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Dossier Reprise du titre du dossier Dossier Novembre - Décembre 2013 | N°6/2013 1 ( Les spécificités des politiques familiales françaises Jérôme Minonzio Chercheur associé à l’Institut de formation et de recherche sur les organismes sanitaires et sociaux (IFROSS) Université Jean Moulin Lyon 3 L’intervention des pouvoirs publics en faveur des familles est un sujet très débattu comme l’ont montré les controverses médiatico-politiques de la campagne présidentielle en 2012 et/ou de la réforme du quotient familial menée en 2013. Les débats ont porté le plus sou- vent sur les modalités de l’aide, ses destinataires et son financement, bien plus que sur la légitimité de l’intervention publique dans ce domaine. Malgré ce large consensus, voire cet unanimisme, appréhender les spécificités des politiques familiales n’est pas une entreprise aisée. Leur analyse interne (composition, périmètre, financement, acteurs...) laisse entrevoir rapidement leur complexité. Et une démarche de comparaison externe avec les politiques similaires des autres pays est nécessaire pour en saisir les spécificités, en particulier pour mesurer leur efficacité et leur impact sur les comportements individuels et collectifs. L’analyse des politiques familiales nécessite des précautions méthodologiques préalables pour pouvoir en tracer clairement le périmètre et repérer les principaux enjeux normatifs et idéologiques qu’elles mettent en œuvre à travers leurs principaux instruments (fiscalité, pres- tations d’entretien, action sociale individuelle et collective, équipements publics) et les publics qu’elles privilégient. La prégnance du familialisme n’empêche pas une individuali- sation de la plupart des dispositifs créés depuis quarante ans. Au total, l’examen des sommes publiques investies chaque année dans ce domaine souligne l’intensité de l’effort qui s’élève de 3 à 6% de la richesse nationale, en fonction du périmètre retenu. La comparaison avec nos voisins européens montrent toutefois que l’exceptionnalité française en matière de poli- tiques familiales tend à diminuer, car ceux-ci ont souvent adopté des dispositifs comparables aux nôtres par leurs modalités et leur ampleur. Intervenir en faveur de la famille met en jeu des conceptions morales et idéologiques concur- rentes. La conception du monde social, sous-jacente aux politiques familiales, n’est pas un équilibre immuable entre ce qui relève de l’individu, de l’Etat ou de la famille. Elle fait l’ob- jet de clivages sociaux et de choix politiques souvent tranchés, mais euphémisés voire impli- cites dans les dispositifs publics concernés. En France, la « politique familiale » recouvre en pratique un ensemble de dispositifs sociaux aux objectifs et aux moyens divers, à tel point que certains auteurs considèrent comme fautif l’emploi au singulier de l’expression « poli- tique familiale », préférant le terme de « politiques familiales », de « politiques sociales à l’égard des familles » ou « d’intervention publique en faveur des familles ». L’emploi du singulier ou du pluriel pour parler de la famille comme catégorie publique est, en soi, porteur de sens d’un point de vue politique, même s’il ne recouvre que très impar- faitement le clivage droite/gauche. Le singulier tend à insister sur l’unicité et l’universalité du phénomène familial et la nécessité de renforcer le cadre familial en tant que fondement de l’ordre social. Il renvoie en cela à une idéologie politique et sociale, le familialisme. L’em- ploi du pluriel tend, au contraire, à souligner la diversité des formes familiales et à suggérer une forme plus ouverte d’intervention publique capable de s’adapter à cette diversité et aux Minonzio_Dossier 06/12/2013 08:38 Page 1
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Les spécificités des politiques familiales françaises

Apr 25, 2023

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Novembre - Décembre 2013 | N°6/2013 1

( Les spécificités des politiquesfamiliales françaises

Jérôme MinonzioChercheur associé à l’Institut de formation et de recherche

sur les organismes sanitaires et sociaux (IFROSS) Université Jean Moulin Lyon 3

L’intervention des pouvoirs publics en faveur des familles est un sujet très débattu commel’ont montré les controverses médiatico-politiques de la campagne présidentielle en 2012et/ou de la réforme du quotient familial menée en 2013. Les débats ont porté le plus sou-vent sur les modalités de l’aide, ses destinataires et son financement, bien plus que sur lalégitimité de l’intervention publique dans ce domaine. Malgré ce large consensus, voire cetunanimisme, appréhender les spécificités des politiques familiales n’est pas une entrepriseaisée. Leur analyse interne (composition, périmètre, financement, acteurs...) laisse entrevoirrapidement leur complexité. Et une démarche de comparaison externe avec les politiquessimilaires des autres pays est nécessaire pour en saisir les spécificités, en particulier pourmesurer leur efficacité et leur impact sur les comportements individuels et collectifs.

L’analyse des politiques familiales nécessite des précautions méthodologiques préalablespour pouvoir en tracer clairement le périmètre et repérer les principaux enjeux normatifs etidéologiques qu’elles mettent en œuvre à travers leurs principaux instruments (fiscalité, pres-tations d’entretien, action sociale individuelle et collective, équipements publics) et lespublics qu’elles privilégient. La prégnance du familialisme n’empêche pas une individuali-sation de la plupart des dispositifs créés depuis quarante ans. Au total, l’examen des sommespubliques investies chaque année dans ce domaine souligne l’intensité de l’effort qui s’élèvede 3 à 6% de la richesse nationale, en fonction du périmètre retenu. La comparaison avecnos voisins européens montrent toutefois que l’exceptionnalité française en matière de poli-tiques familiales tend à diminuer, car ceux-ci ont souvent adopté des dispositifs comparablesaux nôtres par leurs modalités et leur ampleur.

Intervenir en faveur de la famille met en jeu des conceptions morales et idéologiques concur-rentes. La conception du monde social, sous-jacente aux politiques familiales, n’est pas unéquilibre immuable entre ce qui relève de l’individu, de l’Etat ou de la famille. Elle fait l’ob-jet de clivages sociaux et de choix politiques souvent tranchés, mais euphémisés voire impli-cites dans les dispositifs publics concernés. En France, la « politique familiale » recouvre enpratique un ensemble de dispositifs sociaux aux objectifs et aux moyens divers, à tel pointque certains auteurs considèrent comme fautif l’emploi au singulier de l’expression « poli-tique familiale », préférant le terme de « politiques familiales », de « politiques sociales àl’égard des familles » ou « d’intervention publique en faveur des familles ».

