4 L’ECHO VENDREDI 27 NOVEMBRE 2015 L’essentiel INTERVIEW BENOÎT MATHIEU L es uns annoncent que les écoles vont rouvrir à Bruxelles, les autres disent qu’elles resteront portes closes. Le gouvernement af- firme que la menace reste sé- rieuse, mais décide de rouvrir les établis- sements scolaires. Et puis, alors que le Premier assure que «la menace est devant nous», voilà que l’Ocam baisse d’un cran le niveau de menace. Il y avait de quoi y perdre son latin, cette semaine. Couacs de communication? Nous avons posé la question à Nicolas Baygert, professeur de communication politique (Ihecs et ULB). Le gouvernement s’est-il pris les pieds dans le tapis en termes de communica- tion? Il faut dire que le cadre est particulier. Nous sommes en période de crise, ce qui change la donne. Les rôles ont changé et sont bien définis au sein du Fédéral. Le Premier joue au manager de crise et use de pédagogie; Jan Jambon est plus dans la pugnacité et tient un discours carré, sur Molenbeek notamment, tout en par- lant de déradicalisation; Didier Reynders a choisi l’offensive et défend la Belgique à l’échelle internationale. Il n’y a pas eu de faux pas, un ministre avançant une au- tre interprétation des faits. J’ajouterais que dans toute situation de crise, il y a une phase d’introspection, où chacun re- vient sur ce qui n’a pas été. Certains par contre ne l’ont pas compris, comme l’ex- bourgmestre de Molenbeek Philippe Moureaux ou la N-VA, qui a chargé le PS en parlant «d’islamo-socialisme». Eux sont restés dans une communication classique. Il y a quand même eu des discours contradictoires entre niveaux de pou- voir. Le problème s’est en effet plus situé entre les différents étages belges, le Fédéral, les Régions, la Communauté ou encore les bourgmestres. Chacun y est allé de sa propre lecture, certains atténuant l’anxiété collective avec pragmatisme, d’autres en incarnant plutôt cette peur. La crise a fait ressortir la complexité ins- titutionnelle du pays. Alors qu’il y avait un grand besoin d’une simplification des enjeux et d’une rationalisation de la si- tuation, il a été très difficile au Fédéral d’imprimer une seule version de la com- munication, d’imposer un récit homo- gène qui s’imposerait à tous les niveaux. Le message fédéral n’a pas toujours été limpide non plus. Dire que la menace est devant nous alors que son niveau baisse, est-ce cohérent? Même si les dé- cisions de l’Ocam ne sont pas po- litiques. Non, c’est incohé- rent. Même s’il ne faut pas don- ner l’impres- sion d’être en mesure de contrôler l’in- contrôlable, Nicolas Baygert (Ihecs et ULB) «Les rôles sont bien définis au Fédéral» En cas de catastrophe, comment les soins médicaux s’organisent-ils en Bel- gique? Explications de Philippe El Had- dad, directeur médical du Chirec. ANAÏS SORÉE E t si, malgré que le niveau d’alerte ait baissé, un attentat terroriste avait lieu en Belgique, les hôpitaux sont- ils prêts? «On n’est jamais vraiment prêt», répond Philippe El Haddad, directeur médical du groupe hospitalier Chirec (4 hô- pitaux à Bruxelles et 1 à Braine-l’Alleud). «En Europe, on n’a pas l’habitude de soigner des blessures de guerre. Ce n’est pas du tout la même chose qu’un accident de la route», explique-t- il. Mais quelle que soit l’ampleur ou le type de catastrophe, il faut faire face. Et agir intel- ligemment. Chaque hôpital a dans ses tiroirs intranet, une marche à suivre en cas de ca- tastrophe. Ce plan «Mash» pour mise en alerte du secteur hospitalier contient la liste du personnel «rappelable» et une fiche des- criptive du rôle de chacun. Lorsqu’un événement grave se produit, 3 SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation) et 5 ambulances sont envoyées sur place. C’est eux qui déclen- chent l’alerte et qui font le premier bilan du nombre de blessés et de morts. «Avant de soigner les personnes, il faut d’abord les compter. C’est difficile. Mais si on soigne la pre- mière personne, peut-être que pendant ce temps-là, le cas d’une autre personne va s’ag- graver. Or, si on avait compté, on aurait pu donner l’alarme plus tôt et avoir du renfort et donc soigner plus de monde.» Pour Philippe El Haddad c’est un véritable changement d’éthique qui doit s’opérer. «Mais si on ne fait pas suffisamment d’exercice, on ne sait pas le faire.» Normalement, des exercices catas- trophe doivent avoir lieu chaque année «mais peu d’hôpitaux le font. C’est très compli- qué car l’hôpital arrête de fonctionner norma- lement. Cela engendre des désagréments pour les patients, pour le personnel. On n’a pas vrai- ment le temps. Et puis, cela représente une perte financière pour l’hôpital», explique-t-il. Il ne se souvient plus du dernier exercice catastrophe auquel il a participé. «Ça fait longtemps», admet-il. Mais il souligne que le week-end dernier, ses services ont mis à jour les listes du personnel et vérifié que tout le monde était joignable. «Jusqu’ici, le plan Mash n’était pas vraiment une priorité des hôpitaux, mais avec les événements que l’on vit actuellement, je pense que ça va le deve- nir», ajoute-t-il. Lorsque le 100 les prévient qu’un événe- ment grave vient de se dérouler, les hôpi- taux se mettent en phase de pré-alerte. «C’est ce qu’il s’est par exemple passé lors de l’explosion d’une conduite de gaz à Ghislenghien en 2004 ou lors de la collision de train à Pécrot en 2001.» L’hôpital prépare alors les fiches et fait le recensement des forces vives et des places disponibles