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L'EUROPE À CONTREPOINT. Objets nouveaux et classicisme théorique pour les études européennes Julien Weisbein L'Harmattan | Politique européenne 2008/2 - n° 25 pages 115 à 135 ISSN 1623-6297 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2008-2-page-115.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Weisbein Julien, « L'Europe à contrepoint. » Objets nouveaux et classicisme théorique pour les études européennes, Politique européenne, 2008/2 n° 25, p. 115-135. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.222.216.32 - 06/01/2014 23h30. © L'Harmattan Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.222.216.32 - 06/01/2014 23h30. © L'Harmattan
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L’Europe à contrepoint. Innovation des objets et classicisme théorique

Feb 05, 2023

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L'EUROPE À CONTREPOINT. Objets nouveaux et classicisme théorique pour les études européennesJulien Weisbein L'Harmattan | Politique européenne 2008/2 - n° 25pages 115 à 135

ISSN 1623-6297

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2008-2-page-115.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Weisbein Julien, « L'Europe à contrepoint.  » Objets nouveaux et classicisme théorique pour les études européennes,

Politique européenne, 2008/2 n° 25, p. 115-135.

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politique européenne n° 25, printemps 2008, p.115-135

Julien WEISBEIN

L’EUROPE A CONTREPOINT. OBJETS NOUVEAUX ET CLASSICISME THEORIQUE POUR

LES ETUDES EUROPEENNES

Cet article plaide un double renversement par rapport aux modalités parfois routinisées de construction des objets de recherche au sein des European studies : un choix plus ouvert, voire imaginatif de terrains empiriques (qui peuvent dépasser le périmètre de compétence de l’UE et qui ne soient pas obligatoirement de nature politique) ; et l’utilisation de concepts, de problématiques et de notions classiques de la sociologie (comme la notion empruntée à Norbert Elias de configuration pour analyser les phénomènes relevant de la problématique de l’européanisation). A cette double condition, on peut ainsi établir une logique de contrepoint – c’est-à-dire de dialogue, d’enrichissement, de clarification et non d’opposition – avec les travaux menés par les spécialistes de l’intégration européenne.

Contrapuntal Europe. New empirical objects and good old sociological theories in the

study of EU questions

This paper adapts to European studies the counterpoint logic in musicology, i.e. the

relationship between two or more voices or melodies that are independent in contour and rhythm, and interdependent in harmony. The several melodies that are simultaneously played thus intertwine and form together a richer one. “Contrapuntal Europe” may thus bring two original objects in the field of European studies: “elsewhere Europe” and “otherwise Europe”. In the first section of this paper, it is argued that European integration affects social groups not only from above, i.e. through descending norms and patterns, but also from below: new empirical objects for scholars can thus be found elsewhere, through the indirect reflections of EU institutionalization. But the study of such new empirical objects doesn’t require new paradigms: instead, notions widely used by scholars to understand what’s going on in EU integration can be enlighten with “old” and “traditional” sociological tools. The second section discusses one of these specific to EU issues notions, namely “Europeanization”, through an old concept, namely figuration drawn from Norbert Elias’ work, in order to demonstrate that the latter can considerably enrich the first.

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En musique, le contrepoint désigne la discipline qui a pour objet la superposition de lignes mélodiques distinctes et ce, dans le respect des règles de l’harmonie et du rythme (même si certaines dissonances sont admises)1. Tel est l’enjeu de ce texte : tenter de montrer en quoi la posture contrapuntique peut véritablement enrichir la compréhension sociologique de l’institutionnalisation de l’Europe et ce, à travers un certain renversement par rapport à ce qui structure le segment disciplinaire des European Studies : un choix imaginatif d’objets et un certain classicisme quant aux manières de les construire. Il ne s’agit pas pour autant de critiquer la littérature scientifique (souvent anglo-saxonne) sur l’Union européenne, particulièrement nourrie et au demeurant assez hétérogène, et de la disqualifier comme relevant d’un « mainstream » d’origine américaine (Schmitter, 2002), mais bien de chercher à établir des zones de transaction (selon la formule de Bernard Lahire) c’est-à-dire de cadastrer un espace où puisse être fondé un accord sur les désaccords entre des paradigmes, des traditions intellectuelles ou des façons de faire différents. Ou pour le dire autrement, de voir à quelles conditions et jusqu’où la « petite musique » propre aux approches sociologiques françaises de l’intégration communautaire peut harmonieusement s’intégrer à la symphonie que laissent entendre les European Studies…

Repérer l’Europe ailleurs : Les reflets diffus de l’institutionnalisation de l’intégration communautaire Cette entreprise suppose tout d’abord un choix imaginatif de

terrains empiriques. La trajectoire d’institutionnalisation de l’Europe, largement internationale puis intergouvernementale, dessine une palette de plus en plus étendue d’objets que l’on pourrait qualifier de « naturellement » (ou d’explicitement) européens. Il existe ainsi une littérature de plus en plus nourrie (mais pas toujours bien coordonnée) à leur égard, si bien que l’on dispose d’éléments substantiels concernant des institutions (avec par ordre croissant

1 La métaphore musicale pourrait être filée jusqu’au bout : montrer comment des politistes peuvent s’entendre harmonieusement autour de l’objet « Europe », mais aussi ménager un espace critique par le jeu de la dissonance – sans oublier de rappeler qu’en cas de désaccord grave et irréversible, la fugue est la forme musicale la plus achevée qui se base sur la technique du contrepoint…