L’emploi du singulier ou du pluriel pour parler de la famille comme catégorie publique est,en soi, porteur de sens d’un point de vue politique, même s’il ne recouvre que très impar-faitement le clivage droite/gauche. Le singulier tend à insister sur l’unicité et l’universalitédu phénomène familial et la nécessité de renforcer le cadre familial en tant que fondementde l’ordre social. Il renvoie en cela à une idéologie politique et sociale, le familialisme. L’em-ploi du pluriel tend, au contraire, à souligner la diversité des formes familiales et à suggérerune forme plus ouverte d’intervention publique capable de s’adapter à cette diversité et aux

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choix des individus qui en seraient la source. S’ils ne prennent pas les catégories publiquesqu’ils analysent avec un minimum de distance, les analystes de la question familiale courenten permanence le risque de « naturaliser » les outils et les institutions qui traitent la ques-tion familiale, c’est-à-dire de les considérer comme légitimes et immuables, alors qu’ellesincorporent toujours des enjeux politiques, même si ceux-ci sont parfois peu débattus 1.

Toutefois, le choix des termes ne doit pas être trop déconnecté des usages courants, qu’ilssoient vernaculaires ou mobilisés dans le débat public. L’« intervention publique en faveurdes familles » est sans doute l’expression la plus neutre dans un premier temps pour dési-gner ici notre objet d’étude. Elle permet ainsi de souligner la diversité tant des objectifs quedes acteurs publics et privés impliqués, lesquels vont bien au-delà de l’Etat et de la Sécu-rité sociale car comprenant également les collectivités locales et une multitude d’acteursprivés (associations, entreprises). Mais cette expression est trop large car elle englobe aussil’ensemble des débats concernant la question familiale, que ce soit en matière de droit civil(mariage et adoption des couples de même sexe, obligations alimentaires...), voire de bioé-thique si on pense aux critiques contre les risques de dérives eugéniques du diagnostic pré-natal par exemple.

Or, les réflexions qui suivent sont centrées sur l’ensemble des interventions publiques quitraitent la question familiale comme un risque social et économique, à prendre en chargepar la protection sociale, via des dispositifs relevant principalement de la fiscalité ou du droitsocial. L’emploi de l’expression « politiques familiales » est alors commode pour la présen-tation, si l’analyse est assortie des précautions d’usage. Mais au-delà du raccourci, la dési-gnation « politiques familiales » permet de tester l’objectif de cohérence que les pouvoirspublics souhaitent donner en France à leur intervention dans ce domaine. En prenant commehypothèse à tester la cohérence des politiques familiales, l’analyse entreprise ici conduit às’interroger sur l’évolution de leur périmètre, voire leur articulation avec les autres politiquessociales, sanitaires ou éducatives.

UN EMPILEMENT DE DISPOSITIFS AUX OBJECTIFSVARIÉS : « L’EMPREINTE DES ORIGINES » 2

La pluralité des objectifs et de moyens mobilisés des politiques familiales s’explique engrande partie par l’antériorité historique de l’intervention des pouvoirs publics en faveur desfamilles. Elle remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle mais s’est concrétisée à partir desannées 1930 avec les lois sur les assurances sociales 3 et surtout à la Libération lors de lacréation de la Sécurité sociale et la généralisation des allocations familiales par la loi du 22août 1946. En ces matières, le chercheur en sciences sociales ou le juriste doit travaillercomme un géologue face à un affleurement rocheux, quand il cherche à comprendre la cohé-rence (ou les incohérences) des strates lithiques qu’il observe. Chaque strate possède sa

(1) Merci à A. Math pour ses remarques sur ce point.(2) F.-X. Merrien, État-Providence : l’empreinte des origines, RFAS, n° 2, 1990. 43.(3) Et particulièrement la loi du 11 mars 1932 qui a étendu le bénéfice allocations familiales à l’en-semble des salariés du commerce et de l’industrie en rendant obligatoire l’adhésion des employeursaux caisses de compensation. Le décret-loi du 29 juillet 1939 a généralisé les allocations familialesaux indépendants, ainsi qu’aux personnes en inactivité forcée pour cause de maladie ou de chômage.Ce n’est qu’à partir de 1978 que les allocations familiales ont été universalisées, c’est-à-dire ouvertesà tous les ménages ayant au moins deux enfants, sans conditions de ressources.

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propre consistance et logique institutionnelle, politique et financière 4, qui doit être com-prise indépendamment avant que le puzzle puisse se recomposer.

Historiquement, les deux premières strates sont la compensation des charges financièressubies par les familles du fait de la présence d’enfants et l’accroissement de la population,dont l’expression est la « politique familiale », telle qu’elle a été concrétisée progressive-ment des années 1930 aux années 1960. A la fin de cette décennie, cette unicité séman-tique est battue en brèche par l’intégration d’un objectif social avec la prise en compte desnouvelles formes de pauvreté et la création des premiers minima sociaux, dont la plupartsont familialisés. A partir des années 1970, les politiques familiales se diversifient encore,dans la mesure où les pouvoirs publics leur assignent le soutien à la participation desfemmes au marché du travail, ce qui se traduit par l’objectif de « conciliation de la vie fami-liale et de la vie professionnelle ». Depuis le milieu des années 1990, cette intégration d’ob-jectifs contradictoires a perduré avec la reformulation du familialisme dans le soutien à la« parentalité » mais également avec une prise en compte de la nécessité de favoriser l’é-galité en terme de genre.

Les politiques familiales sont donc traversées par des logiques politiques hétérogènes voirecontradictoires selon certains auteurs 5. Elles cherchent à la fois à favoriser l’autonomie desindividus mais aussi à renforcer le groupe familial, en renouvelant en permanence les modespublics de régulation de la sphère privée 6. L’analyse hésite souvent entre la permanencede certains principes historiques de ces politiques et le renouvellement profond de certainsdispositifs, dans un souci d’adaptation aux évolutions de la société et de modernisation dela gouvernance financière et politique de la protection sociale.

