstient alors qu'elle

pourrait voter blanc) »

« Aucun ».

« Aucun ».

- Enfin, le dernier ensemble de témoignages, regroupe des remarques critiquant le

système de vote en lui-même (plus précisément le système électoral-représentatif),

soit parce que celui-ci est jugé pas assez démocratique (« Voter pour un candidat

est aristocratique. Un citoyen vote des lois. ») soit parce que celui-ci est considéré

comme non-conforme à un idéal de gouvernance particulier [technocratie?] (« Le

système démocratique étant à remettre en cause, un vote virtuel ou réel ne peut

avoir qu'une bien piètre qualité et/ou réconfort. »)

Page 49: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

49

Bilan

En récapitulant, voici ce qui ressort de cette enquête quantitative sur les usages

numériques des citoyens-internautes :

Les réseaux sociaux sont la principale interface numérique utilisée par les internautes

Français (94% d’utilisateurs). Leur progression est considérable comme le démontre

l’adoption rapide de Google+, le plus récents des SNS (38% d’utilisateurs en moins d’un an).

La consultation des forums et des blogs publics est plutôt importante (54% de visiteurs

quotidiens) ce qui fait de ces interfaces un important relais de l’information. Toutefois, la

majorité de ces visiteurs ne diffusent pas de contenu (36% ne le font jamais, et 6%

uniquement de manière occasionnelle) tandis qu’une minorité active canalise la production de

contenu (14,5% de producteurs réguliers ou semi-réguliers).

Concernant les sujets à caractère politique et/ou citoyen (tous types d’interfaces

numériques confondus) moins de la moitié des internautes déclarent en consulter de manière

quotidienne (34%) tandis que 39% des visiteurs de ces sujets, ne postent ni messages ni

commentaires. Le taux de producteurs de contenus à caractère politique et/ou citoyen atteint

22% à des fréquences régulières ou semi-régulières. Quant aux activités que l’on pourrait

qualifier de « proto-politique 118

», 69% des internautes ont déclaré avoir déjà diffusé ou

partagé un contenu de ce type sur réseaux sociaux, forums et blogs publics confondus. 7%

le font à fréquence quotidienne tandis que le taux de participation régulière (d’une fois par

jours à une fois par semaine) atteint 23%.

La consultation des actualités sur internet est devenue un réflexe pour l’internaute qui

souhaite s’informer : 98% des personnes interrogées sont concernés dont 41% qui le font

plusieurs fois par jour et 30% au moins une fois par jour. Les internautes ayant un flux RSS

personnalisé ou un système d’alertes leur permettant de trier/recevoir des informations en

temps réel représentent 40% de l’échantillon. Cette utilisation généralisée des nouveaux outils

de l’information se reflète sur la perception qu’ont les internautes du web. En effet, une

majorité écrasante d’utilisateurs estime qu’internet leur a permis d’être au courant de

l’actualité politique plus qu’auparavant (73% dont 47% « Tout à fait d’accord »). Aussi, 60%

118

« Images dérivées, caricatures, reproduction de sites web, vidéos et sources audio recombinées, affiches

détournées etc. Exemple: combinaison de vidéos servant à comparer les discours d'un homme politique à des

moments différents de son parcours ("fact-checking")

Page 50: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

50

des internautes estiment qu’internet et les technologies numériques en général, devront jouer

un rôle plus important dans la gestion des affaires publiques.

Toutefois, le vote électronique demeure un sujet qui divise l’opinion : 44% sont pour

sa mise en place tandis que 42% se prononcent contre. Pour l’ensemble des participants, les

raisons qui pourraient empêcher l’application d’un tel dispositif, sont d’abord d’ordre

technique (« Vulnérabilités des dispositifs », facteur évoqué à 84%) et social (« ‘fracture

numérique’ excluant une partie de la population » évoquée à 65%).

D’autres éléments ont été également mentionnés dont les plus récurrents sont la

volonté des politiques actuels, jugé insuffisante voire hostile à l’égard de ces innovations, le

facteur du handicap qui pourrait discriminer des citoyens en difficulté face à ces technologies,

et enfin la valeur d’engagement que suscite l’acte de voter, que les citoyens craignent de voir

s’éroder par la mise en place d’un système de vote virtuel.

Critique méthodologique : représentativité, profilage et limites

Il convient de dire un mot sur la représentativité de l’échantillon élaboré dans le cadre

de cette enquête ainsi que le contexte de diffusion des questionnaires. Comme je l’ai précisé

au début de l’analyse, le questionnaire a été distribué sur internet majoritairement par voie de

courriels. Une vingtaine de personnes a été sollicité en premier lieu (Distance 1) qui, après y

avoir répondu, ont à leur tour diffusé le questionnaire par courriels et/ou via les réseaux

sociaux, incitant ainsi d’autres personnes (Distance 2) de faire de même et ainsi de suite. Ce

mode de diffusion viral et réticulaire, a l’avantage de toucher des cibles diverse de façon quasi

aléatoire (il a été demandé aux collaborateurs de Distance 1 de ne pas faire de tri sélectif dans

le choix de leurs destinataires). Par ailleurs, le questionnaire a été également diffusé un réseau

social professionnel et un forum de discussion. Mais la circulation par ces deux médiums a été

volontairement circonscrite pour ne pas biaiser les résultats des premières questions portant

justement sur l’utilisation de ces plateformes.

Il est bien entendu convenu que cette enquête cible exclusivement les citoyens

connectés (71% de la population française). La problématique du non-usage sera abordée dans

le mémoire de Master 2 et l’échantillon sera préparé en conséquence119

.

119

Il est prévu de prospecter l’équivalent de 30% de l’échantillon en dehors de la toile, auprès de personnes

choisies à l’avance pour leur non-usage de l’internet. (Pour 700 personnes connectés, 300 personnes non-

connectés)

Page 51: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

51

Le choix de cibler une population connectée a mis en évidence quelques limites à

l’intention de représentativité de l’échantillon. En effet, 53% des personnes interrogées

appartiennent à la même catégorie socioprofessionnelle (Etudiants) et la tranche d’âge la plus

représentée reste, sans surprise, celle des 18-25 ans (la moyenne d’âge des participants étant

26 ans). Ces limites peuvent être dépassées par un ciblage en plusieurs tranches (une forme de

quotas par âge et par CSP) qui correspondrait davantage au paysage démographique et social

du pays étudié.

Résultats de la 3ème

partie du questionnaire (profilage)

Homme

109 55%

Femme

91 46%

Page 52: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

52

*60% Suisse, 12% Espagne, 7% Belgique, 5% Russie, et 2% pour chacun des pays

restants : Allemagne, Grèce, Chine, Canada, Japon, Etats-Unis. A noter que mis pour la

Suisse et la Belgique, les autres participants sont des Français résidents à l’étranger.

