La Tte-NoiredeLesageCollaborateurs: Fuzelier,
dOrnevalPERSONNAGES :M. J EROME, vieux, garon retir du commerce.Mme
CANDI, marchande confiseuse, sur de M. JEROME.ARGENTINE, leur
nice.ARLEQUIN et MARINETTE, domestiques de M. JEROME.CHARLOT,
enfant de Mme CANDI.J AVOTTE , enfant de Mme CANDI.CLITANDRE,
ancien matre d'ARLEQUIN.UN CLERC DE PROCUREUR.UN PEINTRE.UN
MITRON.UN SUISSE.UN GASCON.UN NOTAIRE.TROUPE DE MASQUES.La scne est
Paris dans la maison de M. JEROME. Le thtre reprsente une
salle.SCNE I MARINETTE, ARLEQUINARLEQUINJ 'accours vos ordres,
mademoiselle Marinette. Qu'y a-t-il pour votre service ?MARINETTE J
'ai appris que tu as quitt le service de Clitandre.ARLEQUINCela est
vrai. J 'ai t oblig de l'abandonner. J e n'tais plus en tat de
l'entretenir.MARINETTE Qu'appelles-tu l'entretenir ?ARLEQUIN H,
parbleu ! le faire vivre. Il ne subsistait depuis quelque temps que
par le crdit que j'avais chez un rtisseur et un
cabaretier.MARINETTEEt ces animaux-lont apparemment perdu patience
?ARLEQUINVous l'avez dit. Mon matre et moi, nous nous sommes spars
l'amiable, pour n'tre plus charge l'un l'autre.MARINETTETu as bien
fait. Il ne tiendra qu' toi d'entrer dans une meilleure
condition.{C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}{62B5FB3C-EABD-
41BF-9387-0BF
A849EF929}{C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}ARLEQUINO cela
?MARINETTEIci.ARLEQUIN Serait-il possible ?MARINETTEJ e t'ai propos
M. Jrme, mon matre. Il a besoin d'un valet qui ait de l'esprit et
de l'adresse. En un mot, d'un homme comme toi.ARLEQUIN Vous tes
toujours flatteuse, ma princesse.MARINETTEM. J rme est un vieux
garon qui me laisse tailler et rogner ma fantaisie.ARLEQUIN La
bonne maison !MARINETTE Tu y feras grand' chre.ARLEQUINEt de plus,
je m'y verrai avec une aimable fille, qui a dj eu pour moi de
petites bonts prliminaires...MARINETTE Taisez-vous, badin ! J
'aperois M. Jrme.SCNE IIARLEQUIN, MARINETTE, M. J EROMEARLEQUIN,
part. La plaisante figure !M. J EROME, bas MARINETTE. Qui est cet
homme-l ?MARINETTE, bas M. JEROME. C'est le sujet dont je vous ai
parl.M. J EROME, envisageant ARLEQUIN. Ha, ha ! J e crois qu'il me
conviendra.ARLEQUIN, lui faisant la rvrence.Monsieur, mademoiselle
Marinette connat mes petits talents.MARINETTE, bas M. JEROME. C'est
de vrai votrehomme. J e vous laisse avec lui.SCNE IIIM. J EROME,
ARLEQUINM. J EROMEOh , mon ami, je te prends mon service. Marinette
m'a dit toutes tes bonnes qualits.ARLEQUIN Monsieur...M. J EROME
Elle m'a surtout vant ta discrtion.ARLEQUIN Elle peut vous en
rpondre.M. J EROME C'est une bonne caution, au moins.ARLEQUIN A qui
le dites-vous !M. J EROME Elle a toute ma confiance.ARLEQUIN J 'en
suis persuad.M. J EROMEJ e suis si content de cette gouvernante que
je ne songe point me marier.ARLEQUINOh, quand on a une fille comme
celle-l dans un mnage, on peut bien se passer de femme !M. J
EROMEAssurment, Je me repose sur elle pour l'arrangement de mes
petites affaires.ARLEQUIN Cela vous soulage bien.M. J EROMEJ e t'en
rponds. Aussi, je ne prtends pas payer d'ingratitude tous ses bons
services.ARLEQUINJ e le crois.M. J EROMEJ 'ai rsolu de faire ds
aujourd'hui sa fortune, et la tienne en mme temps.ARLEQUIN, riant.
J e vous vois venir, M. J rme.M. J EROME Que veux-tu dire par l
?ARLEQUINVous rentrez en vous-mme, et vous me choisissez pour vous
dfaire d'elle honntement.M. J EROMETu prends le change, mon enfant.
Il ne s'agit point de cela. Ecoute la confidence que j'ai te
faire.ARLEQUIN Vous n'avez qu' parler.M. J EROMEJ 'avais unfrre
nomm Mdard, tabli Carthagne. Sa femme et lui sont morts, et n'ont
laiss qu'une fille de dix-huit ans, nomme Argentine, qui a pris le
parti de s'embarquer pour venir en France avec cent bonnes mille
livres en lingots.ARLEQUIN Cent mille livres ! Peste ! Cela est bon
!M. J EROMEJ 'ai t la recevoir Brest, et nous n'en sommes de retour
que d'hier au soir. Mme Candi, ma sur, veuve d'un confiseur de la
rue des Lombards, qui est une marieuse, a dj un pouseur en main
pour Argentine.ARLEQUIN Tant mieux. Vous en serez plus tt
dbarrass.M. J EROMENon, non, je ne veux point marier ma nice. Il
faudrait en la livrant...(Il fait l'action de compter de
l'argent.)ARLEQUINAh, je vous entends ! Vous couchez en joue les
lingots.M. J EROMETu l'as dit. Et vois ce que j'ai dessein de faire
pour me les approprier.ARLEQUINVoyons.M. J EROMETu vas te dguiser
en fille, et je te ferai passer pour Argentine.ARLEQUIN Qui, moi ?
