Le dsespoir de la philosophie et la chute de la philosophie
premireLa philosophie du dsespoir est une chose, le dsespoir de la
philosophie en est une autre, plus tendue et qui inclut la premire
comme un simple modle mais qui reste impense et donc indpassable.
Le procd non-philosophique, qui ne se justifie que dans un contexte
gnrique et quantique, consiste en gnral abaisser une modalit
philosophique particulire, un systme si lon veut, ltat de modle du
concept complet de la philosophie. Il ne sagit plus dlever
dialectiquement une notion, mais de la faire tomber en-immanence,
la faire chuter comme un simple modle. Pour cet effet il faut
videmment tout un dispositif complexe qui fait intervenir le
quantique, le philosophique et le gnrique. Retenons pour linstant
que le choix est entre lever la philosophie au-dessus delle-mme,
augmenter sa puissance, ou labaisser en de delle-mme au profit de
la sauvegarde des humains.
La description de la pense et de la vie humaines, lvaluation de
leurs moyens et de leurs finalits est la tche de la philosophie.
Mais qui dcrira et valuera la philosophie, sinon elle-mme une fois
de plus ? Elle se rflchit, se porte la puissance 2, se surpasse et
se fait spontanment mta-philosophie. L est sa plus grande
trouvaille, sa force et sa faiblesse. Elle na de cesse de critiquer
ses formes les plus grossires ou les plus empiriques de
reprsentation en supposant quelle se critique par l elle-mme et se
libre de sa propre reprsentation. Cest le comble de sa vrit et de
son illusion. Chez les Modernes, en simpliquant dans son objet et
en le combinant avec une touche de judasme, elle a trouv le moyen
dun examen universel, plus tendu que le grec, qui ne laisse rien de
ct et exerce une surveillance qui doit suffire. Ce mcanisme est
impressionnant, Kierkegaard en donne un exemple ou plutt pour nous
un modle au titre du dsespoir la philosophie dans sa course folle
et titubante ne donne-t-elle pas limage du dsespoir intellectuel
voire thorique ?
Dans la plus parfaite tradition, Kierkegaard construit ce
mcanisme avec trois termes, un rapport qui se rapporte lui-mme,
soriente vers soi et se pose comme moi, et une tierce instance, qui
peut justement tre dj le moi mais plus positivement un Autre qui
pose le rapport. Des rapports de toute nature, il ny a que cela
dans la matire philosophique, des synthses ou des analyses de
contraires. Mais ces rapports sont inertes ou dpourvus de
subjectivit philosophique, encore faut-il quils se rapportent
eux-mmes, simpliquent en soi ou saffectent deux-mmes, deviennent
des moi comme dit Kierkegaard. Telle est en son premier degr la
matrice la plus gnrale du penser philosophique. Sous rserve de
linterprtation de la tierce instance, Heidegger et bien dautres en
ont tir les consquences, la transcendance nest par un acte donn ou
tout fait, cest une possibilit ou une virtualit qui sauto-affecte
et que tue la ralit. La philosophie ne descend pas du possible au
rel sans remonter dans cette descente mme du rel au possible. Ce
mcanisme est ici dcrit en termes dialectiques, il agit de manire
auto-contradictoire, et cest cette auto-contradiction qui constitue
le vrai moi spcifique de la philosophie, il est universel ou vaut
de toute philosophie. Actuellement on dcrit la philosophie en
termes de vie, de mort, de survie, tout cela relve dune conception
mdiatique et commerciale, pour le dire plus noblement actualiste et
matrialiste vulgaire, et de toutes faons thologique. Par son
essence elle relve davantage du possible et du virtuel, du dsespoir
justement comme catgorie existentielle, de la concidence impossible
avec soi. Concrtement ce mcanisme signifie que plus la philosophie
se critique, plus elle saffirme elle-mme ou du moins cherche son
salut dans cette attitude, nest-ce pas le cas de ses critiques et
dconstructions ? Faut-il en conclure inversement mais toujours
logiquement, que plus elle veut tre elle-mme, plus elle se dtruit ?
Plus elle saffirme comme Ide, plus elle stiole, se vide de toute
substance et se rduit un clignotement stellaire ?
Quant la troisime instance positive, lAutre qui pose le rapport,
elle se confond avec le premier degr et se distingue videmment de
lui. Quil sagisse de Dieu ou de lAbsolu, peu importe, nous ne
pouvons y voir quune transcendance capable de poser celle du moi,
que celle-ci soit transcendantale ou contradictoire et dialectique.
La philosophie au sens complet nest pas seulement rapport du moi
soi-mme, distinction destine sauver Dieu, mais double transcendance
ou doublet plusieurs plans ou tages.
Maintenant Kierkegaard se demande comment extirper le dsespoir
hors du moi , pour nous ici comment extirper la philosophie hors du
moi et redonner celui-ci la paix ? Quopposer au dsespoir de la
philosophie, autre nom de sa dialectique ? Reviendra-t-on une fois
de plus la bonne vielle sagesse grecque du plaisir, du bonheur et
du bien-vivre heureux ? Le matrialisme et en gnral toute position
philosophique est un effort pour stabiliser les contorsions et les
sursauts dune mourante, mais ces essais de stabilisation sont de
toute ternit inscrits dans cette dialectique du dsespoir et
programms pour tre emports eux aussi dans un tourbillon gnral.
Comme lont senti Descartes et Kant, la philosophie est au fond
cette mer dmonte, cet ocan inquitant qui borde les lots de terre
ferme que lhumanit a gagn et sur lesquels elle a trouv refuge. Dans
cette perspective les humains seraient jets--la-terre (et non
terre) plutt que jets-au-monde, et de l auraient colonis locan
redout comme ils ne cesseraient de coloniser les tendues
philosophiques, retournant la surface de la pense par leurs
systmes. Il nest pas sr que la vocation de la philosophie soit la
paix du cur humain et du monde comme les Anciens lont suppos et les
Modernes espr, plutt que son agitation. La conciliation et la
rconciliation sont peut-tre des idaux sans moyens parce que leurs
seuls moyens sont justement pris de la philosophie et ne font
quagiter un peu plus des eaux furieuses. La solution de Kierkegaard
par exemple ne quitte pas rellement lorbe de la philosophie que
nous appelons complte ou la double transcendance. Elle se contente
contre Hegel mais pas contre lessence du doublet philosophique port
au paradoxe et labsurde, de la forme tronque de la dialectique des
opposs (le deuxime contraire nest pas dj donn, sinon dans le pass,
mais doit tre produit ou voulu, objet dune reprise ), de sa
suppression ou de son dpassement dans linfini, elle nest pas
abaisse pour autant, plutt dpasse une nouvelle fois dans linfini,
une autre faon d lever le moi une fois de plus par un excs de
transcendance
Labaissement de la double transcendance, passant de sa
forme-doublet sa forme simple, se distingue de tout excs de la
transcendance, cest une dpotentialisation. Ce nest en rien une
suppression de sa forme empirique et une conservation de sa forme
idelle (Hegel). Pas davantage un anantissement mystique toujours
dans lextrme transcendance. Encore moins videmment une pense forte
(Badiou) comme surenchre platonicienne de la transcendance. Dfinir
la philosophie par une chute (Althusser) plutt que par une monte
(Bergson, Deleuze) tait un symptme intressant. Labaissement nest
pas un anantissement ni mme un nantir mais une rduction de la
transcendance re-tombe en une immanence qui transcende pour la
premire fois et non pour la seconde comme par un effort ultime ou
un sursaut. Transcender pour la premire fois, senlever de soi sans
se sparer de soi, ne plus pratiquer le sursaut platonicien comme il
se fait avec chaque nouvelle philosophie, il y faut une pulsion
mergeantde sa propre passivit. Telle est la dfinition rigoureuse,
sans duplicit ni mlange, de limmanence gnrique, celle o senracine
sans en provenir toute transcendance complexe ou surfaite et o elle
doit retomber. Cest aussi la dfinition de la passivit de la Dernire
Instance ou de son agir propre.
Comment alors transformer le schme de Kierkegaard pour lui faire
admettre cette solution puisque la pratique non-philosophique est
une transformation en modles des principes hgmoniques ou premiers?
Cest la science, en particulier la physique quantique qui a ce
pouvoir de transformer en simples modles les thmes dominants de la
philosophie premire et de substituer lordre la hirarchie. Le
rapport ne se redouble ou ne se rapporte pas lui-mme, il nest pas
dj en soi rflexif avant de le devenir pour soi. Il doit tre simple
sans ddoublement possible. Loin donc de se multiplier avec et par
lui-mme, il se superpose ou sadditionne avec soi, si bien que le
moi nest plus cet individu auto-contradictoire dans toutes les
situations possibles et qui ne tire son salut que de plonger
(Kierkegaard) dans linfini. Si le rapport doit plonger, ce nest ni
en soi rflexivement ni en Dieu mystiquement, en se rapportant
lui-mme, mais dans son interfrence avec soi cest--dire
ondulatoirement. Loin dtre une lvation (ventuellement religieuse),
la superposition est une manire de vivre en-immanence qui peut
apparatre comme un abaissement par rapport la philosophie mais qui
nen est un que pour celle-ci qui le subit et y est force et qui se
solde pour le moi proprement dit, celui qui se croyait
tout-puissant, par une plonge dans cette immanence gnrique.
Finalement quest-ce qui fait le dsespoir de la philosophie, mme
la plus sage et antique, cette activit sans espoir autre que de
gloire thologique ou comme maintenant de gloriole mdiatique, sinon
de lavoir substitue au moi gnrique si lon peut dire qui fait les
humains, de lui avoir donne une place royale indue que ne cesse de
clbrer une communaut qui va de ses professionnels de la promesse
aux gobeurs du vivre heureux qui les coutent, sduits par la
mdiation de ses bateleurs intellectuels. Le paradoxe est que seul
un abaissement rgl des prtentions de la philosophie peut viter
celle-ci sa chute dans la mdiocrit. Car cest bien de cela quil
sagit, le meilleur usage de la philosophie qui doit rester un moyen
aux mains des humains.
Franois Laruelle
La fondation de la philosophie dans le ressentiment et sa
purgationC'est une arme critique dangereuse que le ressentiment, sa
manipulation ne va pas sans risques de rtorsion. Nietzsche avait
peine lev ce livre que les philosophes chrtiens dclars comme
Scheler ou apparents comme Heidegger ne tardaient pas lui retourner
cet argument factieux. Nietzsche n'aurait pas couru assez vite pour
ne pas tre rattrap par ce dmon ou ce singe, ce spectre ou cette
ombre. Mais comment croire que Heidegger, pourtant prvenu de la
difficult, lui non plus n'aurait finalement pas t assez rapide pour
distancer le ressentiment ? Encore rat ? . S'agirait-il de tirer
plus vite que son ombre et de donner l'exercice non-philosophique
des airs de bande dessine ? De toutes faons, ce n'est pas la course
des prtendants de la zoologie late la philosophie premire, plutt un
exercice de tir sur la tortue et le livre eux-mmes et qui les fixe
dans un ralenti, peut-tre dans une rtention qui les laisse sur
place . C'est le tir qui dtermine la cible, non qu'il la cre, mais
il faudra plusieurs tirs pour la localiser de manire
approximative.
