L’ESPRIT ET LE SYMBOLE EN ARCHITECTURE : LA DIVINE PROPORTION Conférence donnée par François Gruson, architecte, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille au Cercle JeanScot Erigène – Janvier 2011. Comme il est de coutume, je voudrais commencer ce travail par deux définitions, en l’occurrence deux définitions du mot « architecture ». Rassurezvous, je ne les ai pas tirées d’un dictionnaire ! La première est la suivante : « L’Architecture est l’art de bâtir ». Voici la deuxième : « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière ». Je compléterai ces deux définitions par une citation qui me tient particulièrement à cœur : « L’archittura è cosa mentale » que je traduirai ainsi : « L’architecture est une chose de l’esprit ». Afin de mieux situer le débat que propose le président au travers du sujet qu’il m’a proposé, je vous propose de nous arrêter un peu sur chacune de ces définitions. * * *
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L'esprit et le symbole en architecture - La divine proportion
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L’ESPRIT ET LE SYMBOLE EN ARCHITECTURE : LA DIVINE PROPORTION Conférence donnée par François Gruson, architecte, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille au Cercle Jean-‐Scot Erigène – Janvier 2011. Comme il est de coutume, je voudrais commencer ce travail par deux définitions, en l’occurrence deux définitions du mot « architecture ». Rassurez-‐vous, je ne les ai pas tirées d’un dictionnaire ! La première est la suivante : « L’Architecture est l’art de bâtir ». Voici la deuxième : « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière ». Je compléterai ces deux définitions par une citation qui me tient particulièrement à cœur : « L’archittura è cosa mentale » que je traduirai ainsi : « L’architecture est une chose de l’esprit ». Afin de mieux situer le débat que propose le président au travers du sujet qu’il m’a proposé, je vous propose de nous arrêter un peu sur chacune de ces définitions.
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Vitruve : « Les Dix Livres d’Architecture » -‐ Trad. Claude Perrault -‐ 1684
La première (« L’Architecture est l’art de bâtir ») est celle que donne Vitruve, architecte et théoricien romain du 1er siècle avant JC, dans son traité « De Architectura », mieux connu en français sous le titre « Les Dix Livres d’Architecture ». Vitruve écrit ce traité à la fin de sa vie, et le dédie à l’empereur Auguste. Cet ouvrage retrace la totalité d’un savoir accumulé par une vie d’expérience, et dont la coutume voulait que ce savoir soit transmis, le plus souvent oralement, par une relation de maître à élève. La traduction la plus commune en français est celle de l’architecte et médecin Claude Perrault, auteur de la Colonnade du Louvre. L’importance historique de ce traité vient du fait qu’il s'agit du seul écrit antique complet sur l’architecture qui nous soit parvenu. Son influence pendant la Renaissance et l’âge classique a été immense, dans la mesure où l’art antique y était considéré comme la référence absolue, parce qu’étant la plus proche, chronologiquement, de l’Art des Anciens, qui est aux arts majeurs ce que la Tradition Primordiale est à la pensée guénonienne. Dès lors, la définition vitruvienne de l’architecture doit être considérée comme fondatrice de la pensée occidentale de l’architecture. L’idée d’ « Art de bâtir » doit être compris dans son sens de la langue de sa traduction, c’est à dire le français du 17ème siècle. Il s’agit bien de l’art, c’est à dire du savoir bâtir, ou plutôt du savoir édifier, mais je reviendrai bientôt sur cette notion d’édification.
Le Corbusier : « Vers une Architecture » -‐ Paris, Grès, 1923 La deuxième définition nous fait faire un bon de deux mille ans dans l’histoire. C’est celle que donne en 1923 Le Corbusier, grand lecteur de Vitruve, dans son ouvrage « Vers une architecture », recueil de textes publiés dans la revue d’avant-‐garde « L’Esprit Nouveau ». Apparemment, l’approche est différente de celle de Vitruve. A « l’art de bâtir », Le Corbusier oppose « le jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière ». J’aime beaucoup cette phrase, qui fait écho aux origines méditerranéennes de ce huguenot de la Chaux-‐de-‐Fonds en Suisse. Comme il nous est appris ici à ne pas prendre les mots pour les idées, essayons de ne pas rester à la surface de cette définition, apparemment formelle ou plasticiste, pour nous intéresser à ce qu’elle dit au fond.