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d’intérêt savant, la Commission, le Parlement européen, le Conseil et la Cour de Justice), des politiques publiques (la plupart du temps pilarisées et donc saisies selon des prismes parfois hétérogènes2), des rôles spécialisés (celui de Commissaire, de parlementaire européen, de fonctionnaire européen, de lobbyiste, etc.) ou, plus généralement, des logiques spécifiques (importance des formes de dénationalisation dans l’entre-soi bruxellois et de refoulement des habitus nationaux, primat du registre expert sur les considérations politiques, etc.). Une des grandes contributions des chercheurs français dans la seconde moitié des années 1990 est notamment d’avoir véritablement sociologisé ces objets traditionnels, c’est-à-dire de les avoir rapporté à des critères fondamentaux de la discipline (positionnement des individus dans un espace social transnational et national, importance des trajectoires biographiques et des socialisations, étude des prises de rôle et des pratiques professionnelles, intérêt porté aux moments de genèse de certains institutions, etc.) et ainsi d’avoir précisé les individus, les groupes et les réseaux concrets qu’ils subsumaient, acteurs dont le portrait social était souvent peu précisé dans les paradigmes antérieurs ou bien réifié par l’instrument de l’Eurobaromètre. L’entrée croissante par les groupes d’intérêts a également permis de diversifier la nature des acteurs intéressés à l’Europe et l’on a pu voir en quoi des groupes sociaux parfois inattendus pouvaient intervenir sur la scène communautaire. Surtout, par cette volonté d’établir des théorisations fondées sur de réelles démonstrations empiriques, l’Europe a perdu de son apesanteur sociale et l’on a pu pointer, par delà les discours et les normes, ce qui la distinguait véritablement des espaces politiques nationaux. Mais ce qui caractérise toujours ces divers terrains, même revisités, réside dans leur fort degré d’institutionnalisation et de spécialisation et souvent (mais pas toujours, du moins de moins en moins) dans leur tropisme bruxellois. Outre le postulat implicite selon lequel « l’Europe » ne se reflèterait qu’à travers un ensemble restreint d’objets spécifiques (car spécialisés), ces choix de terrain peuvent aussi, malheureusement, fonctionner comme un levier d’autonomisation (et même d’enclosure) pour ce segment

2 A. Smith (2004) a bien montré en quoi les taxinomies pilarisées des catégories communautaires d’action publique ne renvoyaient que peu à la réalité des processus concrets que celles-ci recouvraient.

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disciplinaire des European Studies auquel correspondrait un « réservoir » naturel d’objets empiriques3.

A rebours de cette logique de sélection assez stricte des objets par lesquels une analyse sérieuse de l’intégration communautaire est considérée comme étant possible, cet article entend plaider l’ouverture, pour ne pas dire « l’imagination sociologique » au sens que C. Wright Mills donne à ce terme, c’est-à-dire à travers les trois invitations – structurelles, biographiques et historiques – visant à « comprendre le théâtre élargi de l’histoire en fonction des significations qu’elle revêt pour la vie intérieure et la carrière des individus » (Wright Mills, 2006, p. 7). Il s’agit de débrider l’imagination, contre « l’inhibition méthodologique » et la « suprême théorie », et d’opérer ainsi le passage entre des épreuves personnelles et les enjeux collectifs de la structure sociale, par exemple en « inversant délibérément [notre] sens des proportions » (ibid., p. 219). Rapporté à la problématique communautaire, cela implique de réévaluer un des postulats des études européennes, à savoir la supposée inconsistance sociologique et politique de la « société européenne ». V. Guiraudon regrettait déjà (2000, p. 8-9) une certaine tendance savante à généraliser l’Europe à partir d’exemples singuliers (souvent des mobilisations européennes réussies) et pointait par là même les zones d’ombre en termes de terrains empiriques (les acteurs en marge des processus communautaires, les résistances ou les échecs). Il conviendrait sans doute aussi d’inverser la proposition, c’est-à-dire d’éviter de choisir ses terrains d’étude à partir d’une conception totalisante de l’intégration communautaire, que celle-ci se fonde à partir d’un périmètre plus ou moins précis de domaines d’intervention publique (les compétences de l’UE) mais surtout à partir d’une présomption lourde selon laquelle ne serait digne d’intérêt pour un européaniste qu’un objet « politique », c’est-à-dire

3 Ce frein à l’investissement d’objets inédits pourrait être expliqué (mais ce, sans plus de données précises) par l’inscription sociale des spécialistes de l’intégration communautaire, plus ou moins explicitement pro-européens par leur appartenance aux milieux intellectuels et parfois même par leur proximité aux institutions communautaires (Cohen, Weisbein, 2005). Rappelons d’ailleurs que si l’intégration communautaire a une certaine logique bien qu’elle renvoie à un espace social très fragmenté, elle le doit avant tout au travail de rationalisation porté par certains investissements savants (Cohen, Dezalay, Marchetti, 2007). Mais l’oubli de certains objets originaux pourrait s’expliquer par le stigmate, possiblement dommageable pour une carrière universitaire, du « folklorisme », entendu ici comme le choix de se tourner vers des objets jugés peu sérieux ou anecdotiques – mais cela vaut plus généralement pour l’analyse des objets politiques non conventionnels (Darras, 1998).

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caractérisé par certains marqueurs « lourds » : gouvernement, légitimation, société, territoire, espace politique spécialisé, etc. Si l’institutionnalisation d’un ordre politique communautaire a pu être qualifiée de « gouvernement sans société » (Smith, 2004, p. 44-62), il est peut-être dommage pour la science politique de s’interdire certains terrains de recherche et de clore certaines problématiques, dès lors abandonnées à d’autres disciplines comme l’anthropologie, l’histoire ou la sociologie.

Car il y a selon nous tout autant d’intérêt à repérer des processus d’institutionnalisation de l’Europe à travers des objets apparemment éloignés des dynamiques communautaires (ou bruxello-centrées) mais qui sont plus ou moins directement affectées à contre-pied (ou à contretemps), pour ne pas dire « par le bas », par ces dernières. La logique du contrepoint peut être ici résumée de la sorte : établir en quoi certaines dynamiques induites par le processus d’intégration communautaire peuvent se refléter sur des objets ou des sites inattendus et, éventuellement, participer à leur politisation. L’Europe se joue en effet sans doute ailleurs, que ce soit au « microscope du local » (Pasquier, Weisbein, 2004) mais également de manière non directement politique, à travers des pratiques sociales diverses et inattendues, qu’elles soient professionnelles, ludiques, culturelles, etc. et dont l’ensemble peut contribuer à tisser une « société européenne », dont il conviendrait de repérer les éventuels linéaments4. Les constructions européennes s’avèrent plurielles tant le projet politique de construction européenne n’épuise pas les processus sociaux d’intégration de et à l’Europe. C’est également retrouver ici un des enseignements de la sociologie historique, que ne devrait pas oublier toute analyse de l’intégration communautaire sous peine d’amnésie (Déloye, 1998) : l’institutionnalisation des Etats-nations a eu des conséquences non seulement sur la spécialisation d’un domaine de gouvernement, elle a également induit des transformations plus diffuses quant aux formes d’économie psychique des individus ou bien quant à leurs identités sociales qui se sont déprivatisées et politisées. Postuler que la construction européenne peut se refléter