Pourtant il faut se risquer une extension radicale du
ressentiment sans tomber dans un cercle vicieux qui serait
probablement le ressentiment lui-mme, en faire une objection qui
toucherait l'ensemble de la philosophie et l'affecterait dans son
intimit, sa possibilit ou son fondement plutt que dans telle rgion
de la conscience. Avant d'tre une torsion psychologique et une
drive morale de la mauvaise conscience, le ressentiment est
passible d'une gnalogie opre selon les axiomes d'une science de la
philosophie. Cette gnalogie doit poser la temporalit philosophique
ou la prsence comme synthse de prcipitation et de retard comme
apparence objective, le ressentiment comme la ralit mme ou en soi.
C'est le ressac temporel qui rsulte de la mise de la temporalit
philosophique sous la condition dterminante d'une anticipation
virtuelle que l'on dira futurale . L'affect dans lequel s'enkyste
l'tre-conditionn de la temporalit sous l'effet d'une anticipation
futurale , d'un anticip-sans-anticipation qui vient au-devant de
toute prsence. C'est une condition que la temporalit tourne en se
faisant doublet et se condamnant au ressentiment. Sous cette
condition futurale qui est l'essence ultime de toute pense et qui
d'elle-mme ne fait que la sous-dterminer plutt que la dterminer ,
la pense comme transcendance spontane ne peut en effet que se
heurter elle qui lui fait obstacle, elle se divise et se redouble,
se fait projet ou se prcipite vers un futur qu'elle confond avec la
futuralit, travers lequel elle la saisit et la dforme, refusant le
caractre d'ultimatum de la futuralit pour les facilits imaginaires
d'un futur manipulable. Ce devenir philosophie de la pense rsulte
d'une division et d'une multiplication de soi et montre que le
ressentiment est un repli de la temporalit sur soi,
l'intriorisation et le redoublement de la transcendance en elle-mme
qui refuse son immanence et sa simplicit.
C'est donc le problme du doublet essentiel la philosophie et
d'une certaine simplicit qui ne s'oppose pas dialectiquement lui
mais se contente de le sous-dterminer ou de le dpotentialiser.
Autrement dit c'est le problme de l'absolu et du radical, de leur
dsastreuse confusion philosophique, et au contraire du radical
comme catharsis de l'absolu. Du doublet propre la philosophie
premire, berceau du remords, du repentir et de la haine suffisante
de soi. De la simplicit du radical, complexe comme une innocence
appele la naissance, comme un non-agir agissant en-avant-premire et
qui ne doit la sauvagerie de la pense comme transcendance que le
matriau dont elle est la transforme.
Il nous faut une dfinition minimale du re-sentiment comme
doublet spculaire dans l'ordre de l'affectivit pour lui imposer la
condition d'une simplicit comme concept complexe. Du doublet nous
distinguons soigneusement la complexit du simple qui n'est pas un
moindre doublet ou une dualit de face face amoindrie, affaiblie ou
ampute. Le principe du simple n'est pas l'Unit ou l'Identit, c'est
l'Un-en-Un ou le type de dualit qu'il tolre, l'unilatral qui n'est
pas une image de l'Un mtaphysique comme on le croyait au temps de
l'Idalisme mais la face (de) l'Un. L'uniface ou l'image unifaciale
de l'Un-en-Un est plutt un clone, le clone particulaire de ce qui
se prsentait comme corpuscule, c'est le clone inclut en-Un ou le
corpuscule tomb en-immanence. Dans la philosophie contemporaine,
Heidegger avait commenc suspecter la forme-doublet et le pli
biface, ensuite Derrida et Deleuze, chacun diffremment, ont analys
cette structure encore plus fond. Deleuze en simplifiant la double
transcendance en un plan-d'immanence unique ou une torsion de
Mbius, Derrida en dmembrant les doublets en leur varit smantique,
doublures, doublages, doublons, rptitions, faux-fil, faufilature,
etc. Mais faire apparatre le problme ironiquement ou parodiquement,
c'est justement le style de l'ancienne critique, encore une forme
de critique et de rptition de plus haut degr. Et simplifier la
transcendance reste une demi-solution c'est--dire une conclusion
sans prmisses puisque nous n'avons pas la raison rigoureuse qui
fasse apparatre ou explique gntiquement la ncessit d'une
transcendance simple ou simplifie. C'est encore une dcision
arbitraire ou philosophique, une dcision inexplique ou dont la
raison est purement intrieure la philosophie devenue suffisante.
Derrida tente bien d'introduire la suite de Lvinas une cause
non-philosophique, l'criture comme phnomne judaque de dissmination
ou de morcellement talmudique mais combin la philosophie qui
l'emporte encore et n'est pas d'emble suspecte dans sa validit.
Prtendue de double transcendance. De notre point de vue ces essais
de dconstruction ou de simplification de la transcendance
philosophique manquent de moyens scientifiques indiscutables et se
contentent de ceux de la littrature et de ce qui en est pass dans
la psychanalyse. C'est que toute la philosophie du 20 sicle recourt
au moyen extrme du Nant et de ses modalits, elle oscille entre le
Vide (Badiou), le Nantir (Heidegger), l'Autre (Derrida), le Non?tre
(Deleuze). Et elle n'en use que sous l'autorit philosophique
insoupconne, mlangs avec les procdures ou les positions doctrinales
qu'elle organise souverainement. Notre thse est donc que le
ressentiment congnital de la philosophie qui se paie d'une
suffisance toujours renaissante ne peut en tre extrait de force que
par un autre moyen qui refuse d'tre aussi facilement mlang la
dcision philosophique. Un aspect de notre objection est que la
philosophie comme doublet ou potentiellement comme double
transcendance qui confie sa critique elle-mme en dernire instance,
ne peut tre que secrtement morale et si bien que le moralisme
c'est--dire la moralit des murs serait devenue moralit des moeurs
philosophiques et aurait gangren toute la philosophie beaucoup plus
profondment que Nietzsche et ses successeurs ne l'avaient imagin.
Le moralisme n'est pas spcialement platonicien ni mme chrtien, il
requiert une explication thorique ou scientifique. La philosophie
se ddouane toujours sur ses sujets, ses agents, objets, domaines,
sur son histoire et les mauvaises influences, sans se remettre
elle-mme en cause. Cette limitation de son examen thorique la
rassure sur elle-mme.
Quel serait le moyen le plus efficace pour une critique radicale
? A force d'avoir rarfi nos moyens et augment nos exigences, nous
sommes condamns trouver une dernire ressource, un moyen suffisant
de critique mais seulement comme moyen de-dernire-instance. Cette
condition assurant la plus forte mise-sous-moyen de la philosophie
doit tre d'ordre mathmatique, pourquoi ? Elle doit remplir au moins
trois conditions. 1. Etre telle que la philosophie dans toute son
histoire ne cesse d'avoir affaire elle, de se mirer en elle comme
dans son Autre et ceci jusqu' la nause (Heidegger), expliquant
ainsi que le gnie mathmatique soit si facilement tourn en malin
gnie de la philosophie qui le capture et en fait son instrument.
Mathmatique et philosophie sont les disciplines la fois les plus
loignes et les plus proches, elles entretiennent un rapport de type
spculaire. Il n'y aurait donc pas de critique absolue possible de
la philosophie mais seulement une critique radicale, un point
d'indcision dans le rapport spculaire o le miroir peut tre tourn en
critique radicale de ce qui s'y mire. 2. Etre telle qu'elle soit
suspensive de la seule suffisance philosophique qui se prend pour
l'en soi de la ralit mais non suspensive de sa matrialit mme. 3.
Etre telle qu'elle soit oprante ou suspensive de la manire la plus
lgre, surtout pas apodictique par mlange d'une science et d'une
position philosophique (toujours le fondement absolu). Ce seront
certaines proprits algbriques (addition par superposition et
non-commutativit) qui constituent un armement mathmatique des plus
lgers, en particulier dans la physique quantique, et qui ne peuvent
donner lieu de nouveaux fondements absolus ou des axiomes
mtaphysiques ou ontologiques. Elles associent ou superposent une
procdure non-fondative d'immanence avec de la transcendance
philosophique tout en les rendant non-commutatives.
On comprend alors d'une part que l'ambigut du rapport
philosophie/mathmatique puisse subsister en un sens telle quelle
comme rapport de fascination sans solution, sans qu'aucune dcision
soit prise, mathmatique et philosophie restant cte cte ou en face
face dans un certain statu quo qui est de toute vidence encore
subrepticement et ultimement philosophique. C'est tout au plus un
essai de limiter les dgts ou le trou que font les mathmatiques dans
la suffisance philosophique. Mais on comprend aussi d'autre part
que l'analyse insuffisante de la philosophie et de son ressentiment
thorique fondateur reste trs insatisfaisante et puisse exiger une
solution, celle de la critique radicale ou purgatoire de la
philosophie et de sa passion effrne. L'ambigut dont nous parlions
est alors manifeste ou rendue visible, ce qu'elle n'tait pas
auparavant dans son tat spontanment philosophique, seule l'analyse
du ressentiment philosophique peut la faire apparatre, c'est moins
une situation en soi invitable de la philosophie qui justifierait
le statu quo de la philosophie que sa dtermination comme
ressentiment o elle s'assure d'elle-mme dans cette fascination par
la mathmatique. La rfrence la physique quantique permet de briser
ce rapport de fascination rciproque sans issue et d'imposer une
dcision critique radicale.
Si le ressentiment c'est le re-tour du senti, sa rflexivit, nous
lui opposons son rvlateur, le flux sans retour de l'affectivit ou
du vcu, sans re-tour mais non sans apparence de retour. Le fameux
se-sentir de Heidegger et Henry, mme contract par celui-ci dans une
immanence suppose radicale, pourrait bien tre un retour du senti ou
un dernier effet d'un se-penser cras sur soi, d'une entit
corpusculaire en ralit absolue. Se-sentir=se-trouver, l'affectivit
serait une manire de se localiser et de s'enraciner dans le monde.
Le ressenti est la contraction corpusculaire du senti tel point que
Henry, aprs avoir dtendu le flux de l'affectivit, le reconcentre et
le referme sur lui-mme dans les limites d'un ego, rduisant
l'auto-affectivit un circuit finalement plein d'aller/retour sur
soi, condamn une rptition indfinie. Qu'est-ce qu'un
aller-sans-retour qui puisse tre accompagn d'une apparence,
seulement d'une apparence mais invincible, de retour ? C'est une
superposition. Un flux de senti n'est pas une position et encore
moins une auto-position, voire une sur-position la nietzschenne, ce
n'est pas un acte de sentir ou un se-sentir mais un phnomne
ondulatoire. Les actes ou les penses philosophiques sont sans cesse
repris dans des positions et des fondations, fixs dans des
paramtres et des thses qui les inscrivent dans des systmes qui sont
le ressentiment en action. De leur ct les affects sont assigns
tantt la joie suppose bonne, tantt la tristesse, tantt au cercle de
l'ennui, assigns des catgories et des gnralits philosophiques, et
sont fixs sur le mode du ressentiment. Cessez de ressentir, non pas
de vous sentir joyeux ou tristes, mais de rapportez vos affects ce
que le monde s'efforce de faire de vous ou de les recevoir comme
chos du monde. Inventez un flux transfini de tristesses et de
joies
Le ressentiment est donc un problme minemment thorique de
structure du philosopher et pas seulement comme d'ordinaire
d'valuation encore morale de la philosophie. Nietzsche met le doigt
sur le ressentiment comme sur un point ou un objet sans se rendre
compte que l'identification d'un problme philosophique est toujours
en cours de ratage puisque l'objet bouge par dfinition et que sa
localisation subit le principe d'indtermination ou vire en
sous-localisation. Le but de la non-philosophie est de chasser les
dernires traces de ressentiment hors de la pense et jusque dans
l'uage qu'elle peut tre amene faire de la mathmatique qui n'est
qu'un moyen de-dernire-instance et pas cet englobant dont on nous
menace. Ce n'est pas une dcision elle-mme simple ou objectivante.
