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L’Etat stratège face aux enjeux de l’iconomie Claude Rochet Professeur des universités IMPGT CERGAM AMU A paraître dans L’acteur et la bureaucratie au XXIème siècle sous la direction de Prof. David Giauque, Université de Lausanne, Institut d’études politiques et internationales, Suisse Prof. Yves Emery, Université de Lausanne, Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), Suisse Table des matières 1 La maîtrise des règles du jeu commercial du monde par les Etats7Unis au travers de sa législation anti7corruption......................................................................................... 5 1.1 L’extra+territorialité .................................................................................................................................... 6 1.2 Les pénalités ................................................................................................................................................... 7 1.3 Les enseignements du cas Alstom ......................................................................................................... 8 1.4 Un système bien verrouillé ....................................................................................................................... 9 2 La maîtrise des grands chantiers de demain : les villes intelligentes ......................10 1. Pourquoi et comment la ville durable est devenue l’enjeu du développement ....................11 1.2 La Renaissance, quand les villes étaient des écosystèmes durables. ;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;11 1.2 Comment les villes sont devenues inintelligentes ? ;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;11 2.1 La non durabilité est devenue un obstacle au développement ..............................................12 3 Les capacités stratégiques à développer par l’Etat ................................................14 4 Les compétences des acteurs de l’Etat stratège.....................................................18 5 Bibliographie ........................................................................................................20
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L’Etat stratège face aux enjeux de l’iconomie

May 14, 2023

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L’Etat stratège face aux enjeux de l’iconomie Claude Rochet

Professeur des universités

IMPGT CERGAM AMU

A paraître dans

L’acteur et la bureaucratie au XXIème siècle sous la direction de

Prof. David Giauque, Université de Lausanne, Institut d’études politiques et internationales, Suisse Prof. Yves Emery, Université de Lausanne, Institut de hautes études en administration

publique (IDHEAP), Suisse

Table des matières

1! La$maîtrise$des$règles$du$jeu$commercial$du$monde$par$les$Etats7Unis$au$travers$de$sa$législation$anti7corruption.$........................................................................................$5!1.1! L’extra+territorialité!....................................................................................................................................!6!1.2! Les!pénalités!...................................................................................................................................................!7!1.3! Les!enseignements!du!cas!Alstom!.........................................................................................................!8!1.4! Un!système!bien!verrouillé!.......................................................................................................................!9!2! La$maîtrise$des$grands$chantiers$de$demain$:$les$villes$intelligentes$......................$10!1.! Pourquoi!et!comment!la!ville!durable!est!devenue!l’enjeu!du!développement!....................!11!1.2! La&Renaissance,&quand&les&villes&étaient&des&écosystèmes&durables.&;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;&11!1.2! Comment&les&villes&sont&devenues&inintelligentes&?&;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;&11!2.1! La!non!durabilité!est!devenue!un!obstacle!au!développement!..............................................!12!3! Les$capacités$stratégiques$à$développer$par$l’Etat$................................................$14!4! Les$compétences$des$acteurs$de$l’Etat$stratège$.....................................................$18!5! Bibliographie$........................................................................................................$20!

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La définition de l’ « Etat stratège » nous est données par l’histoire : les Etats qui réussissent, par le passé comme aujourd’hui ont une vision du long terme des leviers du développement et savent en actionner les six leviers1 (Rochet, 2014). Nous n’examinerons ici, à travers deux cas, que trois de ces leviers : la compréhension des synergies entre activités économiques, que nous étudierons au travers du cas des « villes intelligentes », les stratégies de puissance au travers du cas de la manipulation de la législation anticorruption par les Etats-Unis, et l’implication sur la convergence nécessaire entre stratégie de l’Etat et réforme de l’Administration. On en infère les compétences requises chez les managers et l’évolution nécessaire de leur formation.

Nous nous situons dans le contexte de la III° révolution industrielle, désormais appelée iconomie (Volle, 2014), soit une économie dont l’informatique, de la numérisation des données à leur gestion par des programmes et des machines, est parvenue à sa plus grande efficacité (Rochet et Volle, 2015). C’est un idéal-type au sens wébérien qui ne sera jamais optimal dans les faits et prendra des configurations diverses selon les pays, les cultures et les contextes. Comme pour les révolutions industrielles précédentes, l’iconomie est un nouveau paradigme techno-économique (Perez, 2004) qui met en cause l’équilibre économique, institutionnel et social des sociétés et leur système de régulation.

Le management public, comme champ de recherche et discipline académique est-il à la hauteur de ces enjeux, et, au-delà, quelles compétences doit-il développer chez les acteurs publics ?

Malgré l’échec de la Nouvelle gestion publique (ou New Public Management, NPM) abondamment documenté dans la littérature (Rochet, 2014) qui a voulu instaurer une « logique de discipline », selon l’heureuse expression d’Alasdair Roberts (2010), le renouvellement de la discipline tarde. Elle reste sous l’emprise de mots-valises - performance, efficience, transparence, imputabilité…. – qui ne transportent plus grand-chose. Alors que le management public est né dans les années de croissance de l’après-guerre et a fait à son origine le lien naturel avec l’économie, la gestion et d’une manière générale les sciences sociales, la mode managérialiste du NPM, excroissance de l’hégémonie du courant néolibéral en économie, a réduit son champ aux organisations, niant qu’il put exister pour les politiques publiques d’autres stratégies que de se soumettre à la « logique de discipline » des marchés.

L’iconomie n’est abordée que par la bande sous l’aspect très superficiel du e-governement, une couche d’Internet sur une administration dont le rôle et la structure restent le plus souvent inchangés.

Or, de quoi s’agit-il pour l’administration publique dans l’iconomie ?

1.! Avant tout de comprendre que l’Administration a un rôle stratégique à jouer dans cette transition. Tant que l’on reste enfermé dans une idéologie qui fait du management public une variable d’ajustement du marché, cela est impossible, puisque l’Etat n’a d’autre stratégie que de « s’adapter » à la mondialisation et une évolution de la technologie considéré comme exogène . La « stratégie de Lisbonne » qui, dans la logorrhée de la Commission européenne devait faire de l’Europe « l'économie de la

1 Ces six leviers sont :

Un Etat qui 1.! A une vision politique de la société 2.! A compris que les sources de la création de richesse résident dans le choix des « bonnes activités » à

rendement croissant 3.! A compris que richesse et puissance étaient intimement liés 4.! A compris le lien entre Administration et stratégie de l’Etat 5.! Promeut les entrepreneurs et combat les rentiers 6.! Tient la finance à bride serrée.

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connaissance la plus performante du monde », est un lamentable échec : procédant d’une logique purement quantitative de l’innovation, ignorant les spécificités nationales et la dynamique des systèmes nationaux d’innovation, ne comprenant pas la dimension immatérielle de la technologie, l’enracinement dans l’histoire et les territoires de la connaissance, elle ne pouvait trouver les leviers endogènes de l’innovation basés sur les systèmes d’apprentissage. De fait le management public s’intéresse fort peu à l’innovation, qu’il s’agisse de l’innovation dans l’administration, des politiques de soutien à l’innovation et encore moins aux synergies entre les deux, et quand il le fait c’est de manière confuse et superficielle (De Vries, Bekkers, Tummers, forthcoming).

2.! L’iconomie est basée sur l’interconnexion d’activités : tout peut se connecter avec à peu près tout, et cela va être d’autant plus vrai avec le développement de l’internet des objets. La conséquence en est l’émergence de systèmes de plus en plus complexes, émergence qui, par nature, tend à échapper à l’intention initiale de leurs concepteurs, pour autant qu’ils aient envisagé ces phénomènes. Les enseignements d’Herbert Simon (2004) n’en sont que plus actuels. De tout temps, l’action humaine a fait émerger des systèmes complexes, mais ce qui change dans l’iconomie c’est l’intensité et l’immédiateté de ces interconnexions et la multiplication de configurations inattendues. Ce que l’histoire nous apprend, c’est que l’effondrement des civilisations et des empires est lié à l’émergence d’une complexité non maîtrisée, comme l’a montré l’anthropologue Joseph Tainter (1988). Le bénéfice de la complexité marginale diminue tandis que les coûts de gestion s’accroissent, avec croissance d’emplois qui détournent l’effort de la production : la société entre alors dans une zone de rendements décroissants qui consomme de plus en plus d’énergie, au sens systémique du terme, soit de l’énergie physique, transports, sociale, politique. La seule solution devient alors de réduire la taille de la société (cas de la dislocation des empires anciens, ou d’une ville comme Detroit aujourd’hui, ou encore des monovilles russes) pour revenir à une architecture pilotable de la complexité.