4 Seuls certains historiens ou sociologues se sont pour l’heure intéressés aux processus sociaux horizontaux producteurs d’une socia(bi)lité européenne (H. Mendras, H. Kaelble, R. Girault ou bien G.-F. Dumont). En mobilisant des périodisations assez étendues (souvent de l’ordre du siècle) ou bien en partant de l'analyse des phénomènes d'identification et de conscientisation européenne dans certains milieux sociaux (élites politiques et économiques, artistes, anciens combattants, etc.), ils repèrent ainsi des convergences croissantes entre les diverses sociétés européennes concernant les modes de vie ou les valeurs.

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ailleurs que dans certains rôles spécialisés, certaines politiques publiques ou certaines institutions spécifiques, c’est donc, d’une certaine façon, rattacher cette dynamique à des précédents historiques, réévaluer positivement le supposé gouffre existant entre l’UE et la vie quotidienne des Européens, mais surtout se donner les moyens d’armer cette imagination sociologique en mettant sur le chantier européaniste certains objets jusque-là inédits ou pour le moins peu fréquentés : l’influence de la famille ou de l’école dans la socialisation, le sport, les relations affectives ou les choix matrimoniaux, la dimension émotive de l’intégration communautaire, les voyages ou les effets de la mobilité géographique, les jumelages, la monnaie, les identités professionnelles, etc.

Certains travaux investiguant cette voie existent en science politique mais renvoient davantage à des logiques individuelles, en fonction d’intérêts singuliers de recherche, qu’à un effort coordonné et soudé par une problématique commune. On les citera ici rapidement au titre de vignettes tout autant illustratives que, on l’espère, exemplaires. J. Mischi (2007) montre ainsi comment, paradoxalement, des normes communautaires éloignées (en l’occurrence la directive communautaire 79/409 protégeant les oiseaux sauvages) participent à la repolitisation pratique des catégories populaires et ce, autour d’une pratique sociale partagée et productrice d’identification locale, la chasse de gibier d’eau dans le marais de Grande Brière Mottière. C’est souligner ici en quoi des pratiques concrètes et des représentations de l’Europe peuvent prendre appui sur des schèmes sociaux préexistants, ce qu’ambitionne de mesurer le projet sur les conceptions ordinaires de l’Europe CONCORDE (Gaxie, Hubé, 2007). L’étude consacrée par A. Smith au suivi des matchs de football et de rugby est également riche d’enseignements concernant les effets diffus de l’institutionnalisation de l’Europe au sens où les pratiques variées de supporterisme permettent de mieux comprendre comment cette partie de la vie quotidienne des Européens informe et révèle leurs découpages mentaux de l'espace et du temps (Smith, 2001). Par ailleurs, le football comme activité professionnelle et comme espace de compétition a largement contribué à « faire l’Europe » par analogie, en insérant les rivalités internationales dans un cadre réglementé mais aussi en suscitant des échanges trans-européens de normes, de personnes, de marchandises ou de mythes (Polo, 2005 ; Rask Madsen, 2007). Une enquête sur une association de surfeurs, la Surfrider Foundation Europe, très impliquée sur les questions de pollution aux hydrocarbures et de

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protection du littoral (notamment lors de la marée noire induite par le naufrage du pétrolier « Prestige ») a permis également de voir en quoi le « passage par l’Europe » (en l’occurrence l’investissement par cette association des négociations ayant entouré la Directive européenne « Eaux de baignade ») ne prenait en fait sens que dans l’économie routinière des pratiques et des grandeurs propres à cet univers social et ce, autour d’une figure problématique et sans cesse retravaillée du « surfeur » (Comby, Terral, Weisbein, à paraître). On peut enfin citer, au titre des travaux imaginatifs investiguant l’intégration communautaire de manière renouvelée, le deuxième colloque de la Section des études européennes de l’AFSP sur le thème « "Amours et désamours entre Européens" : Pour une sociologie politique des sentiments dans l'intégration européenne » qui met explicitement à l’agenda des politistes la question des relations horizontales et affectives entre les Européens.

Analyser l’Europe autrement : retourner vers les « classiques » ? Innovation dans le choix des objets certes, mais la logique du

contrepoint commande symétriquement un certain classicisme quant aux approches théoriques. Car si les études européennes se définissent par une gamme bien balisée d’objets, elles revendiquent aujourd’hui la nécessité d’une certaine innovation conceptuelle supposée rendre raison au caractère sui generis du processus d’intégration européenne. Puisque celle-ci ne renvoie à aucune autre expérience historique, sa compréhension rendrait dès lors obligatoire de forger un arsenal théorique résolument nouveau. Or on retrouve dans cette apologie du « post » (postnational, postmoderne, postmatérialisme, etc.) et dans cette obsession de la nouveauté théorique un double travers : dupliquer scientifiquement (et par là même légitimer) le discours porté, notamment par la Commission, sur la « modernité » de l’Europe (et « l’archaïsme » correspondant de l’Etat-nation) ; et renfermer encore plus sur lui-même ce segment des European Studies puisque le comprendre (et le critiquer) nécessiterait de payer un coût d’entrée de plus en plus élevé, constitué par des théories spécialisées (intergouvernementalisme, néofonctionnalisme, européanisation, etc.) et par un jargon correspondant dont la raison d’être serait de rompre avec l’ensemble des instruments théoriques élaborés jusqu’à présent.

