RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE DÉMOCRATIQUE ET POPULAIRE Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Université de Larbi Ben M’hidi-Oum El Bouaghi Faculté des Lettres et des Langues Département de Français Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de Master Spécialité : Littérature Générale et Comparée THÈME : Présenté par : M lle Bouagal Nabila Dirigé par : M. Bouzidi Attef Membres du Jury : Présidente M me Zeghib Nardjas MCB Université d’O.E.B Rapporteur M. Bouzidi Attef MAA Université d’O.E.B Examinatrice M me Ben Abdelkader Selma MAA Université d’O.E.B Année universitaire : 2019/2020 Quand Fiction et réel s'entremêlent dans "Les Petits de Décembre" de Kaouther Adimi
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RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE DÉMOCRATIQUE ET POPULAIRE Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
Université de Larbi Ben M’hidi-Oum El Bouaghi
Faculté des Lettres et des Langues
Département de Français
Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de Master
Spécialité : Littérature Générale et Comparée
THÈME :
Présenté par : Mlle Bouagal Nabila Dirigé par : M. Bouzidi Attef
paratexte, car le roman (qui symbolise l'univers fictionnel) fait appel à des indicateurs
historiques tels que : des événements, ou des lieux portant le nom de dates historiques, dans
le but d'apporter un effet de vraisemblance et d'authenticité à la fiction.
En guise de conclusion pour ce premier chapitre, qui repose sur l'analyse de quelques
éléments paratextuels, plus précisément péritextuels, car ils appartiennent à l'espace éditorial
de l'œuvre, et qui nous permettent de mettre l'accent sur la manière dont le paretexte favorise
un premier repérage de la coprésence de l'Histoire et de la réalité dans la fiction. Pour éclairer
notre travail de recherche, nous avons recouru à l'étude titrologique, ainsi qu'à l'étude de la
quatrième de couverture, et cela dans le but de confirmer que ces éléments qui servent à
introduire le roman aux lecteurs,véhiculent une visée historique.
Ce choix d'analyse s'est avéré fructueux, car il a démontré la coprésence du fictif, du
réel et de l'historique au niveau paratextuel de notre roman "Les Petits de Décembre".
Néanmoins, il est à souligner que ce choix précis d'éléments péritextuels à analyser parmi
tant d'autres (on peut en citer : la dédicace, l'épigraphe, l'absence des intertitres et de
l'instance préfacielle1...), n'est pas sans objectif ou juste facultatif, il symbolise le début d'une
analyse qui tend à déchiffrer le contenu de notre corpus, de déceler le lien qui rattache
l'Histoire, notamment celle de l'Algérie, à l'univers fictionnel créé de toutes pièces par
Adimi. La suite de notre travail de recherche aura pour objet la fictionnalisation de l'Histoire,
et particulièrement comment la réalité attestée et la fiction arrivent-elles à s'entremêler.
1L'instance préfacielle est un terme utilisé par Gérard Genette, dans son ouvrage Seuils, 1987, pour désigner
tout énoncé, qui livre des informations au sujet du texte qu'il accompagne. Cet énoncé peut être liminaire
(préliminaire ou post liminaire), et donc suivre ou précéder le texte.
Chapitre II :
La fictionnalisation de
l'Histoire
Chapitre II : La fictionnalisation de l'Histoire
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Ce second chapitre, qui représente le noyau de notre travail de recherche, portera sur
l'étude en premier lieu, des concepts élémentaires : Histoire et fiction, leur rapport avec le
texte littéraire, mais aussi avec le domaine scientifique, ainsi que la décortication de ce qui
peut relever de l'imaginaire, et du réel historique. Il sera aussi question de déterminer le sens
du roman historique, pour au final mettre l'accent sur les éléments qui favorisent cet
amalgame entre deux univers distincts et qui se sont réunis au niveau de notre corpus "Les
Petits de Décembre" de Kaouther Adimi.
1. L’Histoire
1.1. Définition de la notion d'Histoire
Il est à constater que la définition du terme Histoire relève d'emblée une ambiguïté
(d'ordre orthographique), pour comprendre d'où provient cette confusion, nous
commencerons par l'étude de l'étymologie du terme : "Etymologiquement, le terme histoire
vient du grec Istoria, de istorien (s'enquérir). Il signifie recherche, information,
connaissance et par suite récit."1De cela il est à noter, que dans un premier temps, l'histoire
est synonyme de documentation, de renseignement, ou de récit.
Selon le dictionnaire Larousse : "L'histoire est : 1. Ensemble des faits et des
événements passés 2. Etude, récit du passé relatif à une période, à un thème ou à une
personne en particulier 3. Science qui étudie le passé 4. Récit de faits réels ou fictifs." 2
L'histoire peut être alors considérer comme une succession d'événements passés, une analyse
de récits antérieurs qui relatent l'évolution soit d'une période, d'un thème, d'une personne.
Une science à part entière ayant pour objet l'étude du passé, ou bien un récit qui relatent des
faits véridiques ou imaginaires.
Une autre définition du dictionnaire "Médiadico" : "L’Histoire est un récit
d’événements relatifs aux peuples en particulier, à l’humanité en général…"3
1Lopez, Amadeo, Histoire et roman historique. In: América : Cahiers du CRICCAL, n°14, 1994. Histoire et
imaginaire dans le roman latino-américain contemporain, v2. p. 42. 2Dictionnaire Larousse, 2008. p. 206. 3Dictionnaire virtuel Médiadico, In thèse doctorale, NABTI Amor , L’art du conteur dans Samarcande et
Léon l’Africain D’Amin Maalouf, Université des Frères Mentouri, Constantine, 2015, disponible sur le
sitehttps://bu.umc.edu.dz/theses/francais/NAB1402.pdf consulté le (29/06/2020).
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L'Histoire pour ce dernier, renvoie à une suite événementielle, qui se rapporte à
l'évolution des peuples de manière particulière, ainsi qu'à celle de l'humanité.
Les définitions précédentes, prélevées des dictionnaires, énumèrent le sens que peut
avoir le terme Histoire, sans pour autant aborder sa graphie. Le théoricien Pierre Barbéris en
distingue trois :
" L’histoire avec un petit h renvoie à l’histoire des
romanciers, à celle qui s’inscrit dans l’œuvre littéraire,
surtout des romanciers du XIX siècle. L’Histoire, ici écrite en
italique avec un H majuscule renvoie au type de discours
historique produit par les historiens au sein de la discipline
appelée "Histoire" ; enfin l’HISTOIRE toute en capital est
celle que nous faisons ou que nous subissons, les processus
réels qui rythment notre existence et dont nous essayons de
rendre compte par différents types de discours ou de textes."1
D'après cette citation, nous pouvons déduire que le terme histoire peut avoir trois
formes d'orthographes, qui différent selon le contexte et le sens attribué. Le mot histoire a
pour sens : récit qui relève de la fiction écrit par les romanciers et relatif aux œuvres
littéraires. L'Histoire avec un H majuscule signifie : ensembles d'histoires rapportées par les
historiens, et qui sont ancrés dans une science nommée Histoire (et donc un récit qui relate
une suite événementielle réelle vécue par l'humanité). L'HISTOIRE toute en majuscule,
désigne la réalité historique.
1.2. L'Histoire en tant que science
Selon les sources précédentes, le terme histoire renvoie à une suite événementielle
au passé, et donc basée sur une évolution chronologique, mais qu'en est-il de la discipline
nommée Histoire ?
"En fait, l'histoire ne s'est constituée en tant que science au
sens moderne du terme que lorsqu'elle est parvenue, au XIX
siècle, à appliquer à son objet des méthodes employées dans
les sciences de la matière, en déterminant de la façon la plus
précise possible les faits et en établissant des connexions
causales entre eux, en procédant à un travail de synthèse
1Barbéris, Pierre, Le Prince et le Marchand, Paris,Fayard, 1980, p.64.
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comparable à celui de ces sciences et en s'efforçant de
dégager des constantes dans l'évolution historique."1
D'après Amadeo Lopez2 ce n'est qu'au XIXème siècle que l'Histoire a réussi à acquérir
le statut de science, en d'autres termes un ensemble de connaissances et de recherches
obéissant à des méthodes déterminées, et cela en suivant la démarche des sciences dites
exactes, cette démarche relève de la précision, de l'exactitude, mais aussi de la rigueur. La
méthode empruntée par les historiens pour l'étude des faits, repose sur la synthétisation et
l'étude des connexions causales ; or ces dernières ne peuvent pas être examinées en raison
de l'incapacité à reproduire l'événement historique.
De son côté, Paul Ricœur stipule que : "l'histoire en tant que science : l'appréhension
du passé dans ses traces documentaires est une observation au sens fort du mot ; car jamais
observer ne signifie enregistrer un fait brut".3
Conformément aux propos de Ricœur, l'Histoire comme science est une tentative de
compréhension des événements passés, et cela à partir de l'analyse des documents
historiques tels que : les écrits, les récits oraux, les expériences personnelles, les
témoignages...et comme toute science, elle est basée sur une méthode scientifique, qui est
l'observation, et donc rendre compte des évolutions constatés. Le fait d'observer, dans le
cadre du savoir historique, n'est pas seulement inscrire ou enregistrer des faits, c'est aussi
retracer et examiner de manière minutieuse les sources (les faits bruts).
A la lumière des citations précédentes, l'Histoire comme discipline, est l'étude
scientifique des faits historiques ; qui se rapportent à une société, à une civilisation, à une
population, ou à l'humanité entière. Comme tout savoir, l'Histoire repose sur une démarche
dite scientifique, qui est l'observation et la description des faits passés. Les résultats des
recherches en Histoire, ne peuvent pas attendre le même degré de certitude que celles des
sciences exactes, car les faits (qui sont l'objet d'étude en Histoire) ne sont pas reproductibles.
Ce qui classifie l'Histoire parmi les sciences sociales et humaines.
1Lopez, Amadeo, Histoire et roman historique. In: América : Cahiers du CRICCAL, n°14, 1994. Histoire et
imaginaire dans le roman latino-américain contemporain, v2. p. 46. 2Amadeo Lopez est un professeur émérite chez Université Paris Ouest Nanterre la Défense. Paris III,
Sorbonne Nouvelle. Auteur d'ouvrages et d'articles, portant notamment sur l'évolution du roman et la
littérature latino-américaine. 3Ricœur, Paul, Histoire et Vérité, Paris, Seuil, 1955, p. 25.
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1.3. L'Historiographie
En raison de la confusion constatée au niveau graphique et sémantique du terme
Histoire, plusieurs historiens ont opté pour l'utilisation du mot historiographie. Ce dernier
peut désigner, selon le Robert : "Un ensemble d'ouvrages d'historiens, d'historiographes, de
documents historiques sur un sujet, une période. Aspect narratif du travail de l'historien."1
Une autre définition de l'historiographie est présentée par Amadeo Lopez :
"C'est pourquoi certains auteurs font appel de plus en plus au
terme historiographie pour désigner les écrits qui rendent
compte des événements du passé - les écrits des historiens,
relevant donc d'une démarche scientifique - et réservent celui
d'histoire pour indiquer les faits et les événements sur
lesquels portent ces écrits. Mais le terme historiographie n'est
pas non plus exempt d'ambiguïté. Dans la tradition littéraire,
comme dans la définition des dictionnaires, ce terme désigne
les ouvrages d'écrivains chargés officiellement d'écrire
l'histoire de leur temps. Et de ce fait, il est sujet à caution dans
la mesure où il est dépendant de la parole officielles."2
L'historiographie est en premier lieu un nom composé de "historio", qui renvoie à
l'Histoire, et de "graphie", qui a pour sens l'écriture, et donc sa signification première
(littérale) est l'écriture de l'Histoire. A la lumière des définitions précédentes,
l'historiographie désigne un ensemble d'ouvrages, d'écrits, de textes qui relatent des faits
vécus par l'humanité, et donc faisant partie de l'Histoire. Dans une historiographie, les faits
narrés, sont basés sur une démarche scientifique, qui n'est autre que l'observation et la
description des faits historiques. La rédaction de l'historiographie est tributaire de la parole
officielle, en d'autres termes elle dépend de la crédibilité des sources, mais aussi des auteurs,
car elle est écrite seulement par les historiens ou les historiographes, qui sont chargés
officiellement de rédiger l'histoire de leur temps.
1.4. Le roman historique
Le roman est un terme, qui est apparu dans la scène littéraire au XIIème siècle, plus
précisément en 1140, pour désigner un récit imaginaire (en prose à partir du XIVème siècle),
1Le Robert, 2018, p. 517. 2Lopez, Amadeo, Histoire et roman historique. In: América : Cahiers du CRICCAL, n°14, 1994. Histoire et
imaginaire dans le roman latino-américain contemporain, v2. p. 43.
