L’Homme des bois DE A NTON T CHEKHOV MISE EN SCÈNE I SABELLE P OUSSEUR DU 22 AU 31 MAI 2008 lundi, mardi, vendredi, samedi 20h mercredi, jeudi 19h dimanche 17h CONTACT Bernard Laurent + 41 / (0)22 320 50 00 [email protected]Stéphanie Chassot + 41 / (0)22 809 60 73 [email protected]www.comedie.ch
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L’Homme des bois
DE ANTON TCHEKHOV MISE EN SC ÈN E ISABELLE POUSSEUR D U 22 AU 31 MAI 2008 lundi , mard i , vendredi , samedi 20h mercredi , jeudi 19h d imanche 17h C ON TA C T
Bernar d Lauren t + 41 / ( 0 )22 320 50 00 b lauren t@comedie .ch
DE ANTON TCHEKHOV MISE EN SC ÈN E ISABELLE POUSSEUR
Traduct ion André Markowicz et Françoise Morvan
ass is tante à la mise en scène Jul ie Annen scénographie e t costumes Laurence Vi l lerot ass is tante scénograph ie e t costumes Anne Sol l ie lumière Nathal ie Borlée dramaturg ie Ariel le Meyer MacLeod Les chansons Je t ’a ime e t Maintenant ou jamais
Michèle Bernard
Guil laume Béguin Léonid Stépanovi tch Je l toukhine Marie Bos Elena Andréevna Paul Camus Mikhaï l Lvov i tch Khrouchtchov Michel Cassagne Alexandre Vlad imi rov i tch Sérébr iakov Amid Chakir I l ia I l i tch Diad ine Phil ippe Grand’Henry Iégor Pét rov i tch Voin i tsk i Emil ie Maquest Sof ia A lexandrovna (Sonia) Jacques Michel Ivan Ivanov i tch Or lovsk i Mart ine Paschoud Mar ia Vass i l ievna Voïn i tskaïa Jul ia Perazzini Iou l ia Stépanovna Fabrice Rodriguez Fiodor Ivanov i tch
Product ion : Théât re Nat ional – Bruxel les , Comédie de Genève Technique: Le spectac le a é té créé dans la grande sa l le du Théâtre Nat ional de Belg ique dans une vers ion adaptée aux d imensions du p la teau so i t , 20 mètres d ’ouver ture – 8 mètres de hauteur au cadre et 15 mètres de hauteur sous gr i l l – 12 mètres de profondeur . Toutefo is , une vers ion rédui te de la scénograph ie est prévue à dest inat ion de la Comédie de Genève : Cadre de scène : 8 ,25 m Hauteur : 11,30 m Largeur : de 9,60 m à 16,80 m Profondeur : 11,23 m Les deux opt ions, grande et pet i te vers ions, sont donc env isageables en fonct ion des p la teaux. D i f fus ion : Pér iode de tournée : Saison 2008/09
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La pièce
Cet te œuvre de jeunesse, première mouture fo isonnante de Oncle Vania , pourra i t b ien êt re la qu in tessence du théât re de Tchekhov: e l le concent re les qual i tés des grandes p ièces à veni r tout en expr imant encore une l iber té e t une pu ls ion de v ie qu i s 'a t ténueront par la su i te . Ic i , comme tou jours chez Tchekhov, se t rouve réuni à la campagne tout un pet i t monde qui s ' i r r i te e t s 'agace, qu i d i t ses f rust ra t ions, ses échecs et son ennui , mais auss i ses sent iments e t ses amours. Car L'Homme des bo is vogue ent re drame, t ragédie e t comédie: un su ic ide n 'empêchera pas une f in heureuse assez inouïe et b ien peu convent ionnel le , permet tant aux p lus jeunes d 'expr imer le bonheur d 'a imer e t la jo ie d 'ê t re présent à so i -même dans l ' ins tant . Une jo ie qu i est l 'essence même du théât re .