« Depuis quand êtes-vous

usager d’internet ? »

Page 53: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

53

Entretiens qualitatifs et synthèse

Une culture numérique insuffisante

Les résultats obtenus par l’enquête sur les usages numériques se confirment, en partie,

par les propos des professionnels du web politique, interviewés dans le cadre de cette

recherche. Ainsi, concernant la volonté politique des élus actuels - pointée du doigt par un

certain nombre d’internautes- Pierre Guillou120

nous donne un témoignage intéressant qui

explique la réticence des hommes politiques vis-à-vis des NTIC, par des carences dans ce

qu’il appelle une « culture numérique ». Les hommes politiques seraient ainsi imprégnés

d’une culture hiérarchique verticale qui les empêcherait de penser le web 2.0 autrement

qu’une simple interface communicationnelle, faisant complétement fi de sa dimension

d’échange et de débats démocratiques :

« Les règles de la communication en général ont été jusqu’ici, très verticales […] Quand le web

social est apparu, ses règles ont changé puisque, sur internet aujourd’hui, bien communiquer c’est

non pas produire de l’information mais plutôt mettre en place un environnement de dialogue sur un

thème qui peut vous intéresser et s’enrichir de ce que vont dire les autres, ce qui va quelque part

créer votre communication en tant qu’homme politique. J’ai remarqué que les élus qui étaient

persuadés qu’il fallait investir le web, dès qu’il y avait un dialogue qui ne leur plaisait pas, ils

demandent à ce qu’on ferme les commentaires, et pour certains, à ce qu’on ferme complètement la

page. Et la raison de cela, c’est que malheureusement, comme ils n’intègrent pas que ce commentaire

est une chance et non pas un problème, ils mettent fin au dialogue. Une chance, parce qu’ils ont en

face d’eux une vraie personne, avec de vraies informations sur un profil facebook, et c’est donc un

potentiel électeur et l’élu a la possibilité d’entamer un dialogue avec lui. La personne n’était pas

d’accord certes, mais le rôle de la campagne électorale, c’est justement de convaincre, et pour

convaincre il va bien falloir expliquer et entrer dans le débat ! Il se trouve que la vision biaisée de cet

élu (vision d’une communication traditionnelle à la verticale) l’empêche de profiter pleinement des

possibilités offertes par le web. »

Pour Fabrice Epelboin, la réticence des hommes politiques à mettre en place de

véritables structures informatiques permettant une réelle transparence dans les institutions,

s’expliquent d’abord par le refus de changer des habitudes qui, si publicisées à grande échelle,

compromettront les institutions en question :

120

Pierre Guillou, fondateur du journal Elus 2.0 sur les élus, la politique et Internet, et de la société Ideose qui

accompagne le secteur public et privé dans l’appropriation des nouveaux usages numériques (Web 2.0, réseaux

sociaux, accessibilité du Web…). Ideose intervient en particulier dans le monde politique en proposant conseils

et formations aux élus.

Page 54: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

54

« Officiellement, vous pouvez aller dans votre mairie demander à consulter tout document

cadastral. Sur internet, ce ne sera jamais le cas, et pour cause : prenez toutes les

autorisations de permis de construire de ronds points ces 30 dernières années, mappez les sur

une cartographie, faites dérouler le temps et vous observerez une périodicité de 6 ans, avec

des autorisations données pile poil dans l'année qui précède les municipales. Vous avez dit

corruption de la part des grands acteurs du BTP ? LOL »

Ces différentes affirmations, qui correspondent à certains discours relevés dans l’état

de recherche121

et qui se retrouvent dans les propos d’un nombre d’internautes, soutiennent

notre deuxième sous-hypothèse122

qui présente les technologies numériques comme le

catalyseur, sinon l’amplificateur, d’un sentiment de « défiance » envers une élite politique

incapable de s’adapter aux nouvelles réalités sociales de ce début du XXIème siècle

(transformation voire abolition de certains types d’hiérarchie, rapports sociaux de forme

réticulaire à l’image du web, désacralisation de la fonction politique, revendication de

transparence totale des institutions etc.)

L’ « engagement faible » : une nouvelle force

Sur la question des pratiques « proto-politiques » (P. Dahlgren cité par Monnoyer-

Smith) et de la « culture participative » de l’internet (L. Monnoyer-Smith), notre enquête

qualitative nous démontre l’importance de ce phénomène et sa relative « politicité » (69% de

diffuseurs de contenus et 22% de producteurs de contenu à caractère politique), cette tendance

serait en hausse depuis quelques années et pourrait avoir, dans un avenir proche, des

répercussions considérables sur la vie politique ; comme en témoigne Fabrice Epelboin,

créateur de la plateforme Fhimt.com et spécialiste des mouvements contestataires sur le web

tunisien, qui ont participé à la chute du régime Ben Ali :

« L'engagement faible, c'est la possibilité pour chacun de participer à une "Op" (pour « opération »)

sous la forme d'une petite action : un retweet, une petite traduction, quelque chose qui ne demande

pas un engagement phénoménal, mais qui, fait par des millions de personne, peut faire une énorme

différence. Pour OpTunisia, sans les traductions faites par des volontaires de cette façon,

l'information n'aurait jamais été disponible en temps réel pour le monde anglo-saxon, ça a été très

utile. De la même façon, une attaque DDoS par les Anonymous procède de l'engagement faible de

121

« Certaines administrations ont adopté l’internet comme nouvel outil de communication et de présentation («

sites vitrines ») à condition qu’elles ne remettent pas en cause les habitudes de travail, les statuts et la culture

administrative de chacun » Thierry Carcenac et Jean Paul Baquiast, cité par L. Monnoyer-Smith. 122

« Le citoyen-internaute tente de superposer les normes de la « cité virtuelle », jugées plus démocratiques, sur

la « cité réelle » (Cas de défiance) »

Page 55: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

55

masse. Par rapport aux anciennes formes d'engagements militant, la 'barrière à l'entrée' est bien plus

faible, et ça change radicalement les choses. Déclencher une opération revient de plus en plus à faire

du community management et du webmarketing. L'opération Kony2012123

procède précisément de

l'engagement faible de masse, avec une maitrise totale de la dimension marketing. […] Si on se

focalise sur le seul mouvement Anonymous, le fait qu'il n'y ai pas de leader, pas de chef, pas de porte-

parole, fait qu'il ne peut y avoir de corruption ni de récupération. Des écueils que n'a pas su éviter le

syndicalisme, par exemple, et encore moins les partis politiques »

Les résultats recueillis semblent nous éloigner de l’hypothèse de la résignation124

, et

nous rapprochent de celle de la défiance. Comme Laurence Monnoyer-Smith l’a souligné

dans son article sur la participation en ligne : l’engagement politique des citoyens n’est pas en

déclin, mais est plutôt en phase de mutation. Serions-nous pour autant, en mesure de parler de

technologies « révolutionnantes » ? Ce n’est pas ce qu’affirment les observateurs du monde

politique en France et outre-Atlantique, qui constatent déjà une individualisation (voire

marchandisation) des usages de l’internet : « Les questions du copyright, du piratage, de la

protection de la vie privée (quoique dans une moindre mesure) sont désormais plus souvent évoquées

que les « vertus démocratiques » que l’on prête aux NTIC. Voyez l’actualité autour de MegaUpload et

de sa fermeture par le FBI ; voyez aussi les projets de loi SOPA (devant la Chambre des