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Pour rétablir le dialogue avec les autres branches de la sociologie politique, il convient donc de remettre au goût du jour européen des questionnements et des concepts classiques de la discipline. Cette « normalisation sociologique » des études européennes, largement débattue depuis la fin des années 1990, est réelle puisqu’on a de plus en plus étudié l’intégration communautaire à partir d’espaces théoriques spécialisés de la sociologie (sociologie de l’action publique, des mobilisations, des élites, etc.) ; elle se joue aujourd’hui à travers une (re)découverte — du moins, un emploi désormais explicite — de certains « grands classiques » et de leurs problématiques. Par exemple, la sociologie des champs de Pierre Bourdieu a été récemment introduite dans le giron des études européennes et quelque peu adaptée à la spécificité de leurs objets (pour une première tentative, voir Favell, 2000 ; pour une systématisation ultérieure, voir Cohen, Dezalay, Marchetti, 2007 ; voir également l’article de D. Georgakakis dans ce numéro). La dimension proprement élitaire du processus d’intégration communautaire et les jeux de pouvoir qu’elle engrène y sont soulignés puisque « l’Europe » se construit essentiellement par des confrontations répétées entre champs du pouvoir nationaux et intéresse (au sens fort du terme) des groupes d’élites (administratives, économiques, issues des ONG et de la « société civile », etc.) de plus en plus interdépendants, notamment par la force des « double jeux » (Dezalay, Rask Madsen, 2006).

Autre patrimoine intellectuel désormais assumé et affiché sur l’objet Europe, la sociologie de Norbert Elias se prête aisément et explicitement à l’objet « Europe » et connaît des investissements universitaires croissants, du commentaire exégétique de son œuvre (Delmotte, 2002 et 2007) à l’usage plus concret de ses concepts dans une stratégie de recherche portant sur l’intégration communautaire (Smith, 2000, p. 245 ; Hélie, 2004 ; Weisbein, 2006). Elias lui même mentionne en 1987 l’intégration communautaire comme l’illustration du décalage entre l’allongement des chaînes d’interdépendance entre individus et la résistance des habitus nationaux et des sentiments d’appartenance, mais aussi comme un possible niveau supérieur d’enclenchement de la loi du monopole (Elias, 1991a, p. 283-288). Plus généralement comme on le verra plus loin, les problématiques éliasiennes contribuent grandement à élaborer une analyse sociologiquement informée de l’Europe, que celle-ci soit marquée par la redécouverte de l’historicité de ce processus (et par la fin d’une certaine « amnésie européenne »), par sa banalisation ou bien par l’importance aujourd’hui donnée à sa dimension affective et

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psychique (qui aboutit même à une nouvelle qualification morale de la problématique de l’adhésion/résistance à l’Europe dans laquelle la seconde n’est plus stigmatisée sur le registre de l’archaïsme, de la peur face au changement et de l’irrationalité). On pourrait même se servir de la métaphore du jeu et de la compétition sportive, centrale chez Elias dans sa théorisation du social, pour articuler certains champs de recherches sociologiques ouverts par l’intégration communautaire. Car un jeu subsume trois éléments interdépendants : des règles qui en codifient le déroulement et les attendus (et l’on peut renvoyer ici à la posture néo-institutionnaliste pour caractériser ces ordres de contraintes, formels ou informels), des joueurs en situation de compétition ou d’alliance et qu’il s’agit de caractériser le plus finement possible (et l’on pense ici aux travaux menés au sein du GSPE visant à établir des prosopographies des professionnels de l’Europe – voir l’article de D. Georgakakis dans ce numéro) mais aussi des styles de jeu, virtuoses ou approximatifs, qui donnent vie et sens aux interactions (ce qui peut ici renvoyer à la notion d’usage théorisée par Jacquot, Woll, 2004 – voir également leur article dans ce numéro).

Les usages mélodieux de la posture contrapuntique : européanisation/configuration

Mais à travers cette référence à Elias, on peut surtout faire un

usage mélodieux de la posture contrapuntique, c’est-à-dire que l’on peut compléter les travaux de plus en plus nombreux menés sous le label de l’européanisation par quelques réflexions menées autour de la notion éliasienne de configuration5. Car aujourd’hui, après avoir été utilisée de façon plutôt métaphorique et « molle », la notion d’européanisation semble de plus en plus appelée à se solidifier et à constituer un nouveau paradigme des études européennes, donnant

5 La relecture des travaux menés par les européanistes à l’aune des problématiques et des instruments classiques de la sociologie politique n’a pas toujours cette fonction de réassurance. Il pourrait s’agir de voir en effet un usage un peu plus dissonant du contrepoint : l’emploi d’un instrument théorique « classique » tendrait ici à relativiser, voire à démonétiser, certains aspects avancés par des problématisations spécialisées de l’intégration communautaire. On pourrait ainsi facilement opposer les analyses menées en termes de champ du pouvoir, insistant sur la recomposition européenne de la domination sociale, et celles mobilisant les notions d’espace public européen, nettement plus optimistes quant à la possible teneur démocratique de l’Union européenne.

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lieu à des définitions que seuls des spécialistes de l’Europe peuvent opérationnaliser sur leurs travaux, rendant de fait impossible toute circulation des résultats et des concepts en dehors de cette communauté de chercheurs6. Il convient dès lors de rouvrir le dialogue à travers le contrepoint : ici, les lignes mélodiques que tracent les deux concepts, l’européanisation et la configuration, peuvent s’harmoniser et enrichir la partition. Il y a en effet un certain « air de famille » entre ces deux notions, ce qui nécessite de clarifier les périmètres de validité de chacune d’entre elles ainsi que leurs éventuelles zones de recoupement.