Cela a plusieurs implications pour l’Etat-stratège :

•! La course au gigantisme, chère, entre autres, à l’Union européenne, conduit à une instabilité causée par l’hétérogénéité interne croissante des systèmes mondiaux : c’est la cohérence des réseaux et non l’accumulation quantitative sous des règles uniformes qui crée la puissance.

•! Les systèmes complexes peuvent être pilotés pour autant que leur architecture ait été pensée de manière arborescente, en suivant les sages enseignements d’Herbert Simon. C’est là une stratégie pour tout pays voulant se construire une position dominante. Dès la fin du XVIII° siècle les pays actuellement industrialisés, Angleterre surtout, puis Etats-Unis, ont compris l’intérêt du soft power, ou la préférence pour la domination par les idées et la culture comme stratégie de puissance, plutôt que militaire, qui organise le monde selon les intérêts des dominants, notamment par le droit. On peut être dominé soit par conquête militaire, soit en « recevant » le droit « donné » par le dominant (receiving and giving laws, in Reinert S., 2011-2).

Nous illustrerons ce propos par deux études de cas :

•! La stratégie de maîtrise des règles du jeu commercial du monde par les Etats-Unis au travers de leur législation anti-corruption.

•! Les enjeux émergents de la conception des villes intelligentes ;

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1! La maîtrise des règles du jeu commercial du monde par les Etats-Unis au travers de sa législation anti-corruption.

La corruption, du point de vue économique, favorise la rente et contrarie l’innovation. Du point de vue politique, la pratique de la corruption par les entreprises américaines apparait contraire aux valeurs de la démocratie que la politique étrangère des Etats-Unis entend promouvoir 2 , surtout depuis la chute du Mur. Enfin, cela s’inscrit dans la « destinée manifeste » des Etats-Unis de réguler l’économie de la Terre3.

Initialement, l’intention du Foreign Corrupt Practices Act de 1977 était de réprimer la pratique de la corruption par les entreprises américaines sur les marchés étrangers : le FCPA incrimine tout acte ou tentative de corruption d’un agent public étranger de la part de citoyens ou d’entreprises, quelle que soit leur nationalité, en vue d’obtenir des marchés. La Security Exchange Commission (SEC) a compétence sur les sociétés cotées et devant lui soumettre leurs comptes et le Department of Justice (DoJ) a compétence générale sur tous les acteurs.

Peu appliqué entre 1978 et 2000 (3 affaires par an), le FCPA accroit son activité après 2000 sous la double influence de la mise en œuvre de la Convention de l’OCDE (1998)4, l’adoption de l’UK Bribery Act (2010) et de la sophistication des moyens d’investigation liés au développement de l’iconomie qui permet d’intercepter toute communication par des moyens électroniques – tels que dévoilés par Edouard Snowden - pour atteindre une centaine d’affaires par an aujourd’hui. En 1998, un amendement rend le FCPA d’application extraterritoriale.

Est justiciable du FCPA tout acte commis avec des « instruments de commerce international », téléphone, mail, virements bancaires …. Le versement de dollars US à un agent public chinois par une entreprise française suffit : la devise étant américaine, l’acte est réputé avoir eu lieu sur le sol américain. Un simple email « transitant par un serveur situé aux Etats-Unis » suffit pour incriminer une société qui n’aurait pas eu de relations physiques avec le territoire américain. Ainsi, un paiement d’un homme d’affaire indonésien à un fonctionnaire indonésien est tombé sous le coup du FCPA, ayant été autorisé avec un téléphone utilisant une puce d’un opérateur américain.

Le dispositif est d’autant plus efficace que c’est à l’accusé d’apporter la preuve de son innocence (Affirmative Defense). Toute entreprise est considérée responsable de ses employés, quel que soit leur rang, et de ses partenaires, qu’ils agissent ou non en accord avec la firme et ses règles. Il suffit au FCPA d’avoir la connaissance d’une forte probabilité d’une fraude pour qu’une enquête soit déclenchée. Les entreprises sont souvent désarmées face à la pratique du discovery consistant à demander des éléments de preuve que l'on ne connaît pas à l'avance et notamment de la e-discovery qui offre la possibilité de saisir tous les échange par e-mails. Ces

2 “The image of American democracy abroad has been tarnished. Confidence in the financial integrity of our corporations has been impaired. The efficient functioning of our capital markets has been hampered.” Intervention au Sénat No. 95-114, 3–4 (1977). 3 Il peut être défini ainsi : « Le destin, le rôle que Dieu aurait manifestement confié à l’Amérique de développer les valeurs de liberté, de justice et de progrès, de les étendre le plus possible et de les défendre contre toute tyrannie » (Yves Lacoste, « Les Etats-Unis et le reste du monde », in Hérodote, p.5). 4 Convention de l’OCDE (1998), Art. 1 : « Chaque Partie prend les mesures nécessaires pour que constitue une infraction pénale en vertu de sa loi le fait intentionnel, pour toute personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international. »

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enquêtes d'un nouveau type sont redoutables en raison des sanctions radicales auxquelles l'entreprise s'expose en cas de refus de discovery.

Le DoJ et la SEC peuvent lancer des poursuites au pénal et au civil. En 2010, les sociétés Technip, General Electric et Daimler étaient respectivement condamnées à des amendes record de 338 et 185 millions de dollars. Deux ans auparavant, Siemens écopait d’une amende de 800 millions de dollars pour actes de corruption en Argentine, au Bangladesh, au Venezuela et en Irak. La création d’une division d’investigation des actes de corruption au sein du FBI, ainsi que des vagues de recrutement ad hoc au sein du DoJ et de la SEC a créé une véritable force de frappe à laquelle, en l’état actuel des choses, il est impossible d’échapper. Compte tenu de l’importance des sanctions, la plupart des firmes préfèrent un accord avec le Procureur du DoJ plutôt que d’aller au procès avec ses risques. Ces accords avec l’exécutif échappent au regard du juge et accroissent le pouvoir d’interprétation du DoJ qui accroît le champ d’application du FCPA.

Le FCPA est également devenu un outil d’intelligence économique qui soutient une stratégie d’influence des Etats-Unis, d’une part en infligeant des amendes plus fortes aux entreprises étrangères qu’aux entreprises américaines (Sivachenko, 2013) et d’autre part en imposant des normes de compliance, mises en œuvre par des « moniteurs », imposés par l’exécutif américain et payés par l’entreprise, qui renforcent leurs capacités à définir les règles du jeu mondial.

Elle est en elle-même liée à une conception du fonctionnement de l’économie capitaliste et du rôle de la politique étrangère des Etats-Unis pour en définir les standards. Alors que les XIX° et le XX° siècle ont été dominés par les lois anti-trust (depuis le Sherman Act de 1890), les années d’après la chute du communisme ont été consacrées à la propagation de libre-concurrence, la lutte contre la corruption est le nouveau levier de puissance dans l’iconomie.

1.1! L’extra7territorialité$La justification initiale de l’extension extraterritoriale de la loi FCPA en 1998 était de remédier au désavantage créé pour les entreprises américaines qui payaient les amendes alors que les entreprises étrangères pouvaient continuer à se livrer à des pratiques prohibées. Aujourd’hui, même en l’absence de conséquences dommageables pour une entreprise américaine, le FCPA s’applique à toute entreprise et personne dans le monde à partir d’une connexion aussi tenue avec le territoire américain qu’un email ou une communication téléphonique, selon la formule rituelle « passed through, was stored on, and transmitted to servers located in the United States ». Le simple fait de poursuivre la mise en œuvre (furtherance) d’une opération de corruption qui n’aurait aucun rapport avec le territoire physique des Etats-Unis ni avec une entreprise américaine, mais qui aurait utilisé un moyen de communication passant par le territoire américain est justiciable du FCPA. L’extension extraterritoriale du FCPA va de pair avec la sévérité des amendes et le flou dans les motifs d’incrimination qui restent à la discrétion du Procureur du DoJ. De plus en plus, ce dispositif est considéré comme un soutien du DoJ et de la SEC aux entreprises américaines5, qui, de fait, sont moins frappées que les entreprises étrangères.