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qui relate des aventures merveilleuses, et qui met en scène un univers fictif, dans lequel
évoluent les personnages, tout en donnant un effet de vraisemblance au lectorat, et une
impression d'évoluer dans la réalité. Cet effet de vraisemblance provient de la tradition
romanesque du Moyen-âge, où le roman se présentait sous forme de : romans de chevalerie,
qui sont des œuvres fictives qui relatent les aventures héroïques ou amoureuses des
chevaliers. Une autre forme romanesque, à cette époque, est l'hagiographie ; qui est la
rédaction des biographies élogieuses des saints.1
Au XIXème siècle, le roman devient un genre littéraire très répondu, notamment avec
l'avènement du romantisme d'une part, et l'évolution de l'Histoire en tant que science, ce qui
a donné naissance au roman historique. Ce dernier a vu le jour dans les écrits de l'écossais
Walter Scott2, qui a modifié les codes établis en faisant appel à des héros fictifs, et non aux
personnages mythiques de l'Antiquité (gréco-latine), ni aux grandes personnalités
monarchiques. En 1820, le roman historique est adopté par les écrivains, notamment
français, tels que : Honoré de Balzac, ou encore Victor Hugo (Notre-Dame de Paris, 1831),
italiens comme, Alessandro Manzoni (I Promessi Sposi qui signifie les fiancés), ou encore
les russes, avec Tarass Boulba de l'écrivain Nicolas Gogol, et qui représente le premier
roman national russe.3
Le roman historique peut être défini comme suite :
"Le roman historique est le produit de l'histoire. Il est soumis
à cette histoire [...] Ce genre nait au début du XIXe siècle,
c'est-à-dire avec l'industrialisation, le monde capitaliste et
son essor, les grands conflits sociaux, la bourgeoisie. De
l'évocation de telle période passée (et d'elle seule) dans une
perspective moderne de la création historico-littéraire du
héros, le personnage en scène, nait cette espèce de
déséquilibre, anachronisme inévitable qui donne tout son prix
au roman historique. Le problème en réalité n'est pas celui du
passé ; il est celui du présent. Et le roman historique sera
donc placé sous le signe idéologique de l'Auteur dans ses
rapports avec une Société. Et c'est précisément cette
1 Lopez, Amadeo, Histoire et roman historique. In: América : Cahiers du CRICCAL, n°14, 1994. Histoire et
imaginaire dans le roman latino-américain contemporain, v2. p. 43. 2Walter Scott est un écrivain, poète et historien écossais, qui entre le XVIIIe et le XIXe siècle s'est lancé
dans la littérature, par la publication de textes anciens ainsi que de ses propres poèmes. il est le père du roman
historique et l'auteur de plusieurs romans historiques à succès, notamment Waverley (1814), Rob Roy (1818),
Ivanhoé (1819). 3https://id.erudit.org/iderudit/50466ac (consulté le 26/06/2020).
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expérience du présent qui sera de nature à faire comprendre
le passé."1
A partir de cette citation, nous pouvons déduire que le roman historique résulte de
l'Histoire, il lui est aussi tributaire, dans la mesure où il s'inspire des événements, des
personnages, mais aussi des dates historiques. Contrairement à l'historiographie, le roman
historique n'a pas à suivre une démarche scientifique, ni à retracer de manière chronologique
les faits liés à une période déterminé de l'histoire de l'humanité. La naissance du roman
historique dans les premières décennies du XIXème siècle, en Europe, est liée aux
circonstances sociaux-historiques, en d'autres termes ; l'essor du capitalisme,
l'industrialisation, les conflits sociaux, et la prise du pouvoir par la classe bourgeoise. Ces
derniers vont se répercuter sur le roman historique, de façon à créer un anachronisme, mais
aussi un déséquilibre au niveau des protagonistes : le héros n'est pas un monarque ou un
personnage mythique, mais il est issu de la société. Une autre particularité du roman
historique, est de revenir sur une période précise du passé, ou des épisodes marquants de
l'Histoire, et cela dans le but de les décortiquer, et de dégager des connexions causales, pour
tenter d'expliquer et de comprendre le présent. Le roman historique adhère à l'idéologie
sociale de son auteur.
D'autre part, en s'appuyant sur les travaux du théoricien hongrois Georges Lukacs
dans son ouvrage Le Roman historique (1965), Amadeo Lopez tient à souligner que :
"Lukacs insiste, à juste titre, sur l'idée que ce qui fait la
spécificité du roman historique, c'est le lien entre le
romanesque et l'historique. Il faut entendre par là, non pas le
fait en tant que tel, mais en tant que fait qui permet de dégager
et de comprendre les forces qui ont produit le présent. En
d'autres termes, la notion de roman historique n'a de sens que
par rapport à un référent - la réalité historique régie par des
lois - que l'on pose comme existant objectivement,
indépendamment de la connaissance."2
Lukacs tient à mettre l'accent sur la double appartenance du roman historique, qui
entremêle à la fois le romanesque, qui relève de la fiction et de l'imaginaire, un univers
inventé de toutes pièces par l'auteur. Et l'historique qui fait appel à l'Histoire, comme science,
1Apel-Muller, Michel et alii, Recherches sur le roman historique en Europe XVIIIe - XIXe siècle. Tome 1,
Paris, Université de Besançon/Les Belles Lettres, 1977, pp. 104-105. 2Lopez, Amadeo, Histoire et roman historique. In: América : Cahiers du CRICCAL, n°14, 1994. Histoire et
imaginaire dans le roman latino-américain contemporain, v2. p. 44.
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notamment à des événements, des personnages ou à une période déterminée de l'Histoire de
l'humanité, et donc faisant partie du vécu (le réel historique). L'originalité de ce genre
littéraire, qu'on nomme le roman historique, réside dans sa capacité à fusionner deux univers
distincts, l'Histoire et la littérature. Dans ce cas, l'Histoire est au service de la littérature, dans
la mesure où le roman se réfère à des faits historiques, pour tenter d'expliquer et de
comprendre le présent.
2. La Fiction
La fiction est un terme polysémique, qui conformément au contexte, mais aussi aux
usages varie, donnant ainsi lieu à des confusions. Etymologiquement, d'après Le Robert, le
mot "fiction" vient du latin "fictio", qui signifie " création, action de feindre", de "fingere"
qui a pour sens "façonner" et "imaginer". Le Robert le définit comme suite : "Fait imaginé
(opposé à réalité) ; construction imaginaire. Création de l'imagination, en littérature ; genre
littéraire que représentent ces œuvres. Hypothèse conventionnelle qui permet de déduire des
conséquences."1
Nous pouvons déduire de cette première définition, que le concept de fiction est
remarquablement connoté : il peut avoir comme signification des inventions chimériques ou
utopiques (mensonges), des contre-vérités. Un second sens est attribué à la fiction, celui de
hypothèse conventionnelle (arbitraire), qui évoque le sens étymologique de "façonner", en
d'autres termes une confection de sens, ou une construction conceptuelle, qui tend à
expliquer la réalité. Une autre connotation du terme fiction, est celle de genre littéraire, qui
est un récit imaginaire, relatant des événements irréels, mettant en scène des personnages
utopiques dans un univers inventé de toutes pièces par l'auteur. Paradoxalement, ce dernier
peut s'inspirer de la réalité pour donner vie à sa fiction. En tant que genre littéraire la fiction
peut s'opposer à d'autres genres, tels que l'autobiographie ou le témoignage (qui relève de la
réalité).2
Dans son ouvrage intitulé Fiction et Diction, Gérard Genette propose de traduire la
fiction par la mimesis, et cela en se référant aux propos d'Aristote :
"La réponse d'Aristote est claire : il ne peut y avoir de
création par le langage que si celui-ci se fait véhicule de
1Le Robert, 2018, p. 438. 2Jenny, Laurent, La fiction, Département de Français moderne, Université de Genève, 2003, disponible sur le
site :https://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/fiction/fiintegr.html consulté le
Les Petits de Décembre est un roman qui relate l'histoire des enfants de la cité du 11-
Décembre 1960, qui habitent la commune de Dely Brahim, Alger. L'intrigue se déroule en
février 2016, lorsque deux généraux veulent prendre une parcelle de terrain, qui se trouve
dans cette cité, pour y construire leurs villas. Et ainsi commence la révolte des enfants contre
les généraux, pour garder leur terrain de football. A travers cette histoire Adimi vas revenir
sur une partie de l'Histoire de l'Algérie, notamment la décolonisation, la vague islamiste, les
élections présidentielles, les manifestations du 11 Décembre 1960.
Dans notre corpus Les Petits de Décembre, il est à noter, dès la première lecture, une
date récurrente, celle du 11 Décembre 1960, nom de la cité où se déroule la majeure partie
de l'intrigue, et que Adila l'ancienne moudjahida y réfère, dans son journal :
"Peu de nos voisins savent à quoi fait référence cette date du
11 décembre 1960 qu'ils inscrivent pourtant à chaque fois
qu'ils doivent renseigner leur adresse. Quelques-uns se
rappellent vaguement que ce jour-là avaient eu lieu de
gigantesques manifestations pour l'indépendance à Alger et
dans plusieurs autres villes mais à part ça ?"1
En effet le dimanche 11 décembre 1960 désigne la date des premières grandes
manifestations populaires en Algérie, organisés par les Algériens, qui clamaient "Vive le
FLN" et "Algérie indépendante", dans le but de faire pression sur la France qui croyait avoir
démantelé le Front de libération nationale (FLN) suite à la bataille d'Alger de 1957. Les
manifestations du 11 décembre 1960 ont précédé les délibérations de l'assembléegénéralede
l'ONU à propos de l'indépendance de l'Algérie.2 Ces manifestations pacifiques, ont rallié la
totalité du peuple algérien, qui clamait haut et fort pour l'indépendance, la liberté et la fin de
l'ère coloniale, qui laissera place à une nouvelle Algérie.
Adimi débute dans le premier chapitre, qui décrit la ville d'Alger en février noyer
sous la pluie, par évoquer un fait historique, datant du 10 novembre 2001, qui est les
1Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,p. 120. 2Disponible site web suivant : https://orientxxi.info/magazine/decembre-1960-quand-le-peuple-algerien-se-
soulevait-contre-le-colonialisme,1613consulté le (22/07/2020).
inondations dévastatrices qu'a connu l'Algérie, plus précisément le quartier de Bab el-Oued,
qui a sombré à cause de la pluie diluvienne, qui a paralysé l'ensemble du pays1 :
"On a quand même un peu peur. On n'oublie pas qu'en 2001,
des inondations ont détruit le quartier de Bab el-Oued, causé
près de mille morts et couté des millions de dinars. Certains
corps n'ont jamais été retrouvés et des enfants devenus de
jeunes adultes continuent d'espérer que leur mère ou leur
père finira par rentrer, même, après autant d'années."2
Une autre référence à l'Histoire de l'Algérie, durant les années postindépendance,
plus précisément, le début de la décennie sanglante (1991- 2002), ainsi que les émeutes
d'octobre 1988, et cela d'après le journal de la moudjahida Adila dans lequel elle écrit :
"Raconter décembre 1991. Revenir aux émeutes de 1988.
Celles où on a pu voir des chars de l'armée descendre dans
les villes. Les salauds ! Les traitres ! Oser braquer des chars
sur nous. Ce mois d'octobre 88 que nous n'oublierons pas
parce que les militaires ont tiré sur nos enfants. On ne
pardonnera pas."3
Cet extrait réfère à une première date du 26 décembre 1991, qui est le jour des
premières élections législatives pluralistes en Algérie depuis l'indépendance, au premier
tour, le Front islamique du salut (FIS) l'emporte sur le Front des forces socialistes, et le Front
de libération nationale (FLN)4, annonçant ainsi le début des massacres, des violences, et de
la décennie noire en Algérie. La seconde date évoquée est celle d'octobre 1988, dans ce mois
de violentes émeutes ont éclaté à travers toute l'Algérie, entrainant l'anéantissement du
système du parti unique (FLN), qui avec l'armée dirigeait le pays. Pour ce mois sanglant,
tout a débuté le soir du 4 octobre 1988 ; où des manifestations violentes se sont déclarées à
Alger, se dressant contre la hausse des prix et la raréfaction des produits de première
nécessité. Le 5 octobre 1988, les manifestations se métamorphosent en émeutes, et s'étendent
à d'autres villes algériennes, ce qui a engendré des arrestations. Le 7 octobre 1988, les
1Disponible sur la page web suivante : https://www.radioalgerie.dz/news/fr/article/20141110/19211.html
consulté le (22/07/2020). 2Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,pp. 14- 15. 3Ibid.p. 111. 4Disponible sur la page web suivante : http://www.slateafrique.com/80027/26-decembre-1991-algerie-
partisans islamistes s'opposent aux forces de l'ordre. Le lendemain, l'armée ouvre le feu sur
les manifestants, à Kouba, engendrant une cinquantaine de morts.1
Ces chapitres de l'Histoire de l'Algérie, qu’Adimi évoque dans son roman, relatent
des faits vécus par le peuple algérien, que ce dernier n'est pas prêt d'oublier. Adimi se
focalise, plus précisément sur la période, qui a suivi l'Independence du pays, une période
sanglante, meurtrière, dans laquelle les attentats, les émeutes, les assassinats et les massacres
se sont perpétués.