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Saisir l’instant
entretien avec Isabelle Pousseur
Après le po ignant Et vot re fumée montera vers le c ie l qu 'e l le a monté en 2003, Isabel le Pousseur rev ient à la Comédie de Genève pour nous fa i re découvr i r une œuvre de jeunesse méconnue de Tchekhov, une p ièce s ingul ière qu i par le avant tout , d i t -e l le , de la d ispos i t ion à la jo ie e t de la capac i té des ê t res à sa is i r l ' ins tant . Une p ièce lumineuse dans laquel le la quête du bonheur n 'est pas, comme dans d 'aut res textes du dramaturge russe, vouée à l 'échec. Avec ce spectac le c ise lé , Isabel le Pousseur nous rappel le que Tchekhov est le premier de nos grands auteurs modernes. Théâtre Nat ional : Isabel le Pousseur , pourquoi avo i r cho is i cet te p ièce assez peu connue du grand auteur russe ? Isabel le Pousseur : C 'est en ef fe t une p ièce mal connue, méconnue même, e t in justement à mon av is . P ièce de jeunesse, e l le fu t montée une fo is du temps de Tchekhov et ne connut pas le succès. Par la su i te , l 'auteur refusa absolument de la remet t re à la scène, la désavoua et écr iv i t une p ièce dont les personnages et les thèmes sont proches, Oncle Vania . Les commentateurs du dramaturge et les cr i t iques su iv i rent l 'av is de Tchekhov et e l le fu t prat iquement oubl iée, jusqu 'à ce que le t raducteur André Markowicz la défende v igoureusement comme étant beaucoup p lus qu 'une s imple première vers ion d 'Onc le Vania . Le fa i t qu 'e l le so i t peu jouée me p la î t , car j 'a i un peu de mal avec l ' idée de m'appropr ier les grandes p ièces de Tchekhov qu i ont dé jà é té por tées s i souvent à la scène de façon magis t ra le . S i L'Homme des bois égale pour moi ces grandes p ièces, tant en f inesse qu 'en puissance et en préc is ion l i t téra i re , e l le appor te une chose en p lus : un quat r ième ac te inat tendu, qu i se termine par une sensat ion de l iber té e t d 'espoi r , ce qu 'on ne t rouve dans aucun aut re de ses textes ! Théâtre Nat ional : C 'est donc le « happy end » de la p ièce qu i vous a sur tout sédui te ? Isabel le Pousseur : Ce n 'est pas tant la « f in opt imis te » qu i me p la î t que la façon inat tendue dont ce l le-c i es t amenée. Au t ro is ième acte, un événement t rag ique adv ient qu i semble d 'une cer ta ine façon l ibérer les aut res personnages, p lus par t icu l ièrement les jeunes. On est lo in du schéma t rag ique tchékhovien, ce lu i de La Mouet te en par t icu l ier , où les v ieux, pour surv ivre , vont écraser les p lus jeunes et fou ler aux p ieds leurs espoi rs . De p lus, le temps qu i passe n 'a pas ic i cet te va leur d 'é te ignoi r , de chape, p lus for t que les ind iv idus. I l me semble que L'Homme des bo is , en t re aut res choses, par le de l ' ins tant , de la capture de l ' ins tant , de la capac i té à s 'en sa is i r pour le fa i re s ien. A ins i le t ra i tement inat tendu du quat r ième ac te me paraî t ex t rêmement moderne e t novateur . A mes yeux, i l donne à lu i seu l toute sa va leur à L'Homme des bo is qu i mér i te vra iment d 'ê t re redécouver t . Théâtre Nat ional : Quel le est la d i f f icu l té d 'aborder Tchekhov pour un met teur en scène ? Isabel le Pousseur : I l me semble que t rava i l le r sur des textes de Tchekhov demande avant tout de la préc is ion! La subt i l i té de ses p ièces t ient essent ie l lement à la complex i té des personnages. Même s ' i ls sont tou jours pr is dans des h is to i res d 'amour , des sent iments cro isés et des grands désespoi rs , les personnages de Tchekhov ne sont jamais un iquement sent imentaux. I ls sont r iches et p le ins de leur propre po in t de vue sur le monde et les choses.