Représentants) et PIPA (devant le Sénat), aujourd’hui ajournés », fait remarquer Lucas Surel,

conseiller politique en « Affaires européennes » et chargé de mission au bureau du Sénateur

des Hauts de Seine. Ce même observateur qui s’intéresse de très près à l’élection

présidentielle aux Etats-Unis nous rappelle, à juste titre, les limites du discours promotionnel

des technologies numériques : « Notons tout de même que les principaux promoteurs des NTIC

comme outils de rénovation de la politique en sont aussi…les principaux acteurs (du type La

Netscouade en France). Cela a pu amener à exagérer leur rôle. Déconnectées de tout travail de

terrain ou de toute réflexion de fonds, elles restent un outil comme un autre, leur force transformatrice

devient quasi inexistante. Il faut savoir ce qu’on veut en faire ! Ce qu’a d’ailleurs très bien illustré la

campagne d’Obama en 2008. ». Voilà une mise en garde qui rejoint celle que nous avons pu

rencontrer dans des travaux de recherche précédents125

et qui nous rappelle qu’aucune

technique ne peut provoquer un changement sans que la dynamique sociale ne l’ait voulu

intentionnellement.

123

http://fr.wikipedia.org/wiki/Kony_2012 124

« Le citoyen-internaute se détourne des affaires de la « cité réelle », lui préférant l’environnement d’une

« cité virtuelle » (Cas de résignation) » 125

Dominique Wolton, internet et après ? 1999

Page 56: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

56

Bibliographie

Articles scientifiques

- FLICHY Patrice, « La démocratie 2.0 », Etudes, 2010/5 Tome 412, p. 617-626.

- FLICHY Patrice, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008/4 n° 150, p.

159-185.

- LOVELUCK Benjamin, « Internet, vers la démocratie radicale ? », Le Débat, 2008/4

n° 151, p. 150-166.

- BOUTET Annabelle et TREMENBERT Jocelyne, « Mieux comprendre les situations

de non-usages des TIC. Le cas d'internet et de l'informatique » Réflexions

méthodologiques sur les indicateurs de l'exclusion dite numérique, Les Cahiers du

numérique, 2009/1 Vol. 5, p. 69-100.

- MONNOYER-SMITH Laurence, « La participation en ligne, révélateur d'une

évolution des pratiques politiques ? », Participations, 2011/1 N° 1, p. 156-185.

- MAIGRET Éric et MONNOYER-SMITH Laurence, « Le vote en ligne », Réseaux,

2002/2 n° 112-113, p. 378-394.

- CARDON Dominique et GRANJON Fabien, « Peut-on se libérer des formats

médiatiques ? Le mouvement altermondialisation et l'Internet », Mouvements, 2003/1

no25, p. 67-73.

- BARBONI Thierry et TREILLE Éric, « L'engagement 2.0 » Les nouveaux liens

militants au sein de l'e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010/6

Vol. 60, p. 1137-1157.

- BEAUVALLET Godefroy et RONAI Maurice, « Vivre a temps réels » Le

renouvellement des pratiques militantes autour des TIC est-il possible au sein des

partis de gouvernement ?, Réseaux, 2005/1 n° 129-130, p. 275-309.

- ALCAUD David et LAKEL Amar, « Les nouveaux « visages » de l'administration sur

Internet : pour une évaluation des sites publics de l'état », Revue française

d'administration publique, 2004/2 no110, p. 297-313.

Page 57: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

57

Ouvrages généraux

- GRANJON Fabien, DENOUEL Julie, Communiquer à l'ère numérique. Regards

croisés sur la sociologie des usages. Paris, Presses des mines, 2011.

- CARDON Dominique. La démocratie Internet, promesse et limites. Paris, Seuil, La

République des Idées, 2010.

- FLICHY Patrice. Le sacre de l'amateur : Sociologie des passions ordinaires à l'ère

numérique. Paris, Seuil, La République des Idées, 2010.

- ROSANVALLON Pierre, La légitimité démocratique. Paris, Seuil, 2008

- PISANI Francis, PIOTET Dominique, Comment le web change le monde : L'alchimie

des multitudes. Village mondial, 2008.

- MAIGRET Eric. Sociologie de la communication et des médias. Paris, Armand Colin,

2006.

- BRETON Philippe, L'utopie de la communication, le mythe du « village planétaire ».

La Découverte, 2004.

- WOLTON Dominique, Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux médias.

1999.

- NEGROPONTE Nicholas, L'Homme numérique. Robert Laffont, Paris, 1995.

Page 58: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

58

Annexes Résultats détaillées du questionnaire

Total = 200 participations

1. Êtes-vous inscrit(e) sur l’un des réseaux sociaux suivants ?

Facebook 172 86%

Twitter 91 46%

LinkedIn 70 35%

Google+ 75 38%

Viadeo 50 25%

Aucun 11 6%

Other 16 8%

Les utilisateurs peuvent cocher plusieurs cases, donc les pourcentages peuvent être supérieurs à 100 %

.

2. Consultez-vous des forums de discussions ou des blogs publics* ? Et à quelle fréquence ?

Plus d’une fois par jour 69 35%

Au moins une fois par jour 37 19%

Au moins une fois par semaine 44 22%

Au moins une fois par mois 18 9%

Moins d’une fois par mois 23 12%

Jamais 9 5%

Page 59: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

59

3. Postez-vous des messages ou des commentaires, lors de vos passages sur ces forums ou blogs

publics ? Et à quelle fréquence ?

Systématiquement (au moins un message ou commentaire par visite) 4 2%

Régulièrement (plus d’une fois sur deux visites) 21 11%

Occasionnellement (au moins une fois sur deux) 28 14%

Rarement (moins d’une fois sur deux) 76 38%

Jamais 71 36%

4. Consultez-vous, via les réseaux sociaux/forums/blogs ou autres, des sujets traitant de politique

et/ou de citoyenneté** ? Et à quelle fréquence ?

Plus d’une fois par jour

35 18%

Au moins une fois par jour

32 16%

Au moins une fois par semaine

57 28%

Au moins une fois par mois

33 17%

Moins d’une fois par mois

28 14%

Jamais

15 8%

Page 60: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

60

5. Postez-vous des messages ou des commentaires lors de vos consultations des sujets traitant de

politique et/ou de citoyenneté ? Et à quelle fréquence ?

Systématiquement (au moins un message ou commentaire par visite) 3 2%

Régulièrement (plus d’une fois sur deux visites) 12 6%

Occasionnellement (au moins une fois sur deux) 28 14%

Rarement (moins d’une fois sur deux) 64 32%

Jamais 93 47%

6. Avez-vous déjà diffusé ou partagé, via les réseaux sociaux/forums/blogs ou autres, des produits

d’internautes*** au contenu satirique, contestataire ou militant ? Et à quelle fréquence ?