Autrement dit la localisation d'un objet ou d'un problme est une
invention et pas un reprage, une dynamique hasardeuse plutt qu'une
gomtrie, une virtualit futurale plutt qu'une trajectoire dfinie par
des coordonnes. C'est justement lorsque l'objet est point comme cur
de cible que sa connaissance est manque et tisse de ressentiment
qui est l'alination la plus profonde c'est--dire l'identification
individualisante de l'objet cherch, le plus sr moyen de ne pas
inventer. Il faut travailler aux cts de ceux qui inventent de
nouveaux concepts, l'invention est l'motion mme du Rel, plutt qu'au
ct de ceux qui font de la connaissance une reconnaissance, de la
cognition une recognition philosophes et psychanalystes, la sainte
alliance de la mmoire, la connaissance platonicienne comme oubli et
mmoire, psychanalyse comprise. On a transfr la pense l'idal et les
moyens de la psychanalyse faite pour les esprits et la psych dans
le monde et la culture, on a compris la tche de la pense comme une
pratique voire un devoir de mmoire, comme une victoire sur l'oubli,
une victoire sur la dissimulation du sens et de l'tre, une victoire
critique sur les prsupposs de la philosophie. Le ressentiment
philosophique s'exprime peine retouch dans ces tentatives,
critique, dconstruction, anamnse, devoir de mmoire, c'est toute la
rgression triomphante via les ides innes (Dieu et l'entendement
divin) et mme l'a priori trop formel pour ne pas tre rptitif et
dcalqu de l'empirique. Tourner la connaissance soit vers le pass
enfoui et le rtablissement d'un ge d'or de la connaissance ou de la
vrit, ou bien la tourner vers une cration qui ne soit pas un
dcodage . La purgation de la passion philosophique est une uvre de
pense plutt que de thtre puisque ce dont il s'agit de purger la
philosophie c'est prcisment de sa thtralit, de ses doublets,
pseudonymes, coulisses, arrire-salle et avant-scne. Mais purger
n'est pas non plus dtruire, c'est juste un paradoxe, seule une
pense en-avant-premire peut limiter le thtre philosophique du
monde.
Franois LaruelleLe code non-philosophiqueJe donne ici le code
qui permet d'entrer dans la non-philosophie sous une forme que
j'utilise souvent mais que je renouvelle maintenant par l'appel une
manire de penser inspire du modle de la mcanique quantique. Le
non-philosophie est articule sur l'unit et la diffrence de deux
schmes classiques de la philosophie et qui spontanment sont
apparemment contradictoires, le Sujet transcendantal et la Dernire
Instance, donc Kant et Marx. Combinaison difficile manipuler bien
qu'il y ait eu dans l'histoire du marxisme des tentatives de le
kantianiser qui sont restes assez vaines. Pour rsoudre une
d'antinomie, il faut modifier les deux concepts en prsence en
fonction d'un troisime qui restreint leur exclusivisme particulier
et leur permet de s'accorder dans une relation minimale, ingale,
asymtrique ou non rciproque, une relation que j'appelle unilatrale
ou encore de complmentarit unilatrale. C'est un nouvelle
distribution du rel o l'immanence dominante et de la ralit o la
transcendance est dominante, mais de manire chaque fois non
exclusive. Il faut se souvenir que le Sujet transcendantal est
structur en gnral comme immanent l'exprience et transcendant elle
dans laquelle il agit mais de loin ou de haut. Mais surtout, et ce
n'est pas quelque chose dont les philosophes se souviennent, il est
transcendant une deuxime fois. Entre son immanence et sa
transcendance il lui faut un troisime terme ou une troisime
fonction, et dans la philosophie c'est la transcendance qui
r-intervient. Le doublet empirico-transcendantal est une deuxime
fois doublet, transcendantal-rel cette fois. La nouvelle
distribution est donc celui-ci, il faut enlever une transcendance,
la plus haute, la transcendantale-relle, au sujet qui restera
empirico-transcendantal mais simplifi, sans tre couronn du rel. Et
donner la dimension du rel-sans-transcendance, donc une immanence
dite radicale , une instance que l'on appellera Dernire Instance.
Le rel ne peut plus tre la ou une forme de transcendance mais cette
immanence prsente la fois comme variable en face de la
transcendance et comme fonction de ces deux variables. Ce n'est
donc pas un simple transfert continu, il faut substituer la
transcendance et une autre place qu'elle l'immanence selon un procd
tir de la mcanique quantique. Pour formaliser, on a deux instances,
termes ou variables, leur synthse est assure par l'un d'eux, soit
la transcendance, et c'est la philosophie, soit l'immanence
radicale, et c'est la pense que j'appelle gnrique ou non-standard .
Dans ce dernier cas de figure, le Sujet transcendantal est
maintenant la fois inhrent cette immanence qui fait la Dernire
Instance et htrogne relativement elle ou en tat de se rapporter
l'exprience depuis l'intrieur de cette dernire instance. A cette
matrice gnrique la philosophie s'oppose tandis que cette matrice ne
s'oppose pas, elle, la philosophie mais l'inclut en elle ou peut en
faire la gnalogie. On va dire, pour faire vite, que la Dernire
Instance sous-dtermine le Sujet transcendantal dans la multiplicit
de ses comportements dont von peut dcrire les vicissitudes
mondaines. Sous-dterminer c'est enlever au Sujet de sa puissance,
la restreindre, entamer sa fonction constitutive ou idaliste de
l'exprience relle. Du coup le Sujet transcendantal n'est plus
titulaire du rel mais le reoit par dlgation de la Dernire Instance
c'est--dire du rel qu'il reprsente auprs du donn phnomnal, et
d'autre part il n'opre plus qu'une constitution neutre, gnrale ou
gnrique de la ralit. Ce n'est plus le principe de l'unit de
l'exprience empirique ou newtonienne, mais le simple agent d'une
donation de sens gnrique ce qui se prsente comme phnomne mondain.
Donc le Sujet transcendantal est sous-dtermin en-dernire-instance
par un rel caractris par son immanence. Voil, je pense, sous une
forme simplifie, le code qui explique certains travaux de
non-philosophie mais le code seulement. Pour rsoudre une antinomie,
on a ainsi soit une pense de type dialectique ce qui revient
philosopher la philosophie, soit une pense de type scientifique,
mathmatique, en particulier algbrique, ce qui revient traiter la
philosophie depuis une posture scientifique. C'est pourquoi je ne
dialectise plus cette opposition mais je mobilise un grand principe
de la mcanique uantique qui est le principe de superposition qui
vaut de l'immanence radicale.
Les non-philosophes entretiennent comme sujets un rapport
paradoxal leur pratique qui recourt la philosophie comme simple
aide hermneutique pour rsoudre une contradiction apparente. Un
trait de leur psychologie est de refuser de donner des raisons
conjoncturelles, psychologiques, religieuses, trop empiriques, leur
choix de la non-philosophie. On peut douter mme que ce choix relve
de ce que l'on appelle une vocation (souvent aprs-coup, pas
toujours), c'est plutt comme un choix au moins transcendantal, une
dcision intelligible ou en tous cas que l'on peut essayer de rendre
intelligible autant que faire se peut. C'est un fait significatif,
les non-philosophes sont des militants, en quels sens ? Le
non-philosophe prend parti et a priori dans une certaine mesure
pour la faiblesse de l'tre le plus faible ou du moins le plus
menac, l'tre humain et, voil le paradoxe, c'est une prise de parti
sinon anti-humaniste du moins non-humaniste . Prise de parti n'est
pas ici le dogmatisme politique dont on nous fait pouvantail ou
archasme, c'est se placer dans la dernire position possible de
dfense des humains, celle au-del de laquelle plus aucun acte humain
n'est encore possible, mais juste un acte philosophique au sens
large de ce mot. Les militants de la faiblesse n'accumulent pas
interminablement, les raisons, les dsirs, les espoirs ou les checs
pour assumer leur position voire leur pratique. Ils n'accumulent
pas un capital. Les analyses et les longues chanes des raisons
viennent ensuite, et pourtant ce ne sont pas des volontaristes ou
des activistes, simplement ils choisissent le ct des faibles dans
toutes les situations, et les faibles ne sont pas ncessairement trs
apparents. La dfense des humains doit se faire sur la dernire ligne
possible, celle avec laquelle je peux, comme dirait Kant, faire
concider ma maxime et la porter l'tat de loi universelle mais en un
sens gnrique plutt que formel. C'est un choix intelligible, il est
dj fait en moi sans moi et il vient au-devant de moi, il suffit
d'en drouler par la pratique les effets et consquences. C'est un
nouvel impratif catgorique , mais ce n'est pas un impratif formel
de la raison se posant comme fin en soi, auto-position ou comme Ide
de la libert, mais un impratif matrial ou de-dernire-instance.
L'humain et le soin pour l'humain est un ultimatum non-humaniste
car il ne passe pas motiv par tout le cercle philosophique des
raisons. Si vous posez l'humain non simplement comme un individu
mais comme le rel de-dernire-instance, vous tes probablement oblig
aussi dans le mme geste de poser tous les moyens requis pour sa
dfense et son soin. Les moyens ce sont les noncs et les actes d'une
pratique multiple, sociale, juridique, politique, thorique. La
Dernire Instance n'est pas une potentialisation ou une puissance de
type thologique, mais une force faible qui doit tre dfendue et se
dfendre en inventant ses propres moyens. Et parce qu'il y a quelque
chose qui ne s'argumente pas, comme un quasi axiome, le style n'en
sera justement que plus thorique sinon dductif. Au fond le travail
non-philosophique droule des cortges ordonns de consquences de tous
ordres. C'est vraiment une thorie et un travail de militant
insparablement plutt qu'une pragmatique anglo-saxonne ou qu'une
anthropologie du point de vue empirique.
Franois LaruelleEmanciper la philosophie par la pense
quantique.La non-philosophie a-t-elle besoin d'un manifeste comme
la philosophie en a besoin ? Au moment d'oprer un tournant
technique et scientifique plus rigoureux, de s'essayer une seconde
existence en se faisant science gnrique , y impliquant la pense
quantique, il est utile de rappeler quelques motifs qui ont guid sa
recherche. Ils ont une gnralit, celle du mcontement ou de
l'insatisfaction du philosophe devant la philosophie de son temps.