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Leurs remarques, par fo is anodines - les cé lèbres coq-à- l 'âne tchékhov iens- en d isent auss i long sur eux que de grandes déc larat ions. A côté des prob lémat iques re la t ions de couples t rès présentes dans la p ièce, Tchekhov exp lore ic i d 'aut res thèmes qu i rev iennent comme des le i tmot ive. Les protagonis tes ont par exemple tous un rappor t t rès par t icu l ier à la propr ié té : i l y a les nouveaux r iches qu i sont maladro i ts dans le monde, i l y a la bourgeois ie in te l lec tue l le qu i fasc ine tout le monde mais n 'a pas assez d 'argent e t do i t vendre forêts e t propr ié tés, i l y a les propr ié ta i res ter r iens o is i fs qu i font sur tout la fête mais auss i ceux qu i ont un mét ier e t t rava i l lent , comme l ’homme des bo is qu i es t médecin. Et au mi l ieu de ce la , i l y a un homme qui ne possède r ien, n i maison, n i femme, n i beauté, qu i loue un s imple moul in mais se t rouve êt re , sans l 'avo i r vou lu , le chef d 'orchest re de ce quat r ième acte qu i se déroule chez lu i , en p le ine forêt , dans un cadre que les protagonis tes décr ivent eux-mêmes comme « enchanteur » . Et je ne peux pas m'empêcher de penser que la grâce de ce quat r ième acte t ient jus tement au fa i t que nous ne nous t rouvons pas dans une propr ié té . Théâtre Nat ional : Pouvez vous, sans t rop déf lorer le pro je t , nous donner une idée de vos choix ar t is t iques pour L'Homme des bo is ? Isabel le Pousseur : J 'a i opté pour une dramaturg ie qu i met en év idence le quat r ième acte. J 'ava is env ie d 'un un ivers contempora in , sans pour autant évoquer s t r ic tement le monde d 'au jourd 'hu i . D isons que l 'on pourra y reconnaî t re des é léments issus de la deux ième moi t ié du XXe s ièc le . Sur le p lan scénographique, nous nous sommes insp i rés des cons t ruct ions en bo is contempora ines. Ces maisons en bo is sont t rès be l les e t rappel lent auss i les datchas russes. Di f férents panneaux mobi les vont moduler l 'espace au f i l des actes et rendre poss ib le « l 'enchantement » du quat r ième acte. Mais je préfère ne pas dévoi ler comment…
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Isabelle Pousseur ou L’art des ouvertures par Arielle Meyer MacLeod
Bien avant le début des répét i t ions, Isabel le Pousseur p longe dans l 'œuvre de Tchekhov, s ' imprègne de son un ivers e t de tous les reco ins du texte. C 'est là que commence le t rava i l de mise en scène pour cet te grande lect r ice, cur ieuse et minut ieuse, qu i écoute les moindres p l is du réc i t , de tous les réc i ts t issés dans la p ièce. Avec ses comédiens e l le cont inue le pat ient dépl iage du texte de Tchekhov, e t prat ique en or fèvre cet te écr i ture fa i te d ' in ters t ices, de p le ins e t de dé l iés, de pér iodes musica les var iab les, de mots recouver ts par le s i lence. «On crée du v ide et tout à coup une aut re paro le apparaî t » , leur d i t -e l le , ou encore « i l faut jouer quelque chose de p le in dans le s i lence ». Très at tent ive aux p lans, aux gros-p lans, aux rythmes, aux in tens i tés, e l le por te une at tent ion par t icu l ière aux ent rées des personnages, à l ’appar i t ion sur la scène, au surg issement dans l ’espace de la f ic t ion. Chaque ent rée a pour e l le une s ign i f icat ion qu ’ i l s ’ag i t d ’ invest i r . Car Isabel le Pousseur a l 'a r t des ouver tures. A ins i le premier acte: comme pour son magni f ique Matér iau-Médée de Heiner Mül ler qu i commençai t par une b luet te de Joe Dass in sur laquel le sept Médée p leura ient leur amour pour l ’ in f idè le Jason, e l le imagine une ent rée en mat ière musica le un peu décalée. Une