J L’attachement aux principes fondateurs du « familialisme d’Etat »

Ainsi, malgré des appels répétés pour une réforme de grande ampleur visant à les simpli-fier, les politiques familiales restent aujourd’hui fidèles à nombre de leurs caractéristiquesfondatrices, incarnées dans ce que Rémi Lenoir nomme le «  familialisme d’Etat » 7. Cettedoctrine politique s’est constituée à la croisée d’une préoccupation familialiste, influencéepar la doctrine sociale de l’Eglise, et d’un souci nataliste au ressort plus rationaliste et scien-tiste. Ce dernier repose sur le constat d’un retard démographique de la France par rapportà ses principaux voisins européens mais aussi sur une large adhésion à la nécessité pour lespouvoirs publics de promouvoir la famille et les vertus morales qu’elle est censée incarner.Le «  familialisme d’Etat  » met en œuvre une série de mesures, formulées pour certainesdès la fin du XIXe siècle : la cohérence politique de l’aide à la famille incarnée dans l’unitéinstitutionnelle de la branche Famille de la Sécurité sociale et du Haut conseil de la famille(1°), l’universalité des allocations familiales et le principe de solidarité horizontale à travers

(4) L’image du mille-feuille est également mobilisable dans ce cas mais gomme les enjeux historiquesde l’analyse. Sur la métaphore culinaire appliquée aux politiques sociales : J. Damon, La lutte contrel’exclusion, in M. de Montalembert Marc (dir.), La Protection sociale en France, La Doc. française, 4e

éd., p. 158-167.(5) V. par ex. P. Strobel, L’Etat et les transformations de la famille, in P. Tronquoy, Famille(s) et poli-tiques familiales, La Doc. française, 2004. Coll. Les Cahiers Français, n° 322, p. 57.(6) J. Commaille, Misères de la Famille, Question d’Etat, Presses de Sciences-Po, 1996.(7) R. Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Seuil, 2003.

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l’utilisation d’une vaste gamme d’outils fiscaux ou sociaux (2°), le soutien au groupe fami-lial (3°), l’objectif nataliste (4°).

L’unité institutionnelle des politiques familiales (1°) s’est incarnée pour la première fois avecle code de la famille de 1939 8, puis avec la création en 1946 de la branche Famille de laSécurité sociale, formée par l’ensemble des Caisses d’allocations familiales (CAF), successeursdes Caisses de compensation patronales, et de leur Caisse nationale, la CNAF, créée en 1967.L’existence distincte de la branche Famille maintient un affichage d’unité de la politiquefamiliale, même si les CAF ne mettent pas en œuvre la totalité des dispositifs qui s’y ratta-chent. La singularité institutionnelle des politiques familiales est renforcée par la place spé-cifique qu’occupent les associations familiales dans le pilotage de ces politiques. Depuis laloi Gounod de 1942, républicanisée à la Libération, les unions départementales des asso-ciations familiales (UDAF) et leur échelon national, l’UNAF, bénéficient du monopole de lareprésentation familiale à l’égard des pouvoirs publics 9. Cette singularité institutionnelle aété confortée par la tenue annuelle entre 1994 et 2009 des Conférences de la famille 10,rassemblant tous les acteurs institutionnels des politiques familiales et les représentants desassociations familiales, des syndicats et du patronat. Depuis 2009, le Haut conseil de lafamille (HCF) assure une concertation permanente entre ces acteurs. En comparaison desautres pays développés, cette institutionnalisation de la question familiale est une spécifi-cité hexagonale, qui joue un rôle non négligeable sur les possibilités de réformes de cespolitiques.

L’universalité de l’aide et le principe de solidarité horizontale (2°), ferment unificateur dumouvement familial et du familialisme d’Etat, se traduisent d’abord par l’attachement auxallocations familiales (versement forfaitaire à partir du deuxième enfant), généralisées pourles salariés entre 1928 et 1932. Elles gardent encore aujourd’hui une logique universelle,dans la mesure où elles sont destinées à toutes les familles, quel que soit leur revenu. Cettepermanence contraste avec le développement de prestations sous conditions de ressources,comme c’est le cas de pratiquement toutes les prestations créées depuis 1972 (à l’excep-tion majeure de la Prestation d’accueil du jeune enfant en 2003). En 2011, 55% du mon-tant des prestations sociales et familiales distribuées par les CAF n’étaient pas soumises àune condition de ressource 11. En 2013, l’universalité des allocations familiales n’a finale-ment pas été remise en cause, malgré des appels nombreux au profit d’une réforme du quo-tient familial, plus compatible avec les positions du mouvement familial.

Instauré en 1945, le quotient familial, qui diminue le montant de l’impôt sur le revenu enfonction du nombre d’enfants, est le second instrument de la solidarité horizontale (c’est-à-dire de redistribution des richesses des ménages sans enfant vers les familles). Les déduc-tions permises par ce dispositif croissent avec le revenu et favorisent ainsi les ménages pro-portionnellement à leur revenu. Depuis 1998, un plafond de ressources a été introduit pourplafonner cet avantage pour les ménages les plus aisés.

(8) M. Chauvière, V. Bussat, Famille et codification. Le périmètre du familial dans la production desnormes, La Doc. française, 2000.(9) J. Minonzio, J.-P. Vallat, L’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) et les politiques fami-liales : crises et transformations de la représentation des intérêts familiaux en France, Rev. fr. sc. pol.,n° 2, 2006. 205.(10) Auparavant organisées par les associations familiales, les conférences de la famille ont été insti-tutionnalisées par la loi « Famille » de 1994.(11) C. Boissières, Direction des statistiques, des études et de la recherche (DSER), Prestations fami-liales 2011. Statistiques nationales. CNAF, 2011, p. 61 et s.