Un autre fait historique, relevant de la réalité et qu’Adimi a invoqué. Celui-ci se
rapporte à la décennie noire (1991- 2002), une marche pacifique, à laquelle la moudjahida
Adila a pris part, écrivant dans son journal : "Pourtant, quelques partis politiques appelèrent
à une marche le 2 janvier1992. Nous crions : "Ni Etat intégriste, ni Etat policier ! " Nous
espérions convaincre les Algériens et les abstentionnistes de voter différemment lors du
second tour."2
Ce passage relate la marche historique du 2 janvier 1992, qui a succédé à un autre
événement majeur cité antérieurement, le 26 décembre 1991 ; date du premier tour, des
premières élections législatives pluralistes en Algérie, depuis l'Indépendance, et remporter
par le Front islamiste du salut (FIS), sur le Front de libération nationale (FLN) et le Front
des forces socialistes (FFS). Ce 2 janvier 1992, Hocine Ait Ahmed, le créateur du Front des
forces socialistes (FFS), sollicite le peuple algérien et les abstentionnistes, à se manifester
pacifiquement. Son slogan " non à l'Etat policier, non à l'Etat intégriste", servait à convaincre
le peuple, qu'il n'y avait pas que deux camps à choisir ; le camp des islamistes (FIS), ou le
camp des militaires (FLN), mais il en existait un troisième, le (FFS). Ce dernier,
s'autoproclamait légaliste, en donnant une chance au processus électoral dans le but de garder
la paix civile. Son objectif était de renvoyer les extrémistes.3 En effet, cette période des
années 90 en Algérie, est caractérisée dans un premier temps, par des troubles d'ordre
gouvernemental, dû à la multiplicité des partis politiques, ce qui engendrera par la suite des
guerres civiles sanglantes.
1Disponible sur le site web suivant : https://blogs.mediapart.fr/benjamin-stora/blog/071008/octobre-1988-
une-nouvelle-histoire-commence-en-algerie consulté le (22/07/2020). 2Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,p. 114. 3Disponible sur la page web suivante : http://ait-benali.over-blog.com/2019/01/la-marche-du-2-janvier-1992-
l-ultime-chance-de-sauver-la-democratie.html consulté le (22/07/2020).
Un autre extrait du journal de la moudjahida Adila, dans lequel elle cite la destinée
tragique des présidents de l'Algérie, de Mohamed Boudiaf à Chadli Bendjedid, elle note :
"Mohamed Boudiaf est assassiné le 29 juin à Annaba par l'un de ses gardes du corps. Ben
Bella renversé par un coup d'Etat, Boumediene mort empoisonné, Bendjedid obligé de
démissionner."1Le premier personnage historique évoqué par la moudjahida, est Mohamed
Boudiaf, qui a présidé l'Algérie du 16 janvier 1992 jusqu'au 29 juin 1992, lors de sa deuxième
sortie officielle, alors qu'il prononçait son discours à Annaba, son propre garde du corps
l'assassine.2 Le président Ahmed Ben Bella, est devenu chef du gouvernement algérien le 15
septembre 1963. En juin 1965, Ben Bella se fait renverser suite au coup d'Etat du colonel
Houari Boumediene, il décède le 11 avril 2012 à Alger.3 Après le coup d'Etat du 19 juin
1965, Houari Boumediene est devenu le deuxième président de la République algérienne, il
meurt empoisonné suite à sa visite en Syrie le 27 décembre 1978.4 Quant au président Chadli
Bendjedid, il a été élu le 9 février 1979, et a présenté sa démission le 11 janvier 1992, une
démission forcée par l'armée suite au coup d'Etat dénoncé par le Front islamiste du salut
(FIS).5 Tous ces personnages à la fois historiques et politiques, qui ont présidé la République
algérienne, durant la période de postindépendance, mais aussi pendant la décennie noire, ont
connu des fins tragiques, qu’Adimi a tenté de retracer à partir du journal de l'ancienne
moudjahida Adila.
3.3. Les faits fictifs
Le fait fictif, dans une œuvre romanesque, désigne tout élément (événement,
personnage, lieu, période,...) relevant de l'imagination créative de l'auteur, que celui-ci
intègre à son récit. Toutefois, il est à souligner qu’un roman peut faire appel à des faits
factuels relevant de l'Histoire, et exploite les vacuités de cette dernière pour faire appel à des
faits fictifs. En ce qui concerne notre corpus Les Petits de Décembre, qui invoque certes des
faits historiques, qu'il associe à une intrigue fictive ; celle de la révolte des enfants de la cité
du 11-Décembre 1960.
1Ibid.p. 116. 2Disponible sur la page web suivante :https://maitron.fr/spip.php?article151700consulté le (22/07/2020). 3Disponible sur le site web suivant :
https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ahmed_Ben_Bella/98828consulté le (22/07/2020). 4Disponible sur le site web suivant :https://www.lematindz.net/news/1656-boumediene-mort-empoisonne-en-
syrie.html consulté le (22/07/2020). 5Disponible sur la page web suivante : https://www.jeuneafrique.com/mag/294182/politique/algerie-
generaux-ont-ecarte-chadli-plonge-pays-linconnu/consulté le (22/07/2020).
Un premier passage relatant le début de la révolte dite des petits de Décembre: "Le
vendredi 25 mars 2016 commença ce qu'on appellera la révolte des petits de Décembre. A
l'aube, alors que les premières lueurs du soleil éclairaient le terrain mais que tout le monde
dormait encore, Inès, Jamyl et Mahdi filèrent de chez eux sur la pointe des pieds".1
A partir de ce passage, on peut noter qu’Adimi a en premier lieu daté la révolte des
enfants de la cité du 11-Décembre 1960, afin de l'ancrer dans l'évolution temporelle du récit.
Elle précise que ce vendredi25mars2016 Inès, Jamyl et Mahdi, enfants de la cité, tentent de
se rendre discrètement,dès l'aube sur le terrain, alors que les adultes dormaient encore, pour
l'exécution de leur plan ; menant ainsi une révolte contre les généraux dans le but de garder
leur terrain de football.
Un autre extrait qui relate l'expansion de cette révolte au-delà des mures de la cité du 11-
Décembre : "Midi sonna. On vit arriver des dizaines d'enfants de tous les environs. Certains
venaient de beaucoup plus loin que la cité du 11- Décembre. Un garçon de douze ans, au
pantalon déchiré, avait rameuté tous les gosses de Cheraga, commune collé à celle de Dely
Brahim. Tous le suivaient, l'air grave, un bâton à la main et un gros sac sur le dos."2
Cette citation débute par un indicateur temporel "Midi", se rapportant ainsi au même
jour du début de la révolte (vendredi 25mars2016). Il aura donc suffi, de quelques heures
avant que la nouvelle de la révolte se répande dans les cités voisines, voire même les autres
communes de la wilaya d'Alger. Une sorte d'appel à la mobilisation des enfants, pour prêter
main forte aux petits de Décembre, pour faire face non pas seulement aux généraux, mais
afin de lutter contre tout un système.
3.4. Les Petits de Décembre entre Histoire et fiction
Dans ce titre il sera question d'analyser notre corpus, pour démontrer la manière, mais
aussi les procédés utilisés par Adimi en vue de fictionnaliser des faits historiques, qui
renvoient à l'Histoire de l'Algérie, plus précisément la période qui a succédé à l'Indépendance
: la décolonisation, la décennie noire, les années de plomb, la vague islamistes,... et leur
rapport avec les personnages et l'intrigue.
1Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,p. 173. 2Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,pp. 174- 175.
Chapitre II : La fictionnalisation de l'Histoire
41
Ainsi nous proposons, un extrait de notre corpus, qu’Adila l'ancienne moudjahida a
écrit dans son journal, ce passage relate la mort de son fils lors d'un attentat à bombe :
"Dimanche 11 février 1996, je me souviens. C'était le 21e jour
du mois de ramadan. Il pleuvait. Février à Alger, quelle
poisse. Je déteste ce mois. Mon fils était à la maison de la
presse qui accueillait depuis 1990 la plupart des journaux
indépendants. Il s'y était rendu pour déposer un CV,
cherchant un stage dans l'une des rédactions. Il venait
d'arriver lorsqu'un camion contenant 300 kilos de TNT
explosa. A 15h 45. Depuis, j'ai reconstitué la scène tant de
fois dans ma tête : Le camion est rempli de bombes et garé
devant la maison de la presse. Mon fils arrive à l'accueil. Il
se présente. Il sourit sans doute. La bombe explose. Il meurt.
Sur le coup ? J'espère. Je ne le saurai jamais. Les locaux de
trois journaux, Alger républicain, Le Matin et Le Soir
d'Algérie, sont détruits."1
En premier lieu, il est à souligner que le dimanche 11 février 1996 désigne la date
d'un vrai attentat à la bombe devant la maison de la presse à Alger, causant au total 26 morts
et 110 blessés, la voiture remplie d'explosifs s'est garée devant l'ancienne entrée du journal
Le Soir d'Algérie.2 Adimi a donc fait appel à un fait historique vécu par la ville d'Alger le 11
février 1996, et qui se conforme à la date du 21 ramadan 14163du calendrier hégirien, et
qu’Adila a effectivement motionné. Elle évoque également la maison de la presse d'Alger
(qui porte le nom de Tahar Djaout).
Et donc, nous pouvons déduire que pour fictionnaliser l'Histoire algérienne dans
l'extrait précédent, Adimi a commencé par mettre en scène un personnage fictif, Adila
l'ancienne moudjahida, celle-ci a été témoin d'une grande partie de l'Histoire algérienne ;
avant, pendant et après l'indépendance, et détient un journal dans lequel elle prend note des
différents événements passés. L'extrait de son journal relate alors, un événement tragique,
suite auquel son fils est mort. Adimi va relier la mort de ce personnage fictif à un événement
historique qui est l'attentat à la bombe du 11 février 1996 (le 21ejour du ramadan). Etant
donné que le fils de Adila est, comme elle le stipule : "mon fils est étudiant en
1Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,pp. 118- 119. 2Disponible sur la page web suivante :https://www.elwatan.com/archives/actualites/le-11-fevrier-1996-une-
voiture-piegee-explose-devant-la-maison-de-la-presse-dalger-11-02-2006consulté le (26/07/2020). 3Disponible sur la page suivante : http://www.aly-
abbara.com/utilitaires/calendrier/calendrier_hijir.htmlconsulté le (26/07/2020).
"L'espace est une représentation nécessaire a priori qui
sert de fondement à toutes les perceptions extérieures.
On ne peut jamais se représenter qu'il n'y ait pas
d'espace, quoique l'on puisse bien penser qu'il n'y ait pas
d'objets dans l'espace. Il est considéré comme la
condition de la possibilité des phénomènes, et non pas
comme une détermination qui en dépende, et il est une
représentation a priori qui sert de fondement, d'une
manière nécessaire, aux phénomènes extérieurs."1
Et donc selon Kant, l'espace n'a pas d'existence réelle, et celui-ci n'existe que
relativement aux phénomènes extérieurs (les objets qui sont concrets), il représente une
disposition nécessaire de phénomènes extérieurs qui s'enchainent.
Vers la fin du XIXème siècle, une autre caractéristique s'additionne à la notion
d'espace, celui-ci devient courbé ; en d'autres termes l'espace peut varier d'un point à un
autre. Ce n'est qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, que l'espace fait son entrée
dans la scène littéraire.2
1.1.2. L'espace en littérature
Loin d'être un arrière-plan, ou encore servir de décor anodin, l'espace représente un
élément fondamental, qui structure l'univers du récit, au même titre que le temps, l'intrigue
ou les personnages. Dans son ouvrage intitulé "L'espace littéraire" publié en 1955, Maurice
Blanchot fut le premier à introduire la notion d'espace dans le domaine littéraire. Aussi les
travaux pionniers de Mikhaïl Bakhtine3 et Youri Lotman4, sur la thématique de l'espace
démontrent que, l'espace rencontré dans une œuvre fictionnelle est nécessaire à la production
du sens. Et que l'organisation de l'espace fictionnel reflète la vision du monde de l'auteur.5
1 Kant, Emmanuel, Critique de la raison pure, Paris, deuxième Edition Flammarion, 2017, p. 66. 2 Disponible également sur le site web suivant : http://www.astronoo.com/fr/articles/espace-dans-le-
temps.html consulté le (29/04/2020). 3Mikhaïl Bakhtine est un historien, un théoricien de la littérature et un précurseur de la sociolinguistique, de
nationalité russe. Influencé par le formalisme russe, et réputé dans la sphère littéraire pour ses travaux sur le
roman, développant ainsi les concepts de dialogisme et de polyphonie. 4Youri Lotman est un sémioticien, un spécialiste de la littérature, un philologue, mais aussi un historien de
la culture estonienne et spécialiste en slavistique. Un des premiers structuralistes soviétiques, il possède plus
de 800 ouvrages imprimés. 5 Ziethen, A. (2013). La littérature et l'espace. Arborescences, (3). p. 4. URL :
https://www.erudit.org/fr/revues/arbo/2013-n3-arbo0733/1017363ar.pdf consulté le (03/05/2020).
Selon la conception de Bakhtine, nous pouvons trouver dans la littérature des indices
caractérisant une période historique précise. En se basant sur les chronotopes, que Bakhtine
définit comme suite :
"Dans le chronotope de l'art littéraire a lieu la fusion
des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible
et concret. Ici, le temps se condense, devient compact,
visible pour l'art, tandis que l'espace s'intensifie,
s'engouffre dans le mouvement du temps, du sujet, de
l'Histoire. Les indices de temps se découvrent dans
l'espace, celui-ci est perçu et mesuré d'après le temps."1
Le chronotope est littéralement, temps et espace (du latin chronos et topos). Dans la
sphère littéraire, le chronotope combine à la fois les indices spatio-temporels, et favorise la
concrétisation du temps, qui est la partie visible, dans l'espace, qui se définit à partir des
indices temporels. Le chronotope a pour but, la transposition du monde réel (espace-temps)
en récit fictif.