chanson de Paolo Conte, désuète et nosta lg ique, qu i la isse une p lage de jeu muet te pendant laquel le se t issent dé jà à par t i r de presque r ien les prémices de la p ièce. Une longue tab le , t rès longue, est p lacée f ronta lement , t rès proche du bord de scène. Pour raconter la fê te d ’anniversa i re manquée du premier acte, Isabel le Pousseur a t rouvé une so lu t ion scénique qu i concent re tous les aspects paradoxaux de l 'écr i ture. La tab le est dressée, en at tente. En at tente des inv i tés qu i n ’ar r ivent pas. E l le raconte admirab lement le v ide crée par cet te absence. Les personnages sont en ef fet conf inés d 'un côté de cel le-c i , tand is que les serv ie t tes restent p l iées sur les ass ie t tes v ides de l 'aut re côté. L 'absence prend a ins i une d imension pa lpable sur la scène. Le ple in du côté cour rend d’autant p lus sens ib le le v ide du côté jard in . A ins i d isposée, cet te tab le permet à la fo is de d i re l ’ac t iv i té t rès réa l is te e t quot id ienne du repas et d ’a f f icher la théât ra l i té de l ’ac t ion, rompant a ins i toute tentat ion natura l is te . Les acteurs , p lacés seulement du côté où i ls nous font face, br isent la convent ion du quat r ième mur e t semblent nous montrer que ce repas est un repas de théât re . C 'est tout le premier acte qu ' Isabel le Pousseur c isè le a ins i dans une tens ion lud ique ent re le réa l isme et le théât ra l . Et i l es t t rès beau en répét i t ion de vo i r que les acteurs auss i hés i tent e t a l ternent dans leurs propos i t ions ent re un jeu réa l is te qu i d i ra i t le banal e t l ’o rd ina i re de l ’h is to i re e t un jeu p lus expans i f qu i s ’a f f iche comme te l . Tandis que re tent i t la mélod ie de Paolo Conte, la jeune Iou l ia tourne dans l 'espace armée d 'une caméra. E l le f i lme tout , tout az imut : le jambon, la tab le mise, son f rère grognon déçu par l 'absence de ses conv ives; e l le f i lme la fê te qu i pour l ' ins tant n ’a pas l ieu. La présence de la caméra médiat ise l ’ image scénique et redouble le « r ien » de ce premier acte. A ins i pendant ces quelques cour ts ins tants qu i font le lever de r ideau, avant même que so i t prononcé le premier mot de la p ièce, Isabel le Pousseur crée dé jà tout un un ivers .
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La maison et le monde in « Théâtres Intimes »1
Jean-Pierre Sarrazac
[…]La mutat ion de la forme dramat ique, au tournant du s ièc le dern ier , t rah i t une cr ise de l ’ in tér ieur , une cr ise de la maison et de ses habi tants . Pour un Bachelard, dont la médi ta t ion v ise à expr imer tout le poss ib le du bonheur humain, la maison, qu i est « un cosmos dans toute l ’acceptat ion du terme », se présente comme le « grand berceau » de l ’ in t imi té . Nous avons cependant constaté, à l ’é tude des dramaturg ies d ’ Ibsen, St indberg e t O’Nei l l , que la maison pouvai t auss i ressembler à un sépulcre e t sa is i r d ’un f ro id mor te l ceux qu ’e l le é ta i t censée abr i ter . A la v is ion opt imis te de la v ie domest ique qu i prévala i t au s ièc le des lumières – l ’espace pr ivé bourgeois représentant a lors le l i eu où se prépare la ré forme de l ’espace publ ic - , se sont peu à peu subst i tués désenchantement e t pess imisme. Devenues une f in en so i e t non p lus le moyen d ’une t ransformat ion mora le de la soc ié té , l ’ex is tence domest ique et l ’ in t imi té qu ’e l le engendre s ’avèrent une source de mala ise, d ’ennui , d ’hypocr is ie e t de conf l i ts larvés. S i l ’on en cro i t cer ta ins auteurs de l ’époque natura l is te e t , tout par t icul ièrement , le Becque de La Par is ienne e t des Corbeaux , l ’éden s ’est