L’architecture est un jeu... Le terme est à prendre ici dans son acception sérieuse de mouvement ou de manipulation, que je rapprocherai de celle de dessein, c'est à dire intention. Ce jeu est savant, c’est à dire qu’il fait appel à un savoir, ou tout au moins à des connaissances dont l’acquisition doit être préalable à sa pratique. Ce jeu est correct, car il fait appel à la notion d’exactitude, notion qui nous renvoie à la géométrie et à la précision, c’est à dire à la proportion. Enfin, ce jeu est magnifique… Alors là, chapeau ! « Magnifique » ! Vous imaginez vous ce que cela veut dire ? Cela signifie étymologiquement que l’architecture fait de grandes choses, c'est à dire qu’elle nous grandit ! Au contraire de Vitruve, qui écrit d’expérience à la fin de sa vie, le jeune Charles Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, évoque un idéal à atteindre. Pourtant, avec cette magnificence, il nous renvoie finalement à la notion d’édification chère à Vitruve… Il y ajoute une notion importante dans l’architecture moderne : la lumière. Le Corbusier n’est pas un illuminé ni même un ésotériste, mais c’est un humaniste. Il sait très bien ce que la lumière signifie depuis le siècle du même nom : la connaissance…
Leone Battista Alberti, par Matteo de Pasti Enfin, la troisième citation (« l'architecture est chose de l'esprit ») n’est pas une définition. Elle provient d’un traité d’architecture dont le titre est « De Re Aedificatoria », qu’on pourrait traduire mot à mot par « De la chose édificatoire », que je traduirais plutôt par « De l’art d’édifier ». Ce titre nous revoie directement à l’ « Art de bâtir » vitruvien. Ce traité, écrit vers 1450 par l’architecte Leone Battista Alberti (1404-‐1472) est le premier ouvrage de théorie de l’architecture écrit à la Renaissance. On peut dire, d'une certaine manière, que c'est même le premier écrit sur l'architecture connu depuis Vitruve. Rappelons que la culture occidentale médiévale, même si elle génère une véritable pensée de l’architecture, n’en produit pourtant aucun écrit, l’essentiel de la connaissance technique, et le cas échéant, symbolique liée à l’architecture est constituée par une transmission exclusivement orale. Alberti écrit son traité d’architecture assez tardivement, après avoir traité, comme beaucoup de ses contemporains, de
mathématique, de cryptologie, de géométrie, et, partant, de l’art du trait, du dessin, de la peinture et de la sculpture, ce que nous appellerions aujourd’hui l’art de la représentation. Dans son traité, celui que ses contemporains appellent « le nouveau Vitruve » oppose à la fameuse triade vitruvienne : Firmistas, Soliditas, Venustas, c’est à dire Utilité, Solidité et Beauté », sa propre triade : Necessitas, Commoditas, Voluptas, c’est à dire : « Nécessité, Commodité, Volupté ». En penseur humaniste, Alberti insiste sur la nécessité du dialogue sans lequel, écrit-‐il, aucune architecture n’est possible. C’est pourquoi, pour lui, l’architecture est chose de l’esprit, car elle repose avant tout sur la compréhension de ce que nous appellerions aujourd’hui les enjeux de la commande : la réponse aux besoins (nécessitas), la qualité d’usage (commoditas) et le plaisir dans la pratique de l’espace (voluptas), toutes notions qui montrent comment l’architecture, quand elle est réussie, contribue à l’édification de l’homme. Vous le voyez, ces trois définitions, apparemment différentes, nous montrent la raison pour laquelle elles font toutes référence, parce que l’architecture essentiellement vise aux mieux être, à la question de l’édification de l’homme, question que nous essayons, nous aussi, d’aborder avec nos outils dans nos loges de Francs-‐Maçons. D’une certaine manière, je crois, avec ces trois citations, avoir abordé le premier terme proposé par le président: l’esprit. Quand souffle l’esprit, l’architecture est habitée, parce qu’elle est universelle, parce qu’elle renvoie au plus profond de la nature humaine. Qui n’a jamais été bouleversé en pénétrant dans le Panthéon de Rome, dans la cathédrale d'Amiens ou dans la bibliothèque d’Asplund à Stockholm ?