Dans son ouvrage "La structure du texte artistique" 1973, Youri Lotman souligne
l'impotence de la visualisation dans la structuration spatiale. Il distingue entre le terme
topographie qui est le fait de transposer ou de reproduire des espaces "réels" dans une œuvre
littéraire, et qui diffère d'un texte à un autre. Par opposition à la topologie qui est l'étude des
propriétés spatiales invariantes, semblables aux textes d'une même culture.2
Gérard Genette s'est aussi intéressé à la littérature dans ses rapports avec l'espace, et
il distingue différents aspects de la spatialité :
Premièrement une spatialité du langage : "défini comme un système de
relations purement différentielles où chaque élément se qualifie par la place
qu'il occupe dans un tableau d'ensemble et par les rapports verticaux et
horizontaux qu'il entretient avec les éléments parents et voisins."3Cette
spatialité primaire est mise en évidence par l'écriture.
1 Bakhtine, Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 238. 2 Ziethen, A. (2013). La littérature et l'espace. Arborescences, (3). p. 5. URL :
https://www.erudit.org/fr/revues/arbo/2013-n3-arbo0733/1017363ar.pdf consulté le (03/05/2020). 3 Genette, Gérard, Figure II, Paris, Seuil, 1969, p. 53.
L'espace, comme nous avons pu le déduire précédemment, représente un élément
constitutif du roman. Il n'est pas seulement un mode de description ou un cadre anodin, mais
plutôt il renvoie à l'ensemble des lieux, qui peuvent, soit relever de la création imaginaire
de l'auteur, ou bien être des endroits concrets transposés dans l'univers romanesque. Sur ce
Christiane Achour attribue à l'espace romanesque la définition suivante :
"L'espace est à la fois indication d'un lieu et création
narrative : le déroulement narratif peut lui-même faire
surgir, du décor qu'il a planté, de nouveaux espaces
signifiants [...] L'espace est la dimension du vécu, c'est
l'appréhension des lieux où se déploie une expérience.
L'espace dans une œuvre n'est pas la copie d'un espace
strictement référentiel, mais la jonction de l'espace du
monde et celui du créateur."1
D'après les propos d'Achour, l'espace a pour fonction la désignation des lieux
romanesques, créé par l'auteur, et s'inscrivant dans le récit, qui en se déployant, peut donner
naissance à d'autres espaces signifiants. C'est aussi l'endroit où se déroule l'intrigue. L'espace
romanesque, ne cherche pas à copier des étendues géographiques attestées, par contre il tend
à fusionner l'espace référentiel, qui est celui du lecteur, avec un espace relevant de
l'imagination créative de l'auteur.
Gérard Genette définit l'espace du roman comme suite : "Chaque roman comporte
une topographie spécifique qui lui donne sa totalité propre, le romancier choisit de situer
l'action et le personnage dans un espace réel ou à l'image de la réalité."2 Et donc tout roman
dispose d'un espace, qui lui est propre et qui diffère d'une œuvre à une autre. C'est aussi le
lieu où se déroule l'action et où évoluent les personnages, et qui peut être soit un espace
référentiel et concret, ou semblable à l'espace réel.
1 Achour, Christiane, Rezzoug, Simone, Convergences critiques : Introduction à la lecture du littéraire,
Alger, Office des Publications Universitaires, 1995, p. 206. 2 Genette, Gérard, Figure II, Paris, Seuil, 1969, p. 104.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
50
Michel Butor, quant à lui, propose la définition suivante: " Le lieu romanesque est
[...] une particularisation d'un “ailleurs“ complémentaire du lieu réel où il est évoqué."1
Pour Butor l'espace romanesque renvoie à un lieu particulier, qui vient s'additionner à
l'espace concret auquel l'étendue du roman réfère.
D'après ces précédentes définitions, nous pouvons déduire qu'il peut y avoir une
relation entre l'espace romanesque, qui se déploie dans la fiction, et l'espace réel référentiel,
celui du lecteur. Le critère qui caractérise cette relation est la localisation, plus précisément
l'inscription géographique. En effet les lieux que nous trouvons dans un roman, de genre
réaliste ou historique (le cas de notre corpus), véhiculent la dimension spatiale de la
narration, tout en se référant simultanément à l'espace réel. On peut distinguer, à partir de
l'inscription géographique, deux catégories principales d'espaces romanesques : la première,
nommée les espaces localisés ; qui renvoient aux lieux réels, relevant de la géographie
attestée. La seconde appelée les espaces délocalisés ; s'opposant à la première catégorie, ils
désignent l'ensemble des lieux irréels, relevant de l'imagination créative de l'auteur. Cette
distinction peut être élaborée à partir de l'onomastique de l'espace, en d'autres termes, le nom
du lieu mentionné dans le roman, peut se référer à un espace concret, ou irréel.2
1.1.4 L'espace dans le roman historique
Le roman historique est un genre romanesque qui entremêle à la fois : la fiction, ce
qui renvoie à la création imaginaire du romancier, ainsi que des éléments relevant de
l'Histoire, qui s'inscrivent donc dans la réalité attestée :
"La théorie littéraire consacrée au roman historique
comporte quelques paradoxes. D'emblée, ce type de roman
jouit d'un statut ambigu, car il se fond sur un pacte de lecture
par lequel, d'un côté, le fictionnel est donné pour réel, d'un
autre côté, le référentiel est métamorphosé en fictionnel. Le
roman qu'on appelle "historique" par convention et facilité
résulte en effet d'une opération de transposition et de
1 Butor, Michel, Essais sur le roman, Paris, Gallimard, 1969, p. 45. 2 Camus, Audrey, Bouvet, Rachel, Topographies romanesques, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2011, p. 35.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
51
transmutation des référents, le plus souvent érudits, en un
objet fictif."1
Nous pouvons constater que le roman historique relève de l'ambiguïté, car il tend à
attribuer un effet de vraisemblance à la fiction, et cela en fictionnalisant des événements
historiques, relevant de la réalité attestée. Cette fictionnalisation se fait à partir de la
transposition et l'adaptation de l'Histoire dans l'univers romanesque fictif.
Pour ce qui est de la dimension spatiale du roman historique :
" La construction de l'historicité s'appuie non seulement
sur une temporalité dont les limites sont bien
circonscrites, mais également sur la spatialité, vu la
nécessité de figurer le cadre et les lieux, de fournir des
repères géographiques entre lesquels se meuvent les
personnages, ou encore de rendre manifestes aux yeux
du lecteur les différences entre composantes spatiales
propres à une période du passé et celles du présent."2
Dans le roman historique l'accent est mis, à la fois sur la temporalité, qui réfère à des
épisodes de l'Histoire bien précis, mais aussi sur la spatialité, celle-ci offre une représentation
des lieux romanesques, tout en délimitant le cadre géographique où évoluent les
personnages, elle distingue notamment entre les espaces, qui se rapportent à une période bien
précise du passé, et les espaces relevant du présent.
A la lumière des explications théoriques précédentes, nous entamerons l'analyse de
la dimension spatiale de notre corpus Les Petits de Décembre de Kaouther Adimi. L'intrigue
se déroule au mois de février 2016, à Alger, et la majeure partie de l'histoire se passe à la
cité du 11-Décembre 1960, située à la commune de Dely Brahim, Alger. Cette suite de
repères spatiaux est réelle, et donc compte parmi les espaces localisés. Un plan détaillé de la
cité du 11-Décembre-1960 est présenté de manière explicite, comme incipit :
1 Ibid. p. 141. 2 Ibid. p. 141.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
52
1
Nous pouvons constater que : " Le romancier peut choisir de décrire les lieux de
l'action une fois pour toutes : l'espace est donné d'un bloc."2 Et donc Adimi a choisi de
réaliser un plan préalablement établi de la cité du 11-Décembre 1960, et qui est une cité
militaire. Cette dernière comprend un terrain vague autour duquel se situent les maisons des
protagonistes : Jamyl, Inès et Mahdi, ainsi que celles des colonels : Cherif et Mohamed.
Nous y retrouvons également un château d'eau. La cité représente l'espace vital dans lequel
évoluent les personnages, et le lieu où se déroule la grande partie de l'intrigue, notamment
la révolte des enfants contre les généraux, ainsi que la bagarre entre les généraux et les
habitants de la cité pour le terrain. Le 11-Décembre 1960 est la date des premières grandes
manifestations pacifiques pour l'Independence en Algérie, qui est également le nom de la
cité. Ce schéma représente une recomposition topographique de la cité.
Ainsi les espaces de notre corpus sont organisés de façon à permettre à la narration
de progresser, tout en étant accompagné de la description des lieux et des personnages de
l'intrigue. C'est alors une entrée théâtralisée qui permet une construction progressive de
l'espace romanesque et qui assure la continuité narrative.
1Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,p. 10. 2 Bourneuf, R. (1970). L’Organisation de l’espace dans le roman. Études littéraires, 3 (1). p. 86. URL :
https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/1970-v3-n1-etudlitt2184/500113ar.pdf consulté le (19/05/2020).
Dès le premier chapitre, la description des lieux débute par Alger, la ville blanche,
en plein hiver, sous la pluie : " Alger en février. Ses bourrasques de vent, sa pluie fine, ses
températures qui chutent. La ville se noie et noie avec elle ses habitants. On peine à marcher
à cause de la boue. On hésite avant de sortir, on n’est jamais assez couvert."1 Adimi débute
par la description de la capitale algérienne, bien loin du cliché de la ville ensoleillée, des
paysages exotiques, celle-ci est présentée en plein mois de février, se retrouvant ensevelie
sous la pluie, ses habitants peinent à se déplacer.
La description se poursuit dans le premier chapitre : " Dans le centre-ville, les
voitures circulent difficilement."2 A cause de la circulation, dû à la pluie, le centre-ville
d'Alger se retrouve bloquer.
Le lieu suivant que Adimi dépeint, est bien connu des habitants d'Alger, car il renvoie
à un mythe du XIXème siècle :
" Un immense bouchon s'est formé à côté du ravin de la
femme sauvage. [...] Il parait qu'au XIXe siècle, elle
vivait dans le coin, avec ses deux enfants qu'elle élevait
seule depuis le décès de son mari. Un jour où il faisait
particulièrement beau, la petite famille alla pique-
niquer dans les bois jouxtant Oued Kniss."3
Ainsi Adimi fait appel à un lieu qui renvoie au mythe de la femme sauvage, celui-ci
se situe entre Bir Mourad Raïs et Oued Kniss, à l'est d'Alger4. Ce mythe relate l'histoire d'une
veuve devenue folle, suite à la perte de ses deux enfants dans les bois, près du ravin. La mère
n'a plus jamais quitté la forêt depuis, errant vêtue de haillons, tel un fantôme.
Un autre lieu mentionné par Adimi, un quartier de la wilaya d'Alger, qui a subit les
conséquences des inondations dévastatrices, le quartier de Bab el-Oued, en 2001 :
" On n’oublie pas qu’en 2001, des inondations ont
détruit le quartier de Bab el Oued, causé près de mille
1 Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger,Barzakh, 2019,p.11. 2 Ibid.p.11. 3 Ibid.p. 12. 4 Disponible sur le site web suivant : http://www.lesechosdalger.com/le-ravin-de-la-femme-sauvage-une-
legende-et-des-versions/ consulté le (19/05/2020).
morts et coûté des millions de dinars. Certains corps
n’ont jamais été retrouvés et des enfants devenus de
jeunes adultes continuent d’espérer que leur mère ou
leur père finira par rentrer, même, après autant
d’années."1
La description spatiale se poursuit, jusqu'à la commune de Dely Brahim, cité du 11-
Décembre 1960 :
"La cité du 11-Décembre existe depuis 1987. Elle
comprenait à l’origine 111 parcelles sur lesquelles, pour
certaines, étaient déjà construites d’anciennes maisons
coloniales [...] Tous les lots ont été vendus à des
militaires sans pour autant que cette cité ne soit désignée
comme une “cité militaire“."2
A partir de la narration, Adimi retrace l'histoire de la cité du 11-Décembre-1960, qui
a été commandée par le ministre de la défense, ainsi que celle du terrain qui se positionne au
centre, métamorphosé en un terrain de football par les enfants, et ce depuis une vingtaine
d'années. Le terrain en question représente, au premier abord, une étendue (ouverte) d'un
point de vue géographique :" À première vue, on dirait un terrain vague. À première vue
seulement."3. Depuis que les enfants se sont appropriés le terrain, celui-ci devient leur terrain
de football :
" Un jour, il y a vingt ans peut-être, un groupe d’enfants
entreprit de le nettoyer, de bricoler des buts de fortune,
de délimiter des zones et de créer ainsi un terrain de
football. Et depuis vingt ans maintenant (ou peut-être un
peu moins), les enfants et les jeunes de la Cité mais aussi
de tout le quartier et de ses environs ont disputé des
milliers de parties de foot. Oh, il ne s’agit pas d’un
1 Ibid.pp. 14- 15. 2 Ibid.p. 15. 3 Ibid.p.17.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
55
terrain de football comme on peut l’imaginer. Oubliez le
gazon vert, le tracé parfait, les filets de but."1
Le terrain représente pour les enfants de la cité du 11-Décembre 1960, une partie de
leur propriété au même titre que leurs maisons. Ces derniers ont grandi en y disputant, un
grand nombre de matchs, à travers des années de contact et de partage entre eux. C'est aussi
un lieu où ils peuvent jouer et se sentir libre. Placé au centre de la cité, le terrain peut donner
l'impression d'être une parcelle de terre vide de constructions.