Plus d’une fois par jour

3 2%

Au moins une fois par jour

9 5%

Au moins une fois par semaine

32 16%

Au moins une fois par mois

36 18%

Moins d’une fois par mois

58 29%

Jamais

62 31%

Page 61: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

61

7. Consultez-vous les actualités sur internet ? Et à quelle fréquence ?

Plusieurs fois par jour

81 41%

Au moins une fois par jour

60 30%

Au moins une fois par semaine

40 20%

Au moins une fois par mois

8 4%

Moins d’une fois par mois

8 4%

Jamais

3 2%

8. Utilisez-vous, à titre personnel, un agrégateur de flux RSS ou un service d’alertes par mots-clès ?

(ex : Google alertes)

Oui

79 40%

Non

121 61%

Page 62: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

62

9. « Internet m’a permis d’être au courant de l'actualité politique plus qu’auparavant »

1 - Pas du tout d'accord 7 4%

2 - Plutôt pas d’accord 16 8%

3 - Plus ou moins d’accord 32 16%

4 - Plutôt d’accord 51 26%

5 - Tout à fait d'accord 94 47%

10. « Internet et les technologies numériques devront jouer un rôle plus important dans la gestion des

affaires publiques »

1 - Pas du tout d'accord 8 4%

2 - Plutôt pas d’accord 21 11%

3 - Plus ou moins d’accord 53 27%

4 - Plutôt d’accord 49 25%

5 - Tout à fait d'accord 69 35%

Page 63: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

63

11. « Le vote en ligne devrait-être envisagé dès que 100% de la population aura eu accès à internet et

que des systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes, auront été mis en place »

1 - Pas du tout d'accord 63 32%

2 - Plutôt pas d’accord 20 10%

3 - Plus ou moins d’accord 30 15%

4 - Plutôt d’accord 33 17%

5 - Tout à fait d'accord 54 27%

12. Dans le cas d’un taux de pénétration de l’internet atteignant 100% de la population et la disponibilité

de systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes. Quels sont, selon vous, les éléments qui

pourront empêcher l’adoption du vote en ligne ?

Vulnérabilité des dispositifs (failles exploitables, pannes imprévues, détournements etc.)

167 84%

Risques de pressions (familiales ou autres) dus à l’absence de l’isoloir

87 44%

Atteinte au symbole républicain du vote (rite du bulletin dans l’urne)

66 33%

Complexité de la technologie pouvant exclure certaines populations ("analphabétisme digital",

"fracture numérique") 129 65%

Other

27 14%

Les utilisateurs peuvent cocher plusieurs cases, donc les pourcentages peuvent être supérieurs à 100 %.

Page 64: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

64

13. Vous êtes ?

Homme

109 55%

Femme

91 46%

14. Moyenne d’âge : = 26 ans

15. Localisation :

*60% Suisse, 12% Espagne, 7% Belgique, 5% Russie, et 2% pour chacun des pays restants :

Allemagne, Grèce, Chine, Canada, Japon, Etats-Unis. A noter que mis pour la Suisse et la

Belgique, les autres participants sont des Français résidents à l’étranger.

Page 65: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

65

16. Quelle est votre catégorie socioprofessionnelle?

Agriculteurs exploitants

0 0%

Artisans, commerçant et chefs d’entreprises

8 4%

Cadres, professions intellectuelles supérieures

44 22%

Professions intermédiaires (professeur des écoles, infirmière, assistante sociale par

exemple) 4 2%

Employés

35 18%

Ouvriers

3 2%

Retraités

0 0%

Scolarisé (collégiens, lycéens, étudiants)

106 53%

17. Depuis quand êtes-vous usager d'internet ?

Moins d'un an

0 0%

Entre 1 et 2 ans

0 0%

Entre 2 et 5 ans

6 3%

Entre 5 et 10 ans

80 40%

Plus de 10 ans

113 56%

Page 66: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

66

Question 12 (suite) : Dans le cas d’un taux de pénétration de l’internet atteignant 100% de la population et

la disponibilité de systèmes garantissant l’anonymat et l’intégrité des votes. Quels sont, selon vous, les

éléments qui pourront empêcher l’adoption du vote en ligne ?

Other

(27) 14%

- « Blocage politique, un tel système de vote pourrait permettre la démocratie liquide ou des systèmes

de votes alternatif (vote de valeur), ce qui n'est pas dans l'intérêt des partis majeurs. »

- « Les politiques actuels »

- « Handicap »

- « Le vote engage. rendre le vote sur internet s'apparenterait à la réponse à un sondage ou un test

psycho, il perdrait de son importance »

- « Infractions diverses »

- « Fraude »

- « Le système démocratique étant à remettre en cause, un vote virtuel ou réel ne peut avoir qu'une bien

piètre qualité et/ou réconfort. »

- « Je pense que le vote sur internet permettrait de motiver plus de gens à voter (notamment la part de

la population qui s'abstient alors qu'elle pourrait voter blanc) »

- « Aucun »

- « Risques de fraudes, même sur des système "fiables et anonymes" (du déjà-vu). »

- « Impossibilité de tricher »

- « (facteurs) économiques »

- « Aucun »

- « Voter demande un petit investissement pour aller aux urnes ou voter par bulletin papier. ce qui n'est

plus le cas en quelques clics! Le taux de participation serait probablement accru mais au détriment

d'une réelle motivation. »

- « Le fait de diminuer le sérieux du vote avec pour risque principal que des personnes qui ne se sentent

pas vraiment concernées votent sans réfléchir. Le fait de se déplacer crée déjà une séparation entre

ceux que le vote intéresse et ceux qui ne font même pas le déplacement. »

- « Aveugles-mal voyants, personnes âgées. »

- « Voter pour un candidat est aristocratique. Un citoyen vote des lois. »

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67

Entretiens qualitatifs

INTERVIEW 1 : Fabrice Epelboin, entrepreneur.

1. Fabrice Epelboin, vous êtes entrepreneur et spécialiste du web social, notamment

fondateur de Fhimt.com et de l'Association Tunisienne des Libertés Numériques.

Pouvez-vous présenter brièvement ces deux structures et tout autre projet similaire sur

lequel vous travaillez actuellement ?

Fhimt.com est un "pure player" Tunisien francophone, qui est pour l'essentiel une plateforme

d'expérimentation journalistique. On y pratique aussi bien le datajournalisme à outrance (près

de 50 dataviz publiées à ce jour sur un site dédié, en partenariat avec plusieurs institutionnels

tunisiens), le hackjournalisme (Fhimt.com est un 'cousin' de Reflets.info, la référence

mondiale en terme de hack journalisme, beaucoup de texte (dont pas mal de traductions) sur

l'openGov et l'openData... C'est également un média militant, qui participe aux enquêtes de

Reflets et Telecomix telles que OpSyria.

l'ATLN est une ONG Tunisienne consacrée aux libertés sur internet, c'est une plateforme de

projets qui sert à mettre en ouvre des projets en tant que tels - comme Ch9alek.com,

Yezzi.info, de la formation, etc, ou qui apporte un soutien - le plus souvent sous la forme de

réalisation d'un site ou service web - à des projets citoyens...