Cette approche a été qualifiée « d’impérialisme moral » (Duncan, 2000) puisqu’il se fonde sur une conception morale occidentale, en fait protestante anglo-saxonne, qui entre en conflit avec les pratiques des pays émergents d’Asie – notamment l’Indonésie qui est le pays générateur de plusieurs dossiers FCPA– où la pratique des cadeaux fait partie des usages. Ajoutons le rôle d’ONG comme Transparency International qui publie chaque année un index de 5 Charles F. Smith & Brittany D. Parling, “‘American Imperialism’: A Practitioner’s Experience with Extraterritorial Enforcement of the FCPA,” UNIV. OF CHICAGO LEGAL FORUM 237, at 239 (2012); 15 U.S.C. §§78dd-1, 78dd-3. (“Aggressive enforcement has, at times, led foreign companies and citizens to view the US regulators not as policemen but as biased referees who are trying to punish foreign companies in order to help their US competitors.”) at 254.

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la corruption et qui entend contribuer à la définition des critères de compliance des lois anti-corruption.

1.2! Les$pénalités$En 2014, le montant des pénalités payées au Trésor américain s’est élevé à 1,566 milliard US$ (dont 772 pour Alstom), contre 731 millions en 2013, avec un pic en 2010 avec le dossier Siemens. Le nombre d’affaires a diminué mais le montant moyen des amendes a progressé, ainsi que les incriminations de personnes physiques. La part des entreprises étrangères a également augmenté (6 sur les 10 premières). En charge fiscale consolidée, les sociétés étrangères mises en cause au titre du FCPA payent en moyenne 114,4 millions d’impôts tandis que les firmes US mises en cause au même titre payent 26,1 millions USD. En ce qui concerne les firmes françaises, elles auront payé, en incluant le dispositif voisin de l’OFAC6, 11,5 milliards de dollars au Trésor américain (soit plus que l’impôt sur les sociétés qu’elles ont versé en France) :

La mise en œuvre des procédures de compliance implique fréquemment la rémunération d’un cabinet d’avocats américain. Son coût oscille entre deux et vingt millions de dollars, ce qui accroit considérablement les frais de structure et les coûts de transaction des firmes, plus les coûts indirects liés à la dégradation de la réputation. Siemens a dépensé 1 milliard de dollars en compliance interne. Le retour sur investissement de ces frais est loin d’être évident : Siemens n’a bénéficié que d’une remise sur son amende très inférieure au coût investi. Siemens emploie 500 personnes à temps plein pour mettre en œuvre les procédures de compliance et a dépensé 1,5 million d’heures facturées de consultation d’avocats et d’experts comptables (Sivachenko, ,2013).

Au-delà de ces coûts, le FCPA est une arme d’intelligence économique :

-! La présence d’un moniteur, imposé par l’accord avec le DoJ, se matérialise par l’implantation d’un cabinet d’avocats américain payé par la firme, au pouvoir d’investigation discrétionnaire, qui a, d’après son statut, l’obligation de révéler toute information susceptible d’intéresser la procédure. De même, de plus en plus, le DoJ demande à agréer les directeurs juridiques et certains hauts cadres.

-! Le rapport de la Délégation parlementaire française au renseignement de décembre 20147 a pointé l’utilisation du dispositif FCPA pour capter des informations sensibles dans les entreprises, soit directement par la procédure discovery, soit indirectement par l’implantation de la compliance (Sivachenko, 2013).

-! Dans l’affaire Alstom, GE a reconnu en février 2015 (après la conclusion de la vente d’Alstom à GE) avoir participé aux discussions déterminant le montant de l’amende de

6 Office of Foreign Assets Control (OFAC) : Réprime les actes de commerce internationaux effectués par des firmes de toute nationalité avec des pays qui sont sous embargo par le gouvernement américain. 7 Rapport de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014, Assemblée nationale, 18 décembre 2014

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773 millions8. Avec Alstom, c’est la sixième entreprise que GE rachète en s’appuyant sur le dispositif FCPA.

1.3! Les$enseignements$du$cas$Alstom$Richard L. Cassin, rédacteur en chef du FCPA blog – qui fait autorité en la matière - dresse six raisons pour lesquelles les firmes étrangères, Alstom en tête, figurent dans le top ten des condamnations9:

1)! Alstom, comme les autres firmes, n’avait pas de dispositif effectif de lutte contre la corruption. Soit ces firmes n’avaient aucun dispositif, soit elles avaient l’apparence d’un dispositif. Le magistrat Antoine Garapon (2013) souligne que trop souvent dans les entreprises françaises ces dispositifs sont des déclarations d’intentions. Ce que le DoJ a reproché à Alstom c’est de ne pas avoir testé ces dispositifs et d’être incapable de les faire évoluer au fil des cas rencontrés. Le principe de la compliance lie la conformité dans les principes et l’effectivité dans la mise en œuvre. La première sans la seconde est sans intérêt.

2)! Alstom a tardé à coopérer avec les autorités fédérales, qu’il a prises de haut. Alstom n’a commencé à coopérer qu’une fois que le DoJ a mis en cause et emprisonné des hauts cadres10. La compliance inclut l’idée de se mettre en conformité spontanément, et donc de coopérer avec les autorités. Il y a là une différence de culture juridique entre le droit français et le droit américain : le droit français ignore la transaction. En France, écrit A. Garapon, « on ne négocie pas avec le pouvoir, on s’y soustrait ». Siemens a coopéré plus tôt et, dans une certaine mesure, évité une aggravation des sanctions. Alstom et Alcoa ont été des dossiers de même importance pour le DoJ encourant une échelle des peines entre 446 et 892 millions US$ pour Alcoa et entre 523 et 1065 pour Alstom. A l’inverse de cette dernière, Alcoa a collaboré très tôt et s’en tire avec une amende réduite à 384 millions US$ contre le double pour Alstom, et en plus l’arrestation de hauts cadres emprisonnés aux Etats-Unis.

3)! La corruption était un mode normal de gestion des affaires chez Alstom, ce qui n’a pas manqué de contrarier le DoJ ainsi que les concurrents d’Alstom qui ont multiplié les whistleblowers. Ces pratiques, détaillées dans le plaider coupable d’Alstom11, s’exerçaient sans aucune retenue et de manière ostentatoire et remontent aux années 1990. Alstom a déjà été condamné par la Banque Mondiale en 2012 et s’est vue imposée un monitoring, dont le DoJ reprend la succession. Beaucoup d’autres procédures indépendantes de celle du DoJ ont été intentées dans d’autres pays pour ces mêmes pratiques de corruption.

4)! Alstom et les autres firmes ont eu tort de prendre les autorités fédérales de haut, alors qu’une coopération aurait permis d’amoindrir les sanctions. La conception française est que le pouvoir politique va arranger les choses et qu’en allant à la confrontation on pourra parvenir à un accord plus favorable : c’est le contraire qui s’est produit.

5)! Alstom et les autres firmes non-américaines du top ten n’ont pas été difficiles à incriminer : elles ne prenaient aucunes précautions et laissaient de nombreuses traces :

8 Wall Street Journal, Feb 4 2015 « GE Reviewed Alstom Bribe Settlement Documents » 9 « From Alstom: six reasons why non-u.s. companies dominate the FCPA top ten list « By Richard L. Cassin | Monday, January 5, 2015 at 10:38AM See more at: http://www.fcpablog.com/blog/2015/1/5/from-alstom-six-reasons-why-non-us-companies-dominate-the-fc.html#sthash.5zGw3oXX.dpuf 10 United States of America vs. Alstom S.A, Plea agreement, 22/12/2014, p. 14. 11 United States of America vs. Alstom S.A, Plea agreement, 22/12/2014.

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emails, reçus de voyages, comptes rendus de réunion …. Tous documents très faciles à intercepter et à stocker, à la merci du premier whistleblower venu !

6)! La probabilité qu’une firme soit prise dans les rets du DoJ est d’autant plus élevée que le haut management est complaisant avec les pratiques frauduleuses. L’archétype a été l’affaire Siemens ou le haut management avait mis en place un véritable système. Son ancien président, Henrich Von Piper, après la condamnation de Siemens, a du rembourser 6,5 millions de dollars à la firme dans un procédure qu’elle lui avait intentée pour sa responsabilité dans ces montages12.