métamorphosé en enfer . Cet te dégradat ion de l ’espace domest ique at te indra son paroxysme avec Huis c los de Sar t re où l ’enfer , préc isément , est représenté par « un sa lon s ty le Second Empire »… Mais le grand dramaturge de cet te cr ise de l ’ in tér ieur , à un moment où e l le est encore ouver te e t in formulée, c ’est év idemment Tchekhov. De l ’ensemble des p ièces de ce dern ier , on pourra i t d i re que le personnage pr inc ipa l est s inon la maison du moins la maisonnée : « Rappelez-vous , écr iva i t Tchekhov à Meyerhold , que de nos jours presque tout homme, même le p lus sa in , n ’éprouve nul le par t une i r r i ta t ion auss i v ive qu ’à la maison, dans sa propre fami l le , car la dysharmonie ent re le passé et le présent es t d ’abord ressent ie dans la fami l le . C ’est une i r r i ta t ion chron ique, sans emphase, sans at taques convuls ives, une i r r i ta t ion que ne remarquent pas les v is i teurs , mais qu i pèse de tout son po ids au premier chef sur les personnes les p lus proches – la mère, la femme - , c ’est une i r r i ta t ion pour a ins i d i re in t ime, fami l ia le . » Le drame de l ’ in t imi té n ’a po in t d ’aut re programme, chez Tchekhov, que de met t re en exergue cet te i r r i ta t ion domest ique. « En quoi une maison de fous est -e l le d i f férente de toutes les aut res maisons ? » se demande Chabelsk i dans Ivanov . Les personnages tchékhov iens in terpe l lent sans re lâche ces d ieux lares qu i semblent s ’ê t re re tournés en d ieux vengeurs : « A la maison, i l é touf fe , n ’est -ce pas, i l se sent à l ’é t ro i t . I l lu i suf f i ra i t de rester à la maison un seul so i r , pour s ’envoyer une ba l le dans la peau », remarque à propos d ’ Ivanov le jeune médecin Lvov . « I l me semble que je n ’aura is pas pu v ivre dans vot re maison, dans ce t te a tmosphère, au bout d ’un mois , j ’aura is é té asphyx ié » , déc lare Ast rov à Sonia dans Oncle Vania , conf i rmant a ins i l ’ impress ion qu ’E lena Andréevna conf ia i t à Vania au deux ième acte de la p ièce : « I l y a quelque chose qui c loche dans cet te maison. Vot re mère détes te tout ce qu i n ’est pas ses brochures et le professeur ; le professeur est i r r i té, n ’a pas conf iance en moi , a peur de vvous ; Sonia en veut à son père, m’en veut à moi , e t ne me par le p lus depu is deux semaines, vous, vous haïssez mon mar i , e t mépr isez ouver tement vot re mère ; je su is énervée et , au jourd ’hu i , j ’a i essayé de p leurer une v ingta ine de fo is . I l y a quelque chose qu i c loche dans cet te maison. » C’est en fa i t Sérébr iakov, professeur à la re t ra i te e t époux d ’E lena, qu i cerne le mieux ce pouvoi r maléf ique, dont , menacé d ’un p is to le t par Vania, i l a fa i l l i deveni r la v ic t ime : « Je n ’a ime pas 1 J ean -P ie r re Sa r raz ac , i n « Théâ t res I n t imes » , Ac te -Sud , 1989
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cet te maison. On d i ra i t un labyr in the. V ingt -s ix énormes p ièces, les gens se d ispersent là-dedans et on ne sa i t jamais où les chercher (…). J ’a i le sent iment de me t rouver sur une aut re p lanète. » De ce labyr in the, quel est le Minotaure ? … Ast rov dét ient la réponse à cet te quest ion : « La sord ide v ie quot id ienne » qu i « nous a englout is » e t « de ses émanat ions pourr ies (…) a empoisonné not re sang ». La maison est l ’ant re de cet te v ie quot id ienne aveugle, spasmodique, ba ignée de vapeurs d ’a lcool e t ponctuée d ’agacements, de ver t iges, de mala ises, d ’évanouissements , de p leurs sans ra ison apparente ou de r i res inexpl icab les. D’où ce moi fugueur e t in fant i le qu i caractér ise la p lupar t des personnages de Tchekhov : P la tonov mul t ip l iant les abandons du foyer conjugal pour a l ler parader , provoquer e t sédui re Anna Petrovna ; Ivanov déser tant la maison où sa femme est mourante et tentant de s ’éb lou i r dans ce l le des Lebedev (à Sacha : « Ma maison m’est od ieuse, y v ivre est pour moi une tor ture ») ; N ina at t i rée comme un papi l lon par la lumière théât ra le qu i ba igne la demeure des Sor ine ; Verch in ine hantant la maison des sœurs Prosorov pour essayer d ’oubl ier le sord ide appar tement où i l v i t en compagnie de ses enfants e t de son épouse su ic ida i re… Vel lé i tés de fu i te : s i le l ieu tchékhovien paraî t moins c los et p lus perméable à l ’espace soc ia l que le l ieu ibsénien, le moi tchékhov ien, lu i , es t peut -ê t re encore p lus emmuré dans l ’un ivers domest ique que le moi ibsénien : « Je n ’a i pas le courage d ’a l ler jusqu’à cet te por te e t vous me par lez d ’Amér ique », ré torque Ivanov à Sacha qu i lu i proposai t de par t i r pour le Nouveau Monde avec e l le . Cer tes, i l y a deux maisons chez Tchekhov : l ’une fermée e t s t r ic tement conjugale ou fami l ia le ( la pet i tes maison de Platonov, ce l le d ’ Ivanov, ce l le où Nina subi t la féru le de son père et de sa be l le-mère, l ’appar tement sord ide de Verch in ine, e tc . ) ; l ’aut re ouver te , où règne une apparente conv iv ia l i té , comme chez les Voïn i tzev, les Lebedev, les Prosorov ou dans cet te demeure qu ’entoure la fameuse « cer isa ie » . Mais la d i f férence est essent ie l lement sub ject ive et , sous le regard du moi tchékhov ien, la soc iab i l i té e t la conv iv ia l i té de la maisonnée s ’évanouissent e t la issent p lace à un incoerc ib le sent iment d ’ iso lement : Vania ne vo i t pas dans l ’espace où i l v i t cet immense labyr in the qu ’évoquai t Sérébr iakov mais une taupin ière (« Pendant v ingt -c inq ans, je su is resté avec cet te mère à moi , ent re ces quat re murs, comme une taupe… ») . Quant à Macha, dans Les Tro is Sœurs , e l le pers is te , a lors même que la maison est f réquentée quot id iennement par les o f f i c iers de la garn ison, « à se cro i re au déser t » . D ’a i l leurs , la maison tchékhovienne – dont le paradigme est , b ien entendu, la propr ié té de L ioubov Andréevna Ranevskaïa dans La Cer isa ie – subi t un déc l in qu i a f fecte chacun de ses habi tan ts . La maisonnée ent iè re est la pro ie de ce « démon domest ique » qu i « é t rangle » Vania « jour e t nu i t » . Le moi est sous la menace d ’une double dépossess ion : de la propr ié té , e t de lu i -même. En d ’aut res termes, la maison et le monde ne sont pas communicants . P lus ces personnages prov inc iaux par lent de qui t ter la maison et de par t i r pour Moscou, pour Par is , pour l ’Amér ique, moins i ls nous para issent cro i re à cet espace extér ieur qu ’ i ls appel lent de leurs vœux. Chacun, ou presque, pourra i t reprendre à son compte le le i tmot iv radoteur du v ieux médecin mi l i ta i re des Tro is sœurs : « Nous n ’ex is tons pas, r ien n ’ex is te dans ce monde »… Et s i le monde est a ins i rédui t à des l imbes, c ’est qu ’ i l es t devenu, par cancér isat ion autour de la maison, ent ièrement domest ique : « Le monde va à sa per te , d i t un personnage d ’Oncle Vania , non pas à cause des incendies, mais à cause de la ha ine, de l ’ in imi t ié , de toues ces pet i tes h is to i res sord ides. » A par t i r de ces chandel les in tempest ivement a l lumées et de ces fourchet tes t ra înant sur un banc qui per turbent tant la Natacha des Tro is Sœurs , la maison produi t une i r r i ta t ion exponent ie l le qu i envahi t le monde. P lus encore que le paradis perdu ou l ’enfer , la maison tchékhovienne évoque le purgato