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* * J’en viens donc au deuxième terme du débat : le symbole. Vous décevrais-‐je si je vous disais qu’architecture et symbole ne font pas bon ménage ? Nous avons tous en mémoire de nombreux ouvrages où il est question de la symbolique en architecture, cette symbolique passant soit par des dispositifs géométriques plus ou moins secrets, soit par des éléments figuratifs proposant un méta-‐discours surajouté au propos architectural. J’ai le regret de vous dire que, pour la plupart, ces ouvrages ne reposent pas sur une étude historique sérieuse. Prenons le cas de l’architecture gothique, dont l’apparente évidence symbolique a fait couler beaucoup d’encre. Qu’en est-‐il exactement ?
« Le Verbe géométrique » -‐ Thierry de Champris Les dispositifs géométriques dont il est question dans ces ouvrages sont des épures appliquées a posteriori sur des édifices auxquels ont veut absolument faire dire quelque chose. C’est ce qu’on appelle des « tracés révélateurs », qui révèlent surtout ce que leurs auteurs veulent démontrer. Ces démonstrations sont d’autant moins convaincantes que les mesures sont parfois « adaptées » pour coller à la démonstration, et que le trait s’appuie tantôt sur l’axe d’un pilier ou d’un mur, tantôt sur sa surface, de manière à rendre plus convaincantes encore ces pseudo-‐démonstrations géométriques. Vous comprendrez bien qu'on ne peut faire œuvre d'historien en adaptant la réalité à la thèse qu'on entend défendre... Dois-‐je rappeler qu’aucun ouvrage, aucun écrit, aucun dessin même ne vient appuyer la pertinence historique de ces interprétations, que je j’apparenterais bien volontiers à ce que Umberto Eco qualifie de « vision paranoïaque de l’histoire » ?
Détail du vitrail de Noé, Cathédrale de Chartres Plus sérieusement, il est question, dans le sillage d’Emile Mâle et de l’école française, d’une architecture comprise comme « une bible ouverte » accessible aux plus humbles, aux illettrés auxquels, faut-‐il le rappeler, le texte latin était inaccessible jusqu’à ce que la Réforme le traduise en langue vulgaire. Cette théorie de la bible ouverte fait principalement référence à l’appareil iconographique que déploie la cathédrale, par la peinture, la sculpture ou le vitrail. Je ne sais pas, en ce qui vous concerne, mais quand je vais à Chartres, et même si je suis doté d’une culture biblique assez solide, j’ai beaucoup de mal à reconnaître les scènes représentées sur les vitraux… à moins que les gens aux moyen-‐âge n’étaient doté d’une vue infiniment plus perçante que la mienne. Pendant la Révolution, on crut bon de couper les têtes des Rois de Judée, qui traditionnellement, ornent le 3ème registre de la façade ouest, en croyant qu’il s’agissait des Rois de France. Pourtant, que je sache, les bourgeois du 18ème siècle n’étaient pas moins cultivés que le bon peuple médiéval. Dès lors, la théorie rationaliste d’Emile Mâle d’une architecture à visée instructive ne tient pas. Elle ne tient surtout pas compte de la pensée qui a présidé à la construction de ces édifices : la pensée scholastique. Il faudra attendre les années 1950 et la critique anglo-‐saxonne pour qu’Erwin Panofsky, dans son ouvrage « Architecture gothique et pensée scolastique », propose une hypothèse alternative sur le dispositif symbolique de la cathédrale gothique.