Fi donc ! Vous n'y pensez pas !M. J EROMEOh que si ! Ce n'est que
pour dgoter le cavalier dont ma sur a fait choix pour ma
nice.ARLEQUIN Fort bien.M. J EROME Il me faut un visage trs
dsagrable.ARLEQUIN J e vous parais donc propre.M. J EROMEAdmirable.
J 'avais jet les yeux sur un certain ngre, mais j'aime mieux te
donner ce personnage faire.ARLEQUIN J e vous remercie de la
prfrence.M. J EROMEJ e ne sais pas mme si le cavalier viendra
jusqu'ici, car ma sur ne t'aura pas si tt vu qu'elle sera la
premire rompre ce mariage.ARLEQUINCela peut tre.M. J EROMETu
devines le reste. Mme Candi me laissera disposer de la pupille dont
je suis tuteur.ARLEQUINSans difficult.M. J EROMEAussitt, je vous la
clotre secrtement dans le fond d'une province o ma sur ne s'avisera
jamais d'aller.ARLEQUINVoil ce qui s'appelle un tuteur !M. J EROME
J e me rendrai matre de tous les lingots.ARLEQUIN, se grattant
l'oreille. Il y a quelque chose redire cet article-l.M. J EROMEOh,
vous en aurez, Marinette et toi, une bonne partie !ARLEQUIN C'est
une autre affaire.M. J EROME Tu vois prsent mon intention.ARLEQUIN
J e la trouve fort raisonnable.M. J EROMEAprs tout, Argentine est
belle et d'un caractre vif; elle se perdrait dans le
monde.ARLEQUINLe bon oncle que vous tes ! Vous n'avez en vue que
son bien.M. J EROMEOr sus, ne perdons point de temps. J e vais
faire avertir ma sur de mon arrive. Prpare-toi bien jouer ton
personnage.ARLEQUIN Ne vous mettez pas en peine.M. J EROMEFais tout
ce que tu pourras pour lui ter l'envie de marier sa nice.ARLEQUIN
Vous serez content de moi.M. J EROMEMarinette va te donner tout ce
qu'il faut pour ton dguisement.(Il sort.)SCNE IVARLEQUIN, seul.Me
voil charg d'un beau rle ! J e suis oblig de me rendre dsagrable
aux hommes. Franchement, je ne sais si je pourrai m'y rsoudre,
quand j'aurai une fois sur le corps un habit de femme.SCNE V
ARLEQUIN, MARINETTEMARINETTE, apportant une toilette et des habits
de femme.Tiens, voici ma toilette et des habits que je
t'apporte.ARLEQUINAh, petite malicieuse, c'est donc pour reprsenter
une laideron que tu m'as introduit chez M. J rme !MARINETTE, lui
passant la main sous le menton.Va, mon ami ! Cette laideron-l ne
laisse pas d'tre mes yeux un joli brunet.ARLEQUINLa friponne ! Que
j'ai d'impatience de gagner des lingots !MARINETTE J e n'en ai pas
moins d'envie que toi.ARLEQUINQue je te ferai porter d'habits dors,
quand je serai ton mari !MARINETTE, s'en allant.Ah, que je t'en
ferai porter aussi, quand je serai ta femme !ARLEQUIN Oh, je n'en
doute pas !SCNE VIARLEQUIN, seul., changeons de dcoration. Voil
peut-tre la premire fois qu'on s'est mis une toilette pour s'tudier
dplaire aux hommes.(Il arrange sa toilette, crache dessus le
miroir, l'essuie, etc. Il se met sur un tabouret, prend un peigne,
et dit.)Commenons par nous faire un chignon en cul de Barbet.(Il
fait comme s'il se peignait le derrire de la tte et, s'arrtant tout
coup.)Mais non. J e n'y pense pas. J e suivrais la mode. Ce n'est
pas le moyen de dplaire des yeux franais. Enluminons nos joues.(Il
se met du rouge sur une joue et du blanc sur l'autre. Il regarde
ensuite les spectateurs, et dit.)Il me semble que cela n'est pas
mal. Mettons prsent notre coiffure.(Il prend une petite coiffure la
mode. Il l'examine et la retourne de tous cts, en disant.)Quel
diable de truc ! Quel colifichet !(Il la met sur sa tte et, aprs
s'tre regard dans le miroir.)Morbleu ! Que fais-je ? J e me coiffe
en Oreille de chien ! S'agit-il donc ici de faire des conqutes ?
Voyons s'il n'y a pas d'autre coiffure.(Il en trouve une autre qui
est l'ancienne mode, fort leve.)Bon. Voici des Tuyaux d'orgue !(Il
se la met sur la tte, se lve et vient sur le devant du thtre se
faire voir.)Quel drle d'air cela me donne ! J e ressemble une
coquecigrue. Ma foi, le tout bien considr, j'en reviendrai la
premire.(Il retourne la toilette, et examine tout ce qu'il y a
dessus.)Qu'est-ce que c'est que tout ceci ? Une Creve, un
Solitaire, une Follette, des Maris, une Bagnolette... Si j'tais sr
qu'il ne vnt point de petit-matre me voir, je pourrais me servir de
tout cela, mais... Parbleu ! Tout coup vaille, mettons-nous la mode
!(Il se met tous ces ajustements.)Allons, ma jupe, prsent. La
voici. Diable ! C'est une Criarde ! Mais n'est-ce point plutt un
Gaillard ? Non, ma foi, c'est un vrai panier.(Il met ce panier qui
est d'une largeur outre.)Malepeste ! Quel contour !(Et, en mettant
la jupe.)J e suis aussi large par le bas que Georges d'Amboise.(Il
fait plusieurs lazzis en achevant de s'habiller. Aprs quoi, il se
regarde dans le miroir, et chante.)Ah ! Vous avez bon air, Bon air
vous avez !SCNE VII ARLEQUIN, M. J EROMEM. J EROME, riant. Ha, ha,
ha, ha, ha ! Quel minois !ARLEQUIN, minaudant comme une
coquette.Monsieur J rme, de grce, ne me flattez point. Comment me
trouvez-vous ?M. J EROME A merveille. Tu es un vrai remde
d'amour.ARLEQUINC'est ce qui me semble. Je ferais prsentement la
nique un pouvantail de chnevire.M. J EROMEC'est ainsi que je te
voulais. Qu'il vienne maintenant des pouseurs !SCNE VIII M. J
EROME, ARLEQUIN, MARINETTEMARINETTE, d'un air empress. Chut, chut !