Nous pouvons déduire à partir de cette première organisation spatiale, située
d'emblée au niveau du premier chapitre de notre corpus Les Petits de Décembre, qu'il est
question d'une topographie des lieux géographiquement attestés, et donc d'espaces localisés,
qui sont introduits par une description "itinérante". Cette description réaliste, évolue et par
le temps, et par les espaces, suivant un itinéraire, qui début par Alger, en passant par : le
centre-ville de la capitale algérienne, Oued Kniss (Le ravin de la femme sauvage), Bab el-
Oued (se remémorant les inondations de 2001), pour arriver à la commune de Dely Brahim
; plus précisément la cité du 11-Décembre 1960, au milieu de laquelle se situe le terrain
(convoité par les généraux).
Toutefois, nous pouvons remarquer qu'au fur et à mesure des chapitres, Adimi fait
appel à des espaces référentiels, qui sont liés à des événements historiques, comme ceux
cités dans le journal de la moudjahida Adila, en se remémorant la journée du 11 Décembre
1960 : "Le quartier de Belcourt était noir de monde. Nous avions envahi les quartiers
européens."2Ou encore, "Dans la Casbah, les femmes poussèrent des youyous toute la nuit.
[...] Très vite, les autres villes suivirent le mouvement. Oran, Constantine, Annaba, partout,
les Algériens sortaient pour réclamer le départ de la France."3Et donc la dimension spatiale
est utilisée au service de la fictionnalisation de l'Histoire, car la description des faits
historiques attestés, tel est le cas de notre citation " le 11 décembre 1960" date des premières
grandes manifestations pour l'indépendance en Algérie, est décrite par l'ancienne
moudjahida Adila (personnage fictif), qui en était témoin, et qui a fait appel à des espaces
localisés, relevant du réel, tel que : la quartier de Belcourt un quartier populaire et
révolutionnaire d'Alger, ou encore la Casbah qui est la citadelle d'Alger, allant jusqu'à
1 Ibid.p.17. 2 Ibid.p.121. 3 Ibid.p.122.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
56
mentionner des villes algériennes qui se sont ralliés aux manifestations : Oran, Constantine,
Annaba.
Adimi mentionne, toutefois quelques pays comme la Syrie, en évoquant la mort du
président Boumediene : "De quoi est mort Boumediene ? Mohamed est persuadé qu'il a été
empoisonné en Syrie par de jeunes officiers du Mossad."1 Ou encore en parlant de la révolte
des Petits de Décembre : "Ainsi les Marocains racontaient qu'une bande d'enfants avait fait
fuir des émissaires du roi Mohammed VI dans le sud du pays. En Tunisie, c'était la même
histoire mais avec des ministres sur un terrain situé à la frontière avec la Lybie."2
Et en parlant aussi de l'évolution de la commune de Dely Brahim, qui foisonne de
boutiques : "A travers les vitres, on peut voir des vêtements criards importés de Chine, de
France ou d'Espagne."3 Mais elle n'exploite pas ces lieux, pour étendre la dimension
spatiale romanesque. C'est en effet, à Alger que se déroule l'intrigue. En tant qu'espace
géographique, et en tant que ville, Alger est une réalité physique qui peut offrir à ses
habitants ou à ses visiteurs des sensations d'ouverture et de liberté. Mais quand toute
l'histoire se déroule à travers des rues, des communes et des quartiers bien déterminés
n'offrant aux personnages que des lieux bien précis comme cadre de vie (à voir et à
apprécier), les enfermant dans des quotidiens monotones et sans horizons, Alger se referme
sur elle-même et devient dans la perception des personnages un espace clos et dépendant.
Le but de recourir à des espaces référentiels, dans Les Petits de Décembre est d'offrir
en premier lieu, une représentation des endroits historiques (localisés), et de délimiter le
cadre géographique du corpus, tout en favorisant son ancrage dans un événement, ou dans
une période précise de l'Histoire. Ainsi les espaces référentiels deviennent des espaces
textuels dans lesquels évoluent les personnages, mais aussi où se déroule l'intrigue.
1.2. L'étude temporelle
1.2.1. Le temps
Le temps comme notion peut avoir, selon la situation ou le contexte, différentes
connotations, conformément au dictionnaire Le Robert, il peut être défini de la sorte :
1 Ibid.p.207. 2 Ibid.p.224. 3 Ibid.p.73.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
57
"Continuité indéfinie, milieu où se déroule la succession
des événements et des phénomènes, les changements, les
mouvement, et leur représentation dans la conscience :
durée globale, portion limitée de durée, chacune des
divisions égales de la mesure en musique, chacune des
phases (d'une manœuvre, d'une opération, d'un cycle de
fonctionnement), durée chronométrée d'une course.
Dans une succession, une chronologie : Point repérable
dans une succession par référence à un “avant“ et un
“après“ (date, époque, instant, moment). Forme verbale
particulière à valeur temporelle. Entité (souvent
personnifiée) représentative du changement continuel de
l'univers. Etat de l'atmosphère à un moment donné,
considéré surtout dans son influence sur la vie et
l'activité humaine (température, météorologie)."1
Le premier point à souligner, à partir de cette définition, est que le concept temporel
n'est pas très évident à cerner, car il renvoie tantôt à une succession chronologique, tantôt à
une forme verbale, ou encore à l'étude scientifique des phénomènes atmosphériques.
Dans la théorie littéraire, le temps peut être considérer comme un constituant de
l'univers romanesque, car en effet, tout roman s'édifie à partir d'un ancrage temporel. Paul
Ricœur stipule que : "Le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé sur
un mode narratif."2 Et donc selon Ricœur, l'étude de la temporalité dans un récit se rattache
à la narration.
C'est à partir de 1972, que le théoricien français Gérard Genette a débuté ses travaux
portant sur la narratologie, et qui ont succédé aux recherches anglo-saxonnes et allemandes.
La narratologie comme approche des textes littéraires se focalise sur le récit. Ce dernier, est
considéré comme un tout linguistique cohérent et indépendant, qui n'est pas relié au cadre
de production et de réception. La narratologie tend à établir une structure constante,
semblable aux différents récits3. Genette différencie trois niveaux narratifs, identifiable dans
l'œuvre :
1 Le Robert, 2018, p. 998. 2 Ricœur, Paul, Temps et récit, tome III : Le Temps raconté, Paris, Seuil, 1983, p. 85. 3 Disponible sur le site web suivant : http://www.signosemio.com/genette/narratologie.asp consulté le
(01/08/2020).
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
58
"Je propose, [...] de nommer histoire le signifié ou
contenu narratif (même si ce contenu se trouve être, en
l'occurrence, d'une faible intensité dramatique ou teneur
événementielle), récit proprement dit le signifiant,
énoncé, discours ou texte narratif lui-même, et narration
l'acte narratif producteur et, par extension, l'ensemble
de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend
place."1
Ainsi Genette distingue l'histoire, qui renvoie au contenu narratif de l'œuvre, et donc
à la succession des événements qui sont constants, du récit qui désigne le discours narratif
(portant sur le style, ainsi que le registre de langue de l'œuvre), et la narration qui représente
l'acte narratif, fictif, qui produit le discours.
Genette établit une distinction entre l'auteur du récit, qui est une personne réel (le
romancier qui a rédigé l'œuvre), et le narrateur, la voix fictive qui relate les événements du
récit. Mais aussi entre le lecteur, qui est une personne réel (lisant l'œuvre), et le narrataire,
un destinataire fictif, à qui le narrateur s'adresse dans le récit.2
1.2.2. Temps du récit et temps de l'histoire
L'analyse de la temporalité dans un roman, se fond sur l'examen des structures, des
mécanismes, ainsi que de l'organisation temporelle du récit, et cela dans le but de déceler la
relation entre le temps du récit, qui relève du nombre des pages et des lignes dans une œuvre
et (donc le temps mis à raconter), du temps de l'histoire, qui peut être mesurer à partir des
heures, des jours, des semaines, des mois,... (Exprimant de la sorte le temps raconté).3 Ainsi
pour tenter de comprendre l'ordre dans lequel la succession événementielle dans notre corpus
Les Petits de Décembre est évoquée, nous procéderons à l'étude de la temporalité de notre
roman, particulièrement le moment de la narration, la vitesse de la narration, la fréquence de
cette dernière, ainsi que l'ordre narratif des événements. Et cela en appuyant notre théorie
des ouvrages : de Gérard Genette intitulé Figures III, ainsi que de Vincent Jouve Poétique
du roman.
1 Genette, Gérard, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 101. 2 Jouve, Vincent, Poétique du roman, Paris, Armand Colin, 2001, pp. 24 -25. 3 Ibid. p. 35.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
59
Pour procéder à l'étude du temps de la narration dans un roman, il faut d'abord faire
la distinction entre le temps de l'écriture, qui se rapporte à l'auteur (notamment le moment
de la rédaction de l'œuvre), le temps de l'histoire, qui renvoie à l'ordre chronologique des
faits évoqués dans l'œuvre, et finalement le temps de la narration, celui-ci réfère au moment
où les événements sont racontés par le narrateur, la vitesse et la fréquence de leur narration,
ainsi que l'ordre dans lequel ils sont relatés.
A. Le moment de la narration
Le moment de la narration tend à déterminer la position du narrateur par rapport aux
événements qu'il relate, en d'autres termes à quel moment l'histoire est racontée "par rapport
au moment où elle est supposée avoir eu lieu"1 ? On peut distinguer :
La narration antérieure : relate les événements de l'histoire avant même
qu'ils ne se déroulent, le récit est donc au futur, ce genre de narration se
résume majoritairement à des passages au niveau du récit, et non à
l'intégralité du récit, relevant ainsi d'une sorte d'anticipation (prophétie,
prédiction, vaticination, rêve,...)
La narration simultanée : relate les événements de l'histoire au moment
même où ils se produisent, le récit fait donc appel au présent, et ses
événements sont rapportés comme en direct par le narrateur.
La narration ultérieure : relate les événements de l'histoire après que ces
derniers ont eu lieu, le récit emploie le passé (le plus souvent l'imparfait et la
passé simple).
La narration intercalée : cette dernière, est une narration hybride, associant
la narration ultérieure et la narration simultanée, comme celle du journal
intime, interrompant parfois la narration au passé (ultérieure) pour ajouter
des annotations au présent.
B. La vitesse narrative
La narration ne peut pas toujours tout raconter, des événements peuvent être rapporté
avec précision par le narrateur, d'autres citer sommairement, ou encore passer sous silence,
1 Ibid. p. 36.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
60
soit au ralenti ou au contraire de manière accéléré, ce qui donnera au récit un rythme. Genette
distingue alors quatre modes de vitesse narrative :
La scène : au niveau de la scène le temps du récit correspond au temps de
l'histoire, en d'autres termes le temps de la lecture du récit coïncide avec le
temps que met le récit pour se produire, (et donc le temps du récit = le temps
de l'histoire), le dialogue est un parfaite exemple de la scène.
La pause : renvoie à un mode où l'écoulement du temps de l'histoire est
interrompu, alors que le récit se poursuit, et donc il est question de passages
descriptifs ou un commentaire du narrateur, la narration est alors suspendue,
produisant un effet de ralentissement, (et donc le temps du récit = n et le
temps de l'histoire = 0).
Le sommaire : celui-ci tend à résumer brièvement une durée d'histoire,
servant ainsi de transition dans la narration, et produisant un effet
d'accélération, le temps du récit est alors inférieur au temps de l'histoire, car
le narrateur met moins de temps à relater les événements (temps du récit <
temps de l'histoire).
L'ellipse : celle-ci tend à passer sous silence un certain nombre d'événements
du récit, produisant un effet d'accélération, le narrateur met moins de temps
à relater les événements, (et donc le temps du récit = 0 alors que le temps de
l'histoire = n).
C. La fréquence événementielle
La fréquence narrative désigne la relation entre le nombre de répétitions d'un
événement dans l'histoire et le nombre de fois où cet événement est mentionné dans le récit,
en d'autres termes "combien de fois est raconté cet événement"1 ? Genette relève trois
catégories de fréquence :
Le mode singulatif : Le narrateur relate une fois un événement qui s'est
produit une fois dans l'histoire, (ou bien il relate n fois un événement qui s'est
déroulé n fois), c'est le mode le plus fréquent dans les romans.
Le mode répétitif : Le narrateur raconte plusieurs fois un événement qui
s'est déroulé une fois seulement, afin de présenter une multitude de point de
vue sur l'événement en question, c'est le cas des romans épistolaires.
1 Ibid. p. 39.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
61
Le mode itératif : A l'inverse du mode répétitif, celui-ci narre une fois un
événement qui s'est produit plusieurs fois, évoquant ainsi l'habitude et la
régularité des faits, faisant appel à l'imparfait et au présent.
D. L'ordre de la narration
L'ordre narratif désigne la relation entre la succession des événements dans l'histoire
et leur organisation dans le récit, autrement dit l'étude des rapports entre le déroulement
logique des événements au niveau de l'histoire et l'ordre dans lequel ils sont relatés dans le
récit. Dans la plupart des cas, les événements de l'histoire sont racontés par le narrateur,
selon l'ordre de leur production, et donc par ordre chronologique. Toutefois, il arrive que
l'ordre chronologique soit rompu par, ce que Genette appel "anachronie"1qui désigne les
formes de discordance (disharmonie) entre l'ordre de l'histoire et celui du récit. Genette
discerne deux catégories d'anachronie :
L'analepse : est une anachronie qui opère un retour en arrière, le narrateur
évoque un événement passé (antécédent) à la narration, une rétrospection.