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Texte surligné
JMinonzio
Note
Cnaf (en minuscule)
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Ferment du familialisme, le soutien à la famille en tant que groupe et première strate dulien social (3°), apparaît avec l’idée que l’espace domestique et les parents sont le premiervecteur de l’éducation des enfants et doivent être pris en compte en tant que tels par lespouvoirs publics. Ainsi, le soutien traditionnel au maintien de la mère au foyer est maintenudans le cadre de la Prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), créée en 2003. Bien que nevisant pas explicitement les femmes, elles en sont les principales utilisatrices, et prolongentainsi le principe d’un salaire maternel, défendu depuis la fin du XIXe par le mouvement fami-lial, au nom de la dette de la Nation à l’égard des parents élevant des enfants, par ailleursfuturs soldats. La PAJE permet de compenser en partie, par l’octroi d’une allocation forfai-taire, l’arrêt d’activité d’un parent qui s’arrête de travailler pour s’occuper de ses enfants. Le« libre choix » proposé aux parents de travailler et de faire garder leurs enfants ou de s’enoccuper eux-mêmes apparaît comme la mise au goût du jour de cette préoccupation fami-lialiste 12. Celle-ci est aussi nettement perceptible dans le soutien à la « fonction parentaleet à la parentalité ». Au-delà du barbarisme, l’appui à la parentalité désigne plus simple-ment l’aide apportée par la collectivité aux parents afin de les aider à remplir leurs fonc-tions éducatives, comme les services proposés par l’association L’Ecole des Parents... A l’au-tomne 2013, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoyait un doublementdes aides aux associations impliquées dans ce domaine.

L’objectif nataliste (4°), présent dès l’origine des politiques familiales au début du XIXe siècle,reste toujours explicite dans les discours politiques mais est aussi perceptible dans la légis-lation, dans la mesure où le montant moyen des allocations familiales et des avantages fis-caux augmentent selon le rang de l’enfant et que les ménages n’ayant qu’un enfant àcharge ne touchent pas d’allocations familiales. A contrario, à partir du troisième enfant, lesdéductions fiscales et allocations familiales sont majorées. La controverse provoquée par lesouhait de réformer le quotient familial affiché par le candidat à l’élection présidentielle duParti socialiste, François Hollande, en janvier 2012, montre à quel point l’objectif natalistedes politiques familiales reste essentiel pour la droite de l’échiquier politique français 13 maisaussi pour une partie de la Gauche (quoique de manière plus implicite...).

J La prise en compte des aspirations individuelles dans les politiques familiales

La force et la spécificité du « familialisme d’Etat » français sont de favoriser une dynamiquede familialisation de la question sociale, une forme d’extension du périmètre du familial,tout en permettant une intégration aux politiques familiales d’objectifs défendus par des tra-ditions politiques différentes de leurs idéologies fondatrices comme le catholicisme social oule natalisme. Ainsi, dans la perspective individualiste des Lumières, réaffirmée par le soli-darisme, les politiques familiales ont progressivement intégré dans leurs objectifs unelogique de ciblage en fonction du revenus des parents, le soutien aux aspirations indivi-duelles des membres de la famille et en particulier des femmes, mais aussi l’égalité desgenres. Au-delà du maintien des principes fondateurs des politiques familiales, un grand

(12) F. Marical, J. Minonzio, M. Nicolas, La Paje améliore-t-elle le choix des parents pour un mode degarde ?, Rech. et prév., n° 88, 2007. 5.(13) Lors de la campagne présidentielle de 2012, les propositions de réforme du quotient familial sus-citèrent de vifs débats auxquels le Président de la République lui même prit part en établissementce lien entre fécondité, quotient familial et universalité des politiques familiales. N. Sarkozy, Discoursdu Président de la République à l’occasion des vœux à la France solidaire, Mulhouse (Haut-Rhin) 10janv. 2012.

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nombre d’innovations ont pu être introduites au fil du temps et plus particulièrement dansles quarante dernières années.

Dès leur origine, les politiques familiales se sont adressées aux familles vulnérables écono-miquement, mais le risque de pauvreté n’a été spécifiquement pris en compte par la légis-lation qu’à partir des années 1970. A cette époque, les pouvoirs publics ont dû constater leslimites d’une protection fondée sur les assurances sociales, les cotisations sociales et lesystème des ayants-droits pour protéger les différents membres de la famille. Le systèmefrançais laissait de côté une frange de la population, négligeant en particulier le risque liéà la présence d’enfants vivant avec un parent seul, suite à une séparation 14. L’allocationparent isolé (API), destinée aux familles monoparentales, est venue pallier ce déficit en1976. Au-delà de la question de la pauvreté, l’introduction du critère de conditions de res-sources dans les prestations familiales à partir de 1972 répond à un souci de redistributionverticale (des ménages les plus riches vers les familles pauvres) et d’efficience de la dépensepublique (réserver les prestations à ceux qui en ont le plus besoin). Cette politique de ciblagese matérialise par des aides spécifiques destinées à des familles ou à des personnes ren-contrant des difficultés particulières (allocation adulte handicapé, minima sociaux familialisésavec la création du Revenu minimum d’insertion en 1988....).

Au-delà des besoins économiques des familles, les politiques familiales ont été progressi-vement adaptées aux évolutions sociales qui ont profondément transformées la sociétéfrançaise depuis quarante ans. Le droit social a cherché à accompagner les transformationsprofondes du droit civil de la famille (comme la reconnaissance de la filiation naturelle, l’as-souplissement des procédures de divorce ou plus récemment la garde alternée...)  15, lesaspirations individuelles d’émancipation, émises en particulier par les femmes. Ainsi, depuisle début des années 1980, les politiques familiales ont intégré des dispositifs dits de « conci-liation de la vie familiale et de la vie professionnelle  », à travers des prestations pour lagarde d’enfants par des nourrices ou des assistantes maternelles, le financement de servicescollectifs d’accueil des jeunes enfants (crèches, haltes-garderies...) ou pour des «  tempslibres » (centres sociaux, centres de loisirs sans hébergement/CLSH). Ces dispositifs ont poureffet de favoriser la participation des parents au marché du travail. Par rapport au système« maternaliste » des prestations familiales hérité de l’Après-guerre, ces dispositifs sont plusneutres à l’égard de la répartition des tâches entre les parents.