Lorsqu’on dresse une cartographie de l’européanisation et de ses usages croissant dans les European studies, on est d’emblée frappé par le caractère peut-être trop convivial et plastique (qui va parfois jusqu’à la ductilité) de la notion et ce, par l’ouverture souvent trop grande du spectre des objets empiriques pour lesquels elle est appliquée. Si ce constat renvoie sans doute à l’importance acquise par la dynamique d’intégration communautaire, de plus en plus susceptible de concerner des enjeux ou des espaces politiques déjà constitués, cela peut également constituer un triple écueil analytique, la dilution du concept dans la multiplicité des objets et des questions auquel il renvoie, la multiplication des définitions scientifiques dont il est l’objet7 et l’exportation de ce même concept en dehors du champ académique - avec tous les risques de dénaturation et de double herméneutique que cela engendre (ainsi en va-t-il également de la carrière sociale de notions telles que la « gouvernance », la « régulation », l’« espace public » ou la « société civile »…). Ce qui plaide d’autant plus pour une définition et un usage raisonnés du

6 Vink et Graziano (2007) indiquent que l’européanisation est désormais plus un véritable agenda de recherches qu’un simple objet pour lequel ils proposent d’ailleurs un manuel faisant le point de dix ans d’études diverses (même s’ils soulignent p. 5 leur volonté d’éviter d’instituer un nouveau domaine réservé au sein des European studies). Cette entreprise scientifique est en effet outillée de longue date par l’ECPR qui a institué un réseau de jeunes chercheurs (YEN : Young ECPR Network on Europeanisation) ainsi qu’un ensemble de rencontres sur cette notion. De l’avis de beaucoup d’auteurs (et nous le partageons), cette dynamique a considérablement enrichi l’analyse de l’intégration communautaire en l’émancipant de certaines formes intimidantes d’injonction conceptuelle, notamment autour de sa nature politique. 7 Cette obsession de la définition est néanmoins rejetée par O. Baisnée et R. Pasquier qui voient dans l’européanisation « une notion de travail permettant de pointer, puis d’analyser, une série de transformations dans les sociétés politiques nationales » (Baisnée, Pasquier, 2007, p. 9). Cette approche par substitution (l’européanisation n’étant pas un objet en soi mais un prétexte pour saisir le changement) est assez proche de ce que nous nommons ici la logique du contrepoint.

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terme. Dit en termes sartoriens (Radaelli, 2001, p. 112), le programme de recherche qui se dessine sous le label de l’européanisation vise ainsi donner à ce concept une densité intensive accrue (élargir ses caractéristiques propres) afin d’en limiter l’extensivité (la gamme des réalités empiriques auxquelles il renvoie). Plusieurs travaux, de plus en plus cumulatifs (au sens où ils se renvoient et discutent entre eux), se sont ainsi appliqués à baliser un espace adéquat d’utilisation de la notion (par exemple dans le giron de la sociologie de l’action publique : Palier, Surel et al., 2007) et ce, afin de la rendre de plus en plus opérationnalisable et de moins en moins totémique8. Sans dénier sa valeur et son utilité à cette littérature, on verra plus loin qu’un nouvel enrichissement semble possible en cherchant moins à préciser la notion qu’à lui trouver, lorsque c’est possible, des substituts théoriques.

On peut, quoi qu’il en soit, inférer plusieurs enseignements des recherches menées sous la bannière de l’européanisation. Sa dimension processuelle est la plus évidente : il ne s’agit plus tant d’étudier une substance (l’Union européenne) qu’un processus, qu’une dynamique concrète affectant un objet domestique. Ce déplacement du regard profite aux espaces nationaux, pour le fonctionnement desquels on (re)découvre l’importance de la variable européenne, mais aussi aux espaces locaux où l’Europe se réfracte (Pasquier, Weisbein, 2004 ; Carter, Pasquier, 2006). Il s’agit dès lors de saisir des niveaux de gouvernement (européen, national et local) en simultané et en interaction. Dans la littérature spécialisée, le processus d’européanisation est ainsi clairement distingué de ceux d’intégration communautaire ou de convergence, jugés trop restreints, mécaniques et téléologiques - c’est du moins une remarque critique adressée par les chercheurs français à des définitions de l’européanisation comme celle portée par J. Caporeso et son équipe (Palier, Surel et al., 2007, p. 36 ; Baisnée, Pasquier, 2007, p. 11) : il ne s’agit plus dès lors de repérer les logiques de spécialisation et d’autonomisation d’un

8 Au sein d’une littérature croissante et impossible à présenter de façon exhaustive car souvent enchâssée dans un terrain empirique singulier, on signalera juste ici les tentatives de synthèse théorique sur la notion d’européanisation : Börzel, Risse, 2000 ; Radaelli, 2001 ; Caporeso et al., 2001 ; Olsen, 2002 ; Vink, 2003 ; Falkner, 2003 ; Carter et Pasquier, 2006 ; Graziano et Vink 2007. En France, cette notion d’européanisation a été débattue dans plusieurs séminaires, deux à l’IEP de Paris (Jacquot, Woll, 2004 ; Palier, Surel, et al., 2007) et l’un au CRAPE de Rennes (Baisnée, Pasquier, 2007). A travers ces trois derniers ouvrages, la spécificité de la veine sociologique française est d’ailleurs particulièrement affirmée et tranche, sur de nombreux points, avec la littérature précitée.

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nouveau niveau de gouvernement mais bien d’en suivre la diffusion et les effets au-delà de Bruxelles9. On obtient par là même une forme de « désunionisation » de la recherche sur l’Union européenne, voire même une extraction de cette problématique de la seule sociologie de l’action publique (Baisnée, Pasquier, 2007). Quoi qu’il en soit, cette dynamique d’européanisation est ainsi saisie à travers différents paramètres par lesquels les chercheurs tentent d’en cartographier la morphologie générale, c’est-à-dire le nombre (croissant) d’acteurs qui y sont plus ou moins intensément et délibérément engagés10 ; ils enregistrent son rythme, c’est-à-dire la plus ou moins grande vitesse qu’elle prend selon les secteurs, les acteurs ou en fonction des territoires11, pointant par là même (et ce, parfois dans une optique néo-institutionnaliste marquée) l’importance de l’historicité et de la pesanteur du passé pour étudier les effets de l’européanisation ; ils soulignent sa dimension, essentiellement verticale (quel qu’en soit le sens : top-down12 et/ou bottom-up13) et beaucoup moins horizontale14 ;