dans l’hôpital. «Tout ce qui n’est pas urgent est mis de côté. Les consultations sont annulées. Les patients qui devaient quitter l’hôpital le jour même sont renvoyés chez eux plus tôt.» Sur les lieux de la catastrophe, les bles- sés sont catégorisés: une fiche «U1» pour urgence absolue, «U2» pour urgence rela- tive et «U3» pour urgence différée. Un poste médical avancé est installé. «Ça peut être mis en place dans un café ou dans une maison si c’est en ville. Et si c’est à la campagne, la Croix-Rouge met à disposition des tentes.» L’évacuation des blessés s’effectue en fonc- tion des places disponibles de chaque hôpital mais aussi de leurs spécificités. «Si le blessé a besoin de soins en neurochirurgie, on va l’envoyer vers un hôpital qui est spécia- lisé dans ce domaine.» À l’hôpital, un filtrage est aussi mis en place. «On trie les blessés qu’on nous envoie en fonction de leur fiche U1, U2 ou U3 mais aussi les blessés plus légers qui arrivent par eux-mêmes. Une salle est égale- ment prévue pour les familles. Une autre pour Comment les hôpitaux belges se préparent à faire face à des catastrophes GRANDE-BRETAGNE Le Premier ministre britannique David Cameron a appelé jeudi le Parlement à soutenir des frappes contre le groupe djihadiste État islamique (EI) en Syrie, deux semaines après les attentats de Paris qui ont provoqué une onde de choc au Royaume-Uni. LES PHRASES CLÉS «Le Premier joue au manager de crise et use de pédagogie.» «Le problème s’est plus situé entre les différents étages belges. La crise a fait ressortir la complexité institutionnelle du pays.» «Il faut donner des garanties tangibles attestant d’une menace moins élevée.» il faut donner des garanties tangibles at- testant d’une menace moins élevée – ou expliquer en quoi la situation est diffé- rente. Même constat à la réouverture des écoles, alors que la menace restait à qua- tre: pour la population, le signal était brouillé. Notre société re- noue avec une sorte de danger latent, qu’elle était habituée à voir dans les pays en guerre, dans le rôle du spectateur. Là, elle doit vivre avec ce danger létal. Le poli- tique doit adapter son logiciel de communication, c’est normal qu’il y ait une phase d’adaptation. C’est tout le challenge du storytelling gouverne- mental: sortir des no- tions un peu binaires, donner du sens à la si- tuation et proposer une lecture à plus long terme. L’association professionnelle des métiers de la création artistique SMart a décidé de constituer un fonds d’indemnisation pour tous ses membres dont les com- mandes ont été annulées ou le seront prochainement en raison de l’instauration du niveau 4 pendant une semaine, suivi d’un retour au niveau 3, et des me- sures de sécurité qui en décou- lent, annonce-t-elle mardi. «La fermeture des théâtres, l’annulation de manifestations événementielles, des concerts, des visites guidées, de conférences diverses (…) a évidem- ment un impact sur les résultats des entreprises qui en sont les organisa- trices», explique SMart. Un fonds d’indemnisation pour les artistes SMART Quelque 500 personnes ont participé jeudi matin à Rober- mont aux funérailles d’Elif Dogan, cette jeune Liégeoise de 26 ans, décédée le 13 novembre dernier sous les balles des ter- roristes à Paris. «On voulait au travers de cette cérémonie re- mercier l’ensemble des populations belges, françaises et turques ainsi que les autorités de ces pays pour le soutien qu’ils nous ont apporté dans ces moments difficiles. Avec au- tant de marques de sympathie, la douleur est moins lourde à porter», a déclaré en marge de la cérémonie Mustapha Do- gan, le père de la victime. © BELGA PREMIÈRES FUNÉRAILLES EN BELGIQUE «On n’est jamais vraiment prêt. En Europe, on n’a pas l’habitude de soigner des blessures de guerre.» PHILIPPE EL HADDAD DIRECTEUR MéDICAL CHIREC © REUTERS Avec la menace terroriste, les hôpitaux ont mis en œuvre des mesures de sécu- rité. Ils ont notamment limité les accès d’entrée. © DIETER TELEMANS © DOC les journalistes», explique le directeur médi- cal. Chaque hôpital doit avoir un sas de décontamination en cas d’attaque chi- mique. C’est une obligation. Mais tous les hôpitaux n’en sont pas équipés. L’hôpital du groupe Chirec de Sainte-Anne Saint- Remy à Anderlecht n’en dispose pas. «On est un peu laxiste parfois. Mais il y a beaucoup d’autres priorités dans un hôpital.» L’attentat terroriste du 13 novembre à Paris a fait plus de 300 blessés. Les hôpi- taux belges ont-ils la capacité de prendre en charge un tel nombre de victimes? «C’est surtout le nombre de blessés graves qui est important. À Paris, il y avait 89 U1 je pense. C’est énorme. Dans son plan Mash, chaque hôpital doit indiquer le nombre de U1 qu’il peut prendre en charge. Pour donner un exem- ple, à Braine-l’Alleud où le service des urgences accueille 30.000 malades par an avec 4 méde- cins de garde, nous pouvons prendre en charge trois blessés aigus (U1) et cinq U2.» Pas de laisser-passer Mais ce qui inquiète surtout le directeur médical, c’est comment les équipes médi- cales vont rejoindre leurs hôpitaux respec- tifs si les routes sont bloquées. «On ne dis- pose pas de laisser-passer actuellement. Il fau- drait que le gouvernement réfléchisse sur ce point», dit-il. Le mois dernier, un chirurgien est resté coincé sur une autoroute bloquée par la FGTB. Sa patiente est décédée. «Le politique doit adapter son logiciel de communi- cation, c’est normal qu’il y ait une phase d’adaptation.»