Le dernier objectif intégré dans les politiques familiales, l’égalité entre les genres, est sansdoute le plus clivant 16. Sous l’effet de la législation européenne dans les années 1990 surla lutte contre les discriminations, en particulier contre les femmes, une réflexion a étémenée pour repérer les dispositifs de politiques familiales ayant des effets négatifs sur l’é-mancipation des femmes. Cette démarche proactive de sensibilisation à l’égard des rôlesfamiliaux a conduit également à la création du congé de paternité en 2001, afin d’inciterl’investissement des pères dans l’éducation de leur jeune enfant. Elle a abouti également àinciter les parents à garder une activité à temps partiel, lorsqu’ils souhaitent consacrer dutemps à l’éducation de leurs enfants, afin de ne pas les éloigner durablement de l’emploi.Ainsi, le complément de libre choix d’activité (CLCA) de la PAJE à temps partiel, créé en 2003,est-il bonifié par rapport au temps plein pour le rendre plus attractif. Majoritairement solli-

(14) Mais également une grande partie des personnes âgées n’ayant pas assez cotisé pour percevoirune pension à même de les hisser au-dessus du seuil de pauvreté.(15) Depuis 2006, le partage des allocations familiales est rendu possible pour les parents séparésayant choisi la garde alternée.(16) S. Dauphin, Action publique et rapports de genre, in F. Milewski et H. Périvier (dir.), Les discri-minations entre les femmes et les hommes, Presses de Sciences Po, 2011, p. 313 et s.

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cité par les mères, le congé parental présente moins de risque d’exclusion durable de l’em-ploi, s’il est pris à temps partiel 17.

Malgré la force de la dialectique entre familialisation et individualisation des droits sociauxdans la transformation des politiques familiales, d’autres dynamiques sont également àl’œuvre, mais touchent plus spécifiquement les prestations ayant un impact sur le marchédu travail comme les minimas sociaux et la PAJE. Ces prestations sont parfois pointées dudoigt pour leur effet décintatif à la reprise d’une activité professionnelle. Ces critiques, par-fois très prescriptives à l’égard du comportement des allocataires en matière de recherched’emploi 18, s’appuient également sur des observations plus économiques, au fondementde la fusion du RMI et de l’API dans le Revenu de solidarité active en 2009.

Le périmètre des politiques familiales n’est pas figé mais fait l’objet d’un débat permanent.La négociation de la Convention d’objectifs et de gestion conclue entre l’Etat et la CNAF en2013 a montré à quel point ces objectifs pouvaient faire l’objet de débats internes entrel’administration et le pouvoir politique. Notons que le débat est loin d’être clos. Certainsauteurs souhaitent que le périmètre des politiques familiales soit repensé plus spécifique-ment en lien avec les enjeux d’équilibre à long terme des régimes de retraites et avec laréforme des politiques éducatives 19 ou les enjeux de la prise en charge de la perte d’au-tonomie des personnes âgées avec une meilleure reconnaissance du rôle des aidants 20.D’autres préfèreraient que les politiques familiales se focalisent avant tout sur la lutte contrela pauvreté et la prise en charge de la petite enfance  21 et soient moins soumises à laconcurrence des autres risques sociaux  22. Il est difficile dans l’espace imparti ici d’entrerdans le débat sur la légitimité de ces différents objectifs. En revanche, repérer cette diver-sité d’enjeux est essentiel pour disposer de critères clairs et consensuels permettant d’éva-luer les politiques familiales.

LES POLITIQUES FAMILIALES : UNE INTERVENTION MASSIVE GRÂCE À UNE DIVERSITÉ DE DISPOSITIFS

Le poids des dépenses publiques à destination des familles en France est important, si onle rapporte à la richesse nationale annuelle. Il varie entre 2,8 % à plus de 6% du produitintérieur brut (PIB) en fonction du périmètre retenu. Les travaux de comptabilisation entre-pris par le Haut conseil de la famille 23 à partir de la nomenclature des dépenses sociales

(17) S. Ananian, L’activité des mères de jeunes enfants depuis la mise en place du complément delibre choix d’activité, Etudes et Résultats, 2010, n° 726.(18) M. Borgetto, Les droits sociaux entre procès et progrès, Inform. soc., n° 178, 2013. 12.(19) J. Bichot, La politique familiale : jeunesse, investissement et avenir, Ed. Cujas, 1992.(20) L’objectif de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle pensé initialement pourla petite enfance peut très bien être posé légitimement du point de vue de la dépendance. V. Conci-lier famille et travail tout au long de la vie professionnelle, colloque organisé le 21 nov. 2013 parl’UNAF et l’Observatoire sur la responsabilité sociale des entreprises (ORSE), au Conseil économique,social et environnemental (CESE).(21) V. not. S. Lemoine, M.-P. Hamel, Quel avenir pour l’accueil des jeunes enfants ?, La note d’ana-lyse. Questions sociales, CAS, 2012, n° 257 ; v. aussi J. Damon, sa contribution dans ce numéro.(22) B. Fragonard, Vive la protection sociale !, Odile Jacob, 2012.(23) Haut conseil de la famille (HCF), L’investissement de la nation en direction des familles, Compa-raisons internationales, adoptée par le HCF lors de sa séance du 9 sept. 2010.

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de l’OCDE 24 et des données Eurostat de l’Union européenne permettent de tracer les diffé-rents périmètres des politiques familiales, en distinguant leurs principaux outils et objectifs :

- le premier agrégat est celui des prestations « famille » et « maternité ». Il recouvre l’en-semble des prestations familiales, l’action sociale en faveur des familles (en particulier lapolitique en faveur de la petite enfance) et des dépenses liées à la naissance des enfants(indemnités du congé de maternité, soins des mères et des enfants...). En 2010, cet agré-gat représentait 46 milliards d’euros soit 2,8 % du PIB ;

- le deuxième agrégat correspond aux aides liées à la fiscalité (quotient familial, quotientconjugal, prime pour l’emploi, autres exonérations...). En 2010, ajouté au premier agrégat,ces aides portaient l’effort de la collectivité en faveur des familles à hauteur 3,8% du PIB(74 milliards d’euros) ;

- le troisième agrégat rassemble un ensemble plus hétéroclite. Par ordre d’importance finan-cière, il s’agit de l’enseignement maternelle pour les enfants de 2 à 6 ans (12 milliards d’eu-ros), des aides au logement perçues par les familles (8,1 milliards d’euros en 2010), l’aidesociale à l’enfance (6 milliards d’euros), les minima sociaux familialisés (5,4 milliards d’eu-ros), les bourses et aides sociales pour les collégiens, lycéens, étudiants (4 milliards d’eu-ros). L’ensemble de cet agrégat pesait 27 milliards d’euros en 2010 et amenait l’effort publicà 5,1% du PIB ;

- le quatrième agrégat est celui des droits familiaux de retraite destinées à abonder les pen-sions des parents qui se sont arrêtés de travailler pour élever leurs enfants (en très grandemajorité des femmes). En 2010, ces dépenses s’élevaient à 18,5 milliards d’euros.