1.4! Un$système$bien$verrouillé Dans l’état actuel du dispositif et de la pratique du DoJ, il est illusoire pour les entreprises de tenter d’y échapper :

•! Il s’appuie sur la capacité d’écoute et de traitement de l’information de la NSA qui déchiffre toutes les communications téléphoniques, scannent tous les courriers électroniques et les transactions interbancaires. Officiellement, les agences américaines n’ont pas le droit de partager leurs données : dans la réalité DoJ, NSA et FBI mettent commun leurs données pour monter les dossiers13.

•! Il actionne un puissant système de soutien aux whistelblowers qui sont rémunérés avec un pourcentage important de l’amende et bénéficient d’un statut protégé. Une industrie de cabinets d’avocats s’est créée autour du lancement d’alerte qui aide les whistelblowers à mettre en forme leurs informations et mener à bien leur dénonciation devant le DoJ, moyennant une commission sur la commission qu’ils recevront.

•! Il dispose d’enquêteurs spécialisés du FBI qui bénéficient de moyens importants et inusités chez nous (comme le droit d’inciter à la commission du délit), s’introduisent incognito dans les firmes, enregistrent des conversations qui pourront ensuite être produites à charge.

•! Il bénéficie de l’avantage de marché des Etats-Unis qui sont en capacité de définir la loi et de la faire appliquer sur une base extraterritoriale.

•! La force de frappe du dispositif s’accroit avec la montée en puissance du dispositif anglais de l’UK Bribery Act qui travaille en coopération avec le DoJ, et avec l’encaissement des amendes par le Trésor américain qui vient renforcer la capacité d’enquête du dispositif.

•! Il définit des standards de peine très élevés, ce qui permet d’échapper à l’application de la convention de l’OCDE art. 2. Dès lors que les juridictions nationales ne condamnent pas suffisamment la corruption au regard des standards américains cela écarte l’application du principe général du droit Non bis per idem14

12 Une procédure semblable existe en droit français : l’action ut singuli qui permet à des actionnaires de rechercher la responsabilité des dirigeants dans l’exercice de leur mandat. 13 "FBI Establishes International Corruption Squads Targeting Foreign Bribery, Kleptocracy Crimes » http://www.fbi.gov/news/stories/2015/march/fbiestablishesinternationalcorruptionsquads&14 Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. Ce principe est intégré à la convention de l’OCDE art 4-3 « Lorsque plusieurs Parties ont compétence à l’égard d’une infraction présumée visée dans la présente Convention, les Parties concernées se concertent, à la demande de l’une d’entre elles, afin de décider quelle est celle qui est la mieux à même d’exercer les poursuites. ». Les parties peuvent convenir de l’Etat qui assurera les poursuites, mais pour autant que des peines de sévérité égale s’appliquent afin de garantir l’applicabilité de la règle Non bis per idem.

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qui permettrait aux Etats d’encaisser le produit des amendes au lieu de financer le Trésor américain.

•! Enfin, ce système efficace est aussi efficient puisqu’il fait plus que s’autofinancer par le produit des amendes, devenu un impôt mondial, en numéraire et en procédures, qui pèse principalement sur les entreprises non-américaines.

Un précédent « d’impérialisme moral »: la loi d’interdiction du commerce des esclaves de 1807 Dans l’histoire du développement des pays dominants, le soft power s’est toujours avéré une stratégie plus rentable que l’intervention armée. Ce que nous appelons aujourd’hui en intelligence économique une « stratégie d’influence » qui vise à rendre dominantes les idées qui assurent votre domination. La manipulation de prétexte moraux présente évidemment un avantage puisque ce prétexte est par avance légitime (il faut effectivement aujourd’hui, combattre la corruption, qui dans l’iconomie, a pris des formes sophistiquées). L’application intelligente de cette stratégie d’impérialisme moral peut être rendue parfaitement compatible avec une stratégie de puissance et d’expansion économique.

En 1807 l’Angleterre, suivie par les Etats-Unis, prohibe le commerce des esclaves (mais non l’esclavage qui ne sera aboli qu’en 1838). Elle crée une escouade de l’Atlantique chargée d’intercepter les navires négriers entre l’Afrique et l’Amérique. Initialement, cela ne concerne que les navires anglais, mais au nom du principe « le pavillon n’est pas la nationalité » elle s’octroie un droit de visite sur tous les navires suspects, compte tenu de la suprématie de la marine britannique. Les capitaines de vaisseau sont punis d’une amende de 100 livres par esclave à bord, mais la loi est étendue à la simple découverte d’équipements laissant préjuger de l’activité de commerce d’esclaves. Appliquant le droit de haute mer de lutte contre la piraterie, elle confisquera ainsi 1600 navires, souvent revendus à leurs propriétaires qui reprendront le commerce illégal des esclaves qui ne s’arrêtera pas. Cela constitua un revenu important pour la Couronne et pour les équipages, rémunérés sur la base de leurs prises. L’Angleterre imposera aux autres Etats riverains des traités réprimant le commerce des esclaves et de facto, par la pratique du « droit de visite » et de la suspicion de commerce négrier, s’octroya un droit de contrôle sur tous les navires marchands non britanniques. En prohibant la traite, l’Angleterre s’était créé un désavantage concurrentiel, qu’elle a compensé par une application extraterritoriale de sa loi qui a renforcé sa suprématie maritime.

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2! La maîtrise des grands chantiers de demain : les villes intelligentes

La conception de villes intelligentes représente un triple enjeu: Faire face à l’urbanisation des pays émergents qui ne pourra se faire sur le mode du développement urbain de l’Occident aux XIX° et XX° siècle, trouver ses solutions au gaspillage énergétique et à la pollution, et saisir les opportunités des nouvelles technologies numériques dont la maîtrise suppose un important effort d’innovation. Le marché mondial est estimé à 350 000 milliards de dollars US à modèle urbain constant, auxquels s’ajoutent 22 000 milliards de dollars de technologies numériques dites « intelligentes ».

Cela représente une rupture dans la conception d’une ville. Les émergents sont intéressés par la conception de villes globales, comme systèmes de vie intégrant le travail, l’habitat, la vie sociale et civique. Or les pays industrialisés ont des offres industrielles qui concernent les sous-systèmes urbains (transport, énergie, eau, habitat, infrastructure, environnement, ….) et ne sont pas encore à même de développer une offre globale qui ne pourrait se contenter d’être l’addition de ces sous-systèmes.

Une ville est plus qu’une somme de bâtiments, plus qu’un agrégat de technologies fussent-elles les plus avancées. C’est un écosystème complexe dont les règles de conception nous

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échappent encore, ce qu’ont bien compris les émergents, notamment la Chine, qui mettent l’accent sur ce travail d’intégration et de modélisation de la ville comme système de vie. Qui maîtrisera la systémique de la ville maîtrisera de facto les technologies sous-jacentes, définira les appels d’offres et les cahiers des charges, définira les normes dans ce champ encore en friche malgré l’abondance du discours.

Il y a là des enjeux stratégiques qui ne peuvent se contenter de « mettre du rouge à lèvre à un bull-dog » pour reprendre l’expression de Rosabeth Moss-Kanter, car la ville durable s’inscrit à la confluence d’un double mouvement : le mouvement à long terme d’industrialisation et d’urbanisation commencé avec la II° révolution industrielle qui touche aujourd’hui l’ensemble des pays émergents avec une croissance considérable du taux de population urbaine, et celui de l’iconomie où les technologies numériques devenus technologies génériques permettent de repenser radicalement la conception et la gestion des villes.

1.! Pourquoi$ et$ comment$ la$ ville$ durable$ est$ devenue$ l’enjeu$ du$développement$

Pour l’économie standard (l’économie néoclassique) et son prolongement dans la gestion publique (le New Public Management), le territoire est une valeur neutre. Il est au mieux un facteur d’attractivité en fonction d’attributs quantitatifs (les infrastructures, les coûts salariaux...) mais fondamentalement tous les territoires, comme toutes les activités économiques, se valent : la ville n’est qu’un artefact matériel dont la performance obéit à des règles standard d’insertion dans l’économie mondialisée (Ardinat, 2013). C’est là l’oubli que la ville est historiquement le cœur de la création de richesse, s’inscrit dans une histoire, une culture et une philosophie des institutions.