La prolepse : est une anachronie qui évoque un événement à venir, une
anticipation, qui doit avoir lieu après la narration.
Avant de débuter l'analyse de la temporalité au niveau de notre corpus Les Petits de
Décembre, nous avons jugénécessaire de faire appel à une explication théorique, qui aura
pour rôle d'orienter d'une part le lecteur de notre travail de recherche, et d'autre part
d'éclaircir le rôle du temps dans l'investissement de l'Histoire et de la réalité dans la fiction.
A partir de la narratologie, nous avons pu déduire que l'étude temporelle du récit s'articule
autour de la relation du temps de l'histoire (le temps raconté) et du temps du récit (le temps
mis à raconter), ce qui nous permettra de connaitre le moment de la narration, sa vitesse, la
fréquence événementielle, ainsi que l'ordre narratif.
Les Petits de Décembrede Kaouther Adimi est un roman qui relate des événements
qui se sont déroulés au mois de février 2016, notamment l'histoire des habitants de la cité du
11-Décembre 1960, à Dely Brahim, Alger. En racontant l'histoire de cette cité et ses
occupants, le narrateur retrace des épisodes de l'Histoire de l'Algérie, notamment la période
postindépendance et la décennie noire, et cela à partir des souvenirs des protagonistes, c'est
alors un va-et-vient dans le temps entre le présent et le passé.
1 Genette, Gérard, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 111.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
62
En vue de déterminer le moment de la narration dans notre corpus, nous proposerons
ces deux premiers passages :
" Sur le grand terrain, cité du 11-Décembre-1960, à
Dely Brahim, deux garçons d'une dizaine d'années,
Jamyl et Mahdi, courent sous la pluie. Ils se font des
passes en tentant de ne pas déraper. L'un porte un grand
tee-shirt de la Juventus [...] Ils arrivent jusqu'à
l'extrémité du terrain où Inès, une fillette âgée de onze
ans, vêtue d'un immense tee-shirt blanc marqué d'un
logo de l'armée algérienne, garde un but de fortune."1
"Inès, Jamyl et Mahdi, eux, bavardent gaiement sur le
chemin, en évitant les poteaux et les arbres. Ils s'arrêtent
quelques minutes pour acheter des chewing-gums dans
un bureau de tabac. Le vendeur leur offre des bonbons
en supplément. Il aime bien ces trois gamins qui passent
souvent dépenser leurs quelques pièces chez lui."2
Dans ces deux passages, nous pouvons enregistrer une narration simultané,
caractérisée par l'utilisation du présent de l'indicatif comme temps verbale (courent, se font,
porte, arrivent, garde, bavardent, s'arrêtent, offre, aime, passent), ainsi nous pouvons
remarquer que le narrateur relate dans le premier extrait, la succession d'événements au
moment où ils se déroulent, comme en direct, ou encore dans le second extrait, à la sortie de
l'école des protagonistes : Inès, Jamyl et Mahdi, qui est aussi raconté au même moment de
sa production, donnant ainsi l'illusion que le narrateur écrit au même moment le déroulement
de l'action.
Toutefois, nous pouvons aussi enregistrer une narration ultérieure, celle-ci se
manifeste à partir des souvenirs des personnages témoins, des événements qui ont marqué
l'Histoire de l'Algérie et donc des faits attestés, ou encore par la narration qui rapporte le
1 Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,p.19. 2 Ibid.pp. 53- 54.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
63
déroulement de la bagarre entre les généraux et les habitants de la cité du 11-Décembre-1960
pour le terrain. Ainsi nous proposons les extraits suivants :
"Les deux généraux furent réellement surpris de cette
attaque à laquelle ils ne s'étaient pas préparés. C'est
peut-être ce qui les choqua le plus. Heureusement que le
chauffeur avait rapidement pu contacter le directeur de
la sécurité et que les gendarmes étaient arrivés au plus
vite, mais les jeunes avaient tout de même eu le temps de
leur tomber dessus. Sortir l'arme avait été un réflexe de
protection mais avec le recul, cela n'avait fait qu'exciter
encore plus les gamins."1
L'extrait relate le déroulement de la bagarre entre les généraux Saïd et Athmane, et
les jeunes de la cité du 11-Décembre-1960, le narrateur rapporte les événements de cette
bagarre après que cette dernière a eu lieu, et donc la narration est ultérieurs aux déroulement
des faits, caractérisée par l'emploi des temps verbaux au passé (furent, s'étaient préparés,
choqua, avait pu, étaient arrivés, avaient eu, avait été, avait) particulièrement l'imparfait, le
passé simple et le plus-que-parfait.
Un autre passage raconté par l'ancienne moudjahida Adila, et noté dans son journal,
où elle se remémore le 11 décembre 1960 à Alger :
"Je me souviens que le matin du 11 décembre 1960, ma
mère avait tenté de m'empêcher de sortir. Nous nous
étions violemment disputées et je l'avais repoussée pour
me dégager de son emprise. Elle était tombée et c'est
sous ses malédictions que j'avais passé la porte de la
maison. C'était la dernière fois que je la voyais. Je ne
suis jamais revenue. Dans la rue, les Algériens criaient
“vive le FLN“ ou encore “Algérie indépendante“. Larbi
1 Ibid. p. 47.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
64
Ben M'hidi avait très tôt compris l'impotence des
grandes manifestations populaires."1
Ce second extrait qui provient du journal de Adila, qui a été témoin des
manifestations du 11 décembre 1960 en Algérie, relate des événements ultérieures à la
narration, en d'autres termes ils sont mentionnés et narrés dans le journal après avoir eu lieu,
le récit a donc fait appel aux temps verbaux du passé, tel que le plus-que-parfait (avait tenté,
étions disputées, avais repoussée, était tombée, avais passé, suis revenue, avait compris) et
l'imparfait (criaient, était, voyais).
Il serait donc question d'une narration intercalée dans notre corpus les Petits de
Décembre, car en effet elle combine à la fois entre la narration simultanée, qu'on a pu voir
précédemment, relatant les événements qui se déroulent (en février 2016) au moment même
de la narration, le récit au présent peut alors s'interrompre épisodiquement, pour laisser place
à une narration ultérieure, qui évoque des événements au passé, notamment les souvenirs
des protagonistes qui se rapportent à la période d'avant et d'après l'Indépendance de l'Algérie,
la décennie noire (1991- 2002), la vague islamiste, les années de plomb. Mais aussi pour
évoquer un fait majeur qui est la bagarre entre les généraux et les jeunes de la cité du 11-
Décembre-1960.
Nous entamerons maintenant l'analyse du rythme de la narration dans Les Petits de
Décembre, qui peut être soit accéléré ou au contraire ralenti, pour cela il faudra évaluer la
vitesse narrative de notre corpus, à partir des modes de vitesse : pause, scène, ellipse et
sommaire.
Le passage suivant est un exemple de scène, relevée à partir de notre corpus, et qui
rapporte un dialogue entre Jamyl, un des enfants de la cité du 11-Décembre-1960, et son
grand-père :
"- Regarde, j'ai trouvé une vieille photo de ton père
quand il avait ton âge. Tu vois à quel point tu lui
ressembles ?
1 Ibid.p. 121.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
65
- Oh oui !
- Tu la veux ?
- Bien sûr, je te remercie grand-père.
- Est-ce que tu te souviens encore de lui ?
- Non, pas vraiment...
- Tu n'avais qu'un an, c'est vrai... Je ne comprendrai
jamais ce qu'il faisait dans ce bus d'étudiant... Il avait
une voiture, il avait terminé ses études depuis si
longtemps..."1
Cet échange de propos entre Jamyl et son grand-père, au sujet de la mort du père de
Jamyl suite à un attentat à la bombe en 2007, est un exemple de scène dans laquelle le temps
de la lecture de ce passage (le temps du récit) coïncide avec le temps qu'il met à se dérouler.
Ce second passage du corpus renvoie à une pause, au niveau de laquelle le temps de
l'histoire s'interrompe, alors que le récit se poursuit, pour faire la description du général Saïd,
donnant ainsi un effet de ralentissement :
"Le premier, le générale Saïd, était un homme de petite
taille, avec une moustache bien taillée, il portait des
lunettes à monture carrée et aux verres fumés. Il avait
des cheveux raides, noires, quoique déjà grisonnants par
endroits, coiffés en arrière avec une raie sur le côté."2
Un troisième extrait de notre corpus, qui passe sous silence une durée de trois
semaines qui ont suivi la bagarre entre les généraux et les jeunes de la cité du 11-Décembre-
1960, créant un effet d'accélération, ce qui a permis à la narration de mettre moins de temps
1 Ibid.p. 146. 2 Ibid.pp. 29- 30.
Chapitre III : L'étude spatio-temporelle
66
à relater les événements, il s'agit donc de l'ellipse : "Trois semaines étaient déjà passées
depuis la bagarre avec les généraux."1
Ce dernier passage des Petits de Décembre, désigne un sommaire, qui résume
brièvement une période de dix ans, les années de terrorisme et de massacres qu'a connu
l'Algérie de 1991 jusqu'en 2002, accélérant ainsi le rythme de la narration : "Naïm
s'accroche, termine son instruction. Il est muté dans l'armée de terre. Les années quatre-
vingt-dix, les années de plomb. Personne ne saura jamais ce que c'est."2
Une autre notion à examiner qui se rattache à l'analyse de la temporalité au niveau
de notre corpus, et qui s'intéresse également au nombre de répétions d'un événement, celle-
ci est la fréquence événementielle. Dès la première lecture du roman Les Petits de
Décembre, nous pouvons d'emblée constater que la bagarre entre les généraux : Saïd et
Athmane, et les jeunes de la cité du 11-Décembre-1960, a été narré plusieurs fois, plus
précisément quatre versions des différents protagonistes, en plus d'un article de presse. Alors
que cette bagarre n'a eu lieu qu'une fois. Le roman fait donc appel au mode répétitif.
La première version qui relate comment s'est déroulée la bagarre (qui a opposé les
généraux aux jeunes de la cité du 11-Décembre-1960), et qui figure dans le troisième
chapitre, est racontée par Youcef, un des jeunes, qui habite à la cité du 11-Décembre, et
également le fils du colonel Mohamed. Youcef s'est battu contre les généraux (au côté
d'autres jeunes qui n'étaient pas de la cité) : "Comment ça s'est passé ? demanderont les
jeunes du quartier qui n'étaient pas présents au moment des faits. Youcef, âgé d'une
vingtaine d'années, racontera alors dans les moindres détails la matinée du mercredi 3
février 2016."3
Au niveau du quatrième chapitre, les colonels Mohamed et Cherif, qui habitent la
cité du 11-Décembre-1960, narrent aux militaires retraités la deuxième version de la bagarre
: "Comment ça s'est passé ? demanderont les militaires retraités, le soir du mercredi 3
février, à leurs amis, les colonels, Mohamed et Cherif qui avaient assisté à la bagarre entre
En s'inscrivant dans la continuité des recherches formalistes, le théoricien Greimas
développe dans son ouvrage "Sémantique structurale" un modèle moins complexe et moins
chargé que celui proposé par Propp (les trente et une fonctions du personnage), un modèle
sémiotique basé sur la fonctionnalité des personnages, autrement dit "le faire" des
personnages. Ces derniers, sont catégorisés et nommés : actants (car ils sont perçus comme
des forces agissantes, indispensables pour le déroulement de l'intrigue). Selon le modèle
sémiotique de Greimas, les actants se répartissent en six classes, à partir d'un schéma
relationnel :
- Sujet/objet : le sujet est en quête de l'objet.
- Opposant/adjuvant : l'opposant se dresse contre le sujet, alors que l'adjuvant aide le
sujet (dans sa quête de l'objet).
- Destinateur/destinataire : le destinateur est l'origine de la quête (il charge le sujet de
la quête), alors que le destinataire est la finalité (pour qui le sujet mène la quête).
Toutefois, il est à souligner que dans cette classification, l'actant est synonyme de
rôle dans un schéma relationnel, l'actant n'est pas toujours "un être en papier" mais il peut
renvoyer à une collectivité (une famille, un groupe..), ou à des idées et des valeurs (la vérité,
le trésor,...), ou au contraire un seul personnage peut occuper plusieurs rôles dans le schéma.1
Pour ce qui est de Barthes, il indique dans son ouvrage "Introduction à l'analyse
structurale du récit" que le personnage tend à être un participant ayant des traits
psychologiques :
"L'analyse structurale, comme le précisait Barthes à
l'époque, très soucieuse de ne point définir le
personnage en termes d'essences psychologiques, s'est
efforcée jusqu'à présent, à travers des hypothèses
diverses, de définir le personnage non comme un “être“
, mais comme un “participant“ ".2
1Jouve, Vincent, Poétique du roman, Paris, deuxième Edition Armand Colin, 2001, pp. 51- 52. 2Barthes, Roland, Introductions à l'analyse structurale des récits, in R. Barthes et al. , Poétique du récit, Paris,
Seuil, coll. Points, 1977. In : Jouve, Vincent, L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presse Universitaire de
France, 1998, p. 8.