Mme Candi est la porte avec ses enfants.M. J EROMEIl faut que je la
prvienne. Retire-toi pour un moment avec Marinette.SCNE IXM. J
EROME, seul.Notre sur est une commre bien ruse : mais avec toute sa
finesse, elle sera la dupe de mon stratagme.SCNE XM. J EROME, Mme
CANDI, CHARLOT et J AVOTTE, les enfants.Mme CANDI, courant
embrasser M. JEROME.Bonjour, mon frre. Soyez le bien-revenu.M. J
EROMEExcusez, ma sur, si je ne vous ai pas prvenue. Mais je me suis
senti si fatigude ce misrable coche...Mme CANDIBon ! Nous devons
bien tre sur la crmonie, nous autres !CHARLOT, sautant au cou de M.
JEROME.Eh, mon oncle, vous voil !J AVOTTE, embrassant aussi son
oncle.Comment vous portez-vous, mon oncle ?M. J EROME Fort bien,
mes enfants, fort bien.Mme CANDIEt ma chre nice Argentine : o
est-elle donc, mon frre ? J e suis grosse de l'embrasser.M. J EROME
Ah, ma sur, je suis dans la dernire dsolation !Mme CANDI, tonne.
Que dites-vous ?M. J EROME Que nous sommes malheureux !Mme CANDI,
fort mue. Qu'y a-t-il donc ? Expliquez-vous !J AVOTTE Est-ce
qu'elle est malade, mon oncle ?CHARLOT Serait-elle morte ?M. J
EROMEC'est pis que tout cela. Ce n'est pas une fille que j'ai amene
Paris, c'est un monstre.Mme CANDIJuste ciel !M. J EROME Elle est
d'une laideur, mais d'une laideur...MME CANDIQu'entends-je !J
AVOTTEAh!CHARLOTEst-il possible ?M. J EROME Elle est effroyable.
Vous en allez juger.(Il appelle.)Hol, Marinette !SCNE XIM. J EROME,
Mme CANDI, CHARLOT, J AVOTTE, MARINETTEMARINETTE Me voici.M. J
EROME Faites venir Argentine.MARINETTE Argentine ?M. J EROME Oui,
Argentine.MARINETTEPardi ! Voil encore une belle pice de cabinet !
Le beau rgal donner Mme Candi !Mme CANDI N'importe, Marinette,
allez la chercher.MARINETTEMadame, si vous saviez jusqu' quel point
elle est horrible...M. J EROME Faites ce que l'on vous
dit.MARINETTE Reprsentez-vous une tte plus noire...Mme CANDIPlus
noire, plus noire... Obissez, raisonneuse ! Il faut bien que je la
voie, une fois.M. J EROME Satisfaites ma sur.MARINETTE Oh ! tout
l'heure.(Elle fait deux pas et revient.)Mais, madame, n'y a-t-il
aucun danger vous la montrer ?Mme CANDIA me la montrer ! Vous tes
bien impertinente, ma mie. Il y a un an que je suis
veuve.MARINETTEJ e vous demande pardon. Je ne compte pas comme vous
les jours de veuvage.(Elle s'en va.)SCNE XIIM. J EROME, Mme CANDI,
CHARLOT, J AVOTTEMme CANDI, en colre.Autre insolence. Mais voyez un
peu cette bgueule avec ses airs railleurs. Je ne sais qui me
tient...M. J EROME, la retenant. Ne vous emportez pas, ma sur. Elle
n'a pas cru...Mme CANDIElle n'a pas cru, elle n'a pas cru...
Vraiment, elle aura toujours raison avec vous !M. J EROME Voici
notre Amricaine.SCENE XIIIM. J EROME, Mme CANDI, CHARLOT, J AVOTTE,
MARINETTE, ARLEQUINMARINETTE Place, place la belle Argentine !J
AVOTTE Ah, qu'elle est laide !CHARLOT La vilaine cousine !Mme CANDI
O dieux !MARINETTE, Mme CANDI. Vous a-t-on surfait ?M. J EROME, sa
sur. J e vous l'ai bien dit !Mme CANDI.Mon frre Mdard peut-il avoir
fait une pareille crature ?ARLEQUINEn vrit, ma tante, j'ai honte de
paratre devant vous dans l'tat o m'a mise une longue navigation.