L’ensemble de ces quatre agrégats portent l’investissement public de la France en faveur dela famille à la hauteur de 118,7 milliards d’euros, soit 6,1% du PIB. Dans sa définition desdépenses publiques en faveur des familles, l’OCDE ne retient pour ses comparaisons que lesdeux premiers agrégats, auxquels sont ajoutées les dépenses d’école maternelle jusqu’à 6ans. La comparaison de cet engagement montre que la France est dans le peloton de têtedes pays de l’OCDE en matière de dépenses en faveur des familles, sans toutefois faireexception.

(24) Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), Assurer le bien-êtredes familles, 2011.

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Seuls le Royaume-Uni, l’Irlande et le Luxembourg ont des dépenses en faveur des familleslégèrement supérieures à la France en part de PIB. En moyenne, les pays membres de l’OCDEont dépensé 2,6% de leur PIB en faveur des familles. Mais c’est surtout dans la répartitiondes dépenses que la France se singularise, puisqu’elle est un des pays où le poids des aidesfiscales (1,5% du PIB) est le plus important avec l’Allemagne (2%), les Pays-Bas (1,8%) etla Belgique (1,2%). La France se distingue également par un niveau élevé de services auxfamilles (crèches, centres de loisirs, centres sociaux...), qui représentent près de 1,7 % duPIB, contre 2,2 % en Suède, 1,4 % au Royaume-Uni ou 0,9 % en Allemagne.

Depuis 1990, l’équilibre entre les différents vecteurs des politiques familiales s’est transforméprogressivement en France au profit des équipements et des aides en nature, dont la partdans le PIB est passée de 1% en 1990 à 1,8% en 2009, alors que dans le même temps lesaides financières sont restées stables ou ont régressées (de 1,5 à 1,4% du PIB) tout commela part des aides fiscales 25. Ce changement dans le « mix » des instruments mobilisés parles politiques familiales correspond à une aspiration ancienne des Français. Depuis le débutdes années 1990, ils préfèrent de manière croissante que l’intervention publique en faveurdes familles fournisse «  des aides sous forme d’équipements collectifs ou de services  »,plutôt que des « aides en espèces », lorsqu’on leur demande de choisir entre les deux solu-tions. A la demande de la CNAF 26, cette question est posée annuellement à un échantillonreprésentatif de Français, avec la même formulation, ce qui permet de mesurer l’évolutionprogressive de l’opinion. En 1993, l’opinion était également partagée entre les aides en équi-pements et en services (51%) et les aides en espèces (49%). En 2011, la première solutionétait choisie par les deux tiers des personnes interrogées.

(25) Malheureusement, les données OCDE sont insuffisantes sur ce point. Mais ce poste a dû baisserégalement, car différentes réformes du quotient familial depuis 1998 n’ont probablement pas étécompensées en masse par la mise en place de la Prime pour l’emploi en 2001.(26) Source CREDOC, Enquêtes annuelles « Conditions et aspirations des Françaises ».

Graphique 1 — Dépenses publiques en faveur de la famille tel que comptabiliséespar l’OCDE en 2009 (aides financières, équipements et politique fiscale)

en % du PIB

4,5

4,0

3,5

3,0

2,5

2,0

1,5

1,0

0,5

0,0

Royaume-Uni

France Suède Allemagne Espagne Italie États-Unis

Prestations financières Services aux familles Fiscalité

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Ce mouvement en faveur des équipements a été particulièrement net avec l’engagement dela branche Famille dans le soutien au développement des services d’accueil de la petiteenfance, par une succession continue de plans de financement et d’investissement depuis prèsde vingt ans 27. Les sommes versées par les CAF ont plus que doublé entre 1999 et 2012,passant de 864 millions d’euros à 1,8 milliard d’euros. Cet effort massif a permis de créer desdizaines de milliers de places de crèches au cours de cette période 28. Toutefois, il s’agit pourpartie d’un transfert de charge de l’Education nationale vers les collectivités locales puisque,dans le même temps, la scolarisation des 2-3 ans a été fortement réduite (165 000 placesentre 2001 et 2011) 29.

Ce mouvement en faveur des équipements pour les jeunes enfants est une tendance géné-rale en Europe. Depuis 1990, le Royaume-Uni a augmenté ses aides sous forme de servicesde 0,5 à 1,4% du PIB, alors que dans le même temps les aides financières ont égalementcru d’un point de PIB, pour passer de 1,5 à 2,5% de la richesse nationale. Cette évolutionconcrétise notamment l’effort massif des gouvernements travaillistes pour lutter contre lapauvreté des enfants. Un effort similaire en faveur des équipements est observable en Suèdeau cours des années 2000, après une baisse des différentes aides au cours de la décennieprécédente. L’effort en faveur des équipements pour la petite enfance est passé de 1,5 à2,2% du PIB, alors que les aides en espèces stagnaient à environ 1,5% du PIB. En Allemagne,l’effort a été plus récent et donc d’ampleur plus modeste. Entre 2006 et 2009, l’effort enfaveur des équipements a été porté de 0,7 à 0,9% du PIB et s’est poursuivi par la suite.

L’ÉVALUATION DE L’IMPACT DES POLITIQUESFAMILIALES

Au delà des enjeux sociaux et politiques, l’ampleur des sommes mobilisées explique pour-quoi les politiques familiales sont l’une des politiques les plus évaluées et des plus com-mentées. Trois axes peuvent être retenus pour illustrer ces débats : la fécondité, les effetsde genre, et la redistribution économique permise par ces politiques.