L’idée de Panofsky est simple : on ne peut comprendre l’architecture gothique qu’au travers de la pensée qui l’a produite, et non en appliquant nos schémas contemporains, qu’ils soient rationalistes ou ésotéristes. En quelques mots : la scolastique pense le monde créé par l’Eternel comme étant intangible et inamovible. En construisant la cathédrale, l’homme reproduit cet acte de création : la cathédrale est une cosmogonie. Elle à l’image de l’univers, comme le temple de Salomon dont elle s’inspire explicitement. Ce qui va différencier dans ce dispositif le profane du sacré, c’est dont la différenciation de la nature des choses entre le dehors (le profane) et le dedans (le sacré). Pour donner un exemple concret, ce qui distingue la lumière sacrée, c’est à dire celle du dedans, de la lumière profane, c’est à dire celle du dehors, c’est sa nature. Pour modifier la nature de la lumière, il convient de la modifier, de la filtrer. Ce qui est important dans le vitrail, ce n’est pas la scène qu’il représente, ni même
les couleurs employées, mais le fait que ce vitrail représente un fragment de la Bible elle-‐même, c’est à dire la parole de Dieu. La lumière intérieure est sacrée parce qu’elle est littéralement filtrée par la parole de Dieu, et c'est cette filtration qui en modifie profondément la nature. Il en est de même de la symbolique du portail : c’est le jugement sous le regard du Christ qui fixe le seuil entre le dehors et le dedans, parce que c’est par le jugement de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas qu’on fixe la délimitation entre ce qui est sacré et ce qui ne l’est pas. On pourrait ainsi multiplier les exemples et je vous renverrai bien volontiers à la lecture d’Henri Vincenot, qui, dans « Les étoiles de Compostelle » ou « Le pape des escargots » compare la nef des cathédrale à ce qu’elle est de facto : un vaisseau, c’est à dire un véhicule qui permet de passer du monde à sa représentation, du profane au sacré ou, s’il l’on veut, de l’immanent au transcendant. Dès lors, on peut généraliser à toute architecture la démarche de Panovsky qui essaie de la comprendre au travers de la pensée qui l’a produite.
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Filippo Brunelleschi : Eglise San Lorenzo, Florence (1419) Ainsi, la dimension symbolique de l’architecture de la Renaissance passe bien par son caractère strictement isomorphique, que la perspective, véritable vision en profondeur, va révéler.
Gianlorenzo Bernini : Sant’Andrea al Quirinale – Rome (1658-‐70) De même, l’émergence du baroque traduit la vision dynamique du monde qui traverse l’Europe de Galilée à Newton.
Eiffel, Koechlin et Sauvestre : Projet de tour de 1000 pieds – Paris, 1887 De même, la tour de trois cents mètres de Gustave Eiffel et du F. Koechlin représente bien le phare de la connaissance et du progrès qui éclaire la capitale du pays des Droits de l’Homme.
Manhattan dans les années 1930 De même l’architecture moderne qui défie les lois de la gravitation est celle d’Einstein de la conquête de l’espace, au propre comme au figuré.
Caserne de pompiers Vitra, Zaha Haddid – Weil am Rhein, 1993 De même enfin, l’architecture déconstructiviste de la fin du siècle dernier est contemporaine de la postmodernité de François Lyotard et de la théorie du chaos. Comme le disait si justement Christian Norberg-‐Schutz, historien et critique norvégien, ce qui fait sens en architecture est l’esprit du lieu, ce « génius loci » que les latins, précisément, vénéraient. Vous le voyez, en parlant du symbole en architecture, j’en suis finalement revenu à l’esprit.
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* * Bien, me direz-‐vous, et la Divine proportion, dans tout cela ?