9 En ce sens, cette entreprise de bornage et de définition de l’européanisation s’intègre dans une certaine histoire des théories de l’intégration communautaire, qu’elle semble même clore selon une logique dialectique (Palier, Surel et al., 2007, p. 26-29) : après avoir longtemps disserté, souvent en vain, sur la nature institutionnelle de l’UE (intergouvernementale ? fédérale ?), les chercheurs se sont de plus en plus contentés dès les années 1990 d’analyser les processus concrets de gouvernement qui s’y déploient. L’européanisation constitue dès lors aujourd’hui un label emblématique pour regrouper les travaux très variés investissant cette nouvelle perspective de recherche et ne la circonscrivant plus seulement au niveau supranational. 10 Cette approche par les acteurs et par les usages (stratégiques, cognitifs, légitimant) qu’ils font des normes et ressources communautaires que l’européanisation ouvre est particulièrement travaillée dans Jacquot, Woll, 2004. 11 Ceci permet de cartographier à la fois des séquences d’européanisation (par exemple au nombre de quatre pour Börzel, Risse, 2000), mais également des trajectoires d’européanisation (au sens de patterns) qui en expliquent la variabilité empiriquement constatée (Palier, Surel et al., 2007). 12 Ici, l’européanisation est saisie comme un mouvement descendant par lequel des normes, des savoir-faire, des ressources, etc., descendent de Bruxelles, se consolident et affectent les sociétés nationales ou locales. C’est le cas de la définition fameuse et discutée de Claudio Radaelli (2002, p. 110) qui voit l’européanisation comme un « processus (a) de construction (b) de diffusion et (c) d’institutionnalisation de règles formelles et informelles, de procédures, de paradigmes, de styles, de savoir-faire et de normes et croyances partagées qui sont d’abord définis et consolidés dans les décisions de l’Union européenne puis incorporés dans la logique des discours, des identités, des structures politiques et des politiques publiques à l’échelon national ». Caitriona Carter et Romain Pasquier définissent cette logique top down de « communautarisation ex post » pour en souligner la dimension de mise en œuvre de l’acquis communautaire (2006, p. 12). 13 Ici, l’européanisation se joue de manière ascendante, par l’aptitude d’un acteur politique à se cristalliser à l’échelle européenne et à s’y structurer mais aussi par sa

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ils sérient son ou ses moteurs, c’est-à-dire les diverses variables qui la suscitent et/ou l’alimentent (le marché, tel ou tel acteur institutionnel comme la CJCE ou la Commission, le droit communautaire, un marché croissant d’expertise spécialisée, etc.) ; ils pointent les diverses résistances qu’elle rencontre ou bien les facteurs qui la facilitent15 ; ils observent et typifient les effets qu’elle produit16 ; ils l’analysent comme un processus descendant d’imposition de normes ou bien comme un processus d’ajustement, de traduction voire même de négociations entre des niveaux multiples17 ; ils en étudient les limites,

capacité de peser sur l’édiction des normes communautaires. Ici, on peut donc parler d’« européanisation ex ante » (Carter, Pasquier, 2006, p. 12). Ce point est notamment souligné par Pasquier, Weisbein, 2004 ; Palier, Surel et al., 2007 ; ou Baisnée, Pasquier, 2007. 14 Ici, l’européanisation pourrait se jouer en dehors de toute incitation institutionnelle ou pression de Bruxelles. Voir à ce sujet les travaux déjà cités des historiens sur les convergences socio-économiques dessinant les linéaments d’une « société européenne ». O. Baisnée et R. Pasquier soulignent ainsi que « l’européanisation est aussi un processus horizontal d’interactions dans les ordres politiques domestiques » (2007, p. 25-26). De même, N. Fligstein (2000, p. 37-40) insiste sur l’aspect social, horizontal, de l’européanisation et sur les effets d’interactions entre sociétés nationales. 15 Ici, ce processus est considéré comme une épreuve. On peut citer ici une des approches dominantes de l’européanisation qui pense celle-ci en termes d’inadéquation entre structure domestique et politique européenne (misfit model), générant ainsi une pression d’ajustement institutionnel venant d’en haut (cf. les travaux de J. Caporaso, T. Börzel, Th. Risse, etc.). Pour autant, comme le remarquent Sophie Jacquot et Cornelia Woll (2004), ce modèle donne trop d’importance aux effets de structure et masque les logiques d’adaptation ou de résistance des acteurs impliqués ainsi que leurs représentations. Sur cette idée, voir Déloye, 1998 et Mischi, Weisbein, 2004. 16 Radaelli (2001, p. 119-120) isole par exemple quatre effets idéaux-typiques de l’européanisation : le retrait, l’inertie, l’absorption et la transformation. Knill et Lehmkuhl (2002), pour leur part, en distinguent trois, éventuellement cumulables (lesquels, insistent-ils, importent analytiquement davantage que les différents secteurs impliqués dans l’européanisation) : l’ajustement institutionnel (institutional compliance), visible dans les politiques environnementales, la transformation des structures d’opportunités domestiques, comme pour les politiques d’infrastructures routières, et le (re)cadrage des croyances et des attentes domestiques, avec la politique ferroviaire. 17 Le premier point est souligné par les définitions de C. Radaelli (2001) ou de Caporeso et al. (2002), donnant au processus d’européanisation une dimension un peu inévitable et irrépressible ; le second l’est surtout du côté des chercheurs français (Palier, Surel et al., 2007 ; Baisnée, Pasquier, 2007), participant dès lors à démonétiser le caractère irréversible de l’européanisation, pour y voir au contraire un mouvement erratique et même réversible. Ici, le tropisme sociologique est prononcé : en portant l’analyse sur les processus concrets par lesquels les normes communautaires se diffusent dans les ordres politiques domestiques, c’est-à-dire par la saisie fine des acteurs qui en font usage, des négociations ou des retraductions qui sont générées,

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par exemple en trouvant ailleurs que dans l’Union européenne une matrice des changements politiques18, etc. Dynamique d’import-export par laquelle l’Europe interagit avec les Etats membres, l’européanisation est en outre particulièrement ambivalente, se jouant tant sur la force des normes que sur des incitations plus informelles, silencieuses mais tout autant contraignantes19. Avant de concerner les textes ou les structures, l’européanisation affecte surtout les « têtes » (modes de représentations, façons de faire, socialisations, grammaires de justification, etc.). Il y aurait même une véritable idéologie qui architecturerait ces dynamiques d’européanisation (Carter, Pasquier, 2006, p. 17-18). Cette dimension cognitive de l’européanisation atteste même de la plus-value analytique des travaux de sociologie politique par rapport à ceux issus du droit communautaire, qui bornent l’espace des contraintes communautaires et de l’européanisation au seul domaine des normes visibles.