J Un effet non négligeable sur la fécondité

Le premier indicateur mobilisé par les responsables politiques pour mettre en exergue l’effi-cacité des politiques familiales est la natalité. Mais de ce point de vue aussi, l’exceptionna-lité française a reculé. Le nombre de naissances a progressé continûment depuis le milieu desannées 1990 pour atteindre 2 enfants par femmes en France. La croissance a simplement étéfreinée depuis 2008 30. L’Hexagone est, avec le Royaume-Uni, l’un des seuls pays dont lafécondité a été peu affectée par la crise économique qui touche le monde depuis 5 ans. La

(27) C. Dreux, L. Ortalda, L’incidence des plans crèches sur la répartition territoriale de l’offre d’ac-cueil de la petite enfance, Inform. soc., n° 179, 2013, p. 124.(28) F. Borderies, L’offre d’accueil des enfants de moins de trois ans en 2011, Etudes et résultats,n° 840, 2013. 8.(29) Point sur l’évolution de l’accueil des enfants de moins de trois ans : Haut conseil de la famille,2012.(30) G. Pison, Deux enfants par femme dans la France de 2010 : la fécondité serait-elle insensible àla crise économique ?, Population et Sociétés, 2011, n° 476.

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sensibilité de la natalité à la conjoncture est particulièrement nette aux Etats Unis (- 0,2 point)et dans les pays durement touchés par les plans d’ajustement comme la Grèce ou l’Espagne.Cette stabilité est d’autant plus remarquable que seuls la Suède, le Benelux et le RoyaumeUni atteignent un niveau comparable (1,8 à 1,9 enfants par femme).

(31) A.-H. Gautier, O. Thévenon, Variations de la fécondité dans les pays développés : disparités etinfluences des politiques d’aide aux familles, Pol. soc. et fam., n° 100, 2010. 7.(32) Direction de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances, Face aux changementsdémographiques, une nouvelle solidarité entre générations, Livre vert, Bruxelles, CommissionEuropéenne, 2005.(33) A. Luci, O. Thévenon, The impact of family policy packages on fertility trendsin developed coun-tries, INED Working Paper, 2012, n° 174.

France

Roayume-Uni

Suède

États-Unis

Belgique

Pays-Bas

UE (27 pays)

Grèce

Italie

Allemagne

Espagne

2,2

2,0

1,8

1,6

1,4

1,2

1,0

Nom

bre

d’en

fant

par

fem

me

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Graphique 2 — Évolution de l’indice conjoncturel de fécondité

Un consensus existe dans la littérature scientifique pour imputer aux politiques familiales unimpact positif sur la natalité 31. Ce constat a largement été repris par l’Union européenne 32,pour qui la hausse de la natalité est un enjeu de l’équilibre à long terme des régimes de retraitesmais aussi pour le marché de l’emploi. En effet, la fécondité est désormais corrélée positivementau niveau d’implication des femmes sur le marché du travail. Ce sont dans les pays où les femmesont les taux d’activité les plus élevés que la fécondité est remontée à partir des années 1990après avoir connu une baisse continue au cours des Trente Glorieuses. Et ce sont les dispositifsde politiques familiales en faveur de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnellequi ont un effet sur la fécondité, plus que le niveau global de l’aide, y compris les aides finan-cières. Il a été ainsi démontré que les primes versées à la naissance n’ont aucun effet sur la déci-sion des parents alors que la possibilité de trouver des solutions abordables pour la garde de sesenfants était un facteur essentiel 33. De même, la stabilité dans le temps des politiques fami-liales est un facteur clé d’efficacité du système en confortant les anticipations des parents.

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L’appréciation de l’impact des politiques familiales sur la fécondité montre à quel point celles-ci ne peuvent être déconnectées d’autres enjeux sociaux, comme les retraites, ou de la poli-tique de l’emploi, que ce soit sous l’angle des migrations de main d’œuvre ou de l’activitéféminine, qui restent un levier majeur d’action structurelle sur l’économie de l’Unioneuropéenne.

J Des effets de genre

Les politiques familiales ont des effets en terme de genre, car elles accompagnent le déve-loppement de l’activité féminine depuis les années 1980. Elles s’insèrent ainsi dans la« Stratégie de Lisbonne », que l’Union européenne s’est donnée en mars 2000 et qui a fixéun objectif de taux d’emploi de 70% d’ici 2010, pour l’ensemble des personnes en âge detravailler (entre 15 à 64 ans), et un taux d’emploi des femmes de 60%. En 2010, ce tauxs’établit à 58,2%, soit légèrement en dessous de l’objectif fixé.

Le Danemark, l’Allemagne et le Royaume-Uni dépassent l’objectif (respectivement 71,1%,66,1% et 64,6%), alors que la France atteint quasiment l’objectif avec un taux de 59,9%.Ce sont les pays méditerranéens, en particulier l’Italie (46,5%), qui affiche des taux d’em-ploi des femmes relativement les plus faibles.

Le retard relatif de la France par rapport à l’Allemagne ou le Royaume-Uni s’explique par lafaiblesse relative de son taux d’emploi des 55-64 ans. Si la comparaison est limitée aux 25-49 ans, le résultat français est supérieur à la moyenne européenne (76,4% contre 72,0%),et très proche de celui de l’Allemagne (77,1%), pays où l’emploi à temps partiel est trèsfréquent. Cette participation élevée des femmes de 25 à 49 ans au marché du travail estune conséquence directe des politiques familiales et des aides à la garde des jeunes enfants.

Cela est confirmé par l’analyse de la présence d’un enfant de moins de 6 ans dans leménage, qui fait diminuer le taux d’emploi des femmes, particulièrement en Allemagne, enIrlande et au Royaume-Uni. « Dans ces trois pays, le fait d’avoir un enfant fait baisser le tauxd’emploi des femmes de plus de 10 points par rapport au fait de ne pas en avoir. Cet écartn’est que de 4,4 points pour la France, la présence d’enfants jouant surtout à partir dudeuxième enfant (-11 points au deuxième et -30 points à partir du troisième enfant) » 34.

Malgré le satisfecit de l’Union européenne, certains dispositifs des politiques familiales res-tent critiqués pour leurs effets en terme de genre, en particulier la familialisation des droitssociaux, le quotient conjugal ou les allocations forfaitaires accordées en cas de congé paren-tal comme le CLCA de la PAJE. Ces dispositifs peuvent constituer des « trappes à inactivité »,dont l’un des effets majeurs est de renforcer le confinement des femmes dans l’espacedomestique et leur assignation au rôle de mère. Une réforme du CLCA a été annoncée enseptembre 2013 pour inciter les pères à prendre une partie du congé parental d’éducation.Elle prévoit d’empêcher que la totalité de ce congé ne soit pris que par un seul des deuxparents, en réservant une période de 6 mois pour l’autre parent. Le texte en discussion auParlement à l’automne 2013 prévoit la création d’une prestation partagée d’accueil de l’en-fant et la possibilité d’un accompagnement professionnel à l’issue du congé pour réduire lerisque de chômage.