1.2!La$Renaissance,$quand$les$villes$étaient$des$écosystèmes$durables.$Historiquement, la ville a été identifiée par les premiers analystes de l’économie comme le lieu où se créent les synergies entre activités à rendement croissant. La fresque d’Ambroggio Lorenzetti « les effets du bon gouvernement » (1338) à l’Hôtel de ville de Sienne établit une corrélation entre la prospérité des activités économiques et le régime politique, la démocratie directe républicaine illustrée par la rotation au pouvoir des neufs sages pour assurer le pouvoir du grand nombre des petits contre le petit nombre des grands. Bien commun, bien individuel et prospérité économique forment les éléments d’un système cohérent (Rochet 2010).

Le Napolitain Serra (1613) compare ainsi Venise, ville sans terre ferme agricole, et Naples, qui en abonde. Venise a été une ville durable grâce à la synergie entre ses activités industrielles (notamment la construction navale), ses activités marchandes et sa puissance militaire. Elle commence à péricliter avec le déplacement de la polarité du monde développé de la Méditerranée vers l’Atlantique. A l’opposé, Naples, vice-royauté de la Couronne d’Espagne, dotée d’une grande richesse agricole et du numéraire venu du Nouveau-monde, n’a pas été capable de penser son développement et de sortir du féodalisme (Reinert, 2011).

Dans ces conceptions issues de la Renaissance, la ville est un écosystème stable basé sur la cohérence politique et les synergies entre activités économiques inscrites dans l’espace. La pensée politique et la dynamique des institutions émergent de la dynamique de la ville et de son lien avec le développement économique par la recherche des rendements croissants (Reinert, 2011).

1.2!Comment$les$villes$sont$devenues$inintelligentes$?$Avec la seconde révolution industrielle, la croissance de la ville devient guidée principalement par la recherche de rendements d’échelles, aux dépens des solidarités sociales et de la vie civique.

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Le point critique dans la dynamique de ce système est la frontière entre la ville et ses périphéries. Par définition, un système est différencié de son environnement par une frontière qui définit ce qui est « dedans » et modélisable dans le cas d’un système conservatif, et ce qui est « dehors » qui est constitué de paramètres exogènes dont le nombre et la variabilité définissent la turbulence de l’environnement (Krob, 2009). Cette frontière caractérise l’écosystème urbain en ce qu’il est cohérent et stable, créant des richesses par des activités internes et n’important que ce qu’il est pertinent d’importer. D’autre part, l’extension de la ville est matériellement inscrite dans un espace géographique. Avant la seconde révolution industrielle et le développement des télécommunications, la distance structurait la ville et sa périphérie, et sa mesure était la vitesse de propagation de l’information – un homme à cheval, en bateau puis en chemin de fer. La II° révolution industrielle permet un première « mort de la distance » qui n’est plus l’élément structurant de ces écosystèmes territoriaux. La conséquence en a été la croissance urbaine en « taches d’huile » avec celle de la consommation d’énergie et le développement d’une urbanisation dysfonctionnelle dénoncée par Jane Jacobs (1984), entre les fonctions d’habitation, de travail, d’administration.

Les « mathématiques de la ville », développées sous l’impulsion de Geoffrey West et de Luis Bettencourt (2007) au Santa Fe Institute, permettent de comprendre ce phénomène : elles démontrent l’existence d’une relation statistique sub-linéaire entre la taille de la ville et le coût de ses infrastructures qui n’augmente que de 0,75 quand la ville croît de 1, et d’une relation supra-linéaire entre cette taille et les activités de 1 à 1,15 : cela concerne toutes les activités, la richesse, l’instruction mais aussi le crime, la drogue et la pollution. West montre qu’une ville peut croître à l’infini, ainsi que ses externalités négatives et positives, à la différence d’une entreprise qui ne pourra maintenir une cohérence interne au-delà d’une certaine taille et qui verra sa productivité par travailleur décroître avec leur nombre.

Jane Jacobs insistait sur la nécessaire dimension « village » à conserver dans une ville pour y permettre des interactions créatrices entre les habitants et leurs activités et faire fructifier le capital social. Pour Jacobs, la richesse n’est pas produite par l’accumulation d’actifs urbains (comme les grandes opérations de rénovation urbaine) mais par la capacité des habitants à s’engager dans la production de ces actifs et celle du système urbain à s’adapter aux changements des circonstances. L’erreur de la politique urbaine, souligne-t-elle, a été de rationaliser la ville et de la spécialiser sur quelques fonctions en important les autres, alors que la richesse est créée par l’interaction entre l’ensemble des activités urbaines, considérées en elles-mêmes comme non rentables, et de prôner la substitution aux importations extérieur/ville par des activités urbaines diversifiées.

La « mort de la distance » fait que la frontière de la ville peut s’étendre au monde entier15. La ville proprement dite va se concentrer sur les activités à haute valeur ajoutée et propres, tandis que les activités polluantes et à conditions de travail dégradées seront rejetées dans lointaines périphéries délocalisées. Ainsi, même si une ville peut paraitre « verte » dans son périmètre administratif, l’évaluation de son écosystème doit intégrer les externalités des activités délocalisées. Par exemple, le bilan carbone d’une « ville verte » doit intégrer le CO2 importé : la ville peut être verte mais l’écosystème gris foncé.

2.1! La$non$durabilité$est$devenue$un$obstacle$au$développement$Ce modèle urbain est non-durable en ce qu’il ne peut gérer la réduction des atteintes à l’environnement et à son propre capital social et humain et devient un obstacle au développement. Il connaît au moins trois goulots d’étranglements : La consommation

15 La ville de Séné (Morbihan) a choisi d’importer du granit chinois pour son refaire son artère principale de préférence au granit breton.

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d’énergie, la pollution et les coûts sociaux (stress, santé, criminalité�…) induits par une croissance urbaine dysfonctionnelle. Il faut y ajouter le coût de renouvellement des infrastructures qui devient considérable sans apporter un mieux au modèle actuel de la ville s’ils sont entrepris à�modèle d’affaire constant.

Ces coûts directs pèsent sur la croissance s’ils sont destinés à�maintenir la ville à�modèle constant, alors qu'ils peuvent être des opportunités d’innovation. Les considérer comme des coûts de gestion va entraîner le report des investissements nécessaires, alors que, a minima, si l’on intègre dans le calcul leur impact sur les externalités, l’opération est largement bénéficiaire.

L’association américaine des ingénieurs civils16 calcule que le manque d’investissement dans la gestion de l’eau se traduit par un surcoût pour le monde économique de 147 milliards de dollars et de 59 pour les ménages, qui supporteront à�l’horizon 2020 un surcoût de 900$ pour le traitement de l’eau. L’investissement requis est de 84 milliards $ qui se traduiraient par une réduction des coûts pour les entreprises, la protection de 700 000 emplois, 541 milliards en revenu des ménages, 460 en PIB et 6 en export. Le même calcul a été�fait pour la rénovation du réseau électrique et du réseau de transport, les ports, les canaux, les aéroports. Dans tous les cas de figure le retour sur investissement en impact sur le PIB, les exportations, les emplois et le budget des ménages est appréciable.

Le modèle économique actuel de la décision publique ne prend en compte que son coût faute de savoir intégrer l’ensemble des externalités liées à�ces investissements. La problématique de la ville intelligente va le mettre en question.

Mais c’est du côté� des pays émergents que les enjeux de la transition vers la ville intelligente sont les plus prégnants :

La croissance urbaine va y être très forte et l’impact environnemental d’autant plus élevé�que le niveau de vie va s’accroître. D’une part ce développement ne permettra plus aux pays développés pollueurs de délocaliser leurs activités polluantes vers des pays émergents et en développement. D’autre part, du seul point de vue de la consommation énergétique, si les pays émergents adoptent le même modèle que les pays développés, la situation ne sera pas soutenable, la consommation dépassant rapidement celle des pays développés dans les trente ans à�venir.

L’expérience des pays développés montre que le coût pour corriger une ville conçue de manière dysfonctionnelle (par exemple, les villes américaines conçues pour l’automobile) est de loin supérieur aux coûts à investir en amont pour construire une ville durable. Ce phénomène est bien connu des architectes systèmes : un système dont la scalabilité n’a pas été pensée voit son développement se faire par addition de couches successives qui produisent une « architecture spaghetti » où il est compliqué et couteux d’intervenir avec des résultats peu fiables. Le phénomène est d’autant plus prégnant aux Etats-Unis où les intervenants sur les infrastructures sont nombreux.