i re . Un sé jour d ’a t tente indéf in ie dans lequel la v ie quot id ienne sera i t rongée par la d is t ract ion et le d iver t issement au sens pascal ien (sur ce po in t , Tchekhov annonce Becket t e t Thomas Bernhard) . L ’é tendue qui iso le la maison du monde ne se mesure pas en k i lomèt res – ou en vers tes – mais en années, vo i re en s ièc les. Sur le mode mi l lénar is te , la maisonnée at tend une dé l iv rance, une Rédempt ion, des temps heureux – généra lement pour « dans deux ou t ro is s ièc les » ! – e t ne fa i t a ins i que conf i rmer son
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incurable apath ie . André, dans les Tro is Sœurs : « Le présent est dégoûtant , mais quand je pense à l ’aveni r , comme tout dev ient merve i l leux ! On se sent léger , on se sent au large et on vo i t au lo in lu i re une lumière… Je vo is la l iber té , je nous vo is , mes enfants e t moi , l ibérés de l ’o is iveté, de la l imonade, de l ’o ie aux choux, du sommei l après dîner , de la basse fa inéant ise… » A l ’opposé des personnages d ’ Ibsen, ceux de Tchekhov sont moins capt i fs du passé que d ’un fu tur en t rompe- l ’œi l dont i ls ent re t iennent l ’ i l lus ion et qu i les inc i te à une permanente condu i te de mauvais fo i . Le seul remède à cet te mor te l le anky lose, qu ’ent revo ient les p lus luc ides des êt res tchékhov iens, c ’es t l ’ant i -d iver t issement par exce l lence, le t rava i l , env isagé avec une double connotat ion messian ique (changer les condi t ions soc ia les de la Russ ie) e t exp ia to i re ( fa i re oubl ier la d i lap idat ion, au se in de la maisonnée, d ’un formidable capi ta l d ’amour , d ’énerg ie e t d ’ in te l l igence) . Lorsqu’ i l oubl ie e t l ’a lcoo l e t son amoureuse fasc inat ion devant E lena Andréevna, Ast rov redev ient – sous le regard de Sonia – l ’homme qui « so igne les malades » e t « p lante des arbres »… Promesse d ’un réancrage du moi dans le monde, d ’une pro ject ion de la consc ience tchékhovienne hors de la maison, dans l ’espace soc ia l e t h is tor ique de la Russ ie . Frag i le espoi r , incarné par le couple Annia-Trof imov, sur lequel tombe une dern ière fo is le r ideau du théât re de Tchekhov : « ANNIA. Qu’avez-vous fa i t de moi , Pet ia , pourquoi est -ce que je n ’a ime p lus not re cer isa ie , comme je l ’a imais avant ? Je l ’a imais s i tendrement , i l me sembla i t que sur toute la ter re i l n ’y ava i t pas d ’endro i t p lus beau que not re jard in . TROFIMOV. Toute la Russ ie est not re jard in . La ter re est vaste e t be l le , e t on y t rouve beaucoup de l ieux admirab les. » ANNIA. La maison que nous habi tons n ’est p lus not re maison à nous depuis longtemps, e t je la qu i t tera i , je vous en donne ma paro le . TROFIMOV. Si vous détenez les c lés de maî t resse de maison, je tez- les dans le pu i ts , e t par tez. Soyez l ibre comme le vent . » Tout comme l ’ ibsénienne et la s t r indberg ienne, la dramaturg ie tchékhovienne s ’émancipe de la not ion natura l is te de « mi l ieu », mais e l le tend néanmoins à a f f i rmer la pr imauté de cet te ent i té co l lec t ive qu ’est la maisonnée sur le moi . Autant dans Platonov le protagonis te resta i t la consc ience cent ra le de la p ièce, au tant La Cer isa ie la isse, e t dé jà par son t i t re , le champ l ibre à une év idente chora l i té . Mais le génie de Tchekhov t ien t jus tement à ce que jamais le moi n ’écrase le monde n i le monde le moi . Dans La Cer isa ie , aucun personnage de la conste l la t ion dramat ique n ’est un « f igurant » , chacun au cont ra i re dev ient à un moment le protagonis te de la p ièce, même le v ieux F i rs , même Char lo t ta ou le t r io Epikhodov-Douniacha-Yacha.