(L'embrassant.) Permettez-moi de vous accoler.Mme CANDI, s'essuyant
le visage.Pouah !ARLEQUIN, JAVOTTE.Venez, ma chre cousine, que je
vous embrasse.J AVOTTE, se retirant derrire sa mre.Oh, non ! J e ne
veux pas vous baiser.ARLEQUIN Et vous, mon petit cousin ?CHARLOT
Vous tes trop laide ! Allez, je vous en quitte !ARLEQUIN, dclamant
sur le ton d'un hros de thtre ces vers parodisde Phdre et
Hippolyte.Que vois-je ? Quelle horreur dans ces lieux rpandue Fait
faire mes parents la grimace ma vue ? J e n'ai pour tout accueil
que des frmissements ! Tout fuit, tout se refuse mes embrassements
! Et moi-mme, prouvant la terreur que j'inspire J e voudrais tre
encor dans mon frle navire.M. J EROME, ARLEQUIN.Ma nice, vous ne
devez point trouver cet accueil trange; les traits et la noirceur
de votre visage...ARLEQUIN Il est vrai que je suis diablement
hle.Mme CANDIOui, c'est un hle que vous avez apport du ventre de la
mre.ARLEQUINH, ventrebleu ! Madame Candi, est-ce ma faute, moi ? Ma
chienne de mre avait toujours ses trousses une douzaine de
ngres.Mme CANDI Comme elle parle !ARLEQUINTelle que vous me voyez
pourtant, je n'ai pas laiss de faire du bruit dans le Nouveau
Monde.MARINETTE, part.Que va-t-il dire ? Il va
s'embarrasser.ARLEQUINJ 'ai t enleve cinq ou six fois. Et mon pre
la fin fut oblig de me mettre l'hpital pour soustraire mes charmes
aux poursuites de mes amants.M. J EROME, Mme CANDI. Quelle ducation
on lui a donne !ARLEQUINIl fallait voir comme chacun me cajolait
sur la route. Il y avait plus de matelots aprs moi qu'il n'y a de
pages aprs une jolie bouquetire.Mme CANDI, part. Quelle effronte
!MARINETTE, ARLEQUIN.Vous ne serez pas dans ce pays-ci si tourmente
des hommes.ARLEQUIN, MARINETTE.Taisez-vous, guenon. (A Mme CANDI.)
propos d'hommes, ma tante, vous ne me parlez point du Grivois que
vous me destinez. J e ne doute pas que vous ne l'ayez bien choisi.
Vous me paraissez une connaisseuse.Mme CANDIQuelle impudence ! Cela
ne presse pas, petite garonnire.ARLEQUINPardonnez-moi, vraiment. Et
si vous ne vous dpchez de me marier, je veux que cinq cent mille
diables m'emportent, si je ne recommence la vie que je menais dans
l'Amrique.Mme CANDI, en fureur. C'en est trop ! J e ne puis plus la
souffrir !M. J EROME, MARINETTE. Qu'on la remne dans son
appartement.ARLEQUIN Adieu, ma tante.SCNE XIVM. J EROME, Mme CANDI,
CHARLOT, J AVOTTEMme CANDI Ah ! Mon frre, la vilaine bte !M. J
EROMEC'est l'opprobre de la famille. Il faut enfermer cela au plus
tt dans un clotre pour le reste de ses jours.Mme CANDINon, non. On
ne gardera pas dans un couvent une fille de ce caractre-l, qui
serait capable de corrompre les autres, et de nous dshonorer par
quelque action d'clat. Et d'ailleurs, nous aurions sur la
conscience tout le mal...M. J EROME H ! Qu'en ferons-nous donc ?Mme
CANDIMarions-la au premier venu. Car il ne faut plus penser au
gentilhomme que je voulais lui donner.M. J EROME Mais qui diable en
voudra ?Mme CANDIJ e vais envoyer ici tous les hommes que je
rencontrerai. Il y aura bien du malheur, s'il ne s'en trouve pas
quelqu'un que cent mille livres puissent tenter.M. J EROME Mais, ma
sur, quel projet...Mme CANDIJ e le veux.M. J EROME Songez-vous au
ridicule que...Mme CANDIParoles perdues. Vous savez que quand j'ai
envie de faire quelque chose, je n'en dmords jamais !(Elle sort
avec ses enfants.)SCNE XVM. JEROME, seul.Quel enttement ! Me voil
dans un embarras que je n'avais point prvu.(Il appelle.)Marinette !
Arlequin !SCNE XVIM. J EROME, MARINETTE, ARLEQUINARLEQUINQue vous
plat-il, mon oncle ? M. J EROMEH, mon oncle ! Maudit babillard ! Tu
viens de nous tailler de belle besogne!ARLEQUINQu'y a-t-il ?M. J
EROMETu nous mets dans la ncessit d'essuyer les visites de tous les
hommes que Mme Candi va nous envoyer.ARLEQUIN Pourquoi donc cela
?M. J EROMETu pouvais bien te passer de tmoigner tant d'envie de te
marier. Tu as paru trop effronte ma sur, qui se fait un scrupule
qu'on te metteau couvent. Elle veut qu'on te livre au premier qui
voudra de toi.MARINETTE Tant pis. Il y a Paris des affams
qui...ARLEQUIN H bien, il faudra refuser ceux-l.M. J EROMEOui. Mais
ils iront se plaindre ma sur, qui nous en amnera peut-tre un, dont
nous aurons bien de la peine nous dbarrasser.ARLEQUIN Ne craignez
rien.MARINETTE On frappe. N'en serait-ce pas dj quelqu'un ?(Elle va
ouvrir la porte.)ARLEQUINJ e vais prendre un voile, pour mieux me
jouer des originaux qui vont venir me voir.(Il sort.)SCNE XVIIM. J
EROME, seul.Morbleu, j'enrage ! Tout ceci va faire un cancan parmi
les badauds. Ils assigeront ma porte, et je serai obligd'y mettre
des Gardes.SCNE XVIIIM. J EROME, UN CLERC DE PROCUREURLE CLERC,
saluant M. JEROME. Monsieur, n'est-ce pas vous qu'il faut
s'adresser pour voir la Tte-Noire ?M. J EROME Qu'appelez-vous la
Tte-Noire ?LE CLERCC'est une riche demoiselle qui arrive d'Amrique.