Résumons : l’européanisation est donc un processus tissant des interdépendances accrues entre des acteurs de plus en plus nombreux, se jouant simultanément sur plusieurs niveaux et ce, à des rythmes et à des degrés variables, engageant une certaine profondeur historique, affectant les têtes comme les structures… Le lecteur attentif aura déjà repéré ici un air de famille prononcé avec la sociologie de Norbert Elias et surtout avec son instrument de la configuration. Celle-ci désigne un objet social de taille variable, de la partie de cartes à l’Etat-nation, dans lequel les individus sont reliés entre eux par un ensemble de dépendances réciproques, selon un équilibre des tensions plus ou moins stabilisé (Elias, 1991b). Le sociologue se donne ainsi pour tâche d’étudier la dynamique des positions de différents acteurs interdépendants au sein de configurations changeantes. L’emploi de cet outil contraint donc l’analyse sociologique de l’intégration communautaire à se centrer avant tout sur les interdépendances existant entre les acteurs (qu’ils soient individuels, collectifs ou institutionnels) qui participent aux enjeux « européens », leurs influences réciproques, les conflits qui les opposent, les relations de partenariat qui les rassemblent (que ce soit

par le souci de repérer la singularité des contextes où se déroulent ces jeux, le processus d’européanisation perd de son apesanteur sociale. 18 Des « hypothèses alternatives » sont notamment posées dans Palier, Surel et al., 2003, p. 53-58. 19 Ce point a été confirmé à travers le poids de certaines contraintes informelles, mais bien réelles, dans les processus d’européanisation des politiques publiques nationales (Palier, Surel et. al., 2007, p. 60-66).

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ponctuellement et informellement ou de façon plus outillée par des structures de médiations intersectorielles ou interinstitutionnelles). Et là apparaît la valeur mélodique du contrepoint théorique car raisonner en termes de configuration permet de traduire les problématiques induites par la notion d’européanisation mais selon une formulation qu’un sociologue non spécialisé sur l’intégration communautaire peut comprendre et mobiliser20. Il semble en effet résider entre ces deux notions des symétries particulièrement frappantes sur au moins quatre points.

L’européanisation désigne un processus d’interactions entre des acteurs placés à différents niveaux de gouvernement (communautaire, nationaux et locaux) et invite à saisir les modalités d’articulations croisées entre eux. Or la configuration est fondée sur l’idée force que le social est relationnel et, plus précisément, que l’économie générale des interdépendances qui lient un ensemble d’individus ou d’institutions importe davantage que le point de vue atomistique de ceux-ci ou que leurs stratégies propres : l’action d’un individu ne peut pas être isolée des chaînes d’interdépendances qui le lient aux autres. Dans cet espace relationnel objectivable, elle invite également à insister sur les dynamiques de stabilisation ou de transformation de ces chaînes d’interdépendance puisque leur (im)permanence est tributaire d’un équilibre de tensions sans cesse renouvelé par les coups de tel ou tel acteur. Car l’Europe, ou plutôt la gamme des ressources européennes mobilisées par tels ou tels acteurs, agit sur les configurations que ceux-ci forment avec d’autres puisque « les normes et les ressources diffusées par l’Union européenne changent la configuration particulière de pratiques et d’attentes que compose chaque ordre institutionnel » (Smith, 2000, p. 248). L’européanisation est donc, sous cet angle, à considérer comme un principe d’allongement et de complexification des chaînes d’interdépendance entre différents acteurs, comme un « système

20 On est d’ailleurs ici proche de ce que proposent O. Baisnée et R. Pasquier (2007) qui, pour rendre la notion d’européanisation opératoire, se servent des concepts intermédiaires d’institutionnalisation et de politisation avec leurs corollaires (les rôles, la légitimation, la domination, etc.). On peut également dresser un parallèle avec S. Jacquot et C. Woll (2004) qui, elles, se centrent sur le rôle des acteurs et la qualification de leurs motifs d’action par le label des usages. Ces différents travaux ont le mérite de participer à décloisonner la notion d’européanisation en la rapprochant d’instruments partagés car empruntés au patrimoine commun des sciences sociales, ce qui rend dès lors possible une comparaison entre les processus concrets regroupés sous la notion d’européanisation avec d’autres processus similaires mais n’ayant pas de relation avec l’UE.

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d’actions et de réactions entre plusieurs groupes d’acteurs intéressés » (Courty, Devin, 1996, p. 4).

En tant qu’ensembles stabilisés de relations, les configurations sont bien souvent marquées par l’asymétrie des positions, l’inégalité et la domination, le pouvoir étant une de leurs caractéristiques majeures21. Il est ainsi une dimension fondamentale du jeu politique communautaire qui semble se prêter à ce cadre conceptuel, à savoir la nature extrêmement polycéphale, instable et fluide qui caractérise la compétition politique à l’échelle européenne, celle-ci étant dépendante d’un équilibre de tensions parfois stabilisé par les traités communautaires mais surtout sans cesse remis en cause et renouvelé par les luttes inter-institutionnelles dans l’arène communautaire. De même, cette nouvelle configuration dans laquelle certaines institutions (notamment la Commission) occupent une position prédominante et s’apparentent à ce qu’Elias désigne comme les « fonctionnaires de la coordination des jeux » (Elias, 1991b, p. 99-100) est aussi le résultat de mobilisations de groupes porteurs d’intérêts étrangers mais dont l’action participe à co-construire la croyance dans le caractère central des premières22. Ici intervient le caractère non planifié, hasardeux, acéphale et multiforme du processus d’européanisation qui concerne un spectre large et varié de groupes sociaux et qui peut aboutir à renforcer des positions de pouvoir ici, à les amoindrir là.