L’urbanisation des pays émergents est critique tant par son volume que par sa nature, puisque l’investissement dans la durabilité doit se faire en amont dès la conception. Le bilan du développement urbain en Chine qui a imité le modèle occidental avec des conséquences dramatiques en matière de consommation d’énergie, de pollution, de production des déchets et de qualité de la vie dégradée par des villes dysfonctionnelles, montre la nécessité d’une planification urbaine qui intègre ces contraintes dès l’amont.

Ces pays n’ont toutefois pas les ressources financières ni surtout technologiques pour développer ces approches intégratrices. Les entreprises occidentales vont donc être très 16 In Livable Cities of the Future: Proceedings of a Symposium Honoring the Legacy of George Bugliarello, National Acamies Press,2014

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sollicitées pour assurer des transferts de technologies en même temps que se développeront chez les émergents des stratégies ambitieuses de maîtrise des capacités technologiques. L’étude des documents d’orientation stratégique de la Chine, de l’Inde, de pays d’Amérique latine, du Maroc révèle le souci de développer des approches intégratives plutôt que projets par projets, par des politiques publiques ambitieuses qui soulignent leur nécessaire dimension holistique mettant l’accent sur la cohérence des politiques sectorielles et des initiatives centrales et locales.

3! Les capacités stratégiques à développer par l’Etat Dans les deux cas étudiés, il s’agit de concevoir des systèmes à un niveau d’abstraction suffisamment élevé pour contrôler une activité et développer une stratégie de puissance.

Le FCPA présente un cas à la fois simple et redoutablement efficace par la rigueur de sa conception. Il a été initialement basé sur une considération morale de base que la corruption de fonctionnaires étrangers de la part d’entreprises devant incarner le « destin manifeste » de l’Amérique, n’était pas compatible avec l’éthique protestante anglo-saxonne du capitalisme. La convention de l’OCDE a universalisé cette pratique pour les pays riches, la corruption de fonctionnaires étant principalement le fait des pays émergents qui représentent un marché de plus en plus important pour les pays membres de l’OCDE. Après le 11 septembre, le Patriot Act, et le développement des capacités d’intrusion dans les données des entreprises et les communications électroniques, l’Administration américaine a vu de nouvelles possibilités de développer sa pratique déjà ancienne de l’intelligence économique – l’advocacy policy – qui voit entreprises et départements de l’Administration travailler ensemble sur un cas qui concerne la suprématie de l’économie américaine.

Le système qui s’est mis progressivement en place a pris de court les entreprises étrangères qui n’ont pas vu venir le coup, et ce d’autant plus que les entreprises premières frappées furent américaines. Les écrits mettant en avant les faveurs consenties aux entreprises américaines aux dépens des entreprises européennes sont récents (en gros depuis 2010, après l’affaire Siemens). Cela va jusqu’à une collaboration explicite entre une grande entreprise et l’administration du DoJ pour prendre le contrôle d’une entreprise, comme dans l’affaire Alstom, où GE a participé aux discussions fixant le montant de l’amende et pour s’assurer que celle-ci ne serait pas payée par la partie Alstom énergie qu’elle va racheter. Les entreprises américaines sont naturellement favorisées par l’avantage culturel qu’elles ont avec la culture de la justice transactionnelle américaine qui n’existe pas en Europe. Les plus proches en sont les Anglais et il n’est pas étonnant qu’ils soient les premiers à avoir réagi.

Le FCPA constitue à sa manière un système de systèmes – système juridique, système d’écoute des communications électroniques, système d’enquête, système de whistleblowers…. Un système de système de suprématie par le droit, complété par des ONG comme Transparency International, qui constitue un dispositif cohérent auquel il devient presque impossible d’échapper. Cette offensive par le droit a échappé aux pays européens convaincus de la supériorité du « droit continental » : Il est caractéristique de constater qu’il n’existe aucune entrée concernant le FCPA dans la documentation proposée par la Fondation pour le droit continental17.

Jusqu’au moment où comme tout système qui prend son autonomie au regard de son but initial, il devient une bureaucratie poursuivant ses buts propres au point que l’on parle de

17 http://www.fondation-droitcontinental.org

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FCPA Inc. comme d’une machine à cash qui commence à nuire à la marche des affaires, comme le commente le très libéral The Economist18.

Le cas des villes intelligentes traite d’un objet beaucoup plus complexe et constitue à terme un système de systèmes beaucoup plus étendu et non maîtrisé à ce jour. Il fait appel à des avancées scientifiques et industrielles radicalement nouvelles qui supposent une nouvelle manière de penser. Si l’on pose comme hypothèse que la ville durable est une ville intelligente capable d’apprentissage grâce aux boucles de rétroaction qu’elle génère avec son environnement, elle se comporte comme un écosystème et est donc capable de faire évoluer par elle-même ses propres règles de fonctionnement. En science des systèmes et en économie institutionnelle c’est un système autorégulateur, ce qui suppose qu’il ait en son cœur, à l’image des systèmes naturels, un code génétique. De nouvelles approches en architecture des systèmes complexes – le biomimétisme (Benyus, 2011) – montrent qu’à travers un long processus d’essais et d’erreurs (3,8 milliards d’années de R&D, selon l’expression de Janine Benyus) la nature est parvenue à concevoir des systèmes aussi résilients que complexes basés sur une énergie renouvelable : le soleil.

Dans l’iconomie, la puissance de calcul des ordinateurs, la masse des données qu’ils peuvent traiter, le développement de langages logiciels permettant de modéliser les villes comme systèmes de systèmes19 (SoS) peuvent créer ce code, là où le management public classique devait se contenter de gérer quelques fonctions peu connectées les unes les autres (habitat, travail, infrastructures, énergie… comme autant de politiques distinctes) en étant contraint de procéder par rattrapage des effets négatifs induits par des erreurs de modélisation, alors même que la mondialisation crée continuellement de la complexité non maîtrisée.

L’histoire du développement économique nous enseigne que la dynamique endogène des systèmes humains est capable de faire émerger au fil du temps des institutions auto-renforçantes (Greif, 2006), mais que cela n’écarte pas pour autant l’intervention exogène d’un acteur fixant les règles du jeu – les institutions – appropriées au développement : l’Etat. Cette dynamique est toujours présente dans l’iconomie mais elle met en œuvre beaucoup de paramètres et beaucoup plus rapidement. Là où les rétroactions entre causes et effets à la base de l’apprentissage prenaient a minima une génération, elles peuvent être désormais de l’ordre de la milliseconde.

Il ne saurait donc être question de laisser se développer des systèmes urbains dont le cœur est basé sur les technologies numériques aux mains de grands acteurs capables d’en monopoliser la maîtrise20 . La vieille question de l’économie institutionnelle se pose avec d’autant plus d’acuité : « Qui va réguler les régulateurs ? ».

Ce qui met à l’ordre du jour de l’Etat stratège le développement de capacités d’architectes de systèmes de systèmes, que nous avons englobées dans le concept d’ULM – Urban Lifecycle Management (Rochet, 2015). Au lieu de penser la technologie comme exogène au développement en accumulant par addition les composants technologiques à la surface d’un tissu urbain dysfonctionnel, il s’agit de penser la technologie comme un levier endogène de transformation.

18 The Economist : « The Anti-Bribery Business », 9 mai 2015 19 Selon la définition donnée par l’AFIS (Association Française d’Ingénierie Système) : « Un système de systèmes résulte du fonctionnement collaboratif de systèmes constituants qui peuvent fonctionner de façon autonome pour remplir leur propre mission opérationnelle. On recherche par cette collaboration l’émergence de nouveaux comportements exploités pour améliorer les capacités de chaque système constituant ou en offrir de nouvelles, tout en garantissant l’indépendance opérationnelle et managériale des systèmes constituants. ». Ces systèmes peuvent avoir des lois de comportements très hétérogènes, à� commencer par les systèmes conservatifs qui obéissent aux lois de la physique (comme les smart grids) et les systèmes humains dont le fonctionnement ne peut être modélisé�par des lois physiques. 20 Les GAFA (Google, Facebook, Apple, Amazon), toutes sociétés américaines, pèsent autant que le CAC40.