Mme Candi, que je viens de rencontrer, me propose de l'pouser, si
elle me convient.M. J EROMEVous n'tes pas, sans doute, inform de
toute sa laideur.LE CLERCPardonnez-moi. Mais je suis matre-clerc de
procureur; je n'ai pas de quoi acheter unecharge : je suis capable
de tout faire pour en avoir une.M. J EROME, part.Ce drle-l parat
avoir bon apptit. Tchons de le dtourner de son dessein.(Haut.)Mon
enfant, je ne vous conseille pas...LE CLERCTrve de conseil
l-dessus. La dame sera bien horrible si j'y renonce.M. J EROMEJ e
vois qu'il faut vous contenter. Tenez, la voici. Vous pouvez
l'entretenir.(M. JEROME se retire.)SCNE XIXLE CLERC, ARLEQUIN, le
visage couvert d'un voile.LE CLERCMademoiselle, vous voyez un
apprenti procureur, qui madame votre tante a permis de comparatre
devant vous, pour vous proposer de vous conjoindre avec lui par le
lien matrimonial.ARLEQUINVous me faites trop d'honneur, monsieur. J
e voudrais que mes charmes fussent au niveau de mon bien, pour
pouvoir vous offrir l'agrable et l'utile.LE CLERCOh, ma foi,
mademoiselle, les procureurs n'ont affaire que du dernier, et ce
n'est point une belle femme qui porte chez eux la Corne d'abondance
!ARLEQUINCela suppose que les procureurs ngligent bien leurs
femmes. coutez, je ne m'accommoderais point du tout d'un mari
indiffrent.LE CLERC J e ne ressemblerai point aux autres.ARLEQUINJ
e serais au dsespoir d'tre oblige de rabattre sur des clercs.LE
CLERCVous n'en viendrez pas l. Allons, ma Reine, faites vite
exhibition de ces traits que vous me cachez.ARLEQUINNon, non.
Tenez, mon poulet, je crois que vous feriez mieux de m'pouser sur
l'tiquette.LE CLERCVous n'avez rien craindre, ma Princesse; je suis
prvenu que vous n'tes pas belle.ARLEQUIN Mais j'ai le visage si
baroque !LE CLERCN'importe.ARLEQUINJ 'ai le teint plus noir que
l'me d'un vieux procureur.LE CLERCTant mieux ! Mon front en sera
plus en sret. Montrez-vous, de grce.ARLEQUINJ e ne puis m'y
rsoudre.LE CLERC J e vous en prie.ARLEQUIN, levant son voile. J e
cde vos instances.LE CLERC, fuyant pouvant.Ah ! L'horrible monstre
! J 'aime encore mieux me passer de charge.SCNE XXARLEQUIN, seul,
riant.Ha, ha, ha, ha, ha ! Comme il dtale ! Bon. En voil dj un
d'expdi.(Il abaisse son voile.)SCNE XXI ARLEQUIN, UN PEINTRELE
PEINTRE, part. Voici sans doute la personne en question.ARLEQUIN,
part. Autre coureur de lingots.LE PEINTRE, encore part. Elle n'est,
parbleu, pas mal faite.ARLEQUIN A qui en voulez-vous, monsieur ?LE
PEINTREA Mlle Argentine.ARLEQUIN C'est moi. Qui tes-vous ?LE
PEINTREJ e suis un peintre qui a plus d'habilet que de
bonheur.ARLEQUINCela veut dire en bon franais que vous tes gueux.LE
PEINTREC'est la vrit.ARLEQUIN J e sais un moyen de vous enrichir.LE
PEINTREQuel est-il ?ARLEQUINVous n'avez qu' me peindre en petit,
faire graver et courir mon portrait dans les rues : tout Paris
l'achtera.LE PEINTRE J e ne veux devoir ma fortune qu'
l'original.ARLEQUIN Rien n'est plus poli.LE PEINTREOui,
mademoiselle, avec quelques couleurs qu'on m'ait peint votre
visage, mon cur (que l'Amour, sans doute, a destinpour vous) m'a
fait regarder comme une fable tout ce qu'on m'en a dit. En un mot,
je vous crois belle. Mon imagination est prvenue en votre
faveur.ARLEQUIN, part.Voil un fou qui est bien peintre. Il faut que
je m'en divertisse.LE PEINTRE, lui prenant la main. Laissez-moi, je
vous en conjure, laissez-moi voir ces traits dont je me suis fait
une si charmante ide.ARLEQUIN, d'un air attendri.Hlas !LE PEINTRE
Vous soupirez !ARLEQUIN Ah ! petit fripon ! Pourquoi vous ai-je vu
?LE PEINTRE Qu'entends-je ? Serais-je assez heureux
pour...ARLEQUIN, demi-voix.Paix. Taisez-vous. Voyez si quelqu'un ne
serait point aux coutes.LE PEINTRE, aprs avoir regard de tous cts.J
e ne vois personne. Mon ange, dcidez de mon sort.ARLEQUINJ e vous
aime, mon mignard. La confidence que je vais vous faire ne vous
permettra pas d'en douter. J e suis belle, en effet, et plus belle
encore que vous ne l'imaginez.LE PEINTRE, transport, lui baisant la
main.J 'en suis persuad. Cette menotte me le promettait
bien.ARLEQUINM. J rme, mon oncle, qui par des vues de tuteur me
fait passer dans le monde pour une crature effroyable, me dfend
d'ter mon voile, sous peine d'tre battue comme pltre.LE PEINTRE Le
mchant homme !ARLEQUIN Mais quand je devrais recevoir autant de
coupsde bton qu'une bourrique de Montmartre, je veux satisfaire
votre curiosit.LE PEINTRE Que d'attraits vont s'offrir mes yeux
!ARLEQUINJ e vais vous montrer un modle qui vous servira pour
peindre Vnus.(Il lve son voile.)LE PEINTRE, effray, s'enfuyant.
Misricorde ! C'est plutt un modle pour peindre en laid les Furies
d'Enfer !(ARLEQUIN abaisse son voile.)SCNE XXIIARLEQUIN, UN MITRON,
ayant vu sortir LE PEINTRE.LE MITRON, part.C'est mon tour glisser.