2. Lors de la conférence "Engagement à l'ère politique" organisée dans le cadre de la

SMW à Paris, vous avez parlé du rôle important qu'a tenu "l'engagement faible" durant

la révolution tunisienne. Pouvez-vous définir ce type d'engagement et expliquer en quoi

il peut renforcer l'activisme citoyen ?

L'engagement faible, c'est la possibilité pour chacun de participer à une "Op" sous la forme

d'une petite action : un retweet, une petite traduction, quelque chose qui ne demande pas un

engagement phénoménal, mais qui, fait par des millions de personne, peut faire une énorme

différence. Pour OpTunisia, sans les traductions faites par des volontaires de cette façon,

l'information n'aurait jamais été disponible en temps réel pour le monde anglo-saxon, ça a été

très utile. De la même façon une attaque DDoS par les Anonymous procède de l'engagement

faible de masse.

Par rapport aux anciennes formes d'engagements militant, la 'barrière à l'entrée' est bien plus

faible, et ça change radicalement les choses. Déclencher une opération revient de plus ne plus

à faire du community management et du webmarketing .L'opération Kony2012 procède

précisément de l'engagement faible de masse, avec une maitrise totale de la dimension

marketing.

3. Vous avez également évoqué une montée considérable du taux de mobilisation

citoyenne sur internet sans que l'on puisse, pour autant, parler de groupes sociaux

organisés. En quoi ces nouveaux militants peuvent-ils constituer un contre-pouvoir plus

efficace que ce que l'on a connu jusqu'ici ? (syndicats, partis d'opposition, associations

etc)

Si on se focalise sur le seul mouvement Anonymous, le fait qu'il n'y ai pas de leader, pas de

chef, pas de porte-parole, fait qu'il ne peut y avoir de corruption et de récupération. Des

Page 68: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

68

écueils que n'a pas su éviter le syndicalisme, par exemple, et encore moins les partis

politiques.

4. L’État français se montre de plus en plus ouvert à la conversion numérique en lançant

des projets d'ouverture des données publiques comme etalab et data.gouv.fr. Quel regard

portez-vous sur ces initiatives et voyez-vous des limites à ces dispositifs, en matière

d'efficacité ? (l'objectif étant une plus grande transparence et l'empowerment citoyen)

C'est de la com', l'Etat Français est terriblement en retard et ne peut pas avancer sur cette voie.

L'histoire classique que je sors à tout bout de champ est la suivante : le cadastre devrait faire

partie des tous premiers datasets ouverts. Officiellement, vous pouvez aller dans votre mairie

demander à consulter tout document cadastral. Sur internet, ce ne sera jamais le cas, et pour

cause : prenez toutes les autorisations de permis de construire de ronds points ces 30 dernières

années, mappez les sur une cartographie, faites dérouler le temps et vous observerez une

périodicité de 6 ans, avec des autorisations données pile poil dans l'année qui précède les

municipales. Vous avez dit corruption de la part des grands acteurs du BTP ? LOL.

5. Où en sont, selon vous, les institutions françaises en matière de numérisation et de

transparence, en comparaison avec d'autres vieilles démocraties comme les États-Unis,

ou encore de toutes jeunes démocraties comme la Tunisie ?

Incroyablement en retard par rapports aux démocraties anglo-saxonnes, en avance par rapport

à la Tunisie, mais il existe un mouvement populaire très puissant en Tunisie qui pousse à la

transparence. Par ailleurs, la lutte contre la corruption a un soutien massif de la population en

Tunisie mais pas en France, donc les choses devraient évoluer de façon très différente...

Il est à noter que le souci n'est pas la numérisation, tout en France est déjà sous forme

numérique, le problème c'est la mise à disposition et ce dans un format réutilisable et ouvert.

Page 69: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

69

INTERVIEW 2 : Lucas Surel, conseiller politique.

1. Bonjour Lucas Surel, vous êtes Conseiller politique « Affaires européennes » chargé

de mission au bureau du Sénateur des Hauts de Seine, et vous vous intéressez de près

aux élections présidentielles américaines, avez-vous noté un emploi plus important des

nouvelles technologies de l'information et de la communication dans les campagnes des

différents candidats, en comparaison avec les élections de 2008 par exemple ?

Difficile à dire. La campagne à proprement parler a tout juste commencé aux Etats-Unis, nous

n’en sommes qu’aux prémisses, les primaires républicaines ne sont toujours pas terminées.

Ensuite, on a du mal à imaginer qu’une articulation numérique/ campagne de terrain encore

plus efficace que ce qui a été mis en place en 2008 autour de Barack Obama puisse voir le

jour.

Par rapport à 2004, 2008 était sur bien des points plus un approfondissement, un

perfectionnement et une généralisation de méthodes testées au préalable qu’une véritable

révolution. 2012 devrait s’inscrire dans le même mouvement. A noter qu’en 2008, les

démocrates avaient trouvé leur « inspiration » tout autant chez des stratèges républicains

comme Karl Rove que chez des politiques démocrates comme Howard Dean. Dean est

souvent considéré comme le premier politicien d’envergure à avoir su utiliser Internet à bon

escient (même si sa candidature aux primaires de 2004 a fini par retomber comme un

soufflé) ; la toute jeune agence sur laquelle il s’appuyait, Blue State Digital, avait été fondée

par certains de ses proches comme Joe Rospars. BSD comme Rospars se sont ensuite mis au

service d’Obama, et le sont toujours en 2012.

L’évolution la plus marquée en termes de méthodes de campagne « NTIC » cette année se

trouvera donc peut-être davantage du côté républicain : ils n’avaient pas réussi en 2008 à

mettre au point une machine aussi efficace que celle d’Obama, ils avaient un candidat dont le

rapport aux NTIC n’était pas le point le plus fort… Cette année, le favori de la droite Mitt

Romney et son équipe semblent bien plus à l’aise avec ces méthodes-là. Reste à savoir

comment ils les utiliseront, et dans quels buts (fundraising ? mobilisation ? etc.).

2. Nous avons connu ces deux dernières années, en France, l'émergence de discours sur

les "vertus démocratiques" de l'internet et des NTIC en général, nous expliquant

comment ces technologies vont "renforcer" le citoyen (empowerment) et le rendre plus

engagé politiquement. Ces discours ont toutefois disparu de l'espace public dès le début

de la période électorale. Ces débats sont-ils plus abordés dans la campagne présidentielle

américaine ? Et où en est le "cyberoptimisme" américain dix ans après les fameuses

"autoroutes de l'information" d'Al Gore ?

Les débats autour d’internet sont toujours vifs aux Etats-Unis – mais comme en France, ils

évoluent, leur angle d’attaque principal n’est plus nécessairement le même. Les questions du

copyright, du piratage, de la protection de la vie privée (quoique dans une moindre mesure)

sont désormais plus souvent évoquées que les « vertus démocratiques » que l’on prête aux

Page 70: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

70

NTIC. Voyez l’actualité autour de MegaUpload et de sa fermeture par le FBI ; voyez aussi les

projets de loi SOPA (devant la Chambre des Représentants) et PIPA (devant le Sénat),

aujourd’hui ajournés.