C'est la partie ngative ou pertes du bilan, de ce point de vue un
gage assur de banalit dont ne se prive aucun philosophe qui fait
oeuvre. Ce genre d'aveu par lequel il assume son corps dfendant la
dficience d'une tradition qu'il n'a pas faite, ne peut tre sauv du
triste sort du topos que par la promesse qu'il contient et la suite
qu'il lui donne, rforme ou rectification, rvolution ou empire,
nouveau principe ou fondation, systme ou vision, position ou
terrain. Les manifestes philosophiques sont en gnral des bilans et
les bilans des oeuvres digraphiques plus ou moins rationnellement
distribues, c'est un genre moderne, le Discours de la mthode
faisant office de paradigme. Moderne , cela implique donc que le
manifeste est par dfinition une auto-justification ou se fonde
lui-mme comme style et contenu thmatique, qu'il exprime
vigoureusement sa suffisance philosophique. Il suffirait d'une
dcision de pense affecte par une altrit absolue, de celles qui
commandent plutt que de celles qui font exception de la vrit, pour
lui retirer sa pertinence. Difficile d'imaginer un manifeste en
bonne et due forme de la dconstruction, en revanche il est naturel
dans une position matrialiste-et-moderne Badiou. Quant la
non-philosophie, l'expos de sa dception n'a de fonction dterminante
que simplement occasionnelle ou matrielle et, dans ces limites, de
ncessit que ngative. Comme tout un chacun nous pratiquons la
litanie de nos dceptions mais elle accompagne un acte rageur de
formulation d'une tout autre origine et porte, et ne le dtermine
pas comme le fait celle d'un manifeste. Trs exactement, la modernit
ne peut rompre avec une histoire dficiente (abatardie,
universitaire, artificielle, intellectuelle, mdiatise, doxique,
sophistique - mondaine) si ce n'est par un acte qui risque de l'y
ressouder de manire spculaire au lieu de l'en d-suturer
radicalement. Cette prface est sans doute une intervention, elle
fait partie intgrante de la chose mme, mais si elle doit y tre
incluse sans dlai, c'est dans les seuls moyens de la lutte proposs
aux humains et seulement dans les moyens, non dans le concept de
ces humains. La science qui a pour objet la philosophie est de part
en part une lutte des sujets contre sa suffisance de forme-monde,
en mme temps qu'une nouvelle validation de cette pense par sa
transformation c'est--dire son mancipation . L'mancipation des
humains contient titre d'effet et non de condition, si ce n'est
occasionnelle, l'mancipation de la philosophie qui n'est jamais la
condition de-dernire-instance de la leur. Distinguer la philosophie
comme Ide r-affirmer du divers des philosophies oublieuses de la
Vrit (Badiou), reprendre le combat de Platon et dans cette mesure
de Nietzsche et de Deleuze, de Heidegger aussi, ce serait de notre
point de vue vouloir sauver une origine et une puret, une Ide.
Vouloir sauver la philosophie ou une Ide est somme toute une
entreprise curieuse. Si elle est vraiment si pure, elle n'aura pas
besoin d'tre sauve ou elle se sauvera toute seule et son sujet avec
elle? Pourquoi une Ide aurait-elle besoin d'avocats et de
rdempteurs ? N'est-ce pas parce qu'elle n'est qu'un instrument
entre des mains aux gestes et aux intentions opposs, un instrument
mal utilis pour des fins peu humaines et d'oppression, des fins
mal-humaines , qu'il est urgent de s'en occuper en fonction des
humains ?
Nous opposons dans la conjoncture au moins deux manires de la
traiter , l'une consiste la mettre sous condition , en restreindre
et macier le concept jusqu' l'Ide par des soustractions asctiques
d'objets (mathmatique et logique) que l'on en spare et traite part
non sans en appeler certains de ses services, mais en l'affirmant
plus que jamais en sa suffisance et sa solitude stellaire. L'autre
la mettre galement sous condition mais dterminante, donc la forcer
participer un dispositif plus complexe, une posture scientifique
qui, comme dterminante en-dernire-instance mais impliquant le
sujet, la prive d'un coup de sa suffisance et d'elle seule, lui
conservant sa matrialit pour d'autres fonctions plus utiles que de
garantir l'ordre tabli dans la pense. Il est alors possible, plutt
que de lui faire subir une cure d'anorexie, de lui demander
d'assumer son histoire, de l'engrosser de ses plus mauvais
devenirs, de son histoire la plus dsolante sans l'en ddouaner par
on ne sait quelle grce d'exception. La priver de sa suffisance, lui
conserver sa matrialit et ses pouvoirs de relais du monde, cela
suppose qu'en elle on distingue trs soigneusement sa partie
opratoire ou sa force ouvrire, c'est--dire son coeur transcendantal
sous diverses organisations anatomiques, et par ailleurs les corps
et langages qui ne sont pas le spcifique de la philosophie mais des
projections ou des parties du monde qu'elle assume, sciences et
divinits diverses. Plutt que de la laisser sa r-affirmation
harassante et harcelante de soi laquelle elle soumet ses sujets de
manire tyrannique, c'est la faire servir une science mais gnrique,
vcue, et de dfense des humains. Qui fait exception ?A cette
question nous n'oserions jamais rpondre que c'est la Vrit. Ce sont
les humains qui font exception l'exception elle-mme, et qui
d'ailleurs sont plus de l'ordre de l'Ultimatum ou de l'Ultimation
que de l'Exception, de la Dernire Instance que de la Saintet.
La science de la philosophie et des savoirs du monde qui
l'impliquent comme leur forme est au point de rencontre de trois ou
quatre objectifs pris entre obsessions et refus, envelopps comme il
se doit de fantasmes. Cette rage qui s'appelle la dfense du genre
humain contre l'entreprise du monde ne pouvait tre contrle que par
l'laboration continue de cette autre entreprise qui avance sous la
raison de non-philosophie . C'est pour partie un tableau de
dolances que nous dressons quant la philosophie, peut-tre une
inconvenance scientifique puisqu'il s'agit de la pathologie d'un
vcu personnel, qu'il rassemble des affects, en ralit aussi dignes
d'intrt que le fameux tonnement ontologique, dont l'envers est la
dception philosophique. Subvertir l'tonnement passablement ahuri
devant le miracle de l'tant, engage le tout du style philosophique
et nullement comme l'habitude le veut une position dtermine,
doctrine ou systme particulier. C'est dire que ce combat est
transcendantal et plus encore, contre le transcendantal. Voici un
bref tableau de ses motivations ngatives et positives.
1. L'tonnement classique du philosophe y a pris les
formes-symptmes suivantes d'une sorte de contre-tonnement, a) le
dgot du ressassement philosophique, d'une certaine strilit de
cercle vicieux, un hermneutisme fondamental dans lequel s'est vite
inscrite la surdose dconstructrice et en gnral critique, b) le
besoin d'une invention, intensification ou multiplication des
dcisions philosophiques au-del des systmes existants, c) le refus
de la pratique universitaire dominante, l'histoire nivelante de la
philosophie et l'activit scolastique d'tiquetage des positions, de
la normalisation des tudes par la lecture et le commentaire sans
pense des textes (hritage scolaire de Hegel et de Heidegger), d) le
refus de l'envers de sa pratique universitaire, sa dcadence
intellectuelle-mdiatique et conversationnelle, sa chute dans une
doxa sans droiture, sa fameuse oblicit s'panouissant au mieux en
transversalit, sa torsion et ses contorsions, sa marchandisation
librale, sa starisation de reine dchue offerte la concupiscence
prostitutionnelle de tous. Tous les philosophes seraient motivs
divers degrs par cette nause, au moins autant que par l'tonnement?
Sans doute, mais ici on persiste, maintenant on insiste, on labore
les moyens d'analyse de ces symptmes. Plutt la stellarisation de la
philosophie que sa starisation, plutt la philosophie populaire que
pepolaire, plutt une discipline dmocratique rigoureuse de la pense
que la stupide soupe du mtissage qui sert de fast-philosophy. D'une
faon gnrale, ni critique par soi de la philosophie ou sa
dconstruction, ni autoritarisme et asctisme par privation et
soustraction, auto-contrle et surveillance de soi. La coupe de la
critique ou du style critique a t remplie satit par Derrida, la
critique a une fonction trop policire en s'aidant de la logique ou
de l'axiomatique classique, trop normative. Une science de la
philosophie est plus franche, directe et matrise la philosophie non
comme une police interne, garde civile ou tribunal critique, mais
en vue d'en faire un meilleur usage pour les humains et non pour
elle-mme. Il faut inventer maintenant avec Deleuze et, au-del,
pratiquer une ouverture dans la philosophie pour la fiction comme
pense. La non-philosophie utilise beaucoup d'lments critiques
fournis par la dconstruction, Heidegger et Deleuze mais sa
destination n'est pas l, il est dans l'invention d'une science
humaine en-dernire-instance de la philosophie, le seul moyen pour
ractiver la cration philosophique, pas pour la tuer, au contraire
il est ncessaire de dtruire l'auto-limitation de la philosophie et
de l'manciper elle-mme. La philosophie a t l'une des formes de
pense les plus auto-surveilles, cela se paie maintenant d'un
dballage et d'un laisser-faire mdiatique qui augmente comme jamais
son chiffre d'affaires. Nombreux sont les philosophes qui ont essay
de dpasser le sicle de la critique, de fermer sa parenthse mais
sans se donner les moyens de sortir des objectifs classiques de ce
type de pense, comme si du coup la seule issue invitable tait
finalement l'abaissement mdiatique et la seule solution le
raidissement de soi.
2. A l'oppos la libre cration dans les penses les plus proches
de la philosophie offre des modles artistiques (musique srielle et
peinture abstraite) et scientifiques (la physique quantique) qui
font d'autant plus regretter un certain conformisme philosophique.
De l le fantasme d'une libre cration de dcisions philosophiques, l'
invention philosophique oppose l'interprtation et au ressassement
des positions , l'art des tiquettes et de la prsentation en
rayons.
3. Un argument apparemment contraire aux prcdents mais dont nous
avons dmontr qu'il faisait corps avec eux, est l'arbitraire de la
dcision philosophique, son auto-fondation circulaire et vicieuse,
sa guerre civile et intestine permanente. De l la ncessit de la
civiliser sans la normer, un refus du rappel incessant l'ordre de
la sagesse, des vertus et de la vrit, de la rationalit, tel qu'il
se fait par le dsordre du volontarisme fondationnel (le coup de ds
philosophique, symbole de la loi d'airain du hasard), tout cela
comme substitut athe et mondain de la divinit, quoi s'opposait -
fantasme ou non, peu importe - une certaine libert rigoureuse de la
recherche scientifique. Surtout pas l'anarchie couronne de la
philosophie, plutt la rigueur dcouronne de la science.
4. Pour comprendre ces insuffisances ou ces symptmes, il fallait
admettre que les philosophies de la science et les pistmologies ne
touchent pas au rel par elles-mmes mais seulement par leur
combinaison avec la science, et sont des illusions d'un nouveau
type lorsqu'elles sont livres leur seule opration. Il fallait les
saisir comme un abus transcendantal de la philosophie sur les
sciences (mais pas seulement sur elles). De l l'intention qui fut
constante non pas de ruiner leur projet mais d'en montrer les
limites et d'analyser leurs symptmes dans une science de la
philosophie qui liminerait son cercle vicieux et refuserait de se
confondre avec des rductions logicistes ou mathmatiques, avec des
combinaisons pistmologiques ou des philosophies comme Idalisme et
Matrialisme. C'tait la recherche d'une science de Laphilosophie
comme Tout imaginaire mais consistant, d'une discipline valant
univoquement de tous les systmes, une sorte de thorie unifie de la
ralit philosophique ou des savoirs comme il y a une science de la
ralit du psychisme qui est la psychanalyse. Science non positive,
d'une universalit qui allait devenir gnrique et non pas
transcendantale. Ce primat de la science, videmment modifi comme
primat et comme science, sur la philosophie, nous assurerait,
esprait-on, de pouvoir inventer des dcisions nouvelles.