Sachons si c'est pour nous que le four chauffe.ARLEQUIN,
chantant.Un mitron de GonesseVient pour cuire mon four...LE
MITRONa, mademoiselle, voyons voir si nous nous accommoderons l'un
de l'autre.ARLEQUIN J 'en doute fort, mon ami.LE MITRON Pourquoi
?ARLEQUINNe vous a-t-on pas dit que j'tais richement laide ? LE
MITRONPour a, oui. Mais quand on ne me l'aurait pas dit, je
l'aurais morgu bien devin.ARLEQUINA quoi ?LE MITRONEst-ce qu'on
jetterait comme a la tte une fille qui a tant de quibus, si elle
n'avait pas queuque fer qui loche ?ARLEQUINTu as raison. Et malgr
l'attrait de mes lingots, j'ai bien peur de monter en graine.LE
MITRONOh, que non ! Il n'y a si petit pot qui ne trouve son
couvercle. Tenez, mademoiselle, il ne fautpoint tant de farine pour
faire une miche. Touchez l. J e suis votre homme, queuque mine que
vous portiez dans la phisolomie.ARLEQUINTu ne pourras jamais
m'envisager sans jeter tripes et boyaux.LE MITRONL'y a du remde a.
J evous mettrai pendant le jour la tte dans un sac. Et la nuit,
(comme dit l'autre), tous chats sont gris.ARLEQUINCe n'est pas
tout, mitron. Un mari aura bien souffrir de mon humeur.LE MITRON J
e m'accommode de tout, moi.ARLEQUIN J e suis fantasque, brutale,
diablesse.LE MITRON J e sommes donc de la mme pte.ARLEQUIN J e bois
comme un tambour.LE MITRONTant mieux ! J e m'enivre ordinairement
tout seul; vous me tiendrez compagnie.ARLEQUIN, part. Rien ne dgote
cet homme-l !(Haut.)Nous voil d'accord, mon ami. Il ne reste plus
qu'une difficult. Une fille comme moi n'est pas faite pour un
mitron.LE MITRONH, pargoi ! Avec votre argent, j'aurai bientt achet
une savonnette vilain.ARLEQUIN, se dvoilant.A propos de savonnette,
trouves-en une pour ce visage-l !LE MITRON, saisi d'effroi et
tremblant de tous ses membres.Ahi, ahi, ahi, ahi, ahi, ahi, ahi
!ARLEQUIN Qu'avez-vous donc, mon petit pain mollet ?LE MITRON, se
retirant reculons et pas pas, en regardant ARLEQUIN en homme transi
de peur.Eh, c'est un dmon !... Oui, c'en est un ! Il n'a point de
blanc dans les yeux !SCNE XXIIIARLEQUIN, seul, riant.Mitron, serre
la botte1! Serre la botte ! Ha, ha, ha ! J 'ai cru d'abord ce
drle-l plus rsolu.SCNE XXIV ARLEQUIN, MARINETTEMARINETTE Courage,
Arlequin ! Cela ne va pas mal.ARLEQUIN N'est-il pas vrai
?MARINETTEAssurment. Tu vas voir tout l'heure un Suisse qui est la
porte.ARLEQUINTant pis.MARINETTEIl est entre deux vins.ARLEQUINUn
Suisse entre deux vins ! Ah, morbleu ! Qu'on ne le laisse pas
entrer, ou je ne rponds de rien !MARINETTEIl n'est plus temps. Le
voici.ARLEQUIN, abattant son voile. La mauvaise visite !SCNE XXV
ARLEQUIN, MARINETTE, UN SUISSELE SUISSE, MARINETTE.N'tre pas d'ici,
mondame, que l'avre ein demoisel avec ein tte de mort ?ARLEQUIN,
part. Que vais-je devenir ?MARINETTE, au Suisse. Que lui
voulez-vous ?LE SUISSE En vouloir faire mon femme.MARINETTE Mais
savez-vous qu'elle est hideuse, et que...LE SUISSEOh ! moi point de
dgoteman ! Che prendrai lui, quand serait ein Diaple.ARLEQUIN,
part. Le maudit Suisse !LE SUISSE, montrant ARLEQUIN.L'tre l
?MARINETTEC'est elle-mme.LE SUISSEMondemoisel. Serviteur vous.
Montrer ein peu ton tte.ARLEQUIN Allez-vous-en !LE SUISSE Moi point
m'en aller, et pouser toi tout--s't'hire.ARLEQUIN J e ne suis pas
presse.LE SUISSEL'tre, moi, d'avre on l'argent, per poire touchours
comme ein trou.ARLEQUIN, part. Le vilain sac--vin !LE SUISSEPoint
de refuseman, ou moi coupe ton tte noire.(Il tire son
sabre.)ARLEQUIN, lui retenant le bras, et se dvoilant.Attendez donc
! Attendez donc !LE SUISSE Comment ? N'tre point si
effroyaple...ARLEQUIN, part. Ah ! J e m'en doutais bien !LE SUISSE
L'tre presque cholie...ARLEQUIN, part. Hom ! De quelle faon m'en
dferai-je ?(Bas MARINETTE.) Va-t'en vite qurir du vin, que je
l'achve.(MARINETTE court chercher du vin.)SCNE XXVI ARLEQUIN, LE
SUISSELE SUISSESi vous l'pousse moi, fous sera le matre dans mon
maison. Moi demeurer touchours l'caberet.ARLEQUINVous tes fort de
mon got, ma grosse futaille. Ho , il faut baucher la connaissance
par boire ensemble. Voil de bon vin qu'on nous apporte.SCNE
XXVIIARLEQUIN, LE SUISSE, MARINETTELE SUISSE, sautant au cou
d'ARLEQUIN.Meiner lieben frau ! Chel fous aimerai encore plus que
davantage ! L'tre ein bonne vivante !ARLEQUIN, lui prsentant un
verre, et lui versant du vin.Allons, Trinckt, mein Herr !(LE SUISSE
se jette sur la bouteille, et la vide et, aprs plusieurs lazzis
d'ivrogne qui donnent du jeu ARLEQUIN, il tombe ivre
mort.)MARINETTE Nous en voil dbarrasss.ARLEQUIN Aide-moi,