Ritratto di Luca Pacioli, Jacopo de Barbari, 1495 « De divina propotione » ou « La Divine proportion » est un ouvrage du mathématicien Luca Pacioli (1445-‐1517), mathématicien italien de la Renaissance. Cet ouvrage est écrit en 1496-‐98, soit près d’un demi-‐siècle après le traité d’Alberti. Pour l’anecdote, on doit à Pacioli, par ailleurs brillant mathématicien, la théorisation de la comptabilité en partie double, inventée par les marchands italiens de son temps. « La Divine proportion » diffère assez peu des ouvrages contemporains reprenant pour l’essentiel la vision néoplatonicienne qui domine la pensée mathématique de son temps, et en particulier tout ce qui a trait à la géométrie des solides et, partant, au Nombre d’Or.
Leonard de Vinci : illustration pour « De divina proportione » L’ouvrage doit principalement sa célébrité aux illustrations accompagnent sa première édition, qui sont l’œuvre du grand Léonard de Vinci, et qui représentent soixante types de polyèdres en perspective. A propos de perspective, il convient de mentionner que Pacioli est natif de Borgo San Sepolcro,
en Toscane, qui est aussi la ville natale de Piero della Francesca, premier utilisateur « scientifique » de la perspective en peinture… Dans sa dédicace à Ludovic le More, Pacioli parle, à propos du Nombre d’Or, d’un « trésor précieux et si rare secret », « une œuvre nécessaire à tous les esprits perspicaces et curieux, où chacun de ceux qui aiment à étudier la philosophie, la perspective, la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique et les autres disciplines mathématiques, trouvera une très délicate, subtile et admirable doctrine et de délectera de diverses questions touchant à une très secrète science ». Pourquoi une telle fascination ?
Les cinq ordres d’architecture Ici, une petite explication historique s’impose… Il faut savoir que l’essentiel du système géométrique de la première Renaissance est un système modulaire, dans lequel chaque ordre d’architecture définit une règle proportionnelle arithmétique entre les largeurs, les hauteurs et les profondeurs d’un édifice et de ses parties. Ce système modulaire, déjà largement décrit par Vitruve, permet de régler tout un bâtiment à partir d’un nombre entier de modules, dont l’unité de base est déterminée par le diamètre de la colonne.
Toute l’architecture antique repose sur ce système, de mêmie que l’architecture paléochrétienne, l’architecture romane et même l’architecture gothique, n’en déplaise aux tenants des tracés régulateurs, et ce pour des raisons évidentes de commodité et de calepinage, c’est à dire de découpe de la pierre en carrière. Extrait des carnets de Villard de Honnecourt : Plan d’une église cistercienne.
Tout au plus utilise-‐t-‐on de manière empirique le rabattement d’une diagonale d’un carré (c’est la proportion en racine de 2) ou d’un demi carré (en racine de 5). Ces nombres sont dits « irrationnels » parce qu’on arrive pas, bien qu’on cherche depuis Pythagore, à les réduire en un nombre fini d’unités, ce qui est fort peu pratique quand on pratique la mesure, ce qui est toujours le cas en architecture.
Le nombre d'or Ce qui fascine dans le nombre d’or, c’est qu’il permet de concilier un système modulaire arithmétique, c’est à dire par addition ou soustraction de modules, avec un système géométrique, c’est à dire avec une proportion irrationnelle. C’est le principe de la « division en moyenne et extrême raison », où la proportion entre les deux parties est la même que celle entre la grande partie et le tout, soit : a/b = a+b/a = Φ Précisons à ce stade que Pacioli n’est pas l’auteur de la dénomination « nombre d’or », qui n’apparaîtra qu’au 19ème siècle. Je ne rentrerai pas plus loin dans les considérations mathématiques ou géométriques qui n’ont pas leur place ici, mais je mentionnerai toutefois que, pas plus après qu’avant Pacioli, le nombre d’or n’est apparu comme une panacée pour la composition architecturale (ni musicale, du reste…), tant son maniement est complexe et tant la question des unités entières de mesure reste entière.