5. Une autre forme de ce projet tait la thorie unifie de la
philosophie avec, galit de-dernire-instance, les autres
disciplines. C'tait une volont dmocratique suppose au projet
scientifique, la science comme seul modle probable d'une activit
dmocratique sinon dans les faits du moins dans la thorie. Il
fallait donc instituer la dmocratie dans la sphre de la thorie et
pour cela abattre de toute faon le sentiment de supriorit et de
suffisance de la philosophie, ramener tous les savoirs leur cause
univoque, leur cause de-dernire-instance. Il s'agissait videmment
de la dmocratie dans la pense du sujet comme Etranger et non de
cette dmocratie imaginaire dont parlent les philosophies
politiques. D'une dmocratie gnrique ou d'une galit
en-dernire-instance seulement.
6. Un fantasme pilote , une utopie directrice de ce travail, un
pathos dominant, rassemblait ds le dpart ces objectifs qui
risquaient d'tre contraires, faire de la science, de l'art et de la
politique avec de la philosophie comme matriau. L'identit du projet
thorique, du projet politique et du projet artistique assure par
une dvalorisation globale mais contrle, une blessure chirurgicale
administre la philosophie. C'tait davantage que les fameux
traumatismes qui avaient affect l'homme comme centre du monde, car
cette fois-ci c'tait le monde qui tait mis en cause. De l les
ressources intarissables de la gnose mais abomines de l'Eglise. On
avait ds le dbut identifi la cause de-dernire-instance capable de
cette identit contre les divisions philosophiques sans pouvoir
clairement expliciter sa nature, c'tait l'Homme-en-personne (ou
gnrique), accompagn du sujet-Etranger qui lui convient mais avec
lequel il ne se confond pas. Il ne s'agissait ni de nier la
philosophie par positivisme scientiste ou mme par positivit
sientifique, ni d'admettre sa fin telle que pense philosophiquement
et qui par dfinition est strile et suffisante . Par ailleurs la
confusion tait toujours possible avec l'un de ces mtissages bricols
auxquels la philosophie se prte par vocation, quand ce n'est pas
avec une pop-philosophy de style amricano-libral. Peu nous
importaient d'ailleurs la vie et la mort de la philosophie, ces
thmes ne faisaient pas partie de nos motivations, une science ni ne
fait vivre ni ne fait mourir ses objets, et de toute faon la
philosophie toujours survit en consommant l'un aprs l'autre ses
servants, elle est le modle de la survie de la pense en milieu
hostile. Mais ce sont justement tous ces concepts que nous voulions
changer, la pense, le milieu et l'hostilit.
Tel est, mi anamnse mi reconstruction intellectuelle, l'expos de
nos motifs dans leur improbable cohrence philosophique. Car aucune
de ces motivations n'est purement philosophique, si cela existe,
mais toutes tmoignent d'une insatisfaction l'endroit classique
comme d'ailleurs l'envers contemporain de la pense. Malgr le mlange
de fait des affects, il est invitable qu'une science relve plutt
d'un affect d'insatisfaction et de dception puisque son sujet est
en manque de cette science qui lui est relativement extrieure (rien
d'ailleurs ne distingue sur ce point celui qui la cre et celui qui
la reoit et l'assume), et que la philosophie, presse d'tre heureuse
et qui l'est souvent quitte rassasier son sujet d'apparences. Aussi
la rage non-philosophique est-elle le fruit gnrique d'une dception
certaine et d'une esprance inoue.
L'ensemble de ces objectifs s'est ralis partiellement par
l'invention d'une forme thorique nouvelle, dite tantt de
l'unilatralit ou de la dualit unilatrale, tantt de la dtermination
en-dernire-instance, et par un nouveau concept des instances
capables de l'effectuer, l'Homme comme gnrique et le
sujet-existant-Etranger. Mais il restait trouver le moyen
scientifique principal capable de convertir la rigueur ces
fantasmes, c'est la pense quantique, extraite de la mcanique
quantique, et introduite dans une matrice dite gnrique . L'essence
de la non-philosophie doit tre dite gnrique, justement pas
philosophique ou suffisante. Mais elle tablit un type de corrlation
ou de complmentarit spciale entre la philosophie et la pense
quantique. Ceci sous la forme la plus gnrale suivante, la science
gnrique est la fusion de la science et de la philosophie sous la
science. Sous la forme plus retreinte et spcifie de la manire
suivante par la quantique, la science gnrique est la fusion de la
quantique et du sujet philosophique sous la quantique. On dira que
cette science gnrique est science de la philosophie qu'elle traite
comme son objet, comme matriel de symptmes mais aussi comme apport
hermneutique. Pire peut-tre pour nos coutumires confessions de foi
humanistes ou bien matrialistes, cosmiques ou bien judaques, tous
ces objectifs se nouent finalement, ou se simplifient, dans l'Homme
gnrique comme messianit, une messianit humaine que les philosophes
se refusent rsolument confesser. Que cette quasi physique de la
philosophie s'achve dans l'Homme gnrique mais non dans le sujet
philosophique (ego individuel ou conscience) est surprenant, mais
s'explique par ce trait de la matrice que le quantique y est dans
une double et mme position, la fois un objet ou un moyen positif en
face de la philosophie, et justement une pense comme quantique (de)
soi, formule qui exigera quelques explications.
Nous sommes tous la recherche d'une mthode pour produire du
nouveau, nous sommes condamns l'invention dans la philosophie comme
ailleurs, avec elle, contre elle, par destin pochal ou autre. Il
n'est pas tonnant que le tournant quantique de la non-philosophie
se produise, il y tait attendu et programm mais sans tre ralis.
C'est fait, faut-il alors un manifeste pour ce qui ne fait pas
retour , qui n'en a pas besoin parce qu'il est dj en-venue ? C'est
dire que la mort de la philosophie ne pouvait nous intresser qu'au
titre de la mort du vieil homme et de ses maux. Que sa survie ne
pouvait nous tonner qu'au titre de l'insistance du monde.
Franois LaruelleQuelle science est la non-philosophie ?Tout
philosophe rencontre un jour ou l'autre son Sokal . Que des
scientifiques qui ne comprennent rien l'acte philosophique et sa
nature transcendantale et sa torsion des concepts accusent les
philosophes de dtournement de la science, rien que de tristement
normal. Mais lorsque des philosophes connus pour s'tre frotts
parfois srieusement aux sciences endossent leur tour le diagnostic
d'imposture contre d'autres, acquirent-ils plus de poids pour cela
? ou bien au contraire leur vision philosophique de la rigueur
scientifique ne devient-il pas une arme pour faire passer plus
srement ce qui n'est qu'une philosophie parmi d'autres ? Il y a
longtemps dj que la prtention de la non-philosophie scandalise
vouloir se prsenter comme une science de la philosophie. D'une part
c'est un crime de lse-souverainet, argument secret, peu avou, vraie
raison du fait que les philosophes se disent drouts par ses
affirmations. D'autre part elle ne rpondrait pas ce qu'est une
science, ses exigences minimales, c'est l'argument publique ou de
surface. Une philosophie trange ou paradoxale, c'est simplement
amusant. Mais une fausse science, c'est grave. L'objection vient
l'origine de Deleuze revtant les habits d'un Sokal philosophe
(pourquoi pas une non-science autant qu'une non-philosophie?) puis
de Badiou et de son entourage (impossible de runir les conditions
d'une science partir de l'Un, les axiomes de la non-philosophie
sont de faux axiomes). Deleuze par sa pntration des sciences,
Badiou par une connaissance trs approfondie ont su habiller une
rsistance qui vient de plus loin, mme si en particulier dans le
dernier cas, ils ont rendu assez vraisemblable l'argument. Sa forme
extrme est que la non-philosophie simule la sciencereprenons le
terme de Marx, elle flirte ou fait la coquette avec elle, comme
d'aileurs les scientifiques flirtent sans tre accuss de mauvaises
moeurs avec la philosophie, il est mme de bon ton d'tre vu en
compagnie d'une philosophie. Mais dans l'histoire de la
philosophie, il y a beaucoup de flirts avec les sciences et de
moins en moins de mariages consomms. Dans la non-philosophie,
axiomes, thormes, dduction, exprience, modlisation seraient de
pures apparences.
L'intution axiomatique
Dans la premire non-philosophie, celle que l'on dira cherche ,
avant les nouveaux travaux paratre, cet appareil classique du
srieux scientifique est en effet prsent, revendiqu, entour aussi de
beaucoup (pas toujours) de prcautions et de modalits du fait mme de
son mlange ou de ses rapports de proximit avec la philosophie. A
condition de lire le programme et surtout les attendus de la
non-philosophie.... avec le bon bout de la raison (Rouletabille),
ou de lui donner un bon sens (Leibniz), on aurait d comprendre
qu'il ne s'agissait pas d'un nouveau mlange pistmologique. Mais les
objecteurs philosophes ont pris la non-philosophie au moment de son
invention videmment trop simple et de son mergence inacheve. Or
toutes les donnes de la solution taient dj prsentes mais pas
organises. Dans cette premire non-philosophie la science tait
cherche et prdessine, non pas comme Un mtaphysique ou Un-Tout, mais
comme immanence, ce qui s'crivait Un-en-Un. Les techniques
d'criture suggraient ce nouveau concept du Rel mais il fallait des
pratiques plus solides. L'immanence avait dj reu son contenu propre
mais c'est maintenant avec les moyens de la quantique qu'il est
avr.
Ce que j'appelle la seconde non-philosophie, comme Science
gnrique, encore paratre, est l'essai de remplir concrtement cette
vise de science en prenant pour modle des manires de penser en
usage dans la physique quantique, une discipline particulirement
adapte aux intentions fondamentales d'une non-philosophie par son
caractre en lui-mme hautement philosophique. Il s'agit donc de l'
accomplir en achevant autant qu'il est possible de sparer, de
redistribuer plutt, le nouveau dispositif scientifique dit gnrique
et son objet philosophique. Mais nous n'en sommes pas encore l. On
se contentera de rappeler les prcautions qui entouraient ce motif
scientifique et surtout, ici, le motif axiomatique dans les
premiers ouvrages et la solution qui s'y esquissait dj, celle d'une
transformation de la notion mme d'axiomatique. Elle tait dite alors
encore transcendantale , de l une grande source de confusions.
1. Pourquoi une science ? Le cercle vicieux, essence de la
philosophie et source de sa suffisance, est l'adversaire dbusquer.
Pour sortir de ce cercle ou le repousser le plus loin possible,
deux moyens extrieurs l'un l'autre se prsentaient, a) un moyen
ontologique , la distinction du Rel-Un et de l'tre, de l'immanence
et de la transcendance, de la Dernire Instance et de ce qu'elle
dtermine, b) un moyen thorique, l'axiomatique. Le problme a t
d'emble de les combiner dans une science.