Marinette, le traner dans la rue.(Ils le prennent chacun par une
jambe et le tirent dehors. ARLEQUIN, en rentrant, dit.)Nous avons,
ma foi, bien fait de le prendre par l; il nous aurait taill des
croupires.MARINETTE J 'en avais peur. Quel autre homme vient ici
?(ARLEQUIN baisse son voile.)SCNE XXVIIIARLEQUIN, MARINETTE, UN
GASCONUN GASCONServiteur, Mesdemoiselles. De grce, qui de vous deux
est la Tte-Noire ?MARINETTE Le compliment est gracieux.ARLEQUIN
C'est moi, M. de la Garonne, votre service.UN GASCONSandis ! Voil
dj une taille qui me met tout en feu !MARINETTEPeste ! Vous tes
bien combustibles, vous autres gascons !ARLEQUINCe n'est rien que
ma taille. Quand vous aurez vu mon minois, il faudra vous lier.LE
GASCONNe croyez pas railler. J e m'attends bien vous trouver de mon
got.MARINETTEQuel conte ! Un joli homme comme vous, qui sans doute
est couru des plus aimables dames...UN GASCONH donc ! C'est pour
cette raison. J e suis assig par les plus belles femmes. La beaut
me rebute. J 'en ai jusques aux gardes.ARLEQUIN, part.Le fat
!MARINETTEOh ! Nous avons de quoi vous remettre en apptit !LE
GASCONC'est ce que je cherche. J e me figure qu'une laide me
piquera.ARLEQUINCe n'est donc pas mes cent mille livres qui vous
amnent ?LE GASCONCela ne gtera rien. J 'ai besoin de cette somme
entire pour achever de payer une terre de trente mille
cus.MARINETTE, riant. Quelle avance avez-vous donc faite ?LE
GASCONJ 'ai avanc ma parole, ce n'est pas peu. Mais dpchons-nous,
mignonne. Montrez-vous, je vous pouse.ARLEQUIN Me le promettez-vous
?LE GASCON Oui, Diou me damne !ARLEQUINJ e me rends ce serment.
Vous allez me voir. Mais, Rodrigue, as-tu du cur?LE GASCONSi j'ai
du cur, caddis ! Paraissez, Navarrais, Mores et
Castillans!ARLEQUIN, se dvoilant. H bien, tenez. Voici un More. LE
GASCON, effray. Ah, ventrebleu ! Quel visage !MARINETTE Voil ce que
vous demandez, n'est-ce pas ?LE GASCON Pas tout fait, cette laideur
passe un peu le but.MARINETTE Comment donc, Monsieur ? Vous
mollissez ?ARLEQUINVous saignez du nez ! Est-ce ainsi, petit
tratre, que vous gardez la foi jure ?LE GASCONAttendez. Cette
affaire demande quelque rflexion. J e repasserai tantt.(Il sort
brusquement.)ARLEQUIN, riant. Ha, ha, ha, ha !MARINETTE Attendez-le
sous l'orme !SCNE XXIXARLEQUIN, MARINETTE, M. J EROMEARLEQUIN,
rabaissant son voile.Voici encore quelque galant. Mais non, c'est
M. J rme.M. J EROME, d'un air intrigu.Arlequin, voici ma sur qui
amne lecavalier qu'elle avait choisi pour
Argentine.ARLEQUINLaissez-le venir. J e vous en rendrai bon
compte.SCENE XXXM. J EROME, ARLEQUIN, MARINETTE, Mme CANDI,
CLITANDRE, UN NOTAIREMme CANDI, CLITANDRE. Vous ne voulez donc pas
me croire ?CLITANDRENon, madame. J e crois plutt que vous
plaisantez. Argentine ne saurait tre telle que vous me la
dpeignez.ARLEQUIN, part. Ciel ! C'est Clitandre, mon matre !Mme
CANDI Vous allez tre dsabus.M. J EROME J e vous en
rponds.CLITANDRE, montrant le Notaire qui l'accompagne.H bien, en
ce cas-l, nous n'aurons qu' dchirer le contrat que monsieur a dj
dress par votre ordre.(A ARLEQUIN.)Belle Argentine, c'est pour me
surprendre plus agrablement qu'un oncle, qu'une tante me veulent
prvenir contre vous. J e n'en suis pas la dupe.ARLEQUINOh, pour
cela, si ! Vous ne vous attendez point voir le visage que je vais
vous montrer.(Il se dcouvre.)CLITANDRE, pouvant, reculant.O Dieux
!ARLEQUIN, bas CLITANDRE. C'est moi.CLITANDRE, sans reconnatre
ARLEQUIN. Quel objet horrible !ARLEQUIN, toujours bas. J e suis
Arlequin.CLITANDRE, reconnaissant ARLEQUIN. Ah!ARLEQUIN, bas. Dites
que vous voulez m'pouser.Mme CANDI, CLITANDRE. Vous me croyez
prsentement.M. J EROME Hbien, Monsieur, vous voyez.MARINETTE Voil
de quoi il est question.CLITANDRE, Mme CANDI. Laissez-moi la
regarder encore.Mme CANDI Oh, tant qu'il vous plaira !(Il
tousse.)CLITANDRE, aprs avoir regard un moment
ARLEQUIN.Vritablement, la belle Argentine n'a pas le coup d'il
favorable. Mais, force de la regarder, je dcouvre des grces qui
succdent des dfauts.Mme CANDI Vous vous gayez,
monsieur.CLITANDRENon, sur ma foi, madame. Elle a une taille, un
port qui m'enchantent.ARLEQUIN, faisant la rvrence. Cela vous plat
dire, monsieur.M. J EROME Il plaisante. Quel conte !MARINETTE Il se
moque de la barbouille.CLITANDREJ e parle, vous dis-je, trs
srieusement. Et je suis prt recevoir sa main, pourvu qu'elle
consente mon bonheur.ARLEQUIN, faisant la Prcieuse. Monsieur, je
dpends d'un oncle et d'une tante. J e n'ai point d'autre volont que
la leur.M. J EROME Penses-tu ce que tu dis, maraud ?ARLEQUIN, M.