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Repères biographiques
Isabelle Pousseur Née en 1957 et d ip lômée en 1979 de la sect ion Mise en scène et techniques du théât re de l ’ Ins t i tut nat ional supér ieur des Ar ts du Spectac le e t Techniques de Di f fus ion de Bruxel les ( INSAS), Isabel le Pousseur entreprend, durant deux années, une carr ière de comédienne au Théâtre é lémenta i re de Bruxel les . Dès 1981, e l le s ’adonne aux ar ts dramat ique et ly r ique, en qual i té de met teure en scène. En 1982, e l le crée, à L iège, le Théâtre du Cie l Noi r a f in de monter Baal , de Ber to l t Brecht . La compagnie dev ient ensui te le Théâtre Océan Nord qu ’e l le d i r ige encore au jourd ’hu i . Parmi ses mises en scène les p lus s ign i f icat ives, c i tons : Et s i ma mère savai t écr i re… (d ’après Tahar Ben Je l loun – 1981) ; Baal (Ber to l t Brecht – 1982) ; Je voula is encore d i re quelque chose, mais quoi (d ’après Ar thur Adamov) , Le ro i Lear (Shakespeare-1986) , Le Géomètre e t le Messager (d ’après Kafka) présenté dans le Cloî t re des Carmes en Av ignon en 1988 ; Le Songe d ’August St r indberg créé au Fest iva l d ’Av ignon et présenté en Belg ique, en France et au Canada ; Quai Ouest (Bernard-Mar ie Kol tès – 2000) , c réé à la Comédie de Genève en co l laborat ion avec Bruxel les ; Et vot re fumée montera vers le c ie l (Heiner Mül ler ) également représenté à la Comédie (2003) . Récemment on se souv ient de Une es t une p lume (Jean-Mar ie P iemme) créé au Théât re de la P lace en 2004 ; L’ instant (Jean-Mar ie P iemme), I l manque des chaises (Jean-Mar ie P iemme) ou encore Les Pensées (d ’après Bla ise Pascal ) . Af fect ionnant par t icu l ièrement la musique, e l le lu i consacre une large p lace dans son t rava i l . Isabel le Pousseur réa l ise également p lus ieurs mises en scène d ’opéras. Para l lè lement à son t rava i l de créat ion, e l le se consacre à la pédagogie du théât re . E l le a enseigné aux Conservato i res de L iège et de Mi lan, au Centre Nat ional des Ar ts du Ci rque et est chargée de cours depuis 1981 à l ’ INSAS. Depuis 2005, e l le enseigne à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse romande et an ime d i f férents a te l iers pour acteurs profess ionnels ou amateurs au se in du Théâtre Océan Nord. En 2001, e l le reço i t , de Cather ine Tasca, la décorat ion de cheval ie r des Ar ts et Let t res. Depuis 2004, e t pour c inq années consécut ives, e l le est met teur en scène assoc iée au Théâtre Nat ional de la Communauté f rançaise de Belg ique. Marie Bos Née en 1975, e l le sor t d ip lômée de l ’ INSAS en 1999. Ces dern ières années, on a notamment pu la vo i r dans In the forest is a monster de Zouzou Leyens au Théâtre Océan Nord (2004) , Soie de Alessandro Bar icco mise en scène de Br ig i t te Bai l leux dans le cadre du fest iva l des ar ts à Mons (2004) , La républ ique des rêves créat ion à par t i r de p lus ieurs nouvel les de Bruno Schul tz par la compagnie f lamande « De Onderneming » au Havre et à Rouen (2005) , Amer ika de Claude Schmi tz aux Hal les de Schaerbeek (2006) , Mar ius, Fanny, César de Marce l Pagnol avec la compagnie Mar ius (ex De Onderneming) avec le Théâtre du Mer lan à Marse i l le e t au fest iva l « Le pr in temps des comédiens » à Montpel l ie r (2007) , Mara /V io la ine d ’après L’annonce fa i te à Mar ie de Paul Claudel mise en scène de Gui l lemet te Laurent au Théâtre Océan Nord (2008) . E l le a également tourné au c inéma, notamment dans Mon Ange long-métrage de Serge Frydman avec Vanessa Paradis (2004) .
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Paul Camus Né en 1964, Paul Camus su i t les cours de l ’École du Théât re nat ional de Marse i l le dont i l sor t d ip lômé en 1988. Ces dern ières années, on a pu le vo i r dans p lus ieurs mises en scène de Ala in T imar dans des product ion du Théâtre des Hal les , notamment dans Pour Louis de Funès de Va lère Novar ina, Le L iv re de ma mère de Alber t Cohen (2003) , Regarde les femmes passer de Yves Reynaud (2004) ou Ubu Roi d’Al f red Jar ry . I l co l labore à p lus ieurs repr ises avec Isabel le Pousseur , dans Et vot re fumée montera vers le c ie l de Heiner Mül ler e t Imre Ker tész (2003) , E lect re de Sophocle (2006) , Kaddish pour l ’enfant qu i ne naî t ra pas de Imre Ker tész (2007) . Philippe Grand’Henry Après des études d´ar t dramat ique au Conservato i re Royal de Musique de la v i l le de L iège dont i l sor t en 1992, i l mène une carr ière de comédien auss i b ien au théât re qu ’au c inéma. Sous la d i rect ion d ’ Isabel le Pousseur , i l joue dans L´homme au bonnet au Théâtre de la Balsamine (2002) . Au c inéma, i l a par t ic ipé à deux f i lms de Benoî t Mar iage : Les convoyeurs a t tendent (1999) e t L’aut re (2003) .