Le Corbusier : tracé de la Villa Stein – Garches, 1926 Je dois cependant citer une exception notable : c’est Le Corbusier qui, dès son jeune âge, et sous l’influence de son mentor le F. Charles L’Epplatenier, s’intéresse au nombre d’Or, qu’il utilise dans ses œuvres les plus
avant-‐gardistes comme la Villa Stein à Garches et qui, après la Guerre, va tenter de mettre en place un système proportionnel en lien avec l’industrialisation et basé sur le nombre d’or : le Modulor. Le Corbusier : Le Modulor, 1943-‐48 Ce qui est intéressant dans le Modulor, comme dans la théorie de Pacioli, et comme aussi et déjà chez Vitruve, c’est la tentative de mise en relation de systèmes harmoniques avec les proportions du corps humain. Le problème avec Vitruve, c’est qu’on a conservé son texte mais pas les illustrations, pour peu qu’il y en ait eu un jour. Un des passe-‐temps favori des architectes de la renaissance et de l’âge classique a justement été de redessiner ces illustrations.
Leonard de Vinci : L’homme de Vitruve On connaît tous le dessins de l’ « homme de Vitruve » par Léonard de Vinci, sensé représenter le chapitre traitant précisément de cette question. Or, chez Vitruve, le corps humain est, comme l’édifice, divisé en modules dont l’unité est la hauteur de la tête…
L’ « Homme de Vitruve », version Charles Perrault, 1684
Extrait des carnets de Villard de Honnecourt, 13ème siècle C’est également le cas de Villard de Honnecourt, qui recompose le corps humain en modules arithmétiques. Pour autant, le pentagramme existe déjà chez Villard de Honnecourt, comme il existe dans les grandes verrières des cathédrales gothiques, soit pour le tracé d’un visage, soit, ce qui a davantage de sens, pour celui de l’aigle de Patmos.
L’inscription du corps humain dans un cercle parfait est déjà évoquée chez Vitruve. En revanche, son assimilation au pentagramme, ou pentagone concave, avec les propriétés géométriques que cela entraîne, semble bien être une innovation de Pacioli.
Luca Pacioli : De divina proportione Le centre de l’étoile est aussi celui du cercle. Pacioli, comme Vinci après lui, place ce centre sur le le sexe, comme pour placer l’homme vers la génération, c’est à dire vers son avenir. Cette inscription de l’homme dans l’étoile est bien connue des francs-‐maçons, qui posent d’ailleurs au centre du dispositif la lettre G, G comme Génération (le sexe, donc...), mais aussi G comme Génie ou Gnose…
Codex – Francesco di Giorgio L’assimilation d’un système géométrique ou architectural au corps humain est connue depuis le moyen-‐âge. Ainsi le plan de la cathédrale est comparé à un corps dont le corps est la nef, les bras le transept et la tête le chœur. Certains auteurs pensent qu’il s’agit du Christ en croix, raison pour laquelle à la cathédrale de Quimper, le cœur est dévié vers la gauche, comme la tête du Christ mourant, la tête inclinée vers l’épaule.
Dans tous les cas, l’idée est la même : le système géométrique et le corps humain se superposent, si bien que le corps humain est à la fois l’instrument de mesure et le système proportionnel de toute architecture. Pour peu que celle-‐ci, comme on l’a vu, a pour fonction symbolique la séparation du profane et du sacré, ou mieux, la construction du temple de l’Eternel à l’image de la création du monde par celui-‐ci, c’est tout simplement la mise en relation du corps de l’homme au cosmos tout entier qui est en jeu. Voici ce qu’est la Divine proportion : la clé d’interprétation géométrique de la relation entre l’homme et le cosmos, relation dans laquelle la notion de divin intervient comme un truchement logique : celui du Créateur, ou plutôt, devrais-‐je dire, du Grand Architecte de l’Univers… François Gruson 31 décembre 2010