JEROME.Vous avez beau faire, mon oncle ; vous me marierez avec
monsieur, ou le Diable vous emportera.MARINETTE L'tourdi !M. J
EROME, CLITANDRE.Vous l'entendez ! Voudriez-vous faire la folie
d'pouser une dvergonde comme celle-l ?CLITANDREBon ! Ce sont des
vivacits qui n'effarouchent point un officier.Mme CANDI, M.
JEROME.H, pourquoi, mon frre, voulez-vous dtourner monsieur de son
dessein ? Savez-vous bien qu'il nous fait trop d'honneur ?ARLEQUIN,
aprs avoir parl l'oreille de MARINETTE, lui dit demi-voix.Va la
chercher.Mme CANDI, au Notaire. Donnez-moi que je signe le
contrat.M. J EROME, part. J e ne sais comment sortir de cet
embarras-l.LE NOTAIRE, prsentant la plume Mme CANDI.Madame, la
voici.Mme CANDI, signe et donne ensuite la plume M. JEROME.A vous,
mon frre.M. J EROME, aprs avoir sign, dit part.Il me vient une
ide.(Il donne la plume CLITANDRE, et pendant que ce cavalier signe,
il dit bas ARLEQUIN.)Ne signe point, toi, et disparais. J e dmlerai
la fuse comme je pourrai.ARLEQUIN, voyant arriver MARINETTE qui
conduit ARGENTINE.Attendez, monsieur. Voici une demoiselle qui va
signer pour moi.M. J EROME, faisant un grand cri. Ah ! J e suis
trahi !SCNE XXXILES ACTEURS DE LA SCNE PRCDENTE, MARINETTE,
ARGENTINEMARINETTE Vous voyez la vritable Argentine.M. J EROME,
part. La carogne de servante !Mme CANDIQu'est-ce que a veut dire,
mon frre ? Expliquez-nous, s'il vous plat, cette nigme.ARLEQUINIl
n'y a point d'nigme l-dedans, madame. J e suis un honnte garon nomm
Arlequin, qui M. J rme a propos quelques lingots pour faire le
personnage d'Argentine, et dgoter tous les amants qui viendraient
la demander en mariage.M. J EROME, part.Le tratre !Mme
CANDIQu'entends-je !ARLEQUINAprs quoi, il voulait pieusement la
mettre dans un couvent, et rafler...M. J EROME, se ruant sur
ARLEQUIN. Fripon ! Il faut que je t'trangle... !ARLEQUIN A l'aide !
Au guet ! Au guet !(CLITANDRE et Mme CANDI l'arrachent des mains de
M. JEROME.)Mme CANDI, son frre.C'est plutt vous qui tes le fripon.
Allez vous cacher, misrable !M. J EROME Vous tes une vieille
extravagante !Mme CANDI, voulant se jeter sur M. JEROME.Une vieille
! Ah, sclrat !CLITANDRE, la retenant. Eh ! Madame...Mme
CANDILaissez-moi, je vous prie, mettre en pices ce membre pourri de
la famille... Une vieille !(M. JEROME s'enfuit.)SCNE XXXIIMme
CANDI, CLITANDRE, ARGENTINE, ARLEQUIN, MARINETTEARGENTINE, courant
embrasser Mme CANDI.Ma chre tante ! Qu'allais-je devenir si le
ciel, par votre moyen, n'et fait chouer le projet d'un oncle
barbare ?Mme CANDIAh, ma nice, bannissons-le de notre mmoire !
Livrons-nous la joie de nous voir.ARGENTINE J e vais retrouver en
vous la mre que j'ai perdue.Mme CANDIEt vous, ma fille, vous
trouverez, je crois, dans ce cavalier un mari digne de votre
tendresse.CLITANDREAimable Argentine, ne vous rvoltez-vous pas
contre le dessein d'une tante trop prvenue en ma faveur ?ARGENTINE
Monsieur, je suis prte lui obir.Mme CANDIQue toute la famille
s'assemble et se rjouisse de l'heureuse arrive
d'Argentine.CLITANDRE, ARLEQUIN.Ah, mon cher Arlequin, que je t'ai
d'obligation ! J e me souviendrai toute ma vie de ce que tu as fait
pour moi.ARLEQUIN, d'un air froid. J e dirai cela mon
boulanger.CLITANDREJ e t'entends. Va, mon ami, il y a pour toi
mille pistoles.ARLEQUIN, montrant MARINETTE.J e les partage aussitt
avec cette belle nymphe potagre, qui trouvera en moi de quoi rparer
la perte qu'elle fait en M. J rme.SCNE XXXIII ET DERNIRELES ACTEURS
DE LA SCNE PRCDENTE, TROUPE DE MASQUES(Les Masques font une marche.
Aprs quoi, les acteurs rcitent les couplets suivants.)VAUDEVILLE
Premier coupletMme CANDIGarons, qui craignez que l'histoire Ne vous
mette au rang des coucous,Logez-vous la Tte-noire, Il ira peu
d'amants chez vous.CHOEUR Logez-vous, etc.Second
coupletCLITANDREFinanciers, chasseurs de pucelles, Vous n'avez qu'
donner du cor; On fait venir les plus cruelles, Quand on loge la
Tte-d'or.CHOEUROn fait venir, etc.Troisime coupletMARINETTEIl faut
qu'au vin l'on se retranche Ds qu'on sent venir les vieux jours;
Amants, jamais la Tte-blanche Ne fut l'enseigne des amours.CHOEUR
Amants, jamais, etc.Quatrime coupletARLEQUIN, aux
spectateurs.Messieurs, donnez-nous la victoire : Que votre esprit
soit indulgent; Faites-nous, pendant cette Foire, Loger la
Tte-d'argent.CHOEURFaites-nous, pendant cette Foire, Loger la
Tte-d'argent.FIN