Chapitre IV :L'étude des personnages
73
De ce fait Barthes précise que le personnage : "est devenu un individu, une personne
bref un être pleinement constitué [...], le personnage a cessé d'être subordonné à l'action, il
a incarné d'emblée une essence psychologique".1
Le second modèle qui relève de la sémiologie, tend à étudier le personnage en tant
que notion théorique rigoureuse, et cela ne se limite pas seulement à son faire, mais il
s'intéresse aussi à son être, en d'autres termes le personnage est envisagé comme étant un
"être de papier" doté d'un nom et d'un portrait à la fois physique et moral, car en effet cet
aspect du personnage ne peut pas être négligé. Ce modèle dit sémiologique, développé par
le théoricien Philipe Hamon dans son article "Pour un statut sémiologique du personnage"
se réfère au modèle du signe linguistique (le signe de la langue peut être : référentiel,
déictique, ou anaphorique), de même pour les personnages du récit, ils peuvent être classifiés
de la sorte :
Les personnages référentiels : ils renvoient à la réalité, le cas des
personnages historiques, ou à des représentations fixes, immobilisées par une
civilisation ou une culture comme les personnages de la mythologie ou les
personnages types, les personnages allégoriques.
Les personnages embrayeurs : au niveau de l'énonciation, ils représentent
les marques de la présence dans le texte soit de l'auteur, soit du lecteur, ou
de leurs délégués tel que le narrateur témoin, l'observateur critique, ou le
porte-parole.
Les personnages anaphores : ils assurent l'organisation, l'unité ainsi que la
cohésion au sein du récit, car ils peuvent anticiper la suite comme le cas des
prophètes, des voyants, des visionnaires,... Ou en faisant appel à des éléments
essentiels dans la compréhension de l'histoire : enquêteurs, biographes,...
Ainsi Philipe Hamon propose d'analyser le personnage selon trois axes sémantiques
fondamentaux, à savoir : l'être (nom et portrait physique du personnage), le faire (son rôle
ainsi que sa fonction dans l'histoire), et l'importance hiérarchique (son statut et sa valeur) :
L'être du personnage : comprend en premier lieu son nom ou sa dénomination (il
peut être désigné par un nom propre, une lettre, un chiffre, ou rester anonyme). En second
1Barthes, Roland, Introductions à l'analyse structurale des récits, Paris, Seuil, 1981, p. 8.
Chapitre IV :L'étude des personnages
74
lieu, il inclut le portrait physique du personnage : son corps (grand, petit, difforme, humain,
non humain,...), son habit (qui renseigne sur l'origine culturelle et sociale du personnage, et
son apparence), sa psychologie (basée sur les modalités, et donne au personnage l'illusion
d'une vie intérieur, créant de la sorte un lien affectif avec le lecteur), et sa biographie
(permettant de renforcer la vraisemblance psychologique du personnage).
Le faire du personnage : désigne l'ensemble des actions mais aussi des fonctions du
personnage, son rôle thématique (comme type social ou psychologique), et son rôle actantiel
(en tant que force agissante au sein de la narration).
L'importance hiérarchique : désigne la classification des personnages à partir de
leurs rôles, de leurs statuts et de leur importance dans l'histoire : le(s) héros (qui se distingue
par des traits particuliers, ses apparitions fréquentes, son autonomie, et sa fonction), les
personnages secondaires, ou figurants.
Le troisième modèle sémio-pragmatique envisage le personnage comme effet de
lecture, en d'autres termes la représentation ou l'image que le lecteur a du personnage,
comment ce dernier est mis en scène, la manière dont il est présenté au lecteur, quels
sentiments le personnage inspire, le lecteur peut-il s'identifier à lui. Ce troisième modèle
(basé sur la réception, et donc la façon dont le personnage est perçu par le lecteur), a pour
objet les procédés par lesquels le texte organise la relation entre lecteur et personnage.1
Afin de réaliser l'étude des personnages dans notre corpus Les Petits de Décembre
de Kaouther Adimi, nous ferons appel au modèle sémiologique élaboré par le théoricien
français Philipe Hamon, à savoir : l'être, ainsi que le faire des personnages. Ces derniers
seront présentés selon leur importance hiérarchique, autrement dit les personnages
principaux (qui incluent les héros), ainsi que les personnages secondaires.
Nous débuterons alors avec les habitants de la cité du 11- Décembre-1960, et les
généraux. Cet ensemble comprend à son tour deux générations : la nouvelle génération, celle
des enfants et des jeunes de la cité (qui se révoltent contre les généraux), et la seconde, qui
est l'ancienne génération (celle des pères) qui ont été témoins de l'Histoire de l'Algérie, et
qui au fur et à mesure de l'évolution de l'intrigue relatent l'Histoire à travers leurs souvenirs
1Jouve, Vincent, Poétique du roman, Paris, Armand Colin, 2001, p. 66.
Chapitre IV :L'étude des personnages
75
(les flash-back), représentant ainsi des personnages embrayeurs (narrateurs témoins). Notre
corpus met en scène également, des personnages référentiels (historiques, qui relèvent de la
réalité attestée).
2. Les êtres en papier
2.1. Les personnages principaux
a. L'étude sémiologique du personnage Inès
Inès habite la cité du 11-Décembre-1960, à Dely Brahim avec sa mère Yasmine et sa
grand-mère Adila l'ancienne moudjahida, et fait partie de ceux qu'on dénomme Les Petits de
Décembre.
L'être : "Inès, une fillette âgée de onze ans, vêtue d'un immense tee-shirt blanc
marqué d'un logo de l'armée algérienne."1
"Inès, la frange plaquée en arrière avec une barrette, hausse les sourcils [...] Un grand
sourire illumine son visage brun."2
"C'était la fille la plus chic de l'école, pensait-t-il. Pas la
plus belle, sans doute, mais elle était différente des
autres. Ce n'était pas une petite peste. Elle ne s'habillait
pas, ne se comportait pas et n'agissait pas comme une
fille et cela lui plaisait énormément. Et puis, elle jouait
au football. Elle était même très douée et pouvait battre
tous les garçons du coin."3
Inès est une petite fille brunette âgée de onze ans, atypique, qui s'habille et se
comporte différemment des autres fillettes de son âge, elle est aussi passionnée de football,
et y joue fréquemment, et cela depuis l'âge de trois ans, c'est son père Amine qu'il l'a initié
au football, et même après son départ elle n'a jamais arrêté d'y jouer.
Le faire : en premier lieu il faudra déterminer le rôle thématique du personnage Inès,
et cela en dégageant les axes préférentiels : l'origine géographique (l'appartenance à la cité
du 11-Décembre-1960), la bagarre (habitants/généraux), et la révolte (pour le terrain).
1Adimi, Kaouther, Les petits de décembre, Alger, Barzakh, 2019,p. 19. 2Ibid.p. 21. 3Ibid.pp. 143 -144.
Chapitre IV :L'étude des personnages
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Sur le plan de l'origine géographique : Inès appartient (habite) la cité du 11-Décembre 1960.
Sur le plan de la bagarre : Elle a été témoin de la bagarre entre ses voisins les habitants de la
cité, ainsi que sa grand-mère Adila contre les généraux pour le terrain.
Sur le plan de la révolte : Elle a participé à la révolte contre les généraux qui ont voulu
s'approprier le terrain.
Quant au rôle actanciel du personnage Inès : protagoniste (elle réfère au sujet à partir de l'axe
du vouloir).
b. L'étude sémiologique du personnage Jamyl
Jamyl est un habitant de la cité du 11-Décembre 1960, qui vit avec ses grands-parents
paternel, et un des Petits de Décembre.
L'être : "deux garçons d'une dizaine d'années, Jamyl et Mahdi [...] porte un grand
tee-shirt de la Juventus".1
"Mahdi le surnommait “Jamyl la seconde chance“".2
"C'était un garçon de petite taille, un peu grassouillet, d'une timidité maladive. Il ne se
sentait bien qu'avec Mahdi et Inès."3
Jamyl est un petit garçon âgé d'une dizaine d'années, de petite taille, un peu potelé,
et très timide, qui adore jouer au football avec ses deux amis Mahdi et Inès, surnommé
"Jamyl la seconde chance" car il arrive après coup. Il vit chez son grand-père général à la
retraite et sa grand-mère depuis le décès de son père suite à un attentat à la bombe en 2007.
Agé d'à peine un an, sa mère n'a pas réussi à obtenir sa garde, il la voit que rarement.
Le faire: pour déterminer le rôle thématique du personnage Jamyl, il faudra d'abord
dégager les axes préférentiels : l'origine géographique, la bagarre, et la révolte.
Sur le plan de l'origine géographique : Jamyl habite la cité du 11-Décembre 1960.
Sur le plan de la bagarre : Il a été témoin de la bagarre entre les habitants de la cité et les
généraux pour le terrain.
Sur le plan de la révolte : Il a participé à la révolte contre les généraux qui ont voulu
s'approprier le terrain.
Quant au rôle actanciel du personnage Jamyl : protagoniste (il renvoie au sujet à partir de
l'axe du vouloir).
1Ibid.p. 19. 2Ibid.p. 142. 3Ibid.p. 143.
Chapitre IV :L'étude des personnages
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c. L'étude sémiologique du personnage Mahdi
Mahdi est également un habitant de la cité du 11-Décembre 1960, où il vit avec ses
parents militaires, c'est un Des Petits de Décembre.
L'être :
"Contrairement à l'ensemble des garçons de sa classe, il
a les cheveux longs. S'il lui arrive de les attacher en
queue-de-cheval, il préfère généralement les garder
libres. De dos, il arrive qu'on le confonde avec une fille.
[...] Les cheveux longs c'est pour se donner un côté un
peu rock en fait, un peu voyou, un peu fou aussi. C'est
pour faire peur aux autres enfants. "1
"A enfilé un maillot de l'équipe algérienne sur son gros col roulé qui le démange mais que
sa mère l’a forcé à porter."2
Mahdi est donc un garçon âgé d'une dizaine d'années, qui peut être confondu de dos
à une fille, à cause de ses longs cheveux, il préfère les garder ainsi pour effrayer les enfants
qui tentent de se moquer del’handicap de son père Naïm, qui a perdu ses deux jambes suite
à un attentat à la bombe en novembre 1999 à Baraki (Alger). Sa mère était aussi dans l'armée.
Le faire: pour déterminer le rôle thématique du personnage Mahdi, il faudra d'abord
définir les axes préférentiels : l'origine géographique, la bagarre, et la révolte.
Sur le plan de l'origine géographique : Mahdi habite la cité du 11-Décembre 1960.
Sur le plan de la bagarre : Il a été témoin de la bagarre entre les habitants de la cité et les
généraux pour le terrain.
Sur le plan de la révolte : Il a participé à la révolte contre les généraux qui ont voulu
s'approprier le terrain.
Quant au rôle actanciel du personnage Mahdi : protagoniste (il renvoie au sujet à partir de
l'axe du vouloir).
d. L'étude sémiologique du personnage Youcef
Youcef est un des jeunes qui habite dans la cité du 11-Décembre 1960, et le fils du
colonel Mohamed.
1Ibid.p. 150. 2Ibid.p. 19.
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L'être : "Youcef, âgé d'une vingtaine d'années, racontera alors dans les moindres
détails la matinée du mercredi 3 février 2016."1
"Youcef hurle pendant que des gendarmes tentent de les calmer"2
"Il se retrouve face à un gamin de vingt ans vêtu d'un
sweat-shirt trop grand pour lui et de baskets qui devaient
valoir deux mois de salaire. Il avait l'air furieux mais il
ne fallait pas oublier que sous ce grand pull se cachait
le fils d'un officier supérieur à qui on avait simplement
pris son jouet et qui avait tenté rn retour de frapper un
général."3
Youcef est un jeune âgé de vingt ans, qui s'emporte et devient très vite violent et
colérique, vêtu d'un grand pull et de baskets, il a grandi en disputant des matchs sur le terrain
de la cité du 11-Décembre 1960. C'est le fils du colonel Mohamed (un colonel à la retraite),
qui appartient aussi à un parti politique, qui souhaite réconcilier le peuple algérien avec la
politique (le pouvoir), tout en étant démocratique.
Le faire : en premier lieu il faudra déterminer le rôle thématique du personnage
Youcef, et cela grâce aux axes préférentiels : l'origine géographique (l'appartenance à la cité
du 11-Décembre-1960), la bagarre (habitants/généraux), et la révolte (pour le terrain).
Sur le plan de l'origine géographique : Youcef fait partie des jeunes de la cité du 11-
Décembre 1960.
Sur le plan de la bagarre : Il y a participé, et s'est battu contre les généraux pour le terrain et
a été mis en état d'arrestation par la gendarmerie.
Sur le plan de la révolte : Il n'a pas pu y participé à cause de son père Mohamed qui lui a
interdit de sortir de la maison, et sur le terrain il n'y avait que les enfants.
Quant au rôle actanciel du personnage Youcef : protagoniste (il réfère au sujet à partir de
l'axe du vouloir).
e. L'étude sémiologique du personnage Saïd
Saïd est un général de l'armée algérienne, qui veut s'approprier le terrain de la cité du
11-Décembre 1960 pour y construire sa villa avant son départ à la retraite.
1Ibid.p. 29. 2Ibid.p. 54. 3Ibid.p. 63.