Un exemple pour montrer tout de même qu’elles conservent un rôle tout à fait particulier et

intéressant sur le plan politique : les outils – applications portables et autres – développés pour

faciliter le suivi de la campagne US. Le New York Times par exemple fait de ce point de vue

un immense travail, avec une section entière de son site internet (accessible sur abonnement)

dédiée à la campagne : articles factuels, analyses, « opinions » et éditos, suivi des sondages,

prévisions, fonds accumulés par les candidats, fonds dépensés par leurs soutiens, « Delegates

tracker » (pour suivre le nombre de délégués engrenés par les candidats républicains à la

candidature…). Toutes ces informations ou presque étant également reprises sur une

application iPhone/ iPad spécialement développée pour l’occasion. On est encore loin en

France et en Europe de disposer d’objets aussi exhaustifs !

Notons tout de même que les principaux promoteurs des NTIC comme outils de rénovation de

la politique en sont aussi… les principaux acteurs (type La Netscouade en France). Cela a pu

amener à exagérer leur rôle. Déconnectées de tout travail de terrain ou de toute réflexion de

fonds, elles restent un outil comme un autre, leur force transformatrice devient quasi

inexistante. Il faut savoir ce qu’on veut en faire ! Ce qu’a d’ailleurs très bien illustré la

campagne d’Obama en 2008.

3. Lors de votre intervention à Paris III, vous avez évoqué la place importante que

prend la réflexion sur la notion de démocratie aux États-Unis, pouvez-vous donner

quelques exemples de cet engouement des citoyens américains pour la chose publique ?

L’engouement des citoyens américains pour la chose publique n’est pas nécessairement plus

fort qu’ailleurs dans le monde. La participation électorale par exemple n’a rien pour nous faire

envie : autour de 40% de participation au moment des mid-terms (41.5% en 2010), autour de

60% max au moment des élections générales (soit quand on élit le Président, 61.6% en 2008).

On assiste bien à des mouvements de contestation à l’ampleur parfois inédite (le Tea Party,

Occupy ! etc.) mais il ne faut pas en exagérer l’importance, il y a toujours eu des franges

protestataires aux Etats-Unis – à droite comme à gauche.

Les Américains et les Européens n’ont tout simplement pas les mêmes références ni les

mêmes cultures politiques et militantes. Ils ne manifestent pas pour les mêmes choses. Par

ailleurs, s’il y a bien un « trait de caractère » qui semble plus fort chez les citoyens américains

que chez les citoyens français, c’est leur attachement à l’idée de patrie, de nation. Les Etats-

Unis, pays très jeune, c’est encore dans l’esprit de beaucoup une terre d’élection – un endroit

où ils (ou leur famille) se sont rendus par choix, parfois pour fuir des pays où ils étaient

persécutés. Ajoutez à cela une primauté absolue donnée à la notion de liberté individuelle, et

vous obtenez chez certain une sorte de révérence pour l’idée même des Etats-Unis : à la fois

un havre et une garantie d’opportunités personnelles. Difficile pour des pays européens vieux

de plusieurs siècles d’en faire autant, en dépit de certains penchants nationalistes.

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71

Mais là où il y a une vraie différence, c’est dans la façon avec laquelle la réflexion sur l’idéal

démocratique est menée. Aux Etats-Unis, cette recherche paraît bien plus vivante qu’en

France ; et surtout, bien plus pragmatique, pratique, concrète. Prenez par exemple les travaux

de Bruce Ackerman, professeur de droit et de sciences politiques à Yale, qui avec James

Fishkin (le père des « sondages délibératifs ») a proposé la mise en place d’un « Deliberation

Day » durant lequel la nation toute entière, réunie sur une base volontaire et rémunérée, aurait

la possibilité de fixer collaborativement les thèmes majeurs de la campagne présidentielle – ce

qui aurait en réalité pour effet d’approfondir le degré de connaissance et d’échange sur les

sujets donnés, chez l’ensemble des citoyens. Non seulement l’idée – qui a évidemment ses

inconvénients – n’a suscité que peu d’intérêt et de débat en France, mais elle n’y a même

jamais été testée : la première tentative de sondage délibératif/ jour de la Délibération à

l’échelle locale en France aura justement lieu cette semaine, les 14 et 15 avril, à la Saline

Royale.

4. Comment expliquez-vous le fait que ce genre de réflexions restent cantonnés dans le

milieu de la recherche en France (ex. travaux de Pierre Rosanvallon) tandis qu'elles

prennent une dimension plus "participatives" aux États-Unis ? (manque de volonté

politique, forte culture de la représentativité, persistance du régime régalien...?)

Il n’y a tout de même pas que Pierre Rosanvallon : vous avez aussi Yves Sintomer, Loïc

Blondiaux, Bernard Manin, Philippe Urfalino, Jon Elster… Mais c’est vrai que l’aspect

« participatif », concret, pragmatique – dans la lignée de l’école de la démocratie délibérative

notamment – est plus développé aux Etats-Unis qu’en France.

D’abord, les réflexions d’un Habermas ou d’un Rawls y ont peut-être été davantage diffusées.

Ensuite, et c’est évidemment lié, parce que l’approche qu’ont les américains de la chose

politique est bien plus pragmatique et utilitariste que l’approche française et européenne. En

France, dans la continuation par exemple de Rousseau, l’idée de nation et de politique est

inextricablement liée avec celle d’universalisme. Pour résumer à l’extrême, pas de place pour

les particularismes ! Même s’il faudrait évidemment nuancer.

De la même façon, le centralisme et l’étatisme (par opposition au fédéralisme, au

régionalisme, à une vision du contrat social qui donnerait une plus grande autonomie à la

société civile…) ont largement étouffé jusque-là toute velléité de « réformes participatives »

ou délibératives. Au total, les discours, les réflexions, les recherches sur la notion de

démocratie non seulement ne circulent pas des masses dans la société française, mais ils

restent à un niveau très général, s’inscrivent dans une tradition philosophique qui est soit trop

monolithique, soit trop abstraite (alors qu’on voit mal ce qu’il y a de plus concret que

l’organisation de la communauté…), et souvent les deux à la fois.

Aux Etats-Unis, même si la nation excède évidemment les groupes (d’intérêt, sociaux etc) qui

peuvent l’habiter, ces groupes sont bel et bien là. La politique assume parfaitement leur

existence, et ne rechigne pas à les utiliser. Les majorités, les élections procèdent de la

construction de coalitions, qu’on construit en mobilisant tel ou tel groupe sur tel ou tel sujet

donné. De même, la relation à l’argent est totalement décomplexée, la liberté d’expression se

veut totale… La politique est une sorte de « marché » au sens économique du terme, en tout

Page 72: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

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cas une activité qu’on peut étudier tout autant qu’une autre. Elle est une valeur en soi – mais

la forme qu’elle prend, tant qu’elle s’inscrit dans une tradition libérale, demeure le champ

d’une multitude d’expérimentations. La liberté et la démocratie sont deux valeurs phares ; le

gouvernement ne l’est pas tout à fait, il peut être aisément critiqué, agencé de diverses façons.