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Alors que les pays émergents, Chine en tête et de plus en plus Inde, pensent aujourd’hui la ville comme un système global intégré, les Occidentaux continuent à la penser comme une somme de systèmes techniques pour lesquels ils ont une offre commerciale, quand bien même la politique urbaine de l’Occident est largement un échec malgré des inflexions récentes. La stratégie urbaine chinoise reconnaît aujourd’hui l’erreur d’avoir imité l’Occident alors que Singapour est une réussite qui se conçoit comme un tout, une nation intelligente plus qu’une ville intelligente, et fait aujourd’hui référence pour le développement urbain (Loo-Lee Sim and al. 2003).

Ces capacités devront donc permettre d’affronter deux enjeux : maîtriser les principes de l’innovation dans l’iconomie pour concevoir le code, et permettre sa durabilité en lui conférant des propriétés « éco » systémiques par son propre fonctionnement assuré par la vie même de la ville :

•! La ville n’est pas intelligente parce qu'elle est numérique : la connexion de tout avec tout, la capacité intrusive du traitement de masse des données et la menace sur leur confidentialité peut vite faire dériver la ville vers le panoptique de Jérémie Bentham. Une vision intégrative de la ville intelligente tend à s’imposer (Gil-Garcia & al. 2015), qui ne peut se résumer à être un empilement de « smart services » : smart grids, smart buildings, smart mobility, smart IT…., mais un écosystème vivant dont l’intelligence provient du comportement des habitants faisant de la technologie un levier endogène de développement de la vie civique en devenant en même temps producteurs et utilisateurs de l’information, dans la logique du web 2.0.

•! La conception d’écosystèmes complexes ne peut être assurée par des démarches de planification descendantes d’autorité publique qui définit des « master plans » dans lequel le père de l’architecture système contemporaine, Christopher Alexander (1977), voyait les germes d’un ordre totalitaire incapable d’évolution organique. Les nouvelles approches de l’innovation basées sur les systèmes complexes (Von Hippel, 1986) soulignent la nécessité d’intégrer l’utilisateur final, l’habitant, qui sera non seulement un utilisateur mais également un producteur d’information, que la littérature désigne sous le terme de « prod-user ».

•! La numérique en lui-même pose des questions radicalement nouvelles et il est en même temps une solution et un problème. Prenons le cas des calculateurs et des entrepôts de données (les data centers). Leur puissance est la condition de la performance de la ville connectée. Mais cette puissance dissipe d’une part une énergie considérable et d’autre part la fabrication de ces machines consomme également de l’énergie et beaucoup d’eau. La recherche à l’ordre du jour est donc de définir des machines qui se comportent comme des « prosommateurs » : au lieu de consommer encore plus d’énergie pour refroidir ces machines, il s’agit d’utiliser leur puissance de calcul pour optimiser leur propre approvisionnement en différentes sources d’énergies et d’intégrer leur dissipation d’énergie dans la conception de la ville, pour le chauffage urbain et la climatisation par exemple. Des nombreux sites pilotes existent, mais le bilan est à ce jour loin d’être optimal21.

•! Ce code génétique de la ville intelligente ainsi conçu devra être nourri par la dynamique des institutions auto-renforçantes basée sur la vie des habitants. Ainsi à Christchurch, Nouvelle-Zélande, ville détruite durant un tremblement de terre en 2011, on voit deux approches se confronter : celle du gouvernement qui a créé une agence unique de reconstruction au nom de l’efficience, et celle de la Maire de la ville qui voit au contraire dans l’initiative des habitants dans le design de la ville la meilleure garantie de sa résilience. La principale source de discussion étant la question de la densité : une ville plus dense favorisant les synergies et économisant l’énergie et une ville plus dispersée donnant à

21 Le premier data center à énergie positive devrait voir le jour en Suède en mars 2016.

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chacun plus d’espace (Newman & Kenworthy, 1989). Cette conception est aujourd’hui remise en cause par la diminution de la consommation automobile et la production autonome d’énergie renouvelable qui est une fonction croissante de l’étendue spatiale (Ménard, 2011).

La capacité de l’Etat à concevoir des stratégies de développement, dont il s’est imprudemment départi avec la vogue de l’économie néolibérale qui l’a réduit à l’état de fonction support du supposé « marché autorégulateur », à laquelle l’Asie s’est bien gardée de croire et se mettant en position de tailler des croupières à l’Occident sur ces nouveaux terrains de jeu, est donc à l’ordre du jour (Rochet, 2014).

Dans le cas de la législation anti-corruption, une collaboration entre la Justice et les autres départements ministériels, le Ministère de l’Economie notamment qui dispose avec Tracfin des moyens de détecter les transactions douteuses, les services de renseignements n’est pas envisageable dans l’état des cultures administratives en France. Un cabinet de juge d’instruction n’a pas les moyens ni les compétences de faire les investigations pour démonter des opérations complexes de corruption au niveau mondial, à commencer par les moyens financiers. La force du FCPA est d’avoir conçu un système anto-renforçant qui se fiance avec le montant des amendes qui renforce son pourvoir d’investigation.

Enfin, quel est le point commun entre ces deux cas qui n’en ont a priori aucun ? L’incompréhension de l’iconomie et de ses nouveaux enjeux stratégiques par les acteurs publics.

-! Face au FCPA utilisé comme arme d’intelligence économique, le gouvernement français a reconnu avoir été pris par surprise lors de l’annonce du rachat d’Alstom par GE22, alors que le DoJ enquêtait depuis quatre ans sur Alstom, et que depuis 2002 les Etats-Unis développent une stratégie d’interception des données tous azimuts qui est venu donner un nouvel élan à la pratique ancienne de l’advocacy policy qui regroupe les efforts des administrations au soutien des entreprises américaines. La France a pourtant les services compétents – DGSI (renseignement), Tracfin (Transactions financières), ANSSI (sécurité des systèmes d’information) – pour détecter les manœuvres du DoJ et le jeu de la direction de l’entreprise, ainsi que les risques qu’elle prenait par une gestion laxiste de sa sécurité informationnelle. Mais il n’y a eu aucune impulsion au sommet de l’Etat pour coordonner une telle action, au point qu’on a pu parler de « racket américain et démission d’Etat » (Varenne et Denécé, 2014).

-! Alors que la maîtrise de l’industrie des données – essentielle dans la conception de villes intelligentes – est le fait des entreprises américaines, ce n’est pas le cas pour l’énergie (nucléaire, fossile, éolienne et toute énergie renouvelable) qui reste entre les mains de grands acteurs comme Siemens, Alstom, Mitsubishi, ABB, Schneider Electric… La stratégie américaine vise à maîtriser l’ensemble des technologies génériques de la ville intelligente en amont, vision absente des stratégies européennes.

-! Autre lien, la ville intelligente est affaire de normes qui ne sont pas à ce jour définies, et la stratégie de puissance américaine passe par les normes, qu’il s’agisse des standards intellectuels du soft power ou des normes industrielles qui font l’objet du traité transatlantique en cours de discussion à l’abri de tout débat public entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Alors que les Etats-Unis dans leur pratique font fi du développement durable en exportant leur pollution dans les pays en voie de développement, une stratégie logique pour des pays européens qui s’en réclament, serait de

22 Déposition d’Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie, devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Paris, 11 mars 2015.

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pouvoir incriminer ces entreprises américaines sur les marchés internationaux par une législation réprimant les modes de production ne respectant pas les standards environnementaux et sociaux.

4! Les compétences des acteurs de l’Etat stratège

Quelles sont les implications concrètes, les compétences nouvelles que devrait alors développer l’acteur étatique ? Ces cas soulignent l’importance du troisième levier de l’Etat stratège que nous avons évoqué au début de ce chapitre : le lien entre stratégie politique de l’Etat et réforme de l’Administration.