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L'être : "Le premier, le générale Saïd, était un homme de petite taille, avec une
moustache bien taillée, il portait des lunettes à monture carrée et aux verres fumés. Il avait
des cheveux raides, noirs, quoique déjà grisonnants par endroits, coiffés en arrière avec une
raie sur le côté."1
"Peu de gens savent qui est le général Saïd. Date et lieu
de naissance, études, rien on ne sait rien de lui. Même
ses collègues les plus proches ignorent presque tout de
ce petit homme qui cultive le secret. Ainsi, il en est
certain, personne ne sait qu'enfant, il rêvait de devenir
danseur, qu'il ne suit aucun principe religieux et qu'il
aime la littérature russe découverte lors de sa formation
financée par l'armée algérienne à l'académie navale de
Saint-Pétersbourg où il était affublé du surnom de
“Nabot“. Le général Saïd a été l'un des instigateurs de
la purge dans les années quatre-vingt-dix. Il lutta avec
acharnement contre toute forme d'islamisme [...] C’est
un homme très élégant, toujours bien habillé. Ses
costumes sont faits sur mesure en Italie et ses trois
enfants vivent en France grâce à des bourses octroyées
par l'Etat."2
"On raconte que le général Saïd a des parts dans
plusieurs entreprises du pays. Qu'il est incontournable
pour tout ce qui touche au business en Algérie et que les
proches des ministres et du président sont tous liés à lui
d'une manière ou d'une autre. Mais le secret le mieux
gardé est celui qui entoure son état de santé : il a un
cancer qui le ronge depuis presque un an et il compte
bientôt prendre sa retraite. Il devra alors céder sa
grande maison de fonction à son successeur."3
1Ibid.p. 30. 2Ibid.p. 48. 3Ibid.pp. 48- 49.
Chapitre IV :L'étude des personnages
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Le général Saïd est un homme âgé de soixante-dix ans, dénommé le "Nabot" pour sa
petite taille, mais très élégant et toujours bien habillé, bien mystérieux aussi car même ses
proches ne connaissent pas grand-chose à son sujet. Il a lutté contre le terrorisme, durant la
décennie noire en Algérie et a été formé en Russie. C'est également un homme d'affaires. Il
est atteint d'un cancer et a trois enfants boursiers en France.
Le faire : le rôle thématique du personnage Saïd, à partir des axes préférentiels :
l'origine géographique, la bagarre (habitants/généraux), et la révolte (pour le terrain) :
Sur le plan de l'origine géographique : Saïd n'habite pas la cité du 11-Décembre 1960, mais
veut s'approprier le terrain qui se trouve au centre de cette cité, pour y construire sa villa, et
cela avant de prendre sa retraite.
Sur le plan de la bagarre : Il y a participé, et s'est battu contre les jeunes et les habitants de
la cité du 11-Décembre 1960, au côté de son ami le général Athmane.
Sur le plan de la révolte : Il a tenté de mettre fin à la révolte Des Petits de Décembre, par
tous les moyens afin de débuter la construction de sa demeure au mois de mars.
Quant au rôle actanciel du personnage Saïd : opposant (à partir de l'axe du pouvoir).
f. L'étude sémiologique du personnage Athmane
Athmane est un général de l'armée algérienne, qui une fois à la retraite voudrais
habiter à la cité du 11- Décembre 1960 située à Dely Brahim, où y vivent les familles des
militaires.
L'être :
"Le deuxième, le général Athmane, était immense, avec
un crâne dégarni et des sourcils broussailleux. Il était
rasé de très près. C'est le premier militaire sans
moustache que Youcef voyait. Il affichait un petit sourire
narquois et même au milieu de la bagarre, il continuait
de sourire. [...]les généraux devaient avoir presque
soixante-dix ans, qu'ils étaient dans une sacrée forme
Chapitre IV :L'étude des personnages
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malgré leur âge et qu'ils portaient tous les deux un
costume sombre et un pardessus en laine noire."1
"Le général Athmane, lui, a fait des études de droit en
Angleterre payées par l'armée. C'est un grand et bel
homme qui sait charmer son entourage [...] On ne le sait
pas mais il n'a jamais obtenu de diplôme. Il passa ses
années de faculté à boire dans les pubs et à courir après
Mary, une jeune Anglaise qui le quitta du jour au
lendemain. Athmane revient au milieu des années
soixante-dix en Algérie où l'armée l'attendait les bras
ouverts. IL présenta un faux diplôme et fut recruté dans
le service juridique. Il épousa une femme qui venait du
même village que lui et oublia très vite Mary et Londres.
[...]Une fois per mois, une voyante vient voir le général
chez lui et déroule le fil du temps."2
Le général Athmane est un grand et bel homme, en bon état physiologique par rapport
à son âge, avec un sourire malicieux, vêtu d'un costume sombre avec un manteau noir, il a
étudié le droit en Angleterre, il n'a eu aucun titre universitaire, et travail dans le service
juridique en Algérie (avec un faux diplôme). Il fait souvent appel à une voyante pour
l'orienter dans ses décisions. Il possède des biens immobiliers en Europe.
Le faire : quant au rôle thématique du personnage Athmane, à partir des axes
préférentiels : l'origine géographique, la bagarre et la révolte.
Sur le premier plan, de l'origine géographique : Athmane n'habite pas la cité du 11-Décembre
1960, mais veut s'approprier le terrain qui se trouve au centre de cette cité, pour y construire
sa villa, près de son ami de langue date le général Saïd, et cela avant de prendre leur retraite.
Sur le second plan, celui de la bagarre : Il y a participé, et s'est battu contre les jeunes et les
habitants de la cité du 11-Décembre 1960, au côté de son ami le général Saïd.
1Ibid.p. 30. 2Ibid.pp. 49- 50.
Chapitre IV :L'étude des personnages
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Sur le troisième plan de la révolte : Il a tenté de mettre fin à la révolte Des Petits de
Décembre, par tous les moyens, y compris de recourir au directeur de la sécurité. Dans le
but, de débuter la construction de sa demeure au mois de mars.
Quant au rôle actanciel du personnage Athmane : opposant (à partir de l'axe du pouvoir).
g. L'étude sémiologique du personnage La vieille folle aux cheveux rouges
La folle aux cheveux rouges habite à Dely Brahim, à la cité du 11-Décembre 1960,
juste à côté de la maison d'Inès.
L'être : "La vieille folle qui habite la maison d'à côté, la vieille édentée aux cheveux
rouges tressés en couronne autour de la tête".1
"La vieille voisine aux cheveux rouges s'est approchée
d'eux sans bruit. Sa robe jaune trempée par la pluie
moule son corps, révélant la forme de ses seins et de ses
fesses. Elle pointe du doigt les généraux et leur crie : -
Ils ne veulent pas de vous ! Ils ne veulent pas de vous ici
!"2
"La folle aux cheveux rouges qui s'était soudain mise à hurler des insanités. On était tous
mal à l'aise.[...]La folle aux cheveux rouges aurait aimé aussi aller à la gendarmerie mais
personne ne voulait s'encombrer d'elle."3
La vieille folle aux cheveux rouges, n'a pas été désignée par un nom propre, et son
histoire demeure mystérieuse, Les habitants de la cité la dénomment ainsi car c'est une
femme âgée, édentée, ayant des cheveux rouges, et atteinte de désordres et de troubles
mentaux qui se répercutent sur son comportement, jugé déraisonnable et extravagant.
Le faire : en premier lieu il faudra déterminer le rôle thématique du personnage de
la vieille folle aux cheveux rouges, et cela en dégageant les axes préférentiels :
Sur le plan de l'origine géographique : La vieille folle aux cheveux rouges réside à la cité du
11-Décembre 1960.
Sur le plan de la bagarre : Elle y a participé, et n'a pas hésité à donner des coups aux généraux
en les insultant de tous les noms, et en hurlant dans le terrain.
1Ibid.p. 24. 2Ibid.p. 32. 3Ibid.p. 43.
Chapitre IV :L'étude des personnages
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Sur le plan de la révolte : Elle a participé à la révolte contre les généraux qui ont voulu
s'approprier le terrain, et cela en s'attaquant à tous les adultes, qui ont essayé de se dresser
contre les enfants. Elle fut la première à les avertir du déclenchement de l'incendie.
Quant au rôle actanciel du personnage la vieille folle aux cheveux rouges : adjuvant (sur
l'axe du pouvoir).
2.2. Les personnages témoins
Cette deuxième catégorie des personnages fictifs désignent des protagonistes, qui
font partie des personnages principaux, et qui par rétrospection, autrement dit à travers leurs
souvenirs et leurs flash-back relatent les événements de l'Histoire de l'Algérie, avant et après
l'Indépendance ; durant les manifestations de décembre 1960, et pendant la décennie noire
et les années de plombs. En effet ce sont les protagonistes : Adila, Mohamed, Cherif, et
Naïm. Nous procéderons ainsi à leur étude sémiologique conformément au modèle du
théoricien Philipe Hamon, à savoir : l'être et le faire.
a. l'étude sémiologique du personnage Adila
Adila est une ancienne moudjahida, qui habite la cité du 11-Décembre 1960, à Daly
Brahim, Alger, avec sa fille Yasmine et sa petite fille Inès.
L'être : "La veille, à cause de la boue, Adila une ancienne moudjahida bien connue
du quartier, est tombée et ne se déplace plus qu'appuyée sur une canne."1
"Elle a créé il y a deux ans une association qui vient en aide aux femmes victimes de
violences conjugales ou familiales."2
"Et que dirait Adila, sa mère, qui même pas majeure
avait déjà rejoint secrètement le FLN, luttait pour
l'indépendance de l'Algérie et n'hésitait pas à baver le
couvre-feu ? [...]Elle grommelle, marmonne, s'agace en
prenant des notes dans un carnet noir qu'elle traine avec
elle depuis quelques semaines."3
1Ibid. p. 15. 2Ibid.p. 23. 3Ibid.pp. 24- 25.
Chapitre IV :L'étude des personnages
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"Adila était une petite femme aux cheveux bruns, très courts. Pendant la guerre d'Algérie,
elle avait combattu les Français, les armes à la main, et elle a continué à militer pendant les
années de terrorisme."1
"Elle avait beau mesurer à peine un mètre cinquante et
être aussi vieille que sa mère, elle l'impressionnait. Il
n'oubliait pas qu'elle avait posé des bombes pendant la
guerre, ni qu'elle avait été torturée pendant des nuits
entières par l'armée française sans jamais révéler la
cachette des autres membres de la cellule secrète à
laquelle elle appartenait."2
"Adila a donc commencé à griffonner des notes, à tenter
de se rappeler ce que furent ses journées pendant la
guerre d'Algérie, les années comme militante, la vie dans
la clandestinité[...]Plus que raconter simplement une
époque, Adila voulait dire ce que sont devenues ces
femmes qui ont milité pendant la guerre avant de voir
leurs droits sans cesse grignotés par les hommes mais
aussi par des femmes."3
Adila est une vieille femme, de petite taille, avec des cheveux bruns, qui se déplace
avec une canne, réputée pour sa personnalité car elle avait un fort caractère et n'avait pas
froid aux yeux. Dénommée l'ancienne moudjahida, car dès son jeune âge, elle rejoint les
rangs du FLN pendant la guerre d'Algérie, et milite contre le terrorisme durant la décennie
noire. Elle préside également une association qui lutte contre les violences faites aux
femmes. Elle détient un journal dans lequel elle relate ses souvenirs de l'époque coloniale et
postcoloniale en Algérie. Son fils est mort suite à un attentat terroriste en décembre 1996.
Le faire: d’abord il faudra déterminer le rôle thématique du personnage Adila, et cela
en dégageant les axes préférentiels :
1Ibid.p. 31. 2Ibid.p. 70. 3Ibid.p. 109.
Chapitre IV :L'étude des personnages
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Sur le plan de l'origine géographique : Adila réside à la cité du 11-Décembre 1960, avec sa
fille Yasmine et sa petite fille Inès, avant elle habitait à Kouba (Alger), après la mort de son
fils, suite à un attentat en 1996.
Sur le plan de la bagarre : Elle y a participé, et n'a pas hésité à donner des coups aux généraux
avec les jeunes de la cité, tout en les menaçant de ne pas s'approcher du terrain :
"La vieille Adila n'arrêtait pas de frapper les généraux avec sa canne. Elle était toute rouge
et elle avait du mal à tenir sur ses jambes à cause de la cheville et de la boue."1
En témoignant à la presse : "Adila, la célèbre moudjahida, présente sur les lieux au
moment l'échauffourée, a déclaré : “Il est impensable qu'on laisse ces généraux s'approprier
ce terrain qui appartient à la communauté. “."2
Sur le plan de la révolte : Elle a soutenu les enfants de la cité, y compris sa petite fille Inès,
ainsi que leurs amis dans leur révolte, contre les généraux qui ont voulu s'approprier le
terrain, et cela en les encourageant à ne pas baisser les bras et se battre pour leur terrain de
football.
Quant au rôle actanciel du personnage Adila : adjuvant (sur l'axe du pouvoir).
b. l'étude sémiologique du personnage Mohamed
Mohamed est un colonel à la retraite qui habite à la cité du 11-Décembre 1960, avec
son épouse, son fils Youcef et sa petite fille.
L'être : "Mohamed mit un costume sombre sur une chemise blanche. Il se rasa
soigneusement, cira ses chaussures noires et passa un imperméable."3
"Mohamed faisait très attention à parler doucement, les mains jointes. Il avait beau avoir
quitté l'armée, le fait de se retrouver face aux plus hauts gradés le déstabilisait. Il était
intimidé d'être assis de la sorte, au fond d'un canapé moelleux aux cotés des généraux."4
"Son pauvre père. Qu'est-ce qu'il aurait pensé de l'état du pays ? Il était mort le 27 décembre
1978, le même jour que Houari Boumediene. Mohamed, qui vouait une admiration sans
borne à celui-ci, pleura les deux hommes à part égale."5