La distinction est fine, mais en l’occurrence elle est assez féconde. Or en France, nous

peinons à l’opérer, on verse facilement dans le tout ou rien.

Pensez aussi à des métiers qui n’existent qu’aux Etats-Unis – comme les « community

organizers ». Ils illustrent également cette différence d’approche, de préconception de la

démocratie, de l’intérêt général, et même de la réflexion sur ces idéaux. Les méthodes du

« community organizing », qui sont très concrètes et s’appliquent à des « causes » locales

précises, ont ainsi été développées par un penseur et intellectuel – Saul Alinsky – qui les

mettait lui-même en pratique, et qui a ensuite inspiré tant Barack Obama, lequel a commencé

sa carrière professionnelle dans les quartiers de Chicago comme community organizer,

qu’Hillary Clinton, auteur d’un mémoire quand elle était étudiante sur… Saul Alinsky. En

France, l’œuvre maitresse d’Alinsky, Rules for Radicals, a été traduite une première fois en

1971 avant de retomber dans l’oubli jusqu’à être retraduite cette année ; et les premières

véritables discussions et expérimentations autour de ces thèses et méthodes n’ont lieu que

depuis quelques années.

Un autre facteur d’explication possible, déjà évoqué plus haut, tient à la « jeunesse » des

Etats-Unis par rapport aux vieux Etats-nations. Les Etats-Unis peuvent encore avoir un

rapport enthousiaste (au sens étymologique du terme) à la politique. Les vieux Etats-nations

sont déjà beaucoup plus fatigués de ce point de vue… Et plus ils sont « vieux », plus ils sont

« démocratiques » depuis longtemps, moins ils ont envie de réfléchir sur cette idée de

démocratie. Prenez l’Allemagne ou l’Espagne : ces deux pays confrontés récemment au

totalitarisme et à la dictature ont une culture démocratique et parlementaire bien plus forte

qu’en France. A l’occasion, l’Espagne peut même se montrer formidablement « indignée »…

En France, à l’inverse, nous nous reposons très largement sur certains de nos mythes

fondateurs (Révolution) et sur d’autres « mythes » plus récents (la France, toute

entière Résistante (ou presque) de De Gaulle) pour nous épargner semblables rénovations

intellectuelles.

Cela dit, l’approche purement utilitariste que les Etats-Unis peuvent avoir de la politique a

aussi des défauts considérables. Il n’y a qu’à voir les dérives qu’elle entraîne afin de mobiliser

des camps d’électeurs contraires (surenchère permanente…), ou encore la place de l’argent

dans la compétition électorale, pour s’en persuader…

Page 73: L'Homo Novus De l'Ère Numérique Ou L'Imaginaire Du Citoyen 2.0

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INTERVIEW 3. : Pierre Guillou, fondateur de la plateforme Elus 2.0

1. Pouvez-vous présenter votre parcours ainsi que la plateforme Elus 2.0 ?

J’ai travaillé dans les années 2000, dans le monde des agences internet sur Paris,

ensuite j’ai crée une association qui est devenue Accessiweb (en France, la marque de gestion

des normes d’accessibilité à l’internet : possibilité à n’importe qui, en particulier les

personnes handicapées, d’accéder au web), d’ailleurs aujourd’hui il y a une obligation légale

en France, qui oblige le secteur publique d’être numériquement accessible, en plus d’être

physiquement accessible- donc j’ai dirigé cette association pendant 7 années, et en 2009, j’ai

crée ma société de conseil en stratégie numérique qui s’appelle Idéose, et en 2010, j’ai lancé

le site Elus 2.0 dans l’idée d’investir le champ du web politique. Elus 2.0 ayant une vocation

initiale toute simple qui était de créer une base de connaissances et de mettre en avant les élus

qui utilisent internet pour une activité politique. Base de connaissances leur permettant

d’approfondir leurs sujets et bien sûr de commencer de nouvelles activités sur le web.

2. Vous-avez déjà un certain nombre de collaborateurs ou vous fonctionnez plutôt

en partenariats avec d’autres prestataires ?

C’est une petite initiative pour l’instant, nous sommes trois associés à Idéose, nous

avons des partenaires techniques sur les applications iPhone, sur l’Open data mais pour

l’instant on ne communique pas. Pour l’instant notre business sur Elus 2.0 est très simple :

tout est gratuit, c’est un média sur le web politique qui reprend, en les filtrant, différentes

sources d’informations qui traitent de ce sujet en France et aux Etats-Unis. On commence à

recevoir des demandes de prestations, que ce soit des conseils en stratégie ou des formations

en développement d’applications spécifiques et c’est là où nous agissons comme une

plateforme d’intermédiation, c’est-à-dire avec des partenaires, qui vont répondre très

précisément à telle ou telle demande sachant que chaque sujet relatif au web demande une

compétence bien particulière. Donc on agit en intermédiation entre les élus, en tout cas le

monde politique, et les agents techniques spécialisés du web

3. Votre site propose d'évaluer les taux d'activité des politiques sur internet. Est ce

qu'on peut considérer aujourd’hui le web comme un espace de conquêtes

politiques à part ?

Elus 2.0 n’évalue pas vraiment le taux d’activité, les objectifs du site sont bien définis, le

premier est de permettre à tout élu d’avoir son profil et donc de mettre en avant lui-même son

activité sur le web, bien sûr nous validons son affiche, mais on ne fait rien d’autres. Ensuite, il

y a les classements que l’on fait de ces profils, la seule définition qu’on leur donne, c’est le

nombre de followers et le nombre de fans, après, nous on attribue pas plus que ça. J’ai déjà

vu qu’il y avait des articles du genre « non, l’e-réputation, ce n’est pas ça etc. », mais nous on

avait jamais dit qu’on définissait l’influence ou quoi que ce soit, on donne juste des chiffres

qu’on reprend automatiquement, chaque jour, grâce aux applications Twitter et Facebook,

mais on ne fait pas plus que ça. Après, c’est un autre débat de savoir ce que ça veut dire ces

chiffres, on peut tenter deux ou trois explications, mais il faut rester très vigilant et très

honnête sur la puissance d’avoir tel chiffre de followers, ça ne signifie pas pour autant que le

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candidat va être élu, loin de là. Donc voilà, on donne la possibilité aux élus de se présenter et

de présenter leurs activités et on mesure chaque jour le nombre de nouveaux followers. Par

contre, cela n’empêche pas de faire parfois des études. Quand on a sorti l’étude sur les

députés et internet en septembre dernier, et on va bientôt sortir la V2, là on pousse un peu

plus, mais en ce moment, notre projet principal est d’étudier les usages des députés sur

internet.

4. A ce propos, quelle analyse pouvez-vous faire de la façon dont les hommes

politiques utilisent le web ? S'agit-il pour eux, d'un "espace parallèle" qu'il

convient de rallier, ou tout simplement d'un outil de communication

supplémentaire servant surtout à influer sur l'espace public réel ?