2. Une science d'objet - pas une thorie formelle, une ontologie
formelle ou mme une philosophie (qui n'a pas d'objet sauf celui
qu'elle produit) - rpond cette exigence gnrale qu'une science
possde des axiomes mais ne s'y rduit pas. C'est le cadre que doit
respecter la non-philosophie. Le problme sera donc celui de la
rpartition entre le formel et l'objet et se concentrera dans cette
distribution qui ne peut qu'tre spciale si l'objet se trouve tre la
philosophie c'est--dire une discipline globalement transcendantale
(en de multiples sens et versions). Quelle science pour le
transcendantal, un geste qui chappe de toute faon une science
simplement positive ? Mais la solution dans les premiers ouvrages,
souvent dite son tour globalement transcendantale faute du bon
terme, r-introduit un cercle vicieux contre lequel nous n'avons
cess de nous battre. De toute faon s'il y a recours l'objet
philosophique pour formuler les axiomes, que ce soit effectivement
ou par insuffisance conceptuelle, alors le problme est toujours
celui du cercle et d'une hermneutique limiter.
3. Maintenant comment associer une science selon l'Un (et non
videmment de l'Un sauf s'il s'agit de l'Un mtaphysique et compagnon
de l'Etre), qui ne peut viter une certaine dette hermneutique, et
une axiomatique, qui semblent s'exclure ? L'Etre tolrerait une
axiomatique mathmatique mais pas l'Un, surtout s'il est
transcendantal, pas la Dernire Instance.
Il est vident, du moins dsormais sur la base de la
non-philosophie, qu' nouvel objet nouvelle science, nouvelle
science nouvelle conception de l'axiomatique. Il n'a jamais t
question de rabattre simplement l'axiome logico-formel sur le
rel-Un. Nous soutenons, sur cette base de la science gnrique, qui
est une science particulire par son objet mais qui fonde une
universalit ou des invariances de procdures, qu'il est possible
d'enregistrer certaines conditions de l'objet dans l'axiomatique
adquate tout en gardant la ncessit d'un certain vide des
dterminations de l'objet ncessaire l'axiome et en tmoignant d'une
fidlit dductive et formalisante. On ne comprend rien la
non-philosophie si l'on croit que c'est une nouvelle position
philosophique destine en remplaer d'autres, lutter contre elles et
anime d'une pulsion fondatrice ou mme simplement fondamentale comme
les positions de l'idalisme et du matrialisme. Ni science positive
ni science transcendantale, ce genre d'objectifs ne peut plus tre
le ntre.
L'Un-en-Un est et a toujours t une immanence radicale, M. Henry
en montrait la possibilit, mais elle tait reste nigmatique quoique
en cours de prcision. Ce n'est pas une vidence intellectuelle et
ontologico-aristotlicienne, ni une vidence immdiate (sauf peut-tre
dans Philosophie et Non-philosophie, ouvrage ancien et
malheureusement toujours cit). Encore la formulation de cette
immanence tourne-t-elle sans cesse cette interprtation si on veut
bien lire attentivement, sans compter la critique de l' exprience
transcendantale comme intriorit, de la conscience husserlienne et
mme trs vite de l'ego transcendantal de M. Henry. Par exemple ce
n'est pas un affect, ou alors un affect-sans-affection, mais elle
permet d'interprter l'affectivit. Depuis lors tout un travail
d'criture sur le signifiant pour dire l'immanence a t entrepris
mais dsormais jug insuffisant. Il fallait un modle scientifique
pour relayer la critique et la dconstruction des concepts, ce fut
spontanment l'axiomatique, ce sera plus tard, aujourd'hui, le modle
quantique.
Les invariants gnriques de l'axiomatique
La nouvelle conception gnrique de l'axiome qui s'esquisse dans
la non-philosophie est celle de l'axiome unilationnel ou qui
apporte soit de l'espacement matriel et de la diffrence signifiante
crite par le moyen d'une forme et de rgles logiques, soit un apport
conceptuel mais rduit et hors suffisance . Tout axiome, on le
suggrera, est unilationnel mais la non-philosophie et surtout la
science gnrique obligent remarquer ce phnomne et le spcifier, plus
gnralement dgager les invariants gnriques qui font un axiome
lorsque l'on veut bien ne plus s'obsder du modle logico-formel.
Nous avons droit cette universalisation de l'axiomatique si elle
est rgle, respecte les invariants ncessaires et n'est donc pas un
forage mtaphorique. De l une modification de la notion de la
structure des axiomes ou de leur forme et partiellement de leur
rle.
Un axiome n'est pas une vidence mais une position libre, sans
doute, mais c'est l aussi une doxa trop exclusive tire d'une
pratique logicienne et mathmaticienne calculante. Libert relative
seulement, un axiome est un dispositif plusieurs dimensions, il y a
une teneur, un contenu de matrices ou de formes, un alphabet ou un
stock de signes, et sa libert s'exerce dans cette triple limite. La
confusion de la teneur et du contenu dans la pratique mcanique de
l'criture empche d'apercevoir l'extension de l'axiomatique et les
limites de sa rquisition exclusive dans un cadre scientifique
rigide .
1. La teneur de l'axiome est toujours de l'ordre du vide. On
distingue la teneur, le contenu et l'apport unilationnel d'un
axiome. Mme les axiomes formels ont une teneur, c'est soit le vide
de l'espacement qui transparat travers l'criture ou la matrialit
signifiante, soit comme ici, dans la non-philosophie, l'immanence
comme suspens neutralisant de la transcendance philosophique,
suspens que viendra confirmer la version quantique de la
non-philosophie. Cette teneur d'immanence exclut le vide formel et
le vide ensembliste, remplacs ici par un suspens neutralisant de la
transcendance. Mais on pourrait faire l'hypothse que le vide formel
et le vide ensembliste sont comme une matire d'immanence et de
suspens pour l'axiome et o viendrait se loger et se dissimuler la
possibilit d'un sujet ou du moins d'un vcu.
2. Le contenu est soit celui a priori des matrices d'axiomes ou
des formes rgles dans un cadre logico-mathmatique, soit dans la
non-philosophie la forme galement a priori de la dualit unilatrale
immanente et non plus de la forme logique. Sous cet angle on
parlera d'axiomes unilatraux.
3. Les axiomes ont ou apportent un apport unilationel variable
par l'alphabet, x,y,z, p et q. Cet n'est plus seulement a priori
comme le contenu mais mixte ou occasionnal , la fois immanent au
systme et appartenant un mta-langage. Mais dans la non-philosophie
il est fourni par les grandes lettres des concepts et des textes,
et non par les petites lettres . C'est aussi dans les deux cas un
terrain d'exercice de la libert, ils sont libres dans les limites
de leur teneur, de leur matrice ou forme, enfin dans les limites
d'une criture matrielle-signifiante ou bien
conceptuelle-unilatrale. L'axiomatique est comprise trop simplement
comme librt quasi mtaphysique que l'on oppose l'axiome
transcendantal/immanental qui serait li, lui, au Rel. L'axiomatique
a de svres contraintes d'environnement respecter.
La variabilit que l'axiomatique puise hermneutiquement dans le
contenu unilationnel se rpercute aussi dans la formulation mme de
sa forme, soit du mta-langage dans le langage-objet s'il s'agit de
l'axiome traditionnel, soit du stock occasionnal de concepts dans
la dualit unilatrale qui peut donc se dire de manire variable selon
les vocabulaires de la philosophie, mais toujours dans le respect
pratique et le travail de sa forme-axiome invariante et rgle cette
fois non par les systmes formels mais par la dualit unilatrale.
Par rapport aux axiomes logiques ou mathmatiques qui supposent
un vide matriel indpendant, dont la calcul mcanique fait usage mais
aussi abstraction, il est sr que les axiomes non-philosophiques,
unilationnels au sens paradigmatique troit ou gnrique et qui font
usage d'une immanence radicale, manifestent explicitement ces
invariants que dissimule le calcul. Husserl et la phnomnologie sous
modification non-philosophique ou gnrique sont ici directeurs. Ce
sont en particulier des prestations axiomatiques vcues de la
science comme nouveau sujet gnrique, non de la conscience
transcendantale comme chez Husserl. Vouloir appliquer l'axiomatique
resteinte logiquement la philosophie aurait t une tentative
drisoire, on le savait sans les objections prcipites. En revanche
il est possible maintenant de parler ouvertement d' axiomes vcus et
de thormes humains comme nous le faisions autrefois.
La complmentarit unilatrale de l'axiomatique et de
l'hermneutique
Le dernier point voqu sur la fonction occasionnale et
hermneutique de la philosophie pose le grand problme d'une
axiomatique dite relle sans tre transcendantale ni positive
(logique ou mathmatique), axiomatique de l'Un-en-Un plutt que de
l'Etre. Le pos ou le Rel est indiffrent la position, l'immanence
l'acte de la poserest-ce une sorte de retour du dogmatisme?
Partiellement, l'Un-en-Un est pos mais par un acte lui-mme dtermin
en-dernire-instance par ce qu'il pose, les actes de position sont
des apparences objectives (ou macroscopiques dans une quantique de
la philosophie), il y a du pos-sans-position mais ce pos
dtermine-en-dernire-instance les actes de sa position. C'est le
langage qui exerce la contrainte occasionnale de son ontologie
spontane et qui oblige s'exprimer ainsi. Alors comment rsoudre ce
problme d'une condition hermneutique d'une axiomatique oprante sur
le matriau indocile de la philosophie ?
La solution est de poser d'entre de jeu une Dernire Instance
comme immanence dj subjective ou capturant quelque chose de la
philosophie, du vcu, et donc la rduisant dj. Cela tait-il prdessin
dans les premiers textes ? Pas affirm comme principe de la solution
mais tous les lments y taient, sous la forme d'une immanence dite
encore sans doute tort transcendantale , mais qui tait bien un vcu
abstrait, un vcu-sans-vie, et qui faisait suture spciale,
non-ontologique, du Rel avec le Logos du coup rduit un tat
d'immanence. Cette solution est reste souvent incomprise malgr les
notions de forclusion et d'unilatralit. Maintenant nous concentrons
la possibilit de la non-philosophie ou de la science gnrique de la
philosophie dans la formule de l'unit de la science et du sujet
sous la science. C'est poser l'unilation de l'hermneutique par
l'immanence axiomatique et, de l'autre ct, la relation
unilatralement et non bilatralement ncessaire de l'hermneutique
l'axiomatique. Cette relation asymtrique est, quantiquement, celle
d'une complmentarit unilatrale destine remplacer celle, trop
dialectique, de Bohr.
Les axiomes-flux et la dfense a priori
La non-philosophie reconnatra dsormais que les axiomes passent
par toutes les phases que dcrit la science gnrique, ce qui explique
beaucoup des traits phnomnologiques de l'axiomatique que la logique
et la mathmatique sont trop courtes pour expliquer ou dont elles
donnent une version aplatie et positive. 1. L'axiome merge l'tat de
vecteur mais vcu, de fusion de la science et du sujet, il constitue
de cette manire le fonds immanent dit oraculaire non pas du vide
mais du neutre. On dira que le vecteur sous-vient, plutt que d'tre
un objet ou une diffrence, de l'criture signifiante et spatialise,
c'est un axiome-flux, l'axiome est lui aussi un vecteur plutt
qu'une multiplicit signifiante-langagire. C'en est fini de sa
limitation la conception logique-langagire et/ou onto-logique,
c'est un processus immanental plutt que transcendantal, qui procde
par phases et non par diffrence multiple, 2. Ce vecteur a la forme
interne de la dualit unilatrale. 3. Celle-ci se manifeste par un
tat particulaire ou unifacial, nomatique c'est--dire immanent et
transcendant-en-immanence. C'est le moment o l'axiome sous-vient
comme Etrangerque serait un axiome qui n'introduirait pas une
nouveaut irrductible au savoir donn, qui ne se prsenterait pas de
front ou unifacialement ? Les axiomes ne sont pas tournables ou
contournables, enfin ils ont un aspect de particule de vrit ou de
savoir qui est rest inexpliqu. L'axiome est un coup de force , on
ne peut commencer qu'ainsi pour la pense du moins. C'est une manire
de forcer la pense, pas un forage hyperbolique par l'altrit ou le
forcing mais un forage que l'on appellera par ailleurs galement
messianique .