L’Administration se doit aussi d’être capable de fonctionner comme un écosystème intelligent, ce qui est totalement incompatible avec l’organisation en silo, qui, malgré l’abondance des discours et des intentions, reste la norme. Réformer le système judiciaire, en France notamment, pour qu’il soit capable d’affronter le FCPA est une tâche de grande ampleur qui doit unir tous les départements ministériels concernés autour d’une vision stratégique commune où chacun redéfinira son rôle. Les modèles d’affaires des industriels et fournisseurs de services de la ville intelligente devront, comme la ville, fonctionner en écosystème où la coopération sera la règle tout en préservant la nécessaire compétition entre les firmes, ce que la littérature managériale a baptisé « coopétition ». L’ère du bureaucrate wébérien axé sur la procédure et sur la tâche laissera donc la place aux systémiers en charge de penser l’intégration des sous-systèmes que constituent les fonctions urbaines, et considérant la dépense publique plus comme un investissement qu’un coût par l’intégration des externalités positives et négatives. En dépit de sa volonté affichée de développer une offre française en matière de ville intelligente, l’Etat s’est refusé à se lancer dans un programme de recherche-action sur la définition d’un référentiel de modélisation de la ville comme système complexe intégré. « L’offre globale » développée par le secrétariat d’Etat au commerce extérieur s’est résumée à une addition d’offres sectorielles françaises. Pour la coordinatrice de ce programme, Michèle Pappalardo, le numérique se résume à « être cette partie « smart » qui rajoute une couche aux autres activités »23, censé par lui-même réaliser l’intégration des fonctions. L’Etat réduit son rôle à celui d’aide au marketing d’une offre industrielle existante au travers d’un site internet (Vivapolis) alors que les entreprises ont commencé un réel travail d’intégration système inter-entreprise.

Si la puissance publique passe à côté de ces enjeux, c’est sans doute avant tout par arrogance et obsolescence culturelle. Alexandre Gerschenkron (1962) a décrit comment le retard pouvait être un avantage pour les pays émergents, car ils ont plus de souplesse culturelle et institutionnelle et sont à la fois plus opiniâtres et plus humbles. Cela est valable pour l’Europe qui est désarmée face aux pratiques du FCPA en prônant la supériorité du « droit continental » qui serait plus stable que le droit anglo-saxon. Il l’est en effet au point de ne pouvoir permettre aucune riposte à l’offensive américaine, … sauf en Angleterre, autre pays de droit anglo-saxon, qui a mis en place une loi équivalente en 2010 qui rééquilibre les forces. Même absence à France Stratégie, censé remplacer le Commissariat au plan : rien sur les stratégies d’influence, sur la ville durable et sur l’iconomie dans son rapport bavard sur « La France dans dix ans » remis au Président de la République en 201424.

23 Entretien du 12/03/2015 à Filière3E http://www.filiere-3e.fr/2015/03/12/michele-pappalardo-coordinatrice-de-vivapolis-exporter-la-ville-durable-a-la-francaise/ 24 « Quelle France dans dix ans ? » France stratégie 2014 http://www.strategie.gouv.fr/publications/france-dix-ans

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Quelles sont alors les compétences à développer chez les acteurs de l’Etat stratège ?

Nous parlons ici d’une culture générale de l’administration publique qui concerne tout acteur engagé dans ces opérations complexes : cadres dirigeants de ministère, opérateurs de l’Etat, services déconcentrés, collectivités décentralisées, et au-delà leur partenaires économiques et sociaux.

D’abord sortir du positivisme occidental dont John Saul dénonçait les méfaits dans « Les bâtards de Voltaire » (1992) qui trahit l’héritage des Lumières en Occident, par une foi arrogante des élites dans leurs capacités déductives qui s’affranchit de tout doute, ignore le complexe au profit des « terribles simplifications » que dénonçait Watzlawick (2011) – refus de voir la complexité du réel et agressivité envers ceux qui la voient – et réduit la morale et l’éthique à un artifice utilitaire de technocrate. La complexité du monde de l’iconomie ne fait qu’accentuer l’inadaptation de ce mode de décision publique basé sur un « décideur public » supposé rationnel.

Faire de la stratégie dans l’iconomie suppose au contraire trois familles de compétences chez les acteurs publics :

-! Penser la performance comme une émergence de systèmes de systèmes et non comme une addition. Des petits pays classés en tête du Global Innovation Index 2014 comme Singapour et la Suisse sont des pays où la performance est pensée globalement : Singapour se pense comme une « nation intelligente » prenant en compte l’interaction de tous les aspects de la vie économique et sociale pour créer un climat favorable à l’innovation (Loo-Lee Sim and al. 2003). De telles approches peuvent s’appliquer à des décisions publiques relativement simples : l’Etat en France habille 1,5 million de fonctionnaires, de la blouse d’infirmier à l’équipement sophistiqué du démineur. Cela représente 8000 emplois. Si l’on veut véritablement décider de ces achats au mieux-disant il faut prendre en compte tous les impacts d’une décision. Une décision prise au moins-disant (choisir un prix plus bas en achetant dans un pays à bas salaire) devra réintégrer pour calculer son coût global les conséquences de ce choix : les coûts de non-qualité du produit, les emplois nationaux perdus, l’alourdissement des comptes sociaux, ainsi que la perte du potentiel d’innovation. L’achat public peut soutenir l’innovation dans l’industrie textile avec la convergence d’activités à basse intensité technologique avec des technologies de l’iconomie comme les chaussettes intelligentes pour diabétiques et les chemises pour cardiaques qui embarquent des systèmes de détection électronique permettant d’anticiper les crises, de réduire leur impact et de baisser les coûts de traitement. Cela suppose de pouvoir modéliser l’ensemble du système du produit et de la décision d’achat dans une logique d’administration étendue, ce qui est impossible dans une administration restant organisée en silo ou chaque département optimise ses propres paramètres, où chaque politique publique est cloisonnée. L’administration, dans cette situation, sans être en n’est pas en mesure de prendre en compte les impacts de la décision, et donc de la considérer plus comme un coût que comme un investissement.

-! Le développement de capacités d’architecte de systèmes complexes : L’iconomie accroit la complexité du monde par la quantité et la rapidité des interactions entre activités : les activités de conception y jouent un rôle essentiel dans la création de valeur. Elles peuvent être influencées par la définition de modes, de standards et de normes qui sont le fruit de stratégies d’influence – le soft power – qui fut l’outil de domination de l’Angleterre au XIX° siècle et des Etats-Unis jusqu’à aujourd’hui. Ces stratégies s’expriment dans des capacités d’abstraction de haut niveau des systèmes de pilotage de la complexité qui doivent donner la priorité aux objectifs globaux de la politique plus qu’aux

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objectifs sectoriels du technicien. Ce n’est pas un hasard si le traité de libre-échange transatlantique négocié actuellement de manière quasi-clandestine entre l’Union européenne et les Etats-Unis porte sur les normes. Les Etats-Unis ont déjà fixé la norme morale qui va régir les affaires du monde. Aucune norme ne définit encore ce qu’est une « ville intelligente ». Les pays d’Europe sensibles aux normes environnementales du développement durable pourraient en faire leur FCPA, qui pèserait sur les entreprises américaines polluantes et régulerait la délocalisation d’industrie dans les pays à bas coût de main d’œuvre où la protection de l’environnement est inexistante.

-! Cela requiert deux types d’excellence : une excellence verticale qui est celle du technicien dans son système - inutile de chercher à intégrer des systèmes qui contiendraient des bogues – et une excellence horizontale qui est celle de l’intégrateur et de l’architecte système. Le secteur public (comme le secteur privé) a déjà vécu cette expérience avec l’informatisation de l’administration qui nécessite un dialogue entre spécialistes métiers et informaticiens organisé par un architecte systèmes d’information. Un capital d’expérience qui est loin d’avoir été formalisé à ce jour.

Tout cela suppose, à rebours du techno-centrisme dominant en Occident, une vaste culture générale capable d’intégrer les ensembles disjoints et disparates, de prendre en compte les facteurs humains autant que techniques, de conjuguer appréhension globale des problèmes et la prise en compte des contextes. Autrement dit, plus de culture générale et plus d’humanités, et briser le cloisonnement disciplinaire, dont tout le monde se réclame et bien peu ont réellement l’envie et la capacité de le mettre en pratique. Des mutations bien lentes sont en cours dans des pays comme la Suisse où la formation des fonctionnaires tend à privilégier les sciences sociales afin de, au-delà de nécessaires spécialistes et experts, développer une culture de systémiciens apportant une vision intégrée de la société, du fonctionnement des collectivités et des entreprises (Emery, Giauque, Rebman, 2014). Le managérialisme du NPM et ses « fonctionnaires managers » n’a produit ni l’un ni l’autre : l’échec de la mise en oeuvre de la LOLF en France qui supposait que les directeurs de programme soient des stratèges en atteste.

5! Bibliographie

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