(34) Source Eurostat, cité in « Fiche éclairage «famille» », Rapport de la commission des Comptes deSécurité sociale, sept. 2011, p. 2.

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J Une redistributivité contestée

Du fait des mécanismes qu’elles mettent en œuvre, les politiques familiales permettent àla fois une redistribution verticale et une redistribution horizontale, qui jouent un rôle majeurpour lutter contre la pauvreté et améliorer le niveau de vie des familles. Les familles sontplus exposées au risque de pauvreté que les couples sans enfant, en particulier si elles necomprennent qu’un adulte ou si la fratrie est de trois enfants et plus. La moitié des ménagesen dessous du seuil de pauvreté sont aujourd’hui des familles monoparentales. Face à cessituations, les politiques familiales contribuent à diviser par deux le taux de pauvreté desenfants 35 et à augmenter significativement le niveau des familles monoparentales avec aumoins deux enfants. Après transferts, celui-ci atteint 71% du revenu médian d’une personnevivant seule, alors que le niveau initial ne s’élève qu’à 44%.

Après impôts et transferts, ce sont les familles de trois enfants ou plus et les parents isolésqui bénéficient le plus de l’effet redistributif des politiques familiales. Le niveau de vie desfamilles monoparentales d’au moins deux enfants augmente de 34% par rapport au niveaude vie après impôts directs. Il augmente de 25% pour les couples avec trois enfants ou plus.Les couples vivant avec un seul enfant ne bénéficient que d’une hausse de 6% et le niveaude vie des ménages sans enfants diminue de 5% après impôt 36.

Toutefois, plusieurs éléments de critiques apparaissent concernant la solvabilisation permisepar les politiques familiales. Le premier concerne le quotient familial, qui est sans doute ledispositif des politiques familiales le plus contesté. Dans la mesure où l’économie d’impôtsqu’il permet augmente avec le revenu, il favorise de fait les ménages les plus riches etaccorde une aide plus élevée aux enfants vivant dans les familles les plus riches. En 2010,le quotient familial correspondait à un manque à gagner pour l’Etat de 14 milliards d’eu-ros 37. 10% de foyers les plus riches profitaient de 42% de cet avantage fiscal, alors que50% de ménages les moins riches ne bénéficient que de 10% de celui-ci. Pour contrer cemécanisme puissant d’inégalité économique, un premier plafonnement de l’avantage finan-cier permis par le quotient familial a été mis en place en 1998 par le gouvernement de Lio-nel Jospin. Il correspondait à 2 336 euros par demi-part en 2010. Cet avantage a été ramenéà 2 000 euros en 2012, puis 1 500 euros en 2013.

La deuxième critique porte sur la progressivité de l’aide selon la taille de la fratrie. En 2008,le montant moyen de l’aide perçue en France par une famille avec un enfant, tous disposi-tifs confondus, était de 92 euros. Il était pour une famille de deux enfants de 272 euros, etpour une famille de trois enfants de 706 euros. La moyenne de ces mêmes aides est beau-coup mois inégalitaire selon le rang de l’enfant en Europe. Une famille avec un enfant per-cevait 150 euros, une famille de deux enfants 315 euros, une famille de trois enfants 493euros, ce qui correspond à un montant quasiment stable par enfant quelle que soit la taillede la fratrie. L’inégalité de l’aide en fonction du rang de l’enfant en France explique les voixqui s’élèvent pour demander une aide forfaitaire stable quel que que soit le rang, ce quipermettrait de verser des allocations familiales au premier enfant, selon ses contempteurs.

La troisième critique est plus structurelle et porte sur l’indexation des prestations familialessur l’inflation plutôt que sur l’évolution des salaires. Ce mode de calcul déconnecte l’évolu-tion du montant des prestations de la croissance de la production de richesse. Il a pour consé-

(35) Programme de qualité et d’efficience, « Famille », fiche n° 2, 2012.(36) B. Lhommeau, Les prestations familiales et de logement en 2011, Etudes et résultats, n° 836, 2013.(37) Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, mai 2011.

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quence d’éroder progressivement le pouvoir redistributif des prestations familiales, alors quela réduction des inégalités reste un objectif recherché du système. Ce système de calcul aeu pour conséquence de réduire significativement le niveau relatif des aides au logement,dans un contexte de crise aigue de l’offre. D’ici 15 ans, les familles de trois enfants pourlesquelles les prestations familiales représentent plus de 30% du revenu primaire verrontbaisser leur niveau de vie de 9%, si le système d’indexation reste inchangé 38.

◆ ◆

Au terme de cette analyse, les politiques familiales françaises apparaissent spécifiques sanspour autant être exceptionnelles. Leur antériorité historique, la diversité de leurs objectifs etde leurs vecteurs d’interventions les rendent complexes, mais il est possible de discernerdes caractéristiques stables dans le temps comme le familialisme et une capacité d’adapta-tion aux transformations sociales. Le modèle de famille recherché implicitement par les poli-tiques familiales dans l’Après-guerre était celle d’une famille nombreuse, où le père tra-vaillait et la mère restait au foyer pour élever ses trois ou quatre enfants.

Malgré l’adaptation de la législation à l’individualisme contemporain, force est de constaterque l’intervention publique en faveur des familles garde un modèle familial de référence,celui d’une famille biparentale et biactive, où les parents s’engagent dans l’éducation deleurs enfants. La comparaison des interventions publiques à destination des familles au seinde l’Union européenne montre que la poursuite du phénomène de «  convergence dansl’hétérogénéité » 39, déjà mis en évidence en 2008, conduit nos voisins à adopter des dis-positifs en faveur des familles, depuis longtemps en œuvre en France. Ces évolutions de lalégislation ont des effets variés, mais rendent la France moins singulière dans le paysagede la protection sociale européenne.

(38) Haut conseil de la famille, Architecture des aides aux familles : quelles évolutions pour les 15prochaines années ?, Note adoptée par le HCF lors de sa séance du 28 avril 2011.(39) J. Damon, L’Europe des politiques familiales : la convergence dans l’hétérogénéité, RDSS 2008.601.

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