Toutefois cet aspect offensif de l'axiome doit tre bien compris,
c'est plutt un reste devenu immanent, un souvenir transform de la
manire dont il a t traditionnement compris jusqu' Gdel. C'tait une
arme de conqute de la pense, une manire ruse de capturer du savoir
ou de la vrit, et de la nature d'un coup, le coup axiomatique pour
matriser de l'infini par une procdure finie. Toutefois l'axiome
s'tait dj manifest moins dans le combat que dans la prparation au
combat logique et mathmatique, la mise-en-axiomes tait comme la
prparation de l'exprience de mesure en mcanique quantique. Nous
enregistrons le changement de destination de l'axiome qu'implique
son universalisation gnrique. Son usage ou son caractre offensif
est une apparence objective. S'il est reconnu d'ailleurs de manire
excessive elle aussi comme une manire d'habiller et de toiletter le
savoir, il est pertinent en ralit pour une dfense a priori contre
les errances et les objections, dfense a priori aussi et
particulirement dans la non-philosophie o, sous rserve de sa
transformation, il dfend le caractre gnrique du Rel contre
l'entreprise de la philosophie. Il est temps de secondariser, aprs
son rle ancien de conqute, son rle policier de la priode
intermdiaire maintenant que c'est l'analyse logique qui remplit
cette fonction. Ce n'est pas une arme de combat en gnral, une
police apriori ou souvent a posteriori, mais plutt une dfense a
priori qui concide avec l'mergence de la vrit comme subjective.
Mais malgr son milieu gnrique singulier de naissance, il fait
comprendre qu' cause du rle hermneutique secondaire de la
philosophie, l'axiomatique doit tre relativement dpendante du type
de la science, de l'algbre dans la science gnrique ou bien d'une
ontologie formelle dans la mathmatique ensembliste.
Les oraxiomes
Un dernier pas peut tre esquiss et l'a t depuis longtemps.
L'axiome gnrique est une forme alogique ou plutt non-logique, une
dualit unilatrale mais, nous l'avons dj suggr, celle-ci est vcue ou
son immanence remplie d'une matire pure de vcu. Le vcu des
prestations axiomatiques est videmment sans sujet ni ego, cette
structure est gnrique, ni individuelle ni collective, sans
conscience ni tre. Il y a bien un Rel, un pos-sans-position donc un
non-pos, mais il n'existe pas ou n'est pas quoique efficace et
agissant par son non-agir sur et dans la pense comme philosophie.
L'agir du vecteur vcu est aussi un non-agir mais qui ne peut se
comprendre que comme de-dernire-instance, il y a une strilit de
l'axiome, plutt une neutralit dans la non-philosophie qu'un vide
combinatoire symbolis spatialement ou de manire finitaire. Un
axiome qui est un agir-sans-agir, un vcu-sans-sujet ou sans forme
de sujet, ne peut tre, pour maintenir le rgistre langagier, qu'un
oraxiome , l'axiome rel sans pourquoi ou comme oracle de
l'immanence vcue. Combiner dans un concept-valise l'axiome et
l'oracle apparatra comme la dernire provocation d'une drive qui
touche son terme. Mais l'oracle comme dcision arbitraire de type
philosophique sous dtermination algbrique, donc moins arbitraire de
toute faon que la dcision philosophique elle-mme soumise uneforme
scientifique, est un dernier hommage rendu la dcision
philosophique, Delphes, par une axiomatique qui est notre
conception de la libert de position inventive dans le langage et la
philosophie. Tout le discours de la non-philosophie est un loge non
pas du vide de dterminations philosophiques mais de leur traitement
sous vide, et ce vide lui aussi parle et pense.
Franois LaruellePour un Dernier Evangile ApocrypheDu bout d'un
bton traons un cercle sur le sable d'une plage. Ainsi commence le
philosophe qui se veut mathmaticien. Mais il suffit que la plage
soit grecque pour que le philosophe se retrouve enferm dans le
cercle qu'il a trac sans s'en rendre compte autour de soi. C'est le
miracle de la philosophie, enfermer les mathmatiques pour mieux
s'enfermer en soi-mme. Elle commence comme mathmaticienne et se
retrouve comme magicienne victime de son propre tour. Viviane est
une fe conteuse mais elle enferme Merlin dans une invisible prison
de verre. Pendant longtemps le philosophe n'a cess de tracer des
cercles de plus en plus larges autour de lui jusqu' ne plus les
apercevoir. Cercles toujours nulle part . C'tait l'ge heureux de la
philosophie enchante. L'histoire de la philosophie, lance par
Aristote plein rgime, a t l'effort de se rendre gal au monde, de
rentrer dans le cercle hermneutique (Heidegger), avec le moins
d'incohrence possible (Descartes) et le moins de restes possibles
(Hegel). Des Stociens Deleuze elle est rentre dans le cercle joyeux
de l'Eternel Retour du Mme, l'a assum pour s'y identifier. Entre
Socrate militant du vide ou du non-savoir et Aristote remplissant
le cercle, Platon a tenu le milieu, il a essay de s'chapper mais
vainement du cercle en jumelant philosophie et mathmatique, il ne
savait pas qu'il ne faut jamais coupler une science avec la
philosophie sous peine de ne savoir comment s'en sortir . Il doit y
avoir une autre faon de les associer, une autre alliance...
Nous voici donc au rouet, dans le cercle du monde o nous
prcipitent les philosophes. Mais trop c'est trop, la vritable
rvolution dans la pense abandonne la rvolution de la pense.
Pourquoi vouloir sortir d'un cercle vicieux ? Manque d'air, horreur
du trop plein, ressassement, viande remche (Descartes), amour des
estampes et des cartes qui font rver, passion de l'inconnu au fond
du connu ? ou encore soupon que le monde est le visage le plus
avenant que nous prsente l'Enfer ? et la philosophie son
ambassadrice la plus sduisante et la plus diplomate ? Mais comment
en sortir, voil notre problme, et le comment , ici, excde les
raisons faibles du pourquoi qui restent ngatives et apophatiques.
Dieu a besoin d'une preuve, ni l'Homme ni l'Enfer n'en ont besoin,
l'Homme parce qu'il est l'Inconnu qui rvle l'horreur du trop-connu,
et l'Enfer parce qu'il requiert juste les moyens d'une lutte. Comme
chez certains philosophes l'Infini permet de penser l'exprience du
fini, il y a une actualit de l'Inconnu qui rend dfinitivement
insatisfaisant le monde et ncessaire l'abandon de la nostalgie et
de l' ge d'or qui nous font rpter plutt que crer. C'est sans doute
un dbut d'mancipation que de poser la question de la sortie hors de
la philosophie (Marx) mme si cette position du problme se dtruit
d'elle-mme. Ou, plus efficace peut-tre, de lier la pense au vide,
soit au vide du non-savoir, d'une ignorance de fond (Socrate), soit
la mathmatique de l'ensemble vide comme le ferait un platonisant
(Badiou). Malheureusement le vide matrialiste de l'ensemble reste
sutur la philosophie dans un cercle distendu mais d'autant plus
rsistant. Quant Socrate, il n'est pas sr que l'ignorance qu'il
pratique puisse tre un commencement absolu ou vierge puisqu'il est
entendu que la philosophie la rcupre immdiatement. Mme avec sa
docte ignorance il aurait obtenu son doctorat de philosophie s'il
avait consenti l'envelopper de quelques commentaires, il aurait t
admis dans le cercle des philosophes, au moins comme rptiteur. Demi
solutions, ce qui prtend tuer le cercle philosophique, le liquider
de l'intrieur ou bien de l'extrieur le rend d'autant plus fort.
La non-philosophie est une autre solution. Elle ne sort pas du
cercle, c'est impossible tant donn que celui qui veut en sortir est
le mme que celui qui s'y est enferm. Elle n'y rentre pas davantage,
ce serait vouloir rentrer sans en tre vraiment sorti, par
effraction, en brisant une porte qui reste intrieure. Elle inverse,
au moins apparemment, les donnes du problme et peut donner
l'impression qu'elle fait elle aussi de l'amnagement intrieur. Mais
sa diffrence spcifique est de se tenir au plus proche de la
psychanalyse et de la gnose, sa maxime n'est passavoir que l'on ne
sait pas, maisne pas savoir que l'on sait. Plutt que la docte
ignorance un savoir indocte ou inenseign et qui doit cependant
donner lieu une connaissance comme inconnaissance. Plutt
qu'enseigner (ce) que l'on ne sait pas, apprendre comme
inconnaissant ce que l'on sait dj. S'il y a un savoir indocte, une
gnose, alors nous sommes dj sortis du cercle parce que nous n'y
sommes jamais entrs. Nous sommes, nous n'avons pas, un savoir vrai
mais irrflchi, encore dpourvu de vrit. Alors le problme rebondit et
se formule ainsi, comment sortir du savoir que l'on est et que l'on
ignore vers un autre savoir sans refaire cercle avec lui ? C'est
justement le problme, le pari et le risque de la
non-philosophie.
Je dfinirai donc la gnose comme savoir ignorant (de) soi ou
inenseign plutt que par des traits historiques et individuels.
Ignorant (de) soi ou apocryphe , ce qui veut dire aussi bien tenu
secret que non-reconnu , cela expliquant ceci. L'Eglise a refus le
secret qui libre pour suivre la tradition paenne de
l'asservissement au mystre, elle a dclar le secret douteux et faux,
le condamnant l'enfouissement dans les sables du dsert. Prcisons
quelques invariants. Premirement c'est un savoir que l'homme ne
peut oublier puisqu'il dfinit l'essence des humains et n'est pas un
objet, une ide ou un prdicat qui leur serait attribuable.
Deuximement c'est un savoir secret ou ferm, forclos pour la
reprsentation et sa circularit, oubli de la conscience par
dfinition. Troisimement ce savoir, tout apocryphe qu'il soit, a des
effets sur la reprsentation s'il est enseign comme inenseignable,
il ne se contente pas de lui tre ferm mais opre une transformation
qui a nom salut , la sortie justement hors du cercle du monde.
Finalement si l'Etre est continment oubli, si son oubli tend vers
une limite=0 et s'il est sans cesse enseign par la philosophie, la
gnose est l'Inoublie mais elle n'est pas enseignable positivement,
son oubli absolu est le fait de la philosophie et par consquent son
enseignement, s'il se fait contre la rsistance philosophique, n'est
pas rptition mais transformation de l'apprendre et de l'enseigner
eux-mmes.