Moi à travers mon activité de conseiller de députés locaux (maires, municipaux etc.),

notamment à travers la société Idéose, j’ai en effet une certaine appréciation sur les usages

numériques des élus. L’élément qui me vient à l’esprit par rapport à cette question, c’est qu’il

y a une grande différence entre le propos et l’action : il y a un certain nombre d’élus qui

essaient de s’auto-persuader eux-mêmes de leurs propos, mais après il y a une très grande

différence entre ce qu’ils disent et comment ils utilisent le web. Le propos qu’on entend

souvent, c’est « oui oui, le web fait partie du quotidien, un grand nombre de citoyens y ont

maintenant accès, ils font tout dessus, ils parlent, ils achètent des choses et donc ça fait partie

de la vie quotidienne, et moi en tant qu’élu, je dois y être et je dois gérer ça comme un canal

réel de la vie réelle et non pas faire mon autopromotion ». Ca c’est le discours. Après la

réalité est différente, mais il faut comprendre pourquoi. C’est quoi la réalité : alors bien sûr, il

y a quelques électrons minoritaires qui sont très bons dans les usages du web, et ceux-là on va

les mettre de côté, d’abord parce qu’ils sont vraiment une toute petite minorité, et en plus ils

sont intégrés au monde du web non pas parce qu’ils sont politiques, mais parce qu’ils ont

toujours utilisé le web avant d’être élus. Maintenant, la majorité essaie de se persuader que le

web est un média de dialogue parce qu’ils ont entendu ça à la télé, parce qu’on leur rabâche

« le web social, c’est l’avenir etc. » ils le disent réellement, certains en semblent convaincus,

mais en fait ce que j’ai remarqué, c’est qu’une fois qu’ils sont dessus, eh bien très rapidement,

leurs habitudes, leur éducation politique traditionnelle prend le dessus. C’est-à-dire que c’est

des gens, ainsi que leur entourage, qui ont vécu la politique, les règles de la communication

politique avant que le web social ne fasse son apparition. Donc, les règles de communication

– et d’ailleurs pas seulement la communication politique, mais la communication tout court-

ont été très verticales : En gros, je diffuse une pub à la télé, je mets une pub dans le journal

local, je distribue un tract sur un marché, je mets un panneau dans la rue, je suis content de

moi, j’ai bien réfléchi, la campagne est bien réalisée. Alors certes, j’ai très peu de moyen de

vérifier sur le terrain les retombées de cette campagne, mais peu importe, j’ai fait ce qu’il

fallait faire. Quand le web social est apparu, on comprend bien que les règles de la

communication ont changé puisque sur internet aujourd’hui, bien communiquer c’est non pas

produire de l’information mais c’est mettre en place un environnement de dialogue sur un

thème qui peut vous intéresser, rebondir et s’enrichir de se que vont dire les autres, ce qui va

quelque part créer votre communication en tant qu’homme politique. Et j’ai remarqué que très

rapidement, les élus qui étaient persuadés qu’il fallait investir le web, et bien dès qu’il y avait

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un dialogue qui ne leur plaisait pas, ils vont demander, pour certains, de fermer la

page…d’abord ils vont demander à fermer les commentaires, puis de fermer complétement la

page. Et la raison de ça, c’est que bien évidemment, il y a eu des commentaires qui ne

plaisaient pas à l’élu, et qu’il n’avait pas intégré que ce commentaire était une chance et non

pas un problème. Une chance, parce que ça y est, il avait en face de lui une vraie personne,

avec de vraies informations sur un profil facebook, et donc c’était un potentiel électeur et l’élu

avait la possibilité d’entamer un dialogue avec lui. La personne n’était pas d’accord certes,

mais le rôle de la campagne électorale, c’est justement de convaincre, et pour convaincre il va

bien falloir expliquer et entrer dans le débat ! Il se trouve que la vision biaisée de cet élu

(vision d’une communication traditionnelle à la verticale) l’a empêché de profiter pleinement

des possibilités offertes par le web. Donc voilà, on aura beau leur dire que le web est un

espace de dialogue direct avec des citoyens-électeurs, eh biens ils croient qu’ils sont

confrontés à la réalité d’antan, dès qu’un commentaire ne convient pas, on revient au réflexe

de contrôle, de maîtrise, de peur que ce qu’a dit l’autre impacte leur image car ils sont

vraiment dans une gestion de l’image et de la parole qui est très classique, très ancienne, et là

il va falloir faire une évolution de leur culture communicante. A la limite, la question n’est

même pas politique, mais il n’y a pas qu’eux ! Il y a aussi leur entourage et ça c’est un point

sur lequel j’insiste régulièrement, c’est-à-dire qu’on met le focus sur les politiques et leurs

déphasages sur les usages et la compréhension du web social, c’est en effet la réalité, que je

viens juste d’expliquer, mais il y a aussi leur entourage, qui est constitué de personnes qui

bloquent l’usage du web, et qui ont d’ailleurs comme argument : il faut qu’on protège notre

élu, il faut filtrer, il faut réfléchir beaucoup avant de transmettre une parole au public , il faut

faire attention etc. c’est-à-dire qu’ils fonctionnent avec des normes et des habitudes de travail

où le rôle de l’entourage est justement de « protéger » l’élu. Et donc le fait que l’élu soit en

dialogue direct avec les citoyens sur Twitter ou Facebook les inquiète, et surtout ne rentre pas

dans leur inconscient professionnel, et moi j’ai été frappé par la réaction des étudiants en

science politiques, lors d’une conférence dans laquelle j’ai intervenu, j’étais très frappé du fait

que les élèves de Master sciences politiques, il n’y en avait aucun qui avait un compte

Twitter ! Il n’y en avait aucun qui utilisait Google Alertes ! Et il n’y avait pas de cours sur la

restriction de l’impact du web sur la démocratie et sur la société. Quand je dis donc

entourage, j’inclus aussi les jeunes générations. J’étais très frappé par le cas de ces jeunes – et

moi j’y allais pour une heure et demi d’intervention vous voyez, donc ce n’est pas en ce laps

de temps que j’allais les transformer en cadors du web politique – qui faisaient pourtant

partie d’une école qui normalement traitait du domaine politique, et bien les usages

professionnels du web n’y étaient pas enseignés. Donc, comment voulez-vous que cet

entourage puisse accompagner le mouvement et aider l’élu à intégrer le web dans son

quotidien si eux-mêmes n’ont pas les bases ? On est là dans un mouvement de fond qui va

prendre du temps et je pense qu’il y a un décalage entre les usages du citoyen et les usages du

politique qui va prendre du temps à se rééquilibrer du fait qu’il n’y a pas que l’élu qui est

concerné mais aussi l’entourage, le processus, l’état administratif -allez dire à n’importe quel

service de la mairie qu’ils devront répondre sur Twitter etc. - ça met en branle toute

l’organisation ! Il y a tout un environnement politique, un écosystème qui va devoir muter

avec l’approche du web, et où l’élu se retrouve obligé d’évoluer, mais pas plus vite ni plus

lentement que cet entourage dans lequel il se trouve.

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