En outre, le processus d’européanisation a aussi des dimensions cognitives, et ici peut-on retrouver particulièrement la sociologie des économies psychiques, des sensibilités et des mentalités morales de

21 Pour autant, Elias se livre à une relecture particulièrement intéressante de la domination politique qui n’est plus à considérer comme une relation unique et univoque liant un objet, créditeur de cette relation, à un autre, débiteur et victime : même si une configuration se caractérise par des asymétries de ressources et des inégalités entre forts et faibles, les premiers se voient en effet contraints par celle-ci et leur marge d’action n’est pas totale. Le pouvoir chez Elias est donc une relation très ambivalente. « N’oublions pas que si les parents ont un pouvoir sur le bébé, ce dernier exerce dès le premier jour de sa vie, un pouvoir sur ses parents et cela aussi longtemps qu’il représente pour eux une valeur quelconque » (Elias, 1991b, p. 85). Il s’agit sans doute de la principale, voire la seule, différence avec l’instrument conceptuel du « champ » emprunté à Pierre Bourdieu puisque dans celui-ci, la domination est centrale et univoque. 22 Ceci est particulièrement intéressant pour étudier la genèse et l’institutionnalisation des rôles et des positions communautaires qui sont replacés dans un tissu élargi d’interdépendances. Pour A. Cohen par exemple (2004), la réussite de l’activité juridique de la CJCE a beaucoup dû aux mobilisations de groupes divers, militants fédéralistes, cabinets d’avocats, professeurs de droit, sociétés commerciales et juristes américains.

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Norbert Elias (Courty, Devin, 1996, p. 111-113 ; Déloye, 1998, p. 175). L’européanisation se fait, en effet, aussi dans les têtes et se caractérise par exemple par la circulation accélérée de normes polarisées autour du référentiel de marché, renforçant ainsi la naturalisation et l’importance du « label Europe » comme support d’innovation et de modernité. On peut même penser que cette irruption de l’Europe « dans les têtes », comme vecteur de modernité et de distinction contre d’autres formes jugées « archaïques », « dépassées », va d’autant plus intéresser à l’Europe ceux qui investissent activement des enjeux communautaires singuliers et les faire se mobiliser autour du principe même d’intégration, les transformant ainsi en « entrepreneurs d’Europe » : ces acteurs auront en effet tendance à entretenir la croyance sociale dans le « label Europe » puisque celui-ci leur procure une image très valorisante d’eux-mêmes. « Lieu de création et de mobilisation d’intérêts, l’Europe est par là même un label dont des agents, de plus en plus nombreux, se servent. La multiplication de ces usages consacre l’existence d’une réalité européenne perçue comme naturelle et inéluctable » (Courty, Devin, 1996, p. 111).

Enfin, et ça n’est pas un de ses moindres avantages, se servir de la configuration pour penser la construction de l’Europe nous invite à retrouver l’historicité de cette dernière. Cet avertissement à éviter « le retrait de l’analyste de l’intégration communautaire dans le présent » (pour paraphraser le titre d’un article célèbre d’Elias) ne vise pas tant à donner artificiellement à celle-ci une profondeur temporelle qu’elle n’a pas, qu’à placer une réflexion sociologique dont elle serait l’objet dans une perspective historique de long terme (Déloye, 1998 et 2006). C’est de la sorte également nous prémunir contre la tentation de la radicale « nouveauté » du système politique communautaire et de sa déclinaison, souvent performative, sur le modèle du « post » (post-national, post-étatique, post-moderne, etc.). C’est enfin nous pousser à analyser les différentes technologies (les traités, les croyances, les codes, etc.) par lesquelles certaines configurations se stabilisent dans le temps et procurent des cadres relativement solides pour la mobilisation des groupes sociaux intéressés à l’Europe.

Cette importation du concept éliasien à la problématique de l’européanisation n’en recèle pas moins quelques difficultés. Il n’est, en effet, pas sûr que l’appel à l’intensivité lancé par C. Radaelli (2001) et relayé par les nombreux travaux précités soit respecté : parler de configuration laisse en effet grande ouverte la question des frontières à apporter à cette notion, laquelle s’avère prétendante à l’explication

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de tous les phénomènes sociaux, quelle qu’en soit la dimension. Mais ici, ce que l’on perd en « pureté conceptuelle » pour les européanistes, on le gagne sûrement en ouverture vers d’autres secteurs de la sociologie politique, si bien que la dynamique d’intégration communautaire peut être réfléchie à l’aune d’autres facteurs travaillant le politique et l’action publique (la médiatisation de la vie politique, la reconnaissance croissante des « profanes », le discrédit des médiations partisanes ou parlementaires, etc.). Et surtout, poser les problèmes en termes de configuration et non plus seulement d’européanisation permet de déconnecter la recherche sur l’UE d’un réservoir clos d’objet (la transformation des acteurs ou des rôles spécialisés, l’élargissement de la gamme des ressources politiques, les séquences de traduction nationales de normes européennes, etc.) pour l’ouvrir à de nouvelles investigations empiriques (l’affectation des façons de faire et de sentir, les représentations de l’Europe pour des acteurs ou par des pratiques sociales non politiques, etc.).

* * *

Il nous apparaît donc au total que l’autisme supposé (et bien

souvent exagéré) des études européennes, en grande partie alimentée par la présomption d’une radicale nouveauté du processus d’intégration communautaire, n’est pas une fatalité. Un retour vers les classiques tout comme l’ouverture de nouveaux terrains d’enquêtes peuvent en effet contribuer à décloisonner cet espace disciplinaire. Une possible contribution des chercheurs français – leur « petite musique » – réside sans doute là : établir et baliser les espaces par lesquels leurs collègues européens peuvent dialoguer avec d’autres traditions intellectuelles, d’autres disciplines – et pas seulement d’autres nationalités.

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