On attribue la gnose des origines multiples (grecque, perse,
juive, chrtienne). Il est intressant que le savoir le plus simple
jusqu' tre inoubliable soit harcel de multiples interprtations. Le
plus souvent c'est hellnisation du christianisme ou
christianisation de l'hellnismetoujours des mlanges qui rvlent un
prjug philosophique sur la gnose, le refus de lui accorder la
moindre originalit, juste une marginalit qui sera traite comme
telle, par la rpression. Elle peut ressembler en effet de loin la
rminiscence, qui tait d'ailleurs pour Platon, si je puis dire le
gnostique d'Ancien rgime, dj un essai pour sortir du cercle et fuir
hors du monde. Mais la rminiscence, l'Ide vraie mme mathmatique
n'est pas apocryphe ou tenue secrte au sens fort du terme, elle ne
l'est qu'au sens faible des pythagoriciens et de leur doctrine
mystrieuse. La gnose platonicienne relve d'un mystre poreux qui ne
demande qu' tre rvl des privilgis, pas d'un secret radical ou
chrtien qui n'a pas besoin d'tre rvl parce qu'il est
universellement distribu, ouvert par principe aux seuls humains,
universalit gnrique par consquent. C'est pourquoi l'Ide mathmatique
retombe dans un cercle avec sa recognition philosophique, d'o le
peu de transformation qu'elle implique, la rminiscence est
reconfirmation de la philosophie dont le principe est dj donn, ce
n'est pas sa transformation. C'est bien le salut de l'me mais un
salut philosophique, sans la gnricit chrtienne, et qui se
consommera bien plus tard aprs Platon, chez Nietzsche avec
l'Eternel retour du Mme. Le savoir philosophique, toujours second
et rflchi, s'enroule ainsi autour d'un vide central, soit de
mathmatique soit de non-savoir, il se contente de tordre un peu
plus sa nature circulaire sans venir bout de son tre-flou, labile
ou instable, de son apparence qui dsire tant la consistance. Savoir
mort-vivant, en dsir de survie, qui en appelle dsesprment une
consistance refuse. Au contraire la non-philosophie fait tourner le
savoir philosophique devenu une apparence radicale autour d'un
savoir philosophiquement indterminable mais dterminant. Mais
justement elle ne fait plus rien tourner du tout, c'en est fini de
la rvolution, copernicienne ou autre, elle ne dissmine mme pas le
cercle comme ferait la dconstruction, elle le transforme en le
neutralisant autant qu'elle peut et, pour le reste, ce qu'il reste
du monde, elle le rejette au loin car elle y a reconnu l'Enfer qui
fait la consistance du monde et de la philosophie.
Philosophie et gnose sont donc fondes sur des maximes
apparemment de sens contraires, je sais que je ne sais pas et je ne
sais pas que je sais . Les deux formules directrices ne forment pas
une antithtique rationnelle la kantienne, mme s'il s'agit d'un
malentendu , mais la philosophie a entrin ce rapport comme une
telle antithtique. Admettons que ce soit l une vision simplifie, ce
qui importe est que la pratique de la philosophie au 20 sicle s'est
elle aussi engouffre dans cette antithtique sans la remettre en
question, dans une opposition trop simple entre sa maxime et les
disciplines de l'autre maxime. Sans doute elle l'a raffine, nuance,
mais finalement elle admis ce malentendu, continuant cultiver leur
conditionnement rciproque, sinon leur mtissage du moins leur mlange
virtuel. Elle s'est installe dans ce malentendu d'une simple
inversion, la confirmant par sa bonne volont de tenir compte de la
psychanalyse et parfois de la gnose. Un autre geste serait peut-tre
ncessaire, il faudrait dissoudre d'abord l'apparence de ce
malentendu et de cette opposition, il se pourrait que la gnose ou
la psychanalyse obligent poser tout autrement que par une
opposition voire une contradiction le problme de leurs rapports la
philosophie. Sans chercher oprer de nouveaux mlanges plus subtils,
leur claire distinction de principe permettrait peut-tre
d'envisager un type indit de collaborationsous la forme d'une
dualit non contradictoire, sans davantage de coopration ou de
dialogue.
D'o vient le malentendu de leur opposition ? La philosophie en
sa racine socratique est dlimite par deux noncs, le premier comme
axiome, je sais que je ne sais pas , le second comme injonction,
connais-toi toi-mme , le second se prsentant comme la solution du
premier. Ils fondent, surtout avec l'aide de la seconde formule, le
savoir philosophique comme un savoir qui se prpare de toute vidence
tre vicieux. Savoir que l'on ne sait pas est un savoir rflchi,
destin se dvelopper comme auto-rflexion dans le platonisme, son
objet ft-il le nant de mon savoirle nihilisme est au terme de la
philosophie et le nihilisme est la suffisance du non-savoir. La
solution se prsente dans la forme d'un cercle, celui de la
connaissance de soi, le savoir philosophique, ft-il du non savoir
ou peut-tre cause de cela, revendique sa priorit ou sa suffisance,
il est l'objet d'une dcision initiale arbitraire. Car de quel droit
le philosophesait-il qu'il ne sait pas, cela ne lui a pas t dmontr
par exemple par une discipline plus mme de fixer ce qu'est le
savoir, justement la psychanalyse pourrait lui dmontrer la
suffisance et l'inanit de ce savoir initial ou premier qu'il croit
avoir. Peut-tre d'ailleurs pourrons-nous lui dmontrer pour de
bonnes raisons qu'effectivement son savoir est bien un non-savoir
au sens d'une apparence. Comme cercle vicieux engendr par le
socratisme, la philosophie est par excellence ce qui abrite les
antithtiques, l'apparence de son opposition la gnose et la
psychanalyse.
Quelle est l'conomie logique de la gnose et de sa formule Je ne
sais pas (que je sais) ? Des phnomnes nouveaux apparaissent ici .
1. C'est un axiome, apparemment comme celui de la philosophie,
autrement contradictoire que lui, son inverse, mais encore plus
curieux, comment peut-on ne pas savoir que l'on sait ? Il faut ici
aussi qu'un agent extrieur vienne le dmontrer par le moyen d'un
autre savoir qui sera la philosophie mais reconnue maintenant comme
savoir apparent et requis sous cette forme comme aide. La
possibilit de cette dmonstration, c'est--dire de la validit de la
maxime gnostique, tient dans un oraxiome plutt qu'un simple axiome
mathmatique. Oraxiome est sans doute aussi en termes linguistiques
un mot-valise, mais il procde en superposant de manire idempotente
la forme axiomatique la forme oraculaire, celle qui dit qu'il y a l
un non-savoir et qui le dit sans raisons apparentes contrairement
la philosophie qui, elle, aurait de bonnes raisons de se prsenter
comme savoirun savoir peut toujours revendiquer son statut de
savoir, alors que le non-savoir gnostique ne peut se prsenter que
de manire arbitraire sans raisons apparentes. La formule gnostique
doit imprativement se justifier comme oraxiome, non comme axiome
simple, sinon la philosophie sera la premire porter la main sur
elle. Qu'est-ce alors qu'un oraxiome comme superposition, acte d'
additionner de manire idempotente un oracle un axiome ? C'est
produire un nonc unique qui contient en lui-mme de manire immanente
le suspens de toute opration d'addition arithmtique et la
neutralisation des dterminations transcendantes des termes, comme
si l'axiome devenait immanent et sans pourquoi philosophique ni
d'ailleurs mathmatique. Le caractre oraculaire renforce la nature
de l'axiome en l'immanentisant comme mme et ne se contente pas
seulement de l'enlever la mathmatique. 2. Il est alors vident que
la logique de la superposition idempotente renvoie un tout autre
style que mathmatico-philosophique, celui d'une science dans
laquelle cette opration agit, la physique quantique en
l'occurrence, dont nous ne dirons rien ici sauf que ses principes
sont suffisamment universels pour tre transfrables dans une science
de la philosophie. C'est ce titre et sous cette condition qu'il est
possible de trouver dans la gnose, dbarrass de ses aspects
religieux, une formule donnant prise aux principes de la quantique.
3. Gnose et psychanalyse peuvent apparatre comme inversion du
socratisme (de la philosophie), mais la psychanalyse le fait sans
beaucoup d'explications et plutt brutalement. C'est pourquoi il
faut dtacher la gnose du couple batailleur de la philosophie et de
la psychanalyse. Nous l'introduisons la manire apparente d'un tiers
mais qui, s'il joue le rle d'un juge de paix, le fait de manire non
philosophique, acceptant de prendre sur lui les raisons des
adversaires, d'assumer les deux postures et de rgler leur diffrend
par l'immanence qui supprime leur contradiction sans en venir une
dialectique philosophico-gnostique.
Dans les deux formules, socratique et gnostique, il y a du
savoir et du non-savoir nomms tantt en premier tantt en dernier.
Mais les termes qui occupent ces places et qui semblent permuter ne
sont pas les mmes. Les deux savoirs et les deux non-savoirs portent
les mmes noms, ce qui contribuent au malentendu, mais ce ne sont
pas les mmes termes ou contenus. Il y a chaque fois un savoir, soit
premier soit dernier, mais sont-ils simplement en miroir l'un de
l'autre ? Et chaque fois un non-savoir mais qui ne se rpondent pas
exactement. Le savoir nomm en dernier dans l'oraxiome gnostique ne
correspond pas ce que je sais en premier dans l'axiome
socratico-philosophique, ils ne sont pas en miroir, ne se rpondent
pas symtriquement, c'est un savoir que l'on dira avant-premier ,
non pas le savoir que je dois acqurir en dernier puisque je l'ai dj
ou le suis dj sur un mode qui n'est plus celui de la cause premire
ou dernire. De ce savoir avant-premier, nous devrons donc aussi
admettre que nous n'en aurons pas le savoir ou la connaissance
dfinitive car si la solution est dj donne avec lui qui n'est pas
rflchi, en un sens il n'y en aura pas une deuxime redoublant la
premire. En revanche ce savoir avant-premier permet d'accder mon
non-savoir vritable, de filtrer et critiquer le savoir que je crois
possder sous le nom de philosophie. Psychanalyse et gnose ne sont
pas un mauvais renversement de la philosophie, une philosophie
dvoye et dficiente, son inversion comme celle-ci a tendance les
considrer. Mais un d-placement ou un avant-placement impliquant de
manire immanente l'inversion (l'universion) de la suffisance
philosophique. Le savoir de type gnostique est avant-premier et
dtermine le cercle du savoir comme du non-savoir philosophiques. Le
savoir gnostique n'est pas le symtrique en miroir du philosophique,
il est avant-premier ou dernier mais dernier n'a pas le mme sens
que dans la philosophie, c'est une chose dernire ou un
ultimatum.
Quant au non-savoir initial, nonc en premier dans l'oraxiome, il
n'est pas comme l'objecterait la philosophie un obstacle
l'entreprise de connaissance de soi, celle-ci est donne de toute
faon en-avant-premire ou plus qu'acquise, et sous une forme qui
n'est pas la connaissance de soi rflchie et grecque, transcendante
ou premire . Le non-savoir nonc en premier par la gnose se prsente
comme oraculaire mais sans suffisance contre toute connaissance
rflchie. Autrement dit la gnose est l'authentique critique relle de
la philosophie et de son cercle, la critique philosophique n'tant,
elle, qu'un jeu de miroir idaliste.